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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 6 octobre 2005

7e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. RENÉ DOSIÈRE,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Loi d’orientation agricole

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi d’orientation agricole (nos 2341, 2547).

Hier soir, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Avant de donner la parole à M. Favennec, je vous rappelle, mes chers collègues, qu’une vingtaine d’orateurs sont inscrits, dont le temps de parole est limité à cinq minutes. Or l’expérience montre qu’en pareil cas on a tendance à le dépasser. Je vous laisse calculer ce que donne un dépassement de seulement trois minutes s’il est multiplié par vingt : cela représente une heure de discussion supplémentaire. En conséquence, je me montrerai assez strict sur le respect des temps de parole, d’autant plus, je le rappelle, qu’une barre lumineuse disposée à la tribune vous indique précisément le temps qu’il vous reste.

Rappels au règlement

M. Thierry Mariani. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, pour un rappel au règlement. Fondé sur quel article, monsieur Mariani ?

M. Thierry Mariani. Sur l’article 58, alinéa 1, monsieur le président. Au risque de passer pour le vilain petit canard, je souhaite m’élever contre la façon dont se déroulent nos séances.

Je le rappelle à nos collègues ainsi qu’au Gouvernement : lorsque nous avons adopté, il y a quelques années, le système de la session unique, on nous a expliqué qu’en dehors de quelques cas exceptionnels, les débats s’arrêteraient le jeudi. Or je constate, dès la première semaine de la session, que des séances sont prévues jusqu’au vendredi soir et qu’elles doivent reprendre dès le lundi.

Monsieur le ministre de l’agriculture et de la pêche, vous vous doutez bien qu’un débat sur un projet de loi d’orientation agricole réunit peu de députés de la Seine-Saint-Denis ou des différents arrondissements de Paris ! Or la plupart d’entre nous, élus de province, n’auront, vendredi soir, ni train ni avion, et devront partir samedi matin. Cela signifie qu’arrivés samedi, vers midi, dans nos circonscriptions, nous devrons, après une seule journée, en repartir dès lundi matin. Et ce, dès la première semaine ! Ces conditions de travail ne sont pas sérieuses !

Mme Geneviève Gaillard. Très juste !

M. Thierry Mariani. Monsieur le ministre, vous m’avez dit tout à l’heure qu’il n’existait qu’une loi de modernisation agricole. Mais il n’y a également qu’une réforme du traitement de la récidive des infractions pénales – pour prendre un exemple parmi bien d’autres. M’adressant autant à la présidence qu’au Gouvernement, je l’affirme solennellement : on ne peut pas, dès la première semaine, nous imposer un tel rythme de travail. Il ne faudra pas s’étonner, après, qu’il y ait si peu de députés dans l’hémicycle et que nous soyons si peu dans nos circonscriptions ! La session unique, nous disait-on, c’est trois jours par semaine. Nous étions prêts à siéger jour et nuit pendant ces trois jours. Mais pas cinq jours sur sept !

M. le président. Monsieur Mariani, l’ordre du jour de nos séances a été fixé en conférence des présidents. Sachant que nous devons examiner environ 1 100 amendements sur le projet de loi d’orientation agricole et que le calendrier impose la discussion prochaine du projet de loi de finances, nous avons été contraints d’organiser ainsi nos débats. C’est toutefois avec plaisir que je vous retrouverai lundi, puisque je dois présider les deux séances prévues à l’ordre du jour.

La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Au nom de mon groupe, je souhaite m’associer aux propos de M. Mariani. Nous avons, depuis le début de cette session, exprimé notre opposition à ce que l’Assemblée siège lundi. Nous ne pouvons pas être présents tous les jours de la semaine, ce n’est pas sérieux !

M. Thierry Mariani. Il n’y aura plus personne dans deux semaines !

M. François Brottes. Ce n’est pas que nous n’ayons pas la volonté de travailler – nous avons déjà longuement siégé en commission – mais la méthode n’est pas acceptable. Nous aurions pu poursuivre ce matin le débat sur le projet de loi d’orientation agricole, mais il n’en a pas été ainsi. La manière dont on traite ceux qui travaillent dans cette assemblée n’est pas convenable, monsieur le président. Je souhaitais donc, à mon tour, vous faire part de notre indignation.

Mme Geneviève Gaillard. Très bien !

M. le président. Vos propos seront transmis à la présidence.

La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les propos de Thierry Mariani et de François Brottes, et je comprends tout à fait leur réaction. Je dois toutefois rappeler à la représentation nationale que ce matin avait lieu l’inauguration de l’événement le plus important de notre pays en matière agricole après le Salon de l’agriculture de Paris et le SPACE de Rennes, c’est-à-dire le sommet de l’élevage à Clermont-Ferrand. M. le Président de la République devait s’y rendre, mais, comme vous le savez, il a été contraint de réduire ses activités pendant une courte période. Il m’a donc demandé ce matin, ainsi qu’à M. Hortefeux, de le représenter, en compagnie, d’ailleurs, d’un certain nombre de vos collègues qui ont effectué l’aller-retour. Cela explique pourquoi j’avais demandé à M. le président de l’Assemblée nationale, qui avait bien voulu l’accepter, ainsi qu’à mon collègue chargé des relations avec le Parlement, une modification de l’ordre du jour.

Quant au reste, monsieur Mariani, j’étais moi-même député lorsque, à l’initiative du président Séguin, nous avons modifié la Constitution et le règlement de l’Assemblée pour changer l’organisation du travail parlementaire.

M. Thierry Mariani. Une fameuse bêtise ! Les règles n’ont jamais été respectées !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Comme vous, je suis un élu local, amené à assister, le lundi, à un conseil général ou municipal. Je connais cette action parallèle au travail législatif des députés ou des sénateurs, et je comprends votre mauvaise humeur ainsi que celle de M. Brottes – même si je ne suis pas sûr qu’au fond de lui-même ce dernier soit réellement « indigné », car il connaît les impératifs auxquels sont confrontés un gouvernement et sa majorité. Je regrette que vous preniez les choses ainsi, monsieur Mariani, mais je comprends vos remarques, dont je ferai part à M. le Premier ministre, conscient que vous vous exprimez non en fonction d’un intérêt personnel, mais au nom du bon déroulement du travail parlementaire.

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le ministre, je comprends parfaitement que vous ayez eu d’autres obligations ce matin. Mon reproche ne porte pas sur ce point, mais sur le fait qu’on nous oblige à siéger jusqu’au vendredi soir – alors que la plupart des députés de province n’ont plus d’avion à partir de vingt et une heures – et à reprendre le lundi, tout cela dès la première semaine de la session ! Vous n’êtes évidemment pas en cause, mais ces méthodes de travail ne sont pas les bonnes, et il ne faudra pas s’étonner que l’hémicycle soit vide dans quelques semaines. À mesure que l’on approche de certaines échéances, des arbitrages doivent être effectués au niveau local. Nous serions peut-être plus nombreux si on ne siégeait pas vendredi et lundi, au contraire de ce qui devrait être la règle dans une session unique.

M. le président. Je peux en tout cas vous assurer, monsieur Mariani, que la présidence aura connaissance de vos propos ainsi que des protestations de notre collègue Brottes.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d’orientation agricole que nous sommes en train d’examiner s’inscrit dans un contexte de difficultés et d’inquiétudes pour les agriculteurs, qui subissent des crises à répétition et évoluent dans un environnement particulièrement incertain.

Leur situation économique est très fragile et s’accompagne d’une véritable crise d’identité. Je peux, d’ailleurs, le constater quotidiennement dans ma circonscription du Nord de la Mayenne : le malaise persiste et les agriculteurs sont inquiets pour leur avenir.

L’agriculture est de plus en plus internationalisée et ses perspectives dépendent d’évolutions qui dépassent le niveau national, et même européen.

Le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, devrait permettre d’offrir à nos agriculteurs des moyens pour s’adapter à ce contexte difficile et incertain.

Je voudrais, en tout premier lieu, saluer ici la méthode employée par votre prédécesseur et vous-même, puisque ce projet est l’aboutissement d’une très large concertation, qui a eu lieu dans toutes les régions françaises.

Les débats ont permis de faire de nombreuses propositions et ont pu mettre en évidence la forte attente du monde agricole d’un projet permettant de rendre espoir et repères à l’agriculture française.

Face à l’évolution du contexte international, notre agriculture doit renforcer sa compétitivité. Il nous faut proposer, sur le plan intérieur, des outils économiques et des moyens juridiques à même de redonner des perspectives d’avenir aux agriculteurs.

L’ambition de votre projet est, par conséquent, de créer les outils d’un nouveau modèle agricole afin d’accompagner les évolutions de l’agriculture française pour les vingt prochaines années.

Mais si personne ne peut contester la nécessité de moderniser les exploitations agricoles en les faisant évoluer vers une démarche d’entreprise, ce qui est l’un des principaux aspects de votre projet, il ne faut pas oublier d’accompagner cette volonté économique d’une dimension humaine en vue, par exemple, d’améliorer les conditions de vie et de travail de nos agriculteurs.

Pour ce faire, vous souhaitez favoriser le rapprochement des conditions de travail des agriculteurs avec celles des autres catégories professionnelles. Ce n’est que justice.

La modernisation des conditions d’accès à la protection sociale pour les personnes qui travaillent sur l’exploitation constitue une première réponse à de légitimes attentes.

S’agissant, plus particulièrement, du statut de l’aide familiale, votre projet propose de le limiter à une période de cinq ans. En effet, ce statut très précaire ouvrait des droits très limités en matière d’assurance vieillesse.

Je souhaite à ce propos revenir sur un sujet qui me tient à cœur, pour avoir rencontré, en Mayenne, beaucoup d’agriculteurs concernés par cette situation : je veux parler du rachat des périodes travaillées en tant qu’aide familial.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. C’est un vrai sujet !

M. Yannick Favennec. Le décret pris pour l’application de cette mesure qui découle de la réforme des retraites pose des conditions particulièrement restrictives, puisque la poursuite d’études, ne serait-ce que quelques heures par semaine, est incompatible avec la qualité d’aide familial.

Vous connaissez le sujet, monsieur le ministre, d’autant plus que je vous ai transmis, il y a quelques mois, la proposition de loi que j’avais déposée sur ce point. Sur cette véritable question d’équité, je ne désarme pas, et j’ai donc déposé un amendement après l’article 7.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Très bien !

M. Yannick Favennec. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous y porterez toute l’attention nécessaire.

Je souhaite également attirer votre attention sur l’amendement de mon collègue Daniel Garrigue, que j’ai cosigné et qui vise à corriger une autre situation injuste, cette fois à l’égard des mères de famille qui ne peuvent bénéficier de la revalorisation de leur retraite agricole parce qu’elles ont cessé leur activité pour élever un enfant et ont dû, durant cette période, cotiser au régime général de l’assurance vieillesse.

L’amélioration des retraites agricoles est, vous le voyez, monsieur le ministre, un sujet qui est encore loin d’être réglé. J’estime, comme un certain nombre de mes collègues dans cet hémicycle, que votre texte pourrait davantage progresser dans ce domaine. Je reconnais que, depuis plusieurs années, de nombreuses mesures ont été mises en place pour améliorer les retraites agricoles : revalorisation des retraites de base des chefs d’exploitation, des veuves, des conjoints et aides familiaux, mise en place et financement, dans un contexte budgétaire difficile, de la retraite complémentaire obligatoire, ou encore mensualisation des retraites. Mais, malgré toutes ces bonnes mesures, il faut bien avouer que de nombreux agriculteurs ne bénéficient pas d’une retraite suffisante pour vivre dignement.

Il me paraît juste et équitable de poursuivre nos efforts dans ce domaine. Mais je suis convaincu – car c’est également l’une de vos priorités – que vous aurez à cœur, monsieur le ministre, d’être à l’écoute des propositions de notre assemblée sur ce sujet, ce dont je vous remercie à l’avance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Merci, monsieur Favennec, d’avoir respecté votre temps de parole. C’est un très bon début.

La parole est à M. Jean-Claude Lemoine.

M. Jean-Claude Lemoine. Monsieur le ministre, vous nous proposez une grande loi d’orientation agricole. Pourquoi ? Quelles en sont les raisons ? Quelle est la situation de notre économie agricole ?

Le secteur agroalimentaire, première industrie française, est prospère. La France est en effet le premier exportateur de produits agroalimentaires au sein de l’Union européenne, et le deuxième au niveau mondial après les États-Unis. L’objectif de l’autosuffisance alimentaire, fixé dans les années 60, est donc largement dépassé, comme vous nous l’avez d’ailleurs rappelé dans votre propos introductif. En outre, les perspectives d’avenir sont nombreuses et prometteuses dans le secteur : l’Union européenne, notre premier partenaire commercial, et la France restent déficitaires dans les échanges de matières premières agricoles, et nous restons très dépendants des importations dans des secteurs stratégiques comme les protéines. Cela nous ouvre des opportunités.

L’enjeu alimentaire à l’horizon de vingt à quarante ans est réel : les besoins alimentaires de la planète sont d’ores et déjà supérieurs aux capacités de production, ce qui permet à la France de garder et même de développer une agriculture de production susceptible de contribuer à relever le défi alimentaire mondial. Enfin, le développement des cultures non alimentaires ouvrira de nouveaux marchés.

Paradoxalement, le monde agricole, artisan de cette réussite française, connaît malgré ces perspectives d’avenir rassurantes un malaise sans précédent. La situation économique des agriculteurs se dégrade, leur niveau de vie évolue moins vite que celui du reste de la population. Ils sont dépendants des aides publiques, d’autant plus que le prix de vente de nombre de leurs produits est inférieur au coût de production, ce qui est pour eux ni motivant, ni satisfaisant.


Les agriculteurs sont asphyxiés par le poids des réglementations et des contraintes. Il existe de plus, malheureusement, une incompréhension entre le reste de la société et le monde agricole.

Cette situation aggravée par l'évolution et les incertitudes pour l'avenir de la politique agricole commune, par l'accélération des échanges mondiaux, nécessite la mise en place de nouvelles mesures adaptées. C’est le but de votre projet de loi d’orientation, monsieur le ministre, qui doit, vous l’avez dit, redonner de l’ambition pour l’agriculture et des perspectives à nos paysans.

Contrairement à ce que l’on a pu entendre ici ou là, il s'agit bien d'une véritable loi d'orientation, et non d’une loi d’accompagnement ou de banalisation, puisqu'elle fait évoluer l'agriculture familiale vers l'entreprise agricole. Vous comprendrez, monsieur le ministre, qu'une telle révolution culturelle pose des interrogations et crée des inquiétudes qu'il vous faut dissiper pour que nous puissions adhérer pleinement à vos propositions.

Permettez-moi, car le temps dont je dispose est compté, de vous livrer pêle-mêle quelques interrogations.

Vous l’avez précisé, le fonds agricole a pour objectif de faciliter la transmission, les crédits mobilisables et de séparer le patrimoine privé de celui de l'entreprise. Les situations sont toutefois tellement différentes entre tel ou tel secteur qu'on peut craindre que les modalités envisagées produisent parfois des effets contraires aux buts recherchés. Pourquoi la mise en place de ce fonds ne serait-elle pas facultative ? Un amendement a été déposé dans ce sens. De même, les baux cessibles ne doivent en aucun cas décourager la propriété agricole, souvent indispensable pour l'installation de nombreux jeunes.

Améliorer le revenu agricole, en sus des nouveaux débouchés favorisés par votre texte, est une priorité. Est-il prévu de fixer par voie réglementaire une rémunération des fonctions non marchandes de l'agriculture et d’installer un système d'intervention publique susceptible de garantir aux agriculteurs l'écoulement de production à un prix plancher en cas de crise ?

Dans ce domaine, avant d'approuver la suppression partielle du foncier non bâti, j'aimerais vous entendre préciser comment sera garantie l'autonomie financière des collectivités concernées, sachant que l'État ne peut exercer sur elles aucune tutelle.

S’agissant de la maîtrise des aléas, aucune mesure préventive n'est envisagée : souscrire une assurance incendie dispense-t-il pour autant de se doter d’extincteurs ? J'ai donc déposé un amendement relatif à la protection des productions animales qui ne bénéficient d’aucune possibilité d’assurance. J’espère que vous y serez favorable. De plus, je perçois mal l'articulation entre le fonds national de garantie des calamités agricoles et les assurances récoltes. Ce fonds bénéficiera d'une dotation de l'État, mais pour combien de temps et à quelle hauteur ? Quelle sera son évolution ? L'État interviendra-t-il dans le domaine des assurances récoltes, après la période expérimentale de trois ans, et sous quelle forme ? Suivra-t-il l’exemple de nombreux pays qui ont opté pour une participation à 50 % ? Envisagez-vous, monsieur le ministre une « réassurance d’État », système également adopté par beaucoup de pays ?

Enfin, vous simplifiez, à la satisfaction de tous, l'encadrement de l'agriculture et améliorez l'organisation des services de l'État et de ses établissements publics. Alléger les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs est indispensable, mais, pour y parvenir, il convient absolument d’alléger la technostructure agricole permettant de faire mieux pour moins cher. Pouvez-vous nous faire part de vos intentions dans ce domaine ? Envisagez-vous de supprimer quelques-unes des 370 structures administratives recensées, compétentes dans le domaine agricole ?

Je vous remercie, monsieur le ministre, d’apporter des réponses à ces interrogations. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Après les propos, hier, de M. Guillaume et ceux de M. Lemoine, aujourd’hui, mes critiques risquent d’apparaître bien pâles !

M. Jean-Claude Lemoine. Allons donc. Je me suis borné à quelques interrogations constructives !

M. François Brottes. Nombre des interrogations étaient, sinon perfides, en tout cas pertinentes !

Monsieur ministre, si, concernant le volet montagne, sur lequel vous aviez pris des engagements, la formule de « la montagne qui accouche d'une souris » pourrait ici être tout à fait adaptée, je dois admettre qu’après avoir constaté l'absence d'un chapitre concernant les spécificités de l'agriculture de montagne, aujourd'hui comme hier fragile et menacée, il n'est pas convenable de dire que ce texte est vide et inutile. En effet, chacun doit bien mesurer que votre loi d'orientation agricole est une loi très importante puisqu’elle va fondamentalement modifier le paysage de notre agriculture.

Votre texte de loi, proposé sans aucune étude d’impact sur l’avenir des exploitations, sur l'aménagement du territoire, sur l'emploi en agriculture, sur la filière agroalimentaire, sur le consommateur, sa santé, son pouvoir d'achat et son plaisir d'apprécier les productions de notre agriculture, de surcroît amendé en dernière minute, méritait autre chose, me semble-t-il, qu’une procédure d’urgence. Il est important. En effet, avec la création du fonds agricole, autrement dit le fonds de commerce de l'exploitation agricole, assorti de l’imbroglio inextricable du « bail cessible », qui ne le sera peut-être jamais – et nous y reviendrons –, vous donnez un nouveau pli au monde agricole qui risque de fermer toute perspective à des milliers de petites et moyennes exploitations, à des milliers de jeunes agriculteurs qui n'auront plus jamais les moyens financiers de s'installer, à des milliers d'agriculteurs, notamment en zone de montagne, qui ne pourront jamais entrer dans votre nouveau « format » d'une agriculture fortement capitalistique.

Soyons clairs, au prétexte d'une organisation mondiale du commerce, qui modifiera, en effet, forcément les règles du jeu en matière d'exportation, au prétexte d'une politique agricole commune, qui restreindra ses crédits – la même enveloppe pour un plus grand nombre de pays représente forcément moins d'argent qu'avant par pays –, au prétexte d'un découplage des aides entre production réelle et nature de l'exploitation, assorti de la mise en place du fameux « DPU » – droit à paiement unique –, vous tentez de nous convaincre qu'il faut en finir avec l'agriculture du paysan attaché à sa terre, souvent de génération en génération, avec l'agriculture qui non seulement produit, mais aussi entretien l'espace – mon collègue Lemoine y faisait allusion –, avec l'agriculture qui organise ses pratiques de transmission d'exploitations pour favoriser l'implantation des jeunes grâce au contrôle des structures. Vous essayez de nous convaincre qu'il n'y a point de salut en dehors de l'agriculture en col blanc, celle des investisseurs, des fonds de pension, celle des multinationales au détriment de la multifonctionnalité, celle qui oppose le triptyque « économie, social, environnement » au triptyque « productivisme, libéralisme, gigantisme ».

M. Antoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Caricature !

M. François Brottes. Il ne suffira pas d'emprunter pour mettre aux normes le nouveau bâtiment d'élevage ou acheter un nouveau tracteur, il faudra aussi trouver de quoi acheter le fameux « fonds agricole » Comment aura-t-il été évalué ? Combien d'éléments purement virtuels sur les « droits à primes » influenceront la valeur du « fonds » ? Quel impact les problèmes de cession de bail auront-ils sur la spéculation foncière ? Vous n'avez pas la réponse à ces questions, monsieur le ministre, car vous savez bien au fond de vous que bon nombre d'exploitations vont mourir dans ce nouveau mécanisme : celui du barbelé qui saute et de l'oxygène qui s'accroît, cher à notre collègue Raison. Vous savez très bien, cher collègue, que, dès lors que certains pourront respirer beaucoup plus fort, et c’est votre souhait, d’autres n'auront plus d'espace pour respirer. C'est certainement l'un des buts de l'opération.

Vous savez pertinemment que nombre d'agriculteurs ne pourront plus exercer leur métier autrement qu'en se mettant au service d'un investisseur financier, acquéreur de « fonds agricoles ». Comment osez-vous prétendre dépasser « l'approche familiale et patrimoniale » sans régler honnêtement la question du foncier agricole ? Le foncier agricole n'est pas seulement une question d'hectares, c'est aussi une question de fertilité, d'ensoleillement, de possibilité de terres mécanisables,…

M. Antoine Herth, rapporteur. Surtout en montagne !

M. François Brottes. …ou encore d'exposition aux vents. Chacun sait bien ici – et je me demande pourquoi le rapporteur oublie parfois son expérience personnelle – que la qualité d'une production est le résultat d'une alliance unique entre le savoir-faire de l'agriculteur et la nature du terroir de production. La légèreté avec laquelle vous traitez ici la question du foncier montre le peu d'importance, in fine, que vous accordez justement à la spécificité des productions et à leur qualité. On les imagine déjà ces « commis voyageurs » des fonds de pension « acquéreurs de fonds agricoles » se promener dans nos provinces, faisant mécaniquement monter les enchères, éliminant le repreneur local, ou lui proposant de devenir salarié, ou plutôt « franchisé » et de le rémunérer ainsi à la commission. Je vous renvoie en la matière à la récente loi Dutreil sur les PME.

En faisant du principe du « fonds agricole » la règle de droit commun, vous réglez certes la question des retraites pour la génération sortante, mais vous rétablissez en réalité l'époque des seigneurs et des métayers, vous transformez le code rural en code du commerce et vous passez d'une agriculture d'intérêt général à une agriculture d'intérêt « tout court ».

Parce que je vous sais astucieux, monsieur le ministre, et que je vous crois sincèrement à l'écoute des agriculteurs et des sylviculteurs – je n'ai pas oublié l'époque où vous siégiez assidûment dans le groupe forêt bois que j'animais –, je me dois d'admettre qu'il y a comme un rideau de fumée qui peut faire illusion dans votre texte. J'en veux pour preuve, par exemple, un article du journal Libération daté d’hier qui ne dit pas un mot du « fonds agricole » – votre service avant vote a fait l’impasse sur cette question majeure. Les contacts que j'ai dans ma région avec la profession confirment mes inquiétudes.

Certes – et j’essaie d’être honnête et objectif dans mes propos –, les avancées sur les biocarburants, sur le bois énergie, sur l'assurance récolte et l'assurance dommage – sujet très difficile à traiter – ou encore sur la facilité d'organiser les remplacements ne sont pas à rejeter, car elles répondent à de vraies attentes et à de vrais besoins.

Je veux bien aussi prendre acte de votre intention d’accueillir favorablement quelques amendements tendant à conforter l'agriculture et la sylviculture de montagne.

Mais encore une fois, l'enjeu de ce texte est ailleurs, la gravité des conséquences de son application dans nos régions se mesurera dans trois ou quatre ans. Cette discussion générale est l'occasion de prendre date en prévision des effets d'une mécanique impitoyable qui aura des conséquences lourdes pour les jeunes qui ne pourront plus s'installer, pour les petites et moyennes exploitations qui ne pourront pas survivre, pour l'entretien de l'espace qui sera laissé à l'abandon, pour un élevage extensif qui ne trouvera plus son économie et, finalement, pour une normalisation des goûts imposée par la normalisation libérale d'une agriculture qui risque de perdre son âme à cause de la nouvelle orientation que vous souhaitez lui imposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation agricole a pour ambition de définir ou de redéfinir un cadre stable à l'exercice de l'activité agricole.

Aussi louable et légitime cet objectif soit-il, nous devons, au préalable, nous poser la question suivante : chacun s'accorde à vouloir définir un cadre stable et tourné vers l'avenir, mais y aura-t-il demain encore des exploitations agricoles dans certaines régions de notre pays, notamment dans le Vaucluse ? Car, au-delà des déclarations et des principes, des textes et des dispositifs, il y a cette réalité que nous ne pouvons imaginer et qui est dramatique dans le Vaucluse. Je vous l’ai récemment précisé : député depuis treize ans, c’est la première fois que je rencontre, lors d’une réunion à la chambre d’agriculture, des agriculteurs les larmes aux yeux. Ils ne comprennent pas comment, après avoir travaillé avec acharnement, ils ont pu perdre jusqu’à 30 ou 40 % de revenu. Or les « politiques », dont je fais partie, n’ont aucune solution à leur proposer.

Le but n'est pas de me livrer ici à une quelconque surenchère ou de dramatiser à outrance une situation qui n'a nul besoin de l'être, faute de quoi mes propos n'auraient guère de crédit, mais de vous dire avec sincérité et vérité combien l'agriculture du Sud-Est de la France, celle qui jusqu'à cette année encore occupait 50 000 emplois directs et indirects dans le seul département de Vaucluse, monsieur le ministre, est aujourd’hui dramatiquement moribonde

Il fut un temps où nous lisions de la colère sur le visage des agriculteurs, c'était un moindre mal, car c'était le signe qu'ils y croyaient encore. Je le répète, pour la première fois, cette semaine, je n’y ai vu que du désarroi, de la lassitude, parfois des larmes et souvent du renoncement. Pour certains, il est déjà trop tard. Les organisations professionnelles du Vaucluse sont catégoriques. Ce sont près de 2 000 exploitations sur 7 600 qui sont, à cet instant précis, au bord du dépôt de bilan, ce qui représente quelque 16 000 emplois et 200 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Ce débat parlementaire est pour certains agriculteurs, celui de la dernière chance. Entendons, écoutons le malaise agricole et surtout essayons d’agir en conséquence. C'est un véritable plan d'urgence qu'il convient d'engager immédiatement pour répondre à la crise sans précédent qui frappe aujourd'hui les filières fruitière, légumière et viticole.

Dans mon département, on produit des fruits et légumes, parfois du vin. Quand l’un de ces secteurs ne va pas, l’autre va. Pour la première fois, rien ne va. La cave coopérative de Sérignan a annoncé, cette semaine, une baisse des acomptes de 50 %. Dans ma circonscription, la majorité de baisse des acomptes, alors que les vendanges se terminent, s’élèvent à 30, voire à 40 %. Qui accepterait, aujourd’hui, sans réagir qu’on lui annonce que ses revenus seront amputés de 30 à 40 % ? Que puis-je répondre, aujourd’hui, monsieur le ministre, à quelqu’un qui me demande s’il doit bloquer le TGV pendant dix ou quinze jours ou détourner un bateau pour être entendu ? Je le répète aujourd’hui, ces agriculteurs ont hélas l’impression de ne pas être entendus.

Il est nécessaire, j’en conviens, que nous parlions d'aménagement de l'espace, de paysage, de pluriactivité de multifonctionnalité. Mais, avant toute chose, permettons aux agriculteurs de vivre de leurs productions grâce à des charges supportables, à des conditions d'emploi satisfaisantes, à des règles de concurrence claires, et les défis environnementaux et spatiaux pourront être appréhendés plus aisément. En revanche, si nous ne nous mobilisons pas sur-le-champ, les friches agricoles se multiplieront et, au-delà de la faillite des exploitations, c'est la faillite de régions entières qui se profile.

Vous pardonnerez, monsieur le ministre, le caractère abrupt de mon propos, mais l'heure n'est hélas pas aux grands discours. Soit nous ne sommes plus en mesure de donner aux producteurs de fruits et légumes et aux viticulteurs du Sud de la France les moyens de travailler, parce que nous sommes tenus par des enjeux économiques mondiaux face auxquels les intérêts de ces filières ne pèsent pas lourd, dans ce cas, nous devons clairement annoncer la couleur aux agriculteurs et leur permettre de cesser leur activité dans des conditions financières décentes pour eux-mêmes et leur famille ; soit nous estimons que l'agriculture française a encore un rôle économique et social majeur à jouer et, dans ce cas, nous lui administrons un traitement de choc, sans lésiner sur les moyens.

Je ne pourrai me résoudre, monsieur le ministre, à ce que nous agissions autrement. Ces exploitations, ce sont des hommes, des femmes, des chefs d'entreprise qui n'ont commis aucune erreur de gestion ou de production ! Ils ont passé les cinquante dernières années à s'adapter, à faire évoluer notre agriculture vers un modèle de modernité et de qualité ! Ils ne sont pas grévistes, ne prennent ni bateaux ni ports en otage, ils ne sont pas « RTTistes » et pourtant leur pouvoir d'achat est un véritable scandale, voire une honte, au regard des heures de travail et des sacrifices qu'ils consentent chaque jour depuis des années.


L’année 2004 fut catastrophique pour les maraîchers, les producteurs de poires et de raisins, ce fut aussi une année noire pour les producteurs de cerises à cause du gel. Quant à la crise viticole qui frappe toutes les appellations du Sud, elle s’enlise. À ce jour, certaines caves coopératives ne sont plus en mesure de payer d’acomptes à leurs adhérents. Dans les côtes du Rhône, la baisse de revenus pour certains viticulteurs est de l’ordre de 50 %. Aujourd’hui, ils font leurs vendanges. J’espère me tromper, mais quand, dans quelques semaines, elles seront finies, vous verrez la réaction de certains d’entre eux. Qui, je le répète, accepterait une baisse de revenus de 30 à 40 % d’un coup sans essayer de se battre ?

En 2005, les arboriculteurs ont à leur tour été victimes de la crise fruitière. Les cours du marché en 2005 ont été jusqu’à 50 % inférieurs à ceux de 2004, ne permettant plus de couvrir les coûts de production, et même, dans certains cas, les frais de récolte.

Monsieur le ministre, j’ai bien conscience de ne pas être forcément dans l’esprit d’une loi d’orientation agricole, mais je voudrais insister sur les mesures qu’il convient de mettre en œuvre d’urgence.

Tout d’abord, la viticulture. En dépit des efforts déployés par la profession pour adapter la production aux marchés, faire face à la concurrence et répondre aux attentes des consommateurs, ce secteur souffre énormément. Si l’on ajoute à ces difficultés celles qui pourraient résulter de la ratification, en l’état, de l’accord viticole entre les États-Unis et l’Union européenne, les perspectives sont on ne peut plus sombres. Pour le seul département du Vaucluse, l’octroi de 300 000 euros supplémentaires pour abonder l’enveloppe départementale du fonds d’allégement des charges annoncée en janvier dernier apparaît véritablement incontournable.

Quant à la filière des fruits et légumes, c’est un plan de sauvetage qui s’impose : enveloppe de 2 millions d’euros pour la prise en charge de cotisations pour le seul Vaucluse, où les impayés à ce jour, selon la MSA, sont de plus de 4,4 millions d’euros ; possibilité d’opter pour le calcul des cotisations sur l’année n-l comme pour la viticulture ; exonération de la taxe foncière sur le non bâti et des charges d’irrigation 2005, au titre de ce qu’il convient d’appeler une calamité agricole ; programme spécifique de soutien à l’agriculture sinistrée pour assurer la pérennité des exploitations grâce à une aide à la trésorerie volontariste pouvant aller au-delà du plafond de 3 000 euros fixé par Bruxelles, plafond arbitraire et déconnecté des réalités.

Monsieur le ministre, c’est une crise comme je n’en ai jamais vu depuis quinze ans dans mon département. Les des gens sont totalement désespérés. Ils voient que, par moments, la force a payé, et je crains leurs réactions.

Cette loi est très importante, j’y souscris et je la soutiendrai bien sûr, mais, dans certaines régions, si l’on a besoin d’une loi pour l’avenir, on a aussi besoin d’un plan pour le présent. J’espère que nous pouvons compter sur vous et sur le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Monsieur le ministre, mesdames, messieurs, le colloque sur la montagne et la ruralité qui s’est tenu à Saint-Chély-d’Apcher vendredi dernier…

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Excellent colloque !

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Merci !

…nous a permis de mesurer les attentes, les inquiétudes, les espoirs, mais également la lassitude du monde agricole et, plus généralement, du monde rural.

Après la loi relative au développement des territoires ruraux, le Gouvernement nous propose un projet de loi d’orientation agricole. Permettez-moi de replacer ce projet dans son contexte avant de vous faire part de certaines interrogations émanant de la filière élevage et de la moyenne montagne.

Il y a eu débat national avec toutes les organisations agricoles. Une commission nationale d’orientation a été installée et le Conseil économique et social a eu l’occasion de s’exprimer. M. Antoine Herth a procédé à de nombreuses auditions, je tiens à l’en remercier.

Je conçois, monsieur le ministre, que les ingrédients à prendre en compte sont multiples, parfois contradictoires et dépassent largement notre cadre français.

Il apparaît tout d’abord nécessaire de dépasser « l’approche patrimoniale » que nous avons encore aujourd’hui de l’agriculture.

Depuis cinquante ans, la définition de l’exploitation agricole est fondée sur deux éléments, la famille et la terre, avec pour objectif de perpétuer le patrimoine familial. Cette approche est désormais dépassée. Il faut tendre vers une modernisation du statut des exploitations afin que celles-ci deviennent des entités économiquement viables et pérennes assurant un revenu agricole et dégageant de la valeur ajoutée. Les hommes et les femmes qui ont fait le choix de l’agriculture doivent pouvoir vivre décemment de leur activité.

Le statut du fermage, qui a permis le développement de notre agriculture, doit s’adapter à la réalité de la conduite d’une exploitation, à la nécessité d’attirer les capitaux en agriculture. Il faut encore encadrer le foncier agricole, tout en accordant une certaine place aux autres utilisateurs de l’espace, afin d’éviter les conflits d’usage. Nous devons avoir le courage et l’honnêteté de le dire à nos agriculteurs, dans un monde en pleine mutation.

La reconnaissance, par ailleurs, de la multifonctionnalité de l’agriculture, qui a été une étape importante, que nul ne conteste aujourd’hui, doit s’élargir à d’autres secteurs, notamment non alimentaires, tels que les biocarburants.

Cette nouvelle orientation de notre agriculture doit impérativement prendre en compte la dimension internationale et européenne du cadre réglementaire dans lequel elle s’inscrit ainsi que le contexte de plus en plus concurrentiel auquel elle est confrontée. L’agriculture fait en effet intégralement partie des négociations commerciales multilatérales qui ont abouti en avril 1994 aux accords de Marrakech instituant l’OMC. Ces discussions, qui doivent connaître une étape décisive lors de la réunion interministérielle de Hong-Kong de décembre 2005, portent sur des points fondamentaux de notre agriculture.

La mise en œuvre de la PAC enfin réformée doit permettre de créer les conditions favorables d’une agriculture performante sans négliger pour autant les dimensions territoriales, environnementales, voire sociétales du monde rural.

Dans ce contexte national, européen et international, le projet que vous nous présentez aujourd’hui apporte incontestablement, à mes yeux, des réponses aux défis de l’agriculture de demain : l’émergence d’une démarche d’entreprise ; le développement de la multifonctionnalité ; la promotion de la compétitivité ; l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs du point de vue tant de la protection sociale, de la gestion des aléas que du rythme de travail, et, à cet égard, ils doivent pouvoir bénéficier, au même titre que leurs concitoyens, des améliorations des conditions de vie contemporaines ; la mise en valeur de l’outil foncier et de l’activité agricole, qui ne saurait se réduire à ses fonctions alimentaires ; enfin, la simplification administrative.

Cela étant, monsieur le ministre, je ne sais si un corpus législatif, aussi complet soit-il, peut suffire à rassurer le monde agricole face aux défis complexes de l’avenir. Aussi permettez-moi d’attirer votre attention sur les problématiques spécifiques de l’élevage en moyenne montagne.

Nos agriculteurs cherchent avant tout une lisibilité quant à leur acte de production. Ils souhaitent ainsi des mesures concrètes :

Pour la filière laitière, qui connaît une crise grave et récurrente ;

Pour l’installation des jeunes confrontés à des difficultés, en termes de foncier, de périodes de stage et de formation ;

Au niveau des contraintes administratives : un allégement concernant la tenue des cahiers de pâturage et de fumure, idée défendue par la chambre d’agriculture de la Lozère que je fais mienne, qui consiste à faire admettre que, dans les territoires d’altitude moyenne de 1 000 mètres, les pratiques agricoles, très largement extensives, sont plus respectueuses de l’environnement que partout ailleurs, ce qui justifie un assouplissement des démarches administratives ;

Sur la possibilité d’obtenir le paiement régulier des aides nonobstant un contrôle – cette façon de faire, purement française, jette le discrédit sur l’agriculteur, suspecté, dès le départ, d’être fraudeur ;

Sur la suppression des mesures franco-françaises qui viennent alourdir inutilement les contraintes communautaires.

Enfin, s’agissant de la montagne, à l’instar de ce que réclame l’ANEM, je me permets de vous soumettre l’idée d’un code de la montagne, la procédure de codification permettant de procéder à un nettoyage des textes mais également de lancer une réflexion sur un volet montagne venant aborder les problèmes liés à l’élevage tels que ceux de l’identification et du label.

Enfin, vous le savez, certaines zones de montagne sont confrontées au difficile problème de la gestion des sections de commune.

La loi montagne de 1985, la loi de 1999 et celle de 2005 ont défini des conditions d’utilisation. Cela étant, les juridictions administratives sont très souvent sollicitées et certaines communes sont engluées dans la gestion de ces biens. Il conviendrait, monsieur le ministre, en liaison avec votre collègue du ministère de l’intérieur, puisque le code général des collectivités territoriales est concerné, qu’un groupe de travail se penche sur cette question, auquel je me propose de participer activement.

Telles sont les réflexions d’ordre général que je souhaitais vous faire en ce début de discussion, sans oublier de saluer votre initiative et votre détermination en faveur de notre agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons maintenant entendre la voix de la France d’outre-mer.

La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.

M. Louis-Joseph Manscour. Monsieur le ministre, une loi d’orientation est toujours attendue avec intérêt en raison de l’objet qu’elle est censée porter, c’est-à-dire l’orientation d’une politique ambitieuse et bien déterminée pour notre pays. Votre projet de loi avait donc fait naître un formidable espoir, surtout en outre-mer, et particulièrement aux Antilles, dont vous connaissez les handicaps structurels : éloignement, conditions climatiques, chômage endémique et que sais-je encore. Mais force est de constater que le projet qui nous est présenté, d’ailleurs dans la précipitation, n’est pas à la hauteur des espérances du monde agricole.

La direction et le chemin tracés par votre projet semblent pointer vers une agriculture de nature entrepreneuriale et libérale s’affranchissant de l’aspect social.

Je n’épiloguerai pas d’avantage sur les questions d’ordre national, voire idéologique, que soulève votre texte – nombreux sont mes collègues qui s’y sont attelés avec force et conviction –, je souhaite simplement rendre compte de la place que vous y donnez à l’agriculture domienne, et plus singulièrement à l’agriculture antillaise.

Élu d’une circonscription à forte potentialité agricole, j’attendais avec impatience de prendre connaissance des mesures annoncées dans votre texte. À la vérité, je dois vous dire que notre déception fut grande.

Certes, le titre V de votre projet de loi qui s’intitule « Adopter des dispositions spécifiques à l’outre-mer » comporte quelques avancées, mais j’espère que vous ne pensez pas que la problématique de l’agriculture domienne se limite à de simples questions foncières. Et, si votre texte propose de « moderniser l’agriculture pour qu’elle s’adapte aux contraintes de la mondialisation dans le respect de l’environnement », il ne tient malheureusement pas compte du contexte si particulier de l’outre-mer. En fait, la véritable problématique en outre-mer réside dans le concept de développement agricole, lequel doit se donner comme objectifs prioritaires de nourrir nos populations, de réduire les importations, d’apporter de la valeur ajoutée à notre propre production, de faire ainsi de l’agriculture un secteur moteur de la transformation sociale.

Je vous concède que, pour remplir ces objectifs prioritaires, il faudrait cette ambition et cette audace tant clamées par le Premier ministre pour définir sa politique gouvernementale. Sans vous froisser, monsieur le ministre, votre projet manque justement d’ambition et d’audace pour l’agriculture domienne.

Devant les difficultés que connaît la banane, pour laquelle, je l’espère, nous nous battrons ensemble,…

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Bien sûr !

M. Louis-Joseph Manscour. Je vous remercie.

…nous avons besoin d’une agriculture de diversification. Mais comment développer cette agriculture diversifiée qui nécessite des efforts structurels pour faire émerger des exploitations viables économiquement, socialement porteuses ? Et comment y parvenir quand on sait qu’une grande partie de nos terres est polluée par le chlordécone, pesticide dont la durée de rémanence est de plus de cinquante ans ? La mise en place d’une mission d’information présidée par notre collègue Edmond-Mariette, dont le rapporteur fut Joël Beaugendre, n’a rien donné jusqu’à présent et nous attendons des réponses.

Quant à la question de la transmission et de l’installation de jeunes agriculteurs, là encore, vos réponses sont loin de répondre à nos attentes. Certes, le crédit-transmission qui est proposé dans votre projet de loi est louable, mais il gagnerait à être complété par un système incitatif financier et fiscal pour le propriétaire cédant et par la création d’un fonds de soutien dont le jeune agriculteur bénéficierait durant les premières années d’installation.

D’autres problématiques, pourtant endémiques en outre-mer, ne trouvent pas de réponses dans votre texte, notamment les difficultés d’accéder à la protection sociale et à la retraite pour certaines catégories et filières de production agricole.

En conclusion, monsieur le ministre, si votre projet de loi reconnaît bien des spécificités à l’agriculture de l’outre-mer en prévoyant un titre qui s’y réfère, il est tout à fait regrettable que le contenu de ce titre se limite à une simple réforme du foncier et n’oriente en rien l’agriculture domienne. Ainsi, ce sont toutes les problématiques spécifiques à cette agriculture qui sont passées sous silence. C’est pour cela que les agriculteurs de l’outre-mer et moi-même militons pour l’élaboration d’un véritable projet de loi d’orientation agricole spécifique à l’outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Après la Martinique, la voix de la Guadeloupe.

La parole est à M. Joël Beaugendre.


M. Joël Beaugendre
. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat national sur la modernisation de l'agriculture a le mérite de permettre de proposer des solutions pour tenter de renforcer l'agriculture des régions d'outre-mer. Le secteur agricole qui était encore, il y a vingt ans, porteur de richesse y est aujourd’hui en pleine crise. Les difficultés que connaissent les filières de la banane et du sucre l’attestent. Dans ce contexte, la préférence communautaire doit, plus que jamais, jouer.

Particulièrement fragilisée par les dures lois de la mondialisation des échanges, l'agriculture de l’outre-mer doit relever le défi de la qualité et de l'adéquation aux évolutions de la société. Il importe de maintenir une agriculture dynamique et moderne.

Aussi les dispositions spécifiques contenues dans le titre V du projet de loi d'orientation agricole tentent-elles de prendre en compte les particularités diverses et propres à chaque région, pour encourager le développement agricole en dépit des handicaps structurels. Il importait d'adapter aux conditions économiques et sociales les pratiques de fermage et de métayage. Je proposerai par amendements que le fermier, dans les DOM, mette à disposition d'une société agricole au sein de laquelle il est associé, les terres qu'il loue.

L'agriculture dans nos régions n'est pas parvenue à combiner son développement avec l'urbanisation : pour faciliter une cohérence entre urbanisme et agriculture, le rôle des SAFER et le maintien de leur droit de préemption dans les DOM sont essentiels pour que les élus puissent mener à bien une politique foncière.

À ce titre, je regrette que la question du foncier n'ait pas été traitée en profondeur dans ce texte. L'espace agricole ne doit plus seulement être considéré comme une réserve foncière pour l'urbanisation. Il importe d'établir une politique cohérente entre développement urbain et développement agricole. Je me fais ici en particulier le porte-parole des jeunes agriculteurs qui déplorent que de nombreuses particularités de l'agriculture outre-mer n'aient été prises en compte.

Je terminerai mon propos en vous rappelant que l'agriculture de la Martinique et de la Guadeloupe est confrontée à la pollution des sols par le chlordécone. La mission d'information parlementaire sur ce sujet – j’en étais le rapporteur – a souhaité qu'en application de la mise en œuvre du principe de précaution les mécanismes de solidarité nationale jouent en faveur des agriculteurs qui, sous le coup d'arrêtés préfectoraux relatifs à l'analyse des sols avant la mise en culture des légumes racines, ne peuvent plus cultiver ou commercialiser leurs produits.

Il est nécessaire de leur proposer un droit à compensation en raison de la perte de revenu, et des mesures pour accompagner leur reconversion. C'est l'objet de l'un de mes amendements.

Il en va, convenez-en avec nous, monsieur le ministre, de l'avenir de notre agriculture et de la santé de mes compatriotes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Marcelle Ramonet.

Mme Marcelle Ramonet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Per-Jakez Hélias écrivait : « la sagesse de la terre est une complicité totale entre l'homme et son environnement ».

Importatrice dans tous les secteurs de l'agriculture au lendemain de la guerre, la France, grâce au courage et au travail de ses agriculteurs, a su construire l’une des agricultures les plus puissantes de la planète : la première en Europe, la seconde dans le monde.

Hier, la mission dévolue à notre agriculture était d'assurer l’autosuffisance alimentaire de notre pays. Aujourd'hui, elle a vu son rôle évoluer considérablement ; elle a dû intégrer les attentes parfois paradoxales des consommateurs, allant de la protection des écosystèmes à l'amélioration de la qualité des productions, le tout à un niveau de prix acceptable socialement. Dès lors, la rentabilité économique, les attentes sociales et la protection de l'environnement apparaissent parfois antinomiques.

À cela s'ajoute le fait que nos agriculteurs peuvent être confrontés à certaines incertitudes scientifiques, à des règles communautaires ou nationales aux objectifs parfois fluctuants.

Ma première conviction est que l’agriculture est une activité économique majeure, qui répond à une logique de production, de commercialisation, de rentabilité, donc de compétitivité.

Ma deuxième conviction, c'est que notre agriculture a des opportunités considérables de développement et peut répondre au défi alimentaire de ce siècle. Notre position centrale dans un rayon de 3 000 kilomètres nous place d'ailleurs au cœur d'un milliard d'êtres humains.

C’est pourquoi je me réjouis de l'obtention par la Bretagne, notamment à partir de Quimper, du pôle de compétitivité « l'aliment de demain », agrégat de compétences et de savoir-faire dans le domaine des technologies alimentaires, des ingrédients et de leur extraction, de la microbiologie, de la sécurité alimentaire et enfin de la nutrition-santé. Toute la problématique du futur est là !

L’avenir de ce secteur, c'est aussi une agro-industrie conquérante. Je pense notamment aux biocarburants dont nous devons assurer l'essor comme chance pour l'environnement, pour la diversification agricole, et comme facteur d'indépendance énergétique.

En la matière, la Bretagne a une carte à jouer dans la production d'oléagineux, tant pour l’approvisionnement en biocarburants que pour l'alimentation du bétail. Nous devons également développer la filière de la biomasse par la valorisation de produits agricoles, en particulier la méthanisation des déjections animales.

Ma troisième conviction est qu’il faut garantir la persistance du lien fort qui existe entre notre agriculture et l'aménagement du territoire.

Notre ambition, au travers de cette loi d’orientation, est de donner toutes les armes au monde agricole pour affronter la concurrence mondiale, pour mieux vivre au quotidien et pour relever le défi du renouvellement des générations.

Cette loi permettra d'élaborer le véritable cadre juridique, fiscal et social tant attendu : « fonds agricole », dont on pourrait envisager qu'il soit évalué en fonction de la capacité de l’exploitation à générer un revenu ; dispositif du « crédit-transmission » ; amélioration du statut de conjoint collaborateur ; crédit d'impôt pour des congés mérités ; mesures sur le revenu des exploitants ou sur les charges – ainsi, l'exonération progressive de la taxe sur le foncier non bâti dès 2006 sera une avancée significative.

Enfin, je voudrais insister sur un point crucial : la préservation nécessaire du statut du fermage. La loi de 1946 a codifié les relations entre bailleurs et fermiers en apportant à ces derniers une sécurité plus grande dans la durée et une liberté réelle d'entreprendre. Si l'architecture générale peut évoluer, l’esprit doit demeurer, dans l'intérêt des fermiers, et s'adapter au contexte local. J'attends sur ce point vos assurances, monsieur le ministre.

Nos agriculteurs ne veulent ni être des gardiens de musée d'espaces naturels, ni des assistés, mais vivre du fruit de leur travail ! L'enjeu de ce texte est précisément de leur en donner les moyens.

Depuis des mois, monsieur le ministre, vous êtes présent dans nos régions, à 1’écoute de la profession agricole comme des élus. Vous avez eu le souci de faire un texte le plus en phase possible avec la réalité du terrain et les besoins du monde rural, qu’il s’agisse des situations du présent ou des projections dans l'avenir. Je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Chanteguet.

M. Jean-Paul Chanteguet. Monsieur le ministre, en examinant votre projet de loi d’orientation agricole, je me suis demandé s’il répondait aux défis que notre agriculture doit relever dans les vingt prochaines années. ?

Le contexte tant mondial qu’européen est en pleine évolution, qu’il s’agisse de la mise en œuvre au 1er janvier 2006 de la réforme de la politique agricole commune décidée à Luxembourg en 2003, et qui pour certaines productions organise le découplage des aides, ou qu’il s’agisse de la croissance des échanges mondiaux ou de l’apparition de nouveaux concurrents sur les marchés.

Les attentes de la société sont grandes, tant sur le plan environnemental que sur celui de la qualité des produits.

Le renouvellement des générations agricoles n’est plus assuré : démantèlements, agrandissements et concentrations se succèdent. Entre 1988 et 2000, le nombre des exploitations a baissé de 3,5 % par an ; leur surface agricole utile moyenne est passée de vingt-huit à quarante-deux hectares et le nombre d’exploitations de grande taille est désormais supérieur à celui des petites.

On recense encore aujourd’hui 590 000 exploitations, mais combien demain ? On ne compte plus qu’une installation pour trois départs à la retraite, et d’ici à 2020, 250 000 exploitants devraient interrompre leur activité. Restera-t-il 400 000 exploitations ? Certains évoquent même la perspective d’un modèle agricole à 150 000 exploitations professionnelles axées exclusivement sur la production agricole.

Mais, me direz-vous, cette évolution est inéluctable : le progrès, la recherche, l’intelligence, l’argent, l’Union européenne, la mondialisation, sont passés par là et continuent à produire leurs effets.

Rappelons-nous, il y avait plus de 3 millions d’exploitations dans les années 50, de petites exploitations familiales avec une superficie moyenne de quelques hectares. Tout cela, nous le savons, est fini, c’est le passé et la nostalgie n’y changera rien.

Néanmoins, si 150 000 exploitations agricoles sont en mesure d’assurer notre indépendance alimentaire et nous permettent de conserver notre rang au plan européen et mondial, pourquoi, direz-vous, vouloir à tout prix installer plus de jeunes ? La réponse est simple : l’agriculture est multifonctionnelle.

M. Antoine Herth, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Paul Chanteguet. Elle assure depuis longtemps des missions variées en matière d’aménagement du territoire, d’environnement, de services et plus généralement d’entretien et d’embellissement des paysages au profit de l’ensemble de la société.

M. Antoine Herth, rapporteur. C’est bien illustré.

M. Jean-Paul Chanteguet. Ne nous le cachons pas, moins d’agriculteurs demain, c’est la déprise agricole et l’enfrichement de certains territoires, et la dévitalisation et la désagrégation du tissu rural dans les zones les plus fragiles.

La mise en place à partir du 1er janvier 2006 des droits à paiement unique doit être pour nous un sujet supplémentaire d’inquiétude. En effet, il est à craindre qu’elle freine toute politique d’installation puisque ces droits pourront être vendus ou loués : quel sera le poids d’un jeune candidat à l’installation face à un autre acheteur en place depuis de nombreuses années qui désirera s’agrandir ? Le prix de vente de ces DPU sera déterminé par le marché : le plus offrant, donc le plus fort, l’emportera. Dans un tel système, aucune installation ne sera donc possible.

Monsieur le ministre, nous constatons avec regret que votre projet de loi d’orientation agricole ne répond pas au défi du renouvellement des générations : les dispositions prévues aux articles 6 et 1er ne sont pas à la hauteur des enjeux.

On peut légitimement penser que le nouvel instrument destiné à favoriser la transmission progressive d’une exploitation à un jeune aura un effet limité sur le nombre d’installations.

Quant à la mise en place du fonds agricole, dont l’objet est en particulier d’éviter le démantèlement des exploitations au moment de leur transmission, elle se traduira fatalement par un renchérissement des coûts pour les jeunes puisque c’est le marché qui définira le prix et constituera donc un handicap à l’installation.

Il en sera de même pour le bail cessible inscrit à l’article 2 : les preneurs paieront un loyer pouvant dépasser de 50 % le bail type départemental. Cela rendra plus difficile encore l’installation hors cadre familial.

Les modifications prévues à l’article 5, sous couvert de simplifications, portent en elles la fin de la politique de contrôle des structures. Vous proposez en effet de relever le seuil au-delà duquel une opération est soumise au contrôle, de soumettre à simple déclaration les opérations sur les biens familiaux, et de supprimer toute autorisation concernant les sociétés, qu’il s’agisse de la diminution du nombre des associés exploitants ou de la participation à une société en qualité d’exploitant agricole ou d’associé exploitant d’un agriculteur déjà en place.

Monsieur le ministre, les mesures que vous nous proposez, d’inspiration libérale, provoqueront l’abandon complet des territoires ruraux les plus fragiles. C’est une perspective que nous refusons : notre pays a besoin d’une politique d’installation forte, s’appuyant tout d’abord sur une action volontariste de contrôle des structures pour lutter plus efficacement contre les agrandissements inconsidérés.

C’est ensuite une véritable politique foncière qu’il faut mettre en œuvre. En effet, dans certaines régions, les jeunes qui souhaitent s’installer, en particulier hors cadre familial, ne trouvent pas de terre car la spéculation foncière aux origines multiples – agricole, urbaine, touristique ou de loisir – y fait rage.

Ce n’est donc pas la suppression des SAFER qu’il faut demander, comme le font certains députés de la majorité, mais plutôt le renforcement de leur rôle.

Il faut enfin solvabiliser les fonctions non marchandes de l’agriculture : la rémunération de services comme la préservation de l’environnement, la protection de la biodiversité, l’entretien des paysages, la mise en valeur de l’espace rural pouvant constituer un élément déterminant du maintien de la présence d’agriculteurs dans certaines régions.

Monsieur le ministre, votre loi d’orientation – qui est plutôt une « loi portant diverses dispositions d’ordre agricole » – va entraîner, nous le pensons, la liquidation de la paysannerie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.


M. Daniel Garrigue
. L’objectif de votre projet de loi d’orientation agricole, monsieur le ministre, est de moderniser notre agriculture. D’une certaine façon, il s’agit pour vous de mettre à profit le maintien jusqu’en 2013 de la politique agricole commune dans son état actuel pour mieux préparer nos agriculteurs aux défis qu’ils auront à relever par la suite, notamment en promouvant le concept d’entreprise agricole ou en proposant des moyens d’élargir les débouchés de notre agriculture. Votre projet vise aussi à mettre nos agriculteurs à même de satisfaire les nouvelles exigences de nos concitoyens en matière de respect de l’environnement et de sécurité alimentaire. Je voudrais cependant mettre l’accent sur deux dimensions qui ne sont peut-être un peu moins présentes dans ce projet de loi d’orientation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Le texte compte deux séries de mesures extrêmement intéressantes. Les unes visent à valoriser les débouchés non alimentaires, en matière énergétique notamment – c’est particulièrement d’actualité dans le contexte actuel. Les autres visent à renforcer le rôle des organisations de producteurs.

À ce propos, la dimension de l’exportation mériterait d’être plus affirmée. Si l’agriculture est un de nos points forts à l’exportation, nous le devons surtout aux entreprises agroalimentaires. D’autres secteurs sont beaucoup moins organisés. Je pense en particulier à la viticulture, domaine que je connais bien. Nous voyons bien les difficultés que rencontre la viticulture française pour maintenir ces positions, même sur des marchés traditionnels, tels que ceux de l’Europe du Nord.

Il est indispensable que nous nous donnions les moyens de structurer notre offre à l’exportation, et cela suppose que nous modifions notre démarche dans ce domaine : nous devons nous adapter davantage aux attentes des consommateurs des pays d’Europe du Nord si nous voulons surmonter la concurrence de l’hémisphère sud. Il est urgent d’engager sur ce sujet une réflexion très forte. Les méthodes de nos exportateurs et les mécanismes du négoce de vin, de plus en plus obsolètes, sont incapables de répondre aux attentes des consommateurs de ces pays.

M. André Chassaigne. Il faut vendre du coca-cola ?

M. Daniel Garrigue. Mais non !

Je voudrais évoquer également la question des retraites agricoles. Contrairement à ce qu’on a pu entendre hier, beaucoup a déjà été fait depuis le début de cette législature, et d’abord en ce qui concerne le financement de la retraite complémentaire des agriculteurs. En effet, si celle-ci avait bien été votée, son application avait été soigneusement reportée, non pas même à l’année suivante, mais à l’année encore ultérieure. C’est donc à nous qu’est revenu le soin de financer cette mesure très importante et très attendue, mais dont le coût est quand même extrêmement élevé.

M. Germinal Peiro. C’est normal puisque vous l’avez votée !

M. Daniel Garrigue Je suis tout à fait d’accord avec vous. Mais il ne suffit pas de voter, monsieur Peiro, il faut aussi financer !

Le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, et les gouvernements de cette législature, ont dû aussi financer le déficit du budget annexe des prestations sociales agricoles. Nous avons trouvé en effet des comptes profondément déséquilibrés, alors qu’il s’agit de la sécurité sociale de base des agriculteurs. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Là encore il a fallu consacrer à son redressement des moyens tout à fait importants.

M. André Chassaigne. Les déficits se sont aggravés au cours de cette législature !

M. Daniel Garrigue. J’ai entendu hier des affirmations extraordinaires. Vous nous avez dit, monsieur Peiro, que, entre 1997 et 2002, vingt-deux milliards d’euros supplémentaires avaient été consacrés aux retraites agricoles les plus modestes.

M. Germinal Peiro. J’ai parlé de moyens cumulés !

M. Daniel Garrigue. Il faut tout de même être honnête et sérieux, monsieur Peiro. Pour arriver à ce chiffre, vous avez additionné l’effet sur cinq ans des dispositions nouvelles en faveur des retraités agricoles. Si on considère l’ensemble des financements qui ont été décidés entre 1994 et 1997 et pendant la période où vous étiez au pouvoir, et le financement de la retraite complémentaire, je peux vous dire que nous avons fait beaucoup plus en trois ans et demi que les vingt-deux milliards d’euros que vous invoquez ! C’est là une manière de compter pour le moins farfelue, et je crois pour ma part qu’il faut être honnête vis-à-vis du monde agricole. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Germinal Peiro. Il n’y a aucune revalorisation pour les agriculteurs ! C’est zéro !

M. Daniel Garrigue. Les retraités agricoles attendent de nous que nous résolvions les situations qui posent encore problème. Un groupe de travail consacré à ces questions s’était constitué pour la première fois auprès de M. Gaymard, alors ministre de l’agriculture. Y participaient des représentants de la FNSEA et de l’Association nationale des retraités agricoles de France, sous la conduite de M. Henri Drapeyroux. Ce groupe de travail a fait le point sur les difficultés qui persistaient, notamment en ce qui concerne la situation de certaines conjointes d’exploitants agricoles et le problème des minorations.

Je sais combien vous êtes attentif à ce problème, monsieur le ministre. Je connais aussi les contraintes budgétaires et financières qui s’imposent à nous tous. Nous sommes cependant nombreux dans cette assemblée à penser qu’il est indispensable de franchir dès cette année un pas supplémentaire.

M. André Chassaigne. Tout à fait !

M. Daniel Garrigue. C’est la raison pour laquelle nous avons, avec une quarantaine de mes collègues, déposé un amendement qui s’inscrit dans les conclusions de ce groupe de travail : en effet, il prend en compte la situation des conjointes anciennes exploitantes qui ont cessé leur activité pour élever leurs enfants. De ce fait, toutes ces années où elles ont dû cotiser au régime général d’assurance vieillesse ne sont pas prises en compte dans le calcul de leur retraite agricole. Il s’agit là, monsieur le ministre, d’une mesure d’équité, d’un coût acceptable, qu’il serait particulièrement opportun de prendre dès cette année. Nous proposons d’ailleurs de la financer, monsieur Chassaigne, en taxant le coca-cola !

Je pense que cet amendement satisfait une partie des attentes du monde agricole. C’est pourquoi je souhaite, monsieur le ministre, que vous y répondiez favorablement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. André Chassaigne. La conscience de classe progresse !

M. le président. La parole est à Mme Josette Pons.

Mme Josette Pons. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi s'inscrit dans un contexte de transition, qui suscite chez les agriculteurs difficultés et inquiétudes.

On sait que les causes du malaise sont multiples. Parmi celles-ci, une me paraît particulièrement importante du fait qu’elle concerne le territoire que j'ai l'honneur de représenter.

En effet, à l'heure où le pays se mobilise contre le chômage, où toutes les énergies se concentrent en faveur des créations d'emplois, il est une autre priorité qui doit s'imposer à nous : la préservation de l'outil de travail agricole.

Celle-ci passe obligatoirement par la maîtrise du foncier. Or la flambée des prix de ces dernières années bouleverse toutes les données et tous nos repères, creusant des écarts qu'il sera de plus en plus difficile de combler.

M. André Chassaigne. Ce sera pire avec ce texte !

Mme Josette Pons. C’est pourquoi je voudrais attirer votre attention sur ce danger qui menace directement cette « sécurité foncière » dont le monde agricole a tant besoin.

L'exemple de mon département, le Var, est à cet égard révélateur. Le prix moyen de la terre labourable s'établissait en 2001 à 1 900 euros l'hectare, celui de la vigne AOC à 8 800 euros l’hectare. La même année, le prix du terrain à bâtir était compris dans une fourchette de 45 000 à 70 000 euros les 2 000 mètres carrés.

En 2004, l'hectare de terre labourable est passé à 7 000 euros, celui de la vigne AOC à 28 500 euros, et le prix des 2 000 mètres carrés de terrain à bâtir a doublé, puisqu’il est de 140 000 euros.

Convenons que dans un tel contexte, que connaissent également désormais des régions moins touristiques, nos agriculteurs sont bien courageux pour résister à une telle hausse des prix.

Aussi faut-il veiller plus que jamais à favoriser l'installation des jeunes dans l’activité agricole. La pérennité de l'activité, menacée par ailleurs par le départ irrémédiable des générations du « baby boom », évoqué hier par Michel Raison, fait de la question de la transmission des exploitations une urgence absolue. Il s'agit d'organiser le transfert du foncier agricole vers un jeune candidat à l'installation à partir d'une cessation d'activité.

Les conséquences préjudiciables de la loi SRU constituent une autre menace pour la sécurité foncière agricole. Mon propos n’est pas d'abandonner l'idée de mixité sociale, bien au contraire. Mais on a pu constater que, pour répondre aux exigences de la loi, les collectivités locales des territoires ruraux sont de plus en plus amenées à rogner sur les terres agricoles.

De même, les implantations d’infrastructures nécessaires aux besoins des populations – écoles, collèges, routes, contournements, déviations ou même lignes à grande vitesse – se font surtout dans les terres agricoles.

D’autres points m'interpellent, comme les difficultés accrues que rencontrent les jeunes pour construire leur résidence principale au sein de leur exploitation alors que toutes les conditions requises sont remplies. On sait combien les directions départementales de l’agriculture se montrent même réticentes à autoriser la construction de bâtiments nécessaires aux exploitations. Cette administration se montre également réservée, en ce qui concerne les caves coopératives, devant l'attribution de permis de construire en zone agricole. C'est un problème que vous connaissez bien, monsieur le ministre, puisque nous en avons déjà parlé. Les solutions existent. Elles sont mobilisatrices puisqu'elles émanent de la réflexion et de l'expérience de tous les acteurs concernés.

Pour moi qui sillonne à longueur d'année une circonscription rurale, qui suis, comme beaucoup d’entre nous, à l'écoute de ce monde agricole qui me tient à cœur, je puis vous affirmer que ce sont bien là les préoccupations et les attentes majeures de nos agriculteurs, jeunes ou plus âgés.

Maintenir une agriculture forte, au sein d'un tissu rural dynamique, c'est toute la question foncière. Elle est vitale pour la constitution et la conservation d'exploitations agricoles viables, et, par conséquent, pour l'installation et le maintien d'hommes et de femmes en agriculture.

Ce défi pour l'agriculture française, je souhaite, monsieur le ministre, qu’à travers les mesures que vous proposez et dont nous allons débattre, nous le relèverons ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Gaillard.

Mme Geneviève Gaillard. Monsieur le ministre, mes chers collègues, du point de vue de l'analyse d'ensemble, ce projet de loi d'orientation ne me semble pas en adéquation avec les enjeux posés par un contexte des plus sensibles, qui fait peser une énorme pression sur l'agriculture française, à savoir le débat sur la PAC et le nouveau cycle de négociations des règles de l'OMC. Je ne m’étendrai pas sur ce point déjà soulevé par mes collègues.

Du point de vue de son esprit, de l'idéologie et de la méthodologie qu'il véhicule, je ferai deux remarques. Il semble d’abord que vous considériez la libéralisation accrue de l'agriculture comme la solution, face à la libéralisation accrue des échanges.

Deuxièmement, la dépossession du Parlement opérée par voie d'ordonnances, ce qui revient à délivrer un chèque en blanc au Gouvernement, même si l'ampleur du transfert a été finalement réduite, me laisse perplexe.

Dans le même ordre d’idées, je déplore, monsieur le ministre, sans m’étendre là encore davantage sur un point déjà développé par mes collègues, l'absence d'étude d'impact du projet de loi,

Mes remarques de fond se concentreront sur un titre entier composé de deux chapitres. Je vous rassure : il ne compte que cinq articles, qui ne prétendent pas moins que – je cite l'intitulé du projet – répondre aux attentes des citoyens et des consommateurs, améliorer la sécurité sanitaire, promouvoir des pratiques respectueuses de l'environnement.


Ici, que de contraste entre l’ambition suggérée par la grandiloquence des titres et le contenu, qui est des plus minimalistes. Que de décalage entre l’affichage pompeux et le défaut coupable d’exigence et de volonté politiques. Je suis donc contrainte de constater que la dimension environnementale de ce projet est comme la confiture : à l’image du projet de la politique gouvernementale, moins il y en a, plus vous l’étalez !

M. André Chassaigne. Très belle formule !

Mme Geneviève Gaillard. De fait, hormis l’accès à un taux de TVA allégé pour les collectivités consommant du bois énergie, un maigre crédit d’impôts au profit de l’agriculture biologique, la possibilité de stipuler des clauses environnementales dans les baux et une mesurette sur les biocarburants, le bilan du volet environnement est très insuffisant en valeur absolue et insolent pour un texte ayant la prétention d’orienter vers l’agriculture durable et respectueuse de l’environnement.

Mais fort heureusement, monsieur le ministre, vous nous avez assurés que vous seriez très largement ouvert aux propositions des parlementaires. Je serai donc vigilante sur ce point.

J’évoquerai brièvement les biocarburants : j’ai bien compris que vous admettiez le principe de l’autoconsommation et souhaitiez « booster » le plan Raffarin. C’est bien, mais j’aurais souhaité davantage, notamment une évaluation continue de l’impact sur l’environnement, afin d’éviter toute intensification et d’autres nuisances à l’environnement, et de dresser un bilan écologique de ces biocarburants. Ce garde-fou indispensable est absent du texte.

À propos des produits phytosanitaires, le projet de loi est passé à côté de la question et n’a pas saisi l’occasion de s’attaquer à certains problèmes actuels. Récemment, l’affaire du Gaucho a pourtant révélé très largement les lacunes et les faiblesses des dispositifs et procédures en vigueur. En effet, les conditions de retrait de l’autorisation de mise sur le marché de produits phytosanitaires devraient être définies par la loi et ne pas reposer uniquement sur l’application réglementaire du décret du 5 mai 1994. Une disposition législative s’avère indispensable, et nous déposerons un amendement en ce sens.

Autre sujet important : les OGM. Lorsque nous vous avons auditionné en commission, monsieur le ministre, vous avez vous-même reconnu que la situation en matière d’information et de transparence sur les essais était « anormale ». En témoignent, en effet, les récentes révélations de la presse qui font état d’une augmentation aussi discrète que substantielle des surfaces plantées en OGM.

M. André Chassaigne. Tout à fait !

Mme Geneviève Gaillard. À l’occasion de la mission d’information sur les OGM, à laquelle j’ai participé, nous avons compris que l’action du Parlement se heurtait à un véritable déni. Jamais au cours de cette mission nous n’avons pu connaître les surfaces cultivées en OGM.

M. André Chassaigne. C’est exact !

Mme Geneviève Gaillard. Il me semble absolument indispensable d’y remédier aujourd’hui, et ce d’autant plus que nous avons formulé des propositions. La transposition de la directive 2001/18/CE devrait intervenir très rapidement pour que nous-mêmes et les citoyens ayons une information digne de ce nom.

Je note enfin l’absence de mesures quant à la protection animale. Je rappelle que M. Gaymard avait nommé M. Forissier responsable de cette question et que l’année 2005 avait été proclamée « année du bien-être animal ». Non seulement ce texte n’est pas une nouvelle étape dans l’affirmation de la notion bien-être animal et de bientraitance, mais je me suis également laissé dire qu’en réservant le meilleur accueil à un amendement purement déclaratoire sur le gavage des canards et des oies, vous donneriez volontiers le sentiment de vous y opposer. Pourtant, de nombreuses mesures de transposition de nos engagements internationaux et communautaires manquent, et d’autres peuvent être prises facilement. J’en proposerai quelques-unes, en espérant que vous y serez sensible, car la protection animale et le bien-être animal font partie de vos responsabilités.

Vous nous direz une fois de plus que d’autres textes à venir introduiront davantage la dimension environnementale, comme la loi sur l’eau ou la loi de transposition de la directive 2001/18/CE relative aux OGM. Mais le problème est que le développement durable ne peut résulter que d’une approche globale et intégrée. Votre notion de la protection de l’environnement est donc trop cloisonnée. Ce texte, qui se prétend d’orientation, n’est vraiment pas à la hauteur des enjeux identifiés pour une agriculture durable qui satisfasse à la fois les agriculteurs, les consommateurs et les territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Philippe Armand Martin.

M. Philippe Armand Martin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à louer l’initiative du gouvernement d’avoir élaboré ce projet de loi d’orientation agricole car, le monde agricole ayant connu d’importantes mutations, il devenait nécessaire de faire évoluer les exploitations agricoles pour qu’elles puisent demeurer compétitives compte tenu des impératifs économiques de ce secteur d’activité.

En effet, dans un contexte de concurrence accrue et d’échanges internationaux toujours plus importants, il était indispensable de proposer à l’agriculture française des dispositions de nature à renforcer sa pérennité et son développement.

Depuis toujours la France entretient une relation privilégiée avec ses agriculteurs, ces hommes et ces femmes qui constituent son identité et qui par leur travail ont forgé notre territoire et établi des valeurs fondamentales pour notre pays. Il est du devoir de la représentation nationale de défendre et de promouvoir cette agriculture car, au-delà des réalisations du passé, je suis de ceux qui considèrent qu’elle a un avenir.

Certes, cet avenir devra être conçu différemment car si, durant plusieurs décennies, l’agriculture a essentiellement eu pour objet de produire à des fins alimentaires, le contexte actuel lui impose de s’adapter et de s’orienter désormais vers de nouvelles productions, telles que les biocarburants et les huiles végétales destinés à la production d’énergie.

Ce défi, je sais que les agriculteurs sauront le relever. Et c’est justement parce que ce défi de la production des biocarburants sera, à n’en pas douter, une réussite, que j’aurais souhaité que le projet de loi qui nous est présenté affirme plus encore la volonté de la France de s’engager dans une véritable politique de production de biocarburants et d’huiles végétales, qui constituent de nouveaux débouchés pour les agriculteurs et sont une alternative au « tout pétrole ».

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Je suis d’accord !

M. Philippe Armand Martin. Ainsi, au-delà des dispositions prévues par l’article 12 du projet de loi d’orientation agricole, je souhaiterais que les obstacles administratifs à la production de ces énergies puissent être levés et que ces productions fassent l’objet de mesures incitatives, notamment fiscales.

Cette loi d’orientation agricole permettra d’accompagner les agriculteurs face à ces nouvelles mutations. En y inscrivant la création du fonds agricole, le principe d’une évolution vers des exploitations de forme sociétale, le Gouvernement donne à l’agriculture française les moyens de disposer d’un arsenal juridique conforme à l’évolution de la société.

Cependant, si la philosophie du présent projet est louable, elle n’est pas sans susciter certaines inquiétudes chez les agriculteurs eux-mêmes et, surtout, dans les différentes filières se rattachant à l’agriculture, notamment la viticulture, l’horticulture ou le maraîchage, pour lesquels cette évolution vers des formes sociétales et la constitution du fonds agricole comporteront des conséquences néfastes.

Dans la mesure où, dans la majorité des cas, ces filières agricoles exercent leur activité sous la forme d’exploitations individuelles et familiales, la création du fonds agricole, avec l’incertitude liée à son contenu et à la valorisation de l’exploitation, suscite des craintes pour la transmission des entreprises.

Prenons l’exemple d’une exploitation viticole dont l’exploitant souhaite céder son entreprise à l’un de ses trois enfants. Avec la mise en œuvre du fonds agricole, l’ayant droit reprenant l’exploitation se verra contraint de valoriser l’ensemble de l’exploitation, à savoir les stocks, la clientèle et le matériel. Dès lors, il apparaîtra que le risque de la valorisation du fonds agricole soit tel qu’elle le prive du partage du foncier détenu par son père, qui sera obligé de le céder aux deux autres ayants droit. Dans ce cas, l’ayant droit repreneur de l’exploitation peut donc être privé de toute surface foncière de l’exploitation et se trouver contraint de louer d’autres terres. Dans certaines régions viticoles, comme celle dont je suis élu, nombreuses sont les petites exploitations viticoles individuelles qui ne souhaitent pas prendre la forme de sociétés.

Face aux crises conjoncturelles que nous connaissons actuellement, certaines filières peuvent trouver des solutions d’avenir grâce aux interprofessions, qui ont fait leurs preuves et sont des outils non seulement de la régulation et de l’amélioration de la compétitivité et de la qualité, mais aussi de la connaissance de l’offre et de la demande. Je vous remercie donc d’accepter aujourd’hui de nouvelles prérogatives pour ce maillon indispensable au bon fonctionnement des filières agricoles, que la Communauté européenne avait d’ailleurs reconnu lors de la dernière OCM vin.

Pour parler de qualité et d’origine de certains produits, il est indispensable aussi de maintenir certains établissements publics, et même de les renforcer. Ils ont, depuis des décennies, joué un rôle de référence en France et au niveau international – je pense notamment à l’INAO.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si cette loi offre de nouvelles perspectives à l’agriculture, nous ne devons pas pour autant en occulter les conséquences qui ne manqueront pas de se révéler en de nombreux cas.

Dans ces débats, c’est l’intérêt des exploitants agricoles, et de tous les exploitants, qui doit être au centre de nos préoccupations.

Je tiens à remercier le rapporteur Antoine Herth pour l’excellent travail qu’il a réalisé à l’écoute des professionnels.

Je m’en remets à votre sagesse, monsieur le ministre, et je souhaite vivement que vous preniez en compte mes remarques, qui répondent à l’attente du monde de l’agriculture.

Je ne doute pas que cette loi aura de la suite dans les idées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Roumegoux.

M. Michel Roumegoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, notre agriculture, pourtant moderne et performante, est appelée à s’adapter à de nouvelles mutations, notamment avec la nouvelle PAC – que nous n’avons pas voulue, il n’est pas inutile de le rappeler.

Cette agriculture va donc devoir, je le répète une nouvelle fois, s’adapter, comme elle a su le faire jusqu’à présent avec succès, et il faut rendre un hommage appuyé aux agriculteurs, ces hommes passionnés, avisés, travailleurs et créatifs. Outre leur fonction première de nourrir les hommes, leur incombent aujourd’hui d’autres tâches d’une importance considérable pour l’équilibre socioéconomique de nombreux territoires ruraux encore fragiles, malgré un certain retour des citadins vers les campagnes et ses paysages… lorsqu’ils sont encore entretenus – mais jusqu’à quand et par qui ?

La situation économique des agriculteurs est aujourd’hui paradoxalement plus fragile qu’hier, quelle que soit leur production. Beaucoup ont réussi à maintenir leur niveau de vie au prix d’une augmentation de leur temps de travail, qui a atteint les limites du supportable au moment où une partie importante de nos concitoyens réduisait leur activité à 35 heures par semaine. Il faut y prendre garde, monsieur le ministre, car ils sont beaucoup trop nombreux à se trouver dans une situation économique intenable, voire dramatique, surtout au regard du travail fourni.

Il s’en est suivi un malaise profond, que nous avons perçu, même si beaucoup d’entre nous ont déploré son expression lors du référendum, ô combien contraire aux intérêts des agriculteurs – mais l’ont-ils mesuré ?

Ce texte, encore imparfait et trop timide, propose cependant une voie d’action pour répondre aux enjeux de demain. Largement amendé, il permettra d’incontestables avancées ; j’en évoquerai quelques-unes, à défaut de pouvoir être exhaustif en si peu de temps. Surtout, il devrait apporter espoir et confiance.

Espoir, parce que les acteurs de l’agriculture devraient désormais être rassurés, assurés et convaincus du soutien dans la durée de ce gouvernement et de sa majorité. L’agriculture – faut-il le rappeler ? – est à l’origine de l’agroalimentaire et de l’agro-industrie.

Quant à la confiance, c’est tout d’abord de celle des agriculteurs en la France : ils ne seront pas lâchés, leur liberté sera préservée, ils ne seront pas soumis à l’économie agricole administrée qui a échoué partout, ils pourront choisir leur organisation professionnelle, leur circuit de production et de commercialisation – bio, raisonné, familial et de proximité ou industrialisé et de grande production. Il s’agit là de concilier l’aide et le marché.

C’est également la confiance du peuple français envers ses agriculteurs. Les Français, en effet, comprennent de mieux en mieux, et je ne cesse de l’expliquer, l’aide qu’il est nécessaire d’apporter à leur agriculture face au marché mondial, du fait des différences de charges, des prix bas qu’ils recherchent en même temps qu’ils exigent qualité, traçabilité, sécurité sanitaire, mais aussi du goût, de la diversité et des spécificités propres à notre pays et que le marché international ne peut leur donner : vins fins, fromages certes non stériles, mais si bons, veaux de lait, viande persillée, foie gras, truffes, et j’en passe.

C’est, enfin, la confiance des pouvoirs publics envers les agriculteurs. Cette confiance devrait se manifester dans l’organisation des contrôles nécessaires ou exigés par l’Europe, mais apaisés et non plus inquisitoriaux ou suspicieux a priori. Non, les agriculteurs ne sont pas des fraudeurs potentiels !

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Michel Roumegoux. Ils ne méritent pas de vivre dans l’angoisse d’avoir mal rempli des formulaires toujours plus complexes.

Ces contrôles, lorsqu’ils tardent à intervenir, ne doivent pas suspendre pendant des mois les aides européennes ou nationales tant attendues.

Ces aides indispensables – je les appelle plus volontiers des « compensations » – existent dans tous les pays développés, y compris les plus libéraux, pragmatisme oblige, sans état d’âme idéologique. Elles doivent être dirigées sur les baisses, les exonérations, les compensations de charges, sur l’organisation de la profession pour la production et la commercialisation, les précautions environnementales, les contraintes administratives, l’assurance récolte et la fiscalité : c’est ce que prévoit pour partie le présent texte.


L'agriculteur doit, dans la diversité des choix possibles, pouvoir vivre de son acte productif, valorisé selon son travail et son intelligence, débarrassé d'un maximum de handicaps, d'un environnement général qui, sans cela, le mettrait hors jeu dans tous les secteurs, de plus en plus nombreux, confrontés à la concurrence internationale.

Ce projet de loi répond en grande partie à ces questions et donne à l’agriculteur une nouvelle opportunité de revenu grâce aux nouveaux débouchés non alimentaires : huiles végétales, qui, utilisées en autoconsommation – mais en cette matière il faudra aller plus vite et plus loin –, permettent de réduire les achats extérieurs mais aussi l'effet de serre ; biocarburants, production que j'ai appelée de mes vœux et qui fait enfin l’objet d’une politique significative et ambitieuse. Nous avons été trop timorés dans notre soutien à l'énergie solaire ; nous devrons être très vite à la hauteur de la situation. C'est vous, monsieur le ministre, et nous qui le faisons. Nous ne nous sommes pas contentés de déclarations dans ce domaine, et nous pouvons en être fiers.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Tout à fait !

M. Michel Roumegoux. Reste qu’aujourd’hui l’incitation à l’utilisation des huiles végétales par les utilisateurs que sont les agriculteurs n’est pas suffisante.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai.

M. Michel Roumegoux. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

Il manque dans ce texte un signe fort à destination des retraités agricoles.

M. Germinal Peiro. Tout de même !

M. Michel Roumegoux. Je vous demande avec force d'apporter rapidement une amélioration à la situation de ces anciens travailleurs méritants, blessés par l'arrivée en ville des 35 heures.

M. Germinal Peiro. Il y avait longtemps !

M. Michel Roumegoux. Merci, enfin, de votre écoute et d'avoir accepté de renoncer à plusieurs ordonnances. Cette loi, bien amendée, devrait permettre aux jeunes d'abord, mais aussi à tous les agriculteurs, tous passionnés par ce noble métier, de reprendre confiance en l'avenir et de continuer cette formidable aventure agricole avec fierté et avec la considération de leurs concitoyens. Les agriculteurs, monsieur le ministre, ont besoin d’espoir de confiance, de considération, mais aussi de soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Le Mèner.

M. Dominique Le Mèner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'associer à mon intervention ma collègue, Arlette Franco.

Ce projet de loi d’orientation agricole s’inscrit dans un contexte de transition et de défi pour l’agriculture. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, notre agriculture doit être considérée comme un atout puissant et moderne de notre économie.

Cette loi va dans le bon sens dans la mesure où elle permettra d’alléger les contraintes administratives, comme ce fut le cas pour la loi en faveur des PME. Elle modernise le statut des exploitants, elle contribue à mieux sécuriser le revenu des agriculteurs, elle renforce l’organisation économique du monde agricole.

Je voudrais tout d’abord souligner les progrès sensibles en faveur du conjoint collaborateur, sujet auquel je suis particulièrement attaché. La modernisation des conditions d’accès à la protection sociale pour les personnes qui travaillent sur l’exploitation, la possibilité pour le conjoint d’opter pour le statut de conjoint collaborateur sans être obligé de recueillir l’avis du chef d’exploitation, la limitation de la période du statut d’aide familiale à cinq années sont des mesures très importantes. Je n’oublie pas non plus l’accès au service de remplacement pour congé afin d’améliorer l’attractivité du métier d’agriculteur, qui permettra à l’agriculteur qui le souhaite de bénéficier d’un crédit d’impôt pour prendre en charge la moitié d’un emploi salarié. Enfin, et c’était l’un de nos engagements électoraux, l’extension aux salariés agricoles de l’assouplissement des 35 heures. C’est une mesure qui donne aux salariés qui le souhaitent la possibilité d’effectuer des heures supplémentaires choisies, au-delà du contingent d’heures supplémentaires légales, …

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Dominique Le Mèner. …même si, comme pour le tourisme, il sera sans doute nécessaire d’aller plus loin.

M. André Chassaigne. Quel progrès social !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci de le reconnaître, monsieur Chassaigne ! La liberté est toujours un grand progrès social !

M. Dominique Le Mèner. Le choix, c’est toujours un progrès social !

J’insisterai ensuite sur le volet viticulture.

Votre texte, monsieur le ministre, prévoit la création d’un haut conseil de la coopération agricole. Il me paraît important d’appeler votre attention sur le fait que la nouvelle structure ne pourra pas être financée par de nouvelles cotisations obligatoires, lesquelles, bien sûr, alourdiraient les charges de nos coopératives. Les coopératives agricoles constituent un élément essentiel de notre viticulture. Elles traversent également une crise sans précédent. Nos coopératives sont gérées exclusivement par les viticulteurs. Elles sont forcément très ancrées dans leur territoire et ont des contraintes spécifiques liées à leur statut. Elles ne peuvent donc être assimilées à d’autres formes de société commerciale. Nous devons veiller à ce qu’il n’y ait pas une banalisation du statut de la coopération agricole avec un alignement sur celui des sociétés.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. Dominique Le Mèner. Un volet de ce projet de loi concerne les signes de qualité – répartis en trois ensembles. C’est une bonne chose, le consommateur étant de plus en plus attentif à la traçabilité des projets et des produits.

Il est prévu de regrouper autour d’un nouvel institut aux compétences élargies les signes d’origine ou de tradition qui étaient du ressort de l’INAO, mais également les signes de qualité supérieure, comme le label rouge, et de qualité environnementale – les produits bio. Cette réorganisation, destinée à rendre le système plus traditionnel, plus rationnel et plus lisible, est saluée par la profession. Mais cet accroissement de compétences ne saurait se concevoir sans définition des moyens mis à disposition pour accomplir cette véritable mission de reconnaissance, de protection et de contrôle des signes de qualité, fleurons de la politique agricole française. Je souhaite que vous puissiez, monsieur le ministre, nous donner des précisions sur ce point.

Je voudrais également que vous nous indiquiez si les vins de pays – les VDP – bénéficieront ou non d’une indication géographique protégée. Si c’était le cas, cela entraînerait une réorganisation des services de l’INAO et de l’ONIVIN. Si des superpositions limitées peuvent exister dans certains domaines, ces services assurent cependant des missions de fond très différentes, puisque l’ONIVIN est notamment chargé du contrôle et de l’attribution des primes européennes. L’INAO doit donc, à mon sens, jouer son rôle de conseil pour valoriser les projets en amont, conforter le travail du terrain, assurer l’accompagnement, la prévention, garantir l’originalité et la sécurité du consommateur, et non se limiter à un contrôle papier, simple contrôle documentaire a posteriori, qui ne peut que déboucher sur des sanctions et non sur l’accompagnement souhaité. Le monde agricole connaît des difficultés et nous ne pouvons pas lui infliger un contrôle onéreux par des organismes certificateurs.

Enfin, je souhaiterais souligner le rôle important de la pluriactivité. Elle permet une activité de diversification chez les agriculteurs. Ceux-ci ne peuvent en effet rattacher leurs bénéfices industriels et commerciaux à leurs bénéfices agricoles au-delà d’une certaine limite. Cette règle a pour conséquence la constitution d’une seconde structure juridique, pour des raisons fiscales et comptables, qui est perçue comme un frein au développement de la pluriactivité. Nous devons donc aussi avancer dans ce domaine qui constitue un complément important pour les agriculteurs.

Réformer, moderniser, adapter notre agriculture implique également un changement dans les différents et nombreux organismes agricoles. C’est aussi l’esprit de ce texte, que nous soutiendrons avec conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Martin.

M. Philippe Martin. Monsieur le ministre, un observateur un peu candide – il y en a très peu sur ces bancs – pourrait trouver judicieux que vous nous présentiez une loi d'orientation agricole à un moment ou nos agriculteurs sont si désorientés.

Élu d'un des départements les plus ruraux de France, je puis témoigner que ce manque de repères touche aussi celles et ceux de nos concitoyens qui vivent en milieu rural. On reste abasourdi, monsieur le ministre, de constater qu'en dépit des catastrophes sanitaires et environnementales qu'a connues notre pays depuis une trentaine d'années, nous soyons toujours aussi peu capables d'associer la communauté nationale aux choix qui engagent de manière irréversible la vie et l'environnement des générations futures. Pour le vérifier sur le terrain, je sais que cet oubli est mortel pour la démocratie et qu'il aggrave chaque jour un peu plus le fossé qui sépare ceux qui décident de ceux qui subissent. Cette fracture démocratique est amplifiée par le hiatus de plus en plus visible entre un discours officiel, précautionneux et soi-disant durable, et une pratique d'État en réalité opaque et à courte vue.

Un tel contexte explique largement l'exaspération de nos concitoyens, qui, comme c'est le cas dans mon département du Gers avec les OGM, se voient imposer une technologie à tout le moins incertaine et qu'ils refuseraient dans leur immense majorité s'ils en avaient le choix. À cette exaspération des citoyens s'ajoute le désarroi de nombreux maires ruraux, interpellés par leurs administrés sur leur impéritie à s'opposer à cette forme rampante de violence, et désarmés à l'heure d'exercer leurs prérogatives.

Et que dire des agriculteurs bios…

M. Jean Auclair. …Des éleveurs de chèvres !

M. Philippe Martin. … et de leur désarroi ? Soumis à des contrôles sévères, tatillons et fréquents, ils voient leur travail menacé d'anéantissement par la présence d'essais, et maintenant de cultures OGM commerciales, réalisés sans précaution.

Face à ce constat, des élus dont je fais partie ont voulu croire qu'il était possible de débattre sereinement et utilement afin de trancher une question qui ne saurait être confisquée par des spécialistes qui se sont si souvent trompés par le passé, voire qui sont imposés par des entreprises transnationales.

Nous avons cru le Président de la République lorsqu'il déclarait : « La planète brûle, et nous regardons de côté ». Nous avons cru le Gouvernement lorsqu'il a introduit dans notre Constitution une Charte de l'environnement et un principe de précaution que j'ai pour ma part voté. Nous avons cru le Gouvernement lorsqu'à l'occasion de l'adoption par le Parlement de la loi du 13 août 2004, il nous invitait à une participation accrue des électeurs aux décisions qui les concernent et à une généralisation des consultations citoyennes. Mais c'était sans compter sur le double langage d'un gouvernement bien décidé à entraver toute initiative dans ce domaine et déterminé à saisir toutes les juridictions pour empêcher, ici des arrêtés municipaux, là un référendum départemental.

Entre-temps, une mission parlementaire s'est penchée pendant six mois sur les enjeux des essais OGM en plein champ, auditionnant des centaines d'experts et voyageant à travers le monde. Dans sa déclaration finale, les membres de la mission affirmaient qu'aucune expérimentation nouvelle ne devait désormais avoir lieu sans le respect d’un triple principe de précaution, de parcimonie et de transparence. Aucune de ces recommandations, monsieur le ministre, n'a été mise en œuvre, ni même commencé à l'être. Pire, pendant que nous nous penchions sur les conditions d'encadrement d'une recherche au demeurant nécessaire, nous apprenions qu'un millier d'hectares de maïs OGM était mis en culture, principalement en Midi-Pyrénées,…

M. Jean Gaubert. …Eh oui !

M. Philippe Martin. …pour produire des céréales destinées non au progrès de la recherche ou à la résolution de la faim dans le monde, mais plus prosaïquement à la nourriture de cochons espagnols et à l'accroissement des profits de quelques grands groupes semenciers.

Monsieur le ministre, en 1964 déjà, un héros cher à votre cœur, le professeur Tournesol, répondant à son confrère espagnol Antémar Zallaméa qui venait de lui envoyer une orange bleue susceptible de pousser dans le désert sans eau, affirmait qu'il n'était pas trop ambitieux de dire que nous ferions un jour pousser dans le sable, non seulement des oranges bleues, mais toutes les grandes cultures, du blé à la pomme de terre. Depuis, revient régulièrement cette promesse psalmodiée par tout ce que le lobby de l'agro-semence compte de professeurs Tournesol, qui annoncent un monde de chimères transgéniques où la nature, enfin maîtrisée, cédera aux charmes de l'agriculture intensive et à l'appétit des actionnaires.

Comme souvent quand on veut gagner du temps pour rendre irréversible une question qui fait débat, on leurre l'opinion avec des rapports parlementaires sans lendemain et des procès de faucheurs volontaires retentissants. Mais la réalité est plus brutale : le Gouvernement ferme les yeux sur une pratique commerciale basée sur un triple principe : celui du risque, de la prolifération et de l'opacité, le tout assorti d'un « secret semence » de plus en plus insupportable pour les élus et les citoyens. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Sauvadet. Il y a eu un rapport parlementaire !

M. Philippe Martin. Face à la surdité de l'État, aux démonstrations souvent contradictoires des scientifiques, au rouleau compresseur des businessmen transnationaux de la semence, nous devrions ensemble, monsieur le ministre, militer pour la démocratie jusqu'au bout. Car s'il est un domaine où l'on ne doit pas craindre la dissémination en plein champ, c'est bien celui de la démocratie.

M. Jean Auclair. Jospin en sait quelque chose !

M. Philippe Martin. En 1954, lorsque deux expéditions scientifiques voulurent prendre pied sur le fragment de L'Étoile Mystérieuse tombée dans l'Antarctique, ce fut le triomphe de celle des scientifiques européens contre leurs rivaux américains uniquement soucieux des retombées économiques d'une telle découverte. C'était l'illustration d'un affrontement entre une science au service de l'homme et une science au service des intérêts économiques. Je veux croire que vous et la mission parlementaire à laquelle j'ai participé auraient embarqué avec Tintin sur L'Aurore si vous aviez eu à choisir entre ces deux expéditions, c'est-à-dire entre la santé des actionnaires et le bien être des hommes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)+

M. François Sauvadet. Un peu excessif, mais de remarquables citations !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Binetruy.

M. Jean-Marie Binetruy. Monsieur le ministre, monsieur le président, chers collègues, après le voyage de Tintin sur la lune, je vais essayer de revenir sur terre.

La loi d'orientation agricole est un texte particulièrement attendu et qui est globalement accueilli de façon positive par les organisations professionnelles agricoles. Je tiens à saluer les gouvernements successifs qui, depuis juin 2002, ont montré leur attachement à l'agriculture et à ce monde rural en général, qui a construit l'identité de la France dans sa richesse et dans sa diversité – comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, dans votre propos liminaire. Je vous sais gré d'être attentif aux préoccupations de nos agriculteurs, passionnés par leur métier malgré leurs conditions de vie parfois difficiles et malgré les évolutions que ce secteur a déjà connues et qu'il connaîtra encore.

Je ne m'étendrai pas sur toutes les dispositions intéressantes que contient ce texte et qui sont saluées par la profession, telles que la création du fonds agricole, les avantages fiscaux qui permettront d'améliorer la qualité de vie des agriculteurs, l'amélioration des dispositifs de gestion des risques, l'organisation de l'offre, l'incitation à développer des productions non alimentaires, ou les mesures relatives à la sécurité sanitaire de notre alimentation et à sa qualité.


Je souhaiterais simplement attirer votre attention, monsieur le ministre, et celle de mes collègues sur quelques points sensibles pour les agriculteurs de ma circonscription, où l’on compte encore une installation pour 1,2 départ.

Pour ce qui est de la cessibilité des baux, qui est une bonne mesure en ce qu’elle permet au fermier, comme à tout autre entrepreneur, de récupérer le fruit d’une vie de travail grâce à la valorisation du fonds, se pose néanmoins le problème des terres pour lesquelles il sera difficile pour le fermier d’obtenir un engagement du propriétaire sur une longue durée. Je pense notamment aux zones périurbaines ou situées à proximité immédiate de villages, qui sont susceptibles d’être davantage valorisées par l’urbanisation que par un fermage agricole.

Je souhaiterais également attirer votre attention, comme l’a fait mon éminent collègue, Michel Raison, en commission, sur le coût que représentera pour le fermier la conclusion de baux multiples sous la forme authentique, si l’exploitation est constituée de parcelles appartenant à de nombreux propriétaires. On m’a cité l’exemple d’une exploitation dont le foncier appartenait à quarante-huit propriétaires différents !

En ce qui concerne le contrôle des structures, si tout le monde s’accorde à demander des assouplissements, que votre projet de loi permettra, il faut veiller à garder un équilibre pour ne pas déstructurer les exploitations, notamment au moment de la transmission des biens familiaux, pour lesquels l’exemption d’autorisation d’exploiter pourrait être limitée à une certaine surface définie en unités de référence dans chaque département.

Je voudrais enfin dire mon attachement aux productions agricoles de qualité, seul rempart contre la mondialisation, pour la reconnaissance desquelles le texte prévoit des évolutions qu’il me semblerait utile d’examiner largement en séance. Mais à l’écoute de la représentation nationale et sur l’insistance du président de la commission des affaires économiques, vous avez déjà répondu à cette interrogation, puisque le Gouvernement renonce à recourir aux ordonnances sur ce sujet.

Vous me permettrez, enfin, en tant qu’élu de ce Haut-Doubs que vous appréciez depuis votre enfance, monsieur le ministre, malgré vos racines plus occidentales, de vous dire que je souhaiterais revenir sur l’interdiction du cumul des AOC et de la dénomination montagne posée par la loi sur le développement des territoires ruraux du 23 février 2005, au moins pour les spécialités dont l’assiette de production est intégralement en zone de montagne. Un amendement de Martial Saddier, secrétaire général de l’ANEM, cosigné par de nombreux collègues, devrait le permettre.

M. François Brottes. Excellent amendement !

M. Jean-Marie Binetruy. N’est-ce pas, monsieur le président de l’ANEM !

Je tiens enfin à saluer le remarquable travail de notre rapporteur, Antoine Herth, éminent spécialiste des questions agricoles, travailleur infatigable, apprécié de tous pour la pertinence de ses analyses, et qui sera votre allié, avec les députés de la majorité et peut être d’autres je l’espère, pour vous permettre, monsieur le ministre, d’aider notre agriculture à relever les défis de demain. Je vous remercie et je serai à vos côtés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Auclair.

M. Jean Auclair. Ce n’est pas sans une certaine malice mais aussi avec une pointe de fierté, que j’ai pu lire dans un livre d’un célèbre académicien, reprenant des propos que je tenais à cette même tribune, qu’il fallait « désoviétiser » l’agriculture française. Excusez du peu ! Il s’agit de Maurice Druon.

M. François Brottes. Toujours léger !

M. André Chassaigne. J’aurais été étonné que ce soit Maurice Thorez ! (Rires.)

M. Jean Auclair. Monsieur Chassaigne, nous n’avons ni les mêmes lectures, ni les mêmes valeurs !

Alors, c’est vrai, monsieur le ministre, en opposition aux conservateurs gauchistes, avec votre majorité, vous incarnez à travers ce texte les forces du progrès. Vous avez bien compris, qu’après la respectable agriculture familiale, au demeurant fort sympathique, de nos aïeux,…

M. François Brottes. On sent le mépris !

M. Jean Auclair. …après l’agriculture dite environnementale, on pourrait même dire quasi folklorique imaginée par la gauche (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), …

Mme Geneviève Gaillard. N’en rajoutez pas !

M. Jean Auclair. …il fallait rapidement, au risque de la voir péricliter, rendre à l’agriculture française ses lettres de noblesse, en faire un atout moderne de notre économie en lui donnant une dimension entrepreneuriale.

Je tombe en admiration devant les discours que nous entendons depuis le début de cette discussion, ces palabres des élus de gauche…

Mme Geneviève Gaillard. Et de droite !

M. Jean Auclair. …qui, souvent, n’ont jamais vécu ou mis les pieds dans une exploitation agricole (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Gaubert. Allons donc !

M. François Brottes. Ce n’est pas notre cas ! Vous faites insulte à Jean Gaubert !

M. Jean Auclair. …et, en larmoyant, ne la voient qu’à travers des manuels de l’éducation nationale, alors que ce sont eux qui ont conduit l’agriculture sur une mauvaise voie. Ce sont eux – vous, messieurs les socialistes –...

Mme Geneviève Gaillard. Et les dames ! Macho !

M. Jean Auclair. …qui, aujourd’hui, voudraient nous donner des leçons ! Mais le propre d’un entrepreneur qu’il soit artisan, commerçant, industriel ou agriculteur, c’est de vouloir faire progresser son entreprise, et créer de la richesse, donc de l’emploi.

Les élus de gauche, eux, voudraient voir vivre chichement une multitude de petits agriculteurs.

M. Germinal Peiro. Mais bien sûr !

M. Jean Auclair. Eux, voudraient pouvoir revenir à la campagne, souliers vernis aux pieds, à bord d’une Velsatis flambant neuve ou en TGV, admirer le brave paysan du coin labourant son lopin de terre avec ses bœufs ou son vieux tracteur brinquebalant,…

M. Germinal Peiro. C’est ridicule ! Comment pourrions-nous écouter ça ?

M. Jean Auclair. …trayant ses vaches à la main, usant du fléau pour battre les grains ou encore faisant les foins à la faux et à la fourche. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Moi qui suis né dans une ferme et qui ai toujours vécu dans le milieu de l’élevage, je souhaite vous apporter un témoignage de terrain, un témoignage de professionnel.

Le mot « paysan » doit être banni du vocabulaire agricole moderne : les agriculteurs dignes de ce nom et fiers de leur métier d’« entrepreneur », sont certes des hommes de la terre mais sont aussi, et seront encore plus demain, des hommes d’affaires.

M. Germinal Peiro. Ça va changer leurs revenus, c’est sûr !

M. Jean Auclair. Les agriculteurs ont été brimés, étouffés par des dispositions totalement inappropriées et ringardes, voulues par cette calamiteuse, et je le dis avec modération (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste), loi Glavany de 1999 faite pour « casser » l’agriculture française. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Germinal Peiro. C’est tellement caricatural que c’en devient ridicule !

M. Jean Auclair. Il fallait donc tourner la page et développer une stratégie pour une agriculture forte, performante pour notre économie.

Nous ne vivons plus dans une économie nationale comme par le passé. Nous devons nous donner les moyens d’affronter, dans un premier temps, la concurrence européenne et, peut-être demain, mondiale si les accords de l’OMC ne sont pas à la hauteur de nos espérances.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances. C’est vrai !

M. Jean Auclair. N’oublions pas, d’ailleurs, que le parti socialiste a un représentant en la personne de M. Lamy : nous pouvons craindre le pire !

M. François Brottes. C’est l’ami de tout le monde !

M. Jean Auclair. Mais nous savons que nous pouvons compter sur votre détermination, monsieur le ministre.

Il ne s’agit plus de tergiverser car il y va de notre indépendance alimentaire, et nous devons conforter notre agriculture dans sa fonction de production,

Des erreurs catastrophiques ont été commises. Je pense notamment à tous ceux qui ont prôné la maîtrise de la production bovine. Ce fut un choix irresponsable. La filière en amont et en aval en a été durement affectée et aucun secteur n’a été épargné. Les conséquences sont graves puisqu’un grand pays comme la France, berceau de l’élevage, est dorénavant dépendant pour sa consommation de viande de bœuf et qu’il est obligé d’en importer, comme il importe d’ailleurs 60 % de sa consommation de viande de mouton.

Jusqu’à présent les agriculteurs ont organisé la vie de leur exploitation en fonction des primes maximales qu’ils pouvaient percevoir, et ils ont eu raison. À partir du 1er janvier 2006, avec la nouvelle réforme de la PAC, ils vont être obligés de travailler pour le marché et en fonction des besoins de celui-ci. C’est un changement de cap très important.

Monsieur le ministre, vous êtes un homme de conviction et vous faites partie d’un gouvernement de mission qui refuse le conservatisme et l’immobilisme. Aussi, à travers une série d’amendements, nous voulons vous aider à réformer encore plus l’agriculture, que ce soit sur l’installation non aidée, le rôle des CDOA et des SAFER, ou l’empilement des structures. L’agriculture française suradministrée a déjà pris du retard à cause de doux rêveurs. Un rapport récent de l’institut Montaigne fait état de plus de 370 structures administratives compétentes dans le domaine agricole.

M. Jean Gaubert. Vous allez en créer d’autres !

M. Jean Auclair. Y a-t-il une profession plus encadrée ?

Même si ces sujets sont sensibles et que les réformes ne recueillent pas, naturellement, l’unanimité, nous devons, en responsabilité, nous pencher sur ces problèmes récurrents que les acteurs de terrain, les agriculteurs, font remonter jusqu’à nous. Dans ce pays, on a trop souvent, hélas, tendance à écouter une poignée de syndicalistes de tous poils, les présidents de nombreuses structures qui prêchent pour leur paroisse – ce que je comprends fort bien –, et pas suffisamment la base pourtant largement majoritaire, donc représentative.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’espère de tout cœur que, pour l’avenir du métier d’agriculteur, et pour la fonction, indispensable à notre économie, de l’agriculture française, la raison l’emportera. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de commencer mon intervention, je voudrais dire à M. Auclair que j’ai été, pendant quinze ans, directeur d’une chambre d’agriculture et que je suis moi-même fils d’agriculteurs à la fois socialistes et très attachés à leur terre. En l’écoutant, j’ai eu l’impression qu’il ne s’était jamais rendu dans des fermes ou des exploitations !

M. André Chassaigne. Il y va avec le portefeuille bien rempli d’un négociant en bestiaux !

M. Victorin Lurel. Quand il propose un capitalisme agraire avec « hommes d’affaires », il méconnaît la réalité des conditions de vie de nos agriculteurs et paysans.

M. Jean Auclair. Nous ne parlons pas des mêmes endroits, voilà tout !

M. Victorin Lurel. Ce qui est valable pour l’outre-mer l’est aussi pour nos provinces, où j’ai eu à crapahuter et dont je prétends donc bien connaître les préoccupations du monde agricole. Il a dénoncé un « conservatisme gauchiste » ; lui, c’est un « libéralisme échevelé » qu’il prône, ce qui risque de provoquer de graves dégâts.

M. Jean Auclair. Il faut libérer l’agriculture que vous avez soviétisée !

M. Victorin Lurel. On les voit déjà dans l’outre-mer : la division, hier coloniale, aujourd’hui internationale du travail a réduit notre agriculture à la portion congrue. Disons le clairement : le texte qui nous est proposé la ruinera davantage encore.

L’importance économique et sociale de l’agriculture dans l’outre-mer explique que l’annonce par le Gouvernement d’un large débat préalable à l’élaboration de cette loi a été bien accueillie et a suscité beaucoup d’espoirs. Ainsi, en Guadeloupe, les réflexions et propositions émises, au terme de plus de seize réunions, par les groupes de travail mis en place dans le cadre de cette commission nationale d’orientation, ont été particulièrement riches.

La déception n’en a été que plus grande parmi les agriculteurs de nos pays, et tout particulièrement chez moi, en Guadeloupe. Une fois de plus, l’outre-mer est oublié. La profession et les élus réclamaient, à l’issue de ces travaux, une loi d’orientation spécifique à l’outre-mer afin de traiter de la manière la plus adaptée possible l’ensemble des thématiques particulières à l’agriculture de nos territoires.

Or, l’ensemble du monde agricole ultramarin estime que ce projet de loi d’orientation agricole ne répond ni par ses dispositions, ni dans sa philosophie même, à ses attentes et à ses besoins. Ainsi, sur trente-cinq articles, un seul traite d’un problème certes crucial outre-mer, celui du foncier, et deux autres articles sont sectoriels, l’un valant uniquement pour la Guyane, l’autre pour Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon.

L’idéologie même de ce projet, que je qualifierai de « normalisation libérale », heurte le monde agricole ultramarin. Il faut le reconnaître, votre projet propose un réel changement de modèle agricole, je dirai même un changement de paradigme.


De ce que nous connaissons tous, l’agriculture familiale, composée généralement de deux unités de travail humain, vous nous proposez aujourd’hui, sans étude d’impact, de passer au modèle « entrepreneurial », salarial, à responsabilité sociale – pour ne pas dire anonyme – et à taille moins humaine.

Le statut de l’entreprise agricole devient commercial et la nécessité de faire circuler le foncier – que je comprends sans approuver les modalités que vous proposez – risque d’entraîner des conséquences catastrophiques en outre-mer. Car la philosophie même de l’agriculture ultramarine, et singulièrement en milieu insulaire, comme en Guadeloupe, est en inadéquation totale avec celle que vous nous proposez pour l’ensemble de la France. Une fois encore, il n’est tenu aucun compte des spécificités de nos régions, pourtant reconnues et énumérées dans la Constitution et dans les traités européens. C’est un même cadre, élaboré pour les besoins et le développement de l’agriculture métropolitaine, qui est appliqué à une tout autre agriculture.

Monsieur le ministre, nos régions, bénéficiant d’un climat tropical, ne connaissent pas d’hivers et nécessitent donc une loi spécifique. Nous défendrons donc un amendement avant l’article 31 tendant à présenter un projet de loi spécifique à l’agriculture outre-mer.

M. François Sauvadet. Sur ce point, il n’a pas tort !

M. Victorin Lurel. Mon intervention est brève, mais je participerai activement à la discussion des amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. André Chassaigne. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Marc Bernier.

M. Marc Bernier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis nous invite à un rendez-vous crucial pour l'avenir de l'agriculture de notre pays.

En effet, si la première étape de la mutation agricole s'est achevée grâce à de profondes réformes et à une modernisation sans précédent des exploitations, l'enjeu qui s'offre à nous pour ces prochaines années est de permettre aux secteurs agricole et agroalimentaire de renforcer leur compétitivité.

En premier lieu, il apparaît indispensable de doter les exploitations d'outils juridiques rénovés, qui devront garantir aux agriculteurs des revenus consolidés, mais aussi des conditions de vie et de travail comparables à celles des autres catégories professionnelles. Or le cadre juridique actuel de l'exploitation – construit autour du modèle familial – n'est plus adapté au nouveau contexte économique et social agricole. J'ai d'ailleurs pu le constater à maintes reprises, dans le cadre de la mission qui m'a été confiée par M. le Premier ministre auprès de vous, monsieur le ministre. Dès lors, l'avenir du secteur doit nécessairement s'orienter vers une nouvelle conception de l'entreprise agricole.

L'installation sous forme sociétaire apportera une réponse adaptée à l'amélioration des conditions de vie – temps de travail, loisirs –, mais permettra surtout d'éviter les écueils financiers grâce à un investissement moins lourd et à une installation progressive, qui garantiront une plus grande pérennité de l'exploitation.

Le présent projet de loi d'orientation agricole complète ce dispositif en faisant évoluer le régime fiscal des EARL. Désormais, ces structures pourront conserver le régime d'imposition des bénéfices agricoles, sans l'obligation de passer au régime de l'impôt sur les sociétés. Toutefois, j'ai la conviction qu'une participation plus importante de capitaux extérieurs à l'agriculture – y compris de façon majoritaire – serait de nature à favoriser l'expansion des EARL.

Pour ce qui est de la structure du GAEC, bien qu'elle soit dépassée sur bien des points, elle pourrait néanmoins servir d'exemple à la mise en place de groupements d'entreprises rurales. Ces groupements associeraient alors de façon innovante, tout en respectant le statut de chacun, des agriculteurs, des artisans et des commerçants, afin de favoriser l'attractivité et le maintien des activités économiques en zone rurale.

En plus des outils juridiques rénovés, l'agriculture devra relever pour ces vingt-cinq prochaines années le défi de la transmission et de l'installation.

Pour autant, les difficultés auxquelles le secteur devra faire face ne viendront pas du manque de cédants ni du manque de nouveaux exploitants potentiels, mais plutôt de la mobilisation des capitaux indispensables à la reprise.

M. André Chassaigne. Il faudra recourir aux fonds de pension !

M. Marc Bernier. Il semble donc judicieux qu'en complément des instruments existants de soutien à l'installation, nous envisagions un accompagnement progressif de la transmission d'unités modernisées, pour éviter qu'une forte mobilisation financière de départ soit de nature à mettre en péril la viabilité de l'exploitation. Pour lever ce handicap, je pense que la gestion de l'exploitation doit être déconnectée de celle du patrimoine bâti et non bâti.

Le projet de loi d'orientation agricole que nous propose aujourd'hui le Gouvernement répond justement à ce besoin, avec la création d'un fonds agricole liée à celle d'un bail cessible.

En conséquence, il reste à proposer des formes nouvelles de portage du foncier, voire du bâti agricole, afin de favoriser ce type d'investissement et l'acceptation de baux cessibles.

À cet effet, pourquoi ne pas étudier la mise en œuvre d'un dispositif associant plusieurs propriétaires dans une formule de type « copropriété » ? Celle-ci pourrait prendre la forme d'une association foncière, au sein de laquelle il y aurait cession des baux à la majorité qualifiée.

Par ailleurs, si le monde agricole de demain accepte de s'inscrire dans une logique d'entreprise rurale durable, il y aura lieu de privilégier des méthodes de conseil, destinées à favoriser l'initiative et l'autonomie de décision de l'agriculteur.

Ainsi, à la suite des travaux menés par les ADASEA et les chambres d'agriculture dans le cadre du montage du projet d'installation, nous pourrions envisager de mettre à la disposition des exploitants une aide au conseil tout au long de leur carrière. Ce conseil constituerait alors un outil permanent de diagnostic, d'aide à la décision et de prévention des risques économiques.

Au cours des différentes auditions que j'ai pu entreprendre dans le cadre de ma mission, j'ai pu constater en effet un réel besoin de créer une aide à la reconversion, comme pour les salariés.

Enfin, devant l'impact accru des aléas climatiques et des crises sanitaires ou conjoncturelles, la notion de viabilité économique des entreprises agricoles et rurales prend désormais une importance toute particulière. C'est pourquoi il me semble essentiel de nous intéresser plus intensément à la gestion des risques agricoles.

Si une première réponse commence à se dessiner avec l'assurance récolte – qui couvre les risques climatiques –, pourquoi ne pas étendre ces systèmes aux risques sanitaires et à ceux des marchés ?

Mais avant d'envisager le système assuranciel comme seule réponse possible, nous pourrions favoriser et améliorer les mécanismes comptables des provisions pour risques et aléas, genre DPI-DPA.

Telles sont, monsieur le ministre, les observations que je voulais faire sur ce texte qui est aujourd'hui présenté aux députés. J'ai pu constater, au cours de la mission que le Premier ministre m'a confiée à vos côtés, que de nombreuses attentes du monde agricole trouvaient une réponse dans ce projet de loi.

Pour autant, la loi ne peut pas tout résoudre et, comme je vous le rappelais dans mon rapport d'étape, il reste encore de nombreux points à régler par la voie réglementaire.

Le rapport définitif que je vous remettrai fin novembre les énumérera, et, en raison des excellentes relations de travail que nous entretenons au service de l'agriculture française, je n'ai aucune inquiétude sur la promptitude avec laquelle ces mesures seront prises en complément de ce texte.

Pour ma part, je suis convaincu que cette loi, qui propose les leviers d'action pour accompagner les mutations à venir, sera le point de départ de l'agriculture de demain. Ainsi, elle pourra rester ce qu'elle a toujours été pour notre pays : un secteur majeur de création d'activité et d'emploi en milieu rural.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous apporterai, avec conviction, mon soutien pour l'adoption de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Viollet.

M. Jean-Claude Viollet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que s’engage le débat sur cette loi d’orientation agricole, je dirai simplement quelques mots sur son article 9 qui, conformément à l'annonce faite au congrès de la FNSEA par le Premier ministre, introduit une disposition facilitant la prise de congés par les exploitants agricoles.

Quelques mots, non pour pointer les insuffisances éventuelles de la mesure proposée, s'agissant notamment de l'exclusion d'un certain nombre de bénéficiaires potentiels du dispositif, tels les céréaliers ou encore les sociétés, à travers l'obligation faite au contribuable éligible au crédit d'impôt que l'activité qu'il exerce requiert sa présence chaque jour de l'année, mais plutôt pour rechercher les améliorations qui pourraient y être apportées pour qu'elle soit, en l'état, pleinement opérante.

C’est ainsi que, comme pour les congés de maternité ou de paternité, nous devrions conditionner le bénéfice de ce crédit d'impôt au fait que le remplacement soit effectué par l'intermédiaire d'un groupement d'employeurs ayant pour objet principal de mettre des remplaçants à la disposition d'exploitants agricoles et ayant conclu avec la caisse de mutualité sociale agricole une convention à cet effet, restant entendu que, si le recours à un tel service n'est pas possible, le remplacement pourrait être effectué par une personne salariée spécialement recrutée à cette fin.

Cette condition me semble en effet être une double garantie, tant pour l'exploitant remplacé, assuré de bénéficier, en toute sécurité administrative et juridique, de la meilleure qualité de service, que pour le salarié remplaçant, sûr de pouvoir jouir, dans les meilleures conditions, de l'ensemble de ses droits économiques et sociaux, dans un cadre d'emploi durable et qualifié.

Cette proposition, qui a fait l’objet d'échanges avec la Fédération nationale des services de remplacement, me semble de surcroît correspondre à l'évolution de l'agriculture sur nos territoires, tel qu'on peut en juger en Poitou-Charentes – notre région, monsieur le ministre – où les services de remplacement, forts de plus de 800 adhérents, servent déjà globalement, chaque année, plus de 100 000 heures de travail, soit une moyenne de dix-sept jours par adhérent, et en Charente, mon département, où « Cap’emploi remplacement », avec plus de 300 adhérents à lui seul, et plus de 29 000 heures de travail, emploie aujourd'hui dix-huit équivalents temps plein, dont onze en contrat à durée indéterminée.

Actuellement, en Poitou-Charentes, nous œuvrons avec les services de remplacement, en lien avec les collectivités territoriales, région, départements, pays, à développer l'adhésion des exploitants agricoles, à mettre en place des modules de formation dans les CFA des lycées agricoles de notre région, en vue de l'obtention d'un certificat de qualification professionnelle par les agents de remplacement, à inciter au passage de ces salariés de CDD en CDI, à rechercher un financement complémentaire des périodes rémunérées en CDI pour les transformer en temps de formation chez des éleveurs tuteurs, ou encore à créer des emplois de proximité pour l'animation du dispositif dans chaque microrégion ou pays.

C'est pourquoi nous ne devons pas manquer l'occasion que nous offre ce débat de renforcer cette action de création et de pérennisation d'emplois sur nos territoires ruraux, à travers le maintien d'exploitations, rendu possible par l'amélioration des conditions de vie des familles d'exploitants, mais aussi par l'incitation à l'installation des jeunes, du fait de la plus grande attractivité du métier d'éleveur qui en découle, et à travers la valorisation des agents de remplacement, qui se voient proposer, dans la mesure du possible, des contrats de travail à durée indéterminée et à temps plein ainsi que des parcours de formation qualifiante, pour une meilleure valorisation de leurs compétences et un meilleur service aux agriculteurs.

Ma seconde proposition est aussi le fruit de l'observation de notre réalité régionale, monsieur le ministre, qui se caractérise par des exploitations moyennes, dont nos agriculteurs tirent de trop modestes revenus. Je ne veux pas reprendre le débat qu’engageait ici le 4 mai 1960 un député du groupe UDR, Raymond Rhétoré, sur le besoin des prix rémunérateurs, mais j’appelle votre attention sur le fait que l'association Solidarité paysans en difficulté région Poitou-Charentes, qui fait un travail remarquable auprès des agriculteurs, de plus en plus nombreux, dont les exploitations connaissent une situation de grande fragilité, me faisait observer que 54 % des agriculteurs charentais auraient un revenu inférieur au SMIC – chiffres confirmés par la Mutualité sociale agricole.

Ce faisant, la limitation du crédit d'impôt à 50 % des dépenses effectivement supportées pour le remplacement de ces exploitants, dans la limite de quatorze jours par an, ne me semble pas suffisamment incitative pour amener ceux-ci, qui n'ont pratiquement jamais quitté leur exploitation – faute de moyens –, à profiter de l'avancée sociale ainsi proposée.

C'est la raison pour laquelle, là encore, après échange avec la Fédération nationale des services de remplacement, je pense que nous devrions rendre le dispositif plus incitatif, en portant ce pourcentage à 80 %, tout en maintenant le même plafond annuel de 294 fois le taux horaire du minimum garanti, ce qui, en l’espèce, n'accroîtrait pas le coût global du dispositif pour l 'État.

Telles sont les réflexions que je souhaitais porter au débat, en espérant que le Gouvernement comme notre assemblée prendront en compte les deux amendements que j’ai déposés avec plusieurs de mes collègues du groupe socialiste, et qui sont attendus par ceux qui œuvrent depuis des années déjà, sur le terrain et non sans succès, pour la défense et l'amélioration de la condition de l'ensemble du monde agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Paulette Guinchard.


Mme Paulette Guinchard
.
Monsieur le ministre, j’ai longtemps hésité avant de me décider à intervenir sur ce projet de loi. Comme la plupart des parlementaires, j’ai reçu l’ensemble des syndicats qui m’ont dit sur quels points portaient leurs inquiétudes.

S’agissant de la forme, tout d’abord, ils ont été unanimes à déplorer le choix qui a été fait de recourir aux ordonnances sur certains sujets. C’est en tout cas le sentiment qui prévaut dans le Doubs.

Sur le fond, vous nous aviez annoncé un volet social de première importance, mais nous ne pouvons qu’être dubitatifs face à l’effort finalement réalisé. S’agissant, par exemple, de l’aide au remplacement par le crédit d’impôt, la rédaction de l’article est telle que cette aide ne concernera qu’un nombre très restreint d’exploitants. Qui plus est, aucune condition de ressources n’est posée pour l’obtention de ce crédit d’impôt. Les pauvres ne seront pas plus aidés que les riches. C’est une étrange conception du social !

Il est aussi de mon devoir d’évoquer la consécration de l’opt out pour les salariés agricoles. Dans un secteur où les horaires de travail sont déjà annualisés, vous voulez augmenter encore le temps de travail des salariés en faisant croire qu’ils seront les uniques demandeurs d’une telle mesure. Puisque vous parlez toujours de dialogue social, de demande des salariés, pouvez-vous nous indiquer quels sont les syndicats de travailleurs agricoles qui demandent cet opt out ? Moi, je n’en ai entendu aucun souhaiter ce dispositif.

M. André Chassaigne. C’est la grande liberté !

Mme Paulette Guinchard. Cela dit, c’est sur le fonds agricole que je souhaiterais insister. Certains parlent à cet égard de libéralisme. Quant à moi, je viens d’une région où la logique collective a toujours été au cœur même de l’évolution et de l’organisation du développement de l’agriculture. Or, vous abordez la question du fonds agricole en suivant une logique profondément individuelle. Je sais, pour l’avoir vécu dans ma propre famille, que chaque fois qu’une difficulté s’est présentée c’est la logique collective qui nous a permis de nous en sortir, en tout cas dans mon secteur en Franche-Comté. Je suis persuadée que ce qui est dangereux dans le fonds agricole, c’est cette logique d’entrée profondément individuelle. Je vois bien, dans le village où je suis née, que les CUMA sont essentielles lorsqu’une difficulté survient – Michel Raison et Jean-Marie Binetruy connaissent ce dispositif. Comment prendrez-vous en compte, dans le fonds agricole, cette logique collective de développement économique et sociétal ? Dans votre projet de loi, monsieur le ministre, vous faites le choix d’une logique profondément individuelle alors que c’est la logique collective qui doit prévaloir à un moment où l’agriculture est en danger. C’est en cela que votre texte est en profond décalage avec les attentes des agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. C’était remarquable !

M. Yves Simon. Hors sujet !

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Yves Cochet. Monsieur le ministre, à la page 4 de votre projet de loi, dans ce que l’on appelle l’« exposé des motifs », il est écrit : « l’enjeu de la loi d’orientation agricole est de tracer les perspectives d’évolution pour les prochaines décennies », soit au moins vingt ans, sinon trente. Quelle déception lorsque l’on examine le corps du texte ! En fait, ce n’est pas une loi d’orientation, c’est au mieux, comme l’on dit certains de mes collègues de l’opposition, une loi d’adaptation au modèle productiviste de la politique agricole commune, qui est condamné à disparaître au cours des prochaines années.

M. Jean Auclair. Avec vous !

M. Yves Cochet. A cet instant, je veux simplement évoquer deux faits, parmi d’autres, pour étayer cette condamnation.

D’abord, les chaînes agroalimentaires industrielles, qui nourrissent 450 millions d’Européens, n’ont jamais été aussi inefficaces qu’aujourd’hui du point de vue énergétique. Pour fournir une calorie alimentaire dans notre assiette, il faut treize calories en amont – trois à la maison pour la cuisson et la réfrigération et dix depuis la fourche jusqu’à la fourchette –, dont sept calories de pétrole. L’agriculture européenne, comme l’agriculture américaine d’ailleurs, étant un gouffre énergétique, notamment hydrocarboné, elle sera frappée frontalement par la hausse du prix des hydrocarbures et de l’énergie en général. Ce modèle, celui de la politique agricole commune, que votre texte entérine, n’est soutenable ni énergétiquement, ni écologiquement, ni socialement, ni économiquement.

Par ailleurs, nos concitoyens français et européens peuvent-ils aujourd’hui s’alimenter autrement que par les produits de cette agriculture productiviste ? Hélas non ! Voyons où ils achètent l’essentiel de leur nourriture tous les jours ! Les chiffres sont frappants : 80 % de leur nourriture provient des grandes chaînes agroalimentaires mondialisées – Carrefour nourrit, à lui seul, un milliard de personnes dans le monde ! –, 15 % des marchés régionaux et 5 % seulement des producteurs locaux – ceux qui, de paysans, sont devenus des exploitants agricoles et que vous voulez maintenant transformer en entrepreneurs agricoles.

Dans les amendements que je présenterai, je défendrai cinq autres orientations principales pour la politique agricole de notre pays et de l’Europe. Hélas, je crains que ces orientations ne soient pas reprises dans votre loi, monsieur le ministre, pas plus que ne le furent les orientations énergétiques que j’avais présentées au printemps 2004, voilà plus d’un an et demi, devant M. Sarkozy, qui nous a infligé une loi d’orientation sur l’énergie indigne et irresponsable dont on voit aujourd’hui les conséquences funestes pour nos concitoyens, notamment les marins pêcheurs et les agriculteurs, avec l’inéluctable hausse des carburants ? Quand on est ainsi aveugle, on ne peut anticiper, on se contente du court terme, sans doute dans la perspective de 2007.

N’en doutez pas, monsieur le ministre – je le crains pour vous-même –, il en ira de même pour la politique agricole et le prix des denrées alimentaires si nous adoptons les orientations fixées par ce projet de loi. Dans ce cas, le Gouvernement entraînerait la France dans une impasse, ce que naturellement je ne souhaite pas. Nos agriculteurs, comme les gens qui achètent des carburants ou du fioul domestique, savent bien que cela n’est pas la voie qu’il faut suivre.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vais me livrer au difficile exercice consistant à répondre aux trente-neuf orateurs qui ont participé à la discussion générale. Certains sont présents, d’autres m’ont fait savoir de manière très courtoise qu’ils ne pourraient l’être et j’ai d’ailleurs promis à certains d’entre eux – je pense à Mme Lebranchu qui était là hier soir – de faire une réponse écrite aux questions très techniques qu’ils m’ont posées, ce qui me permettra d’aller un peu plus loin.

Monsieur François Sauvadet, vous qui connaissez merveilleusement bien le dossier agricole, vous avez souhaité que ce texte soit précédé d’un article précisant les objectifs à atteindre, une sorte d’« article zéro ». Je vous répondrai que les objectifs de ce projet de loi d’orientation figurent dans l’exposé des motifs, qui n’est pas un exposé de pure forme destiné à meubler les premières pages d’un projet de loi, comme c’est parfois le cas. En reprenant des interventions du Président de la République et du Premier ministre, nous avons souhaité rappeler que nous souhaitions une agriculture exportatrice, créatrice d’emplois, mais sans oublier la diversité – vous avez eu raison d’insister sur ce point, monsieur Sauvadet ; nous y reviendrons lors de la discussion des amendements.

Il est vrai que nous aurions peut-être pu faire une étude d’impact plus précise. Reste que le débat en région, dont à parlé M. Lurel, organisé à l’initiative d’Hervé Gaymard et qui a réuni plus de 3 000 personnes, les très nombreux débats au Conseil économique et social, les rapports parlementaires de différents députés nous ont naturellement permis d’avoir tous les éléments d’impact de ce projet de loi. Chaque mesure est chiffrée, et je serai toujours en mesure d’en indiquer le coût à la représentation nationale.

Vous avez également souligné, monsieur Sauvadet, qu’il n’y avait pas grand-chose sur le défi scientifique dans ce projet. Ce n’est pas par manque d’intérêt. En effet, je crois, comme vous, que l’enseignement agricole joue un très grand rôle. La rentrée s’est bien passée dans cet enseignement, qui est de grand qualité.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances. C’est vrai !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Avec Gilles de Robien, nous avons choisi de nous pencher sur la place de l’enseignement agricole dans nos zones rurales en confiant une mission à un journaliste que beaucoup d’entre vous connaissent bien et qui est apprécié sur tous les bancs, François Grosrichard, qui vient de quitter la rédaction du journal Le Monde. Nous lui avons demandé de travailler avec nous sur la place de l’enseignement agricole dans les zones rurales. Vous avez raison de dire que la recherche agronomique est importante. Elle sera prise en compte dans le projet de loi sur la recherche qui sera prochainement soumis à votre assemblée. En tout cas, il en est question à l’article 26. Je vous remercie, monsieur Sauvadet, pour la densité de votre intervention qui a marqué l’attachement de votre groupe et de vous-même au développement de notre agriculture.

M. Goldberg nous a rappelé sa connaissance précise du monde agricole. Il nous a fait part de ses inquiétudes sur le fermage, dont il est question à l’article 3. Comme je l’ai dit au rapporteur, au président de la commission des affaires économiques et à tous les membres de celle-ci, il est apparu utile d’accompagner les mesures nouvelles sur le bail cessible par un travail de simplification et d’adaptation de ce statut, ce qui ne veut pas dire, monsieur Chassaigne, qu’il sera remis en cause.

M. André Chassaigne. Si !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Nous proposons de débarrasser ce statut de dispositions obsolètes – je pense à l’IVD et au FASASA, qui n’existent plus –, donc de le simplifier et de l’harmoniser, et en aucun cas de remettre en cause les fondements du statut du fermage,…

M. André Chassaigne. Nous en reparlerons !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.… auquel, je le crois, vous êtes tous attachés.

M. Antoine Herth, rapporteur. C’est vrai !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Quant au fonds agricole, il ne faut ni lui attribuer tous les maux ni le parer de toutes les vertus – je dis cela en toute modestie. L’ambition est de faciliter et de sécuriser la transmission d’une exploitation. Sur le plan juridique, il ne modifie pas les règles économiques de base. Il n’amplifie en rien la tendance à une augmentation des coûts de la reprise et de l’installation.

Monsieur Raison, au nom du groupe de l’UMP, vous vous êtes exprimé hier soir avec beaucoup de passion sur l’ambition, la cohérence, le pragmatisme de ce projet de loi. Je vous en remercie. Comme vous l’avez dit, il ne faut pas opposer un passé agricole, que certains voudraient idéaliser, à une nouvelle agriculture qui serait accusée de tous les maux. Il faut donner aux exploitations les moyens d’évoluer vers des entreprises familiales à taille humaine dans lesquelles chacun puisse s’épanouir dans un projet professionnel, mais avec de vraies perspectives économiques de développement afin de permettre aux agriculteurs, en particulier aux jeunes qui s’installent, de vivre un vrai projet de carrière.


Comme vous l’avez également souligné, j’ai recherché, pour le contrôle des structures, un point d’équilibre, ce qui, chacun le sait, n’est pas facile. Il y a des partisans et des adversaires, des amoureux et des déçus des SAFER. Vous le constatez dans vos départements. En la matière, le texte qui vous est proposé recherche un équilibre qui préserve l’installation tout en l’allégeant afin d’éviter de soumettre au contrôle des opérations qui reçoivent presque systématiquement une réponse positive.

Mme Lebranchu, qui n’a pu être parmi nous aujourd’hui, a posé des questions très concrètes sur la mise en œuvre du fonds agricole et du bail cessible. Je lui répondrai plus en détail mais, puisque ces questions intéressent l’ensemble de la représentation nationale, je tiens à souligner d’ores et déjà que la création de ce fonds s’inscrit dans un contexte dans lequel les installations hors cadre familial sont en augmentation. Notre objectif est de donc sécuriser sur le plan juridique la transmission d’une installation dans ce type de situation.

Mme Lebranchu également évoqué de façon très concrète la mise en œuvre du fonds agricole, ce qui appelle de ma part quelques éléments de réponse. Si l’article 1er du projet de loi est adopté, tout agriculteur – je le précise également à l’intention de Mme Guinchard, qui est intervenue à l’instant sur ce sujet – détiendra potentiellement un fonds agricole. Toutefois, ce fonds n’a pas de matérialité réelle tant que l’agriculteur ne cherche ni à le nantir ni à le vendre. Pour répondre aux questions qui ont été posées de manière très légitime, nous n’envisageons pas, à ce stade, d’enregistrement systématique et préalable. En cas de vente, l’acte de vente établi par le notaire définira le fonds. L’agriculteur aura d’ailleurs à en choisir le contenu. En cas de nantissement, la procédure telle qu’elle est définie par le code du commerce pour les fonds de commerce sera reprise.

Mme Lebranchu s’est également interrogée sur le contenu du bail cessible. Il ne s’agit en aucun cas de bouleverser le bail rural classique qui, je le répète, est préservé. L’objectif du bail cessible est de permettre la transmission hors cadre familial. Il est, pour le Gouvernement et la majorité, une condition indispensable à la création du fonds agricole. Mais, très probablement, il ne se développera que progressivement, en commençant sans doute par les exploitations dont la structure foncière repose sur un noyau principal appartenant à un propriétaire. Cela va de soi : il n’y a aucun moyen d’obliger plusieurs propriétaires à se mettre d’accord. Ce problème a été bien identifié par M. Bernier au cours de la mission qui lui a été confiée et dont il s’acquitte avec talent, ce dont je le remercie. Je crois savoir qu’il nous fera rapidement des propositions concrètes en matière de multipropriété.

Parmi les nombreuses questions qu’elle a posées, Mme Lebranchu a également évoqué la CDOA. Actuellement, la mission de celle-ci est double. Elle donne son avis au préfet tant sur les aspects généraux de la politique agricole dans le département que sur les dossiers individuels. Elle a apporté la preuve de son efficacité, mais son fonctionnement peut, sur le terrain, paraître un peu lourd. C’est pourquoi j’ai souhaité l’alléger et concentrer ses missions sur son rôle d’orientation, objectif qui s’inscrit dans la démarche de simplification de toutes les commissions administratives engagée par le Gouvernement. Comme toutes les autres commissions, la CDOA a déjà été délégalisée par une ordonnance de 2004. Notre idée n’est pas de la supprimer, mais de la recréer par décret. Toutes les dispositions de la partie législative du code rural qui y font référence doivent donc être supprimées. Le projet de décret redéfinira notamment ses missions et ses modalités de fonctionnement. Il sera naturellement préparé en concertation étroite avec toutes les organisations professionnelles.

Enfin, Mme Lebranchu s’est interrogée, comme plusieurs d’entre vous, sur le rôle respectif qu’auront, à l’avenir, notamment dans la gestion des crises, les interprofessions et les offices. C’est en effet un enjeu très important. La France a subordonné son accord à la réforme de la PAC de 2003 à la possibilité de disposer d’instruments de gestion des crises. Je rejoins ici les propos de M. Mariani ou de Mme Barèges sur les crises des fruits et légumes ou de la viticulture.

M. Jacques Le Guen. Très bien !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Je me bats à ce sujet au Conseil des ministres européen, soutenu en cela par de nombreux État membres, pour que nous ayons gain de cause. Nous en voyons la nécessité, après les difficultés que nous avons connues l’an dernier avec les légumes et cette année avec les fruits.

M. Jacques Le Guen, M. Jean Dionis du Séjour et M. François Sauvadet. Très bien !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur Dionis du Séjour, vous connaissez bien ces problèmes, qui se posent en particulier dans votre département. Venons-en à la question que vous m’a posée sur l’article 3 du projet de loi et sur le fermage. Je l’ai dit : sur le fond, nous n’envisageons aucunement de toucher à son statut, pas plus que de remettre en cause le métayage, très développé dans votre département. D’ailleurs, pour que ces questions soient bien claires, je suis prêt à ce que le champ de l’habilitation soit précisé au cours du débat. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. En ce qui concerne les huiles végétales brutes, sujet cher à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, et plus particulièrement à son rapporteur, nous avons envisagé dans un premier temps une ouverture limitée, prévoyant une utilisation à titre expérimental.

M. Jean Dionis du Séjour. De l’audace, monsieur le ministre, de l’audace !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Pour ma part, je ne pense pas qu’il faille être trop réticent à l’égard d’une démarche expérimentale.

M. François Sauvadet. Nous non plus ! Nous avons plaidé avec vous, monsieur le ministre, pour l’expérimentation !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Dans notre pays, on veut toujours légiférer pour des siècles, mais l’expérimentation permet au législateur de tester une mesure avant de transformer l’essai – vous me passerez l’expression, monsieur Dionis du Séjour, puisque vous venez du pays du rugby.

Je profite de l’occasion pour souligner, puisque, sur tous les bancs, les députés sont favorables aux biocarburants, qu’il importe de ne pas gêner le développement des filières industrielles que nous voulons bâtir ensemble avec le plan biocarburants et ses huit usines. Pendant l’été, toutefois, nous avons vu à quel point le phénomène se développait. Un reportage télévisé a montré un sympathique agriculteur, un peu âgé, qui faisait son huile dans son garage, où les gens du village ou du canton venaient la lui acheter. Je suis par conséquent d’accord pour revoir la rédaction initiale et ouvrir des perspectives plus larges, comme le président de la commission des affaires économiques m’y a invité. Je pense que nous pourrons nous mettre d’accord à ce sujet au cours du débat.

M. Piron a souligné hier soir l’importance du fonds agricole et du bail cessible. Je l’en remercie. Il a également attiré notre attention sur la nécessité d’un effort de simplification.

M. Yannick Favennec. C’est nécessaire !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. M. Guillaume a également insisté sur ce point. Certes, il y a beaucoup à faire. C’est même un combat permanent. À titre d’exemple, citons, dans ce texte, la création d’une agence unique de paiement pour simplifier les démarches relatives au paiement du premier pilier de la politique agricole commune.

M. Peiro a évoqué un sujet qui lui est cher, tout comme à M. Garrigue – mais les élus de la Dordogne ne sont pas les seuls à se montrer attentifs au dossier des retraites agricoles. Je reconnais d’ailleurs que le gouvernement de M. Jospin avait mené une action dans ce domaine. À l’époque, j’étais député de l’opposition et j’avais voté ce texte.

M. Thierry Mariani. Il a mené une action, mais il ne l’a pas financée !

M. Jean Auclair. Il a fait de même dans tous les domaines : les CTE, l’APA !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Comme vous le rappelez, monsieur Mariani, M. Jospin a été assez habile, puisqu’il a fait adopter en avril 2002, peu avant l’élection présidentielle, une mesure qui pouvait sembler sympathique.

Mais la majorité n’a pas à rougir du travail qu’elle a accompli depuis 2002 : la mise en place de la retraite complémentaire obligatoire et la mensualisation – que les agriculteurs nous demandaient depuis des années dans nos permanences – constituent des avancées significatives.

M. Yannick Favennec. Très bien !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Je rappelle ainsi que la retraite complémentaire obligatoire représente mille euros de plus par an pour 435 000 retraités, ce qui n’est pas peu de chose. Sous certaines conditions, des personnes qui ont pris leur retraite avant le 1er janvier 2003 peuvent même en bénéficier sans avoir jamais cotisé au régime. Dans le domaine des retraites, la majorité a donc bien travaillé.

M. Yannick Favennec. Il reste beaucoup à faire !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Certes, nous devons poursuivre nos efforts. Vous êtes d’ailleurs nombreux à l’avoir rappelé.

Avec le poids que lui donnent son expérience et sa place dans le monde agricole, M. Guillaume a regretté l’absence de mesures sur le foncier. Il est vrai qu’il s’agit d’un point important. La loi sur le développement des territoires ruraux a déjà fait l’objet de longs débats sur ce sujet, qui ont conduit à la création des périmètres de protection des espaces agricoles et urbains. Le décret d’application sera publié avant la fin de l’année.

Pour parler franchement, comme à mon habitude, il m’a paru difficile, dans un premier temps, d’aller plus loin dans le projet de loi d’orientation agricole. Mais, sitôt ce projet présenté, les réactions ont été unanimes – je pense notamment à l’excellent rapport de M. Boisson au CES – pour nous demander de renforcer le texte dans ce domaine. J’ai donc fait examiner très attentivement ce rapport, à la présentation duquel j’avais d’ailleurs assisté personnellement.

Plusieurs des mesures qu’il propose pourront être débattues au cours de notre débat, notamment celles qui permettraient de faciliter la mise en œuvre de la procédure des zones agricoles protégées et de mieux prendre en compte les intérêts agricoles dans les procédures liées à l’urbanisme. En effet, nous voyons tous dans nos communes que les espaces ruraux sont grignotés. Souvent, les conseils municipaux optent en faveur du lotissement, parce que nous préférons tous les maisons individuelles à de grands ensembles. Cette politique repousse bien entendu les limites des territoires ruraux. M. Saddier et d’autres élus de sa région déplorent le fait qu’il n’y ait plus de place dans les vallées alpines. On trouve de l’activité, notamment industrielle, dans la vallée. Dès que l’on monte, c’est le tourisme qui domine. Il n’y a par conséquent plus d’espace pour le foncier. D’où la nécessité de mener une action politique en commun.

Sur les SAFER, sujet complexe, les avis sont partagés. Dans cette loi, nous avons essayé, monsieur le ministre Guillaume, d’atteindre un point d’équilibre satisfaisant.

M. Jean Auclair. Je parlerais plutôt de déséquilibre !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Certains souhaitent aller plus loin et remettre en cause le mode de fonctionnement des SAFER, ainsi que leur identité, ce à quoi vous n’êtes pas favorable. Je ne crois pas qu’il soit possible de dégager aujourd’hui un consensus. Tenons-nous en à l’équilibre actuel.

En ce qui concerne les coopératives, nous avons eu de longs échanges, au vu de votre rapport. Je suis d’ailleurs prêt, cela a été rappelé, à introduire au cours du débat plusieurs mesures nouvelles. Je pense notamment à la création, comme vous le souhaitez, d’un Haut conseil de la coopération agricole, qui ne serait pas un « machin », mais qui aurait un pouvoir décisionnel et établirait les modalités d’affectation du résultat sous forme de parts sociales.

M. Hugon a longuement évoqué les retraites. Je lui confirme que nous allons mettre en œuvre les propositions issues du groupe de travail.

M. Vergnier, qui n’est pas avec nous cet après-midi, a regretté que le volet social de ce texte soit trop réduit. Il considère que ce texte ne s’intéresse qu’aux plus grosses exploitations. Ce n’est pas mon avis. À mon sens, le volet social de ce texte n’est pas mince. À ce sujet, je vous invite à relire l’article 8 qui propose d’améliorer la protection sociale des agriculteurs exploitant moins d’une demi-SMI. Il s’agit là d’une mesure en direction des petites exploitations.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué leur passé d’aide familial. C’était, je crois, le cas du député de l’Allier, avant qu’il devienne haut fonctionnaire au ministère de l’agriculture. Nous proposons de limiter dans le temps – pour laisser à l’intéressé la possibilité de devenir député (Sourires) – le statut d’aide familial, dont chacun sait qu’il est peu protecteur, et de faciliter l’accès au statut de conjoint collaborateur.

M. Decool a évoqué le soutien nécessaire à l’agriculture raisonnée. Pour ma part, j’y crois beaucoup. Christiane Lambert, entre autres, a fait un excellent travail dans ce domaine. Certes, le projet de loi ne contient aucune mesure à ce sujet mais le budget du ministère, qui vous sera présenté dans quelques semaines, dégage des crédits nécessaires à des mesures de soutien en faveur des agriculteurs qui s’engagent dans cette voie.

Pour la réforme des directions départementales de l’agriculture, dont nous connaissons tous le rôle de proximité essentiel qu’elles jouent auprès des agriculteurs, nous sommes décidés à être très pragmatiques. Nous verrons comment faire évoluer sur le terrain le tissu de la représentation de l’État.

Quant aux pratiques en matière de contrôle, vous savez que j’ai déployé la plus grande énergie afin que nous puissions, grâce à la charte des contrôles et l’emploi de nouvelles méthodes, modifier l’état d’esprit et la situation sur le terrain dans l’intérêt des agriculteurs et le respect des normes légales et réglementaires.

M. Colombier a évoqué le crédit d’impôt pour l’accès au remplacement. Il va de soi que les dépenses ainsi prises en charge concernent tout autant les dépenses de personnel directes que celles, indirectes, occasionnées par le recours à un groupement d’employeurs. Je suis disposé à préciser ces dispositions au cours du débat.

En ce qui concerne le crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique, évoqué par Mme Gaillard, nous pourrons sans doute améliorer, en cours de débat, le contour exact de la mesure. Mais, parmi vous, nombreux sont ceux qui appartiennent à la commission des finances. Ils savent à ce titre qu’il faut rester dans les limites du possible.

M. Nayrou a regretté l’absence, dans ce texte, d’un volet montagne. J’ai évoqué le problème avec M. Brottes, M. Saddier, et les élus de l’ANEM et du groupe montagne. Je l’ai redit ce matin à Clermont-Ferrand, en zone de montagne : le Gouvernement est favorable à l’introduction de mesures supplémentaires en cours de débat.

Monsieur Feneuil, vous nous avez dit une nouvelle fois vos inquiétudes au sujet du fonds agricole, dont vous ne contestez pourtant ni l’intérêt ni les objectifs. Très honnêtement, la façon dont est construit le texte du Gouvernement me semble répondre à votre souci d’un fonds optionnel et à géométrie variable.


Tout agriculteur détiendra potentiellement un fonds agricole, qui ne se concrétisera que lorsqu’il choisira librement de le céder ou de le nantir. Si cela doit contribuer à une meilleure compréhension du dispositif sur le terrain, je suis tout à fait prêt à ce que ce caractère optionnel soit explicité dans la loi. Je crois d’ailleurs que la commission des affaires économiques a adopté un amendement en ce sens.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Vous avez également évoqué, monsieur Feneuil, l’importance de la contractualisation qui, au sein des filiales, est susceptible de sécuriser les approvisionnements pour les uns, les débouchés pour les autres. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement réservera un accueil très favorable à l’amendement que votre rapporteur, Antoine Herth, a déposé sur ce point.

Yves Censi qui, en tant que président du comité de surveillance du FFIPSA, est très investi dans ce dossier, a longuement évoqué les enjeux liés à l’équilibre économique du FIFSA. Nous y travaillons actuellement dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances et le Gouvernement fera le maximum pour financer ce fonds, dans le contexte budgétaire difficile qui est celui de notre pays – ce n’est pas le président de la commission des finances ici présent qui me démentira.

Mme Bousquet a évoqué le problème de l’agriculture familiale. Comme M. Auclair, qui l’a dit très brillamment tout à l’heure, je n’adhère pas à une vision manichéenne qui opposerait l’agriculture familiale et l’agriculture industrielle. Je rappelle d’ailleurs que, il y a quarante-cinq ou cinquante ans, c’était la droite qui était accusée de promouvoir l’agriculture familiale, alors que la gauche était favorable à une agriculture collective ou industrielle. Ne renversons pas le débat et ne faisons pas de mauvais procès. Je crois, comme beaucoup d’entre vous, à une agriculture naturellement familiale, mais d’entreprise, car cette agriculture doit évoluer pour conserver sa compétitivité. C’est ainsi qu’elle préservera sa structure familiale, à taille humaine, qui est le fondement de notre culture rurale et à laquelle sont attachés nos agriculteurs.

Mme Bousquet a également évoqué la question de la reconnaissance du travail des conjointes. Sur ce point, je suis évidemment d’accord avec elle. De plus en plus, j’en suis convaincu, les conjointes – ou les conjoints d’ailleurs – travailleront à l’extérieur de l’exploitation, tout en occupant une place à part entière au sein de celle-ci. À cet égard, on constate que, souvent, des femmes qui étaient aides familiales ou infirmières rejoignent l’exploitation en s’associant à leurs maris. Cette évolution doit se poursuivre, mais nous avons tous les outils juridiques – et Dieu sait s’ils sont nombreux – pour répondre à la diversité des situations.

Je remercie M. Favennec d’avoir souligné l’importance de la concertation qui a eu lieu lors de la préparation du projet de loi d’orientation agricole – nous nous sommes d’ailleurs rendus à plusieurs reprises dans votre département. S’agissant du statut d’aide familial, que la loi cherche à mieux adapter aux attentes actuelles du monde agricole, je suis prêt à approfondir avec vous la question du rachat de périodes travaillées, tout en précisant que cette mesure relève plutôt du domaine réglementaire.

Monsieur Lemoine, vous avez notamment évoqué l’assurance récolte. La perspective de réassurance publique à l’issue de la période d’essai n’est pas exclue ; nous l’étudierons en temps utile. Je connais par ailleurs, même si vous ne l’avez pas évoqué, votre préoccupation pour le bien-être animal, puisque vous présiderez et animerez demain un colloque sur ce sujet qui se tiendra dans cette assemblée.

M. Brottes a exposé sa vision de l’agriculture qui – je le lui dis avec cordialité – n’est pas exactement la même que la mienne. Les conditions d’exercice actuelles du métier d’agriculteur sont très différentes de ce que vous vous voudriez qu’elles soient. Je ne prendrai qu’un exemple : le contrôle des structures, auquel vous êtes légitimement attaché.

M. François Brottes. Absolument !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Dans la procédure actuelle, très peu de propositions sont refusées. Ce n’est donc pas cela qui facilite les installations. Par ailleurs, je souhaite, monsieur Brottes, vous qui êtes président de l’Association nationale des élus de montagne, que nous puissions enrichir ce projet en ce qui concerne la politique de la montagne.

Monsieur Mariani, vous avez évoqué avec beaucoup de gravité les difficultés que rencontrent actuellement, dans certaines régions de France, des secteurs agricoles tels que ceux de la viticulture ou des fruits et légumes. Pour la viticulture, j’ai engagé de grandes actions de soutien conjoncturel, qui consistent en des aides de trésorerie, des allégements de charges et un étalement des échéances de prêt. Au-delà de ces mesures sociales, qui ne suffisent pas, nous menons des actions de fond en mettant en place des distillations de crise pour les AOC et des distillations d’alcool de bouche pour les vins de table. Mais, vous avez raison, il faut organiser la structuration de l’offre en fonction des nouvelles exigences des marchés. L’article du projet de loi consacré aux signes de qualité y contribuera.

En ce qui concerne les fruits et légumes – Mme Barèges a également évoqué ce sujet –, nous travaillons avec les acteurs professionnels et les élus à la mise en place d’un plan de sauvetage pour les départements les plus touchés. Je pense notamment au Vaucluse, aux Bouches-du-Rhône et au Tarn-et-Garonne. Du reste, au moment où je vous parle, une réunion a lieu à mon ministère avec les professionnels. Nous allons dégager des moyens pour trouver des solutions conjoncturelles et structurelles en faveur de ce secteur, dont vous avez eu raison de rappeler, monsieur Mariani, qu’il est très touché, car l’été a été très difficile.

Pierre Morel-A-L'Huissier a estimé que les outils qui ont contribué à bâtir l’agriculture doivent évoluer. C’est l’objectif de ce projet de loi. Ces évolutions sont en effet rendues indispensables par le contexte de la PAC réformée. Quant à l’élevage en moyenne montagne, il est soumis à des contraintes spécifiques, et j’y serai bien entendu très attentif – je l’ai dit ce matin à Clermont-Ferrand et M. Simon était à mes côtés – lors de la prochaine programmation du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER.

M. Manscour a évoqué, ainsi que M. Lurel, la nécessité de renforcer les mesures en faveur de l’outre-mer. Celle-ci a en effet besoin d’un soutien fort et de réponses adaptées à sa spécificité. Vous savez que nous sommes actuellement très mobilisés sur des sujets essentiels pour vous : le sucre, dans le cadre de la réforme de l’organisation commune du marché du sucre, et la banane, en faveur de laquelle nous avons, avec M. Baroin, mobilisé des moyens importants et entrepris de nombreuses démarches. S’agissant du chlordécone, je rends hommage au travail mené par la mission d’information parlementaire consacrée à ce sujet et je prends note de la demande d’indemnisation qui a été récemment adressée à mes services.

M. Beaugendre a souligné le problème du foncier dans les DOM. Il est vrai – et vous l’avez tous dit, messieurs les députés ultramarins – que ce problème est crucial. J’étais, il y a quelques mois, en Guyane, où il se pose de manière encore plus aiguë puisque, en l’absence de propriétés privées, les agriculteurs n’ont pas de foncier pour travailler. Nous essayons d’avancer sur ce sujet. Nous proposons également la modernisation du fermage et du métayage. Je suis d’ailleurs tout à fait favorable à l’amendement qu’a déposé M. Beaugendre sur la mise à disposition d’un bail auprès d’une société, procédure qui n’est actuellement possible qu’en métropole.

Mme Ramonet a insisté notamment sur les pôles de compétitivité, qui sont des outils importants. Quinze d’entre eux sont consacrés au domaine agricole et agroalimentaire, notamment en Bretagne, en Auvergne et en Bourgogne. En ce qui concerne le fermage, je lui ferai la même réponse qu’aux autres orateurs qui m’ont interrogé sur ce sujet.

Monsieur Chanteguet, nous nous rejoignons au moins sur un point : la nécessité d’une politique d’installation pour assurer le renouvellement des générations. Par contre, je ne suis pas d’accord avec vous lorsque vous dites que nous n’en faisons pas assez. Nous avons beaucoup travaillé dans ce domaine. Nous avons ainsi rénové récemment toutes les aides à l’installation, notamment le Fonds d’incitation et de communication en agriculture – FICIA – et la Dotation aux jeunes agriculteurs – DJA –, qui est versée en une seule fois. Par ailleurs, j’ai annoncé récemment aux jeunes agriculteurs la baisse des intérêts des prêts bonifiés ; le dispositif de gestion des DPU contient des mesures spécifiques destinées à aider les jeunes ; enfin, nous proposons, dans ce projet de loi, un dispositif de transmission des exploitations qui convient aux jeunes agriculteurs et qui sera désormais un élément important.

Monsieur Garrigue, ainsi que je le disais tout à l’heure à M. Peiro et à M. Hugon à propos du difficile dossier des retraites, nous analysons actuellement les conclusions du groupe de travail qu’avait mis en place Hervé Gaymard. Le Gouvernement annoncera, dans les prochains mois, un plan d’action à ce sujet.

Madame Pons, vous avez évoqué à juste titre la question du prix du foncier. Nous en avons souvent parlé ensemble dans votre département, où la situation est particulièrement difficile en raison de la construction de la nouvelle ligne de TGV entre Marseille et Nice. J’ai rappelé tout à l’heure le nouveau dispositif de protection des espèces agricoles. Je suis prêt à avancer avec vous sur le dossier du foncier et à travailler avec les agriculteurs de votre département sur le dossier du TGV, qui les inquiète. J’ai d’ailleurs proposé au président du conseil général et à vos collègues députés de me rendre avec eux sur le chantier de la ligne à grande vitesse Est pour étudier la manière dont travaillent Réseau ferré de France et les pouvoirs publics, notamment les collectivités. J’invite du reste mon collègue charentais, M. Violet, qui est concerné par la construction de la ligne qui doit relier Angoulême et Bordeaux, à faire de même. En effet plusieurs départements sont traversés par ces nouvelles lignes – et c’est heureux, car cela montre que les grands projets avancent.

Madame Gaillard, vous avez estimé que le volet environnemental du projet de loi était insuffisant. Je ne suis évidemment pas d’accord avec vous. La mesure concernant le bio que vous avez qualifiée de « mesurette » représente tout de même 15 millions d’euros, ce qui n’est pas rien. Je rappelle également les mesures concernant les biocarburants, le bail environnemental et l’incitation à la consommation de bois énergie, très importante pour nos collectivités territoriales. De plus en plus de communes chauffent leurs mairies, leurs écoles, leurs maisons de retraite ou leurs installations sportives avec du bois énergie. Je regrette d’ailleurs que, lorsque la majorité précédente était aux affaires, elle n’ait pas pris ces mesures.

Monsieur Philippe Armand Martin, vous avez souhaité que le texte évolue en ce qui concerne les biocarburants, et nous en parlerons prochainement dans votre circonscription. J’ai bien noté également les inquiétudes que vous avez exprimées, comme M. Fenech, sur le fonds agricole, dont je vous rappelle le caractère optionnel.

Monsieur Roumegoux, vous avez parlé avec raison de restaurer la confiance. C’est en effet important, pour que les agriculteurs continuent d’exercer leur métier. Vous avez évoqué également l’approche des contrôles et je suis tout à fait d’accord avec vous : nous devons poursuivre notre effort dans ce domaine, car il y a là une réelle difficulté.

M. Le Mèner, qui s’exprimait en son nom et au nom de Mme Franco, a évoqué le Haut conseil agricole, dont j’ai parlé dans ma réponse à M. Guillaume. Je précise que ce haut conseil ne suscitera pas de nouvelles cotisations. En effet, il sera financé dans le cadre de la cotisation des coopératives et nous allons étendre un certain nombre de compétences actuelles qui lui seront attribuées. Par ailleurs, la question des frontières de compétence entre Onivins et INAO se pose pour les vins de pays, qui sont aussi une mention valorisante. Il nous faudra donc travailler sur ce point avec les professionnels.

Monsieur Philippe Martin, vous avez évoqué avec talent, comme toujours, les OGM. Sur ce sujet, la mission d’information de l’Assemblée nationale, dont le président était M. Le Déaut et le rapporteur M. Ménard, a fait un excellent travail, sur lequel le Gouvernement s’appuiera : un projet de loi sera déposé sur le bureau de votre assemblée dans les semaines à venir. Je vous rappelle que le Gouvernement est favorable aux OGM dans le domaine de l’expérimentation agricole et scientifique.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. J’étais, ce matin, à Clermont-Ferrand, où l’on a stupidement détruit des cultures de recherche de l’Imagrain qui auraient joué un rôle important, notamment dans la lutte contre la mucoviscidose. C’est inadmissible. Les faucheurs seront donc sévèrement punis, comme doivent l’être ceux qui ne respectent pas la loi républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Mais il faut peut-être plus de transparence, en effet. La loi apportera donc des éléments en ce sens, notamment dans le domaine des OGM commerciaux, dont vous avez dit qu’ils nourrissent des porcs espagnols.

Par ailleurs, je tiens à vous dire en toute amitié, puisque vous m’avez fait un clin d’œil tintinophile, que je ne partage pas votre analyse de l’Étoile mystérieuse. Il n’y a pas, d’un côté, la bonne expédition européenne et, de l’autre, la mauvaise expédition américaine. Je vous rappelle en effet que Hergé, qui était accusé de collaborer étroitement avec les forces de l’Axe, s’est vu reprocher, à propos de cet album, d’avoir imaginé une mission européenne uniquement composée de pays de l’Axe et de pays neutres, la mission américaine étant dirigée par une personne de confession israélite. Vous voyez que les méchants ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Quoi qu’il en soit, l’Étoile mystérieuse est un album important, et je vous remercie de l’avoir cité.

Monsieur Lurel, je ne suis pas hostile à ce que nous ayons un texte sur l’outre-mer, qui viendrait le moment venu et sur lequel nous travaillerions avec les députés ultramarins et le ministre de l’outre-mer.

M. François Sauvadet. Très bonne idée !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Je n’engage pas le Gouvernement sur ce point. C’est une réflexion personnelle mais, je le répète, je n’y suis pas hostile je suis prêt à l’évoquer avec mon collègue de l’outre-mer et le Premier ministre.


J’ai bien entendu les inquiétudes exprimées par M. Binetruy au sujet du coût des baux cessibles. Il est toutefois nécessaire de s’assurer que ces contrats, qui pourront avoir une durée de vie très longue, seront conclus dans des conditions de sécurité juridique suffisantes pour toutes les parties. Je crois donc préférable de maintenir, au moins pour la première année, l’exigence d’un acte authentique. Selon les notaires avec lesquels j’ai eu l’occasion de m’entretenir, une solution – qui prendra certainement la forme d’un « prix de gros » – sera trouvée pour les baux multiples.

Par ailleurs, en ce qui concerne les signes de qualité, je vous confirme que nous aurons en séance, comme le souhaite le président Ollier, un débat de fond…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. …qui portera notamment sur l’opportunité de revenir sur la disposition de la loi sur le développement des territoires ruraux interdisant l’apposition de la dénomination « montagne » sur les produits bénéficiant d’une appellation contrôlée. Le débat est ouvert et je souhaite que nous puissions trouver une solution consensuelle qui préserve à la fois la spécificité de chaque région et notre volonté d’améliorer la lisibilité et les signes de qualité au bénéfice du consommateur.

S’exprimant avec la passion et le talent qu’on lui connaît, M. Auclair a dit, et je l’approuve, combien notre agriculture avait besoin de liberté et de renforcement de ses responsabilités. L’État doit en effet favoriser une meilleure organisation économique de la production et de la transformation. Telle est précisément la ligne de force de notre loi d’orientation. Nous avons eu l'occasion d'évoquer ensemble les particularités du secteur de l'élevage, qu'il connaît et défend bien, et nous tiendrons naturellement compte des remarques très pertinentes qu’il a faites à ce sujet.

Je remercie M. Bernier pour tout le travail accompli à mes côtés, relatif à la transmission des exploitations. J'ai déjà eu l'occasion de lui dire que je n'étais pas hostile à l'introduction dans la loi de certaines des idées innovantes qu’il a formulées.

M. Viollet a évoqué le crédit d’impôt au titre des dépenses de remplacement, mesure qui permettra aux exploitants d’être aidés pour prendre jusqu’à 14 jours de congés. Certes, les filières ont des contraintes, mais nous pensons que les associés au sein d'une exploitation sociétaire peuvent en bénéficier. Nous aurions pu limiter cette mesure aux services de remplacement, mais nous avons choisi de l'ouvrir à tous les modes de remplacement, sans préjudice pour l'exploitant ni pour celui qui assure le remplacement. Ceci dit, dans les zones où les services de remplacement sont très bien organisés – ce qui est le cas de la région que vous et moi connaissons bien, monsieur le député – il est probable que les exploitants se tourneront de préférence vers ceux-ci.

Mme Guinchard a évoqué l’article 10, relatif à l’application de la loi sur les 35 heures. Je rappelle à ce sujet qu’il ne s’agit que d’appliquer au secteur agricole des dispositions qui ont été prises pour les autres secteurs d’activité. Le fonds agricole n'est pas dirigé contre l'exploitation individuelle. Si elle a raison de dire que le monde agricole est un monde d'action collective, la logique que nous défendons n'y est en rien opposée.

J’ai bien noté les orientations que M. Cochet proposait, mais je voudrais tout de même lui faire remarquer que c’est ce gouvernement, et non celui auquel il appartenait, qui propose enfin un grand programme pour les biocarburants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est exact !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Chacun de nous ne peut qu’y être favorable. L’objectif fixé par le Premier ministre est de sextupler notre production de biocarburants pour atteindre dès 2008, et non 2010, un pourcentage de 5,75 % par rapport aux carburants classiques. Ce qui constitue un objectif politique très important doit aussi permettre d’offrir une nouvelle ambition aux agriculteurs : devenir ceux qui produisent l’énergie du pays et pas simplement ceux qui le nourrissent. C'est là un message politique et environnemental fort, dont ce gouvernement et cette majorité peuvent se féliciter (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, et je me permets de rappeler que, constitutionnellement, le temps de parole du Gouvernement n’est pas limité, contrairement à celui des parlementaires.

M. François Sauvadet. Et c’est très bien ainsi !


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Jean Gaubert, pour une durée qui ne peut excéder une heure trente.

M. Jean Gaubert. Monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de commencer mon intervention sur la motion de renvoi en commission, je souhaiterais m’élever contre certains propos qui ont été tenus tout à l’heure. Il est effet scandaleux d’entendre des membres de la majorité nous refuser le droit de parler au nom des agriculteurs. Ces collègues doivent savoir qu’il y a des gens qui connaissent le milieu agricole sur d’autres bancs que les leurs. La comparaison des mérites de chacun pourrait d’ailleurs réserver quelques surprises…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !

M. Jean Gaubert. Je leur rappellerai également que nous sommes tous des députés de la République.

Mme Geneviève Gaillard. Très bien !

M. Antoine Herth, rapporteur. C’est vrai !

M. Jean Gaubert. Et, à ce titre, nous sommes habilités à parler au nom des concitoyens qui nous ont mandatés et au nom des Français d’une façon générale, quelle que soit la formation que nous ayons reçue et les fonctions que nous occupions antérieurement.

Enfin, je reprendrai la maxime du Petit Bleu des Côtes-du- Nord, journal d’un de mes illustres prédécesseurs dans les Côtes-d’Armor, René Pleven : « Dis ce que les autres taisent ». Je voudrais être sûr, en effet, que l’orateur qui a tenu les propos auxquels j’ai fait allusion ne disait pas ce que certains, par pudeur, voudraient taire.

M. Jean Auclair. Touché-coulé !

Mme Geneviève Gaillard. N’en rajoutez pas, monsieur Auclair !

M. André Chassaigne. M. Auclair a été félicité par le ministre !

M. Jean Gaubert. Monsieur le ministre, l’agriculture a vécu au rythme des grandes réformes qui l’ont marquée. Ce fut d’abord, en 1945, le statut du fermage. À cet égard, j’ai cru comprendre que vous aviez mesuré combien, sur tous ces bancs, nous restions attachés à ce statut. Son instauration fut en effet un grand moment pour les agriculteurs. Je pense notamment ici à mon père, qui a changé trois fois d’exploitation entre 1930 et 1939. Il avait beau dire avec un certain humour qu’au moins, les toiles d’araignées n’étaient jamais vieilles (Sourires), il reste qu’il était très difficile pour lui de savoir, toujours peu de temps avant, qu’il faudrait de nouveau faire déménager toute la famille. Cette histoire n’est en rien désuète et risquerait de se reproduire si l’on attaquait le statut du fermage. Compte tenu des propositions que vous faites, il faudra même le renforcer, monsieur le ministre.

Il y eut ensuite les lois de 1962, qui furent fondatrices. L’agriculture, à laquelle on avait assigné à la Libération l’obligation de nourrir nos concitoyens, trouvait enfin les moyens, en effet, de se développer grâce à ces lois. Mais l’agriculture productiviste, favorisée à juste titre par les lois de 1962, a connu des débordements. Nous aurions dû, les uns et les autres, avoir le courage de modifier les choses au cours de la période 1975-1985, alors que les premiers excédents agricoles apparaissaient. Certes, la profession agricole en niait l’importance. Mais nul n’a oublié les fameuses montagnes de beurre.

Cette époque fut marquée aussi par l’arrivée des quotas laitiers, précisément parce que nous n’avions pas su réguler les productions agricoles. Leur instauration a fait l’objet de débats violents, sur le terrain mais aussi dans cet hémicycle où tous n’ont pas assumé leur part de responsabilité. Je pense notamment à l’opposition de 1984 qui, relayant le syndicat agricole majoritaire, refusait les quotas laitiers. Le discours a changé depuis. C’est ainsi qu’il y a deux ou trois ans on pouvait entendre sur les mêmes bancs, dans la bouche des mêmes députés ou de leurs successeurs : «  Ne touchez pas à nos quotas ! »

Il y eut ensuite la réforme de 1992, qui fut un grand tournant. Bien qu’imparfaite, elle a eu le mérite de montrer qu’on ne pouvait pas tenir à la fois le discours du prix rémunérateur et celui de l’ouverture au monde, et que, si l’on souhaitait en rester au premier, il fallait blinder ses frontières comme l’Albanie et ne pas prétendre s’ouvrir au monde. En système libéral, en effet, il n’y a pas de relation entre le prix de vente et le prix de revient. Le prix de vente résulte de la confrontation entre l’offre et la demande, et n’a rien à voir avec le prix de revient, malheureusement.

Tous, sur ces bancs, nous devons l’accepter pour ensuite prendre les mesures qui permettront au monde agricole de vivre et se développer. En revanche, tant que nous entretiendrons le discours de confusion que je viens de dénoncer, nous n’avancerons pas sur ce dossier. Il s’agit ici, non pas de vous donner une leçon de libéralisme, mais de vous rappeler les principes et les fondements du modèle que vous semblez défendre.


Mais l’agriculture est aussi marquée par certains discours, qui évoquent une paysannerie séculaire, qui serait différente des autres activités, et des gens qui travailleraient plus que les autres. On y sent la nostalgie du temps passé. C’est installer l’agriculture dans un monde à part, dans un conservatisme qui n’est plus de mise. Je suis étonné d’entendre certains nous accuser de conservatisme quand on parle simplement d’une meilleure répartition des droits à produire. Ce conservatisme, largement défendu par les partis de droite, est celui d’une agriculture qui a trop longtemps vécu avec un seul syndicat, curieusement défendu par des libéraux qui prétendent être pour la liberté, y compris la liberté syndicale ! Qui accepterait de ne discuter, parmi les centrales ouvrières, qu’avec la CGT, simplement parce qu’elle est majoritaire ? C’était pourtant la situation, et on a parfois le sentiment que certains la regrettent !

Mais l’agriculture était un secteur éminemment progressiste dès le début des années 1950, grâce à des mouvements auxquels il faut, à cette tribune, rendre hommage, même s’ils ne le recherchent pas. Je pense en particulier à la Jeunesse agricole catholique, qui a transformé nos campagnes, grâce à ses idées et ses discours mais aussi aux structures dont elle s’est dotée en milieu rural. Je pense également aux CETA, les centres d’études techniques agricoles, aux CUMA, aux coopératives, aux GAEC et à toutes les autres formes d’agriculture associative qui se sont développées.

Mais tout ceci a fini par avoir des effets pervers, comme la course à l’agrandissement qui a commencé à cette époque-là, ou encore la confusion pour certains entre chiffre d’affaires et bénéfices, illustrée par la vieille maxime que l’on entendait alors : « Je perds à l’unité, mais je gagne sur la quantité ». On a vu ainsi se développer la course à l’agrandissement. Les agriculteurs disaient : « Il faut que je sois plus grand », sans se poser la question de leur efficacité, qui est tout aussi importante. Car souvent, quand on choisit d’être plus grand, on maîtrise moins bien son exploitation agricole et on est moins efficace.

On a vu aussi une agriculture s’appuyer sur des aides extrêmement importantes de la collectivité publique, en particulier de l’Union européenne. Certes, ces aides étaient très inégales. Curieusement, certains se prenaient pour des managers ultra-libéraux, alors qu’en réalité ils vivaient avec de l’argent public.

Je ne résiste pas à l’envie de vous faire remarquer que les plus grands managers agricoles se trouvent en Ile-de-France, en Champagne-Ardenne ou en Picardie. C’est dans ces régions qu’ils bénéficient des aides les plus importantes par exploitation. Pour vous donner une échelle de valeur, un exploitant agricole en Ile-de-France touche six fois plus qu’un exploitant agricole en région PACA. Ce sont des chiffres qu’il faut connaître et sur lesquels je reviendrai, parce que vos mesures risquent de pérenniser ces inégalités.

Mon propos ne serait pas complet si je n’évoquais pas le rôle des femmes dans l’agriculture. Je ne parle pas de celles qui restaient debout et servaient les hommes, comme en Corrèze, mais de celles qui, venant parfois de l’extérieur, ont permis de dynamiser le monde agricole. Ce fut d’abord ce que j’appellerai la modernisation ménagère, comme au sein des groupes de vulgarisation agricole, qui étaient composés, dans ma région, essentiellement de femmes. Ces femmes qui, plus que les hommes, aspiraient au progrès, ont souvent poussé leur conjoint à moderniser leur exploitation afin d’avoir une vie meilleure, car elles vivaient, elles, les difficultés spécifiques du monde agricole.

Le monde agricole est aussi marqué par l’exode. Il y eut d’abord la première génération, un peu avant la guerre, que j’appelle la génération « passerelle » parce qu’elle revenait à la campagne pendant les vacances et participait encore aux travaux agricoles. Parfois même, quand le cousin ou le frère venait passer deux jours à Paris pour le salon de l’agriculture, elle l’accueillait. Lui a succédé la deuxième génération, que j’appelle la génération de l’incompréhension. Ce sont des urbains qui n’ont conservé aucun lien avec le monde agricole, sinon qu’ils théorisent ce que leurs parents leur ont dit, ce qui génère souvent des quiproquos.

Longtemps, l’agriculture a dominé le monde rural. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les agriculteurs sont extrêmement minoritaires dans le monde rural et certains ont trop tardé à le reconnaître, ce qui a sans doute engendré un certain nombre de conflits locaux. C’est vrai partout. Ma commune compte moins de 2 000 hectares de surface agricole utile et 51 exploitants agricoles. C’est un chiffre important, mais elle compte aussi 60 artisans, ce qui est un chiffre encore plus important pour une population de 1 800 habitants.

Tout cela nous indique que le monde rural est aujourd’hui composé non seulement du monde agricole, mais aussi de tous les autres, y compris les gens qui travaillent en milieu urbain mais viennent habiter plus près de la nature. Cette situation génère un certain nombre de conflits. Je ne citerai que le conflit lié à l’environnement, dont je mesure, monsieur le ministre, à quel point il est difficile à régler, mais il doit l’être dans de bonnes conditions, en instaurant un vrai dialogue entre les uns et les autres et en évitant les excès.

Il y a un autre conflit, celui lié à l’accès à la terre, chacun considérant qu’il est anormal que le paysan soit le seul à détenir cet accès. On oublie là – peut-être ne l’a-t-on pas assez dit – que la terre est d’abord l’outil de travail du paysan et que la terre est un bien qui n’est pas extensible, qui a même tendance à se réduire.

C’est cette propension des paysans, trop longtemps perpétuée, à exiger le contrôle du milieu rural qui aujourd’hui nous joue de mauvais tours.

Mais l’agriculture – j’évoquais tout à l’heure les conséquences des lois de 1962 – est une réussite trop parfaite, si l’on considère la capacité exportatrice d’un pays comme le nôtre. Et cette réussite nous confronte, plus que d’autres, à la mondialisation, mondialisation que jamais on n’avait imaginée dans nos secteurs ruraux. Cela a profondément déstabilisé le monde agricole. « On ne nous considère plus », « On ne nous paie pas nos produits au prix de revient » disent-ils.

Les agriculteurs sont aujourd’hui tributaires d’un marché d’excédents. On entend dire que les excédents ne représentent que 3 ou 4 % de la production. Certes, mais chacun sait que ce sont les excédents qui font les prix, et non la production elle-même. Vous avez certainement entendu parler du marché aux cochons de Plérin ? Eh bien, au marché aux cochons de Plérin, c’est le cochon en trop qui fait baisser les prix, et c’est le cochon qui manque qui les fait monter. Ce n’est pas le nombre de cochons qui a de l’importance, c’est celui qui est en trop ou celui qui manque !

M. François Brottes. Très juste !

M. Jean Gaubert. C’est la logique du marché, et il faut que chacun ait cela en tête pour évaluer les points sur lesquels nous pourrons agir.

Nous vivons en outre dans une société qui réclame de la qualité, sans savoir forcément définir ce qu’est la qualité, confondant souvent la qualité sanitaire et la qualité gustative. Mais de plus, elle n’assume pas, dans ses choix de consommation, les demandes qu’elle a formulées auparavant. On demande très souvent au monde agricole certains produits, mais lorsqu’on se trouve devant les rayons de la grande distribution, on ne les achète pas ! Certes, le coût est sans doute l’un des facteurs qui limitent les achats des consommateurs, surtout dans une période où le pouvoir d’achat de nos concitoyens est attaqué de toutes parts, en particulier par la hausse de l’immobilier et des loyers et par celle des carburants, surtout en milieu rural.

Mais cela n’explique pas tout. Il est difficile pour le monde agricole d’accepter cette contradiction qui existe entre la demande exprimée par la vox populi et le constat des achats réellement effectués, qui sont souvent très différents.

La question se pose ainsi : comment rémunérer l’agriculteur, comment rémunérer la fonction de production à laquelle il est affecté, mais également les autres fonctions que l’on attend de lui, comme l’entretien de la nature ?

La loi de 1999 avait fait un pas en avant dans cette direction, en particulier avec la mise en place des CTE, qui ont été très critiqués mais dont beaucoup se rendent compte aujourd’hui qu’ils ont eu tort de les critiquer. Ils ont été remplacés par les contrats d’agriculture durable, qui devaient faire feu de tout bois, monsieur le ministre. L’objectif initial était de 10 000 contrats par an, mais je viens de comprendre que la loi de finances pour 2006 n’en prévoit que 6 000. Il est clair que sur les quelque 500 000 agriculteurs installés dans notre pays, bien peu pourront bénéficier d’un contrat d’agriculture durable.

La loi de 1999 reconnaissait également la multifonctionnalité agricole, qui traduisait notre volonté d’occuper le territoire. Quand on parle d’occuper le territoire, vous savez bien que ce n’est pas un vain mot. Notre collègue François Brottes et tous les élus montagnards mesurent la difficulté que nous aurons à garder la montagne dans l’état où elle est aujourd’hui si l’agriculture disparaît. Nous savons aussi que si nous ne prenons pas les mesures nécessaires, nous n’y parviendrons pas et que petit à petit, la montagne se videra de ses agriculteurs.

La loi de 1999 confirmait aussi le rôle des offices, mais nous aurons l’occasion de revenir sur ce point.

Monsieur le ministre, Bruxelles n’explique pas tout dans ce que vous nous proposez, en termes de marginalisation des offices et de mise en place d’interprofessions. Nous aurons l’occasion de vous le dire quand nous aborderons les articles concernés.

La reconnaissance de la multi-représentativité de l’agriculture dépasse le domaine syndical. La multi-représentativité a permis à des gens venant d’autres milieux de participer aux CDOA. Je sais que cela a dérangé, mais qui peut croire que, dans un monde où l’information circule dans de telles proportions, dans un monde où les gens sont si différents et si proches géographiquement les uns des autres, les agriculteurs peuvent continuer à régler les problèmes du monde rural entre eux, sans en débattre avec ceux qui vivent près d’eux ?

Mme Geneviève Gaillard. Très bien !

M. Jean Gaubert. C’est le meilleur moyen de faire durer les conflits actuels. Dans mon département, comme ailleurs, grâce à l’élargissement de la CDOA, un certain nombre de problèmes ont perdu de leur acuité parce que les gens en ont débattu entre eux.

M. François Brottes. Oui, grâce au dialogue !

M. Jean Gaubert. C’est important, et je crois que chaque fois que le monde agricole voudra régler ses problèmes en se repliant sur lui-même, il aura tort et il perdra.

L’agriculture doit être tournée de plus en plus vers le développement durable et la satisfaction du consommateur, et sans renier ce que j’ai dit tout à l’heure, je pense que les agriculteurs doivent se rapprocher des consommateurs pour leur parler de ce qu’ils produisent, mais aussi pour les écouter.

Il faut enfin une agriculture multiple. Le grand défaut des lois de 1962 a été de considérer qu’on allait faire entrer tout le monde dans le même moule. Aujourd’hui, on voit bien que selon les régions, selon les productions, selon les aspirations des uns et des autres et selon les débouchés, l’agriculture peut être très différente, et qu’il n’y a de commun entre tous ses acteurs que le terme d’agriculteur.


C’est la même chose pour les maires. Il m’arrive souvent de dire que Gérard, maire d’une commune de quatre-vingts habitants dans mon département et qui a huit hectares, est le même maire que Delanoë à Paris. Pour autant, ils n’ont pas les mêmes problèmes. Pierre, qui produit 100 000 litres de lait près de chez moi, est aussi agriculteur européen, de la même façon qu’Élizabeth II. Ils n’ont pas les mêmes problèmes. Ils touchent des primes européennes, mais pas la même somme. Là aussi, cela mérite un traitement très différent.

J’ai dit tout à l’heure que cette agriculture issue des lois de 1962 nous avait conduits aussi à des positions fortes sur le marché international, bon ou mauvais. Reconnaissons tout de même que la balance des paiements française en a bien bénéficié et en bénéficie encore, mais avec un certain nombre d’effets pervers, y compris de difficultés pour nous sans que nous ne parvenions toujours à les gérer.

Monsieur le ministre, beaucoup de mes collègues ont fait référence au débat de l’OMC, et je crois qu’ils ont eu raison. Votre position ne sera pas facile, celle de l’Europe non plus. Parfois d’ailleurs, nous sommes accusés à tort. Je ne reviendrai pas sur la manière dont les États-Unis soutiennent leur agriculture – d’une façon éhontée ! – et se servent des pays tiers ou des pays en voie de développement contre l’Europe. C’est totalement insupportable et personne ne pourra me contredire sur ces bancs.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Tout à fait d’accord !

M. Jean Gaubert. Mais ne l’oublions pas : nous n’avons pas toujours été innocents dans ce domaine et le soutien de l’Union européenne à la politique sucrière en Europe nous cause beaucoup de tort. Car cette concurrence que l’on fait à la canne à sucre africaine, à cause de l’histoire de la production de betteraves en France, en Allemagne et en Italie, nous porte un grand préjudice. Selon moi, nous devrons aussi accepter d’en discuter au fond et considérer qu’il n’est pas normal que nous continuions de subventionner autant ces productions, d’autant plus que nous risquons de déstabiliser les pays producteurs qui nous le feront payer très cher dans la négociation future.

Mme Geneviève Gaillard. Très bien !

M. François Brottes. C’est courageux !

M. Jean Gaubert. Nous devons balayer devant notre porte pour être forts. Et si j’ai tenu à rappeler d’abord la responsabilité des États-Unis, nous ne pouvons pas non plus nous exonérer de nos parts de responsabilité. Ce n’est plus la faute des Anglais à cause du Blocus continental ! Napoléon 1er, les paysans qui cultivaient la betterave à sucre, c’est fini ! Honnêtement, deux cents ans après, il faut arrêter de dire que c’est leur faute !

Et puis c’est une agriculture qui se retrouve à un nouveau tournant.

Les accords de Berlin, d’abord. Il faut l’admettre, sans accuser les uns ou les autres : un accord à quinze se transforme en un financement pour vingt-cinq. Inutile de faire croire le contraire ! C’est la réalité ! Être vingt-cinq à émarger sur un budget prévu pour quinze va poser quelques problèmes. Telle est la réalité et elle s’impose à tout gouvernement, quel qu’il soit. Ne la nions pas, nous devons le dire entre nous pour savoir comment répartir les aides, à qui les octroyer en priorité.

L’accord de Luxembourg, ensuite. Votre prédécesseur avait dit que nous n’accepterions jamais le découplage, ni la modulation. La modulation faisait déjà rugir sur ces bancs. C’est Glavany qui l’a inventée, avec l’accord de Fischler, et elle était considérée comme expérimentale. Nous avons eu le découplage et la modulation et, jusqu’à présent, je considère que c’est une bonne chose. Si nous voulons en effet être présents sur les marchés internationaux, les prix que nous y afficherons devront bien correspondre aux prix de ces marchés. Sinon, nous ne vendrons rien et vous serez accusé en permanence, monsieur le ministre, de subventionner vos agriculteurs à l’exportation. Or, vous le savez bien, cela se terminera un jour, même si vous vous battez, sans doute avec raison, pour allonger le délai.

Cet accord de Luxembourg n’est pas mauvais en soi. Par contre, la façon dont nous avons décidé de l’appliquer pose problème, de plusieurs façons.

D’abord, parce qu’au nom de la subsidiarité les ministres ont dit : « Laissez-nous faire notre petite salade dans chaque pays ». Que va-t-il alors se produire ? Dans un marché unique européen, nous aurons des paysans qui n’auront pas les mêmes conditions de production ni les mêmes aides ! Dans sept ans, les Allemands auront complètement découplé et auront un système d’aide qui sera, en gros, lié à la surface. Nous, nous aurons toujours nos références historiques qui seront passées entre-temps sur l’agriculteur, mais nous aurons toujours la logique « T’en avais, t’en auras ! », « T’en n’avais pas, t’en n’auras pas ! », et les productions méditerranéennes n’en auront toujours pas !

Mais plus grave, les légumiers allemands qui ont déjà posé des problèmes sur les marchés à cause des distorsions salariales, entre autres, en poseront d’autres car ils percevront des primes européennes, alors que nos légumiers n’en percevront toujours pas ! Voilà les effets pervers des choix opérés ! Ce n’est pas Bruxelles qui l’a voulu, ce sont les ministres ! Moi, je dis que lorsqu’on a un marché unique, il y faut des règles uniques. En refusant de nous adapter, nous créerons des situations inextricables. Monsieur le ministre, votre prédécesseur a réinventé les montants compensatoires monétaires, de sinistre mémoire pour les Bretons.

Mme Geneviève Gaillard. C’est vrai !

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Pour les autres aussi !

M. Jean Gaubert. Allons un peu plus loin. Certaines promesses ont été faites, et je voudrais m’arrêter sur la fameuse baisse des charges.

Monsieur le ministre, lors d’une visite en Dordogne, on vous a dit que la baisse de 20 % de la taxe foncière sur le non bâti allait conduire à une baisse de 8 % des charges des agriculteurs de cette région, nous avez-vous expliqué hier.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur Gaubert, je raisonnais sur cinq ans !

M. Jean Gaubert. Monsieur le ministre, hier, vous n’avez pas indiqué que c’était en cinq fois ! Mais quand bien même : vous ne pouvez faire croire que dans la majorité des exploitations, le foncier non bâti pèserait pour 40 % des charges ! Ceux qui vous ont dit cela ont dû se tromper avec leur calculette !

Je vous garantis que lorsqu’on connaît les charges moyennes d’exploitation dans ce pays, cela ne sera valable que dans les régions qui comptent de grandes structures, de grandes exploitations, et ne le sera pas pour la majorité des exploitations, de culture et d’élevage, où la part de la terre ne constitue pas l’essentiel dans les charges. D’autres parts sont beaucoup plus essentielles, les assurances, les charges de structure et bien d’autres. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Je suis prêt à en discuter avec vous. Mais je considère que cette mesure va, une nouvelle fois, être extrêmement inégalitaire et profiter à ceux qui ont le plus de terres, c’est-à-dire aux régions que j’ai évoquées tout à l’heure, qui perçoivent déjà beaucoup d’aides européennes.

M. François Brottes. Remarquable !

M. Jean Gaubert. En 2002, le candidat à la présidence de la République avait promis une grande loi et, puisqu’il a été élu, il a fallu s’y mettre ! Il aurait dû méditer les écrits de certains auteurs quelques années plus tôt : « C’est sans doute se donner bonne conscience à peu de frais que de prétendre tout résoudre par une loi d’orientation agricole, alors qu’il s’agit d’un problème global et intégré, qu’il s’agit de changer des comportements, des mentalités, des structures, bien plus que de se doter de nouveaux outils ou de fixer de nouvelles règles. » Il s’agit d’une citation du groupe de Seillac, lequel comprenait un de nos collègues député, M. Christian Blanc, un ancien ministre de l’agriculture, M. Michel Debatisse, des responsables agricoles dont M. Michel Teyssedou et un autre ancien ministre de l’agriculture, Edgar Pisani. Le livre en question n’est pas tout neuf, mais est encore d’actualité. Votre prédécesseur m’avait même indiqué qu’il avait invité M. Pisani à venir le lui actualiser avant de commencer sa loi d’orientation agricole.

Tout cela pour dire que faire croire aux gens qu’il suffirait d’une loi pour tout changer me paraît…

M. Michel Raison. On n’a jamais dit cela !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. En effet, on ne l’a pas dit !

M. Jean Gaubert. Monsieur le ministre, vous êtes là depuis trop peu de temps pour avoir suscité des illusions, mais vous êtes certainement solidaire du Gouvernement depuis 2002. On a donné beaucoup d’illusions aux gens sur cette loi d’orientation agricole.

D’abord, on nous avait promis une grande loi. Puis deux. On en a deux pour le prix d’une ! La première était relative aux territoires ruraux, et nous y avons passé beaucoup de temps. Or qu’en ont retenu nos concitoyens du monde rural et qu’ont-ils vu arriver sur les territoires ruraux ? J’attends toujours ! La fonction d’aménagement du territoire, l’utilisation des sols, les services publics, parlons-en ! Alors, maintenant, le ministre de l’intérieur et de je ne sais plus quoi – l’appellation change souvent – s’en préoccupe aussi !

M. Philippe Martin. La migraine ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Gaubert. Reste que, un an et demi après le vote de cette loi, nous en attendons toujours les premiers effets.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. En février-mars !

M. Jean Gaubert. On revérifiera. Si c’est février-mars, nous attendons depuis un an et cinq mois, puisque cette loi date de 2004, monsieur le ministre.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. 2005 !

M. Jean Gaubert. Effectivement, j’oubliais la promulgation de la loi. J’en étais encore à notre débat dans cet hémicycle, comme beaucoup de nos concitoyens qui croient naïvement que lorsqu’un texte est voté, il s’applique ! Malheureusement, c’est vrai, ce n’est pas toujours ainsi et c’est compliqué.

M. Michel Raison. Quelle que soit la majorité !

M. Jean Gaubert. Quelle que soit la majorité, mon cher collègue Raison, je vous l’accorde ! De toute façon, je n’ai pas beaucoup d’illusions parce qu’aucun moyen ne figure dans cette loi ; elle comporte simplement quelques exonérations. « Tu veux un médecin chez toi ; si un type veut venir, dispense-le de payer ses impôts et peut-être viendra-t-il » ! En gros, c’est ça ! Mais en attendant, ce sont les pauvres du secteur qui paieront les impôts à sa place car il faudra bien que quelqu’un les paie !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Ne cédez pas à la caricature !

M. Jean Gaubert. Et puis, j’y viens, une deuxième loi, celle que vous nous présentez, monsieur le ministre, précédée par une commission importante. Quand nous avons eu connaissance de la composition et surtout de la présidence de cette commission, nous avons craint le pire et n’avons pas eu tort. Présidée par M. Jean-Marc Sylvestre, un éminent journaliste ultralibéral – il se situe lui-même de ce côté-là –, nous ne pouvions pas attendre beaucoup mieux de la préfiguration. Mais il y a plus grave : parmi la majorité des préconisations qu’elle vous a faites, vous n’avez retenu que les plus libérales d’entre elles.

Certes, il y a eu un débat en région, vous avez rencontré les partenaires, je vous l’accorde. Ils nous ont d’ailleurs dit qu’ils avaient eu le sentiment d’avoir été écoutés. Mais ont-ils été entendus ? Je n’en suis pas complètement sûr car eux-mêmes avouent leur déception, même si certains, passé l’été, sont un peu moins déçus – on a dû leur faire quelques promesses. Sans redire la citation des amis de M. Pisani, on pouvait tout de même attendre un certain nombre de choses de cette loi d’orientation.

D’abord, la prise en compte des mutations de l’agriculture. Je l’ai évoqué tout à l’heure, l’agriculture ne domine plus le monde rural. Les successions familiales ne sont plus automatiques. Auparavant, quand les parents étaient paysans, on était paysan ; il y en avait au moins un. Je suis issu d’une famille de huit : on est quatre paysans, avec une petite ferme. Ma femme vient d’une famille de huit enfants : ils sont quatre à être paysans. Mais aujourd’hui, tout cela est fini ! L’installation se fait de plus en plus en dehors du milieu familial, et il faut en tenir compte. Or je ne suis pas sûr que votre projet de loi aille dans ce sens.

Je l’ai dit, la relation au consommateur a changé : il n’attend plus le paysan pour manger. L’intégration par la filière progresse et précarise les plus faibles. Cela me fait penser au secteur que je connais bien dans ma région où les gens intégrés à la filière volaille connaissent de très mauvaises et de petites années, jamais de bonnes. Souvent, en les entendant raconter leur histoire, je pense à une bande dessinée bien connue, Astérix aux Jeux olympiques, où sautant sur un bateau, il découvre un marchand phénicien qui lui dit : « Je vais vous présenter mes associés ». En fait, ce sont les galériens qui rament ! Eh bien l’intégration dans la filière volailles, c’est tout à fait ça !

M. Michel Raison. Avez-vous réglé le problème ?

M. Jean Gaubert. Nous sommes complètement d’accord, monsieur Raison, nous sommes là pour prendre en compte les problèmes et essayer de les résoudre. C’est d’ailleurs peut-être parce que nous n’avons pas tout fait que vous nous avez remplacés !

M. Jean Dionis du Séjour. Bel éclair de lucidité !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Quel aveu !

M. Jean Gaubert. Mais acceptez que nous vous disions maintenant ce qu’il faudrait faire…

M. François Brottes. Oui, ne faites pas la même bêtise !

M. Jean Gaubert.… pour éviter qu’il vous arrive le même problème qu’à nous !

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances. On a de l’imagination dans l’opposition ! (Sourires.)

M. Jean Gaubert. Le marché européen est devenu une réalité, même si des progrès doivent encore être faits, en particulier, et je sais que vous y êtes sensible, monsieur le ministre, en matière de contrôle sanitaire. Ce n’est pas à cause des dockers qu’on ne débarque plus beaucoup de produits alimentaires dans le port de Marseille, mais plutôt dans les ports d’autres pays, c’est parce qu'en Europe, les contrôles sanitaires sont encore inégalitaires et qu’à partir du moment où un contrôle sanitaire a été fait dans un port, le produit est réputé accepté sur l’ensemble des pays de l’Union européenne.


M. Pierre Morel-A-L’Huissier
.
Il faut plus d’Europe !

M. Jean Gaubert. J’en suis convaincu.

M. Germinal Peiro. Il faut harmoniser !

M. Jean Gaubert. Et je vous encourage, monsieur le ministre, à vous battre pour que, enfin, l’Europe se dote d’un corps d’inspection sanitaire qui effectuera les mêmes contrôles, en fonction des mêmes critères et selon le même mode de fonctionnement partout dans l’Union. Ce sera une bonne chose, non seulement pour les producteurs bretons, mais aussi pour tous ceux qui vendent des denrées agricoles et, en particulier, des denrées fraîches.

La mondialisation a produit ses effets et la crise de l’énergie change la donne. Nous aurons l’occasion de parler des carburants à base de produits agricoles, mais c’est également du point de vue des échanges mondiaux qu’il faut s’attendre à des changements. Si le prix de l’énergie s’établit durablement à des niveaux aussi élevés, il ne sera peut-être plus très intéressant de faire traverser les mers à quelques tonnes de viandes qui n’offrent que peu de valeur ajoutée.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. C’est vrai !

M. Jean Gaubert. Il se pourrait bien qu’on change d’attitude d’ici à quelques années et que, étant moins attaquées par des produits d’importation, nos régions retrouvent une partie de leurs marges. Mais nous devrons nous aussi affronter cette situation et nous ne pourrons plus continuer d’exporter de la même façon à l’autre bout de la planète. Pour l’heure, nous n’avons aucune certitude, mais nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur les effets à long terme d’une crise qui est bien différente de celle de 1973. À l’époque, en effet, c’étaient les producteurs qui avaient fermé le robinet ; aujourd’hui, ce sont les consommateurs qui demandent qu’on l’ouvre davantage, alors que les producteurs n’ont aucun intérêt à le faire.

La financiarisation de l’agriculture n’a jamais été aussi forte. Chacun voit qu’on ne peut désormais s’installer sans disposer d’importants capitaux. Je ne suis pas sûr que les mesures que vous proposez contribuent à faciliter l’installation des jeunes, puisqu’elles se bornent à des exonérations fiscales pour les cédants : où a-t-on vu que cela allait bénéficier à ceux qui s’installent ?

Il aurait fallu mettre en œuvre une politique de pérennisation des exploitations agricoles et de gestion des crises. Le monde agricole vit en effet au rythme des crises, et ce ne sont pas les interprofessions, dans l’état où elles sont et dans celui où elles seront demain, qui auront la capacité de les gérer. Leurs responsables considèrent d’ailleurs que ce n’est pas leur travail, et on ne voit pas bien comment, dans une confrontation entre les uns et les autres, on pourra prendre en compte la situation des plus démunis.

Il aurait encore fallu donner une nouvelle définition de l’activité agricole et, en particulier, dire ce qu’est un actif agricole. Aujourd’hui, c’est très clair : un actif agricole, c’est un paysan qui travaille. Mais demain, lorsqu’il suffira d’entretenir la terre sans avoir besoin de la louer, rien n’interdira à un cadre, à un fonctionnaire ou à un chef d’entreprise de travailler à 300 kilomètres des terres qu’il possédera, de faire passer deux fois par an un entrepreneur agricole avec son gyrobroyeur et d’empocher les primes.

M. François Brottes. Écoutez bien !

M. Jean Gaubert. Quand on aura défini ce qu’est un agriculteur, il sera plus facile de savoir à qui on donne de l’argent. Mais si, demain, la société − qui a déjà du mal à comprendre qu’on doit aider les paysans parce qu’on ne paye pas leurs produits à leur juste prix − constate que ce ne sont plus les producteurs qu’on aide, mais des propriétaires de terres qui ne produisent rien et ont déjà des revenus élevés, elle ne l’acceptera pas et nous assisterons à une remise en cause drastique de la politique agricole commune et des aides accordées aux vrais agriculteurs. Voilà pourquoi il faut absolument définir ce qu’est un paysan. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Si l’on n’y prend garde, les DPU vont également avoir un effet dévastateur.

Je ne reviendrai pas sur la politique de l’export que j’ai évoquée tout à l’heure.

Certes, l’enseignement agricole ne fonctionne pas mal, et il a été, malgré ses défauts et la difficulté qu’il a parfois à se réorienter, un creuset extraordinaire où ont été formés des jeunes agriculteurs de plus en plus compétents − ce qui était bien la moindre des choses mais qui ne va pas toujours de soi. Néanmoins, on aurait pu attendre, monsieur le ministre, une vraie réflexion sur un volet formation.

Quant aux mesures en faveur des salariés agricoles, on n’en trouve qu’une seule dans ce projet de loi, et ce n’est pas celle que nous attendions. Aujourd’hui, l’agriculture manque de bras et, parfois, de moyens pour les payer. Or vous proposez que les gens puissent travailler plus longtemps, dans le cadre d’un accord d’entreprise. Mais on sait bien que le patron sera en position de force et que c’est lui qui emportera la décision. Si l’on impose trop au salarié, il risque d’aller voir ailleurs. Cette mesure d’assouplissement n’est dont pas favorable au salarié en agriculture, bien au contraire.

De même, il faut éviter de répéter ce sempiternel discours qui n’est pas plus favorable au salariat et à l’installation, et qui consiste à prétendre que les agriculteurs travaillent beaucoup plus que les autres. Certes, ils le font parfois, mais il serait bon de décompter toutes les pauses de la journée de travail d’un paysan. Je sais de quoi je parle, et c’est aussi le cas dans les abattoirs de ma région : les pauses ne manquent pas.

M. François Sauvadet. Et le stress ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il n’y a pas de machines à café dans les campagnes !

M. Jean Gaubert. Je connais bien ce métier, je l’ai exercé pendant trente ans et, comme les autres, j’ai fait des pauses.

M. Germinal Peiro. Écoutez les professionnels !

M. Jean Gaubert. En outre, pour se rendre à leur travail, les agriculteurs mettent au maximum deux ou trois minutes, alors que, dans la région parisienne, les gens mettent une heure et demie ou deux heures le matin et autant pour rentrer le soir. La vraie différence n’est pas quantifiable : quelqu’un l’a dit, c’est le souci permanent et le stress, en particulier pour ceux qui travaillent de la matière vivante. Mais cela fait partie de l’engagement du paysan. Toutefois, si l’on souhaite donner une bonne image de l’agriculture, il ne faut pas passer son temps à la ternir avec des arguments qui ne sont pas toujours justes.

Il aurait également fallu parler des autres missions de l’agriculture : la production de biocarburants ou l’aménagement du territoire. Il est vrai qu’il est question du biocarburant, mais il reste beaucoup à faire en ce qui concerne l’aménagement du territoire.

Bref, eu égard à tous les manques que j’ai énumérés, et sans parler des sujets que je n’ai pas évoqués, ce texte est incomplet, inachevé, dangereux et ne relève aucun des défis qui se présentent à nous.

Il est incomplet, car il n’aborde ni la formation, ni la mondialisation, ni l’exportation, ni le financement, ni la problématique du salariat, ni la multifonctionnalité de l’agriculture. Il ne concerne ni l’économie agricole du Sud de la France et les productions méditerranéennes − à l’exception du démantèlement des offices − ni la viticulture, et il n’évoque que très peu la montagne − quelques promesses ayant été faites à l’approche du congrès de l’association nationale des élus de la montagne.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il y a tout de même de bonnes choses pour l’organisation des producteurs de fruits et légumes !

M. Jean Gaubert. On n’a pas non plus abordé − en tout cas pas comme il le fallait − la question de la rareté du sol et quelques autres problèmes qui sont loin d’être marginaux. Je pense en particulier au dossier de la collecte du lait dans les écarts, monsieur le ministre.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Tout à fait !

M. François Brottes. En zone de montagne notamment !

M. Jean Gaubert. En montagne notamment, mais pas seulement : nos collègues de la Manche ou du Calvados savent que le problème commence à se poser aussi dans leurs départements.

M. Germinal Peiro. Absolument !

M. Jean Gaubert. C’est une vraie difficulté.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Ce n’est pas du ressort de la loi d’orientation ! Mais il s’agit d’un vrai problème, et nous le traiterons !

M. Jean Gaubert. Monsieur le ministre, c’est un problème d’aménagement du territoire que nous ne résoudrons qu’en le prenant à bras-le-corps.

Ce texte est inachevé, puisqu’on ne connaît pas la teneur de toutes les ordonnances qui doivent le compléter. J’en ai parlé hier : il y en a une qui m’avait échappé, je le reconnais, mais une autre a été réécrite depuis. C’est bien la preuve que la précipitation caractérise le fonctionnement de ce gouvernement.

Enfin, ce texte est dangereux parce qu’il prépare une nouvelle grande migration. On voit bien, en effet, que ce que vous mettez en place va favoriser l’agrandissement des exploitations existantes…

M. Germinal Peiro. Bien sûr !

M. François Brottes. C’est fait pour ça !

M. Jean Gaubert. …au lieu de créer de nouvelles exploitations ou même de permettre à des jeunes de reprendre des exploitations viables. Les jeunes ne trouveront donc plus leur place, par suite de l’abandon de la politique des structures. Vous parlez d’« allègement », ce qui revient au même, et d’un « parent ou allié jusqu'au troisième degré ». Qui, en Bretagne, n’a pas de cousins au troisième degré ? Dans ces conditions, les CDOA ne servent plus à rien.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Et en Corse ?

M. Jean Gaubert. Je ne parle pas de la Corse parce que, avec les arrêtés Miot, tout le monde est propriétaire de tout. Il n’y a donc, de ce point de vue, aucune difficulté pour les Corses.

Vous avez raison, monsieur le ministre, de dire que de nombreux dossiers sont entérinés à la CDOA.

M. François Brottes. Ce sont les bons dossiers qui lui sont soumis !

M. Jean Gaubert. Mais les gens ralentissent quand ils savent qu’il y a des radars, et, quand il n’y en a pas, ils roulent beaucoup plus vite. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. Très bonne démonstration !

M. Jean Gaubert. C’est la même chose avec la CDOA : seuls sont présentés les dossiers qui vont passer ou qui sont à la limite. Dès lors qu’il n’y aura plus de CDOA, il n’y aura plus de règles à respecter.

M. Philippe Martin. La vertu est en amont et le vice en aval !

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Vous voulez développer la méfiance !

M. Jean Gaubert. Il en est de même, monsieur le ministre, avec les commissions d’environnement, notamment pour les installations classées. Certains ont dit que ces commissions adoptaient tout. Rien de plus normal, car les gens qui déposent des dossiers ne sont pas idiots et respectent la réglementation. Mais quand il n’y aura plus de commission, quand il n’y aura plus de règles, pourquoi les gens s’en fixeraient-ils d’eux-mêmes ?

M. André Chassaigne. C’est l’objectif recherché !

M. Jean Gaubert. On verra donc des agrandissements qui ne correspondront pas du tout à la politique et à la philosophie qu’on a voulu mettre en place.

M. François Brottes. Les masques tombent !

M. Jean Gaubert. J’ai déjà évoqué l’élévation des seuils et l’élargissement de la notion de parenté. Un de mes vieux copains disait : « Il vaut mieux se répéter que de se contredire. »

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Et vice-versa !

M. François Sauvadet. Ça dépend de ce qu’on dit !

M. Jean Gaubert. Nous avons tous, mon cher collègue, le sentiment de dire des choses justes. Ce sont nos interlocuteurs qui ne les perçoivent pas de la même façon que nous.

M. François Sauvadet. Vous êtes sûr de ça ?

M. Jean Gaubert. Je ne prétends pas qu’elles sont forcément justes, mais que nous avons le sentiment qu’elles le sont. La terre n’est pas un bien extensible, sa disponibilité régresse. Chaque année, en France, un million d’hectares changent de propriétaires. Dans le même temps, 100 000 hectares quittent l’agriculture : 60 000 vont à l’urbanisation et 40 000 deviennent improductifs, leurs acheteurs souhaitant les laisser en friche pour y faire des chasses…

M. Philippe Martin. Pour y mettre des chevaux !

M. Jean Gaubert. …ou pour y mettre des chevaux. Je conseille à mes collègues de l’UMP d’examiner de près les amendements portant sur les huiles végétales. Dans sa rédaction, le texte ne prévoit une autorisation que pour l’autoconsommation. On risque donc de voir des gens conserver quelques parcelles de terre pour bénéficier de ce droit à l’autoconsommation.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il a raison !


M. Jean Gaubert
.
Avez-vous bien mesuré l’effet dévastateur que pourrait avoir une telle mesure, notamment pour l’installation des jeunes agriculteurs ? Il ne sera pas anodin. Certains garderont quatre ou cinq hectares pour pouvoir user de ce droit à l’autoconsommation. Je voudrais que vous réfléchissiez à cet important effet pervers.

M. Philippe Martin. Même le ministre est ébranlé.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. C’est la raison pour laquelle nous allons lever la contrainte de l’autoconsommation !

M. Jean Gaubert. Je parlais des 100 000 hectares qui quittent chaque année l’agriculture. Mais il y a aussi 500 000 hectares qui sont consacrés à l’agrandissement. De sorte qu’il en reste peu pour l’installation. Si on assouplit encore les règles, il en restera encore moins pour l’installation et il ne faudra pas venir pleurer.

Faut-il ne pas mener d’action sur les terres ? Le marché se régulerait-il tout seul ? Non. En effet, depuis 1996, le revenu de l’agriculture – pas de chaque agriculteur, heureusement – a baissé de 22 % tandis que le prix du foncier a augmenté de 31 %. C’est dire que la pression foncière n’est pas terminée, et les DPU n’y changeront pas grand-chose, si ce n’est que certains propriétaires pourraient préférer garder leurs terres plutôt que les mettre sur le marché de la vente ou de la location.

J’ai été heureux, monsieur le ministre, de vous entendre dire qu’il ne fallait pas toucher aux SAFER. Certes, elles ne sont pas exemptes de quelques erreurs ni de quelques dérapages ici ou là, et nous aurions tort de ne pas en tenir compte, mais ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain. Nous avons encore besoin d’une politique foncière, et donc de cet outil.

Peut-être pourrait-il être démocratisé et ses décisions mieux connues ? Pourquoi les débats des SAFER ne seraient-ils pas publics ? Ceux de nos conseils municipaux le sont bien. Cela n’a pas tué la démocratie ni empêché les conseils municipaux de prendre les bonnes décisions. Prendre les décisions en catimini accrédite l’idée qu’on a quelque chose à se reprocher, qu’on a fait des choses pas très catholiques.

M. Louis-Joseph Manscour. Tout à fait !

M. Jean Gaubert. Je voudrais également vous encourager, monsieur le ministre, – mais vous l’avez fait certainement – à méditer les propos de M. Grosmaire hier. Il a demandé que les fameux contrôles soient simplifiés, non allégés. La nuance est de taille. Puisque vous avez semblé apprécier son propos, nos amendements à ce sujet devraient recevoir un accueil favorable.

J’en viens au fonds agricole. Grande trouvaille, qui devrait permettre, nous dit-on, l’installation des jeunes. Je n’ai pas encore compris comment. La référence au fonds de commerce n’a aucun sens. Un fonds de commerce, c’est quelque chose qu’on connaît : il y a une clientèle, un emplacement… Pour les agriculteurs qui travaillent avec une coopérative ou un industriel, je ne parle pas de ceux qui font de la vente à la ferme ou sur les marchés, cette notion ne peut pas s’appliquer.

On va mettre dans ce fonds des éléments à valeur fluctuante.

M. François Brottes. Voire virtuelle !

M. Jean Gaubert. Prenons les stocks par exemple. Vous me direz que le paysan peut garder des stocks constants. Mais ce n’est pas parce qu’il aura gardé des stocks constants que ceux-ci auront conservé la même valeur. Celle-ci varie selon l’année, selon le mois, en fonction du marché.

M. Antoine Herth, rapporteur. Comme pour le fonds de commerce.

M. Jean Gaubert. Non, ce n’est pas tout à fait la même chose. Je peux développer, si vous le souhaitez.

M. Antoine Herth, rapporteur. Ce n’est pas la peine.

M. Jean Gaubert. Le fonds agricole serait également nanti par les DPU, qui sont nés de la dernière réforme, que les gens n’ont pas payés, qu’on va vendre. Mais les jeunes qui les auront achetés ne pourront peut-être pas les revendre puisque personne ne peut en garantir la pérennité, après 2013. Comment peut-on nous expliquer qu’ils vont devoir acheter plus cher ? Car tel sera bien le cas. J’ai constaté en effet, lors du dernier congrès des fermiers et métayers, notamment dans la prose des dirigeants, que ceux-ci se félicitaient de ce petit pécule supplémentaire qu’ils toucheraient ainsi pour partir. Si les uns, ceux qui partent, touchent de l’argent, c’est forcément que les autres, ceux qui entrent, vont payer davantage. C’est une charge supplémentaire pour les jeunes qui s’installent. (« Cela existait déjà ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Le Guen. Il y avait une surévaluation des bâtiments !

M. Jean Gaubert. Le nantissement ne va pas changer grand-chose puisque le warrant agricole existait déjà. Le warrant agricole, je le sais par expérience, constituait un bouclage extraordinaire, et il en sera de même avec le nantissement : il n’aura de valeur que si l’agriculteur s’engage à garder les choses pareilles, alors qu’il pourrait avoir envie de réorienter l’exploitation.

Le fonds agricole risque d’être une formidable machine à scléroser l’agriculture. Je ne prendrai qu’un exemple parce que je ne veux pas vous abreuver, je pourrais en trouver cinquante. Prenons le cas d’un jeune candidat à la reprise d’une ferme comprenant cinquante Holstein, un quota de 500 000 litres de lait, du maïs, une ensileuse…

M. Jacques Le Guen. Belle exploitation !

M. Michel Raison. C’est un paysan de droite, ça ! (Sourires.)

M. Jean Gaubert. Le sortant était un paysan de droite, c’est vrai, mais celui qui entre, ce n’est pas sûr.

M. Yves Simon. Il le deviendra !

M. Jean Gaubert. Peut-être chez vous, mais pas chez nous. Cela dépend du député du coin. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Ce jeune annonce qu’il veut faire de la Limousine bio avec de l’herbe.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Dans ce cas, il n’achète pas cette exploitation.

M. Jean Gaubert. J’ai dit tout à l’heure que la terre était un bien rare. Il n’y en aura peut-être pas d’autre tout autour.

M. Yves Simon. Il fait un échange de droit à produire alors !

M. Jean Gaubert. Mais vous venez de donner la clé du problème, monsieur le ministre : il n’a plus qu’à s’en aller, parce que c’est celui qui cède qui a décidé de ce qu’il devrait faire ! Vous rendez-vous compte de l’aveu que vous venez de nous faire ?

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Mais non ! Le boulanger n’achète pas une charcuterie !

M. François Brottes. C’est un tournant dans le débat !

M. Jean Gaubert. J’y reviendrai.

Mais, dans le fonds, vous mettez également des biens amortissables, ce qui me conduit à évoquer le problème des exonérations fiscales.

En agriculture, les plus-values sur ce qui constituera le fonds, c’est tout simplement l’impôt qu’on n’a pas payé parce qu’on a amorti trop vite des biens qui se dépréciaient en réalité moins vite que l’amortissement.

M. Michel Voisin. C’est vrai dans toutes les affaires !

M. Jean Gaubert. J’achète un tracteur et je l’amortis sur cinq ans. Mais au bout de cinq ans, il vaut encore de l’argent. Et pourtant, je n’ai pas payé d’impôt, grâce à l’amortissement. En réalité, j’ai triché vis-à-vis de la collectivité.

M. Michel Voisin. Si le président de la commission des finances était là, il relèverait la durée de l’amortissement.

M. Jean Gaubert. Et alors que j’ai triché, je demande encore des exonérations fiscales et on va m’en donner ? Je suis prêt à débattre mais franchement…

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. C’est l’application de la règle générale. Vous voulez faire payer les paysans un peu plus ?

M. Jean Gaubert. Je trouve un peu fort qu’un ancien fonctionnaire, qui peut encore le redevenir, critique les fonctionnaires.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Le débat devient local ! (Sourires.)

M. Jean Gaubert. Tout le monde n’a pas un parachute comme vous, mon cher rapporteur. Je toucherai une retraite le prochain coup, mais jusque présent je n’avais rien.

En outre, alors que vous êtes membre de la majorité, vous tirez des chèques sur l’avenir avec un État qui n’a plus d’argent, qui n’a plus que des dettes. Franchement ! Et ce pour quelques personnes seulement qui ne seront pas les plus malheureux parmi les agriculteurs cédants. Le fonds des smicards ne vaut pas très cher. Or il est proposé d’exonérer jusqu’à 300 000 euros, c’est-à-dire 2 millions de francs. La plupart des exploitations agricoles valent beaucoup moins de 2 millions de francs ; et ceux qui bénéficieront de cette mesure seront très peu nombreux. Ils constituent peut-être votre électorat mais ce sont des privilégiés.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. C’est le régime général !

M. Jean Gaubert. Le bail cessible est une bonne idée, mais quel parcours du combattant ! Il y a cinquante ans, un propriétaire avait plusieurs fermiers. Aujourd’hui, un fermier a plusieurs propriétaires. Cela a changé. Il n’était pas simple de discuter avec un seul propriétaire, au moins n’avait-on qu’une discussion. Maintenant, pour que le bail cessible fonctionne, il faudra avoir obtenu l’accord de tous les propriétaires, puisqu’on a dit que l’exploitation était un tout. La discussion ne sera pas toujours simple.

Cette mesure sera, au mieux, inopérante parce que trop compliquée à mettre en place. Je ne vois pas comment on arrivera, d’autant que certains ne loueront plus leur terre en espérant bénéficier des circonstances d’urbanisation qu’on connaît bien dans nos communes. C’est un vrai problème et vous n’avez pas sur ce sujet fourni les réponses qui permettraient d’apaiser ceux qui ont essayé d’expertiser la situation que vous allez créer.

Enfin, quelles garanties aura l’agriculteur à la fin du bail ? Certes, dix-huit ans plus cinq ans, c’est déjà long, mais cela ne suffit pas à aller jusqu’à l’âge de la retraite si on s’est installé à vingt-cinq ou à trente ans. Or on pourra, au terme de ce délai, être congédié, certes avec une indemnité mais sans justification. C’est un réel problème. On pourra se retrouver à cinquante ou cinquante-cinq ans sans possibilité de reconversion. D’autant que, en réalité, le bail des dix-huit ans aura commencé avec le prédécesseur. Bref, c’est à quarante-cinq ans qu’un agriculteur pourra se retrouver sans rien.

M. Antoine Herth, rapporteur. Le texte propose cinq ans au moins.

M. Jean Gaubert. Mais certains proposent neuf, je trouve que vous seriez bien inspiré de les suivre sur ce sujet-là.

Mme Brigitte Barèges, rapporteure pour avis. Cela se fera avec l’accord des parties.

M. Antoine Herth, rapporteur. On peut même aller jusqu’à dix-huit ans !

M. Jean Gaubert. Je suis favorable à des baux de carrière parce que je crois qu’il est très difficile pour un agriculteur de se réorienter à un âge avancé, je ne vais pas revenir sur ma démonstration, je pense que vous l’avez comprise.

Mme Brigitte Barèges, rapporteure pour avis. Chacun aura le choix !

M. Jean Gaubert. Je ne reviens pas sur les biocarburants, si ce n’est pour noter que vous donnez satisfaction généralement, sauf sur le problème des huiles végétales sur lequel je vous encourage à faire un pas de plus, sous peine d’être confronté, très rapidement, à un problème difficile à gérer.

Reste un certain nombre de sujets qui ne sont pas traités.

Il en est ainsi de la coopération. Sur ce point, je vous encourage à reprendre davantage d’idées du rapport de notre collègue François Guillaume, que je n’approuve pas dans sa totalité mais qui pose de bonnes questions. Pour le moment, vous avez dit que vous étiez ouvert. J’espère que vous serez sensible aux propositions qui vont dans le sens d’une plus grande démocratisation, d’une plus grande responsabilisation dans les coopératives agricoles et aussi d’une plus grande association des salariés – je ne parle pas d’association au capital, je parle d’association à la responsabilité.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Moi, je parle d’association au capital !

M. Jean Gaubert. La responsabilité d’abord.

Quelque chose me choque toujours dans le débat entre le monde agricole et le monde ouvrier. Quand, dans ma région, j’entends des gens dire : « Ils ont ben de la chance qu’on leur donne du travail », je réponds : « Nous avons bien de la chance qu’ils acceptent de découper nos cochons et nos poulets dans les conditions où ils le font. » Nous avons tous partie liée et il est important qu’on le reconnaisse.

Cela mérite une discussion. Or je constate, avec regret, que nous n’aurons qu’un débat tronqué sur la relation entre les paysans, leur amont et leur aval.

Un mot sur les interprofessions. J’ai parlé de la fin des offices, réduits à un rôle croupion. On nous dit que c’est Bruxelles qui l’a voulu, nous aurons l’occasion d’en débattre, je n’y insiste pas, mais je ne suis pas persuadé qu’il n’y a pas aussi une volonté de passer à une autre phase, qui m’inquiète beaucoup. Comment sera rempli le rôle de régulation, si nécessaire, qui n’a été assuré qu’imparfaitement par les offices, je veux bien le reconnaître ?


Comment sera remplie la fonction de régulation, si nécessaire, bien qu’imparfaitement assurée, je le reconnais, par les offices ? Et celle d’orientation ? Qui sera représenté ? On parle des « principaux intéressés ». Cela signifie que d’autres en seront exclus. Dans un organisme public, l’État, au nom de l’intérêt général, est aussi le garant des intérêts de ceux qui ne sont pas représentés. Ce ne sera pas le cas ici. Quelle part laissera-t-on à l’agriculture différente, à ceux qui pratiquent la vente directe ou la culture biologique ? Ils sont minoritaires, on le sait. Dans un système qui ne représente que les plus importants, ils risquent d’être laminés. L’orientation se fera en faveur d’une agriculture à vocation exportatrice, au détriment d’une autre agriculture, partie intégrante de notre tissu rural, qui fonctionne avec des marchés de proximité, propose des produits différents et consomme beaucoup moins de subventions européennes, contrairement à la première, animée par de grands managers qui, tout compte fait, s’apparentent plutôt, de par l’origine publique de leurs revenus, à de hauts fonctionnaires.

J’ai déjà évoqué la question de la formation. Je n’y reviendrai pas, si ce n’est pour rappeler la nécessité d’un débat sur son orientation, laquelle ne peut être détachée de l’orientation de l’agriculture elle-même. J’ai salué le rôle des lycées agricoles, des maisons familiales rurales et d’établissements similaires dans la formation des paysans d’aujourd’hui. Je le répète, une nouvelle orientation de la politique agricole doit prendre en compte la question de la formation.

J’en viens au statut des gens qui travaillent dans les exploitations, et en particulier des femmes, évoquées hier par ma collègue Danièle Bousquet. Il y a trente ou quarante ans, le problème ne se posait pas, ne serait-ce que parce que la stabilité des couples n’était pas la même. Mon propos n’est pas de porter un jugement sur cette évolution, mais de souligner une réalité. C’est pourquoi il est aujourd’hui inconcevable qu’un conjoint travaille dans une exploitation sans bénéficier d’un statut.

M. Jean Dionis du Séjour. Cette question figure dans le projet de loi !

M. Jean Gaubert. Mais il n’y a aucune obligation ! Alors que la loi Dutreil, à la demande des organisations syndicales du monde de l’artisanat, a rendu obligatoire le statut du conjoint de chef d’entreprise, ici il ne s’agit que d’une possibilité. Nous vous présenterons donc un amendement instituant une telle obligation.

M. Michel Piron. Moi aussi !

M. Jean Gaubert. Dans ce cas, nous allons pouvoir nous entendre. Une telle avancée est nécessaire, car ce sont souvent les femmes et les personnes les plus fragiles qui font aujourd’hui les frais de cette lacune.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Nous sommes d’accord !

M. Jean Gaubert. L’encouragement des agriculteurs à s’assurer n’est certes pas une idiotie. Mais là aussi, tant que cela restera facultatif, il y aura toujours des gens pour s’en abstenir, par mesure d’économie ou par méconnaissance. Nous risquons donc de devoir gérer des situations dramatiques. Je pense qu’il faudrait, au moins pendant une certaine période, maintenir un filet de sécurité pour éviter que certains, soit par défaut de prévention, soit par manque de moyens, ne se retrouvent à la rue après avoir subi des aléas. Quand on est dans une situation financière difficile, on essaie en effet de « gratter » un peu sur tout, y compris, éventuellement, sur l’assurance, dont on dit qu’elle n’est chère que quand on ne s’en sert pas. Il faut donc trouver les moyens d’offrir, d’une façon ou d’une autre, une sécurité à tous les agriculteurs.

Je ne dirai que quelques mots de la sécurité sanitaire, pour rappeler les différences entre les pays de l’Union européenne – pour ne pas parler des importations provenant de régions extérieures à l’Union, comme l’Amérique du Sud. La France contrôle ses producteurs, tandis que de nombreux pays européens contrôlent les produits à la consommation. Il en résulte qu’un produit exporté de France peut être contrôlé deux fois, tandis que certains produits venus de l’étranger et vendus en France peuvent ne pas être contrôlés du tout, sauf par la DGCCRF, mais celle-ci ne peut agir que dans le cadre d’une mission restreinte – concernant les dates de péremption, par exemple – et non procéder à certaines recherches qualitatives. Il y a donc, je le répète, urgence à se doter d’un vrai statut du contrôle sanitaire au niveau européen.

M. François Sauvadet. C’est vrai !

M. Jean Gaubert. Nous aurons l’occasion de débattre d’autres mesures dans les jours, voire dans les semaines qui viennent – si vous adoptez ma motion de renvoi en commission. (Sourires.) S’agissant par exemple des chambres d’agriculture, nous assistons à un renforcement du poids des échelons intermédiaires, au niveau régional, et de l’échelon supérieur qu’est l’assemblée permanente des chambres d’agriculture. Or seules les chambres départementales ont réglé le problème de la représentation des minorités. En outre, si le pouvoir est transféré, il faudra bien se poser la question de la représentativité. Un établissement ayant beaucoup de pouvoir mais peu de représentativité ne peut en effet pas tenir longtemps : la situation n’est jamais à son avantage. Si de grandes réticences s’étaient exprimées lors de l’arrivée des minoritaires dans les chambres départementales, aujourd’hui, tout le monde s’accorde à trouver que cela fonctionne plutôt bien, et même que cela permet souvent de rapprocher les points de vue. Nous avons tous intérêt à ne pas entretenir de débats stériles : les débats justifiés sont déjà suffisamment nombreux.

Que devient l’ADAR ? J’espère qu’à un moment ou à un autre, monsieur le ministre, vous nous en direz un mot de cette belle invention, pas si ancienne, et qui pourtant disparaît déjà, pour des raisons que nous n’avons pas très bien comprises. Vous les connaissez sans doute beaucoup mieux, et des éclaircissements seront donc bienvenus.

La loi sur l’élevage fait l’objet, si j’ai bien compris, de nombreuses tergiversations. J’ai pu lire, sur Internet, plusieurs textes en circulation sur ce sujet. Je ne rappellerai que quelques principes. Il faut être clair : on ne peut pas jouer avec l’amélioration génétique. C’est un travail de long terme, et qui nécessite donc un cadre, un contrôle, et surtout un contrôle public. Et c’est ce contrôle public qui doit déclencher l’autorisation de vente. L’accès aux semences étrangères doit être réglementé, y compris pour des raisons sanitaires. En revanche, vous ne pourrez pas maintenir longtemps le blocage en ce qui concerne la mise en place des semences. Je n’ai pas besoin de vous faire un cours de libéralisme : vous savez à quel point Bruxelles est chatouilleux sur ces questions. Le problème ne se pose toutefois que pour les ruminants. Pour les autres catégories d’animaux, le monopole sur la mise en place des semences n’a jamais existé. Ainsi, en tant que producteur de porcs, je n’ai jamais eu besoin d’un inséminateur. Quoi qu’il en soit, vous devez réfléchir à une réorganisation du secteur.

J’aurais encore beaucoup d’autres choses à dire, mais je suis parvenu à la limite de mon temps de parole.

Pour conclure, ce texte…

M. Michel Voisin. …est bon !

M. Jean Gaubert. …a suscité beaucoup d’espérances. Certains de nos collègues ont pu exprimer, du haut de cette tribune, une déception à la mesure de leurs attentes. Voilà un projet qui, alors qu’il commençait à s’apparenter à l’Arlésienne, nous est finalement présenté sous une forme très imparfaite et inachevée, au point de conduire la majorité à présenter beaucoup plus d’amendements que l’opposition ! La tradition voudrait pourtant que ce soit le contraire.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Pas du tout ! La majorité est là pour faire son travail !

M. Jean Gaubert. Je précise qu’il s’agit d’amendements contradictoires. Cela montre bien que le débat n’est pas achevé.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Cela montre surtout que la majorité est pluraliste !

M. Jean Gaubert. Entre le pluralisme et la cacophonie, il y a une limite qu’il convient de ne pas franchir ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Sauvadet. Vous parlez en expert !

M. Michel Voisin. C’est la basse-cour !

M. Jean Gaubert. Je vous engage, mes chers collègues, à prendre davantage de temps pour travailler sur ce texte. Pour ce faire, l’hémicycle n’est pas le lieu le plus adéquat : c’est en commission, voire, si j’ose ce conseil, entre vous qu’il convient de prendre en considération nos arguments. Vous gagneriez du temps et nous en feriez gagner. Je vous encourage donc à adopter cette motion de renvoi en commission, car je crois vous avoir démontré à quel point ce texte mérite d’être amélioré. C’est l’avenir de notre agriculture qui est en jeu. Car contrairement à certains, je pense qu’il s’agit bien d’une loi d’orientation : bien qu’incomplète et mal ficelée, elle nous conduit en effet à une agriculture où, dans quelques années, nous aurons autant de paysans qu’en Grande-Bretagne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Germinal Peiro. Eh oui ! C’est la mort des paysans !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Monsieur Gaubert, je vous ai écouté avec une grande attention et, très sincèrement, j’ai trouvé votre exposé argumenté. Vous avez soulevé de vrais problèmes, sur lesquels nous pourrions nous retrouver. C’est d’ailleurs bien parce que ces problèmes existent que le ministre a déposé une loi d’orientation afin d’y apporter des solutions.

Les situations que vous avez décrites sont réelles, mais vous en restez, et c’est normal, à une vision de l’agriculture qui est celle du groupe socialiste : celle d’une agriculture administrée, et même sur-administrée.

M. Germinal Peiro. Oh !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Or nous rejetons cette vision. Nous voulons faire évoluer l’agriculture afin qu’elle trouve des espaces de liberté. C’est cette liberté, que nous souhaitons organiser grâce à la loi d’orientation, qui incontestablement fait la différence entre votre conception et la nôtre. Je respecte votre point de vue et vos arguments, mais nous restons en désaccord.

Je ne m’étendrai pas sur le fond : nous allons en discuter pendant plusieurs jours en examinant l’ensemble des amendements – du moins si la motion de renvoi en commission est rejetée, ce que je souhaite.

Vous n’avez pas été polémique. Vous ne l’êtes jamais, et je reconnais votre volonté de défendre avec beaucoup de conviction vos valeurs et vos propositions. Pour notre part, nous allons défendre les nôtres, et je souhaite que le débat ait lieu afin de permettre cette confrontation.

Je vous répondrai en tant que président de la commission que le travail que nous avons réalisé justifie pleinement le rejet de votre motion. De votre côté, vous nous avez retracé la belle histoire de l’agriculture, mais comme en commission vous êtes resté critique, et n’avez ouvert que bien peu de perspectives.

M. Jacques Le Guen. C’est vrai !

M. Jean Gaubert. Je n’en ai pas eu le temps !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous aviez quand même, en une heure et demie, la possibilité de nous proposer quelques pistes !

Sur la forme, je ferai deux remarques.

Vous parlez d’abord de précipitation. Ce texte a été déposé le 24 mai. Le rapporteur, auquel je rends à nouveau hommage, s’est mis à la tâche à partir du mois de juin. Il a mené notamment une soixantaine d’auditions, et travaillé en osmose totale avec les services du ministère pour mettre à votre disposition tous les moyens d’effectuer un bon travail de commission. Nous avons d’ailleurs entrepris celui-ci dès le 28 septembre. Nous avons ainsi reçu M. le ministre, puis nous avons défini nos positions à la suite d’un débat auquel M. Sauvadet a pris toute sa part…

M. François Sauvadet. En effet ! Et ce n’est pas fini ! (Sourires.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. À la suite de ce débat, l’UMP a tenu à ce que de profondes modifications formelles soient apportées au projet. Je pense d’ailleurs, monsieur Gaubert, que vous n’y étiez pas hostile. Le Gouvernement nous a entendus – merci, monsieur le ministre ! – et c’est ainsi que se justifient tout naturellement les amendements qu’il vient de déposer : c’est nous, tous ensemble, qui lui avons demandé de supprimer bon nombre d’ordonnances pour les remplacer par un débat sur des amendements d’origine parlementaire ou gouvernementale. Et nous avons obtenu satisfaction.


Vous parlez de précipitation, alors qu’il n’en est rien. Ces amendements sont le résultat d’une interaction entre le Gouvernement et sa majorité. Il s’agit donc, aujourd’hui, d’un texte abouti ; un véritable débat parlementaire s’impose et il ne faut en aucun cas le retarder.

C’est ici une raison supplémentaire de rejeter votre motion de renvoi en commission.

Enfin, dernier point, monsieur Gaubert, 1 100 amendements ont été déposés, il est vrai en grande partie par la majorité. Voudriez-vous empêcher la majorité de débattre et d’user de son droit d’amendement ? Ce droit est aussi sacré pour la majorité que pour l’opposition. Nous répondrons aux députés de la majorité et nous savons, par avance, pouvoir compter sur leur soutien.

Nous avons travaillé en commission le 27 septembre et avons étudié 500 amendements lors des deux réunions du 28 septembre. Vous avez participé aux débats, monsieur Gaubert, et vous ne pouvez pas dire que, ce jour-là, je vous ai empêché de vous exprimer. Nous avons eu, hier, une troisième réunion au cours de laquelle ont été étudiés 200 amendements au titre de l’article 88. Ce matin, une quatrième réunion nous a permis d’en examiner 150 autres.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Nous les avons étudiés en deux heures ! C’était un excès de vitesse !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je reconnais que ce fut, en l’occurrence, assez rapide !

Je remercie notre majorité d’avoir toujours été présente au cours de ces treize heures de débats et de nous soutenir afin d’aboutir à un texte…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Nous aussi, nous étions là !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Oui, mais vous ne nous avez pas soutenus !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Eh non !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je ne peux vous remercier de vous opposer ! Je vous donne toutefois acte que, soucieux de défendre vos idées, vous l’avez fait avec courtoisie !

Je regrette enfin que les amendements déposés en dernière minute soient peu constructifs, puisqu’ils ne tendent qu’à changer une virgule ou un mot. Je ne pense pas qu’ils contribuent à faire avancer le débat, mais ils ne justifient pas, en tout cas, monsieur Gaubert, un renvoi en commission.

Tels sont, chers collègues, les arguments que je voulais, sans esprit polémique, vous soumettre rapidement.

Je souhaite donc que la majorité vote contre cette motion de renvoi et que, très vite, dès ce soir, nous puissions aborder les articles de cet excellent projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Geneviève Gaillard, pour le groupe socialiste.

Mme Geneviève Gaillard. J’ai écouté avec attention la réponse de M. le président de la commission à notre collègue Jean Gaubert qui, dans une intervention très argumentée et charpentée, a montré les défis et les enjeux qui se posent à nous en matière d’agriculture.

M. Ollier, président de la commission, ne cesse d’affirmer, depuis le début de notre discussion, que nous voulons une agriculture administrée. J’aimerais qu’il nous explique sur quoi il se fonde pour affirmer une telle chose. Nous voulons une agriculture évolutive avec des espaces de liberté pour que nos agricultrices et agriculteurs puissent vivre de leurs productions.

Ce texte imprécis ne nous permettra pas de mettre en place cette agriculture évolutive et durable, mais favorisera une agriculture figée qui posera plus de problèmes aux agriculteurs que par le passé.

Jean Gaubert l’a montré : chaque article mérite un regard supplémentaire. À constater le silence de mes collègues de la majorité, habituellement plus réactifs, je me suis dit qu’ils partageaient ses arguments. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Absolument !

Mme Geneviève Gaillard. Le fait de l’avoir écouté avec autant d’attention…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais nous respectons M. Gaubert !

Mme Geneviève Gaillard. On peut, tout en respectant les gens, manifester son désaccord lorsqu’il est trop important. Les arguments soulevés par M. Gaubert m’ont finalement semblé leur convenir !

Jean Gaubert a fait état de lacunes : sur la formation, le Fonds agricole, source de difficultés et de complexités, la coopération, l’intégration, le statut, l’élevage, la sécurité sanitaire, les phytosanitaires, et j’en passe. M. Gaubert, faute de temps, n’a, en effet, pu tout citer dans son exposé.

Nous avons, certes, beaucoup travaillé, car ce secteur le mérite, mais nous aurions pu le faire davantage encore en commission, en particulier sur la définition d’objectifs et de moyens, car sans objectif, les outils sont difficiles à mettre en œuvre.

Le groupe socialiste votera donc cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe UDF.

M. François Sauvadet. Même si nous ne partageons pas ses idées, M. Gaubert a, sur un débat de cette importance, soulevé des questions auxquelles il faudra répondre, notamment en ce qui concerne la mise en place du Fonds agricole et d’un contour fiscal. Des précisions devront être apportées quant aux conditions de la cessibilité, aux conséquences que cela peut avoir sur la transmission et au risque d’un renchérissement du coût de la transmission. Nous avons déjà évoqué toutes ces problématiques en commission et il conviendra de les aborder à nouveau avec sérieux en séance. Au-delà des déclarations d’intention, nous pouvons effectivement avoir des divergences de fond. Souvenez-vous : nous avons eu, ici même dans cet hémicycle, voici quelques années, un débat sur une loi d’orientation proposée par un gouvernement de gauche. Les différences se sont alors exprimées. La loi d’orientation d’hier n’est pas une réponse avérée aux problèmes que rencontre aujourd’hui l’agriculture, notamment en matière de production et de compétition internationale. De ce point de vue, nous avons une responsabilité collective à l’égard de notre agriculture, du monde rural, en général et de l’économie agricole. Un important travail collectif reste donc à accomplir.

À la différence de l’exception d’irrecevabilité tendant à prouver le caractère anticonstitutionnel de ce texte et justifiée par un motif fallacieux, ce renvoi en commission méritait tout à fait d’être discuté. Je ne vous adresserai donc aucun reproche de ce point de vue, monsieur Gaubert. Je dois d’ailleurs reconnaître que j’ai été de ceux qui, avec le groupe UDF – M. le président lui-même l’a évoqué –, ont regretté que le texte initial comprenne un tiers d’ordonnances. Nous avons eu ce débat. Le ministre a bien compris que sur un tel sujet engageant l’avenir, un vrai débat au Parlement s’imposait. Vous nous avez écoutés, monsieur le ministre, même s’il était possible de progresser ; je pense à d’autres ordonnances. Nous aurons, en effet, l’occasion de revenir sur un sujet souvent évoqué : celui des conditions d’organisation du fermage. Ce sujet est d’importance, vous l’avez rappelé, parce que les conditions mêmes d’exercice du métier et le rapport à la propriété ont évolué. Pour parvenir à un équilibre, nous devons aussi entendre les demandes émanant des propriétaires, mis devant le fait accompli et parfois même dépossédés de leurs biens avec les conséquences que l’on sait sur les transmissions de patrimoine.

Je sais, monsieur le ministre, que vous demeurez très attaché au Parlement. Je tiens donc à attirer votre attention sur le point suivant. Ce matin, nous avons examiné une proposition de résolution sur les conditions d’organisation de nos débats budgétaires. Nous sommes unanimement convenus de la nécessité d’une approche par objectifs. Ce sera le cas en ce qui concerne les biocarburants, problème évoqué par notre collègue Gaubert. Nous souscrivons aux objectifs, c’est une ambition partagée, mais nous devrons être au rendez-vous de la production. Nous demanderons donc certainement au ministre délégué au budget de préciser ses intentions. Comment explique-t-il que, d’un côté, le Gouvernement, par votre voix, engage un plan de production des biocarburants avec un objectif de 10 %, auquel nous souscrivons bien entendu, et réduit dans le même temps les aides financières ? Vous avez, en effet, vous-même précisé que nos capacités de production seraient multipliées par six. Si cette industrie, qui devra consentir un effort d’équipement – éthanol, diester – n’est pas accompagnée, nous n’atteindrons pas l’objectif que nous nous sommes fixé pour tenir compte du renchérissement du coût du fioul et ouvrir de nouveaux débouchés pour notre agriculture et pour une industrie productrice d’emplois, formidable bol d’air pour d’autres économies.

Notre débat est public et nous nous devons de tout dire. Je vais donc vous faire une confidence, monsieur le ministre. Le groupe UDF, au début de nos débats, a songé à déposer une motion de renvoi en commission.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. François Sauvadet. Nous en avons été dissuadés, comme nous sommes aujourd’hui dissuadés de voter un tel renvoi en commission, par l’esprit d’ouverture dont vous faites preuve, monsieur le ministre. Vous avez souhaité ce débat que vous avez jugé nécessaire pour l’avenir.

M. le président. Pouvez-vous conclure, monsieur Sauvadet ?

M. François Sauvadet. Ce que je dis est intéressant !

M. le président. Oui, mais votre temps de parole est épuisé !

M. François Sauvadet. Ce débat public présente le grand avantage de se dérouler devant l’ensemble des partenaires, devant l’ensemble des Français qui doivent s’intéresser à l’avenir de notre ruralité, de notre agriculture. Ce débat sociétal n’est pas réservé aux spécialistes. Vous avez choisi de l’aborder très ouvertement, monsieur le ministre. Quel changement ! J’espère que votre exemple sera suivi lors des prochains débats, et je vous encourage à poursuivre dans cette voie !

Que le débat commence rapidement dans cette enceinte, parce que nous sommes élus pour cela ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Chassaigne. Je remercie M. Gaubert pour la qualité de son intervention. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Il a effectivement abordé les questions avec beaucoup d’humilité. Il a ainsi dressé la liste de tous les problèmes posés par ce projet de loi d’orientation agricole.

On ne peut pas, monsieur le président de la commission, réduire son intervention à la simple description d’une agriculture administrée.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !

M. André Chassaigne. C’était tout sauf cela, monsieur le président ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

De la même façon, quand vous justifiez votre opposition au renvoi en commission par un travail de fourmi de treize heures, il ne faut pas être un grand mathématicien pour en conclure que les points abordés n’ont pas été approfondis. Il suffit, pour s’en convaincre, d’ôter les heures réservées à l’audition du ministre et aux questions des commissaires et de diviser le temps restant par le nombre d’amendements. On saura ainsi combien de temps on a consacré à chacun d’eux.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !

M. André Chassaigne. Je ne dis pas, pour autant, qu’il n’y a pas eu une volonté de bien travailler en commission, mais évitons d’évoquer ce travail de manière trop surréaliste.


Sur le fond, trois points importants justifient, je crois, un renvoi en commission.

D’abord, ce projet est incomplet.

La question de la coopération, notamment, est survolée, sans que l’on s’appuie sur ce qu’elle peut représenter dans le domaine agricole dans notre pays, avec cette approche collective qui est indispensable.

La formation n’est pas évoquée non plus. Or chacun sait qu’avec les évolutions contenues dans ce projet, elle devrait être totalement différente. Nous n’aurons pas le même nombre d’agriculteurs, nous aurons un nombre de plus en plus grand de salariés. Il est évident que cela impliquait une réflexion.

Et, bien sûr, la grande absente, c’est l’installation. Il n’y a pas eu vraiment de débat et je ne crois pas que la question soit abordée dans ce projet. C’est pourtant un sujet fondamental.

Ensuite, ce projet est inachevé. Oui, il y a eu cafouillage. Oui, une multitude d’amendements arrivent jour après jour, que nous n’avons d’ailleurs pas le temps de tous examiner. Non, nous ne savons pas aujourd’hui de façon précise le nombre d’habilitations à légiférer par ordonnances. Tout cela exigerait un travail beaucoup plus précis, beaucoup plus approfondi.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous ne pouvez pas dire ça, monsieur Chassaigne, c’est faux !

M. André Chassaigne. Enfin et surtout, ce texte est dangereux. La politique des structures est menacée. Vous réclamez de la liberté, mais mesurez-vous exactement les conséquences de la casse de la politique des structures sur nos territoires ? Cela n’a pas été fait et il faudrait un débat beaucoup plus important.

De la même façon, vous êtes incapables de dire quelles seront les conséquences de l’évolution du foncier. Quel sera, par exemple, le rôle de la SAFER, avec le fonds agricole ? À quel niveau y aura-t-il une intervention, à quel niveau pourra-t-on véritablement orienter la politique foncière ?

De nombreux points n’ont pas été abordés. Cela demande un débat plus approfondi, et c’est pour cette raison que mon groupe votera bien entendu la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour
de La prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2341, d’orientation agricole :

Rapport, n° 2547, de M. Antoine Herth, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 2544, de Mme Brigitte Barèges, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République,

Avis, n° 2548, de M. Marc Le Fur, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)