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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 7 mars 2006

161e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe des député-e-s communistes et républicains.

Contrat première embauche

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le Premier ministre, savez-vous comment les jeunes qualifient le CPE ? De contrat pour exclure de l’emploi sans motif !

Le CPE concentre contre lui une large opposition. Il est rejeté majoritairement, comme en témoignent les 162 manifestations qui se déroulent partout dans le pays,

Ce rejet est fondé. Votre priorité, c’est la précarité de l’emploi. Vous préférez privilégier le droit d’entreprendre du grand patronat sur le droit au travail de nos jeunes.

La jeunesse de notre pays, rejointe par une majorité de salariés, ne veut pas d’un contrat de travail qui la soumette au droit divin de l’employeur. Elle ne veut pas d’un contrat de travail qui lui impose deux ans de mise à l’essai, sans protection, et qui au final peut être rompu à tout moment, sans justification, sans motivation. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Elle n’accepte pas ce contrat de travail qui balaye toutes les recommandations internationales imposant une justification et des protections pour les salariés, et qui ouvre la porte à tous les abus possibles !

Elle rejette, comme nous, un contrat de travail encore plus précaire que le CDD – c’est dire le recul ! – et qui vient sonner le glas du CDI. Si votre plaisir est de satisfaire le MEDEF (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), notre rôle est de défendre la jeunesse !

Chaque année, pendant dix ans, 600 000 emplois devraient se libérer en raison des départs à la retraite. Profitons-en pour créer des emplois stables, durables et bien rémunérés pour les jeunes, au lieu de satisfaire les appétits du CAC 40 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, écoutez les jeunes et retirez votre CPE. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Madame Jacquaint, vous avez fait allusion à la principale préoccupation de la génération de jeunes qui ont aujourd’hui vingt ans et qui est aussi celles de leurs parents et de leurs grands-parents : la précarité .

Mme Muguette Jacquaint. La précarité, c’est vous !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. La précarité, c’est la situation que nous offrons à nos jeunes depuis vingt ans dans ce pays. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Comment prétendre le contraire ? Nous sommes, parmi les pays d’Europe, celui dont le taux d’activité des jeunes de moins de vingt-six ans est le plus bas.

M. Jean Glavany. Depuis quatre ans !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Non depuis bien plus longtemps !

M. Bernard Roman. Ce n’est pas vrai !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Les CDD sont conclus pour 70 % des entrées dans l’emploi. La moitié de ceux-ci ont une durée inférieure à un mois. Six jeunes sur dix sont inscrits à l’ANPE et n’accéderont jamais au régime d’assurance chômage, car ils n’ont jamais bénéficié d’un contrat de plus de six mois.

Mme Muguette Jacquaint. On connaît tout ça !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Qu’avons-nous souhaité faire et que faisons-nous pour lutter contre ces difficultés à entrer dans l’emploi ?

La réponse passe par une meilleure orientation des jeunes.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. C’est le travail auquel, à la demande du Premier ministre, nous nous sommes attelés avec Gilles de Robien.

Mme Martine David. C’est un mauvais travail !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Notre objectif en 2009, grâce au développement de la formation professionnelle, est d’offrir à 800 000 jeunes des contrats en alternance ou de professionnalisation…

M. André Chassaigne. Personne ne vous croit quand vous dites cela !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …en imposant aux grandes entreprises de consacrer 3 % de leur effectif à cette formation en alternance.

Nous avons reconnu les stages comme un élément de formation, faisant partie intégrante du parcours professionnel.

Enfin, le contrat première embauche permet d’entrer dans l’emploi en bénéficiant d’un certain nombre de sécurisations.

Plusieurs députés du groupe socialiste. La précarité !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. À la demande du Premier ministre, ce contrat sera complété d’un accompagnement personnalisé dans l’emploi. Il ne suffit pas d’avoir fait la rencontre avec l’emploi, …

M. André Chassaigne. Vous ne croyez pas à ce que vous dites !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …il faut aussi éviter les ruptures de contrat, que les jeunes subissent aujourd’hui.

Notre unique objectif est de rompre avec les vingt dernières années, …

M. Jean Glavany. Quatre ans !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …au cours desquelles aucun traitement n’a été apporté au défi majeur de la précarité de la génération des seize à vingt-six ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Martine David. C’était laborieux et ce n’est pas glorieux !

Contrat première embauche

M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le Premier ministre, la semaine dernière, un grand quotidien de ma région commentait en ces termes les manifestations contre les CPE : « Qu’importe les contrats, pourvu qu’ils bossent ! » Pourtant, à Lille, 400 personnes occupent une université de 20 000 étudiants. Or, lorsque chacun d’entre nous dialogue avec les jeunes – nous l’avons fait beaucoup au cours de ces derniers jours –, ceux-ci nous disent : « Cela fait des années que l’on ne nous a rien proposé d’autre que des contrats à durée déterminée. Nous attendons, nous espérons autre chose. »

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. Marc-Philippe Daubresse. Quand les jeunes au chômage trouvent un emploi, comme vient de l’indiquer M. Larcher, il s’agit dans 70 % des cas de contrats à durée déterminée, qui ne procurent pas d’accès au crédit et au logement.

Beaucoup de jeunes pensent avec résignation que, à gauche comme à droite, on a tout essayé et que l’on a tous échoué. Il n’en est rien ! Si la gauche brille par la vacuité de ses propositions, dont la dernière en date est une allocation d’autonomie évanescente, qui n’a même pas été évaluée financièrement, …

M. Francis Delattre. Du vent !

M. Marc-Philippe Daubresse. …le Gouvernement a, pour sa part, proposé un contrat à durée indéterminée qui allie plus de souplesse pour l’entreprise et plus de sécurité pour le salarié. Il est donc temps de répondre à tous ceux, qui depuis plusieurs jours, mènent une campagne de désinformation sur le CPE et ne proposent rien d’autre que des solutions de précarité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Que pouvez-vous dire aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, aux jeunes qui nous regardent et attendent avec espoir qu’on leur redonne les moyens de travailler pour réussir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur Daubresse, je respecte les inquiétudes et les peurs qui s’expriment dans notre pays.

M. Jean Glavany. Et elles sont de plus en plus nombreuses !

M. le Premier ministre. J’entends les aspirations de chacun à un travail, à la dignité, au respect. Et je mesure les difficultés auxquelles sont confrontés trop de jeunes dans notre pays.

Cela fait vingt ans qu’on les prend pour la variable d’ajustement du marché du travail en France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Cela fait vingt ans qu’ils sont les premiers à supporter les conséquences du chômage de masse dans notre pays.

Cela fait vingt ans qu’on les met à l’écart de l’avenir !

M. Jean Glavany. C’est ce que vous faites !

M. le Premier ministre. Face à cette réalité, nous avons le choix. On peut continuer de fermer les yeux sur les inégalités.

M. Jean Glavany. C’est ce que vous faites !

M. le Premier ministre. C’est faire une injustice aux jeunes. C’est insulter l’avenir de notre pays.

M. Jean Glavany. C’est encore ce que vous faites !

M. le Premier ministre. On peut entretenir les Français dans l’illusion et dans le conservatisme.

M. Jean Glavany. C’est toujours ce que vous faites !

M. le Premier ministre. Du côté de l’opposition, je n’entends aucune proposition nouvelle. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Martine David. C’est toujours la même chanson !

M. le Premier ministre. Vous vous enfermez encore et toujours dans la même logique d’assistance, qui ne relève pas le défi principal : faciliter l’accès à l’emploi. Comment sortir de l’assistance ? Personne dans votre camp ne le dit et personne ne le sait. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Martine David. Avec vous, c’est toujours la même rengaine !

M. le Premier ministre. Il faut, nous le savons tous, des solutions nouvelles. C’est pour cela que le Gouvernement met en place le contrat première embauche, qui est un véritable contrat anti-précarité. Il a trois atouts.

Premièrement, il donne une expérience. Et la première expérience professionnelle – tous les jeunes le savent –, c’est la clef de l’emploi.

Deuxièmement, il permet une insertion directe dans l’emploi pour les jeunes qui, aujourd’hui, sont éloignés du marché de l’emploi, pour ceux qui ne répondent pas aux attentes des employeurs, pour ceux qui n’ont pas les diplômes et les qualifications nécessaires. C’est une chance nouvelle de pouvoir s’insérer dans le marché du travail.

Troisièmement, ce contrat première embauche ouvre droit à une formation dès le premier mois. Il n’y a rien de plus essentiel aujourd’hui que la formation pour évoluer dans son parcours professionnel.

L’enjeu, c’est la place que nous sommes capables d’offrir à chacun. C’est notre capacité à gagner ensemble la bataille pour l’emploi. Le texte sur l’égalité des chances vient d’être adopté par le Sénat, au terme d’un débat approfondi de plus de 90 heures, qui a permis l’adoption de 132 amendements et que je tiens à saluer. Au total, entre l’Assemblée nationale et le Sénat, plus de 135 heures auront permis d’aller au fond de ce débat.

Le contrat première embauche est un outil. Mais il faut rappeler que ce n’est pas le seul. Il se situe dans le cadre d’un véritable parcours d’embauche pour les jeunes, que nous mettons en place.

Le service public de l’orientation permettra à chacun de choisir sa voie en connaissance de cause. Tous ceux qui s’engagent tôt dans l’apprentissage auront le droit à un an de formation, dès le mois de septembre.

M. Jean Glavany. Cessez d’être sourd !

M. le Premier ministre. Nous allons ouvrir davantage de postes en alternance, qui sont une vraie garantie pour l’emploi.

Les stages – et c’est une première – seront encadrés, leur rémunération rendue obligatoire et ils seront insérés dans un cursus professionnel et universitaire. Ce parcours – je le dis devant la représentation nationale –, je suis prêt à l’enrichir de toutes propositions nouvelles dans le cadre de la nouvelle étape qui s’ouvre pour l’emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher ouvriront une large concertation dès la semaine prochaine. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Le moment venu, comme pour le contrat nouvelles embauches, le contrat première embauche fera l’objet d’une évaluation approfondie – nous nous y sommes engagés avec les partenaires sociaux. Cette évaluation sera présentée au Parlement.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Ce n’est pas sérieux !

M. le Premier ministre. Aujourd’hui, le véritable défi est d’apporter des réponses concrètes aux difficultés des Français et en particulier aux plus jeunes d’entre nous.

M. Maxime Gremetz. Il ne comprend rien !

M. le Premier ministre. Je veux le faire en partant de la réalité quotidienne, la réalité de notre pays, …

M. Jean Glavany. Vous ne la voyez pas !

M. le Premier ministre. …mais aussi la réalité de nos voisins européens et la réalité internationale.

Cette réalité exige que nous soyons capables de faire des choix courageux, responsables, afin de conserver un équilibre entre liberté et protection. Liberté de trouver un emploi rapidement. Liberté de construire sa vie professionnelle, liberté d’entreprendre, liberté de rassembler nos forces pour être mieux armés dans la compétition économique internationale.

M. Maxime Gremetz. Baratin !

M. le Premier ministre. Mais aussi protection contre les aléas de la vie. Protection contre les inégalités, grâce à des services publics efficaces et modernes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Protection contre le risque du chômage, grâce aux nouveaux instruments que nous mettons en place.

M. Maxime Gremetz. Liberté d’être licenciés à tout moment !

M. le Premier ministre. Protection contre les risques sanitaires, grâce à nos dispositifs de veille et d’accompagnement.

Cette France-là n’est pas un rêve. C’est celle que nous construisons ensemble avec le Gouvernement, avec la majorité, avec tous les Français, jour après jour, à force de lucidité et de justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Contrat Première Embauche

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, à travers le CPE, se joue vraiment un choix de société. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Depuis quatre ans, le monde du travail et la jeunesse expriment massivement leur refus du modèle de précarité générale que vous leur imposez. Seul le silence de la continuité leur a répondu. Voilà, malheureusement, la réalité que vous imposez aux Français. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Ce peuple qui marche n’est pas une cohorte de passéistes ou de privilégiés. Les Français qui aujourd’hui manifestent massivement n’ont rien d’autre à demander que la dignité de leur travail,…

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. …le respect de leurs efforts, la reconnaissance de leur contribution aux résultats de nos entreprises. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Ils ont longuement pesé votre projet. Ils en ont étudié tous les contours, sans œillères, prêts à croire que c’était mieux que rien. Puis ils ont découvert ces centaines de contentieux autour du contrat nouvelles embauches, ces licenciements au jour le jour sans motif ni préavis, ces remplacements express d’un salarié par un autre dans l’arbitraire le plus complet. Ils ont vu votre gouvernement piétiner la négociation sociale, contraindre le Parlement, ignorer leur propre désarroi.

M. Michel Delebarre. C’est vrai !

M. Jean-Marc Ayrault. Ils ont compris alors, monsieur le Premier ministre, ce que vous vouliez finalement leur cacher. Votre politique a une apparence : l’ordre et l’inflexibilité. Mais elle a une réalité : la flexibilité et le désordre. Vous êtes le gouvernement de l’abaissement social et de la désunion nationale !

Monsieur le Premier ministre, vous disiez ici même, à l’Assemblée nationale, écouter aussi bien la France qui manifeste…

M. Lucien Degauchy. Les manifs font un flop !

M. le président. Monsieur Degauchy, taisez-vous !

M. Jean-Marc Ayrault. …que la France qui ne manifeste pas. Aujourd’hui, cette France ne fait plus qu’une contre le contrat première embauche, qui n’est que le frère du contrat nouvelles embauches. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Non, monsieur le Premier ministre, on ne gouverne pas seul contre une nation. Non, on ne la change pas sans son consentement.

Ma question est simple : allez-vous entendre les Français et retirer le CPE ? (« Non ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.- Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur Ayrault, la peur n’est pas une politique. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) L’illusion n’est pas une politique. Le passé n’est pas une politique.

Que proposez-vous aux Français, monsieur le président Ayrault ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous leur proposez l’idéologie là où ils ont besoin de lucidité et de pragmatisme. Vous leur proposez des demi-mesures là où ils réclament de vraies solutions et des résultats. (« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Que voulez-vous faire croire aux Français, monsieur le président Ayrault ?

M. Maxime Gremetz. Écoutez-les, au moins !

M. le Premier ministre. Que la France peut encore attendre quand tous ses partenaires se sont engagés depuis longtemps dans des réformes courageuses du marché du travail ?

M. Jérôme Lambert. Ce n’est pas vrai !

M. le Premier ministre. Que la France peut ignorer la réalité d’une Europe qui bouge et d’un monde qui change ? Qu’elle pourra rester elle-même sans faire un effort de modernisation pour plus d’égalité, pour plus d’ambition, pour plus de justice ?

M. Maxime Gremetz. Tout ça, ce ne sont que des mots !

M. Jérôme Lambert. Où est le courage des patrons dans le contrat que vous proposez ?

M. le Premier ministre. Que reprochez-vous au juste au Gouvernement, monsieur Ayrault ?

Le dialogue ? Mais où sont vos propositions que nous pourrions discuter. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Marsaudon. Il n’y en a pas !

M. le Premier ministre. La rapidité ? Mais croyez-vous vraiment que les Français veulent attendre ?

M. Maxime Gremetz. Non, ils ne veulent pas attendre. Ils veulent que ça change !

M. le Premier ministre. La précarité ? Mais ouvrez donc les yeux, monsieur Ayrault. La précarité, c’est la réalité quotidienne depuis vingt ans pour beaucoup de jeunes dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. –Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Monsieur le président Ayrault, mesurons bien l’enjeu d’aujourd’hui : oui ou non,…

M. François Hollande. C’est non !

M. le Premier ministre. …voulons-nous donner à chaque jeune la possibilité d’entrer rapidement sur le marché du travail ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Oui ou non, voulons-nous préserver l’équilibre entre liberté et protection, qui fait la force de notre pays ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Je vous attends, monsieur Ayrault. J’écouterai avec attention vos propositions d’amélioration du parcours d’embauche des jeunes. Mais je refuse l’immobilisme. Je suis ouvert (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) à tout ce qui fait progresser notre modèle et notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Arboriculture

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le ministre de l’agriculture et de la pêche, dans le monde paysan, nos arboriculteurs ont longtemps fait bonne figure. Employeurs importants, innovants sur le plan technique et commercial, ils avaient une réputation de gens modérés et raisonnables. C’est fini. La violence de la crise arboricole qui secoue tout le sud de la France, mais aussi la vallée de la Loire, est telle qu’elle pousse au désespoir une profession tout entière. Or, en 2005, nos arboriculteurs n’ont pas eu à affronter de catastrophes sanitaires ou météorologiques. Non. Ce sont des dysfonctionnements commerciaux aux frontières de l’Union européenne et à l’intérieur du marché national qui sont la cause de l’effondrement de leurs revenus. Alors que les accords internationaux prévoyaient l’importation de 800 000 tonnes de pommes dans l’Union européenne, ce sont 1,3 million qui sont en fait entrées. Pourquoi nos frontières commerciales sont-elles devenues de telles passoires ? Est-il si facile de camoufler des conteneurs entiers de pommes ? Qui est complice de ces achats ?

À l’intérieur même du marché national, les rapports de force entre la grande distribution et les producteurs ont encore une fois produit les mêmes effets. Le diagnostic est connu. Les fruits sont un des secteurs où les marges de la grande distribution sont les plus importantes. Or, le 23 février 2005, le Parlement a adopté le mécanisme du coefficient multiplicateur qui permet enfin à l’État d’imposer des limites aux marges commerciales de la grande distribution. Mais, lors de la crise de la pêche, celle de la poire ou encore celle de la pomme de 2005, il n’a pas été appliqué. Il est resté dans les tiroirs du ministère.

Ma question, monsieur le ministre, est double : que comptez-vous faire pour réduire les importations sauvages de fruits pendant la saison 2006 ? Allez-vous enfin appliquer la loi, c’est-à-dire mettre en œuvre le coefficient multiplicateur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur Dionis du Séjour, vous avez raison d’insister sur la gravité de la crise de l’arboriculture.

La première cause tient, en effet, à un mauvais fonctionnement de l’Europe qui, l’été dernier, a accepté sans réagir des importations de pommes – et d’autres fruits – qui n’auraient jamais dû parvenir sur notre territoire. Pour y remédier, nous avons obtenu de l’Union européenne le rétablissement des certificats préalables et demandé l’application d’une clause de sauvegarde.

Devant la gravité de la crise, notamment dans le Sud et dans la vallée de la Loire, des mesures structurelles s’imposent. Le Premier ministre a réuni récemment une quarantaine de parlementaires pour évoquer tous les aspects du problème. Nous présenterons avant la fin du mois de mars un plan d’ensemble pour la filière arboricole, que viendront alimenter vos propositions et celles de nombreux de vos collègues. Il comprendra des mesures en faveur de l’exportation et de la mise sur le marché des produits afin d’améliorer la commercialisation, ainsi que – et vous avez raison d’y insister car M. Ferrand, M. Vachet et vous-même y avez beaucoup travaillé – une remise à plat du dispositif du coefficient multiplicateur qui n’a pas fonctionné et n’a pas joué le rôle que nous attendions cet été. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Agressions antisémites à Sarcelles

M. le président. La parole est à M. Jérôme Chartier, pour le groupe de l’UMP.

M. Jérôme Chartier. Monsieur le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, je souhaite revenir sur trois agressions qui ont eu lieu vendredi et samedi derniers et qui présentent deux points communs : le premier, c’est qu’elles se sont produites à l’encontre de trois personnes qui, au moment des faits, portaient une kippa ; le second, c’est qu’elles se sont produites à Sarcelles, qui est un haut lieu de la communauté israélite, laquelle vit en parfaite cohabitation avec les autres confessions depuis fort longtemps.

Ces agressions ont suscité un certain émoi au sein de la communauté israélite de Sarcelles. Vous en avez pris la mesure puisque, dès dimanche, vous avez bien voulu recevoir les familles des trois victimes ainsi que les responsables politiques de Sarcelles.

À cette occasion, vous avez délivré trois messages. (« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Le premier, c’est la compassion du Gouvernement envers les victimes.

M. Jean-Marc Ayrault. Ce n’est pas de la compassion que les Français veulent, mais la sécurité !

M. Jérôme Chartier. Le deuxième message, c’est votre détermination à faire en sorte que tout acte ou toute agression raciste ou antisémite soit considéré comme une tache sur le drapeau de la République, et je vous en remercie.

Le troisième message,…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Ne faites pas aussi la réponse !

M. Jérôme Chartier. …c’est l’annonce de l’arrestation des quatre agresseurs présumés de M. Tomer Lavi, tous mineurs puisque âgés de quinze, seize et dix-sept ans.

Monsieur le ministre d’État, pouvez-vous nous donner des informations sur l’enquête en cours (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) et nous faire part des mesures que vous comptez prendre afin de réduire, d’une façon générale, la délinquance et, d’une façon plus particulière, les agressions à caractère raciste ou antisémite ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le député, les trois agressions de vendredi et de samedi sont parfaitement inadmissibles,…

M. Jean-Marc Ayrault. Nous sommes unanimes là-dessus !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …et je ne considère pas que donner un coup de poing à un jeune homme parce qu’il porte une kippa puisse être apparenté à une simple bousculade : c’est un acte antisémite, un acte de racisme, qui doit être puni avec une grande sévérité.

Dès dimanche, j’ai réuni les familles des victimes et les représentants de la communauté. Et je veux remercier à la fois le maire de Sarcelles, vous-même, monsieur le député Chartier, et le député Dominique Strauss-Kahn d’avoir bien voulu participer à cette réunion, en comprenant que la gravité des événements commandait de dépasser les oppositions entre gauche et droite, entre majorité et opposition, et imposait une mobilisation de la communauté nationale contre la résurgence de faits inadmissibles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

À Sarcelles, nous avons prévu de renforcer les effectifs et de développer la vidéosurveillance. Et je sais gré aux élus de toutes tendances d’avoir bien voulu considérer qu’il n’y avait pas lieu de faire de l’usage de celle-ci un problème idéologique, compte tenu de la contribution de cette technique à l’identification des auteurs d’agression. Merci d’avoir compris qu’il fallait avant tout faire preuve de pragmatisme, pour que, dans une ville comme Sarcelles, on puisse aller à la Synagogue et en revenir sans être inquiété, ce qui est le moins que l’on puisse attendre d’une République digne de ce nom.

Je ferai deux remarques.

La première, c’est que je trouve inadmissible que l’on ait pu ces jours derniers donner la parole à un barbare et un assassin présumé sur une grande chaîne de télévision. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Pourquoi ? Parce que je ne peux imaginer que donner la parole à une personne accusée de crime et d’actes de barbarie soit sans conséquence : certains individus peuvent y voir des éléments positifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Nos chaînes de télévision ont mieux à faire que de donner la parole à un assassin présumé. (Mêmes mouvements.)

Nombreux sont du reste les Français qui ont été choqués, et mes propos ne remettent aucunement en cause la liberté de la presse.

Ma seconde remarque, c’est que, sur les trois agressions, nous n’avons malheureusement retrouvé les auteurs présumés que de la plus grave – même si toutes sont graves – perpétrée contre un jeune homme de vingt-huit ans qui a été roué de coups par quatre individus pour le seul fait de porter une kippa alors qu’il mettait des bagages dans un véhicule. C’est dire la bêtise monumentale et la sauvagerie de cette agression ! On se demande d’ailleurs ce qu’il serait advenu si une patrouille de police n’était pas arrivée.

Comme vous l’avez dit, monsieur Chartier, les agresseurs présumés sont quatre mineurs âgés de quinze à dix-sept ans. Ils ont été placés sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire qu’ils sont aujourd’hui en liberté et que l’on se demande bien quand ils vont être convoqués pour rendre compte de leurs actes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Marc Ayrault. Qui dirige le pays ?

M. François Hollande. Qui est au gouvernement ?

M. Daniel Vaillant. Où est le garde des sceaux ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Le sujet est suffisamment important, me semble-t-il, pour que nous y réfléchissions ensemble, messieurs !

Cela m’amène à redire ma conviction de la nécessité de réformer l’ordonnance de 1945 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française)

M. Jean-Marie Le Guen. Cela n’a rien à voir !

M. Julien Dray. Où en sont les centres fermés ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …pour que des mineurs qui se comportent comme des majeurs aient à rendre compte rapidement de la gravité de faits que la communauté nationale ne tolère plus. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Plutôt que de se lancer des invectives sur le problème des ordonnances des mineurs, nous ferions mieux de réfléchir ensemble pour faire en sorte qu’aucun acte commis par un mineur ne reste sans réponse et que les délits soient punis avec toute la sévérité requise. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. –Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Arnaud Montebourg. Ces pressions sur la justice sont scandaleuses !

Extradition de youssef Fofana

M. le président. La parole est à M. Roland Blum, pour le groupe de l’UMP.

M. Roland Blum. Monsieur le ministre des affaires étrangères, dans le cadre de l’enquête sur l’odieux assassinat du jeune Ilan Halimi, les policiers sont très rapidement parvenus à identifier Youssouf Fofana comme étant le chef présumé du gang de ravisseurs qui a enlevé, séquestré et torturé la victime. Puis, les enquêteurs ont rapidement établi que Fofana s’était enfui en Côte d’Ivoire au lendemain de la découverte du corps.

Les autorités ivoiriennes, informées des soupçons pesant sur cette personne, ont procédé à son interpellation. La France a immédiatement émis un mandat d’arrêt international à l’encontre de ce Français d’origine ivoirienne pour son rôle dans la mort du jeune Ilan.

Les médias ont annoncé en fin de semaine dernière que Youssouf Fofana devrait être rapatrié en France où il se verrait notifier sa mise en examen trois semaines après sa fuite en Côte d’Ivoire, ce qui s’est effectivement produit dimanche dernier.

Aussi, monsieur le ministre, sachant que certains s’étaient montrés sceptiques lors de l’émission du mandat d’arrêt, pouvez-nous nous informer sur la qualité du processus et sur celle de la coopération entre la France et la Côte d’Ivoire dans cette affaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, la coopération entre les autorités ivoiriennes et les autorités françaises a été parfaite. Elle s’est opérée dans le plein respect des droits respectifs des deux pays.

M. François Hollande. Quel talent !

M. le ministre des affaires étrangères. L’interpellation de Youssouf Fofana a eu lieu le 22 février, son extradition a été décidée le 3 mars par les plus hautes autorités ivoiriennes,…

M. François Hollande. Quelle fermeté de jugement !

M. le ministre des affaires étrangères. …avec lesquelles s’était entretenu le Premier ministre, Dominique de Villepin. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Youssouf Fofana a été remis aux officiers de la police française, le lendemain, 4 mars.

Je me réjouis, monsieur le député, de cette action commune, rapide et concrète et menée dans le respect des accords de coopération judiciaire entre nos deux pays.

L’extradition étant réalisée, il appartient maintenant à la justice française de reprendre son cours.

M. François Hollande. Très bon jugement !

M. le ministre des affaires étrangères. Nous le devons à la mémoire d’Ilan Halimi, à sa famille et à ses proches. Permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour sa famille, aujourd’hui plus que jamais ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Delebarre. On vient d’en apprendre beaucoup !

contrat première embauche

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour le groupe socialiste.

M. Gaëtan Gorce. Monsieur le Premier ministre, il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre ! Entendre le pays qui manifeste et qui condamne votre politique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Entendre l’opposition qui veut, dans cet hémicycle, s’exprimer pour défendre des propositions alternatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Si vous ne pouvez les entendre, c’est que vous n’êtes ni à l’écoute du pays qui rejette votre action ni à l’écoute de cette assemblée et de que nous pouvons y dire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Il est vrai que, parmi vous, certains préparent déjà la France d’après, dont nous avons bien compris qu’elle ressemblerait à la France d’avant : celle d’avant les droits sociaux ; celle de la rupture avec notre modèle social ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. –Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous, vous êtes responsable de la France d’aujourd’hui, une France qui va mal parce qu’elle est mal gouvernée !

M. Jacques-Alain Bénisti. Manipulateur !

M. Jean-Paul Anciaux. Après quinze ans de socialisme, c’est la catastrophe !

M. Gaëtan Gorce. La France va mal parce que la pauvreté y augmente, et je vous invite, chers collègues, à vous pencher sur les chiffres publiés récemment par l’Observatoire de la pauvreté et qui montrent que plus de 260 000 personnes sont passées sous le seuil de la pauvreté depuis 2002.

La France va mal parce que vous voulez lui imposer des remèdes inadaptés et décidés sans concertation, sans dialogue, comme le contrat première embauche. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous, monsieur le Premier ministre, nous travaillons, non pour la France d’après, mais pour la France de demain !

M. Ghislain Bray. Elle ne sera pas socialiste !

M. Richard Mallié. La question !

M. Gaëtan Gorce. La France de demain redonnera la priorité à l’école, à la formation, à l’enseignement professionnel, le contraire de ce que vous faites aujourd’hui.

M. Lucien Degauchy. Donneur de leçons !

M. Gaëtan Gorce. La France de demain agira en priorité en faveur des jeunes sans qualification pour lesquels des actions concrètes associant accompagnement, formation, rémunération et protection sociale devront être mises en oeuvre plutôt que des contrats précaires s’adressant à tous les jeunes.

La France de demain travaillera à relancer l’alternance aujourd’hui très en retard de votre fait.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. La question !

M. Gaëtan Gorce. Les contrats d’alternance sont en effet aujourd’hui moins nombreux que les contrats d’apprentissage en 2002 et les contrats de professionnalisation ne parviennent pas à décoller. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Posez votre question, monsieur Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Le choix, monsieur le Premier ministre, n’est pas entre l’immobilisme et le changement, mais entre la rupture que vous voulez conduire avec votre ministre d’État et qui aboutira à la rupture avec les Français.

Pour nous, bien au contraire, le changement consiste à faire vivre l’alliance entre progrès économique et progrès social. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ce sera le sens de la proposition de loi que nous déposerons dans cet hémicycle le 6 mai. (Protestations et claquements de pupitre sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Veuillez conclure.

M. Gaëtan Gorce. Aussi, monsieur le Premier ministre, nous vous lançons un défi : serez-vous à nos côtés, le 6 mai, dans cet hémicycle, pour reprendre, sur la base de nos propositions, le débat que vous avez interrompu avec le 49-3 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Vives exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le député, il y a, malheureusement, un point commun entre la France d’aujourd’hui et celle d’hier, celle que vous nous avez laissée : le chômage des jeunes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il s’élève à 20 % et même à 40 %, dans les quartiers, pour les filles.

M. Augustin Bonrepaux. Qu’avez-vous fait en quatre ans ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Quant aux jeunes diplômés de nos quartiers, ils attendent huit à neuf mois pour trouver un premier emploi. C’est cela, la précarité, celle que vous dénoncez tant. C’est à elle que nous voulons nous attaquer ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous ne pouvons pas continuer avec les vieilles recettes qui n’ont pas marché, comme les stages parkings, les petits boulots ou encore les emplois publics précaires qui n’apportent rien.

Avec le CPE, nous proposons un contrat à durée indéterminée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), un vrai contrat qui donne accès à cette fameuse première expérience professionnelle tant recherchée par tous les jeunes. Combien de générations allons-nous encore sacrifier en n’osant pas mettre en oeuvre de nouvelles approches professionnelles, sans tenter autre chose ?

Le CPE est aussi un contrat qui donne, par le biais du LOCAPASS, accès au logement. Il s’agit donc d’un contrat qui permet l’entrée dans la vie active.

Alors, monsieur Gorce, pour ce qui nous concerne, entre le CPE, contrat à durée indéterminée, et le chômage à durée indéterminée, nous n’hésitons pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Enlèvements d’enfants et dispositif d’alerte

M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri, pour le groupe de l’UMP.

M. Dino Cinieri. Monsieur le garde des sceaux, le chiffre des enlèvements et des séquestrations d’enfants demeure très inquiétant dans notre pays. Selon les statistiques du ministère de la justice, quatre-vingt-dix-sept mineurs ont été enlevés ou séquestrés pour la seule année 2005. En 2004, on dénombrait cent trois affaires de cette nature.

M. Christian Bataille. Bravo Sarko !

M. Dino Cinieri. Depuis la semaine dernière, les Français ont appris en regardant la télévision et en écoutant la radio que la Chancellerie avait mis au place une procédure d’alerte en cas d’enlèvement d’enfant. Nous avons déjà pu constater l’efficacité de ce type de dispositif lors de l’enlèvement de la petite Aurélia Boisseau dans le Maine-et-Loire le 20 novembre dernier. Sa libération dans les vingt-quatre heures est certainement due en grande partie à la pression médiatique et à l’importance des moyens mis en œuvre pour la rechercher.

Plusieurs pays, dont les États-Unis et le Québec, ont mis en place ce type de procédure sous le nom d’Amber Alerte avec des résultats probants. Il est établi en effet que les premières heures sont décisives pour la survie de l’enfant. Aussi, monsieur le garde des sceaux, pouvez-nous expliquer en quoi ce dispositif est innovant, comment il fonctionnera en France, selon quelles règles et dans quels cas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Christian Bataille. Et Sarkozy ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Depuis 2002, monsieur le député, le Gouvernement mène une politique active en faveur des victimes. C’est dans cet esprit que la Chancellerie a mis en place, ces jours derniers, un nouveau dispositif.

Ce dispositif oblige l’ensemble de la population française, en cas d’enlèvement d’enfant, à signaler tout élément de nature à intéresser la police ou la gendarmerie et à leur permettre de retrouver cet enfant dans les premières heures. Vous le savez, les enfants enlevés sont, hélas ! assassinés dans les vingt-quatre premières heures. C’est donc dans les premières heures que l’on peut avoir un rôle décisif.

La procédure d’alerte-enlèvement que nous mettons au point s’inspire de ce qui se pratique au Québec où ce dispositif donne des résultats. Elle consiste à mettre un numéro vert à la disposition des citoyens. La Chancellerie a, d’autre part, signé des conventions avec les principaux médias ainsi qu’avec la SNCF et la RATP, de façon que le tout le monde puisse être en alerte.

La mise en œuvre de la procédure d’alerte est décidée par le procureur de la République en se fondant sur les critères suivants : il doit s’agir d’un enlèvement et non d’une disparition ; l’enfant doit être mineur ; la victime doit risquer sa vie ; le procureur doit disposer d’éléments concernant la localisation de la victime ou de la personne responsable de l’enlèvement ; enfin, l’accord des parents est nécessaire.

Lorsque toutes ces conditions sont réunies, ce sont entre quatre et six cas sur cent qui remplissent l’ensemble des critères. Il ne faut pas, par ailleurs, lasser l’opinion publique par la répétition de trop nombreuses affaires car l’on doit pouvoir compter sur sa réactivité. En tout état de cause, ce dispositif permettra de sauver la vie de quelques mineurs et d’empêcher des crimes atroces. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

droit d’auteur

M. le président. La parole est à M. Dominique Richard, pour le groupe de l’UMP.

M. Dominique Richard. Monsieur le ministre de la culture et de la communication, depuis toujours, la France, pays de Mirabeau, s’est affirmée comme le pays qui favorise la création culturelle : la convention de l’Unesco sur la diversité culturelle qu’elle a fait adopter à l’unanimité moins deux voix et quatre abstentions, comme son système unique de chronologie des médias, qui lui a permis, contrairement aux autres pays européens, d’avoir une création cinématographique très riche, en témoignent.

Nous allons reprendre dans quelques instants l’examen du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

M. Christian Paul. Un fiasco !

M. Dominique Richard. Depuis deux mois, monsieur le ministre, vous avez beaucoup consulté.

M. Christian Paul. Il a reculé !

M. Dominique Richard. Vous avez écouté les uns et les autres pour aboutir à un texte équilibré, « gagnant-gagnant » pour les créateurs comme pour les internautes.

M. Christian Paul. Escamotage !

M. Dominique Richard. Vous affirmez le droit de tout créateur, notamment des plus jeunes, de voir son travail rémunéré, tout comme celui des artistes-interprètes et des techniciens qui permet la fécondation de l’œuvre.

Vous garantissez à tout un chacun de bénéficier de copies privées. Vous instituez l’interopérabilité qui permet à l’œuvre de ne pas être l’otage de la technologie et autorise la créativité avec les logiciels libres.

Le groupe de l’UMP est regroupé autour de vos propositions,…

M. Christian Paul. C’est ce que l’on verra dans une heure !

M. Dominique Richard. …alors que la cacophonie s’amplifie à gauche.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, en quoi ce projet réécrit est une formidable chance pour la mise en place d’une offre légale diverse, bon marché et respectueuse des droits de chacun ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Christian Paul. Tout va très bien, madame la marquise !

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, la France est fière d’un capital exceptionnel dans le domaine de l’intelligence,…

M. Jean-Marie Le Guen. Pas partout !

M. le ministre de la culture et de la communication. …de la musique, du cinéma. C’est un magnifique défi de faire en sorte que le travail des créateurs puisse être le plus largement diffusé en France et dans le monde en utilisant cette nouvelle technologie qu’est l’Internet.

M. Christian Paul. Quel gâchis !

M. le ministre de la culture et de la communication. Nous aurions pu rester les bras croisés au risque de voir la création étrangère nous dominer, au risque de pénaliser sans objet l’internaute de base.

M. Christian Paul. C’est plus compliqué qu’avant !

M. le ministre de la culture et de la communication. Quel est notre objectif ? La réconciliation entre les deux parties. Nous voulons faire en sorte que le maximum de cinéma et de musique soit accessible sur Internet, dans le respect du droit d’auteur, du droit des créateurs, qui sont propriétaires de leurs œuvres. Ceux-ci peuvent souhaiter les diffuser gratuitement pour se faire connaître ; ils ont aussi le droit, et c’est légitime, de vivre de leur travail.

Le projet que vous présente le Gouvernement permettra des avancées considérables,…

M. Christian Paul. Il a été modifié trois fois !

M. le ministre de la culture et de la communication. …notamment en matière de lecture d’une œuvre quel que soit le support. Le projet que je vous soumets et que vous adopterez le permettra !

La copie privée, essentielle pour faire connaître une œuvre, sera garantie. Il s’agit, je le répète, d’un texte de réconciliation. Il y a ceux qui n’ont pas eu le courage d’agir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), ce qui a entraîné des destructions d’emplois, et il y a ceux qui veulent opérer cette réconciliation. Ce débat a eu lieu dans toutes les familles, dans tous les cafés. Le Gouvernement auquel je suis fier d’appartenir, celui de Dominique de Villepin, a eu le mérite d’avoir agi. Or c’est l’action qui crée la confiance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

contrat première embauche

M. le président. La parole est à M. Dominique Strauss-Kahn, pour le groupe socialiste.

M. Dominique Strauss-Kahn. Monsieur le président, j’adresserais volontiers ma question à M. le Premier ministre, s’il voulait bien m’y répondre autrement qu’en lisant un texte préparé avant même que la question ne soit prononcée. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Sinon, je préfère m’adresser directement à M. Larcher ou Mme Vautrin.

Le contrat nouvelles embauches, grand frère du CPE, a livré ses secrets. Depuis six mois qu’il a été mis en place, 350 000 ont été signés, ce qui est un beau succès. Mais 350 000 contrats signés n’ont pas abouti à un emploi de plus. Il y a eu autant d’emplois nouveaux au premier semestre, avant le CNE, qu’au second semestre : 30 000, ce qui est d’ailleurs assez peu. L’affaire est claire, et nous l’avions tous annoncé : le CNE ne crée pas d’emploi, il se substitue à ce qui existait avant. Et il en sera de même avec le CPE.

M. Jean-Marc Roubaud. Prétentieux !

M. Jean Marsaudon. En effet, quelle arrogance !

M. Dominique Strauss-Kahn. Pas d’emplois, plus de précarité et d’angoisse, moins de confiance : voilà le résultat de la politique que vous conduisez. Ce n’est pas avec un contrat, mais avec de la croissance et de la formation qu’on crée de l’emploi. Et ce n’est pas en cherchant à détruire le code du travail par vos manipulations que vous y parviendrez. L’année 2005 est là pour le prouver. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous avez déjà répondu à plusieurs orateurs, notamment à M. Ayrault, que la gauche n’avait pas de propositions. Si, elle en a ! (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Mais vous ne voulez pas les entendre. Alors, monsieur le Premier ministre, pour que vous les entendiez, je vous propose un débat sur l’emploi, sur la chaîne de radio ou de télévision que vous voudrez, où vous voudrez, quand vous voudrez, si vous êtes capable d’y participer autrement qu’en lisant des notes. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le Premier ministre, il faut savoir reconnaître ses erreurs. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Strauss-Kahn, veuillez poser votre question, s’il vous plaît.

M. Dominique Strauss-Kahn. L’opinion vous dit que vous vous êtes trompé, les jeunes vous disent que vous vous êtes trompé, les syndicats vous disent que vous vous êtes trompé. Vous vous êtes trompé sur les effets sur l’emploi ; vous vous êtes trompé sur la loi française car le texte n’est probablement pas constitutionnel ; vous vous êtes trompé sur nos engagements internationaux, car l’OIT interdit les licenciements sans motifs. Il faut maintenant retirer ce texte.

Vous faites beaucoup de phrases sur le patriotisme économique, monsieur le Premier ministre. Essayez de montrer que vous êtes capable maintenant de patriotisme social ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Lucien Degauchy. Baratineur !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le député, avant de faire des propositions de bateleur, …

M. Jean Glavany. Ça vous va bien !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …je vous recommande de discuter avec vos amis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous venez de dire qu’il ne fallait pas créer de contrats pour l’emploi.

M. Jean Le Garrec. Il n’a jamais dit cela !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. J’observe pourtant que dans sa motion de censure, François Hollande a commencé par proposer un nouveau contrat emploi-formation pour les jeunes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. – Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Dans cette affaire, le parti socialiste est dans l’embarras, je le comprends. Mais je vous suggère de discuter avec les grands partis socio-démocrates et socialistes européens.

M. Jean Glavany. Vous étiez contre le CPE !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Ce matin, monsieur Strauss-Kahn, j’étais à Berlin, ville que vous connaissez bien, où j’ai examiné avec mon homologue, vice-chancelier, membre du SPD, les engagements de la coalition SPD-CDU. Savez-vous que les socialistes allemands soutiennent un contrat qui est le petit frère du CPE et qui comporte une véritable période d’essai ? Ils savent, eux, que face à la compétitivité mondiale, il faut faire preuve de pragmatisme et de sérieux pour sauver leur modèle.

M. Lucien Degauchy. Eux, ils sont intelligents !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Alors, avant de venir débattre avec nous, débattez avec vos amis ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

aides à la filière avicole

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Morisset, pour le groupe de l’UMP.

M. Jean-Marie Morisset. Monsieur le ministre de l’agriculture et de la pêche, le risque d’une pandémie mondiale de grippe aviaire a conduit de nombreux États, au premier rang desquels la France et l’ensemble des pays européens, à prendre des mesures de précaution indispensables. Depuis plusieurs mois, vous suivez avec beaucoup de vigilance et d’attention cet important problème et vous avez pris à juste titre, afin de prévenir ou d’endiguer la contamination d’animaux sur notre territoire, des mesures de confinement et de vaccination.

Cette crise a entraîné une forte baisse de la consommation et des exportations de volailles et a touché de plein fouet l’ensemble de la filière avicole.

Face à cette situation, le Premier ministre a annoncé, le 23 février dernier, le déblocage d’une aide de 52 millions pour la filière, qui vient s’ajouter à une première enveloppe de 11 millions d’euros, dont la mise en paiement doit commencer cette semaine, sous forme d’avances sur indemnisation.

Aussi, monsieur le ministre, face aux polémiques inutiles que certains voudraient entretenir sur l’inaction du Gouvernement dans la gestion de ce dossier, mais surtout face aux difficultés des éleveurs, des abatteurs et des entreprises de transformation, pouvez-vous nous préciser quelles sont les modalités de versement de ces aides, dans quels délais vous comptez les attribuer et comment, au-delà, vous envisagez d’accompagner cette filière durablement fragilisée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur le député, les mesures de précaution – confinement et vaccination – que vous avez évoquées constituent en effet un aspect de la politique gouvernementale visant à éviter que l’épizootie ne se propage et ne touche d’autres élevages alors que, pour l’instant, heureusement, seul un élevage est affecté, les autres cas recensés étant des oiseaux sauvages.

Quant à la filière, elle est affectée par la baisse sensible de la consommation. Et je remercie les élus de tous bords qui incitent nos concitoyens, dans les écoles, dans les collectivités et les établissements publics, à consommer de la volaille.

Mais, au-delà, il faut aider la filière.

Il s’agit d’abord d’aider les agriculteurs et les producteurs professionnels. Les aides, annoncées par le Premier ministre, d’un montant de 20 millions d’euros, ont été mises en place aujourd’hui même dans les départements. Les agriculteurs peuvent toucher dès maintenant ces avances, ils seront ensuite indemnisés au prorata de leurs pertes. Dans le département de l’Ain, qui est le plus touché, nous indemniserons totalement les éleveurs qui auront évacué leur production, dans un large périmètre qui comprend plusieurs dizaines de communes.

Pour le reste de la filière – industries d’abattage, accouveurs, entre autres –, les mesures d’aides fiscales, sociales et financières sont prêtes. Nous les avons mises au point avec mon collègue chargé du budget, Jean-François Copé. Elles entreront en application dès cette semaine.

J’ajoute que le Premier ministre recevra à la fin de cette semaine l’ensemble de la filière. Nous referons le point, et si ces mesures ne sont pas suffisantes au regard des difficultés, il annoncera des mesures complémentaires.

Nous ne laisserons pas tomber la filière de la volaille française. Mais il faut aussi que nos concitoyens fassent preuve de civisme et consomment des volailles pour contribuer à mettre fin à cette crise, qui doit être la plus brève possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

politique en faveur des Harkis et propOs de M. Georges Frêche

M. le président. La parole est à Mme Arlette Franco, pour le groupe de l’UMP.

Mme Arlette Franco. Monsieur le ministre délégué aux anciens combattants, la politique que le Gouvernement, soucieux du devoir de mémoire, mène à l'égard de nos compatriotes harkis est constante depuis 2002. L'institution d'une journée d'hommage aux harkis le 25 septembre, à l'initiative du Président de la République, en est le témoignage le plus probant.

La loi en faveur des Français rapatriés que nous avons votée a inscrit pour la première fois dans notre législation la reconnaissance solennelle de la nation envers l'ensemble des rapatriés. Par ailleurs, elle a reconnu les souffrances et les sacrifices endurés par les harkis, en prévoyant notamment une forte revalorisation de l'allocation de reconnaissance versée à tous les harkis et à leurs veuves de plus de soixante ans.

Il est donc dommage que, dans le cadre de cette reconnaissance unanime de la nation et de cette démarche de réconciliation, une voix dissonante et discordante se soit fait entendre. Je veux parler des propos que le président de la région Languedoc-Roussillon a tenus dans l’exercice de ses fonctions, avec le soutien silencieux des élus de son parti qui ne les ont pas dénoncés immédiatement.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Quel scandale !

Mme Arlette Franco. Les élus de la région Languedoc-Roussillon et surtout leurs responsables nationaux n'ont réagi que tardivement, et encore d'une façon peu convaincante. Peut-être qu’à l’approche des échéances électorales, les ambitions des uns et des autres les ont-elles empêchés de s’opposer au responsable de l'une des plus grandes fédérations de ce parti, qui représente 5 000 voix potentielles.

M. Julien Dray. Et les résultats de la cantonale de dimanche dernier ?

Mme Arlette Franco. Monsieur le ministre, les harkis attendaient autre chose. Pouvez-vous nous rappeler la reconnaissance que nous devons aux harkis ? Vous illustrerez ainsi l’attachement des députés UMP au souvenir de l'action de la France outre-mer et leur respect de tous ceux qui y ont donné le meilleur d'eux-mêmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux anciens combattants.

M. Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux anciens combattants. Madame la députée, le Gouvernement comprend votre indignation devant les déclarations de M. Georges Frêche. Nous partageons l’émotion des harkis et de leurs familles.

M. Julien Dray. Les électeurs aussi !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Comme vous le savez, une information judiciaire est ouverte. Par conséquent, la justice dira le droit.

Vous m’avez interrogé également sur l’action du Gouvernement en faveur des harkis. S’ils méritent avant tout le respect, il ne reste pas moins vrai qu’ils méritent également une reconnaissance matérielle de la nation, notamment lorsqu’ils rencontrent des difficultés.

Dès 2002, après cinq années d’inaction du gouvernement précédent, nous avons décidé de la création de l’allocation de reconnaissance. Tous les harkis en bénéficient, alors même que la moitié d’entre eux percevait ce que l’on appelle la rente viagère.

Ensuite, l’article 6 de la loi du 23 février 2005, masqué par le débat sur l’article 4, a ouvert la possibilité aux harkis de sortir de ce dispositif en percevant un capital de 30 000 euros.

Cette loi contient des mesures très importantes en faveur des rapatriés et plus particulièrement des harkis. En effet, pour la première fois, une loi est commune à tous les rapatriés. Pour la première fois, une loi affirme la reconnaissance de la nation pour les rapatriés et les harkis. Pour la première fois, la loi rend hommage aux victimes civiles et aux disparus.

Dans cette loi, nous avons protégé les plus faibles comme les autres, de façon à ce qu’il y ait une solidarité nationale. Les mesures relatives au logement, les bourses d’enseignement ont été prolongées. Toujours dans le cadre de cette loi, le Gouvernement remettra dans quelques jours au Parlement un rapport sur la situation exacte des enfants de harkis.

Mesdames, messieurs les députés, vous le constatez, depuis 2002, la nation exprime fortement et concrètement sa reconnaissance aux harkis et à leurs familles en se situant dans l’action. C’est tout à l’honneur du gouvernement de M. Dominique de Villepin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Maurice Leroy.)

PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Explications de vote et vote
sur l’ensemble d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi de programme pour la recherche.

La parole est à M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche.

M. François Goulard, ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le débat sur le projet de loi de programme pour la recherche a montré que la recherche est très largement considérée, au sein de votre assemblée, comme une priorité essentielle pour notre pays. Pratiquement personne ne l’a contesté.

On connaît son importance en matière d’environnement, de santé, d’économie, de compétitivité de nos entreprises. Face à la compétition mondiale, il est essentiel que les entreprises françaises puissent sans cesse innover. Il n’y a pas d’innovation sans recherche.

Au-delà des aspects pratiques, nous savons que le niveau de la science est un reflet du degré de civilisation d’une société. C’est autour de la force de la science et de la recherche que nous pouvons nous retrouver, me semble-t-il.

J’ai également constaté avec plaisir qu’au-delà des affrontements inévitables du débat parlementaire, au-delà des divergences naturelles, des convergences existent sur des points extrêmement importants.

D’abord, chacun admet que nous avons besoin d’un système d’évaluation homogène et universel de la recherche. La plupart des représentants de la nation reconnaissent également la nécessité de disposer d’un Haut conseil réunissant des personnalités scientifiques susceptibles d’éclairer les pouvoirs publics dans leurs grandes décisions.

Par ailleurs, un large accord s’est dégagé sur l’existence même de l’Agence nationale de la recherche, chargée de lancer des appels à projet, même si des désaccords existent sur le niveau de financement de cette agence et des organismes. Enfin, les simplifications administratives que nous avons introduites ont fait l’objet d’un accord quasi unanime de l’Assemblée.

Le débat a permis, comme toujours, de clarifier les positions et de dissiper d’éventuels malentendus. C’est ainsi qu’à votre demande Gilles de Robien et moi-même avons été amenés à dire que la programmation s’entendait en euros constants pour les années 2008 à 2010.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur. Merci, monsieur le ministre !

M. François Brottes. Ce fut difficile !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Vous avez souhaité également des engagements précis concernant les prévisions en matière de création d’emplois et d’embauche des personnels scientifiques et sur le niveau des allocations de recherche. Là encore, les précisions étaient utiles.

Bien évidemment, quelques points restaient en discussion. Après un débat de haute tenue sur le protocole de Londres et le droit de la propriété intellectuelle, j’ai été conduit à dire qu’on ne pouvait pas procéder en la matière par amendement parlementaire et qu’il fallait une initiative gouvernementale.

Quelques divergences demeurent sur des points secondaires, l’essentiel étant que nous soyons d’accord sur les grandes priorités et sur le fait qu’il faut apporter un soutien puissant à la recherche. Ce projet de loi y contribue largement, et c’est ce qui compte pour nous tous et pour le pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, à mon tour de rappeler tout le chemin qui a été parcouru depuis deux ou trois ans déjà. La concertation qui a été menée et accélérée depuis quelques mois a porté ses fruits. Aux tensions a succédé une période d’observation, puis de concertation, dont le pacte pour la recherche est le fruit. Il fait le choix de la liberté, de la jeunesse et de l’Europe.

Grâce à vous, le projet a été largement amélioré. Vous avez donné au Haut conseil de la science et de la technologie une dimension européenne. Vous avez élargi les horizons. Pour bâtir un système d’évaluation cohérent et transparent, vous avez clarifié son rôle et permis que l’ensemble des acteurs de la recherche y soient représentés.

Pour rassembler les énergies, nous disposons désormais des PRES, les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, et des RTRA, les réseaux thématiques de recherche avancée, mais aussi, grâce à vous, des centres thématiques de recherche et de soins pour faire avancer la recherche médicale. C’est un outil-clé pour notre science.

Nous le savons, pour attirer et retenir les jeunes, les carrières doivent être plus souples, plus attractives. Nous devons supporter la comparaison avec les grands pays qui ont des recherches avancées. Vos améliorations en la matière ont été déterminantes, comme l’ont été celles visant à rapprocher recherche publique et privée.

Ce pacte n’est pas le terme d’un travail. En créant un nouveau climat dans les relations entre les chercheurs et les pouvoirs publics, il ouvre un nouveau chapitre de la science française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le président, messieurs les ministres, après trois jours et trois nuits de débat, un constat s'impose : la recherche scientifique ne constitue pas une priorité pour le Gouvernement.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Allons, monsieur Le Déaut !

M. Jean-Yves Le Déaut. Avec ce texte, que vous avez dénommé « pacte pour la recherche », vous avez manqué une occasion de réconcilier la France avec ses chercheurs et ses universitaires.

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est pourtant chose faite !

M. Jean-Yves Le Déaut. C'est d'abord un texte tronqué, qui n'aborde pas la question des formations supérieures, alors que chacun constate la grande misère et la paupérisation de nos universités. Les chercheurs étaient en droit d’attendre une véritable loi de programmation, permettant d’atteindre l’objectif fixé par le Président de la République de consacrer 3 % du PIB à l'effort de recherche et de développement.

Malheureusement, il manquera 10 milliards d'euros en 2010 pour y parvenir et, dans deux ans, des pans entiers du CNRS et la plupart des laboratoires universitaires seront en cessation de paiement car les crédits de base vont stagner, voire baisser. Les moyens nouveaux ne profiteront en effet qu'à des laboratoires qui se seront pliés aux « thématiques » à la mode. Les financements accordés aux laboratoires de recherche et aux universités par les crédits de base, d'une part, et par l'Agence nationale de la recherche, d'autre part, devraient au contraire être équilibrés.

Nous sommes également déçus qu’en trois jours, le débat n'ait apporté aucune avancée significative. Les bonnes idées du texte, telles que le Haut conseil de la science et de la technologie ou les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, ont été ternies par le flou que vous avez entretenu. Les « réseaux thématiques de recherche », qui introduiront encore davantage de complexité, sont de nature à déstabiliser les équilibres universitaires locaux et à détourner une partie importante des financements propres.

Nous avons dû batailler pour que la loi de programmation soit présentée en euros constants. Vous avez accepté après arbitrage du Premier ministre, mais il ne s’agit que d’une promesse verbale. La proposition du Parti socialiste d'augmenter de 10 % par an le budget de la recherche, jusqu'à atteindre 3 % du PIB est, en fait, la seule crédible.

Sans succès, nous avons tenté d'introduire dans la loi une véritable programmation sur cinq ans de l'emploi scientifique. Vous promettez 3 000 emplois en 2006, mais ce sont les emplois prévus par Lionel Jospin que vous avez supprimés à votre arrivée au pouvoir en 2002. Il s'agit donc d'un simple rattrapage. À l’inverse, nous avons, pour tenir compte des départs en retraite, proposé de créer 4 500 emplois par an pendant cinq ans.

Vous introduisez une confusion regrettable : une politique efficace d’innovation suppose un bon système de recherche, qui puisse s’appuyer sur la recherche fondamentale.

M. François Brottes. Exact !

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous avons été révoltés par vos atermoiements concernant la politique à mener en faveur des jeunes chercheurs et des doctorants.

Alors que chacun s’accorde sur le manque d'attractivité des métiers de la recherche, le gâchis que constitue la fuite des cerveaux, le manque de reconnaissance du doctorat dans le monde du travail, vous avez tergiversé pour esquiver une question pourtant simple : combien d'allocations de recherche comptez-vous attribuer et quel en sera le montant ?

Alors que l'unanimité s’était faite dans les deux commissions pour fixer cette allocation à 1,5 fois le SMIC net, soit environ 1 500 euros en base 2005, vous avez refusé de vous engager clairement sur ce point. Pourtant, la situation des doctorants, mais aussi des docteurs, qui vaquent de postes d’ATER en emplois précaires, est indigne d'un pays développé. Que penser, je le demande solennellement, d'un gouvernement qui demande à Bruxelles une baisse de 2,5 milliards d'euros de TVA pour une catégorie professionnelle, certes importante, mais refuse de consacrer 25 millions d'euros – c’est cent fois moins ! – à l’amélioration de la rémunération de ses doctorants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. Que du mal !

M. Jean-Yves Le Déaut. Votre politique est suicidaire car nous manquerons demain de cadres scientifiques.

M. Jean Le Garrec. Hélas !

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous avons été interloqués par votre vision du pilotage de la recherche. Vous avez déclaré, monsieur Goulard, que la communauté scientifique ne pouvait se prononcer que sur la recherche, qui est de son ressort, et non sur les choix de société. Les grandes orientations scientifiques d’un pays doivent, à notre sens, découler des avancées de la science, et non des aléas politiques.

Enfin, le texte occulte la nécessaire coopération européenne en matière d'enseignement supérieur et de recherche, illustrant ainsi le double discours du Gouvernement. Comment s'étonner que l'Europe prenne du retard dans la maîtrise des technologies clés – informatique, biotechnologies – et refuser les propositions anglaises tendant à augmenter le budget européen et à consacrer 75 milliards d'euros au 7e programme-cadre de recherche et de développement technologique ?

Messieurs les ministres, ce texte ne prend pas en compte les grands enjeux scientifiques du XXIè siècle. Il ne respecte pas les promesses faites par le Président de la république et par le Gouvernement. Il ne donne pas de véritable souffle à notre système de recherche et il oublie les universités.

Le groupe socialiste votera contre ce projet de loi qui ne prend pas rendez-vous avec le futur. La puissance de demain passe par le pari de l'intelligence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini, pour le groupe UDF.

Mme Anne-Marie Comparini. Messieurs les ministres, le projet de loi sur la recherche était très attendu par le groupe UDF, tant la crise du système d’enseignement supérieur et de recherche est profonde.

Notre pays lui consacre depuis longtemps une part trop faible de sa richesse. Il n’a pas su non plus le rénover, d’où le désintérêt actuel pour les carrières scientifiques, la fuite des cerveaux, mais aussi l’affaiblissement de la compétitivité de nos PME, nos mauvais résultats en matière de création d’emplois et de commerce extérieur. Bref, notre pays est incapable de nourrir sa propre croissance, contrairement à d’autres pays européens et, plus récemment, à la Chine et à l’Inde qui ont investi des sommes considérables dans la recherche et ses applications.

Le projet de loi comporte certes des orientations intéressantes, comme le renforcement des organes de pilotage. Mais le débat parlementaire n’a pas établi clairement leur rôle respectif, un décret devant y pourvoir, si bien que le tout reste opaque. Le risque est donc grand de voir ces structures transformées en cabinets obscurs, dépourvus de toute indépendance. Nous avons demandé, mais sans succès, que le Parlement en fixe les principes fondateurs.

Intéressante aussi la création des pôles qui rapprochent les universités, les grandes écoles et les instituts de recherche. Mais pourquoi avoir accepté, contre l’avis du rapporteur, qu’ils puissent voir le jour sans qu’une université n’y participe ? Plus généralement, pourquoi le projet de loi évite-t-il de traiter de leur gouvernance ?

Intéressante encore l’Agence nationale de recherche et sa culture de projet. Elle peut aider à sortir du mode archaïque d’affectation des crédits et à soutenir les jeunes. Rien ne garantit, cependant, à l’exception des projets « blancs », le financement des organismes nationaux. Nous avons tenté, mais en vain, d’obtenir cette précision parce que, pour nous, la recherche française ne peut être la seule résultante des projets de l’ANR.

Intéressante, enfin, l’allocation de recherche fixée à une fois et demie le SMIC. Nous sommes néanmoins loin du compte. La politique de ressources humaines n’est pas assez vigoureuse pour simplifier la situation administrative des jeunes chercheurs, leur assurer une visibilité de carrière suffisante et une mobilité vers le privé où leur formation de haut niveau serait bien utile.

Au fond, chaque fois, le projet reste au milieu du gué et il laisse une impression d’inachevé, par manque d’audace. La programmation réclamée en vain le prouve. Pourtant, un engagement pluriannuel aurait montré la volonté de tous les partis de conduire une politique forte et durable en matière de recherche. Il aurait procuré la sécurité aux laboratoires et adressé un signal fort à notre jeunesse.

Le sentiment d’inachevé vient aussi du manque d’ambition du projet car l’université en est absente et ses transformations renvoyées à plus tard. L’université est pourtant le creuset de la formation par la recherche. Pourquoi alors séparer la réforme de la recherche et celle de l’université ? L’argument qu’une telle réforme ne se fait pas en fin de mandat ne tient pas car il y a urgence à soutenir les secteurs qui commandent notre avenir ; non plus que le prétexte que la réforme est difficile. Le chantier est immense, mais, après deux ans, les discussions approfondies et confiantes avec les acteurs de la recherche et les partenaires sociaux auraient pu déboucher sur un projet qui soutienne la comparaison européenne et internationale.

En fin de compte, le texte qui nous a été soumis, et qui n’a guère été modifié en séance, ne contient qu’une série d’aménagements du système actuel. Seront-ils suffisants alors que la crise nécessite un changement profond ? Le groupe UDF ne le pense pas, et ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il votera majoritairement contre le projet de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, le projet de loi de programme pour la recherche s'inscrit dans un contexte particulier et inédit, car il prétend mettre un terme à une bataille qui a opposé les acteurs de la recherche au Gouvernement.

Certes, la programmation budgétaire, encore insuffisante, est prévue en euros constants, mais après une dure bataille menée sur ces bancs. C'était pourtant bien la moindre des choses ! Certes, l'allocation de recherche sera légèrement supérieure à un SMIC et demi, mais elle demeurera toujours très en deçà des attentes exprimées. Heureusement, l'accord de Londres sur les brevets n'a pas été ratifié à la sauvette. Le sujet devrait néanmoins revenir lors d’un prochain débat.

Messieurs les ministres, voter ce projet de loi signifierait accepter une précarité aggravée pour les jeunes chercheurs ; cautionner la concurrence généralisée entre les organismes de recherche, les universités, leurs équipes et leurs personnels ; soutenir le pilotage étatiste de la recherche par les « projets » financés par l'Agence nationale de la recherche et se faire le complice d'instances nommées pour définir les objectifs de la recherche, pour évaluer les projets des équipes et affecter les financements. Cela reviendrait également à fermer les yeux sur la concentration élitiste sur quelques pôles, dits d'excellence, et sur quelques créneaux à rentabilité immédiate.

Oui, messieurs les ministres, le Haut conseil créé par ce projet sera complètement inféodé au Président de la République et au gouvernement. Celui-ci, et c'est une première, donnera ensuite les grandes orientations à l'Agence nationale de la recherche, qui n'a ni conseil scientifique, ni membres élus. Vous prétendez, je vous cite, que c'est « l'État qui choisit les grands thèmes de recherche et décline les priorités » car vous contestez l'idée que la détermination des priorités soit du ressort de la communauté scientifique.

Tout cela est d'une gravité sans précédent. Si notre pays est aujourd'hui une grande puissance économique et scientifique, c'est parce qu'il a su se doter de structures de recherche de très haut niveau à la fois indépendantes, réactives, responsables et démocratiques.

M. Francis Delattre. Et « citoyennes », n’oubliez pas !

M. Frédéric Dutoit. Votre nouvelle architecture antidémocratique et opportuniste oublie combien la recherche scientifique est aléatoire. La plupart des grandes découvertes, celles qui ont eu un impact hautement significatif pour le développement des sociétés, comme la pénicilline ou la radioactivité, sont nées d'observations fortuites et imprévisibles. Comment pouvez-vous donc mépriser à ce point l'impulsion donnée par les chercheurs eux-mêmes dans l’élaboration des choix de recherche ? Une société qui n'a plus confiance en sa communauté scientifique est une société qui se fige, se replie sur elle-même et régresse.

Nos difficultés structurelles sont pourtant bien connues. La France se distingue par la manie d’accumuler les normes et les réorganisations plutôt que de travailler avec les outils dont elle dispose déjà. Nous constatons également une difficulté chronique à organiser de façon pérenne et homogène le financement de la recherche et de l’innovation. Ce sont exactement les reproches que nous pouvons, aujourd'hui, adresser au projet de loi.

Et pourtant, en mars 2000, à l’heure de la ruée vers les nouvelles technologies, le Conseil européen de Lisbonne, prenant conscience du retard européen dans le domaine de l’innovation et de la recherche, marquait un tournant en définissant un objectif stratégique sur dix ans : « faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».

Oui, messieurs les ministres, la richesse économique est, de plus en plus, le résultat de la recherche et du développement technologique, et non de la simple exploitation des richesses naturelles. En méprisant les propositions de la communauté scientifique, vous avez fait le choix d’une réforme dogmatique et inefficace. Nous ne partagerons pas cette responsabilité et voterons, sans hésitation, contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Pour le groupe de l’UMP, la parole est à M. Pierre Lasbordes.

M. Pierre Lasbordes. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons achevé l’examen du projet de loi de programme pour la recherche, un texte très attendu par la communauté scientifique, qui s’était puissamment mobilisée au printemps 2004, et nécessaire à notre pays, afin de lui permettre d’être à la hauteur des enjeux d’un monde en pleine mutation où la science est devenue un des principaux moteurs de la compétition économique.

Après une première lecture au Sénat, ce sont près de 400 amendements qui ont été discutés en commission et en séance publique, donnant lieu à des débats riches, parfois vifs, mais toujours courtois.

Je souhaite revenir sur quelques-unes des mesures qui me paraissent les plus significatives et que notre assemblée a souhaité préciser en les attachant à des engagements clairs.

Ce projet de loi traduit d’abord la volonté de mettre en place une véritable culture de la confiance : la mise en œuvre du contrôle financier a posteriori, applicable aux EPST, constitue un premier effort important en ce sens. Mais faire confiance, c’est aussi faire simple. C’est pourquoi le texte prévoit d’exonérer les EPST et les EPCSCP de l’application du code des marchés publics pour leurs achats scientifiques, ce qui correspondait à une forte demande de la communauté scientifique.

Toutefois, la confiance ne peut se suffire à elle-même. Rien ne saura possible sans un meilleur pilotage et les moyens correspondants. Pour ce faire et afin d’assurer la gouvernance de notre système de recherche, le projet de loi crée le Haut conseil de la science et de la technologie, instance qui n’est pas sans rappeler celles qu’avait créées en son temps le général de Gaulle. Placé auprès du Président de la République, il permettra à la communauté scientifique de se faire entendre au plus haut niveau de l’État tout en voyant sa liberté garantie puisque le projet de loi lui permet de s’autosaisir sur des sujets lui paraissant essentiels.

Les moyens, quant à eux, sont tout d’abord d’ordre financier. Ils augmenteront de près de 24 milliards d’euros d’ici à 2010, ce qui est sans précédent. Nous tenons à remercier le Gouvernement d’avoir accédé favorablement à notre demande en exprimant cette progression en euros constants.

Le projet de loi prévoit ensuite des moyens humains. Nombreux sont ceux qui, à gauche, ont réclamé la mise en place d’un plan prévisionnel de gestion des emplois scientifiques, exhumant au passage celui qui avait été préparé en 2001, alors qu’il se situait bien en retrait des engagements figurant dans la dernière loi de finances, laquelle prévoit, pour 2006, la création de 3 000 postes supplémentaires de chercheurs dans les organismes et les universités. Nous avons également adopté un amendement de notre rapporteur, Jean-Michel Dubernard, qui invite le Gouvernement à présenter chaque année un état prévisionnel et indicatif sur cinq ans des recrutements de personnels statutaires et non statutaires.

Quant aux moyens d’ordre structurel, le projet de loi pérennise l’ANR qui, depuis sa mise en place, a démontré toute son efficacité, au dire de la communauté scientifique elle-même. Contrairement à ce que d’aucuns ont prétendu, cette structure ne vide pas de sa substance les moyens destinés aux organismes et ne s’oppose pas non plus à la recherche fondamentale, puisque 30 % de ses crédits seront destinés à celle-ci, faisant de l’ANR une agence puissamment irriguée par la base et non par le haut. Une agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur est également instaurée : elle prendra en compte la totalité des missions de la recherche ainsi que la partie enseignement des enseignants-chercheurs. La composition de son conseil d’administration est ouverte à tous les acteurs de la recherche. Plus transparente dans les procédures, les résultats et leurs conséquences, cette nouvelle agence sera un véritable outil permettant à l’État et au Parlement d’avoir une vision homogène de l’efficacité de la recherche.

De plus, poursuivant un de ses objectifs majeurs, qui est d’inciter et d’accompagner des coopérations toujours plus étroites entre les acteurs de l’enseignement supérieur et ceux de la recherche travaillant sur un même territoire, en vue d’accroître leur efficacité et leur reconnaissance sur les plans national et international et de favoriser une approche multidisciplinaire de la recherche, le projet de loi entérine la création des PRES, autre forte revendication des chercheurs. Dans un même logique de rapprochement, les synergies et les réseaux thématiques de recherche avancée compléteront le dispositif autour d’un projet scientifique précis et limité.

Des mesures concernent également les jeunes chercheurs. Nous saluons d’autant plus l’engagement du Gouvernement de porter, au 1er janvier 2007, l’allocation de recherche à une fois et demie le SMIC, qu’il intervient après une revalorisation de 30 % de son montant depuis 2003 et son indexation sur la grille indiciaire de la fonction publique. Une telle initiative témoigne de notre sollicitude à l’égard de celles et de ceux qui seront la recherche de demain et de notre volonté de renforcer l’attractivité des carrières scientifiques. Du reste, les formations liées à la recherche, notamment les doctorats, doivent être reconnues à leur juste valeur par les entreprises et considérées comme une véritable expérience professionnelle.

Pour conclure, il nous paraît souhaitable qu’à terme, dans le cadre d’une future loi de finances, ce projet de loi soit complété par des mesures fortes en faveur du développement des PME innovantes, comme l’a souhaité la commission des finances.

Mes chers collègues, le texte soumis aujourd'hui à notre vote est ambitieux : situé « entre les partisans du statu quo et les réformateurs désargentés », comme le remarquait Élie Cohen, il permet le mouvement tout en maintenant les grands équilibres dans des limites réalistes. Il apporte, comme l’affirmait récemment Jean-Marie Lehn, prix Nobel, « une bouffée d’oxygène » et « un véritable outil d’ouverture et de liberté pour la communauté scientifique ».

Il y a deux ans, les chercheurs faisaient entendre leur voix : nous leur tendons aujourd'hui la main en faisant de la recherche une vraie priorité pour notre pays. Pour toutes ces raisons, le groupe de l’UMP votera résolument en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, vous avez pu vous apercevoir – M. Brunhes s’en est inquiété – que je n’ai pas annoncé le scrutin public sur le vote de l’ensemble du projet de loi dans le Palais : un dysfonctionnement informatique (Murmures) nous contraint effectivement à vérifier l’enregistrement des délégations de certains groupes. Ce sont, en quelque sorte, les inconvénients du direct ! (Sourires.) Le scrutin n’aura donc lieu qu’après une courte suspension de séance.

Je vais néanmoins annoncer dès à présent le scrutin public sur le vote de l’ensemble du projet de loi.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'ensemble du projet de loi de programme pour la recherche, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures douze, est reprise à dix-sept heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Louis Debré.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est reprise.

DROIT D’AUTEUR
dans la société de l’information

Suite de la discussion,
après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (nos 1206, 2349).

Mes chers collègues, j’ai proposé à la conférence des présidents, qui l’a acceptée, une organisation quelque peu différente de nos travaux. Avant de poursuivre la discussion des articles, nous procéderons à une sorte de discussion générale réduite. Je donnerai ainsi la parole à M. le ministre de la culture et de la communication, puis, pour dix minutes chacun, à M. le président de la commission des lois, à M. Bloche pour le groupe socialiste, à M. Bayrou pour le groupe Union pour la démocratie française, à M. Dutoit pour le groupe des député-e-s communistes et républicains et à M. Accoyer pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Certes, une telle organisation n’est pas totalement conforme à notre règlement.

M. Christian Paul. Et pour cause !

M. le président. Toutefois, la conférence des présidents l’ayant adoptée, je peux considérer que cette démarche a été approuvée par l’ensemble de l’Assemblée.

Rappels au règlement

M. Frédéric Dutoit. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour un rappel au règlement.

M. Frédéric Dutoit. C’est un véritable problème de procédure qui se présente à nous aujourd'hui. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui n’est plus du tout le même que celui que l’Assemblée nationale a commencé à examiner en décembre dernier, puisque le Gouvernement, par une décision unilatérale et de façon assez autoritaire, a supprimé rien de moins que l’article 1er pour que nous puissions continuer à discuter sereinement. Ce recul lui permet d’éviter toute nouvelle discussion sérieuse qui pourrait prolonger notre débat de décembre et celui qui s’est ensuivi avec les très nombreuses personnes intéressées : les artistes, les auteurs, mais aussi l’ensemble des internautes et de la jeunesse de notre pays.

Cette situation crée des difficultés à notre groupe. Vous l’avez d’ailleurs fort bien compris, monsieur le président, puisque vous avez fait une proposition permettant de recadrer quelque peu le débat. Mais comment travailler correctement alors que nous n’avons pu débattre sérieusement, en commission des affaires culturelles, de l’ensemble des propositions du Gouvernement ? Je demande donc une suspension de séance pour voir avec mon groupe comment nous devons réagir à cette situation.

M. le président. Cela devrait être rapide, puisque vous êtes seul. (Sourires.)

M. Frédéric Dutoit. Les autres sont à côté, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Vous devinez aisément l’objet de mon intervention, monsieur le président, puisque ce matin, en conférence des présidents, j’ai déjà émis la plus vive protestation contre les méthodes du Gouvernement vis-à-vis du Parlement. Il y a déjà eu l’affaire du CPE, qui réunit contre lui des centaines de milliers de manifestants dans le pays.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Hors sujet !

M. Jean-Marc Ayrault. Si, c’est le même sujet, car c’est le même gouvernement, la même majorité et la même façon de procéder ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Herbillon. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Marc Ayrault. Sur le contrat première embauche, le Gouvernement a déclaré l’urgence, puis a eu recours à l’article 49-3 pour mettre fin à la discussion à l’Assemblée nationale, si bien que nous n’avons même pas examiné l’ensemble des articles : le débat a été interrompu à l’article 3 d’un texte qui en comporte vingt-huit ! Nous avions demandé qu’un vote solennel ait lieu la semaine prochaine, mais le Gouvernement, maître de l’ordre du jour, a décidé que le vote définitif se tiendrait demain après-midi.

M. Jérôme Bignon. Il n’y a en effet pas de temps à perdre !

M. Jean-Marc Ayrault. À quelle heure ? On n’en sait rien. Et ce sera un scrutin public classique !

On assiste à un dévoiement de plus en plus accentué de nos méthodes de travail habituelles. Le manque de respect à l’égard de l’Assemblée nationale s’aggrave, et le Gouvernement en a donné hier une nouvelle illustration en retirant l’article 1er de ce projet. Il est vrai qu’en décembre dernier le débat avait été vif sur cet article. Le Gouvernement pensait faire passer son texte en catimini, le 21 décembre, à veille de l’interruption de nos travaux, tablant sur l’indifférence générale et sur la fatigue des parlementaires en fin d’année. Ce n’est pas ce qui s’est passé : il a été obligé de reculer et de reporter l’examen du projet, après que le groupe socialiste, notamment mes collègues ici présents Patrick Bloche, Christian Paul et Didier Mathus, l’eut interpellé très clairement. Cette initiative – à laquelle se sont joints des députés de la majorité, indignés de l’accélération que l’on voulait imprimer à l’examen de ce texte – a permis un vrai débat dans le pays. On ne compte plus les articles, les émissions, les rencontres avec les artistes qui ont eu lieu pour trouver un compromis acceptable par l’ensemble des personnes concernées par ces questions.

M. Francis Delattre. Et tout cela grâce à vous ! (Sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Ayrault. Voilà donc qu’aujourd'hui le Gouvernement reprend la même méthode. C’est un communiqué qui nous a appris hier sa décision de retirer l’article 1er. Il a également déposé de nouveaux amendements, que nous ne connaissons pas tous. Il convient, mes chers collègues, que les Français sachent dans quelles conditions nous travaillons : la commission devait examiner ces amendements cet après-midi à quatorze heures, soit quelques instants avant le début de la séance publique !

M. François Bayrou. C’est une honte !

M. Jean-Marc Ayrault. Sans même aborder le fond, monsieur le président, j’en appelle à votre autorité : les droits de l’Assemblée nationale, dont vous êtes le garant, sont de plus en plus bafoués. Nul ne s’en étonnera après avoir lu dans le Journal du dimanche une déclaration profondément choquante de « Matignon » – je ne sais si c’est le Premier ministre lui-même qui a tenu ces propos –, selon laquelle le recours à la déclaration d’urgence et à l’article 49-3 est dû au fait que l’on perd du temps avec le Parlement (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), alors qu’il y a urgence à agir !

Mme Sylvia Bassot. C’est un expert qui parle ! Que faisons-nous en ce moment sinon perdre du temps ? Vous êtes le roi de la perte de temps !

M. Jean-Marc Ayrault. Les institutions de la VRépublique ne permettent déjà que trop de bâillonner l’Assemblée. Là, le Gouvernement dépasse les bornes ! Je tiens à exprimer solennellement l’indignation du groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La question du retrait de l’article 1er a été évoquée ce matin en conférence des présidents et l’est de nouveau cet après-midi. Je souhaiterais donc apporter quelques précisions.

L’article 84 de notre règlement dispose que « les projets de loi peuvent être retirés par le Gouvernement jusqu’à leur adoption définitive par le Parlement ».

M. Jean-Pierre Soisson. Les gouvernements socialistes n’ont d’ailleurs pas manqué d’en user !

M. le président. Je ne vous ai rien demandé, monsieur Soisson !

En vertu du principe selon lequel « qui peut le plus peut le moins », il est de jurisprudence constante que le Gouvernement, qui peut retirer l'ensemble d'un projet de loi, peut également en retirer une partie, c'est-à-dire un ou plusieurs articles. Il existe de nombreux cas de ce type, le premier remontant à 1960.

M. Christian Paul. Cela ne nous rajeunit pas !

M. le président. La procédure a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juillet 1984.

Selon les termes mêmes de l'article 84, le retrait peut intervenir « à tout moment avant l'adoption définitive du texte ». La circonstance que l'Assemblée ait commencé l'examen de l'article 1er et ait déjà adopté des amendements ne fait donc pas obstacle à son retrait.

M. Jean-Pierre Brard. Il faut changer les institutions !

M. le président. Là encore, il existe des précédents – une dizaine – à une telle situation.

Parallèlement, le Gouvernement a déposé un amendement portant article additionnel qui propose une solution alternative à ce que l'Assemblée avait adopté dans le cadre de l'article 1er. Je tiens à souligner que cette solution ne réduit nullement les droits de l'Assemblée nationale, monsieur Ayrault. L'amendement a été examiné tout à l'heure par la commission.

M. Christian Paul. Il y a quelques minutes seulement !

M. le président. Il peut faire l'objet de sous-amendements : nous venons d’ailleurs d’en recevoir un certain nombre du groupe socialiste.

M. Christian Paul. Bien obligés !

M. le président. Bien plus, en application de l'article 99, alinéa 10, le dépôt hors délai d'amendements concurrents est possible.

Au-delà de cette analyse juridique et réglementaire, je voudrais faire observer que la procédure retenue est sans doute celle qui, pour faire référence à un principe auquel le Conseil constitutionnel reconnaît une valeur constitutionnelle, est la mieux à même d'assurer « la clarté et la sincérité du débat ». Qu’auriez-vous dit, qu’aurais-je dit si, en décembre, le choix avait été fait d’une seconde délibération, à une heure avancée de la nuit et dans un hémicycle à peu près vide ?

M. Christian Paul. Nous ne faisons que tomber de Charybde en Scylla !

M. le président. Juridiquement, réglementairement comme en termes de clarté du débat, la procédure adoptée est conforme à notre Constitution, à notre règlement et à l’esprit de nos institutions.

M. Jean-Pierre Brard. Mais politiquement, c’est Gribouille !

M. le président. J’ai cru comprendre que vous souhaitiez ajouter quelque chose, monsieur Paul.

M. Christian Paul. Le groupe socialiste ne méconnaît pas l’article 84 de notre règlement, qui dispose en effet que les projets de loi peuvent être retirés par le Gouvernement à tout moment jusqu’à leur adoption définitive par le Parlement.

M. Patrice Martin-Lalande. Il le méconnaît d’autant moins qu’il l’a lui-même utilisé !

M. Christian Paul. C’est d’ailleurs sur cet article qu’il se fonde pour répéter depuis des semaines au Gouvernement qu’il serait bien inspiré de retirer ce texte. Mais cela ne doit pas se réduire à cette grossière opération chirurgicale par laquelle il piétine les droits du Parlement, et singulièrement le premier d’entre eux, qui est le droit d’écrire la loi.

Au lieu de retirer l’article 1er amendé, qui a été adopté par une majorité de députés…

M. Bernard Accoyer et M. Dominique Richard. Non ! Pas l’article, mais l’amendement qui le réécrivait !

M. Christian Paul. …dans des circonstances assez exceptionnelle, puisque sur cette question d’intérêt général des voix diverses ont convergé, le Gouvernement serait bien inspiré, je le répète, de retirer l’ensemble du projet de loi. Il mettrait ainsi fin à cette contrefaçon de la démocratie (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), qui n’a pas commencé au mois de décembre.

M. Dominique Richard. Les socialistes ne sont même pas d’accord entre eux !

M. Christian Paul. Ce texte a en effet été déposé à la fin de l’année 2003. Il a séjourné – « moisi », pour reprendre un mot de M. Emmanuelli – dans les placards du Gouvernement pendant deux ans avant d’être porté devant l’Assemblée nationale. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Carayon. Et combien de temps sous Jospin ?

M. Christian Paul. Dès le mois de novembre 2004, nous avions demandé la constitution d’une mission d’information parlementaire sur ce sujet si complexe. Nous étions, en effet, convaincus que, n’ayant donné lieu ni à une élaboration collective au Parlement ni à une concertation dans le pays, ce texte allait connaître un fiasco. Le Gouvernement a choisi de passer outre cette recommandation et il y a bel et bien eu fiasco.

Nous avons entendu le ministre de la culture pour la première fois il y a huit jours, en commission des lois et en commission des affaires culturelles ! Les amendements du Gouvernement ont été réécrits jusqu’à la dernière minute, quant à ceux du rapporteur, certains nous ont été communiqués il y a quelques minutes à peine ! Heureusement, nous avons fait preuve de réactivité et déposé des amendements pour essayer d’éviter le pire.

Monsieur le président, hier soir, le Parlement a été victime d’un escamotage et la représentation nationale d’un camouflet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. L’article 1er n’a pas été adopté, monsieur Paul. Seuls cinq amendements à cet article l’ont été.

M. Didier Mathus. Oui, mais quels excellents amendements !

M. Christian Paul. Et qu’est-ce que cela change ?

M. le président. Vous ne pouvez pas dire que l’article 1er a été adopté quand il ne l’a pas été. Il faut être clair et précis. Tel était sans doute le fond de votre pensée, même si vous ne l’avez pas exprimé ainsi ! (Sourires.)

M. Christian Paul. Je n’ai pas eu de bons professeurs !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Chacun ici s’accorde, sinon sur la politique du Gouvernement, du moins sur la qualité de la présidence. Monsieur le président, vous avez pris dans le passé des initiatives pleines de sagesse en mettant en place, sur des sujets difficiles, des missions d’information qui ont parfois permis de rapprocher les points de vue.

Ce sujet est délicat, chacun en conviendra. D’un côté, nous avons les droits d’auteur, tout à fait légitimes et indispensables, et de l’autre, une immense aspiration de la jeunesse et des internautes à communiquer librement et à s’échanger des informations au sens le plus large du terme. Si vous aviez, monsieur le président, usé de la sagesse à laquelle vous nous aviez habitués (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)… Vous n’êtes pas d’accord ? (« Si, mais avançons ! » sur les mêmes bancs.)

M. le président. Ne mélangeons pas tout !

M. Jean-Pierre Brard. Je ne fais que distribuer les honneurs et les critiques à qui les mérite !

M. le président. Où est votre rappel au règlement ?

M. Jean-Pierre Brard. Comment y arriverais-je en étant tout le temps interrompu ?

M. Philippe Briand. Est-ce une manière de faire de la politique ?

M. Jean-Pierre Brard. Je reviens donc à mon rappel au règlement qui a trait au déroulement de nos travaux. Vous avez pris des initiatives, monsieur le président, mais qu’y a-t-il de commun entre Costa Gavras et Johnny Hallyday ?

M. Francis Delattre. Et entre Georges Marchais et Jean-Pierre Brard ?

M. Jean-Pierre Brard. Johnny Hallyday a certainement des intérêts à défendre, même si ce n’est pas dans notre pays puisqu’il s’expatrie en Belgique. Dès lors, je ne vois pas de quel droit il intervient dans le débat national.

Quoi qu’il en soit, le sujet est très difficile. Monsieur le président, vous pouvez avoir réglementairement raison, mais cela ne nous sort pas de l’ornière politique. Personne ne peut contester que les droits du Parlement, même si vous excipez du règlement, ont été bafoués. On sent bien que l’amendement du Gouvernement a vocation à remplacer, par un tour de bonneteau, l’article 1er qui a été retiré. Nous avons besoin de temps pour consulter les divers partenaires et trouver les compromis raisonnables. Dans un article cosigné par Laurent Wauquiez, Dominique Richard et Françoise de Panafieu, j’ai pu lire : « Le net représente une révolution culturelle d’une ampleur qui nous ramène à l’époque des premiers tâtonnements de l’imprimerie ». J’imagine bien Mme de Panafieu discutant avec Gutenberg à la bougie ! Comprenez qu’il nous faille du temps pour trouver notre chemin !

M. le président. Nous avons organisé ce débat précisément pour éviter ce qui est en train de se passer. Cela montre au moins que la procédure que j’ai choisie, et que la conférence des présidents a acceptée, n’est pas sans intérêt. Nous avons tous constaté en décembre que l’affaire n’était pas mûre.

M. Christian Paul. C’est sûr !

M. le président. C’est la raison pour laquelle le débat a été suspendu. Le nouvel amendement du Gouvernement…

M. Christian Paul. Il est pire !

M. Jean-Pierre Brard. C’est toujours un fruit vert !

M. le président. …permet de reprendre le débat sur le fond dans de meilleures conditions. Or je constate que vous multipliez les incidents ou les rappels au règlement pour éviter cette discussion sur le fond. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Nous ne voulons absolument pas éviter le débat sur le fond, mais avouez, monsieur le président, même si vous n’y êtes pour rien, qu’il devient très difficile de travailler sur ce texte. Après la suspension de nos travaux à la fin du mois de décembre, nous pouvions espérer qu’un travail collectif soit engagé, mais la seule initiative qui a été prise est la vôtre.

M. Dominique Richard. Et le travail des commissions ?

Mme Martine Billard. La commission des affaires culturelles a juste reçu le ministre le 1er mars, à onze heures et demie.

M. Francis Delattre. Il n’y avait personne de votre groupe !

Mme Martine Billard. Les députés présents ont dû protester quand le président leur a demandé d’aller très vite – ce à quoi le ministre ne semblait pas opposé – et d’éviter de poser trop de questions, arguant de votre initiative, monsieur le président. Vous comprendrez que nous soyons énervés ! Je rappelle que nos travaux ont repris le 21 février et que le fameux article 1er réécrit ne nous est parvenu qu’hier soir. Nos conditions de travail sont de plus en plus tendues. Nous devons être constamment en alerte, prêts à bouleverser nos agendas en circonscription ou nos autres travaux pour examiner tout nouvel amendement du Gouvernement, à toute vitesse, y compris avec les acteurs intéressés.

M. Bernard Carayon. Justement, ne perdons pas de temps !

Mme Martine Billard. Il s’agit là d’un texte à la fois politique, économique, culturel et technique, dont peu d’entre nous peuvent se vanter de connaître tous les aspects sur le bout des doigts. Personnellement, je n’ai pas cette prétention.

M. Bernard Carayon. Ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut s’y mettre !

Mme Martine Billard. Nous sommes donc susceptibles, à tout instant, d’avoir besoin de conseils juridiques, culturels ou techniques. Il est donc difficile d’être prêt pour dix-sept heures lorsqu’un amendement tombe la veille au soir ou le matin même ! On ne s’étonnera pas que nos concitoyens trouvent parfois l’hémicycle vide. On fait ce qu’on peut dans de telles conditions de travail !

Je donnerai un exemple pour terminer. En décembre, le texte initial de l’article 9 était complètement réécrit par un amendement du Gouvernement ; aujourd’hui, c’est un amendement du rapporteur qui est déposé, tandis que l’amendement du Gouvernement n’existe plus. Est-ce à dire que l’amendement du rapporteur remplace celui du Gouvernement et qu’il tend à revenir à la version d’origine modifiée par l’amendement du rapporteur ? Cela devient très compliqué !

M. Michel Herbillon. On va vous expliquer !

Mme Martine Billard. Je sais bien que nous devons faire preuve de souplesse, mais à ce niveau, nous allons devoir faire beaucoup de gymnastique !

M. Henri Emmanuelli. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Juste quelques mots pour ne pas allonger le débat et pour faire cesser cette perte de temps. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Christian Paul. Déjà trois ans de perdus !

M. Bernard Accoyer. Nos collègues de l’opposition pratiquent le déni de démocratie et une opposition frontale. Nous avons encore pu le constater lors de la discussion du projet de loi sur l’égalité des chances, à l’occasion de laquelle – fait unique ! –, durant toute une matinée, aucun vote n’a pu intervenir. Trois heures de perdues pour rien !

M. Henri Emmanuelli. N’aviez-vous pas, vous-même, demandé la vérification du quorum ?

M. Bernard Accoyer. Cette situation intervenait après 43 heures de débat et un vote démocratique qui s’est déroulé sans les députés socialistes, qui étaient peu nombreux dans l’hémicycle. (« Absents ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Martine Billard. Ce n’est pas le sujet !

M. Christian Paul. Revenez plutôt au débat qui nous occupe !

M. Bernard Accoyer. Ce texte ne pouvant, dès lors, plus avancer, le Gouvernement a décidé d’appliquer la procédure constitutionnelle prévue pour répondre à de telles situations. Le Sénat, pour sa part, a débattu plus de 90 heures et voté démocratiquement le texte.

M. Jean-Pierre Brard. De quoi parlez-vous ?

M. Bernard Accoyer. Aujourd’hui, nos collègues de l’opposition prétendent que le travail parlementaire a été inexistant alors que ce sont eux qui le bloquent ! Qui plus est, ils diffusent de fausses informations dans le pays et surfent sur la peur. Cela est dangereux ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Je viens d’apprendre qu’une permanence au moins de l’UMP aurait été saccagée. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Laquelle ?

M. Christian Paul. Par des internautes ? C’est de la provocation !

M. Bernard Accoyer. Je vous appelle donc à une certaine responsabilité. On ne sait pas jusqu’où ce genre de dérive peut aller.

S’agissant des droits d’auteur et des droits dérivés, je veux remercier le Gouvernement d’avoir conduit sur ce texte un travail de concertation,…

M. Didier Mathus. Avec qui ?

M. Bernard Accoyer. …qui a répondu aux demandes de l’opposition et d’une partie de la majorité.

M. Patrick Bloche. C’est faux !

M. Christian Paul. Mascarade !

M. Bernard Accoyer. Après avoir interrompu nos débats à la fin de l’année dernière,…

M. Jean-Pierre Brard. Nous l’y avons bien aidé !

M. Bernard Accoyer. …il a mené de très larges consultations et a réussi à résoudre tous les problèmes. Sur les droits des auteurs, la liberté des internautes, l’interopérabilité et les logiciels libres, un travail formidable a été accompli, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir. Le fruit de cette concertation est une réécriture de l’article 1er, qui n’avait pas été adopté, qui répond aux demandes de l’opposition en permettant d’associer le droit des auteurs et celui des internautes.

M. Patrick Bloche. Il a fallu deux mois et demi pour le réécrire ?

M. Bernard Accoyer. Auriez-vous préféré que nous adoptions les vingt-huit amendements qui restaient en discussion pour ensuite voter contre l’article ? C’est alors que vous auriez pu légitimement protester !

M. Christian Paul. Cela sent la mascarade !

M. Bernard Accoyer. Qu’aurait dû faire, selon vous, le Gouvernement ? Demander une seconde délibération ? Cela n’est pas sérieux !

M. Christian Paul. Respecter le Parlement !

M. Bernard Accoyer. En réalité, votre opposition n’est qu’une posture et le parti socialiste pratique le double langage.

M. Henri Emmanuelli. Vous ne vous renouvelez pas beaucoup !

M. Bernard Accoyer. S’agissant des droits d’auteur, vous n’avez pas de position unanime (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Je ne vois dans l’hémicycle ni les anciens ministres de la culture, Jack Lang et Catherine Tasca, ni la responsable de la culture au parti socialiste, Anne Hidalgo, qui se sont tous prononcés contre la licence globale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. C’est de l’ingérence !

M. Henri Emmanuelli. On ne vous dit pas qui est absent sur vos bancs !

M. Bernard Accoyer. Je ne vois ici, dans un exercice pratique de double langage, que ceux qui sont pour. Voilà votre manière de faire de la politique ! Elle est dangereuse et ce n’est pas la nôtre. C’est pourquoi nous soutenons le Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Accoyer, je ne cherche pas, contrairement à ce que vous avez dit, à prolonger cette première partie de séance en multipliant les rappels au règlement. La difficulté de ce débat crée des divisions dans l’ensemble des groupes, y compris au sein de l’UMP. Aussi êtes-vous mal placé pour nous donner des leçons.

Par ailleurs, Mme Tasca n’est pas là parce qu’elle ne le peut pas : elle est sénateur. Quant à Mme Hidalgo, elle n’est pas membre de l’Assemblée nationale ; peut-être le deviendra-t-elle un jour… (Sourires.)

Nous sommes tout à fait désireux d’aborder le texte sur le fond et d’entamer cette discussion générale décidée en conférence des présidents. M. Bloche, qui s’exprimera sur le fond en notre nom, défendra nos convictions, car nous en avons.

M. Jean Leonetti. Faites-nous peur !

M. Jean-Marc Ayrault. Mais ces convictions se sont forgées par la confrontation et le débat, que nous avons menés depuis l’interruption des travaux de l’Assemblée nationale au mois de décembre, avec l’ensemble des personnes et des professions concernées, en particulier s’agissant des droits d’auteur.

Nous avons rencontré l’ensemble des parties prenantes, pour chercher la meilleure réponse à cette question complexe. Vous auriez dû nous écouter, car dès novembre 2004 les députés socialistes ont demandé une mission d’information de l’Assemblée nationale afin de savoir comment créer les conditions d’une bonne transposition de la directive sur le droit d’auteur – qui, je le rappelle, date de 2001.

Nous sommes en 2006 : qu’avez-vous fait pour faire avancer le débat depuis quatre ans que vous êtes aux postes de responsabilité gouvernementale ? Rien, sinon un texte à la va-vite, à la sauvette, au mois de décembre ! Vous portez la responsabilité de cette confusion. Nous avions demandé cette mission d’information parlementaire pour rechercher les conditions d’un consensus sur cette question compliquée, et vous nous l’avez refusée.

Lorsque le débat a été interrompu après le 21 décembre, nous avons à nouveau demandé cette mission d’information parlementaire, qui nous a de nouveau été refusée. Sans reprendre les propos de M. Dutoit, de Mme Billard et de M. Christian Paul, je rappellerai que vous auriez pu mettre à profit ce mois et demi pour créer les conditions d’un dialogue et d’un travail collectifs, mais que vous ne l’avez pas fait : une fois encore, vous agissez au dernier moment. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Voilà comment vous traitez l’Assemblée nationale.

Les droits du Parlement sont essentiels et je ne comprends pas que les députés de la majorité ne cessent de se coucher devant le diktat de l’exécutif. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Démagogue !

M. Jean-Marc Ayrault. C’est la réalité !

Vous voyez bien que, malgré la campagne de propagande permanente organisée par l’exécutif, la confiance est en train de fuir des mains du Premier ministre, sur ce sujet comme sur bien d’autres. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous avez dit, monsieur le président, que le retrait d’un article au cours de l’examen d’un texte par l’Assemblée nationale était constitutionnel. C’est votre droit, mais il revient au Conseil constitutionnel de le confirmer, s’il y a lieu.

Nous déposerons un recours, notamment sur ce point, auprès du Conseil constitutionnel, et, pour éclairer nos travaux préparatoires à ce recours, j’aimerais disposer, monsieur le président, des éléments de jurisprudence dont vous avez fait état.

M. Laurent Wauquiez. Vous n’avez qu’à consulter le site du Conseil constitutionnel !

M. Jean-Marc Ayrault. Le président a évoqué des informations publiques. Je demande donc à consulter ces éléments de jurisprudence.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Vous l’avez dit : ils sont publics !

M. Jean-Marc Ayrault. Je ne suis pas sûr que ces éléments de jurisprudence eux-mêmes ne soient pas sujets à débat. Il faut, en effet, éviter de confondre le retrait de certains articles d’un projet de loi par le Gouvernement avant son examen par l’Assemblée nationale et le retrait d’articles pendant leur examen, comme cela vient de se produire. Ce point n’est pas mineur. La liberté d’amendement qui revient aux parlementaires est un droit imprescriptible, un droit fondamental de la démocratie, et nous le défendrons. C’est notre devoir et nous le ferons.

J’ai donc besoin de disposer de ces éléments d’information pour étayer le recours que nous ferons au sujet de ce texte, tant sur certains aspects du fond que sur la procédure, comme nous le ferons pour le contrat première embauche.

M. Laurent Wauquiez. Quel pitoyable juriste !

Plusieurs députés de l’Union pour un mouvement populaire. Le débat !

M. Jean-Marc Ayrault. Nous le ferons sur le fond et sur la procédure, parce qu’il est important que la démocratie vive dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Pour ce qui concerne le retrait d’articles pendant la discussion, je tiens à votre disposition et vous ferai envoyer un grand nombre de cas. Je vous renvoie également à la décision du Conseil constitutionnel du 26 juillet 1984, très claire à ce sujet. On peut citer aussi un certain nombre de retraits d’articles intervenus alors que des amendements avaient été votés. J’ai, en effet, précisé tout à l’heure que contrairement à ce qu’a affirmé M. Paul, l’article 1er n’a pas été voté : seuls cinq amendements à cet article l’ont été.

La parole est à M. Frédéric Dutoit pour un rappel au règlement.

M. Frédéric Dutoit. Devant l’enjeu de ce débat, la discussion sur les manœuvres procédurières paraît seconde – encore que la question ait une grande importance pour ce qui concerne le respect du Parlement.

Je tiens cependant à revenir sur les propos de M. Accoyer : monsieur le président du groupe UMP, ne faites pas penser à nos concitoyens que ce texte ferait l’objet d’un combat droite-gauche.

Plusieurs députés de l’Union pour un mouvement populaire. Mais si !

M. Frédéric Dutoit. J’en veux pour preuve ce qui s’est produit au mois de décembre dernier et le débat qui se déroule dans la société : chez les auteurs – et pas seulement les 1 200 signataires de la pétition publiée par la SACEM, que nous avons rencontrés ici même à l’invitation de M. le président de l’Assemblée nationale – comme chez les interprètes, qui ne sont pas non plus unanimes quant à la licence globale, ainsi que chez les jeunes et tous les internautes, dont aucun de ceux qui m’ont sollicité, directement ou par mail, ne m’a demandé la gratuité du téléchargement.

Ne dites donc pas, monsieur Accoyer, qu’il s’agit ici d’un débat entre la droite et la gauche.

M. le président. Nous vous avons entendu, monsieur Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Pour mieux étudier l’amendement que le Gouvernement présente à brûle-pourpoint, je réitère ma demande de suspension de séance.

M. le président. Je ne suis pas sourd ! Je vous ai bien compris, mais j’ai décidé de laisser, auparavant, la parole à tous ceux qui l’ont demandée.

La parole est à M. Alain Joyandet.

M. Alain Joyandet. Je ne peux pas laisser dire que certains députés se couchent tandis que d’autres restent debout (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),…

M. Jean-Pierre Brard. C’est pourtant une habitude chez vous, une habitude d’esclaves !

M. Alain Joyandet. …et encore moins de la part d’un président de groupe à qui nous ne demandons pas s’il se couche lorsqu’il va téléphoner au premier secrétaire du Parti socialiste pour savoir comment il doit conduire l’opposition, comme il l’a fait à propos du CPE. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous voyez les autres à votre image !

M. Alain Joyandet. Par ailleurs, monsieur le président, pour ce qui est de la forme de nos débats, l’opposition ne peut pas vous demander, ou demander au Gouvernement, tout et son contraire. Sur le CPE, vous l’avez rappelé, l’opposition a tout fait pour obliger le Gouvernement à utiliser la procédure à laquelle il a recouru, pour pouvoir nous le reprocher ensuite.

Sur le texte que nous examinons aujourd’hui – et il ne s’agit pas d’un débat droite-gauche –, personne ne se couche : nous sommes tous restés debout. Ceux qui étaient favorables à la licence globale et ceux qui y étaient opposés ont passé du temps à travailler ensemble.

On ne peut pas demander au Gouvernement et au président tout et son contraire. Ce texte transversal suppose que l’on règle certaines questions. Le Gouvernement prend la précaution de retirer un article, de ne pas passer en force, de laisser le temps au débat. Je veux remercier le président de l’Assemblée nationale d’avoir organisé des rencontres avec le monde de la culture (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) qui ont fini de convaincre certaines personnes que le Gouvernement nous proposait un texte équilibré.

M. Jean-Claude Viollet. Ce n’était pas le monde de la culture, mais celui des lobbies !

M. Alain Joyandet. Le débat a eu lieu. Ici, tout le monde est debout.

Monsieur Ayrault, au début de l’examen du texte, vous nous avez dit que vous alliez livrer bataille. Nous aussi vous avons dit que nous allions livrer bataille, mais pas contre vous : contre le chômage des jeunes !

M. Jean-Pierre Brard. Ils sont 400 000 à manifester aujourd’hui !

M. Alain Joyandet. Cette bataille, nous l’avons gagnée ici, démocratiquement, parce que le CPE a été voté démocratiquement.

M. Jean-Pierre Brard. Sortez de votre tour d’ivoire !

M. Alain Joyandet. Le droit d’auteur individuel auquel nous croyons, nous allons aussi le voter ici démocratiquement, sans démagogie, dans le respect de nos convictions.

En tout cas, monsieur Ayrault, soyez certain d’une chose : si un jour nous nous couchons devant quelqu’un, ce ne sera pas devant vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, je tiens évidemment à vous dire que par principe et par conviction politique j’ai le plus grand respect du Parlement et que je suis, ce qui est normal d’ailleurs, en permanence à la disposition des commissions, ou des uns et des autres, pour mener tout dialogue fructueux. Et je vous remercie des propos que vous avez tenus à l’ouverture de ce débat.

Mesdames, messieurs les députés, le débat parlementaire sur ce projet de loi a ouvert dans le pays un véritable débat de société sur le droit d’auteur, sur l’accès aux œuvres et à la culture, sur leur prix, sur le financement de la création, sur la diversité culturelle et sur l’innovation à l’ère d’Internet. Un débat utile, au fort retentissement parce qu’il concerne la vie quotidienne de nos concitoyens, en particulier des plus jeunes.

L’enjeu est majeur car plus d’un Français sur deux est internaute aujourd’hui, et à terme, grâce à la politique résolue menée en particulier par ce gouvernement pour résorber la fracture numérique et développer l’usage des nouvelles technologies en étendant la couverture de notre territoire, la plupart le deviendront.

Dans l’hémicycle comme au-dehors, j’ai toujours été à l’écoute de chacun, dans le respect de toutes les opinions. Je ne regrette pas le débat qui s’est ouvert et qui traverse au demeurant toutes les familles politiques. Ce débat a largement débordé l’hémicycle, et je m’en réjouis car cela prouve combien la représentation nationale est en prise avec la société.

M. Didier Mathus. Grâce à qui ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Je tiens à vous le dire avec beaucoup de force et de respect alors qu’il est certainement suivi avec une attention et une audience sans précédent sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Maintenant c’est ici, dans l’hémicycle, que le débat se poursuit et doit se conclure.

J’ai écouté vos interrogations, vos convictions, vos doutes, tous légitimes, je vous ai…

M. Didier Mathus et M. Jean-Marc Ayrault. Compris ! (Sourires.)

M. le ministre de la culture et de la communication. …entendus. Je crois qu’il n’y a pas grand monde qui puisse dire que nous avons refusé l’écoute et le travail en commun nécessaire. Les semaines écoulées depuis la suspension du débat en séance publique ont permis de poursuivre la concertation sur ce texte pour approfondir la réflexion, pour travailler avec vous, avec votre rapporteur, avec la commission des lois,…

M. Christian Paul. Si peu !

M. le ministre de la culture et de la communication. …ainsi qu’avec la commission des affaires culturelles familiales et sociales et la commission des affaires économiques. J’ai donc été trois fois de suite auditionné. Et j’en suis heureux parce que je pense que c’était tout à fait nécessaire.

M. Christian Paul. Session de rattrapage !

M. le ministre de la culture et de la communication. En témoignent les nombreux amendements qui ont été déposés. Notre travail collectif sur les articles de ce projet de loi, afin de parvenir au juste équilibre souhaité par le Président de la République dans ses vœux aux forces vives, va maintenant pouvoir aboutir, et je m’en réjouis.

Deux principes simples me paraissent devoir nous guider dans la recherche de cet équilibre.

Le premier est que le droit d’auteur est un droit fondamental et intangible. Pour le ministre de la culture et de la communication, c’est un magnifique débat que de parler du droit des auteurs et des créateurs, et de faire en sorte qu’il y ait une alliance féconde avec la technologie. Héritier des lumières, ce droit a su s’adapter aux innovations technologiques comme l’invention du disque et de la vidéo. Il est de votre responsabilité de législateur de l’adapter à Internet.

Le second principe fondamental est l’accès à la culture. L’accès aux œuvres grâce à l’univers numérique est essentiel selon moi.

L’enjeu de notre débat est de construire, sur la base de ces deux principes, un Internet équitable. Tel est le sens du nouvel équilibre que proposent les amendements du Gouvernement ainsi que plusieurs amendements parlementaires, notamment ceux du rapporteur de votre commission des lois.

L’Internet équitable, c’est d’abord l’Internet de la liberté de création des auteurs, de la liberté d’accès du public aux œuvres, de la liberté des créateurs de choisir les conditions d’accès à leurs œuvres et les conditions de leur rémunération, y compris la gratuité car ce choix leur appartient. Sur ce sujet, je sais que certains d’entre vous souhaitent réaffirmer que l’auteur est libre de choisir le mode de rémunération de ses œuvres ou de les mettre gratuitement à la disposition du public. C’est un élément très positif de clarification de notre débat. Le libre choix de l’auteur, l’exercice libre de son consentement sont primordiaux, sous réserve bien sûr des droits consentis à des tiers, comme est légitime la volonté des créateurs de vivre de leur travail.

C’est dans cet esprit que j’ai poursuivi au nom du Gouvernement et avec bon nombre d’entre vous la concertation autour de ce projet de loi afin de rapprocher les points de vue et de faire prévaloir l’intérêt général. Tel est le sens des amendements du Gouvernement, examinés en commission des lois il y a une dizaine de jours, et pour le dernier d’entre eux, aujourd’hui même. Tel est aussi le sens des accords pour l’utilisation des œuvres à des fins pédagogiques et de recherche, que je vous avais annoncés en décembre et qui ont été conclus, la semaine dernière, entre le ministère de l’éducation nationale et les différents secteurs concernés.

M. Christian Paul. Conclus ou signés ?

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est une avancée fondamentale.

L’Internet équitable doit respecter les valeurs de liberté auxquelles les internautes sont très attachés. La licence globale, qu’elle soit optionnelle ou non, créerait un système inéquitable. Nous savons qu’elle instaurerait une taxation des abonnements par Internet sans que la musique et le cinéma français y trouvent un financement suffisant.

M. Bernard Carayon. Tout à fait !

M. le ministre de la culture et de la communication. Modèle unique, qui par la loi s’imposerait à tous, qu’elle soit optionnelle ou non, elle ne serait pas l’autoroute qui conduirait à un monde idéal, mais une impasse pour la création française et la diversité culturelle. Le débat qui a eu lieu à la suite de son adoption l’a montré.

Tout le monde n’a pas les mêmes attentes et chacun doit trouver sur Internet l’offre qui lui convient. L’objectif premier de ce texte est aujourd’hui mieux compris : il s’agit de développer les offres culturelles en ligne pour satisfaire les attentes de chacun. Je pense notamment, et uniquement d’ailleurs à titre d’exemple, à l’écoute en ligne pour un concert en direct, à la location en ligne qui permet de télécharger un film qu’on pourra regarder chez soi pendant vingt-quatre heures, aux offres de découverte qui permettront d’écouter un artiste gratuitement pendant une certaine durée ou de le faire écouter à d’autres. Le projet de loi crée précisément les conditions pour que se multiplient ces œuvres de qualité, sécurisées, diversifiées, à des prix raisonnables, et lisibles sur tous les supports, tout en garantissant, j’insiste sur ce point, aux consommateurs le droit à la copie privée et en donnant aux créateurs la sécurité qui leur permet de faire basculer leur catalogue sur ces nouvelles offres. Il en va de la préservation du développement, du dynamisme, du rayonnement de la création française dans le monde et des 250 000 emplois qui en dépendent. Oui, cette diversité culturelle est un enjeu essentiel pour la France dans la mondialisation ; un enjeu pour la croissance, pour la compétitivité, pour la préservation de nos métiers et de nos savoir-faire, pour la création d’emplois, et tout simplement pour l’émergence et l’épanouissement des talents. Car le développement d’une offre légale en ligne, c’est une plus grande diversité de produits culturels apportée au choix des internautes, ce sont de nouvelles recettes apportées à la création, c’est aussi pour les internautes l’amélioration de la qualité technologique des enregistrements du son et de l’image.

Pourquoi l’emploi, pourquoi la rémunération due au travail, auraient-ils une valeur différente selon qu’ils sont ou non de nature artistique ? C’est pour moi l’enjeu central, l’enjeu de société de ce texte. Il ne vous a pas échappé car demain a lieu un rendez-vous décisif, qui est aussi au cœur des négociations interprofessionnels en cours sur l’emploi et sur l’assurance chômage des artistes et des techniciens du cinéma, du spectacle vivant et de l’audiovisuel. Il est au cœur de la politique culturelle que je mène depuis deux ans, que j’avais exposée ici même, lors du premier débat au Parlement sur le spectacle vivant. Bon nombre d’entre vous, vous aussi d’ailleurs, monsieur le président, y aviez assisté.

L’Internet équitable que je vous propose de construire ensemble sera favorisé par les nouveaux engagements pris par les principaux acteurs de la musique et du cinéma, sous l’égide du Gouvernement. Depuis la signature de la charte « Musique et Internet », en juillet 2004, de nombreux services sont apparus, d’autres vont encore se créer. L’innovation est foisonnante dans ce domaine. Et vous rendez possible par ce texte l’émergence d’une pluralité d’offres nouvelles. La signature, le 20 décembre dernier, au ministère de la culture et de la communication, d’un accord sur le cinéma marque un tournant pour l’essor des offres de vidéo à la demande, comme le montrera bientôt le « Printemps de la VOD ».

M. Christian Paul. C’est Publicis qui l’organise ?

M. le ministre de la culture et de la communication. À ceux qui nous reprochent l’inaction, je voudrais tout simplement faire remarquer que les rencontres entre les fournisseurs d’accès à Internet, le monde du cinéma ou le monde de la musique, le monde de la télévision et le monde de la radio, ont été nombreuses, fréquentes, et qu’elles ont permis de déboucher sur un accord, c’est-à-dire, pour nos concitoyens, sur une offre diversifiée.

En transposant la directive européenne, le projet de loi que je vous soumets apporte une nécessaire protection juridique aux mesures techniques efficaces de gestion des droits mises en place par les titulaires de ces droits, qui apparaissent nécessaires à l’émergence de ces différents modèles économiques et pour leur permettre de se stabiliser et de laisser la concurrence jouer entre eux.

Mais, en même temps, ce texte permet d’encadrer la mise en place des mesures techniques de protection. Ainsi, et soyons-en fiers tous ensemble – en tout cas ceux qui voteront le texte –, au-delà même de la directive, ce texte permet de garantir solidement l’interopérabilité pour donner à chacun la liberté d’utiliser le support de son choix, de choisir un logiciel libre ou propriétaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Carayon. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Notre pays a un capital extraordinaire de créations aussi bien culturelles et artistiques que dans le cadre d’une culture scientifique particulièrement performante. Et c’est bien de savoir allier l’un avec l’autre. Je crois qu’il faut le rappeler. Il favorise ainsi la concurrence et l’innovation, et préserve les intérêts de la recherche, essentielle pour les entreprises dont la valeur ajoutée est celle de l’intelligence. Je veux, à ce stade, dire que ce texte de libération des énergies est un texte de patriotisme, tant du point de vue des entreprises du logiciel libre que du point de vue des industries culturelles. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Carayon et M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. La préservation du droit à la copie privée, que le passage au numérique ne doit pas remettre en cause, fait partie du nouvel équilibre du texte. C’est l’objet des amendements de votre commission des lois aux articles 8 et 9. Si vous les adoptez, le projet de loi garantira explicitement la copie privée.

Le projet de loi initial prévoyait déjà une exception légitime en faveur des personnes handicapées. Elle sera encore améliorée par certains de vos amendements. Ce sont des convictions qui dépassent les clivages politiques, tant c’est une priorité nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Le débat provoqué par ce projet de loi a montré à quel point le téléchargement illicite est un phénomène complexe, mais dangereux. Très peu d’intervenants d’ailleurs ont défendu sa nécessité. Personne ne conteste l’ampleur des préjudices causés par les téléchargements illicites. Cependant, tous les acteurs qui contribuent à alimenter le phénomène ne relèvent pas du même niveau de responsabilité.

M. Jean Leonetti. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Une distinction claire doit être établie entre l’internaute qui télécharge un morceau de musique pour son usage personnel, les personnes physiques ou morales qui incitent au téléchargement illicite des œuvres et celles qui tirent profit d’œuvres illégalement mises en ligne, parfois même avant leur commercialisation. Sur ce sujet, je tiens à rappeler que la surveillance des échanges illégaux est une surveillance des œuvres et non des internautes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Bloche. Ça ne veut rien dire !

M. le ministre de la culture et de la communication. Rappelons le principe, absolument essentiel par définition, du respect de la vie privée. (Mêmes mouvements.)

Il n’est pas concevable aujourd’hui qu’un internaute qui télécharge illégalement un morceau de musique pour son usage personnel risque la prison.

M. Patrick Bloche. Vous vous payez de mots !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il est donc nécessaire de graduer les sanctions pour mieux les adapter à la gravité des actes : c’est l’objet des amendements du Gouvernement aux articles 13, 14 et après l’article 14. Ces amendements différencient clairement les responsabilités et constituent une véritable graduation des sanctions proportionnée aux fautes commises.

Enfin, parce que nous devons avoir à cœur de transmettre des valeurs, pour favoriser la prise de conscience et la sensibilisation des internautes à ces enjeux, les fournisseurs d’accès doivent contribuer à la prévention en envoyant largement à leurs abonnés des messages électroniques qui les informent des dangers évidents du piratage pour la création artistique – c’est l’objet d’un amendement du Gouvernement après l’article 14.

Ce texte donnera lieu à une évaluation régulière afin que nous puissions en mesurer toutes les conséquences. Dans cet esprit, il me paraît approprié qu’un rapport soit présenté au Parlement dès la première année d’application de la loi, comme le propose l’un de vos amendements.

J’évoquerai les enjeux de cet autre droit d’auteur qu’est le droit de suite – que j’avais présenté en ouvrant la discussion générale – lors de la discussion avant l’article 28.

Le texte d’équilibre, de liberté et de responsabilité que je vous soumets nous permet d’inventer et de construire un internet équitable. Le droit d’auteur est une conquête, une liberté et un facteur d’émancipation essentiel pour les créateurs. Ce projet de loi nous permet de l’adapter à l’ère d’internet. La technologie ne doit pas remettre en cause l’objectif qui nous est commun : celui de défendre la création française. Faisons de ce texte une garantie pour l’avenir de la musique et du cinéma français à l’ère numérique. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Paul. Voilà un discours cosmétique et mieux écrit qu’en décembre !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui s'est engagé en décembre dernier sur le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l’information a montré que ce texte dépassait de loin le seul objectif de transposer la directive du 22 mai 2001.

Mme Christine Boutin. C’est vrai !

M. Philippe Houillon, président de la commission. II touche en effet à un phénomène de société – le développement d'Internet, spécialement auprès des jeunes –, à des intérêts économiques – la rémunération de la création culturelle – et à des problèmes juridiques essentiels – le droit d'auteur et les droits voisins –, qui concernent directement la vie quotidienne de beaucoup de nos concitoyens.

N'oublions pas non plus, en ces temps de mobilisation générale dans la bataille pour l'emploi, que la culture, en France, permet à plusieurs dizaines de milliers de personnes d'avoir un travail. Je pense que cet aspect des choses doit rester présent à notre esprit, au moment où nous légiférons.

Tout l'enjeu de notre débat dans cet hémicycle repose sur la recherche d'un équilibre entre la protection de la création culturelle, à laquelle nous sommes tous attachés, et le développement de l'utilisation d'Internet, notamment par les jeunes, qui voient dans ce nouveau média un formidable moyen d'accès à la culture et à l'information.

Concilier les deux est indispensable, car si la richesse et la diversité culturelles participent au rayonnement de notre pays, la généralisation de l'usage d'Internet constitue également une réalité sociale incontournable et un atout pour l'avenir.

Les solutions initialement proposées pour parvenir à cet équilibre étaient, semble-t-il, trop binaires : d'un côté la licence globale, dont on voit bien qu'elle aurait consisté à imposer une redevance indifférenciée selon les œuvres téléchargées, au mépris des principes personnalistes qui ont toujours structuré le droit d'auteur ; de l'autre, l'exclusion du droit à la copie privée sur Internet, assortie de peines relevant du délit de contrefaçon, pénalisant à l'excès et sans doute de manière anachronique toute une génération de Français habitués à rechercher gratuitement des informations et des données sur internet.

À la suite des interrogations formulées en décembre, le Gouvernement a pris la mesure des questions soulevées par ce projet de loi. Il a finalement été décidé, avec sagesse je crois, de reporter la suite de notre débat au lendemain d'une concertation la plus franche, la plus complète et la plus constructive possible. Cette concertation a eu lieu et vous avez accepté, monsieur le ministre, d’être entendu à trois reprises par, respectivement, la commission des loi, la commission des affaires économiques et la commission des affaires culturelles. Comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, le président de l’Assemblée a lui-même organisé un certain nombre de réunions de concertation dont je sais, pour y avoir assisté, qu’elles ont été particulièrement riches et instructives. L'interruption de nos travaux a aussi permis d’élargir le débat démocratique à nos concitoyens, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Il faut donc se féliciter que du temps supplémentaire ait été laissé à la réflexion. Cela a permis au Parlement de faire valoir certaines de ses idées, puis de les faire partager au Gouvernement. Aujourd'hui, je pense que nous sommes parvenus à un texte en phase avec les aspirations des milieux culturels mais aussi avec les exigences du public, que l'on ne saurait ignorer par pur juridisme.

Je soulignerai brièvement les améliorations notables auxquelles nous sommes parvenus en commission des lois.

Le maintien en l'état de la précédente discussion de l'article 1er du projet de loi aurait de toute évidence gravement nui à la logique du texte, pour ne pas dire à sa raison d'être. Le retrait de cet article constitue donc une bonne chose ; c’est aussi une décision de simple bon sens.

Le Gouvernement a présenté un amendement après l'article 1er qui, globalement, s'appuie sur sa rédaction initiale, en la complétant toutefois par plusieurs amendements de la commission.

Cette rédaction retient également l'élargissement de l'accès aux sources numériques des œuvres imprimées au bénéfice des personnes handicapées, comme l’avait initialement souhaité notre rapporteur.

De même, le texte reprend, en la précisant, l'exception nouvelle adoptée par la commission en ce qui concerne les œuvres exposées sur le domaine public.

La commission des lois a logiquement accepté cette nouvelle rédaction de l’article 1er, estimant que son examen redonnerait à notre débat la lisibilité qu'il n'aurait pas dû perdre.

La commission a aussi apporté des modifications substantielles au projet de loi, afin de garantir le bénéfice de l'exception pour copie privée. Deux amendements de notre rapporteur permettent de le réaffirmer et d'en confier la mise en œuvre au collège des médiateurs, autorité administrative indépendante, donc neutre et arbitrale, mais placée sous le contrôle de la Cour d'appel.

Un autre amendement accepté par la commission vise à garantir l’interopérabilité des mesures techniques de protection avec les différents supports de lecture des œuvres. Voilà, je crois, des dispositions de nature à rassurer tous les internautes qui avaient pu craindre, sur la foi d’informations sans doute erronées, que la toile ne devienne un bastion où la copie privée ne serait pas admise.

M. Christian Paul. Ces dispositions ne rassureront personne !

M. Philippe Houillon, président de la commission. La commission s'est enfin attachée à conférer une plus juste mesure aux sanctions prévues par le projet de loi, en distinguant clairement le cas des fournisseurs d'accès et des acteurs économiques qui contreviendraient au droit d'auteur de celui des internautes qui effectueraient des reproductions non autorisées à des fins personnelles ou non commerciales.

S'agissant des premiers, la commission a accepté un amendement de M. Mariani et de M. le rapporteur qui apporte une réponse pénale de bon sens à l’encontre de tous ceux qui, sciemment – j'insiste sur ce critère d'intentionnalité –, mettent à la disposition du public un dispositif – ou incitent à son usage – manifestement destiné à permettre un accès non autorisé à des œuvres ou à des objets protégés.

M. Didier Mathus. C’est l’amendement Vivendi !

M. Philippe Houillon, président de la commission. Par ailleurs, les atteintes et les modifications essentielles aux mesures techniques de protection des œuvres numériques feront l'objet d'une gradation des peines plus appropriée que l'assimilation, initialement envisagée, au délit de contrefaçon.

S'agissant des internautes, toute copie non autorisée à des fins personnelles ou non commerciales relèvera d'un simple régime contraventionnel. On peut encore nourrir quelques interrogations sur la définition précise du fait visé mais, je le sais, des explications serons fournies au cours de ce débat.

En tout état de cause, comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, une évaluation de cette mesure un an après son entrée en vigueur apparaissait indispensable. Aussi la commission a-t-elle adopté un amendement allant dans ce sens, présenté par notre collègue Laurent Wauquiez.

Pour conclure, je souhaiterais souligner la grande qualité du travail de la commission des lois et de son rapporteur. Ce dernier, dès le dépôt du projet de loi, a procédé à l'audition de quelque quatre-vingt-dix personnalités avant de présenter ses conclusions, le 31 mai 2005.

M. Patrick Bloche. Il y a bien longtemps !

M. Philippe Houillon, président de la commission. Il n'a cessé, depuis, d'entretenir ce dialogue étroit avec les représentants des auteurs, des interprètes, des industries culturelles, des fournisseurs d'accès à Internet et aussi avec des juristes spécialisés. Il doit donc être félicité pour ce travail important.

Grâce à votre souci du dialogue, monsieur le ministre, grâce à la prise en compte de l'enjeu de société sous-jacent et à la discussion établie entre le Gouvernement et le Parlement, grâce enfin à la concertation avec les publics intéressés, nous avons vécu un moment fructueux de démocratie qui a permis d'aboutir à un texte d'équilibre, garantissant les droits des créateurs sans ignorer la réalité nouvelle issue de cette forme de révolution culturelle qu’est l'utilisation d'Internet.

Ainsi amélioré, ce texte garantira en effet la juste rémunération des auteurs, le respect de la liberté d'accès des jeunes internautes aux œuvres de l'esprit, tout en confortant le droit à la copie privée. Au nom de la commission des lois, je vous invite donc, mes chers collègues, à voter les amendements et les sous-amendements que nous avons acceptés, ainsi que le texte dans son ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour le groupe socialiste.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les conditions du retrait brutal, hier, de l’article 1er de ce projet de loi, sinon pour regretter, au nom de mon groupe, que le Gouvernement ne soit pas allé au bout de sa démarche en retirant purement et simplement la totalité d’un texte devenu incohérent.

M. Didier Migaud. En effet !

M. Christian Paul. Voilà ce qu’il fallait faire !

M. Patrick Bloche. Vous avez donc fait le choix, monsieur le ministre, d'occulter le vote intervenu, en décembre dernier, d'un amendement qui a remis radicalement en cause le dispositif de transposition de la directive que vous aviez choisi, cassant ainsi une logique funeste : celle du « tout répressif » sur Internet avec ses effets désastreux sur l'accès du public aux œuvres, sur l'exercice des missions des bibliothèques à l'ère numérique et sur la diversité culturelle comme logicielle.

Il n'est pas inutile à cet égard de rappeler que ce texte a mobilisé et continue de mobiliser contre lui beaucoup de monde, et tout particulièrement les dix millions de nos concitoyens qui pratiquent le peer to peer et qui, à ce titre, ont été considérés comme autant de délinquants potentiels hier et de contrevenants potentiels aujourd'hui.

L'urgence déclarée par le Gouvernement s'est finalement retournée contre lui, mettant à nu l'improvisation et l'amateurisme dont il a tant fait preuve sur ce dossier. En ce premier trimestre de 2006, nous nous retrouvons de fait amenés, chers collègues, à transposer dans notre droit interne un traité international – dit « OMPI » – vieux de très exactement dix ans !

M. Christian Paul. Un texte préhistorique !

M. Patrick Bloche. Comme s'il ne s'était rien passé durant cette décennie, tant en ce qui concerne les évolutions technologiques que les pratiques culturelles de nos concitoyens !

Le principal mérite que nous pouvons légitimement attribuer à la représentation nationale, c'est d'avoir créé un débat public sur cette question qui intéresse toute la société. D'un point de vue démocratique, n'est-il pas satisfaisant d'avoir, à l'heure de la révolution numérique, libéré le dossier du droit d'auteur de l'emprise des spécialistes et des techniciens habituels de la propriété littéraire et artistique qui, sur ce sujet, savent si bien entretenir un climat aussi passionnel que confidentiel ?

C’est aussi rappeler que de puissants lobbies sont à l’œuvre. Ils ont activement contribué à rompre l’équilibre – certes fragile – que la directive ménageait entre une logique de contrôle des usages des œuvres et la préservation de la copie privée. Dès lors, il n’est pas étonnant que la présidente du MEDEF, oubliant le sort que son organisation réserve aux intermittents au sein de l’UNEDIC, se soit déclarée soudainement « aux côtés des artistes » contre les députés !

M. Charles de Courson. Ah ! Bravo !

M. Henri Emmanuelli. Cela rassure !

M. Patrick Bloche. Durant trois jours, dans cet hémicycle, nous avons cherché la voie de l’intérêt général, celle qui concilie la liberté et la responsabilité, pour reprendre la formule de Jean-Marc Ayrault, l’accès de tous à la connaissance, au savoir et à la culture, et l’impérieuse nécessité de rémunérer les auteurs et les artistes.

À cet égard, rétablissons la vérité : aux antipodes d’une logique de gratuité que nous rejetons…

Mme Christine Boutin. Absolument !

M. Patrick Bloche. …– celle qui existe aujourd’hui dans l’illégalité et qui perdurera si le projet de loi dans sa version même relookée est voté ! –, nous n’avons pas voulu retarder la périodique adaptation du droit d’auteur aux évolutions technologiques.

M. Christian Paul. Voilà la vérité !

M. Patrick Bloche. Et c’est en fidèles héritiers de Beaumarchais que nous avons déposé, défendu et fait voter – avec une certaine surprise, avouons-le – un amendement inscrivant l’échange de fichiers musicaux…

M. le ministre de la culture et de la communication. Et de cinéma !

M. Patrick Bloche. …dans le code de la propriété intellectuelle. Car c’est en contrepartie de l’identification à une exception pour copie privée d’un téléchargement sur Internet pour un usage limité et, bien entendu, non commercial que, sans équivoque possible, nous avons pu inscrire dans la loi le principe même de la légitime rémunération des auteurs.

M. Christian Paul. Très bien !

M. Patrick Bloche. Cette sécurité juridique, qui respecte les dispositions de la directive européenne et qui répond à une demande de nature jurisprudentielle – ayons à l’esprit le récent jugement du tribunal de grande instance de Paris – vaut tout autant pour les artistes que pour les internautes.

Comment, en effet, chers collègues, interdire sans sanctionner ? Ne vaut-il pas mieux autoriser pour rémunérer ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Christine Boutin. Bien sûr !

M. Patrick Bloche. C’est à partir de cette simple problématique, que nous avons été amenés à prendre comme modèle la licence globale, tout simplement parce qu’elle fonctionne déjà à la radio et à la télévision. Est-elle adaptable à Internet ? C’est la question qui nous est posée, et c’est pour s’en assurer que le groupe socialiste a beaucoup écouté durant les deux mois et demi d’interruption de cette discussion.

Comme nous l’avions déjà exprimé avec force en décembre, le cinéma ne saurait être concerné, en raison de la chronologie des médias et de son financement spécifique. Par ailleurs, la licence globale ne peut avoir qu’un caractère obligatoire…

M. Jean Dionis du Séjour. Ah ! Voilà qui change !

M. Patrick Bloche. …si nous voulons satisfaire deux objectifs majeurs : le respect des libertés publiques et la protection de la vie privée des internautes.

Enfin, nous avons été sensibles aux interrogations exprimées, tout particulièrement, par les labels indépendants de la filière musicale sur le caractère équitable de la répartition du forfait perçu en supplément de l’abonnement auprès du fournisseur d’accès.

C’est la raison pour laquelle nous défendrons avec conviction un amendement que nous avions déposé, dès le mois de juin dernier, lors de l’examen du projet de loi par la commission des lois, et visant à taxer les fournisseurs d’accès à Internet.

De fait, nous refusons de nous laisser enfermer dans le débat manichéen du pour ou contre la licence globale. Cette alternative est d’autant plus stérilisante que le débat public qui s’est ouvert à l’initiative de notre assemblée, a conduit nombre d’intervenants à envisager plusieurs possibilités de «troisième voie », préservant les droits des créateurs et la liberté fondamentale du public d’accéder à la culture, sans laquelle le droit d’auteur n’a pas de sens.

Les idées ont foisonné. On aurait donc pu espérer que le Gouvernement tire le meilleur profit des deux mois et demi d’interruption de l’examen de ce projet de loi.

M. Michel Herbillon. C’est ce qu’il a fait !

M. Patrick Bloche. Las ! Il a été d’abord soucieux de reculer en bon ordre. Il a donc revu sa copie sans pour autant changer de pied. D’où des inquiétudes nouvelles et une grande perplexité sur le nouveau dispositif de sanctions qui nous est proposé.

Certes, nous quittons le champ de la contrefaçon, et c’est là le bénéfice le plus direct de la discussion parlementaire de décembre 2005. Mais, dans la mesure où le régime contraventionnel sera fixé par décret, il est essentiel, comme l’a souligné très justement le président de la commission des lois, que l’infraction soit définie précisément par le ministre, ici et maintenant.

Sera-t-elle constituée pour chaque acte de téléchargement ? Pour chaque morceau téléchargé ? Qui fera les constatations ? Qui contrôlera ? Qui établira le lien entre l’adresse IP et l’identité de l’internaute ?

M. Christian Paul. Personne ne le sait, pas même le ministre !

M. Patrick Bloche. Par ailleurs, nous sommes toujours dans l’attente des intentions du Gouvernement pour garantir l’interopérabilité, puisqu’il n’a encore déposé aucun amendement à l’article 7.

Enfin, le collège des médiateurs se voit confier, dans la nouvelle version, une mission supplémentaire. L’article 9 du projet de loi le chargeait déjà de réguler les mesures de protection technique, afin de garantir l’exercice de l’exception pour copie privée. L’article 8, amendé par le Gouvernement, lui confie aussi le soin de fixer les modalités de cet exercice, et notamment le nombre de copies autorisées, en ayant, naturellement, à l’esprit l’arrêt que vient de rendre la Cour de cassation. N’est-ce pas une position inconfortable que d’être à la fois régulateur et arbitre des litiges ?

Aussi, les députés socialistes renouvellent plus que jamais leurs exigences, à défaut d’obtenir – ce qui serait pourtant le plus sage – le retrait pur et simple d’un texte devenu incohérent.

M. Frédéric Dutoit. Très bien !

M. Patrick Bloche. C’est d’abord un encadrement strict des mesures techniques de protection afin de préserver l’exercice de la copie privée et des usages normaux d’une œuvre légalement acquise, notamment la possibilité de la reproduire et de la transférer d’un appareil à un autre, afin aussi de garantir l’interopérabilité, d’associer les auteurs et les artistes à la décision d’installer des mesures techniques de protection sur leurs œuvres et afin d’éviter les effets collatéraux sur le développement du logiciel libre.

C’est ensuite l’abandon de la riposte graduée : même dans sa version « allégée », elle suppose la mise en place d’une véritable « police privée » de l’Internet.

M. le ministre de la culture et de la communication. Mais non !

M. Patrick Bloche. D’ailleurs, ce dispositif, en perdant sa capacité de dissuasion, banalise paradoxalement la gratuité et étatise le droit d’auteur, puisque les amendes versées par les internautes contrevenants iront au budget de l’État et ne serviront pas à rémunérer les auteurs.

M. Didier Mathus. Absolument !

M. Christian Paul. Voilà ! Ça, c’est une taxe !

M. Patrick Bloche. C’est par ailleurs l’abandon des sanctions prévues à l’encontre des éditeurs de logiciels d’échanges, susceptibles de permettre la mise à disposition non autorisée d’œuvres protégées. Cette disposition, si elle était votée, aurait inévitablement pour effet de brider l’innovation et la recherche dans un domaine, le peer to peer, dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il constitue une puissante architecture pour la circulation des œuvres et des savoirs.

C’est enfin la préservation de la gestion collective, qui protège les droits des créateurs isolés face à de puissants opérateurs économiques : nous sommes donc vigilants sur les initiatives de la Commission européenne visant à ouvrir la concurrence dans ce secteur, car elle aurait pour effet de fragiliser la position des auteurs et des artistes et de conduire à un « moins-disant culturel ».

Parce qu’ils ont toujours été du côté des artistes et qu’à ce titre, ils sont viscéralement attachés au droit d’auteur, parce qu’ils considèrent qu’il faut légiférer prudemment, provisoirement, pour une période de trois ans seulement, les députés socialistes abordent cette deuxième partie de débat avec le souci majeur de contribuer à l’émergence d’un nouveau modèle de rémunération qui, à partir de la reconnaissance du téléchargement dans le code de la propriété intellectuelle, assure un financement supplémentaire à une filière culturelle, la filière musicale, qui est en difficulté.

M. Christian Paul. Voilà la bonne sortie par le haut !

M. Patrick Bloche. N’est-il pas temps qu’Internet, dont le développement doit tant à la circulation et à l’échange des œuvres de l’esprit « dans ses tuyaux », contribue au financement de la culture comme, hier, nous avons été capables d’assurer le financement du cinéma par la télévision. Cela s’appelle, tout simplement, de la redistribution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur certains bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour le groupe UDF.

M. François Bayrou. Ma première observation est que la manière dont ce débat est organisé ne fait pas honneur à notre démocratie. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Union pour la démocratie française. – « Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Soisson. Pas de leçons !

M. François Bayrou. Sur ce texte, un des plus difficiles que notre assemblée ait eu à examiner – vous avez eu l’occasion de vous en apercevoir –, le Gouvernement a déclaré l’urgence.

M. Patrick Roy. Une fois de plus !

M. François Bayrou. C’était déjà cocasse, à l’automne, s’agissant d’un texte qui traînait depuis des années ; tout à l’heure, M. Houillon rappelait qu’il avait été désigné comme rapporteur sur ce texte, il y a exactement deux ans ! Et, comme nous nous en souvenons tous, l’examen de ce texte a été « casé », exprès, juste avant les vacances de Noël, sans doute dans l’espoir que le débat passerait inaperçu. Lors de ces séances, nous avons découvert la partie substantielle du texte sous la forme d’un amendement du Gouvernement, qui ne put donc être examiné ni par le Conseil d’État, ni même, ou à peine, par la commission compétente.

Amendement surprise plus urgence, cela voulait dire seulement que le Gouvernement – et je vous avoue que je n’arrive pas à comprendre pourquoi – imaginait que le Parlement ferait aveuglément confiance à son « expertise » et qu’il pourrait éviter le débat dans le pays ! Je pense que cette approche est stupide ! Il est bon qu’il y ait des échanges entre l’Assemblée nationale et le Sénat, parce que cela enrichit le texte et permet, de surcroît, au pays d’en connaître l’inspiration et de s’investir dans la réflexion.

Maintenir l’urgence, aujourd’hui, c’est carrément une dérision ! Car ce débat, prétendument frappé de l’urgence, a été interrompu pendant rien moins que deux mois et demi ! Et on nous refait encore le coup de l’amendement surprise, déposé dans la nuit !

Monsieur le ministre, où sont les droits du Parlement ? Et où sont même ses devoirs ? Car c’est le devoir du Parlement que de faire la loi, de la corriger et de représenter le pays dans ce travail.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. François Bayrou. Je demande donc au Gouvernement, solennellement, de lever l’urgence et de permettre à ce texte de faire l’objet de la navette nécessaire, des allers-retours qui permettront au Parlement de l’enrichir, et au pays d’y réfléchir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste.)

M. Patrick Roy. Oui, levez l’urgence !

M. François Bayrou. Deuxième remarque, ce texte entend, en transposant la directive, consacrer le droit moral des auteurs – qui est aussi important que les droits matériels – et les droits plus matériels des interprètes, des producteurs, des éditeurs, et des auteurs eux-mêmes, sur les œuvres audiovisuelles. C’est à bon droit !

Nous savons bien qu’il n’est jamais facile de régler la question du droit d’auteur au regard d’évolutions technologiques. On connaît bien le mécanisme : il est aussi vieux que le siècle ! Les photocopies, l’enregistrement sur cassettes, magnétoscopes et supports numériques ont donné lieu aux mêmes débats. Chaque fois, les mêmes questions se sont posées, et le cheminement fut le même : indifférence d’abord, volonté de restriction, voire d’interdiction ensuite, et finalement, devant l’impossibilité d’empêcher, recherche d’un compromis, y compris de dédommagement.

Nous sommes d'accord pour que soient réaffirmés les droits d'auteur et les droits voisins, mais nous n'acceptons pas les conséquences collatérales qui porteraient atteinte à d’autres droits tout aussi essentiels.

Le premier de ces enjeux essentiels, c'est le logiciel libre. L'imposition de mesures techniques de protection, de DRM, exclusivement compatibles avec tel logiciel ou tel matériel, constituerait une prise de contrôle subreptice de la chaîne informatique.

M. Bernard Carayon. C’est réglé !

M. François Bayrou. Nous en connaissons mille exemples. Ajoutons-en un, qui paraîtra sans doute de faible importance : nombre d’ordinateurs portables qui ont fait l'objet du programme « ordinateur à un euro par jour » sont sous Linux.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

M. François Bayrou. Si demain ces ordinateurs ne peuvent plus lire les programmes audiovisuels protégés, ce sera un manquement au contrat moral passé avec ces jeunes.

M. Bernard Carayon et M. Patrice Martin-Lalande. C’est réglé !

M. François Bayrou. Attendez donc que la représentation nationale en délibère et ayez l’amabilité de nous transmettre à temps les textes qui vous permettent de l’affirmer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Carayon. Il ne suffit pas de faire des discours, il faut travailler !

M. François Bayrou. Il s’agit d’un enjeu industriel, de recherche et de société. Les logiciels libres constituent un mode de développement coopératif, innovant, ouvert, dans un monde – par ailleurs légitime – de monopoles tournés vers le profit immédiat. Ils constituent en outre un facteur d'indépendance et d'équilibre industriel et politique pour l'humanité. Autrement, pourquoi les gouvernements successifs auraient-ils pris la décision de faire passer des pans entiers de notre défense nationale sous logiciels libres ?

L'égalité des logiciels libres et des logiciels propriétaires devant d'éventuelles mesures de protection est une donnée cruciale de leur développement et de la recherche appliquée à ces logiciels. C’est pourquoi nous soutiendrons des amendements explicites en ce sens, à la fois dans le domaine de l’obligation de communication des données et de la facturation – qui doit être légère et raisonnable – de cette communication.

L’enjeu de la copie privée est à nos yeux essentiel. La copie privée, pour un usage personnel, familial ou amical, est un droit pour le consommateur et pour le citoyen qui se cultive et qui recherche un épanouissement dans l’œuvre qu’il lit.

En matière numérique, ce droit se traduit d'abord par l'interopérabilité, c’est-à-dire la possibilité de faire passer l'œuvre que l'on a reçue à bon droit d'un support à un autre et le droit de la faire partager dans le cercle privé. À nos yeux, ce droit doit être garanti par la loi. Et c’est à la loi seule de le faire.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. François Bayrou. Cette protection ne doit pas être déléguée à un cercle d'experts, ou réputés tels, de « médiateurs » professionnels qui seraient investis du pouvoir de déterminer le droit de tout un chacun, et même de refuser ce droit. Car les propos du rapporteur, indiquant qu'il serait parfaitement loisible aux médiateurs de décréter que, dans l'exercice de ce droit à la copie, le droit pourrait être fixé à zéro, ouvrent la porte aux abus que vous devinez et aux pressions que vous imaginez. Pour nous, dans l’exercice d’un droit, il n’est nul besoin de médiateur, c’est la loi qui protège les droits des citoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Nous nous sommes battus pendant les premières séances contre l'instauration de ce que nous avions appelé une « police privée sur Internet ». Le Gouvernement a entendu cet avertissement et c’est tant mieux ! Mais nous pensons que le répressif, même exercé par l’État, ne suffit pas : il faut de l'éducatif. Il ne faut pas transformer a priori des millions de personnes en délinquants. Aussi, l'idée d'avertissements, délivrés par une autorité administrative, obéissant aux règles légales, nous paraît mieux adaptée que la contravention automatique, et sans doute plus dissuasive…

M. le ministre de la culture et de la communication. Cela figurait dans le texte que nous avons examiné en décembre !

M. François Bayrou. J’ai bien dit que ces avertissements devaient être donnés par l’État et non par l’organisme privé que vous aviez initialement investi de cette responsabilité. Et nous déposerons des amendements en ce sens.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. François Bayrou. Il reste à parler du fond : le modèle économique auquel obéira la diffusion culturelle sur Internet. Nous croyons à l'offre légale : elle va se développer, son prix va baisser, et son prix doit baisser…

Mme Christine Boutin. De toute façon, il baissera !

M. François Bayrou. …car c’est vital pour le développement de l’offre légale. Il y a, dans cette baisse des prix, dans cette accessibilité nouvelle, dans la convivialité des sites, un gisement de développement considérable, y compris de ressources pour le monde de la création et de l’édition. Nous sommes très favorables au développement de l'offre légale : nous nous réjouissons, par exemple, du succès de l'offre de Free en matière de cinéma, l’achat de la projection d'un film, pendant une durée donnée, sous forme de streaming.

Dès lors que la facilité et le prix sont au rendez-vous, le succès est assuré ! Mais – et j’exprime là une opinion personnelle, que ne partage pas encore tout mon groupe – j’estime que cette copie privée, dont le droit doit être reconnu, mérite une compensation équitable.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

M. François Bayrou. C'est pourquoi, à titre personnel, je pense qu’une indemnisation modérée de la copie privée constituerait une voie intéressante et juste, à condition que ne change pas la définition de la copie privée – usage personnel, cercle de proximité. Au reste, les voies de cette indemnisation ont été trouvées pour tous les autres modes de reproduction et il serait anormal qu’on les néglige dans le domaine du numérique, ne serait-ce qu’au regard de l’impératif de dégager des ressources au profit des créateurs. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Patrice Martin-Lalande. Elles existent déjà !

M. François Bayrou. Il faut d'ailleurs que l'Assemblée – et c'est une raison supplémentaire de demander au Gouvernement de lever l'urgence – mesure le risque encouru par les acteurs de la création audiovisuelle dans le cas où le droit à la copie privée serait par trop restreint. Il y a actuellement, sur les supports vierges, une taxe de compensation de la copie, laquelle constitue une source de financement considérable pour les auteurs, les interprètes, les maisons d'édition et de production, ainsi que pour le spectacle vivant. Si le droit à la copie n'est plus assuré, qu'est-ce qui justifiera le prélèvement de cette taxe ? Si certaines idées trop restrictives étaient suivies, ce serait une menace immédiate !

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

M. François Bayrou. Au cours de ces derniers mois, le Gouvernement a pu mesurer l'extrême sensibilité du dossier. Il faut qu'il en tienne compte, et donc qu'il lève l'urgence. Le groupe UDF fera en sorte que la transparence soit établie, que le logiciel libre soit défendu et garanti, que le droit à la copie privée soit consacré, que le financement de la culture soit assuré, et les droits moraux des créateurs confortés.

Cela doit se faire en comprenant qu’il y a dans Internet, non pas seulement un marché ou un média – même s’il est très important de reconnaître l’existence d’un marché ou la nature du nouveau média –, non pas seulement un moyen de transmission – et donc de développement pour la création culturelle –, mais un modèle de société et de développement humain. C’est ce qui justifie sans doute la passion qui s’est développée autour de ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le ministre, lors de l'examen de votre texte, en décembre dernier, j’avais formulé plusieurs propositions.

La première, et la plus essentielle, consistait à vous demander de surseoir à l'examen de ce texte. Votre projet de loi posait de trop grandes difficultés et aurait, s'il avait été adopté en l'état, emporté des conséquences graves pour la vie quotidienne de millions de nos concitoyens et des nombreux utilisateurs de données numériques. Aussi, je vous le demande à nouveau ce soir, monsieur le ministre, sortez par le haut de ce débat ou, au moins, retirez l’urgence ! Pour que nous puissions avancer ensemble, retirez de l’ordre du jour de l’Assemblée ce texte qui fait l’objet de tant de débats…

Nous avions demandé l'organisation d'un véritable débat démocratique, assez large pour prendre concrètement la mesure des enjeux très divers que soulèvent l'avènement de la société de l'information et le développement des technologies de traitement et de communication qui y sont afférentes. Un débat qui aurait pu et dû associer un plus large public et permis de mieux tenir compte du point de vue des partisans d'une refonte plus radicale de notre droit, eu égard à la révolution des usages culturels à laquelle nous assistons.

Vous n'avez pas jugé la démarche opportune, préférant demeurer « droit dans vos bottes ». Vous revenez donc devant nous après avoir opéré quelques aménagements marginaux qui ne règlent rien sur le fond tant en ce qui concerne le droit à la copie privée que les logiciels libres ou la régulation des échanges sur Internet, au sujet desquels vous continuez de défendre une logique répressive.

Concernant le droit à la copie privée, vous n'avez cessé monsieur le ministre, de donner des assurances au grand public sur votre volonté de faire respecter ce droit, mais vous n'offrez aucune garantie, et pour cause ! Dois-je rappeler que l'objectif de votre projet est de légaliser les DRM, et donc le principe selon lequel les éditeurs de contenus auraient toute latitude pour contrôler les usages privés des œuvres ?

M. Henri Emmanuelli. C’est du sarkozysme !

M. Frédéric Dutoit. Ce contrôle est une nouvelle source de profits pour les éditeurs, mais il signifie dans le même temps un recul des droits des usagers ayant acquis les œuvres en toute légalité.

Vous prétendez défendre le droit à la copie privée. Mais c'est faux ! La preuve en est que demain, si j'achète un DVD, je ne pourrai pas en faire de copie pour mon usage personnel, ni réaliser une compilation des titres contenus dans différents CD. Ce ne sont que deux exemples, mais ô combien significatifs…

Ce que vous voulez légaliser, c'est la pratique – jusqu'alors interdite aux éditeurs et qui n'est rendue possible que par le progrès technologique – qui consiste à contrôler les usages privés des œuvres, et cela est, par principe, inacceptable.

Notre droit évolue dangereusement vers une moindre reconnaissance des droits d'usage des œuvres et des droits des consommateurs, au profit exclusif des éditeurs de contenu. Ce qui était possible hier avec le vinyle ou le CD deviendra impossible demain. Au nom de quoi ? Au nom du risque que certains utilisateurs proposent ces contenus gratuitement sur Internet, me direz vous… Mais, puisque vous proposez de réprimer les échanges de fichiers sur Internet, en quoi cette position est-elle cohérente ? Et si ce risque existe, est-ce aujourd'hui une raison pour faire peser sur tous les utilisateurs et tous les acheteurs, le soupçon de fraude ? C'est inacceptable. En droit, c'est la bonne foi qui se présume et vous ne pouvez imposer à tous les consommateurs de bonne foi des restrictions sur leurs droits d'usage au nom des risques de fraude.

Alors, je vous demande solennellement, monsieur le ministre, de mettre vos actes en cohérence avec vos paroles et de nous proposer, dans le cours de ce débat – si vous persistez à maintenir le texte –, un article réaffirmant le droit à la copie, sans en soumettre les modalités à un collège de médiateurs. Il revient à la loi de définir le champ de cette exception car il s’agit de l’exercice de libertés publiques. Nous ne pouvons souscrire au principe de la compétence d’un quelconque collège.

S’agissant de la question des téléchargements sur internet, nous avons assisté depuis décembre à une campagne de désinformation éhontée,…

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est vrai !

M. Frédéric Dutoit…tendant à assimiler la licence globale à la gratuité. Nous avons fait part de nos réserves à l’égard de la licence globale, mais n’oublions pas que cette solution, qui pose de vraies questions, est issue d’une proposition des artistes et non des associations d’internautes que vous vous plaisez à montrer du doigt. Elle n’est pas élaborée contre les artistes, mais par certains d’entre eux.

Cette précision étant apportée, nous estimons que le projet de licence globale souffre de plusieurs défauts : les difficultés techniques attachées à la répartition du produit de la taxe, mais aussi le fait qu’il ne prévoit, par exemple, aucune contribution des fournisseurs d’accès à internet.

Pour ma part, je vous propose aujourd’hui d’examiner une troisième voie, celle de la mise en place d’une plateforme publique de téléchargement, qui pourrait être à la fois financée par les fournisseurs d’accès à internet et par une taxe sur les énormes profits que génère le développement de l’e-commerce. Nous ne pouvons en effet pas ignorer la part actuelle de la numérisation dans les profits privés. Une contribution forfaitaire pourrait être également demandée aux internautes. Une telle plateforme répondrait à la principale préoccupation des auteurs eux-mêmes, puisqu’elle autoriserait une rémunération proportionnelle, juste et équitable, tout en participant à la démocratisation de la culture.

Il ne s’agit certes pas d’une proposition « clef en main », mais d’une piste de réflexion prometteuse, ouverte par l’Union nationale des syndicats d’auteurs et musiciens.

Comme l’ont souligné certains de mes collègues, vous ne proposez, depuis le départ, que de bâtir une ligne Maginot. Votre projet de loi est déjà obsolète et ne tardera pas à apporter la preuve de son inefficacité.

Mme Christine Boutin. C’est sûr !

M. Frédéric Dutoit. Il est également dangereux car il légalise des pratiques prédatrices fortement préjudiciables au droit des consommateurs.

Comme vous le voyez, les raisons ne manquent pas pour appeler au retrait du projet de loi et à l’organisation d’une concertation, indispensable si nous voulons élaborer une loi satisfaisante, susceptible de concilier les préoccupations légitimes du monde de la création et le droit non moins essentiel des utilisateurs et des consommateurs. Seul un report de la discussion pourrait montrer c’est vraiment l’intérêt général qui est recherché.

Je soulignerai pour finir qu’une grande majorité de nos concitoyens sont hostiles à votre projet de loi. L’opération publicitaire que vous avez menée à grand fracas avec la création du site « lestelechargements. com » est là pour l’illustrer : à peine 5 % des internautes ayant laissé des commentaires sur ce site se sont dits favorables à votre texte. Un tel fiasco a une portée symbolique. La sagesse commande, monsieur le ministre, que nous ne nous engagions pas à nouveau dans l’examen de mesures hasardeuses, mais que nous recherchions une solution tous ensemble, car ce sujet dépasse les clivages politiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Marc Dolez et M. Émile Zuccarelli. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous reprenons ce soir un débat important, un débat passionné et passionnant, qui est au cœur des préoccupations concrètes et quotidiennes de beaucoup de nos concitoyens, en particulier les plus jeunes, comme il est au cœur des préoccupations des artistes français que tous, nous admirons, mais aussi des industriels, des concepteurs et éditeurs de logiciels.

M. Henri Emmanuelli. Et de Vivendi Universal !

M. Bernard Accoyer. En préalable à mon propos, je souhaite rappeler avec force les deux idées essentielles qui ont guidé notre réflexion depuis maintenant plus de deux mois. Oui, nos auteurs, artistes, interprètes doivent recevoir la juste rémunération de leur travail, de leurs efforts, de leur créativité au service du rayonnement culturel français. Ils doivent pouvoir vivre dignement de leur talent, comme tout un chacun. Non, nos enfants ou nos petits-enfants qui, occasionnellement, téléchargent une chanson ou un morceau sur Internet ne sont ni des voyous, ni des délinquants qu’il conviendrait de traquer, d’appréhender et de sanctionner.

Mme Christine Boutin. Voilà qui fait plaisir à entendre !

M. Bernard Accoyer. La France, monsieur le ministre, mes chers collègues, est confrontée à suffisamment de délinquance et de violence pour que nous ne nous trompions pas de cible, ni de combat.

Comment, dès lors concilier ces intérêts divergents ? Le débat qui nous a occupés en décembre a conduit à adopter une solution qui, intellectuellement, peut paraître séduisante mais qui, à la réflexion, et après consultation, mérite aujourd’hui d’être amendée. Le principe de la licence globale, forfait ouvrant droit à un nombre illimité de téléchargements, ne paraît plus constituer une réponse adéquate ni une réponse économiquement viable pour la quasi-totalité des députés UMP. Un tel point de vue n’a d’ailleurs rien d’original : au sein de l’opposition, M. Hollande s’est également prononcé contre la licence globale – une dépêche en fait foi –, …

M. Michel Herbillon. Utile rappel !

M. Bernard Accoyer. …de même que les anciens ministres de la culture Jack Lang et Catherine Tasca,…

M. Henri Emmanuelli. Occupez-vous de votre propre maison ! Vous êtes président de groupe !

M. Bernard Accoyer. …et que la responsable de la culture au Parti socialiste, Anne Hidalgo. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En effet, avec la licence globale, comment déterminer les droits des artistes ? Comment les répartir ? Sur quelle base ? Selon quelles modalités ? Avec quel contrôle ? Pour quels montants ?

M. Frédéric Dutoit. Voilà de bonnes pistes de travail !

M. Bernard Accoyer. En résumé, comment leur attribuer une rétribution juste et décente avec un tel système ? Il s’agit d’une question complexe. Finalement, la solution adoptée en décembre comportait plus d’interrogations que de solutions, elle était source de contentieux et de pièges.

Sur la forme, la rédaction initiale de votre projet, monsieur le ministre – et vous en êtes convenu vous-même – était un peu brutale vis-à-vis des internautes. Elle ne l’était cependant pas sur le fond.

M. Frédéric Dutoit. Trois ans de prison, ce n’est pas brutal ?

M. Bernard Accoyer. Rappelons en effet qu’aujourd’hui, le téléchargement illégal est assimilé au délit de contrefaçon et donc théoriquement passible de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende. Votre projet de réponse graduée était beaucoup plus indulgent.

Mais la rédaction proposée avait semé le doute et suscité de réelles inquiétudes, non seulement parmi les internautes mais, au-delà, chez tous nos concitoyens. Devant une telle incompréhension, il convenait donc de remettre l’ouvrage sur le métier et de reprendre le débat. Je tiens à souligner la qualité du travail que vous avez accompli, monsieur le ministre. Vous n’avez ménagé ni votre temps, ni votre peine pour écouter les parlementaires, les artistes, les internautes, pour convaincre, pour apporter des solutions. Un large débat a été conduit par les partis politiques, par le rapporteur de la commission des lois, par la majorité qui, avec l’aide du président de l’Assemblée nationale, a reçu tous les acteurs : les artistes, les professionnels, les citoyens. Le texte que vous nous proposez aujourd’hui s’est enrichi de ce formidable débat, et il faut s’en réjouir. Grâce à ce travail, nous allons aboutir à une solution d’équilibre et de liberté.

Équilibre, parce qu’à l’évidence, télécharger ponctuellement, pour son usage personnel, ne relève pas de la grande délinquance, contre laquelle nous devons lutter sans faille et faire preuve de la plus grande sévérité. Nous devons donc nous situer, en la matière, dans une démarche plus éducative que répressive. À nous, parents et grands-parents, de faire comprendre et d’imposer à nos enfants et petits-enfants que l’artiste doit vivre pour créer. À nous de leur faire comprendre que télécharger massivement des œuvres protégées sur internet est illégitime et spoliateur, que cela prive l’artiste, l’auteur, de sa juste rémunération, et que cela peut en conséquence entraîner une sanction.

À cet égard, monsieur le ministre, l’échelle des sanctions que vous nous proposez aujourd’hui nous semble bien plus juste que dans la première version du texte.

Liberté, ensuite – mais je pourrais aussi parler de responsabilité – : celle qu’a l’auteur de choisir son mode de rémunération. Après tout, si des plates-formes forfaitaires devaient voir le jour avec l’accord des auteurs, pourquoi voudrions-nous l’empêcher ? Les jeunes artistes seront probablement intéressés par une participation à tel système.

M. Richard Cazenave. Absolument !

M. Bernard Accoyer. Cela leur permettra en effet de se faire connaître du grand public et de percevoir à ce titre une rémunération.

Quant aux artistes confirmés, si nous connaissons tous leurs plus grands succès, certaines de leurs œuvres restent méconnues du grand public. Libre à eux de les mettre à disposition sur une plateforme de rémunération forfaitaire et de participer ainsi au développement culturel de ce formidable outil qu’est l’Internet.

M. Richard Cazenave. Très bien !

M. Bernard Accoyer. Face au développement technologique, il ne faut fermer aucune porte. À trop vouloir encadrer, nous risquons de créer un formidable appel d’air en faveur du détournement. L’offre technologique aura toujours un train d’avance sur toutes les barrières que nous pourrons ériger.

M. Patrice Martin-Lalande. En effet !

M. Bernard Accoyer. Il est donc sage de retirer l’article 1er – que nous n’avions d’ailleurs pas adopté –, et de reprendre sereinement le cours de nos travaux.

M. Marc Laffineur. Bien sûr !

M. Jean Dionis du Séjour. Il a raison !

M. Bernard Accoyer. D’ailleurs, chers collègues de l’opposition, comment le Gouvernement aurait-il pu procéder autrement pour introduire dans le texte le fruit de son travail de concertation ? Comment aurait-il pu nous laisser délibérer sur les vingt-huit amendements restant à examiner sur l’article 1er avant de faire voter contre cet article, puisque telle est la volonté majoritaire dans cet hémicycle ?

M. Richard Cazenave. Cela n’aurait pas été logique !

M. Bernard Accoyer. Il n’y avait donc pas d’autre solution, et vous avez eu raison, monsieur le ministre, d’agir comme vous l’avez fait.

M. Richard Cazenave. C’est évident !

M. Bernard Accoyer. Sur d’autres sujets tels que le logiciel libre, l’interopérabilité, la copie privée, le temps de la réflexion nous a permis d’avancer et de trouver des solutions concertées. Nous y reviendrons ultérieurement, grâce à des amendements que les députés UMP auront à cœur de défendre pour enrichir le texte dans ces domaines décisifs.

Nos échanges permettront aussi aux start-up et aux entreprises innovantes d’avoir accès aux logiciels libres, condition de leur développement. En outre, grâce aux avancées permises par le projet et par nos amendements sur l’interopérabilité, des fichiers prévus pour d’autres lecteurs pourront être lus sur l’iPod, et vice versa. Enfin, le principe du droit à la copie privée sera inscrit dans la loi et plusieurs amendements contribueront à le renforcer.

Toutes ces avancées au service de l’offre culturelle française nous permettent aujourd’hui d’aborder ce débat dans de bonnes conditions, dans le respect des droits de chacun et de la liberté de tous.

Merci encore, monsieur le ministre, pour l’esprit d’ouverture et la qualité d’écoute dont vous avez preuve durant ces huit semaines.

Je vous assure, monsieur le ministre, du soutien du groupe UMP et de notre volonté de parvenir aujourd’hui, avec vous, à un texte d’équilibre, de liberté, de respect des droits de chacun afin que ce formidable vecteur qu’est Internet soit mis au service de tous, artistes, auteurs et consommateurs et participe ainsi au rayonnement culturel de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion des articles (suite)

Après l’article 1er

M. le président. Nous allons maintenant aborder les articles additionnels après l’article 1er.

Je me permets de vous rappeler que cet article 1er a été retiré par le Gouvernement conformément à l’article 84 de notre règlement. Je constate qu’il n’a pas été repris par voie d’amendement, non plus que les amendements qui avaient été adoptés à cet article. Si l’article 1er retiré avait été repris par voie d’amendement par un député, cette initiative d’un seul d’entre vous aurait fait l’objet d’une discussion commune avec l’amendement n° 272 et l’Assemblée aurait alors eu l’occasion de se prononcer sur les dispositions retirées. Je ne peux que constater que ce n'est pas le cas.

Rappels au règlement

M. Patrick Bloche. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, mon rappel au règlement porte sur l’organisation de nos débats, notamment en réaction à ce que vous venez de dire sur le retrait de l’article 1er.

M. le président. Je n’ai fait que constater, monsieur Bloche !

M. Patrick Bloche. En effet, monsieur le président. En l’occurrence, le Gouvernement a retiré cet article, certes non voté, mais amendé dans un sens qui a donné une tout autre orientation à notre débat, comme nous venons de le constater après avoir entendu le président du groupe UMP. Le Gouvernement n’a donc pas souhaité affronter, comme il l’avait annoncé, notre assemblée pour une seconde délibération. Le groupe socialiste considère ainsi, au-delà du retrait de cet article qui est de la responsabilité du Gouvernement, que l’amendement voté ici même le 21 décembre, faisant du téléchargement une exception pour copie privée et créant en contrepartie une rémunération, garde toute sa légitimité démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Bloche, je prends acte de vos propos. Je constate simplement, comme c’est mon rôle, que le Gouvernement a retiré un article, lequel n’a pas été repris par un amendement.

M. Christian Paul. Et le Conseil constitutionnel sera saisi !

M. le président. J’assume ma fonction. Je fais un constat, avant d’entamer la discussion.

M. Henri Emmanuelli. Oui, mais…

M. le président. Monsieur Emmanuelli, il n’y a pas de « oui, mais » !

M. Henri Emmanuelli. Et si j’ai envie de dire « Oui, mais » ! On n’est pas sur Internet ! (Rires.)

M. le président. Je préfère les « oui » ou les « non », aux « oui, mais » !

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. M. Emmanuelli devient giscardien !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, j’avoue que la procédure est un peu compliquée puisque nous avons désormais à débattre d’amendements portant articles additionnels après l’article 1er, lequel n’existe plus !

M. le président. Je viens justement de le dire !

M. Frédéric Dutoit. Alors pourquoi des amendements ont-ils été déposés après l’article 1er ?

M. Christian Paul. C’est le Parlement « funambule » !

M. Frédéric Dutoit. C’est un problème de « copier-coller » qui ne fonctionne pas !

Ce n’est cependant pas le sujet que je voulais aborder, monsieur le président. Je vous sauve en ne vous contraignant pas à me répondre !

Le 28 février dernier, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt dont la teneur est très préoccupante. Cet arrêt dénommé « Mulholland drive » a cassé le jugement rendu par la cour d’appel de Paris dans une affaire opposant l’acheteur d’un DVD soutenu par UFC Que Choisir et la société Studio canal. Ce dernier arrêt estimait qu’un système anti-copie de DVD…

M. le président. Monsieur Dutoit, votre rappel au règlement ne doit pas porter sur le fond du débat, mais sur la procédure !

M. Christian Paul. Vous l’intimidez, monsieur le président !

M. le président. Vous n’allez tout de même pas refaire un discours, monsieur Dutoit !

M. Frédéric Dutoit. Je voulais obtenir une réponse du ministre !

M. le président. Vous l’aurez lors de la discussion des amendements et sous-amendements !

Je rappelle que je n’ai fait que constater une situation.

M. Frédéric Dutoit. Je rependrai donc la parole tout à l’heure.

M. le président. La parole est à M. Henri Emmanuelli.

M. Henri Emmanuelli. Je constate que, depuis un certain temps, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du Parlement, on utilise beaucoup la procédure sur des problèmes hautement politiques. Je voudrais comprendre comment il peut exister un article additionnel après un article qui n’existe plus !

M. Christian Paul. Eh oui, M. Emmanuelli connaît bien la procédure !

M. Henri Emmanuelli. Nous en sommes là !

M. le président. Monsieur Emmanuelli, vous avez été à ma place !

M. Christian Paul. C’était un excellent président !

M. le président. Vous savez donc que, tant qu’un texte n’est pas définitivement voté, c’est l’ancienne numérotation qui prévaut. Il en est ainsi depuis le début de la VRépublique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

La parole est à M. Didier Mathus.

M. Didier Mathus. Monsieur le président, je voudrais évoquer l’organisation de nos débats. Je souhaite que nous fassions mentir ce qu’a écrit l’un des grands spécialistes français du droit d’auteur, M. Pierrat, dans un excellent livre paru la semaine dernière, La guerre des copyrights. Il est dit, page 148, que la guerre des copyrights a lieu dans une enceinte démocratique, le Parlement, alors qu’en coulisses, les lobbies ont déjà truqué le résultat du match.

Donc, il me semble que nous avons intérêt, les uns et les autres, à avoir un débat qui soit irréprochable dans la forme. Nous sommes saisis d’un amendement n° 272 du Gouvernement, annoncé hier soir et déposé aujourd’hui, avec toute une série de sous-amendements.

M. le ministre de la culture et de la communication. Il a été déposé lundi matin !

M. Christian Paul. À quatorze heures aujourd’hui en commission !

M. Didier Mathus. Ce texte du Gouvernement réécrit l’article 1er, même s’il porte bizarrement article additionnel après l’article 1er qui n’existe plus. Sur cet amendement, ont été déposés plusieurs sous-amendements centraux qui tendront à ce que soit reconnu le droit à la copie privée pour les échanges sur Internet. Ce débat difficile mérite d’être approché avec cohérence et il ne me semble pas logique de l’aborder à dix-neuf heures vingt-cinq !

M. le président. C’est pourquoi, monsieur Mathus, j’ai souhaité préciser, avant d’entamer la discussion sur l’amendement n° 272, qu’aucun amendement reprenant l’article 1er n’avait été déposé ! Vous faites un drame là où il ne devrait pas y en avoir ! Mais, n’en déplaise à M. Emmanuelli, je suis forcé de reprendre cette numérotation qui s’applique tant que le texte n’est pas voté.

Reprise de la discussion

M. le président. Nous en venons donc à l’amendement n° 272 du Gouvernement sur lequel plusieurs orateurs souhaitent s’exprimer.

La parole est à Mme Marland-Militello.

Mme Muriel Marland-Militello. Je voudrais simplement préciser, avant de présenter le sous-amendement n° 302, et je suis sincère parce que bien placée pour le dire, que la nouvelle rédaction de cet article est le fruit d’une vraie concertation. Ce n’est pas parce que l’on finit par s’entendre que les uns se couchent et que les autres commandent.

M. Henri Emmanuelli. Oh !

Mme Muriel Marland-Militello. Cela signifie simplement que l’on est face à des personnes de bonne volonté qui veulent faire avancer les projets. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Dans ce projet, nous poursuivions tous un seul but, mais nous hésitions sur la manière de l’atteindre. Le but, c’est l’équilibre entre le droit des auteurs et la liberté des internautes.

M. Henri Emmanuelli. C’est un véritable discours !

M. Didier Migaud. S’agit-il d’un rappel au règlement ou d’une discussion sur l’article 1er ?

M. le président. C’est la discussion sur les articles additionnels !

Mme Muriel Marland-Militello. La rédaction de nos sous-amendements y contribue fortement puisqu’ils sauvegardent parfaitement le droit des artistes et la liberté des internautes avec l’effectivité de l’interopérabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Dionis du Séjour.

M. Christian Paul. Je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président !

M. le président. Vous venez de faire un rappel au règlement, voici trente secondes !

M. Christian Paul. Ce n’est pas vrai, monsieur le président !

M. le président. Nous allons laisser s’exprimer quelques-uns de nos collègues, monsieur Paul. Ne monopolisez pas la conversation. M. Dionis du Séjour s’impatiente !

Vous avez la parole, monsieur Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Nous sommes pour l’instant très calmes, monsieur le président.

L’UDF prend, une nouvelle fois, acte du retrait de l’article 1er, qui ne nous a pas pour autant surpris, puisque les deux amendements relatifs à la licence légale, adoptés à l’article 1er dans la nuit du 21 décembre, faisaient s’effondrer la cohérence du texte. Donc, le Gouvernement n’avait pas d’autre choix.

Mme Christine Boutin. C’est faux !

M. Jean Dionis du Séjour. Pour ce qui est de la procédure, je fais confiance à l’administration de l’Assemblée nationale. Politiquement, c’est ce qu’il fallait faire !

M. Yves Bur. C’est évident !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous devons maintenant débattre.

Rappel au règlement

M. Christian Paul. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour un rappel au règlement.

M. Christian Paul. Je n’exclus pas, en vous écoutant, monsieur le président, que vous soyez vous-même victime de l’accélération de la procédure. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

L’amendement n° 272 n’est pas mineur puisqu’il est, de l’aveu même du Gouvernement qui a retiré dans les conditions que l’on sait et sur lesquelles je ne reviendrai pas l’article 1er, la clé de voûte de son projet. En effet, il introduit pas moins d’une demi-douzaine de nouvelles exceptions au droit d’auteur.

Nous avons découvert cet amendement à quatorze heures, lors de la réunion de la commission des lois. Nous avons donc dû, dans un temps record, l’expertiser et déposer un certain nombre de sous-amendements. C’est là, monsieur le président, que je crains en effet que les choses soient allées un peu vite. En effet, vous avez considéré tout à l’heure que le groupe socialiste avait émis un point de vue différent de celui du mois de décembre : je vous invite à lire avec une grande attention les sous-amendements que nous avons déposés dans l’urgence, je pense notamment au sous-amendement n° 308, et vous constaterez qu’il y a une grande constance dans la position du groupe socialiste sur la nécessité de trouver un équilibre entre les droits et une nouvelle rémunération pour les artistes.

Ce texte a créé dans notre pays de nombreuses fractures entre les artistes et les internautes, les auteurs et les interprètes, les professionnels de la musique et les défenseurs du logiciel libre. C'est un texte qui divise et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons, comme vient de le préciser Didier Mathus, l’examiner sereinement.

Si vous laissiez à l’Assemblée nationale le temps nécessaire pour examiner sérieusement l’amendement n° 272, peut-être pourrions-nous sortir de l’amateurisme qui caractérise nos travaux depuis le début.

M. le président. Monsieur Paul, je ne suis victime de personne, pas plus de vous que de quelqu’un d’autre.

M. Christian Paul. De l’urgence !

M. le président. Je n’ai fait aucune remarque de fond, mais une simple remarque de procédure. C’est clair, net et précis. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin. La vie d’un parlementaire n’est pas un long fleuve tranquille, mais certains débats de fond valent les quelques désagréments qu’elle provoque, comme celui qui eut lieu le 21 décembre dernier sur le projet de loi relatif aux droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information.

La société de l’information qui se profile en ce début de XXIe siècle est étrangère à un grand nombre d’entre nous, alors que nos enfants et petits-enfants manient déjà Internet avec dextérité. Fracture des générations, dit-on.

Les députés qui ont voté la licence globale le 21 décembre ont en réalité soulevé un lièvre que beaucoup voulaient cacher. Il s’agit de bien plus que de la rémunération des auteurs, interprètes et producteurs d’œuvres artistiques téléchargées sur la toile, jusqu’à présent en toute illégalité. Pour preuve, les amendes lourdes et parfois même les peines de prison qui ont été prononcées contre des internautes téléchargeurs.

Nous pensions, législateurs que nous sommes, qu’il ne s’agissait que d’une simple adaptation du code de la propriété intellectuelle aux nouvelles technologies. Quelle erreur ! Nous étions en fait, sans en être vraiment conscients, en train d’ébranler des intérêts économiques colossaux et de placer au cœur du débat les principes fondamentaux de notre République : liberté individuelle et de création, respect de la vie privée, intelligence économique, voire défense nationale et par là même souveraineté de l’État. Ce n’est que par la violence des passions et des pressions exprimées à la suite de l’adoption surprise du fameux amendement en faveur de la licence que nous avons vu petit à petit se lever le voile sur ces enjeux énormes.

Mais laissons de côté aujourd’hui les grands enjeux, qui justifieraient à eux seuls, par leur ampleur, la création d’une mission d’information parlementaire sur la place du droit d’auteur, de la création et des personnes à l’âge de la société de la connaissance. Tenons-nous en ici aux simples droits d’auteur en tant que tels.

Stupéfaction dans les rangs de l’Assemblée nationale ! Des artistes à la renommée installée qui, se croyant solidement protégés dans l’industrie culturelle par leur maison d’édition ou leur « major », se mettent soudainement à utiliser leur situation dominante pour jouer les défenseurs de leurs intérêts acquis, se montrent prêts à user d’arguments tirés de conceptions qui datent d’une autre époque, celle d’avant Internet, celle du feu XXe siècle, tandis que d’autres, plus petits, moins connus, moins audibles du fait de leurs plus faibles moyens de pression, qui ne sont pas, eux, installés ou protégés, soutiennent la licence globale.

Dans leur élan de communication tous azimuts, les « installés » du milieu culturel ne craignent pas d’employer la caricature, affirmant que nous défendrions la totale gratuité des œuvres, ce qui est faux. Les internautes seraient des voleurs et la redistribution des droits impossible.

En fait, ces pseudo-arguments sont fallacieux et mensongers.

La licence globale, ce n’est pas du tout la gratuité, c’est une rémunération.

On a dit que cela reviendrait à laisser les consommateurs se servir gratuitement dans une boulangerie, comme des voleurs. Pour reprendre cette métaphore, c’est plutôt le boulanger, en l’occurrence les maisons d’édition, qui refuse de vendre son pain ou, plutôt, qui veut contraindre les consommateurs à n’acheter que certaines sortes de pains.

Plus sérieusement, la licence globale consiste à mettre en place, de façon très pragmatique, une juste rémunération des artistes, auteurs, compositeurs et producteurs, grâce à une répartition des sommes collectées, en fonction de l’audience des œuvres, elle-même déterminée par l’observation des flux et l’organisation de sondages effectués auprès de panels d’internautes volontaires. Elle ne concernerait pas le cinéma. Le débat n’ayant pas véritablement eu lieu, les positions se sont radicalisées d’entrée de jeu, elles se sont mêmes envenimées, ce qui aurait dû justifier le report des discussions pour nous permettre d’aborder ce projet de loi avec plus de recul et de calme. Derrière ces échanges sur les droits d’auteur, c’est en effet notre modèle de société qui est en jeu.

Comme l’explique le spécialiste des nouvelles technologies, Joël de Rosnay, nous devons passer de l’époque des mass média à celle des médias de masse. Nous sommes probablement en train de changer de paradigme. Il s’agit de définir une politique culturelle numérique dans laquelle le rapport des Français à la culture serait fondé non pas sur la contrainte mais sur la pluralité de l’offre, l’adhésion volontaire et la reconnaissance des talents.

La question est de savoir avec quel regard on envisage ce changement, avec les lunettes d’hier, les supports matériels, ou bien celles de demain, l’immatériel. Fort heureusement, le Conseil économique et social, la SPEDIDAM, l’ADAMI, UFC-Que choisir, l’UNAF, le professeur Lucas, les audionautes, toute la galaxie du logiciel libre et bien d’autres ont déjà enfilé les lunettes de demain.

Voulons-nous construire la société de la liberté, de la diversité et de notre identité française, identité toujours rebelle et prophétique, ou, au contraire, celle de l’inquisition et de la mise sous verrou ? Pour ma part, je choisis la liberté et la responsabilité.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Monsieur le président, sommes-nous dans un débat sur l’amendement du Gouvernement, dans lequel tout le monde peut s’inscrire ?

M. le président. La réponse se trouve dans l’article 95, alinéa 2, de notre règlement. C’est une discussion sur un amendement, comme il y a des discussions sur un article.

M. Didier Migaud. On ne le connaît pas encore !

M. le président. Si, vous le connaissez. Il est déposé.

M. le ministre de la culture et de la communication. Je vais le présenter ensuite.

M. Didier Migaud. On en discute avant qu’il n’ait été présenté. Ce n’est pas logique.

M. le président. Comme tout article ! Lisez l’article 95, alinéa 2 du règlement. Je vais vous envoyer une édition spéciale du règlement ! (Rires.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour un rappel au règlement.

M. Christian Paul. Monsieur le président, je pense que vous serez personnellement sensible à ce rappel au règlement, qui porte sur l’organisation des travaux de notre assemblée.

Alors que nous nous penchons au-dessus du vide béant laissé par le retrait de l’article 1er de ce texte, et Jean-Marc Ayrault, le président du groupe socialiste, a indiqué que notre groupe avait la ferme intention de saisir le Conseil constitutionnel sur le fonctionnement des règles qui régissent les rapports entre les pouvoirs, le groupe socialiste vient de procéder à un inventaire précis des précédents ou des cas similaires. Il y a qu’une seule fois dans l’histoire du Parlement de la VRépublique où le gouvernement a retiré un article qui avait déjà été amendé. C’était en 1961 lors de l’examen d’un projet de loi sur les prix agricoles. Cela fait donc quarante-cinq ans qu’un gouvernement n’a pas agi de la sorte.

M. Bernard Accoyer. Mme Aubry et Mme Guigou l’ont fait !

M. Christian Paul. Je sais, monsieur le président, votre attachement aux origines de la VRépublique. Là, je crois que chacun est édifié : c’est un simulacre de démocratie. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je voudrais juste en quelques mots dire pourquoi je crois vraiment que ce projet de loi fait fausse route.

Je ne doute pas un instant de la sincérité du ministre de la culture, qui veut concilier la liberté des internautes et le droit des créateurs, mais la situation dans laquelle nous sommes me fait penser au Parlement britannique qui, lors de l’invention de l’automobile, avait voté une loi prévoyant que l’on agiterait des drapeaux devant les automobiles pour éviter les accidents.

M. Didier Migaud. Le Parlement britannique est moins soumis !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je regrette vraiment l’abandon de la licence globale.

D’abord, on ne réalise pas l’importance de la révolution technologique en cours, de la révolution numérique, puisque la copie devient un nouvel original. Cette révolution numérique, couplée avec le développement du haut débit, est une chance extraordinaire d’élargir l’accès à la culture par une baisse prodigieuse des coûts de production, de distribution, d’échange des œuvres culturelles, une chance extraordinaire par la liberté qu’elle offre aux internautes. Cette révolution n’en est d’ailleurs qu’à ses débuts. Nous n’avons encore rien vu par exemple des possibilités qu’offriront les échanges de téléphone à téléphone.

Prenons donc garde à ne pas légiférer avec un train de retard, n’édifions pas une nouvelle ligne Maginot, ne nous arc-boutons pas sur une directive européenne très datée elle-même, calquée sur un accord international de 1996. Bref, nous devons nous garder de nous conduire comme les moines copistes dépités par l’invention de l’imprimerie, les éditeurs de partitions qui, en 1880, voulaient interdire le disque, ou les disquaires qui souhaitaient bloquer l’usage de la radio.

M. le président. Monsieur Dupont-Aignan, vous intervenez sur l’amendement n° 272 ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est totalement lié, monsieur le président. Je ne serai pas long, mais un tel amendement, qui revient sur la principale disposition adoptée au cours du débat du mois de décembre, mérite tout de même, vous en conviendrez, que l’on en dise quelques mots.

Au-delà de la révolution technologique, qui n’est pas comprise, je crois que l’on se trompe sur les conséquences de ce projet. Je mets au défi les prochains gouvernements d’envoyer aux millions d’internautes qui téléchargent une contravention de 38 euros. Je suis certain que les avis de contravention ne partiront jamais parce que cela sera impossible. Une loi, pour être légitime, doit faire l’objet d’un minimum de consensus social.

Enfin, on a faussement opposé créateurs et internautes. La licence globale tendait justement à les réconcilier. Nous sommes tous d’accord. Ceux qui défendaient la licence globale n’ont jamais été pour la gratuité de l’offre culturelle. Nous voulions simplement mettre en place un dispositif de rémunération des auteurs qui soit compatible avec l’usage d’Internet. Faute de le comprendre, on dresse les uns contre les autres alors même que quelques entreprises veulent verrouiller le système à leur seul profit et ne pas faire profiter les usagers de la formidable baisse des coûts que permet l’offre numérique.

Il serait tellement simple de ne pas décréter l’urgence, de mettre autour de la table créateurs et internautes, de créer une mission d’information parlementaire, comme nous vous l’avions demandé, monsieur le président, plutôt que de voter à la va-vite un projet de loi qui ira à l’encontre des intérêts et des usages de millions de nos concitoyens.

M. Henri Emmanuelli. Pour une fois, il n’est pas mal, ce garçon !

M. le président. La parole est à M. Dominique Richard.

M. Dominique Richard. Après ces interventions à titre personnel, (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) qui illustrent la diversité d’un groupe, je tiens, en tant que porte-parole du groupe UMP, à souligner en quelques mots combien l’écriture de ce nouvel article 1er

M. Didier Migaud. Mais enfin, est-ce un nouvel article 1er ou un article additionnel ? Je ne comprends plus rien !

M. Dominique Richard… consacre deux mois de travail, d’écoute, de dialogue, tant avec les créateurs, les éditeurs de logiciel qu’avec les internautes. L’article consacre l’exception pour copies privées dans une rencontre « gagnant-gagnant » pour les auteurs comme pour les internautes.

M. Michel Piron. Très bien !

M. Dominique Richard. Il ouvre la porte à une formidable offre légale, élargie, diversifiée, bon marché, tout en reconnaissant par ailleurs, et c’est là aussi une avancée, l’exception pour les fichiers-source à destination des handicapés, après ce que l’on peut toujours appeler l’exception pédagogique pour le monde enseignant, que vous avez signé la semaine dernière, monsieur le ministre.

Avec cet article, nous entrons dans le vif du débat : à la fin de cette discussion, les créateurs comme les internautes vont enfin pouvoir disposer de l’offre qu’ils attendent. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Alors qu’avec cet amendement n° 272, nous rejoignons le terrain pour jouer la deuxième mi-temps, le groupe UDF est tranquille. Le 21 décembre nous n’avons pas été pris d’un vent de folie. Nous avons quelques convictions stables que nous aimerions rappeler ici.

Nous avions dit alors, et démontré, que la licence globale optionnelle est une supercherie. Et je suis content de constater que les socialistes en ont pris acte. Exit la licence globale optionnelle ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. – « Bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Si vous êtes toujours pour, alors dites-le ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Un député du groupe socialiste. Et M. Bayrou ?

M. Jean Dionis du Séjour. Tout se passe très bien avec M. Bayrou !

M. Christian Paul. Encore une victime de la confusion !

M. Jean Dionis du Séjour. La parole de l’UDF vous gêne !

M. le président. Monsieur Dionis du Séjour, pas de conversation personnelle, je vous prie. Adressez-vous au Gouvernement, à la présidence, mais éviter de vous adresser directement à vos collègues.

M. Jean Dionis du Séjour. En revanche, un vrai débat s’est ouvert, nous le disions déjà le 21 décembre, intéressant, légitime, entre les plateformes marchandes légales et la licence globale obligatoire.

M. Christian Paul. Ce n’est pas ce qu’a dit M. Bayrou ! Quelle confusion !

M. Jean Dionis du Séjour. M. Bayrou dit ce qu’il veut et le groupe UDF aussi !

Nous reconnaissons deux avantages à la licence globale : elle légalise le téléchargement illégal et apporte une recette pour le monde de la création. Par contre, dès le 21 décembre, nous en soulignions aussi quatre inconvénients majeurs. D’abord, la licence globale est fondamentalement injuste. Pourquoi 60 % des internautes qui ne téléchargent pas paieraient-ils pour les 40 % qui téléchargent ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. Et la redevance ?

M. Jean Dionis du Séjour. Pourquoi ceux qui téléchargent quelques morceaux de musiques paieraient-ils pour ceux qui ont des bibliothèques entières de films ? (Murmures sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Christine Boutin. Ce raisonnement est idiot !

M. Christian Paul. Et la sécurité sociale ?

M. Jean Dionis du Séjour. Cela n’a rien à voir ! La sécurité sociale porte sur un bien fondamental, non sur un bien de consommation.

Ensuite, une hausse de l’abonnement de sept ou dix euros, soit à peu près 30 % d’augmentation du forfait internet, freinerait l’accès à internet, surtout pour les Français les plus modestes. Cette hausse aurait un effet mécanique sur la diffusion de l’internet en France, il ne faut pas rêver !

Puis la répartition proposée entre les auteurs est totalement archaïque et inefficace. Quand j’entends Christine Boutin parler de « mesurer les flux », je peux vous dire que c’est du rêve !

Mme Christine Boutin. Mais c’est classique !

M. Jean Dionis du Séjour. Non, et je parle en tant que professionnel.

Enfin, cette solution est contraire à tous les engagements internationaux de la France.

Mme Christine Boutin. Mais non !

M. le président. Madame Boutin, laissez M. Dionis du Séjour s’exprimer !

M. Jean Dionis du Séjour. Notre position est donc très claire : nous voyons beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages à la licence globale.

Pour autant, la situation existante nous satisfait-elle ? Non, il faut faire moins cher, plus facile, et plus fluide en ce qui concerne les catalogues. C’est cela la vision d’avenir et là en effet il y a des obstacles dont certains, nous l’espérons, pourront être levés par le débat.

Nous voulons saluer, comme l’a fait M. Dominique Richard, certaines avancées majeures notamment pour les handicapés visuels.

M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Il existe désormais des logiciels très efficaces pour synthétiser de manière sonore un fichier numérique.

Tel est l’orientation du groupe UDF au début de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Si vous me le permettez, monsieur le président, en cet instant du débat, deux observations. La première s’adresse au groupe socialiste. On ne peut défendre les droits du Parlement et dire sans cesse que l’on va s’adresser au Conseil constitutionnel.

M. Marc Le Fur. Très bien !

M. Jean-Pierre Soisson. Attention, à vouloir faire intervenir le Conseil constitutionnel dans la plupart des textes, vous réduisez le droit d’initiative du Parlement. Vous êtes en train de le cantonner dans des limites. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je m’élève contre cette pratique !

M. Didier Migaud. Cela n’a rien à voir ! Dans ce cas l’Assemblée avait voté !

M. Christian Paul. Comment osez-vous ?

M. Jean-Pierre Soisson. D’autre part, sous la Ve République, le Gouvernement a le droit de retirer ou de réécrire un article.

M. le président. Monsieur Soisson, nous sommes en train d’examiner l’amendement n° 272.

M. Jean-Pierre Soisson. Et je considère qu’il a bien agi en faisant ainsi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Carayon.

M. Bernard Carayon. L’amendement n° 272 du Gouvernement me fournit l’occasion de rappeler le cadre de notre réflexion collective et de souligner combien, depuis décembre, le Parlement a pleinement joué son rôle et ceux qui se sont exprimés, parfois avec force lors de notre dernier débat, ont été récompensés par l’écoute attentive du ministre.

Ce débat transcende nos clivages partisans. Il n’y a pas si longtemps, monsieur Christian Paul, aux assises du logiciel libre à Dijon, nous partagions les mêmes sentiments. Nous avions d’ailleurs pris les mêmes engagements devant des internautes.

M. Christian Paul. Il ne s’agit pas de sentiments, monsieur Carayon, mais de choix politiques !

M. Bernard Carayon. Avec un peu de bon sens nous pourrons nous rassembler.

Internet a véhiculé le mythe de la gratuité culturelle et occulté les légitimes droits des auteurs, suivi en cela par la foule des internautes, garantissant l’impunité derrière des technologies, par nature, évolutives. Ce débat est donc bien au cœur d’enjeux culturel, scientifique, technologique et sociologique.

Le droit, en particulier dans ce domaine, peine à encadrer les progrès scientifiques. Aussi se doit-il en l’espèce, d’être souple, créatif et clair. Ce n’était pas tout à fait le cas avec le texte soumis à notre examen au mois de décembre, même s’il était motivé par le souci légitime de protéger les droits des auteurs.

Mais, et c’est là l’essentiel, des progrès formidables ont été accomplis depuis plusieurs semaines : la reconnaissance du droit à la copie privée, exprimée avec force par le Président de la République ; l’interopérabilité et le sauvetage, depuis quelques semaines, des logiciels libres – à la fois outils de partage et d’émancipation à l’égard des logiciels, propriétés d’industries, en particulier, américaines – ; la diminution très forte des sanctions prévues initialement ; la soumission des mesures techniques de protection à des enjeux de sécurité nationale et de protection de la vie privée – on se souvient des dérives de l’entreprise Sony qui avait caché des programmes espions dans ses CD.

À la faveur de ce texte, nous allons enfin réconcilier les droits des auteurs, ceux des consommateurs, les intérêts nationaux, les droits et les intérêts des entreprises. Il assure une victoire de l’équilibre entre les forces du marché, auxquelles on ne peut de toute façon se soumettre, et celles de la spontanéité créatrice. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Richard Cazenave.

M. Richard Cazenave. Il serait dommage de reprendre le débat comme s’il ne s’était rien passé…

M. Christian Paul. C’est vrai, la situation s’est aggravée !

M. Richard Cazenave… alors que ces deux mois et demi ont été mis à profit par chacun pour réfléchir aux conséquences de ce qui avait été voté. D’ailleurs, j’ai entendu M. Bloche expliquer que la licence globale ne pouvait être qu’obligatoire.

M. Jean Dionis du Séjour. En effet !

M. Richard Cazenave. C’est une différence notoire par rapport à ce que nous avions entendu il y a deux mois et demi.

Chacun a donc poussé un peu plus loin une réflexion qui n’était pas alors mature. Nous nous posions sincèrement un certain nombre de questions. Sur la licence globale, la réponse a été apportée par la concertation, y compris lorsque le Président de l’Assemblée a fait venir des artistes qui nous ont expliqué que la rémunération proposée dans ce cadre équivalait quasiment à rien. Par conséquent, ce n’était pas une voie réaliste, sérieuse et nous ne pouvions pas dire que nous apportions véritablement une réponse par ce biais.

Il est donc bien naturel, après cette concertation, que nous revenions sur cette disposition aujourd’hui et que le ministre nous propose une autre voie.

Je partage totalement le point de vue de M. Carayon. Nous étions associés sur bien des amendements, notamment sur les logiciels libres, l’interopérabilité, la sécurité informatique et nous y reviendrons à propos de quelques amendements pour clarifier encore ces points-là. Les mesures techniques de protection ne doivent pas être un verrou technologique interdisant la lecture d’une œuvre sur n’importe quel support ou la recherche sur les logiciels libres, qui est une composante essentielle.

Avec l’amendement n° 272, des avancées importantes vont être apportées. L’auteur va choisir son mode de rémunération. Toutes les voies lui sont offertes et il n’y a plus d’opposition entre tel ou tel mode de rémunération.

Quant aux exceptions de type pédagogique qui ont fait l’objet d’un accord, et sur lesquelles, je l’espère, le ministre reviendra longuement, elles permettront aux chercheurs et aux enseignants d’utiliser des œuvres à des fins pédagogiques dans des conditions comparables aux autres pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Didier Mathus.

M. Didier Mathus. Nous allons avoir l’occasion pendant trois jours de revenir sur de nombreux aspects de cet amendement n° 272.

Il est regrettable que le débat se déroule dans d’aussi mauvaises conditions. L’échec du Gouvernement en décembre a provoqué une prise de conscience générale de l’enjeu de société que constitue le téléchargement. Mais nous avons assisté à un lobbying, comme nous n’en avions jamais connu dans l’histoire du Parlement, à une pression souvent directe, exercée sur le Parlement. Et en fait d’argument on a souvent entendu le lamento déchirant des comptes en banque le soir au fond des bois numériques ! (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

On aurait préféré de vrais arguments et un vrai débat sur cette révolution numérique, parce que c’est bien d’une révolution qu’il s’agit, face à laquelle les modèles anciens des industriels de la culture sont aujourd’hui obsolètes, périmés, inopérants. Le débat se situe entre ces deux termes : d’un côté un indiscutable accroissement du bien-être collectif pour la société que constituent les échanges de fichiers culturels par peer to peer, de l’autre des modèles économiques qui ne sont plus en place face à ces modes d’échanges, et des industriels de la culture qui tentent à toute force d’imposer leurs modèles économiques, leur rente de situation, sur de nouveaux modes d’échanges à de nouvelles générations.

Le Parlement ne devrait avoir qu’un seul guide : l’intérêt général. Malheureusement, le climat de pression est tel que nous avons beaucoup de mal à avoir ce débat dans de bonnes conditions.

Si le ministre de la culture entre dans l’histoire, ce sera pour avoir été le premier depuis quarante-cinq ans à retirer un article d’un projet de loi en cours de débat (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Accoyer. Vous oubliez Mme Guigou : vingt-trois articles !

M. Didier Mathus. Le procédé est si extraordinaire qu’il laisse augurer des conditions de ce débat mené dans l’urgence.

M. Richard Cazenave. Un jeu de mémoire !

M. Didier Mathus. Mon cher collègue Cazenave, il faut de temps en temps savoir de quoi on parle quand on parle de peer to peer.

Quant au fond de l’affaire, il n’y a rien de changé, mes chers collègues : l’universalisation des DRM reste le cœur du texte, c’est-à-dire la légalisation des verrouillages de contenus, qui entravent les échanges culturels sur le net. L’affaire du verrouillage de CD distribués par Sony par l’installation de rootkits, qu’a rappelée un de nos collègues tout à l’heure, montre le peu de cas que certains industriels de la culture font de l’éthique. Ces rootkits fonctionnent en effet comme des « logiciels espions », des spyware.

Alors que de vraies questions se posent, le corps du texte du Gouvernement n’a pas changé : l’imposition généralisée des DRM va entraîner la marchandisation globale de l’Internet accompagnée d’une surveillance généralisée des échanges, qui sont autant d’atteintes aux libertés individuelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Suguenot.

M. Alain Suguenot. Nous n’avons pas, monsieur le président, d’envies « rentrées » d’amendements, même si je suis l’auteur de l’amendement n° 153, né la nuit du 21 décembre, et qui est mort la nuit dernière.

Je crois effectivement qu’un Parlement est fort quand il use de son droit d’amendement pour améliorer les textes, et non pas pour entrer dans un conflit ouvert avec le Gouvernement, encore moins pour entretenir une querelle de personnes avec un ministre. Notre droit d’amendement doit servir en l’espèce à concilier ce qui semble inconciliable, si j’ai bien compris, les droits des auteurs et ceux des internautes.

Vous savez bien, monsieur le ministre, qu’il ne s’agit pas de remettre en cause les droits d’auteur. Mais il ne faut pas non plus protéger aujourd’hui le droit de la protection lui-même : le texte ne doit pas avoir pour effet de protéger la protection !

Mme Christine Boutin. Très bien !

M. Alain Suguenot. Nous sommes aujourd’hui dans une forme d’escalade, qui risque de nous faire autoriser les DRM au détriment peut-être de la liberté, qui doit pourtant rester de principe sur le net.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bravo !

M. Alain Suguenot. Le débat qui se déroulera dans les jours à venir nous laisse une chance de ne pas donner l’impression que les jeux sont faits, et la loi déjà rédigée selon les souhaits, exprimés hors de cet hémicycle, de certains auteurs et de l’industrie culturelle, dont nous subirions les pressions. Nous devons saisir la chance inouïe que constitue ce débat, qui peut encore apporter beaucoup, en matière d’interopérabilité notamment, comme l’a reconnu Bernard Accoyer. Les orateurs de tous les groupes de cette assemblée ont exprimé la volonté d’apporter de vraies réponses.

Pour ce qui est du droit à la copie privée, des précisions sont encore nécessaires. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : ce droit est mis en cause par l’évolution des techniques. Télécharger, c’est d’une certaine façon mettre à disposition. Nous ne devons pas ouvrir la boite de Pandore et mettre les uns et les autres dans une situation impossible.

Sans être un ayatollah de la licence globale, je crois que cette solution avait le mérite de traduire une vision médiane – c’était alors la seule – permettant de concilier des intérêts prétendument inconciliables.

Faisons en sorte que les auteurs sortent gagnants de ce débat. Vous avez l’opportunité, monsieur le ministre, d’inscrire votre nom dans l’histoire du droit d’auteur, à côté de celui de Beaumarchais. Après les grandes lois de 1957 et 1985, ce texte doit être pour nous l’occasion de concilier des intérêts a priori difficilement conciliables.

Je mesure toute la difficulté de votre tâche aujourd’hui. Vous avez su mettre à contribution les deux mois qui se sont écoulés depuis que nous avons eu ce débat pour tenter de réunir les uns et les autres. Nous devons à notre tour être capables d’écoute, afin que les amendements qui sont tombés hier soir puissent donner naissance à de nouvelles solutions, même si la licence globale n’est finalement pas retenue. On pourrait envisager, comme l’a fait tout à l’heure Bernard Accoyer, si je l’ai bien compris, des plateformes forfaitaires, ou quelque autre nom, si le terme de « forfait » fait peur. Quoi qu’il en soit, il faudra bien trouver un moyen de lutter contre le piratage.

Or la technique ne suffira pas, vous le savez aussi bien que moi, et c’est heureux, car s’en remettre à la seule technique signifierait le monopole, c’est-à-dire le pouvoir concédé à quelques-uns d’empêcher les internautes de télécharger, même contre rémunération : ce serait la mort de l’offre légale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vais laisser ce débat aller à son terme, en donnant la parole à tous ceux qui la demanderont. Cela prouvera que la procédure que nous avons retenue permet une discussion approfondie.

La parole est à M. Alain Joyandet.

M. Alain Joyandet. Je voudrais, à l’occasion de l’examen de cet amendement, en particulier de son 9°, parler de la presse en général.

Je voudrais me réjouir, monsieur le ministre, que vous ayez intégré dans cet alinéa nos deux sous-amendements, qui n’ont de ce fait plus d’objet. Je rappelle qu’ils dépassaient les frontières partisanes, puisqu’ils étaient cosignés par Michel Françaix, François Sauvadet, Pierre-Christophe Baguet et moi-même, ce qui n’est pas si courant.

Il s’agit donc d’un texte qui a de multiples facettes : en l’occurrence il va ouvrir un espace de liberté supplémentaire à la presse, notamment écrite, en introduisant ces nouvelles exceptions au droit d’auteur. En effet, à la suite d’un abondant contentieux, les journaux éprouvent de grandes difficultés à rendre compte d’événements d’actualité lorsque cela suppose la reproduction, même involontaire, d’œuvres originales.

Vous avez ainsi, monsieur le ministre, donné satisfaction à l’ensemble du Parlement, puisque ces deux sous-amendements, présentés au nom des cinquante députés membres du groupe d’études sur la presse, avaient reçu l’assentiment de tous les groupes.

Je me réjouis également du corps principal de l’amendement, fruit du débat qui s’organise depuis plusieurs semaines, notamment à votre initiative, monsieur le président, entre les parties en cause, ainsi que les échanges que nous avons pu avoir entre députés, toutes tendances confondues.

Ayant beaucoup écouté ce que nous ont dit les artistes et les auteurs, je me réjouis en effet d’une solution qui a préféré la responsabilité personnelle et la protection du droit d’auteur individuel à la responsabilité globale – il faudrait plutôt parler d’une irresponsabilité globale – généralement décriée.

Une telle solution a également une valeur pédagogique, notamment vis-à-vis des jeunes internautes, qui comprennent assez mal nos débats.

Mme Christine Boutin. C’est l’inverse : c’est nous qui ne les comprenons pas !

M. Alain Joyandet. Vous n’allez pas vous opposer plus que ne le fait l’opposition, chère collègue ! Cela devient infernal.

En effet en imposant aux jeunes internautes de verser, pour chaque œuvre téléchargée, une somme modique, bien inférieure au coût d’un CD-rom, cet amendement leur enseigne qu’une œuvre, ce n’est pas rien, ça ne s’achète pas en paquets ! Mais ils auront ensuite toute latitude de copier gratuitement cet œuvre sur tout support, pour un usage réservé au cercle familial et au cercle amical.

Mme Martine Billard. C’est faux !

M. Alain Joyandet. Cet élément pédagogique est aujourd’hui essentiel.

Je conclurai, monsieur le président, que si nous adoptons la solution proposée par le Gouvernement, nous préserverons le droit d’auteur à la française, qui a permis jusqu’à présent à l’exception culturelle à la française, de survivre à l’évolution technologique.

M. Pierre Cohen. N’importe quoi !

M. Alain Joyandet. En soutenant le Gouvernement, nous assurerons la pérennité du droit d’auteur à la française, qui a permis à la culture française de survivre jusqu’à aujourd’hui, à l’inverse de ce qui s’est passé dans les autres pays européens. Ayant entendu ce que m’ont dit tous les artistes à ce propos – et je vous remercie encore une fois, monsieur le président, d’avoir permis ces échanges – je suis convaincu que nous devons soutenir cette démarche plutôt que la licence globale, même si cette solution a pu apparaître séduisante à un certain moment. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Même si je dénonce à mon tour la forme et les conditions d’examen, du texte en général et de cet amendement en particulier, je tiens néanmoins à en souligner les avancées sur trois points auxquels l’UDF était très attachée et sur lesquels nous avons déposé des amendements.

Le premier porte sur l’extension de l’exemption en faveur des bibliothèques ou des services d’archives accessibles au public : je vous rappelle, mes chers collègues, que nous avions fait voter cette mesure à l’unanimité le 21 décembre dernier.

Le deuxième porte, comme l’a rappelé notre collègue Alain Joyandet à l’instant, sur l’exception prévue en cas de présentation d’une œuvre par la presse, dès lors que cette publication s’inscrit dans un contexte d’actualité. Cette mesure consacre la liberté de la presse, à laquelle nous sommes tous attachés.

Le troisième porte sur les exemptions accordées aux handicapés, notamment aux malvoyants. Nous qui avions, avec mon collègue Jean Dionis du Séjour, déposé de nombreux amendements en ce sens, nous sommes heureux d’avoir été entendus. Nous saluons notamment l’organisation d’un dépôt légal numérique, auquel nous tenions.

Je rappelle enfin, en accord avec mon collègue Jean Dionis du Séjour, mon opposition à la licence globale, que j’avais déjà exprimée par mon vote du 21 décembre dernier. Je suis plus que jamais attaché à la solution de plateformes légales payantes, sous les conditions expresses qu’elles soient réellement concurrentielles, et qu’elles garantissent ainsi la plus grande diversité et l’accessibilité financière la plus large.

Nous aurons l’occasion de revenir sur d’autres sujets majeurs, comme la copie privée, l’interopérabilité, les mesures techniques de protection. En ces matières les attentes de l’UDF sont fortes, notamment en ce qui concerne l’absolue nécessité d’effectuer, avant toute sanction, un véritable travail de responsabilisation et de pédagogie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. À l’occasion de cette proposition d’article additionnel, je voudrais revenir sur les questions de fond qui sous-tendent nos débats d’aujourd’hui. En effet, je ne peux pas accepter qu’on dise qu’en votant en décembre dernier la licence globale, nous avons autorisé le téléchargement gratuit des œuvres, et donc la spoliation des auteurs.

J’avais jusqu’ici, monsieur le président, le sentiment que le ministre utilisait les droits d’auteur comme un épouvantail. Il semble en réalité qu’ils lui servent de cheval de Troie pour imposer la logique des DRM, les mesures techniques de protection, afin de pouvoir réguler les flux sur l’internet moyennant finances évidemment.

La question essentielle est celle de savoir si nous serons capables de franchir le pas, peut-être historique, qui permettra aux droits des auteurs d’être effectivement garantis et d’assurer la rémunération de la création. C’est bien cela qui est en débat.

Mais nous ne pourrons pas atteindre cet objectif sans tenir compte de la réalité de l’internet : que nous le voulions ou pas, l’internet est là. Ce sont aujourd’hui vingt-quatre millions de Français qui sont connectés, et probablement beaucoup plus dans un proche avenir ; c’est le cas de plus de un milliard de personnes dans le monde. Il y a donc nécessité de préserver les droits d’auteur à la française.

C’est pour cette raison que notre pays doit inventer un nouveau mode de rémunération de la création artistique. Sinon nous devrons abandonner notre régime des droits d’auteur pour le droit de la copie privée à l’américaine, le copyright, comme nous le démontrerons dans la suite de nos débats. Seuls les grands groupes de la culture industrielle feront leurs choux gras d’un tel choix, et Microsoft, Apple ou Sony en seront les premiers bénéficiaires.

M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon. Si je souhaite intervenir, c’est parce que j’ai entendu un de nos collègues de l’opposition asséner avec force que le texte qui nous est proposé était de nature à nous diviser.

M. Christian Paul. Pour nous diviser, c’est réussi !

M. le président. Je rappelle que nous en sommes à l’amendement n° 272 !

M. Michel Herbillon. Oui, c’est de cela que je vais parler.

Je pense, au contraire, que le texte du Gouvernement devrait nous rassembler. En effet, après la concertation largement développée par le ministre de la culture, il pose un certain nombre de principes.

M. Christian Paul. Quelle langue de bois !

M. Michel Herbillon. Le premier principe, qui est rappelé dans l’amendement n° 272, c’est que le monde de la création et celui d’Internet ne doivent pas s’opposer. C’est un véritable enjeu de société et un beau thème de débat.

Le deuxième principe qui devrait, lui aussi, nous rassembler, c’est que c’est l’auteur, le créateur, qui se trouve au cœur du dispositif et que c’est à lui qu’il revient de déterminer la stratégie qu’il souhaite pour la diffusion de son œuvre.

Ce qui devrait aussi nous rassembler, ce sont les avancées importantes qu’opère l’amendement n° 272 par rapport au texte du mois de décembre sur l’interopérabilité, la copie privée, le logiciel libre ainsi que les possibilités offertes aux personnes handicapées.

Le troisième principe réaffirmé dans ce texte, c’est notre détermination à lutter contre la piraterie, sans faire de « flicage » de l’internaute. Ce sont les œuvres qui sont surveillées, et non les internautes. Il est de notre responsabilité en tant que parlementaires de faire œuvre en la matière de pédagogie vis-à-vis de nos enfants et petits-enfants et, plus généralement, de nos concitoyens.

Le quatrième principe qui devrait également nous rassembler et qui est une sorte de fil rouge de ce texte, c’est que son objectif est de permettre une véritable floraison d’offres nouvelles accessibles au plus grand nombre, une large diffusion du travail des créateurs et une disponibilité sur Internet d’un maximum de musiques et de films, dans le respect de la création. En d’autres termes, ce texte permet des libertés nouvelles.

Il doit être considéré comme un point de départ plus que comme un point d’arrivée : quand on évoque les droits du Parlement et leur respect, il faut rappeler que nous légiférons, non pas de manière figée pour cinquante ans, mais seulement pour un moment en fonction de la technologie et que nous serons amenés à revoir ce dispositif.

Ce texte illustre finalement fort bien la définition qu’André Malraux donnait de la culture : permettre au plus grand nombre d’hommes d’avoir accès au plus grand nombre d’œuvres. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Nos collègues de la majorité s’enthousiasment pour les avancées de l’amendement n° 272. Je pense, pour ma part, que le ministre devrait nous remercier de lui avoir évité des erreurs monumentales, que ce soit sur le handicap visuel ou sur le logiciel libre. Si nous ne nous étions pas battus sur l’article 1er, il y aurait sans doute eu des problèmes avec certains acteurs.

L’amendement institue des exceptions au droit d’auteur pour la copie privée.

Je fais observer que la transposition de la directive que nous envisageons est la plus dure de toutes celles opérées dans les autres pays de l’Union.

M. Michel Raison. Elle est la plus tendre pour les auteurs !

Mme Martine Billard. La nouvelle rédaction du Gouvernement fait tomber l’amendement qui étendait la copie privée au « déchargement » individuel à usage privé. Il reste cependant bien des incertitudes sur la copie privée. Il ne suffit pas décrire dans un amendement que celle-ci est garantie s’il n’y a rien de précis dans le projet la concernant. C’est un collège de médiateurs qui est chargé de le préciser – lesquels, soit dit en passant, seront à la fois décideurs et médiateurs ! Plus inquiétant : il y a des problèmes d’interprétation. Dans le « test en trois étapes », la notion de « préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur » devient pour la Cour de cassation, s’agissant de la copie privée de DVD, « l’importance économique de l’exploitation de l’œuvre pour l’amortissement des coûts de production cinématographiques ». Le moins que l’on puisse dire est qu’il y a un glissement. Il serait donc utile que le législateur précise dans la loi que les intérêts légitimes de l’auteur ne se confondent pas avec l’amortissement des coûts de production cinématographique.

Mme Christine Boutin. Ce serait effectivement une bonne chose !

Mme Martine Billard. Ne pas préciser dans un texte sur les droits d’auteurs, que son objet est de défendre ces derniers et non les droits de production pose de réels problèmes.

C’est un combat d’arrière-garde ? Croyez-vous réellement que l’on arrivera à arrêter les téléchargements par peer to peer ?

M. Dominique Richard. Impossible !

Mme Martine Billard. Vous pouvez toujours interdire les sites : ils iront s’installer ailleurs. Vous pouvez inventer toutes les répressions que vous voudrez, les DRM seront contournés. Alors que, dans certains pays, ils sont présentés comme une simple garantie d’auteur, ils nous ont été décrits en commission des affaires culturelles et encore par M. le ministre tout à l’heure comme un moyen fantastique pour limiter le nombre de lectures et leur durée. Vous prévoyez de mettre des contrôleurs, des « mouchards » partout. Résultat : quand vous achèterez une œuvre et que, pour une raison ou une autre, vous serez interrompu alors que vous étiez en train de la regarder, quand vous reviendrez, elle aura disparu ! Voilà la transposition à la française de la directive !

M. le président. Et si je vous arrête, disparaîtrez-vous ? (Rires.)

Mme Martine Billard. Peut-être ! Mais, heureusement, je n’ai pas encore de DRM sur moi. (Rires.)

Une précision technique pour conclure. Les détracteurs de la licence globale qui prétendent qu’il n’est pas possible de « mesurer les flux », soit sont de mauvaise foi, soit ne connaissent rien au système. Si l’on peut surveiller les téléchargements en peer to peer, jusqu’aux titres téléchargés et aux adresses IP, c’est qu’on peut les compter. Qu’ils ne viennent donc pas nous dire le contraire !

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Comme le président de l’Assemblée nationale a créé un certain suspens en souhaitant savoir quelle était au fond la position du groupe socialiste sur l’amendement n° 272, je vais maintenant mettre fin à ce suspens !

M. le président. Monsieur Paul, je n’ai jamais parlé du fond !

M. Christian Paul. Vous l’avez fait avec beaucoup de subtilité…

M. le président. J’ai uniquement parlé de la procédure ! N’essayez pas de travestir ma pensée.

M. Christian Paul. …et en creux en quelque sorte !

M. le président. Je n’aime pas les creux. Je préfère les bosses ! (Rires.)

M. Christian Paul. Je crains que le texte en prenne encore quelques-unes !

Nous sommes résolument en désaccord avec l’amendement n° 272 – cet article 1er bis que vous ramenez par la fenêtre après que nous lui avons fermé la porte – et je vais vous dire pourquoi.

Nous ne sommes pas en désaccord avec cet amendement sur la lettre mais surtout à cause de ce que vous n’avez pas voulu y inscrire.

Nous aurions en effet voulu que le téléchargement soit explicitement rangé parmi les exceptions pour copie privée.

Mme Christine Boutin. Eh oui !

M. Christian Paul. Le texte que vous avez défendu au mois de décembre, monsieur le ministre, avait au moins le mérite de la cohérence, même si c’était une cohérence répressive : vous considériez alors qu’en dehors des plateformes commerciales, il n’y avait point de salut et qu’une répression bien organisée permettrait en quelque sorte de les sanctuariser et de les développer. Le texte que vous nous présentez aujourd’hui au Parlement, cette version 2.0 en quelque sorte, n’a même plus de cohérence.

M. Michel Herbillon. C’est totalement faux ! Lisez-le !

M. Christian Paul. Une amende de 38 euros n’aura pas d’effet dissuasif. Quand vous avez tenté – heureusement les juges n’ont pas suivi ! – d’éviter le téléchargement à coup de procès et d’amendes de plusieurs dizaines de milliers d’euros, cela n’a pas suffi. Une amende d’un montant équivalent au prix d’un stationnement interdit, cette « contredanse pour la musique », que vous voulez instaurer ne sera pas suivie d’effet. Première incohérence que nous devons décoder pour ceux qui nous écoutent ou nous liront.

Après la riposte graduée, vous nous parlez maintenant, par un artifice « cosmétique », d’Internet équitable : il y a un progrès de vocabulaire, mais il n’y en a pas sur le fond. C’est une stratégie « perdant-perdant », monsieur le ministre, que vous nous proposez. Les internautes vont y trouver encore l’insécurité juridique à cause du flou de votre texte et l’impossibilité, à travers des jurisprudences qui seront forcément différentes, de trouver véritablement quelle est la règle de droit. Quand aux artistes, ils n’y gagneront pas un euro de plus,…

M. Frédéric Dutoit. Ils vont tout y perdre !

M. Christian Paul. …parce qu’avec les 38 euros, ce sera en fait la licence globale pour le Trésor public !

M. Frédéric Dutoit. Tout à fait !

M. Christian Paul. Je suis heureux de constater ce soir, au milieu du ronron des appels à la discipline que l’on entend dans l’hémicycle, qu’il se trouve sur tous les bancs de cette assemblée des femmes et des hommes libres, dont les voix se sont élevées de façon très convaincante.

Le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, pour sa part, fera preuve d’une totale cohérence en proposant au pays une stratégie « gagnant-gagnant » sous la forme d’un contrat culturel

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Conformément au deuxième alinéa de l’article 95 du règlement de notre assemblée, c’est bien sur l’article additionnel créé par l’amendement n° 272 du Gouvernement que j’interviens. Je ne voudrais par, en effet, que la forêt d’exceptions que le Gouvernement crée avec cet article additionnel cache l’arbre central qui était au cœur de nos débats du mois de décembre.

Qui peut être contre une exception au droit de reproduction pour certains actes techniques de reproduction provisoire ? Qui peut-être contre une nouvelle exception permettant un accès élargi aux œuvres aux personnes affectées d’un handicap.

M. Christian Paul. Enfin !

M. Patrick Bloche. Qui peut être contre une exception créée en faveur des bibliothèques et services d’archives accessibles au public ? Qui peut être contre une exception encadrée créée en faveur de la presse et liée à l’inclusion d’œuvres dans ses reportages ? Personne !

M. Michel Herbillon. Vous allez voter l’amendement alors !

M. Patrick Bloche. Je ne voudrais pas que cette soudaine générosité du Gouvernement, avec cette floraison d’exceptions que nous avions essayé d’arracher au Gouvernement lors du débat du mois de décembre cache le point central du débat, qui est celui de considérer ou non le téléchargement comme une exception à la copie privée.

Certains de nos collègues de l’UMP ont innové en créant, dans un article paru récemment dans la presse, dont M. Dominique Richard et Mme de Panafieu étaient cosignataires,…

M. Dominique Richard. Vous avez de bonnes lectures !

M. Patrick Bloche. …un droit à la copie privée. Si ce droit existe, il faut prendre en compte l’évolution jurisprudentielle dont témoigne le récent jugement du TGI de Paris : d’où les sous-amendements qui viseront à ce que le téléchargement soit l’expression d’un droit à la copie privée, ou, plus classiquement, une exception pour copie privée.

C’est le seul moyen, nous le répétons avec insistance, de sortir de l’illégalité et donc de la gratuité. C’est la seule façon réaliste de rémunérer les auteurs et les artistes.

Certains – et le ministre de la culture le premier – font le pari que les internautes qui pratiquent le peer to peer migreront vers les offres légales payantes. Nous contestons ce pari ou, plutôt, nous préférons prendre en compte un principe de réalité et inscrire d’ores et déjà dans la loi une exception pour copie privée qui rémunère les auteurs et les artistes.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt-deux heures, troisième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 1206, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information :

Rapport, n° 2349, de M. Vanneste, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente.)