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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 16 mars 2006

173e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Gestion des départs à la retraite
et emploi des jeunes

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la négociation de plans de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches et tendant à favoriser l’emploi des jeunes (nos 2914, 2946).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Frédéric Dutoit, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où le Gouvernement, après avoir mis en place le CNE, maintient son coup de force en imposant le CPE, le groupe des député-e-s communistes et républicains a inscrit à l'ordre du jour de sa séance d'initiative parlementaire la présente proposition de loi relative à la négociation de plans de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches, tendant à favoriser l'emploi des jeunes. Il s’agit de démontrer que la précarité de l'emploi et la remise en cause du code du travail ne sont pas les seules voies possibles de la création d’emplois.

La situation de l’emploi en France, marquée par une nouvelle augmentation du chômage, qui touche 22,8 % des jeunes actifs, se distingue par ailleurs par le développement important de la précarité, 20 % à 30 % seulement des embauches étant aujourd’hui effectuées sous la forme d’un contrat à durée indéterminée. Cette précarité est particulièrement dévastatrice chez les jeunes, puisqu’en 2004 plus d’un jeune actif sur cinq occupe un emploi temporaire.

Le recours aux stages – qui est souvent une forme déguisée d’emploi – constitue un autre élément illustrant la précarité de la situation des jeunes, comme l’a montré l’avis présenté par M. Jean-Louis Walter, au nom du Conseil économique et social, sur l’insertion professionnelle des jeunes issus de l’enseignement supérieur. Cela signifie qu’a contrario des propos tenus par le Gouvernement, la précarité n’est plus liée seulement au chômage : aujourd’hui l’emploi ne protège plus de la précarité. C’est donc bien l’emploi stable qu’il faut développer.

Face à cette situation de précarité rampante, le Gouvernement a proposé deux nouveaux contrats de travail, le contrat nouvelles embauches, ou CNE,…

M. Guy Geoffroy. Ça marche !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. …et le contrat première embauche, ou CPE,…

M. Guy Geoffroy. Ça va marcher !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. …qui vont précariser encore un peu plus le salariat. Ce dernier contrat est d’ailleurs, depuis plusieurs semaines, largement contesté dans le pays et son retrait est demandé par la quasi-totalité des organisations syndicales de salariés et d’étudiants et des organisations de jeunesse. Nous en aurons aujourd’hui même des échos.

Or il y a aujourd’hui un défi formidable à relever. Dans les dix années à venir, le nombre de postes à pourvoir s’accroîtra nettement, au moment où les générations du baby-boom arriveront en fin de carrière. Ce mouvement démographique d’importance constitue une chance pour la France : les besoins en recrutement devraient atteindre un rythme annuel moyen de 600 000 emplois par an de 2002 à 2015, avec 500 000 départs en retraite et 100 000 créations nettes d’emplois. À quoi il faut ajouter les postes éventuellement libérés sous l’effet de la relance du dispositif de retraite progressive annoncée par le Premier ministre au début du mois de mars 2006.

Mais les départs à la retraite ne s’accompagnent pas toujours d’une embauche, ainsi que le montre la récente décision d’Électricité de France de ne remplacer qu’un départ à la retraite sur quatre dans les deux années à venir. France Télécom s’inscrit dans une démarche similaire en prévoyant la suppression de 17 000 emplois. Les exemples sont nombreux d’entreprises tirant profit de ces évolutions pour procéder à des restructurations.

Les entreprises risquent en outre de profiter de ces remplacements pour précariser l’emploi encore un peu plus en substituant au CDI, qui occupe dix-neuf millions de salariés sur un total de vingt-deux millions, le « contrat nouvelles embauches » ou le « contrat première embauche », aux droits réduits pour les salariés et sans protection contre les licenciements. Bel effet d’aubaine !

Existe aussi le risque que soient créés de nouveaux contrats de travail atypiques – contrats aidés largement subventionnés, aux conditions de pérennisation incertaines – pour les jeunes, les privés d’emplois selon les cas, les seniors, alors que leurs inconvénients ne sont plus à démontrer.

L’enjeu est donc bien de profiter de ces nombreux départs à la retraite pour consolider le contrat à durée indéterminée.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’article 1er de la présente proposition de loi établit un mécanisme de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches, qui repose sur deux principes. Le premier est une incitation à examiner les conditions possibles de cette gestion prévisionnelle dans le cadre de la négociation annuelle d’entreprise. Le second est l’obligation pour l’employeur de communiquer au comité d’entreprise – ou, à défaut, aux délégués du personnel – le nombre de salariés en droit de demander le bénéfice de leur départ à la retraite, ainsi que de présenter un plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre des embauches, soumis à la négociation et à l’accord majoritaire.

Ce double mécanisme rencontre l’intérêt des entreprises, dans la mesure où il assure le renouvellement de la main-d’œuvre dans le cadre d’une négociation permettant un débat contradictoire constructif. Il constitue en outre, dans le respect du dialogue social, un jalon vers la mise en œuvre progressive d’un dispositif d’emploi et de formation tout au long de la vie. Il va également dans le sens des intérêts des salariés, en assurant à leur profit un développement de l’emploi stable, dans la mesure où les embauches prévues doivent être réalisées sous la forme d’un CDI – les CPE et CNE étant naturellement exclus –, une attention particulière devant être portée aux jeunes âgés de moins de vingt-six ans.

Ce mécanisme est assorti de sanctions en cas d’inexécution, propres à en assurer l’effectivité. Est prévue en particulier la création d’une forme nouvelle de contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés en cas de non-établissement de l’accord prévu. Cette contribution s’inspire du mécanisme de la « surtaxe Juppé » qui avait été mis en place en 1995. Son taux est fixé à 10 %. Elle sera due par les entreprises ne satisfaisant pas à l’obligation de conclusion d’un plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches. L’obligation ainsi définie porte sur la signature de l’accord majoritaire, quel qu’en soit le contenu. Il s’agit là d’un point important.

C’est au total un dispositif réaliste constituant une réponse à un défi aujourd’hui bien identifié.

La présente proposition de loi envisage aussi une autre voie pour sécuriser le développement de l’emploi des jeunes, tout en apportant une réponse ciblée à l’une des difficultés principales évoquées, à savoir l’insertion professionnelle des jeunes. Elle prévoit à cet effet un article 2 permettant de mettre fin aux abus en matière de stages, grâce à une définition stricte des cas dans lesquels une convention de stage peut être conclue, afin que cela ne remplace pas de véritables contrats de travail.

Cet article établit également un mécanisme de requalification des stages abusifs en contrats de travail à durée indéterminée, sur le modèle de la requalification des CDD en CDI telle qu’elle est déjà prévue par le code du travail. Cette mesure va de pair avec les dispositions de la proposition de loi de mon ami Alain Bocquet relative à la lutte contre le recours abusif aux conventions de stage comme substitut à des contrats de travail et à la revalorisation du statut de stagiaire.

Cette proposition restitue au stage sa finalité véritable et favorise la transmission des savoir-faire. Cela contraste fort opportunément avec la démarche actuelle du Gouvernement, qui propose la rédaction d’une charte peu contraignante et des dispositions sans réelle portée en cette matière.

M. André Chassaigne. C’est vrai !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Il faut enfin noter que la proposition de loi prévoit que, dans les douze mois suivant la publication de la présente loi, et après consultation des partenaires sociaux, le Gouvernement présentera au Parlement un projet de loi étendant ces dispositions à la fonction publique. De plus, dans les six mois à compter de la publication de la loi, le Gouvernement engagera une négociation avec les partenaires sociaux en vue de la conclusion d’un accord national interprofessionnel sur l’élaboration d’une charte d’accueil des stagiaires, charte comportant un plan d’accueil annuel obligatoire des stagiaires dans l’entreprise.

En définitive, c’est donc un texte équilibré – n’est-ce pas d’ailleurs le souhait de tous les ministres qui se succèdent dans l’hémicycle ? –…

M. François Liberti. Très équilibré !

M. Daniel Paul. Et même sage !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. …et susceptible d’apporter certaines réponses concrètes aux problèmes, récurrents aujourd’hui, de l’emploi et de la précarité, en particulier des jeunes, qu’au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains je vous propose d’adopter.

Cette proposition a d’ailleurs suscité l’intérêt du Gouvernement par la voix de M. Jean-Louis Borloo, qui l’a reconnu lors de la séance de questions d’actualité du 8 mars 2006 en réponse à une question de notre groupe.

M. André Chassaigne. Ce jour-là, il offrait des fleurs à tout le monde !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Je terminerai cette intervention en exprimant ma grande déception au terme des débats que nous avons eus en commission. Elle tient, bien entendu, au sort réservé à la proposition de loi par la commission, qui a décidé de suspendre son examen et de ne pas présenter de conclusions, donc de ne pas passer à la discussion des articles. Mais, après tout, la commission est libre de voter comme elle l’entend.

Ma déception tient surtout aux motivations de cette décision et, plus généralement, à la volonté de ne pas aborder véritablement le fond de la discussion.

À titre d’exemple, il a été reproché à ce texte d’obliger l’employeur à embaucher une personne pour chaque salarié partant à la retraite. Or c’est tout à fait inexact : l’obligation imposée à l’entreprise est de parvenir, au terme d’une négociation, à l’établissement d’un plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches, quel que soit le contenu de ce plan. On pourrait donc, à la limite, imaginer que dans certains cas d’espèce aucune embauche ne soit programmée, mais cela devrait être négocié par les partenaires sociaux et ratifié par un accord majoritaire, et non décrété unilatéralement par l’employeur, comme cela se produit aujourd’hui dans certaines grandes entreprises.

M. André Chassaigne. Ils ne veulent pas de concertation !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Par-delà les clivages politiques qui nous opposent, il est fort regrettable de ne pas aborder le fond de la discussion. Le thème de l’emploi n’est-il pas assez d’actualité ? Les chiffres du chômage ne suffisent-ils pas ? Le défi démographique est une réalité. Pourquoi ne pas en parler et examiner – quitte à les amender – les propositions faites pour le relever ? Je salue, à cet égard, le travail du groupe socialiste.

Il est de notre responsabilité à tous de prendre au sérieux un tel travail. Cela n’a pas été fait, ou du moins pas suffisamment. Ainsi a été manquée, ou sera peut-être manquée, une occasion d’élaborer un système de sécurité d’emploi et de formation susceptible de favoriser la sécurisation des parcours professionnels tout au long de la vie. Ainsi a été manquée, ou risque d’être manquée, une occasion de lutter contre la précarité, de relancer le dialogue social et de proposer des voies réalistes de redressement social, politique et économique pour notre pays.

J’espère que nos débats de ce matin permettront de revenir sur cette occasion manquée. J’ajouterai, monsieur le ministre, que dans la situation où se trouve actuellement votre gouvernement, il serait bien inspiré de donner une suite favorable à cette proposition de loi qui pourrait le sortir du piège dans lequel il s’est mis lui-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. Excellent rapport !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Comme il est gentil avec nous !

Mme Jacqueline Fraysse. On essaye de vous aider !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Liberti, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. François Liberti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le président de l’UMP, M. Sarkozy, le Président de la République, M. Chirac, et la présidente du MEDEF, Mme Parisot, le Premier ministre, M. de Villepin, défend son CPE en stigmatisant l’immobilisme des uns ou l’absence de proposition des autres en matière d’emploi et d’emploi des jeunes.

Nous sommes ici ce matin pour lui démontrer que nous avons des propositions progressistes, responsables et opératoires.

Le groupe communiste et républicain a voulu déposer une proposition de loi pour favoriser l’emploi des jeunes à l’heure ou le Gouvernement, de plus en plus isolé, prétend imposer le CPE contre l’avis de la très grande majorité de la population et de la jeunesse, dont la mobilisation s’est encore élargie et renforcée ces derniers jours.

Notre volonté a été aussi de ne pas créer un nouveau contrat atypique pour les jeunes. Il y a deux raisons à cela. Pourquoi, d’abord, les enfermer dans un contrat spécifique, alors que le code du travail en prévoit déjà un certain nombre, qui s’accompagnent souvent de larges subventions publiques pour l’emploi ? Les jeunes ont le droit de prétendre à un emploi stable correctement rémunéré et de jouir des mêmes droits que les autres salariés.

Un passé récent et un autre, plus lointain, nous ont montré l’échec de ces contrats atypiques, dits contrats aidés. Chacun se rappelle le sort du CIP de M. Balladur. Les jeunes ne veulent pas d’un contrat spécifique. Ce qu’ils veulent, c’est être intégrés normalement dans l’emploi.

Par ailleurs, il faut mettre un frein à la discrimination dans l’emploi, qui s’exprime avec des contrats spécifiques pour les RMIstes, les allocataires des minima sociaux, les jeunes, les seniors ou les chômeurs de longue durée.

La législation sociale ne doit pas prévoir un contrat de travail en fonction de chaque cas. Le CDI doit rester la norme.

Compte tenu de ces considérations, il convient d’accentuer l’action publique en faveur de l’emploi des jeunes, via des mesures incitatives fondées sur les bases les plus normales du code du travail, sans spécificité aucune. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine le code du travail est une législation simple, qui s’est complexifiée par la volonté du patronat d’obtenir toujours plus de dérogations.

En outre, l’implication des partenaires sociaux dans la politique de l’emploi doit être réaffirmée. On ne peut pas, au moment même où l’on parle de démocratie dans l’entreprise, d’entreprise citoyenne et de droits nouveaux pour les salariés, tout imposer d’en haut. Il faut redonner vitalité au dialogue social et donner les moyens aux représentants des salariés de résister à la pression du MEDEF.

Tel est le sens de cette proposition de loi qui vise à lutter contre le chômage et à développer la création d’emplois pour les jeunes.

Elle comporte deux points essentiels : la négociation de plans de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches et la lutte contre les stages abusifs servant de substituts à des contrats de travail.

Comme vous le savez, la France entre dans la période des départs à la retraite massifs des générations nées après 1945. Ce mouvement démographique devrait atteindre un rythme annuel moyen de 600 000 départs de l’emploi entre 2005 et 2015, selon une étude conjointe de la DARES et du Commissariat général au Plan. Ce renouvellement de main-d’oeuvre est une occasion historique de consolider le salariat, et non de le précariser. Il est ainsi possible de recruter des centaines de milliers de personnes et de réduire significativement le chômage, particulièrement chez les jeunes, tout en régénérant les capacités de travail et d’innovation des entreprises.

Cette opportunité historique, le Gouvernement et le MEDEF l’ont bien captée. Ils veulent s’attaquer à cette occasion au CDI, qui représente encore plus de 80 % des contrats de travail. En revanche, lorsque ces postes se libèrent, les embauches se font sur des contrats précaires. C’est déjà ce qui ce passe avec les nouvelles offres d’embauche, trois offres d’emploi sur quatre étant aujourd’hui des contrats précaires. L’enjeu est de savoir sur quelle base se feront les embauches des jeunes et des seniors : en CNE, en CPE ou en CDD senior ? Et, bien entendu, les conditions de rupture de contrat s’en trouvent changées : il n’est pas besoin de motiver le licenciement.

Mais peut-être ces départs à la retraite serveront-ils à supprimer de l’emploi, comme certaines grandes entreprises l’annoncent déjà. À titre d’exemple, EDF a déjà opté pour cette orientation : la direction vient d’annoncer qu’un départ ne se traduira pas par une embauche et qu’un départ sur quatre seulement sera remplacé dans les deux prochaines années, ce qui détruira 6 000 postes. France Télécom s’inscrit dans une démarche similaire, avec la suppression de 17 000 emplois.

Il faut opposer à cette marchandisation de l’emploi un véritable plan de sécurité d’emploi et de formation et la mise en place au sein de l’entreprise d’une gestion prévisionnelle des effectifs contre embauches.

La proposition de loi, dans son article 1er, vise à inscrire dans le code du travail, à l’instar de l’obligation pour l’employeur de présenter un plan de résorption de l’emploi précaire dans l’entreprise, l’obligation de présenter aux représentants des salariés un plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches. Il s’agit de soumettre à la négociation obligatoire un nouveau point : la gestion prévisionnelle des départs à la retraite et les conditions de leur remplacement par des embauches. Ce plan serait soumis à accord majoritaire après négociation. Naturellement, mention est faite des conditions de ces remplacements : priorité à l’emploi des jeunes, qui doit en outre reposer sur des contrats stables bannissant le CNE, CPE, le CIE ou le CI-RMA.

Si l’employeur refuse de présenter ce plan, il s’expose à une sanction : le rétablissement de la surtaxe Juppé à l’impôt sur les sociétés. Il faut donc choisir entre l’emploi et la rentabilité et le profit par une diminution de main-d’œuvre – auquel cas l’entreprise sera financièrement pénalisée.

Il s’agit donc bien d’instaurer une négociation obligatoire avec les syndicats et les élus des salariés sur le remplacement des postes libérés par le renouvellement de génération. La cause de l’emploi et le rajeunissement des ressources humaines des entreprises sont des affaires trop sérieuses pour être abandonnées entre les seules mains de directions aveuglées par les critères de rentabilité et de profit exigés par les actionnaires. Le débat doit non seulement être organisé, mais aussi aboutir à des résultats.

Le deuxième article de la proposition de loi est consacré à la question des stagiaires, qui touche près de 800 000 jeunes. Détournés de leur objectif pédagogique, le stage et la convention qui en détermine le cadre sont devenus un mode d’embauche ordinaire, mais néanmoins abusif, pour des employeurs qui veulent profiter à peu de frais d’une force de travail puisée dans le vivier d’un monde scolaire et universitaire où la durée des études s’est allongée.

Comme le fait observer le collectif « Génération précaire », cette multiplication des stages, en lien avec l’allongement des études, a fourni aux entreprises, administrations et associations la possibilité d’éviter ou de retarder certaines embauches. C’est ainsi que des milliers de jeunes sont astreints à la précarité, sans assurance sur leur avenir professionnel et personnel.

La confusion entretenue entre contrat de travail et convention de stage permet la multiplication des statuts ambigus. Il apparaît dès lors nécessaire que le régime juridique soit adapté à cette évolution et remédie aux manquements les plus pénalisants pour la jeunesse.

Avec l’article 2, la conclusion d’une convention de stage doit être obligatoire et reposer sur un objectif pédagogique délimité qui respecte l’équilibre entre les acquisitions théoriques et l’expérience en situation professionnelle.

En outre, le stage se différencie du contrat de travail par son caractère éphémère et non renouvelable. Il ne peut servir à pallier l’absence d’un salarié ou se substituer à une embauche. Pour agir contre les abus et les détournements, il importe de prévoir la requalification éventuelle de la convention de stage en contrat de travail, sur décision du juge.

Cette disposition va de pair avec les mesures de la proposition de loi du président de notre groupe, Alain Bocquet, sur la revalorisation du statut des stagiaires.

Dans le contexte actuel, marqué par la préoccupation du chômage des jeunes et le rejet du CPE, notre groupe apporte sa contribution pour faire valoir d’autres choix, afin de répondre aux préoccupations liées à l’emploi. Comme l’a rappelé fort justement le rapporteur, nos propositions ont d’ailleurs été reconnues comme allant sur « la bonne voie » par Jean-Louis Borloo dans sa réponse à une question d’actualité de notre groupe, le 8 mars dernier. Le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement a même promis de poser un regard « attentif » sur cette proposition de loi.

Nous vous invitons donc à le suivre, car on ne comprendrait pas que la majorité refuse de passer à la discussion de ces articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gest, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Alain Gest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous sommes amenés à examiner ce matin est l'expression d'une préoccupation légitime, que nous partageons tous ici, à savoir l'emploi des jeunes. Que le groupe communiste prenne conscience que, depuis 1981, la situation des moins de vingt-cinq ans au regard du chômage n'a fait que se dégrader (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains),…

Mme Muguette Jacquaint. Relisez vos interventions !

M. Alain Gest. …qu'il considère qu'il faut absolument prendre des initiatives pour y remédier, nous ne pouvons que nous en réjouir. C’est d’ailleurs tout l’objet de la politique que le Gouvernement et sa majorité veulent mettre en place. (Plusieurs membres du groupe des député-e-s communistes et républicains quittent l’hémicycle.)

M. Daniel Paul. On ne veut plus entendre ça !

M. François Liberti. Quelle arrogance !

Mme Jacqueline Fraysse. Ça ne commence pas bien !

M. Alain Gest. Si, ça commence très bien, et vous n’allez pas être déçue, madame Fraysse.

Les meilleures intentions du monde ne sont pas suffisantes. Pour prendre de bonnes décisions, encore faut-il faire le bon diagnostic. Or que préconisent nos collègues communistes ? Ils proposent de profiter des importants départs en retraite devant intervenir dans les prochaines années pour mettre en place un système imposant aux entreprises de procéder au recrutement de jeunes afin de remplacer les retraités.

M. Jérôme Rivière. Quelle méconnaissance de l’entreprise !

M. Alain Gest. Cette proposition est assimilable à toutes les mesures qui, depuis 1981 – dans une sorte de consensus national, il faut le reconnaître –, ont fait des seniors la variable d'ajustement des politiques de l'emploi. Nous avons eu massivement recours aux mesures d'âge, en particulier aux préretraites, pour faire face aux soubresauts du marché du travail. Nous avons tous convenu que cette méthode pouvait s'avérer moins douloureuse lorsque des plans sociaux importants intervenaient.

Le résultat est malheureusement doublement préoccupant.

En premier lieu, le passage direct de l’emploi à la retraite est aujourd'hui minoritaire dans notre pays : seulement 45,3 % des hommes et 41,8 % des femmes atteignent la retraite sans transiter par une forme d'inactivité ou par une période de chômage.

En second lieu, la France se singularise par la faiblesse de son taux d'emploi des seniors : 36,8 % seulement des cinquante-cinq à soixante-quatre ans sont au travail alors que la moyenne européenne est de 42 % et qu'au Danemark comme en Suède ce taux est supérieur à 60 %. Autrement dit, comme le rappelait un rapport d'octobre 2005 de l'OCDE, certains mythes ont la vie dure, comme celui conduisant à affirmer que moins d'emplois pour les travailleurs les plus âgés se traduit par plus de travail pour les jeunes. La preuve contraire est faite en France puisque nous cumulons le plus mauvais taux d'emploi chez les jeunes, d'une part, et chez les seniors, d'autre part.

M. Jérôme Rivière. Exactement !

M. Alain Gest. Ce constat devrait naturellement se traduire par un arrêt du recours aux méthodes qui ont fait la démonstration de leur inefficacité, voire de leur perversité. De manière plus large encore, ces mesures d’âge sont une illustration de l’erreur fondamentale qui consiste à croire que la solution au problème du chômage réside dans le partage du travail. Est-il utile de rappeler que cela a commencé en 1981, lorsque l'on a baissé l'âge de la retraite de soixante-cinq à soixante ans, sans résultat évidemment sur le chômage, mais également sans tenir compte de l'augmentation de l'espérance de vie et donc des conséquences inévitables sur le financement des retraites ? Cela s'est poursuivi avec la cinquième semaine de congés payés,…

M. Jean-Louis Idiart. Supprimez-la si ça n’est pas bon, et vous verrez le résultat dans la rue !

M. Alain Gest. …qui correspond évidemment à une autre diminution du temps du travail, et bien sûr plus encore avec les 35 heures. Lorsque j'aurai ajouté le dispositif ARPE, qui consistait à inciter au départ anticipé en retraite contre l'embauche d'un jeune, et qui a malheureusement lui aussi échoué, la démonstration aura été faite qu'il faut désormais résolument tourner le dos aux chimères et s'orienter vers ce qu'ont décidé des pays voisins comme la Finlande, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni. Ces pays sont en effet parvenus à la fois à relever le taux d'emploi des salariés âgés et à baisser le chômage, notamment celui des jeunes.

Nos collègues communistes pourront objecter – ils ont essayé de le faire par la voix du rapporteur – que leur proposition de loi n'a pas pour objectif de forcer les salariés à partir à la retraite.

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Bien évidemment !

M. Alain Gest. Mais ce n’est pas vrai : j’ai bien lu le IV de l’article premier et, en dehors du fait que les procédures se multiplieraient, il va de soi que les mesures de rétorsion susceptibles d’intervenir constitueraient une forme d’obligation pour les entreprises. De surcroît, cette proposition n'incite pas au cumul emploi-retraite, alors qu'il convient de tout faire pour l'encourager.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que les obligations pour les entreprises relèvent du style « économie planifiée », pour laquelle je conçois qu’ils éprouvent quelque nostalgie,…

M. Jérôme Rivière. Oui, ils aiment ça !

M. Alain Gest. …mais qui ne correspond pas du tout à la vie quotidienne des entreprises. Celles-ci doivent pouvoir s'adapter en permanence à leur marché. Les départs en retraite doivent être l'occasion d’une réorganisation librement décidée…

Mme Muguette Jacquaint. S’il y a encore une retraite !

M. Alain Gest. …ou tout simplement du remplacement des salariés partis en retraite. Mais il faut laisser les entreprises apprécier les situations.

M. Jérôme Rivière. Bravo !

M. Alain Gest. La négociation obligatoire, l’éventuelle majoration de l'impôt sur les sociétés en l'absence d'accord, votre obsession de la diabolisation des chefs d'entreprise,…

M. François Liberti. C’est la diabolisation des profits ! Ce n’est pas la même chose !

M. Alain Gest. …et donc de leur sanction : tout cela relève d'une approche économique d'un autre âge. Je n’insisterai même pas sur la collusion que vous manifestez avec Ségolène Royal en voulant interdire l’utilisation des CPE.

M. Jean-Louis Idiart. Elle a raison !

M. Jérôme Rivière. C’est illégal !

M. Alain Gest. Effectivement, c’est illégal, puisque c’est contraire à la loi. (Exclamations sur divers bancs.)

M. le président. Je demande aux membres du groupe UMP de laisser parler l’orateur qui s’exprime en leur nom, et à nos collègues de l’opposition de ne pas réagir dès qu’ils entendent prononcer les mots « Ségolène Royal » en séance.

M. Jean-Louis Idiart. Ce n’est pas du tout ça qui nous fait réagir, monsieur le président ! Mais nous tenons à dire que donner de l’argent public et précariser, ça ne va pas ensemble !

M. le président. Vous pourrez l’expliquer tout à l’heure dans un rappel au règlement, monsieur Idiart. Pour le moment, seul M. Alain Gest a la parole.

M. Alain Gest. Par ailleurs, votre proposition de loi exprime le souci d'un encadrement renforcé des stages. L'UMP a pris en compte ce souci légitime de lutter contre des pratiques abusives : la loi pour l'égalité des chances prévoit une série de dispositions pour mieux reconnaître les stages ; la charte des stages, confiée par le Premier ministre au ministre de l'éducation nationale et au ministre délégué à l'emploi, servira de référence pour toutes les futures conventions de stage. L'article 2 de la proposition de loi est donc déjà satisfait.

Mauvais diagnostic, réponses inadaptées : en vérité, cette proposition de loi aggraverait encore les difficultés qui sont celles de notre pays en matière d'emploi.

Mme Muguette Jacquaint. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !

M. Alain Gest. La seule façon de répondre aux défis qui sont devant nous, c'est de tout mettre en œuvre pour favoriser une augmentation générale de l'emploi. Tel est l'objet de la politique menée par le Gouvernement, avec les mesures destinées à rassurer les chefs d'entreprise qui hésitent encore à embaucher, avec celles qui seront comprises dans le plan national pour l'emploi des seniors négocié avec les partenaires sociaux et qui sera présenté, le 27 mars, lors d'une conférence nationale, et bien sûr avec les dispositions en faveur des jeunes, notamment le CPE (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), destiné justement à favoriser l’insertion des jeunes les plus en difficulté.

M. Guy Geoffroy. Ça marchera !

M. Alain Gest. Au conservatisme, à l'immobilisme et aux solutions du passé, l'UMP oppose le mouvement, le pragmatisme et la modernité. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est pourquoi notre groupe s'opposera à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott, pour le groupe socialiste.

M. Michel Liebgott. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés, vingt minutes ne suffiront sans doute pas pour décrire l’ensemble des dégâts causés par ce gouvernement en plus de quatre ans. On a d’ailleurs le sentiment que ce gouvernement démarre, alors qu’en fait nous sommes quasiment en fin de législature. C’est un des paradoxes que l’on peut constater.

M. Jean-Louis Idiart. Ils croient qu’ils commencent alors qu’ils finissent !

Mme Muguette Jacquaint. C’est l’heure des bilans !

M. Michel Liebgott. Plutôt que de se retourner sur 1981 ou sur le début du siècle précédent, vous feriez bien de regarder ce que vous avez fait depuis 2002, chers collègues de la majorité. Ce serait fort éloquent.

En tout cas, en ouvrant le matin sa télévision ou sa radio, on entend des nouvelles fort contrastées : d’un côté, on voit les entreprises du CAC 40 augmenter leurs bénéfices de 50 %, ceux-ci passant de 57 milliards à 84 milliards – ça semble un détail, mais c’est tout de même cela la force de l’entreprise – ; de l’autre, on constate une précarisation croissante…

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !

M. Michel Liebgott. …d’un certain nombre de salariés, en particulier des jeunes, et c’est ce que le Gouvernement nous propose aujourd’hui de conforter. Si certains peuvent en être heureux – les chefs d’entreprise –, d’autres continuent de galérer. C’est évident. Nous sommes d’accord là-dessus.

M. Guy Geoffroy. Quelle caricature !

M. Michel Liebgott. La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui correspond à la fois à l’actualité et à la réalité observée de longue date. J’ai entendu tout à l’heure M. Gest faire référence à quelques pays, voisins ou plus éloignés, qui auraient des modèles meilleurs que les nôtres, tant sur le plan économique que social, mais je voudrais simplement en revenir à la France puisque nous sommes à l’Assemblée nationale et que point n’est besoin d’aller si loin. Je rappelle qu’il n’y a pas si longtemps – ce n’était ni en 1981 ni au début du siècle dernier –, nous avons, avec un autre gouvernement, créé 2 millions d’emplois en cinq ans, au lieu d’en supprimer. Les chiffres sont incontestables, ils ont été rappelés par des organismes officiels : le nombre de chômeurs de moins de vingt-six ans inscrits à l’ANPE est passé de 588 000 en juin 1997 à 388 000 en juin 2002, ce qui, vous en conviendrez, est une baisse, une diminution de 35 % en cinq ans. Depuis, comme chacun le sait, nous sommes remontés à 415 000, malgré une démographie qui n’a pas été un facteur d’aggravation, soit plus 7 % en quatre ans. Certes, il vous reste un an pour rattraper ce dérapage, mais les mesures du Premier ministre s’inscrivent dans le cadre d’une compétition ultralibérale entre lui et quelques autres en vue de la prochaine élection présidentielle.

Mais revenons aux chiffres. Depuis 2002, 25 000 emplois détruits, 80 000 chômeurs de plus, et les récentes baisses ne font pas illusion car chacun sait qu’on a radié des personnes des listes de l’ANPE suite à des réglementations nouvelles. Par idéologie, vous aviez même voulu supprimer les emplois aidés. Nous l’avons tous regretté et peut-être aussi vous-mêmes, en tant qu’élus locaux. Vous les avez d’ailleurs réinstitués, un peu par bon sens, même si cela ne correspond ni à vos idées ni à votre pratique.

L'apprentissage aurait peut-être pu vous sauver. Mais, là aussi, les chiffres démontrent que les résultats escomptés ne sont pas à l’ordre du jour : sur les dix premiers mois de l'année, seuls 167 562 contrats d'apprentissage ont été signés contre 250 000 prévus, soit un manque de 82 000. Et c'est pire encore pour les contrats de professionnalisation, dont vous parlez souvent, puisque seuls 58 797 contrats ont été signés pour 180 000 budgétés. Ce n’est pas le signe d’une réussite pour l’ultralibéralisme que vous nous proposez. Cela nous incite évidemment à aller dans le sens de la proposition de loi et non dans celui que vous nous faites prendre, c’est-à-dire droit dans le mur.

Le nombre des RMIstes progresse. C’est logique puisque vous essayez de faire en sorte que le nombre de demandeurs d’emploi stagne et qu’il faut bien que ces gens se retrouvent quelque part : ils se retrouvent parmi les RMIstes. En 2004, ceux-ci augmentaient de 10 %. En 2005, c’est encore plus 4,7 %. Pour rappel, ils étaient 916 000 en 2001, ce qui n’est pas en soi une source de fierté ; ils sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux puisqu’ils ont augmenté de 21,2 % en cinq ans.

Pour ce qui est des chômeurs, la situation n’est pas meilleure. Nous sortons de l’examen d’un texte sur le retour à l’emploi des chômeurs, texte qui conduit à ce qu’en cumulant des minima sociaux et un petit emploi, on arrive à survivre dans notre société. Ce n’est pas le modèle de société que nous préconisons. Il est vrai que le taux de chômage des jeunes de quinze à vingt-quatre ans est plus élevé en France que dans d’autres pays européens. Seuls quatre pays font pire que nous : la Grèce, l’Italie, la Pologne et la Slovaquie.

Mais le fond du problème n’est pas seulement l’analyse de l’emploi des jeunes, c’est aussi le manque de croissance, qui, elle, génère de l’emploi pour tout le monde, en particulier pour les jeunes. Vous imaginez bien que lorsque la croissance n’est pas au rendez-vous – 1,6 % en 2005 alors que le Gouvernement avait tablé sur 2,5 % –, tout le monde subit les conséquences d’un tel manque, en particulier les plus précaires, c’est-à-dire les jeunes et les autres personnes en difficulté. En général, ce sont les gens en difficulté qui souffrent les premiers, ensuite d’autres sont touchés. C’est d’ailleurs notre crainte. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, même dans les facultés, dans les universités, là d’où normalement ils sortent avec des diplômes, les jeunes s’inquiètent,…

Mme Muguette Jacquaint. Exactement !

M. Michel Liebgott. …craignant de rejoindre à terme ceux qui n’ont pas de formation et ne trouvent pas de boulot. C’est dire si nous sommes contre le CPE et si nous soutenons cette proposition de loi.

Vous avez décidé de passer à la hussarde. C’est vrai que c’est la marque de fabrique de ce gouvernement.

M. Jean-Louis Idiart. Eh oui ! C’est la nostalgie napoléonienne ! Le Premier ministre a tellement écrit sur Napoléon qu’il veut l’imiter !

M. Michel Liebgott. On passe à la hussarde, disais-je : ordonnances, 49-3 ; on ne débat plus, on ne négocie plus, on n’entend plus les populations, qui, au lieu de se mobiliser et de défiler trois fois par semaine, auraient sans doute préférer pouvoir, à travers leurs représentants, discuter, négocier, progresser et aboutir à des résultats sinon consensuels, du moins fruit d’une discussion. Il y a des compromis possibles dans toute société. Mais même les compromis, semble-t-il, ne sont pas dans votre philosophie.

Les jeunes sont donc, plus que les autres, confrontés au chômage et aux formes les plus extrêmes de la précarité, comme les stages, dont on constate – c’est l’objet de l’article 2 de cette proposition de loi – que, de plus en plus, ils remplacent de vrais emplois. J’emploie le verbe « remplacer » parce que cette proposition prévoit justement que l’on remplace des anciens par des jeunes, mais avec des contrats à durée indéterminée.

M. François Liberti. Tout à fait !

M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !

M. Michel Liebgott. Plus grave encore : la précarité de l’emploi affecte les autres domaines de la vie quotidienne de ces jeunes, qui ne peuvent s’engager dans la vie, ni payer un logement pour lequel on leur demande une caution ou un salaire correct. Les bailleurs sociaux eux-mêmes ne mettent pas leurs logements à disposition dans n’importe quelles conditions.

Aussi estimons-nous que le CDI reste la meilleure formule, car elle permet une insertion des jeunes dans la société et pas seulement, comme vous le suggérez, dans l’entreprise : celle-ci n’est qu’une étape dans le développement personnel d’un jeune appelé à devenir adulte.

M. François Liberti. Tout à fait !

M. Michel Liebgott. Une telle incitation à un engagement durable nous paraît essentielle. C’est pourquoi, en harmonie avec leurs amis communistes, les députés socialistes proposent le « contrat sécurité formation ».

Les jeunes ont certes besoin d’un CDI, tout comme ils ont besoin de formations successives ou d’une amélioration de la formation initiale. Nous proposons donc que cette formation soit financée pour les moins qualifiés et que les cotisations chômage soient calculées en fonction de la durée des contrats. Voilà qui permettrait au CDI de redevenir le contrat d’embauche normal qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.

M. François Liberti. Tout à fait !

M. Michel Liebgott. Je rappelle que les CDI représentent aujourd’hui 87 % des contrats d’embauche : votre objectif est-il de faire passer ce taux à 80, à 50, voire un jour à 0 % ? Notre pays ne créerait pas davantage d’emplois, mais ceux-ci deviendraient ainsi tous précaires !

Pour évoquer les craintes et les espoirs, il n’est pas inutile de rappeler quelques réalités démographiques. Le vieillissement de la population active induira une augmentation de la proportion des seniors dans les entreprises : il faudra bien les remplacer, sans parler, car ce n’est pas l’objet de nos débats, de la pénibilité du travail en fonction de l’âge.

Cette vague de départs massive provoquera un important effet de ciseaux, d’où la nécessité d’une réponse rapide : n’attendons pas d’être au pied du mur et, avant de parler d’« immigration choisie », demandons-nous comment intégrer nos propres enfants et petits-enfants dans la société et dans les entreprises.

Vers 2010, le nombre de personnes de moins de vingt ans passera en dessous de celui des plus de soixante ans. Il n’y a pas lieu de s’en réjouir : la démographie est une force pour un État et cette évolution est la marque d’un pays qui ne progresse plus comme dans le passé.

Dans les dix prochaines années, l'effectif des actifs de moins de vingt-cinq ans va baisser mécaniquement de 10 %, alors que celui des plus de cinquante-cinq ans va augmenter de 35 %.

Enfin, l'âge moyen des actifs est aujourd'hui de 41 ans, contre 38,6 il y a dix ans.

C’est dire que la proposition de loi dont nous débattons est essentielle, dans son principe comme dans son contenu. Nous regretterions à ce titre que vous ne donniez pas une suite favorable à l’examen des articles : le débat est intéressant en lui-même et il n’est pas certain que tous les Français soient réellement informés de la situation.

Les directeurs des ressources humaines en revanche le sont, qui préfèrent programmer des départs non remplacés plutôt que de s’engager dans de coûteuses vagues de licenciements ou dans la réindustrialisation que la législation leur impose lorsque leur entreprise quitte un secteur. Ils préfèrent se dire : « laissons faire la nature ! ». M. Giro l’a d’ailleurs déclaré en commission, en évoquant « une évolution naturelle ».

M. Jean-Louis Idiart. Comme pour les animaux ! Mais même ces derniers s’organisent en société !

M. Michel Liebgott. Pourquoi, dès lors, siégerions-nous ? Pourquoi le politique interviendrait-il dans l’économie et pourquoi débattre ici même des enjeux du déséquilibre démographique que j’évoquais ?

Le Gouvernement et la majorité emboîtent le pas aux entreprises du CAC 40, qui ont déjà tout décidé : ce n’est pas notre cas. Tout ce que ces entreprises font n’est certes pas mauvais, mais n’en mérite pas moins d’être discuté avec les partenaires sociaux. C’est ainsi que l’on trouvera des compromis, des contrats et des orientations nouvelles.

La situation est en effet préoccupante. Un groupe comme Arcelor est dans la logique du laisser-faire que l’on observait au début des années quatre-vingt. Mais si, à l’époque, l’État n’avait pas joué son rôle, notamment avec les départs en préretraite, l’outil performant qu’est la sidérurgie française aurait tout simplement disparu !

Comme le montre aujourd’hui l’OPA hostile de Mittal Steel, les choses ont changé : on laisse faire le marché et les actionnaires. Que va-t-il se passer ? Les emplois vont disparaître brutalement sans que personne – si ce n’est le DRH – n’en sache rien !

Il en va de même pour EDF, qui n’envisage de remplacer que 25 % des postes dans les deux ans qui viennent. Qui, dans nos collectivités locales, n’a jamais rencontré de problème avec des sous-traitants incapables d’intervenir sur les câbles, qui fonctionnent de plus en plus mal ?

M. François Liberti. Tout à fait !

M. Michel Liebgott. Entre le sous-traitant qui emploie deux personnes et France Télécom qui en employait dix, le service rendu au citoyen n’est assurément plus le même.

Chez Michelin enfin, ce sont 6 000 personnes – excusez du peu – qui vont prochainement partir en retraite ou en préretraite.

Ces exemples sont évidemment significatifs pour des entreprises dont les bénéfices se chiffrent en milliards d’euros : 12 milliards pour Total, 6,3 pour Sanofi-Aventis, 5,8 pour BNP-Paribas, 4,4 pour la Société générale, 3,6 pour Arcelor, 3,1 pour Vivendi.

On pourrait se réjouir de ces profits, s’ils n’étaient pas uniquement réalisés à l’international, hors du sol français…

M. Alain Gest. Eh oui ! Et pourquoi le sont-ils ?

M. Michel Liebgott. …et au profit des seuls actionnaires qui, dans les faits, dirigent les entreprises.

C’est d’ailleurs ce que révèle l’OPA du groupe Mittal Steel sur Arcelor. Nul n’est aujourd’hui en mesure de prévoir l’issue de ce combat de titans, mais une chose est sûre : ce sont les salariés qui vont payer pour les actionnaires !

M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !

M. Michel Liebgott. Tel est le système auquel vous souscrivez.

Il n’est bien entendu pas question de tout renationaliser : le politique ne peut pas tout faire. Mais doit-il ne rien faire, ou se contenter d’accompagner ces suppressions d’emplois et ces stratégies qui ne servent que les investisseurs, au détriment des salariés ?

Le Gouvernement ne donne d’ailleurs pas l’exemple en la matière : en supprimant des postes de fonctionnaires dans des secteurs jugés prioritaires par les Français, comme l’éducation ou la santé, il a pour la première fois contribué à l’augmentation du chômage. Si l’on veut en outre former des gens qualifiés pour les entreprises, il faut bien donner à l’éducation nationale les moyens en personnel dont elle a besoin.

Quant à la proposition de loi, mon groupe en approuve l’essentiel. Elle permet d’anticiper, de consulter et de négocier. Si la population s’empare d’un débat dont vous ne voulez plus dans cet hémicycle, c’est que la démocratie doit bien s’exprimer ailleurs. Notre devoir serait pourtant, me semble-t-il, de rendre son rôle au Parlement, comme le propose le groupe communiste avec ce texte. Qui, en dehors de cet hémicycle, se préoccupera de la formation et de la sécurisation des parcours professionnels ?

M. François Liberti. Certainement pas le MEDEF !

M. Michel Liebgott. Peut-être les chefs d’entreprise, mais ceux-ci le feront en fonction de leurs intérêts légitimes. Essayons donc de trouver un équilibre et de donner la parole à chacun.

Faites confiance aux jeunes et à nos concitoyens. N’aggravez pas une discrimination qui existe déjà dans certains quartiers, je puis en témoigner dans ma commune. N’isolez pas les jeunes par le CPE, alors que le reste de la population est soumis au régime des contrats classiques, à moins que vous n’ayez l’intention, comme on peut le craindre, de supprimer définitivement les CDI !

Mme Claude Greff. Mais oui : on va tout supprimer, même le travail !

M. Michel Liebgott. Que léguerons-nous à nos enfants ? Sans doute pas la sécurité de l’emploi ou du logement, mais à coup sûr un endettement record car, tout en réduisant les dépenses pour les plus défavorisés, vous baissez l’impôt sur le revenu et l’impôt sur la fortune.

M. François Rochebloine. Il faut surtout redonner le goût du travail aux jeunes : là est le vrai défi !

M. Michel Liebgott. En conclusion (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),…

Mme Claude Greff. Voilà qui est parfait !

M. Michel Liebgott. Peut-être nous accorderez-vous vos suffrages au moment du vote, madame Greff !

En tout cas, nous attendons et appelons de nos vœux une intervention de l’État. Même si les négociations avec les partenaires sociaux sont difficiles, nous y sommes favorables et nous voterons en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le CNE en septembre dernier, le CPE aujourd’hui et l'annonce d'un prochain protocole d'accord sur le CDD senior, nous avons à débattre ce matin de la question de l'emploi des jeunes et de la gestion prévisionnelle des départs à la retraite.

Il ne fait aucun doute que le remplacement de la génération issue du baby-boom sur le marché de l'emploi constitue un véritable défi pour notre pays. L'évolution démographique nous conduira prochainement à constater un nombre plus important de départs à la retraite que d'arrivées sur le marché de l'emploi : c’est là une évidence.

Dans ce contexte, on nous propose de mettre en place un mécanisme de gestion prévisionnelle pour remplacer les départs à la retraite par des embauches, avec obligation pour l'employeur d’anticiper son application par un accord majoritaire.

Si cet objectif est louable, il est satisfait dans les faits. L’entreprise doit en effet mener une politique de gestion et d'anticipation des départs, notamment des départs en retraite, qui, par nature, sont prévisibles : il y va de sa survie. Cette mesure nous semble aussi quelque peu réductrice, puisque une entreprise soucieuse d’assurer sa bonne marche et l’épanouissement de ses salariés est obligée de tenir compte des évolutions du marché du travail et des demandes de services.

De ce fait, la sanctionner par une majoration de l'impôt sur les sociétés en cas de non-respect de l'accord préconisé serait non seulement contraire à la liberté d'embauche, mais surtout peu propice à la relance de l'emploi des jeunes.

L'UDF ne peut être que défavorable à l’approche catégorielle qu'impose cette proposition de loi, qui vise notamment les emplois marchands. Cette approche n'est pas la mieux adaptée pour répondre au défi de l'emploi et de la précarité. À l’instar du Gouvernement qui, avec le CPE, lie la précarité à l'âge, vous adoptez une méthode susceptible de créer une fracture intergénérationnelle au sein de notre société.

Quant aux remèdes préconisés pour sécuriser l'emploi des jeunes, ils n'apportent aucune nouveauté. L'UDF, à l'occasion de l'examen du texte sur l'égalité des chances, avait déjà fait des propositions. Pour faciliter l'entrée des jeunes dans la vie active, nous considérons indispensable d'axer prioritairement nos actions sur la formation, élément essentiel, et, en parallèle, de mener une réflexion profonde sur le contrat de travail.

L'UDF réfléchit, entre autres, à un CDI à droits progressifs dans le temps, avec une période d'essai limitée à six mois,…

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Tiens donc !

M. François Rochebloine. …et, en cas de rupture du contrat, une obligation de motivation, avec un droit à indemnité renforcé au fil du temps.

S'agissant du deuxième volet de cette proposition de loi sur le statut des stagiaires, le groupe UDF est très favorable à une évolution de celui-ci, comme l'illustre le dépôt sur le texte « égalité des chances » de nombreux amendements tendant à demander une convention de stage ou encore une rémunération des stagiaires. Le groupe UDF du Sénat a fait adopter un amendement qui renforce la protection des stagiaires en limitant la durée initiale ou cumulée des stages à six mois maximum, à l'exception de ceux qui sont intégrés à un cursus pédagogique. L'objectif principal est d'éviter que les stages ne soient utilisés comme une modalité de pré-embauche, voire comme un contrat de travail dissimulé, détournant ainsi le stage de sa vocation d'apprentissage.

Le sentiment d'exclusion que connaît une grande partie de nos concitoyens ne doit plus nous laisser indifférents. Le projet de loi sur l'égalité des chances n'a pas permis d'affirmer avec force la volonté de la nation tout entière, après les violences qu'elle a connues, d'assurer à chacun un emploi, notamment pour les plus jeunes. L'avenir passe par l'adoption de mesures réalistes et en contact avec la vie quotidienne.

Je terminerai en revenant brièvement sur l'article 1er de la proposition de loi.

Soyons en effet convaincus que la liberté d'entreprendre, l'initiative et la responsabilité sont les ressorts indispensables à la création de richesses dans une économie ouverte au monde. C'est l'entreprise, et elle seule, qui génère cette richesse, et ce sont ses salariés qui, grâce à leur talent et leur savoir-faire, contribuent à l'alimenter. Il ne peut y avoir d'organisation du travail et de politique sociale qui ne soient d'abord fondées sur le dynamisme de la croissance, premier facteur de la création d'emplois.

Dans le même temps, les performances et la compétitivité de l'entreprise ne peuvent être obtenues aux dépens du salarié. De fait, il nous faut trouver un équilibre afin de permettre à l'entreprise de s'adapter et d'innover pour se mesurer avec les meilleures chances à ses concurrents, tout en garantissant aux salariés la sécurité de leur parcours professionnel.

Définir les modalités de cette sécurité, c'est tout l'enjeu d'une politique durable de l'emploi qui permette de garantir à toute personne entrant sur le marché de l'emploi les conditions d'un véritable droit à une continuité professionnelle.

Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, le groupe UDF s’opposera à la proposition de loi examinée ce matin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, avant de répondre au rapporteur et à chacun des orateurs inscrits dans la discussion générale, il me paraît nécessaire, surtout après l’intervention de M. Liebgott, de rappeler quelques données dans leur exacte réalité.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. J’ai entendu en effet des chiffres à tout le moins erratiques.

Je rappelle que l’année 2005 fut une année record pour ce qui est de la conclusion de contrats d’apprentissage, puisque leur nombre s’est élevé à 255 000, soit une augmentation de 6 % entre 2004 et 2005.

M. Alain Gest. Il fallait le rappeler !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Nous nous sommes d’ailleurs, dans la loi pour l’égalité des chances, fixé pour objectif que les grandes entreprises, celles qui comptent plus de 250 salariés, qui aujourd’hui ne contribuent que pour moins de 0,5 % de leur effectif en moyenne à la formation en alternance ou en contrat de professionnalisation, y contribuent en 2009 pour 3 %. La différence représente 150 000 postes.

En effet, la formation en alternance est une des clés majeures de l’accès à un emploi stable. Elle permet de progresser tout au long de la vie et aussi d’avoir toujours un emploi qui s’adapte aux réalités du marché du travail.

Par ailleurs, l’UNEDIC, dont je rappelle qu’elle réunit les salariés cotisants au régime d’indemnisation du chômage, comptait, au 31 décembre 2005, 16 019 700 affiliés, et donc autant de cotisants, soit 200 000 de plus qu’en 2002. C’est un nombre record. Je tenais à rappeler ces chiffres, qui sont incontestables.

Quant au contrat de professionnalisation, nouvel outil conçu par les partenaires sociaux à partir de l’accord de décembre 2003 et mis en œuvre dans le cadre de la loi du 4 mai 2004, les entreprises se l’approprient progressivement puisqu’elles en ont conclu 30 % de plus entre janvier 2005 et janvier 2006.

S’il m’est apparu nécessaire de citer ces chiffres, c’est qu’ils montrent la réalité telle qu’elle est.

J’en viens maintenant au rapport de M. Dutoit et aux observations des différents intervenants.

Le rapporteur est parti d’un triple constat.

D’abord, l’existence d’un chômage de masse qui frappe plus particulièrement les jeunes. À la fin de janvier 2006, le taux de chômage pour ces derniers était de 22,8 %, contre 9,6 % pour l’ensemble des actifs. Ces chiffres sont maintenant connus de tout le monde, car nous en avons longuement débattu, notamment à l’occasion de l’article 3 bis devenu l’article 8 de la loi sur l’égalité des chances. Dois-je rappeler que 44 heures y furent consacrées ici, et 95 heures au Sénat, et que j’ai largement participé à ce débat ?

Cela fait plus de vingt ans que le taux de chômage des jeunes est toujours deux fois supérieur à celui de la moyenne nationale. Cela fait plus de vingt ans que les jeunes sont en quelque sorte à l’écart de l’emploi et de la consolidation dans l’emploi.

En second lieu, le rapport fait le constat de la grande difficulté d’accès à l’emploi pour les jeunes, avec une forte prédominance de contrats à durée déterminée et d’intérim dans les embauches.

Vous rappelez, monsieur le rapporteur, la difficulté de trouver un emploi lorsqu’on est au chômage, qui plus est quand on fait partie des 150 000 jeunes sortant sans diplôme du système éducatif, et a fortiori des 60 000 qui sont sans aucune qualification, avec une formation inadéquate ou insuffisante. Vous rappelez également, et à juste titre, que la proportion des jeunes en contrats à durée indéterminée est nettement plus faibles que pour les salariés plus âgés : 55 % contre un peu plus de 88 % pour l’ensemble des actifs.

Dois-je rappeler à M. Liberti que 70 % des embauches se font en CDD et en intérim, 50 % en CDD de moins d’un mois, et que les missions d’intérim sont en moyenne de quinze jours ?

Votre troisième constat, monsieur le rapporteur, c’est que la discontinuité des trajectoires d’insertion professionnelle place les jeunes dans une situation de précarité, avec ses conséquences sociales, sur le logement, sur l’accès au crédit au quotidien, pour acquérir un moyen de transport ou simplement entamer une vie de famille. Le risque est grand, effectivement, pour un jeune de voir son parcours d’insertion professionnelle entrecoupé de périodes de chômage plus ou moins longues. Sait-on que plus de 55 % des moins de vingt-six ans inscrits à l’ANPE n’accèdent jamais au régime d’assurance chômage ?

Cette grande vulnérabilité des jeunes face au risque de chômage découle de la prédominance des contrats courts dans la structure de leur emploi. Notons cependant que le CDI ne leur apporte pas cette garantie absolue dont vous le créditez puisque plus de 70 % des CDI – c’est un chiffre trop peu connu – sont rompus au cours de la première année…

M. Alain Gest. C’est vrai !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …et que les jeunes ne bénéficient pas alors des indemnités que nous avons prévues dans le cadre du contrat première embauche.

M. Alain Gest. Eh oui !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Je voulais le rappeler à cet instant, car une présentation par trop simpliste, voire caricaturale, du CPE a pu faire oublier cette réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Des comparaisons sur le plan international montrent que si d’autres pays connaissent une situation similaire, elle est particulièrement prégnante dans le nôtre. Ces comparaisons ne font que renforcer le caractère inacceptable de la situation faite aux jeunes dans notre pays, car des progrès ont été réalisés dans certains pays grâce à des changements importants et à des mesures courageuses qui ont parfois dû braver, au départ, une partie de l’opinion publique.

La France est effectivement l’un des pays d’Europe où le taux de chômage des jeunes est le plus élevé, à la fois dans l’absolu et par comparaison au taux de chômage global. Nous offrons là une particularité par rapport à l’Allemagne, par exemple, où les jeunes ne se trouvent pas dans une situation plus défavorables que leurs aînés. Notre pays est, après l’Espagne, le pays d’Europe où la vulnérabilité des jeunes dans l’emploi, c’est-à-dire le risque de se retrouver au chômage lorsqu’on a un emploi, est la plus élevée.

Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les députés, au risque de vous surprendre, je partage le constat du rapporteur. J’ai le souvenir de l’avoir longuement exposé dans cette assemblée il y a quelques semaines à l’occasion du projet de loi relatif à l’égalité des chances. Et quand nous parlons de sécurisation des parcours professionnels, devons-nous continuer à chercher à protéger des emplois ? Ne devrions-nous pas plutôt réfléchir à la façon de protéger les parcours professionnels pour tous,…

M. Alain Gest. Tout à fait !

M. François Rochebloine. La formation !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …c’est-à-dire à faire en sorte que les jeunes et les seniors cessent d’être la variable d’ajustement de nos politiques de l’emploi ?

M. Michel Piron. C’est la question de fond !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Avant d’examiner plus en détail le contenu de la proposition de loi, je voudrais vous livrer deux remarques complémentaires.

D’abord, certains orateurs, M. Gest tout particulièrement, ont souligné que notre pays présentait la spécificité d’avoir un faible taux d’activité aux deux extrémités de la vie active : chez les jeunes et chez les seniors. Le taux d’activité des seize - vingt-cinq ans dépasse à peine 30 %, vingt points de moins que la moyenne européenne ! Voilà qui devrait nous pousser à nous interroger tous, au-delà de tous les clivages. Pourquoi « se réfugier » en quelque sorte dans les inscriptions à l’université, pour ne pas gérer collectivement le problème du faible taux d’activité des jeunes ? Au Royaume Uni, celui-ci dépasse 56 %.

Dans le même temps, le taux d’activité des plus de cinquante-cinq ans est, chez nous, de 37,3 % – encore a-t-il progressé légèrement ces deux dernières années – quand il dépasse 60 % dans certains pays.

Voilà pourquoi nous présenterons, dans les prochaines semaines, un plan d’action seniors, qui ne vise pas à opposer les générations les unes aux autres ni à laisser croire que, parce les anciens partiraient, les jeunes les remplaceraient. Il faut en finir avec ce mythe de la relève ! En réalité, les pays qui ont les plus forts taux d’activité des seniors ont aussi les taux d’activité des jeunes les plus élevés. Il ne faut pas faire une lecture trop rapide de la situation démographique ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Muguette Jacquaint et M. François Liberti. Supprimez la retraite !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Par conséquent, c’est à ce double problème qu’il faut nous attaquer. Le défi est d’augmenter le nombre de personnes en emploi, jeunes et moins jeunes, afin d’assurer le dynamisme de notre économie et, en même temps, la survie de notre modèle social. Il ne s’agit pas de remplacer un emploi par un autre dans une logique strictement comptable, mais de faire en sorte que notre pays cesse de vivre sur le fruit du travail d’une seule génération. Car la réalité, aujourd’hui, est que c’est pour les vingt-six à cinquante ans que le taux d’activité est le plus fort. Il est d’ailleurs supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE.

Seconde remarque, monsieur Dutoit, cela fait plus de vingt ans que jeunes et seniors, je le disais il y a un instant, constituent la variable d’ajustement de l’emploi dans notre pays. Pour les seniors, la mise en place de certaines garanties, comme les préretraites, a rendu la situation sans doute moins douloureuse. Mais les jeunes ont été les premiers à supporter les conséquences du chômage de masse, et nous portons tous une part de responsabilité dans cette situation.

Vous évoquez la perspective du retournement démographique. Les travaux du commissariat général du Plan ont montré l'importance du changement qui va se produire dans les années à venir, en soulignant l'ardente nécessité de s'y préparer. D'ici à dix ans, le nombre de postes à pourvoir va augmenter très fortement, et 80 % de ces besoins correspondront à des départs pour fin de carrière. Ces flux de sorties vont passer de 410 000 personnes dans les années quatre-vingt-dix à 630 000 à l'horizon 2015. Cette augmentation de 50 % du nombre annuel de départs à la retraite va bouleverser l'équilibre démographique de la population active dans son ensemble et la structure de la main-d'œuvre dans les entreprises.

Il faut naturellement nous y préparer. C'est pourquoi les questions de formation – je vous renvoie à la loi de cohésion sociale et à la loi sur l’égalité des chances –…

M. François Liberti. Égalité pour qui ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …sont au cœur de nos préoccupations. L’orientation doit être précoce et se faire dès le collège, avant l’âge de seize ans et avant que l’échec ne soit consommé, mais aussi à l’entrée à l’université et tout au long de la vie. De même, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences me semble de la première importance.

Je voudrais néanmoins vous mettre en garde contre un raisonnement trop malthusien ou, du moins, une vision trop mécanique des choses. Il ne faut pas attendre du retournement démographique la solution automatique au chômage des jeunes.

M. François Liberti. C’est pourquoi il faut organiser cette évolution !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Les travaux du commissariat général au Plan mettent en lumière la question essentielle de l'adéquation entre les postes et les personnes en recherche d'emploi.

M. François Liberti. Voilà pourquoi il nous faut établir un plan prévisionnel d’embauche !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Ce risque d'inadéquation fait que « l'augmentation des postes à pourvoir ne se traduira pas nécessairement par une baisse du nombre de demandeurs d'emploi ».

L'expérience en la matière est d'ailleurs riche d'enseignements. Depuis trente ans, on a cherché, selon une croyance confortable, à favoriser l'insertion des jeunes dans l'emploi en précipitant les fins de carrière par la mise en place de préretraites de plus en plus nombreuses et précoces. Force est de constater, comme vous l’avez dit, monsieur Gest et monsieur Rochebloine, que cette logique a échoué.

M. François Rochebloine. Absolument !

Mme Muguette Jacquaint. Vous n’avez pas l’air de réussir non plus !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Comme je l'ai dit à l'instant, nous sommes l'un des pays d'Europe où le taux de chômage des jeunes est le plus fort et le taux d'emploi des seniors le plus faible. Nous devons nous le rappeler en permanence.

Venons-en maintenant au contenu de cette proposition de loi.

M. Jean-Louis Idiart. Il est temps !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. J’évoquerai d’abord l'obligation de négocier sur la gestion prévisionnelle des départs à la retraite et les conditions de remplacement par des embauches, ainsi que sur l'instauration d'une sanction en cas d'absence d'accord.

Vous souhaitez instaurer une obligation de négocier sur le remplacement des postes libérés par le renouvellement des générations dans chaque entreprise de plus de dix salariés et vous imposez à l'entreprise d'établir un plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches.

À défaut d'accord majoritaire sur le plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite, l'entreprise sera sanctionnée, notamment par l'instauration d'une contribution sur l'impôt sur les sociétés.

Permettez-moi de vous dire que je ne partage pas votre approche de la négociation collective.

M. François Liberti. Ce n’est pas étonnant !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Vous imposez une obligation de conclure un accord.

M. François Liberti. Il serait temps !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Mais je vous rappelle que, si l'on peut encourager les partenaires sociaux à s’asseoir autour d'une table pour négocier, on ne peut pas les contraindre à se mettre d'accord.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. À quoi peut servir la négociation collective si le résultat est imposé par la loi ? Je vous le répète, la contrainte n'est pas ma vision d'un dialogue social constructif. Les enjeux de la négociation collective et l’intérêt d'aboutir doivent être partagés.

Sur le fond, je suis un fervent défenseur du développement de la négociation collective…

Mme Muguette Jacquaint. Tartuffe !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …et je suis convaincu qu'il est essentiel pour les entreprises d’avoir une politique de gestion prévisionnelle de leurs effectifs.

Je vous rappelle que j'ai créé, à l'occasion de la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005, une obligation triennale, pour les entreprises de plus de 300 salariés, de négocier sur les modalités d'information et de consultation du CE sur la stratégie de l'entreprise et ses effets prévisibles sur l'emploi, ainsi que sur la mise en place d'un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Les partenaires sociaux s’en sont d’ailleurs emparés et des négociations se déroulent dans des branches professionnelles pour les entreprises de moins de 300 salariés ; je pense notamment au secteur de la métallurgie dans lequel nous devons préparer l’avenir par une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

En outre, j'ai pérennisé les accords de méthode qui permettent d'adapter les procédures d'information-consultation et, le cas échéant, d'anticiper le contenu des plans de sauvegarde de l'emploi.

Ce n'est pas à coup de sanctions que nous enrichirons le dialogue social, mais bien par un encouragement à anticiper les changements.

M. Alain Gest et M. François Rochebloine. C’est exact !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Vous prévoyez en outre de modifier les règles de signature de l'accord collectif prévu par la loi du 4 mai 2004 en imposant la conclusion du plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite par les organisations majoritaires. Une telle disposition se heurterait à celles des accords de branche prévoyant un dispositif reposant sur l'absence d'une majorité.

La loi du 4 mai 2004, relative au développement du dialogue social, qui s'inspirait de la position commune des partenaires sociaux, a considérablement réformé les règles de conclusion des accords collectifs et privilégié la logique majoritaire. Elle a permis d'organiser de nouveaux rapports entre les différents niveaux d'accords interprofessionnels, de branches et d'entreprises, et a conduit à développer le champ de la négociation collective.

À ce stade, il me semble prématuré de modifier l'équilibre mis en place, d'autant que le Premier ministre a confié une mission à Raphaël Hadas-Lebel, président de la section sociale du Conseil d’État, pour réfléchir à la question de la représentativité des organisations syndicales et professionnelles et aux évolutions de nature à favoriser de ce fait la négociation collective et la légitimité des accords. Je serai évidemment très attentif aux conclusions de ce rapport.

Sur la consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, votre proposition de loi envisage d'insérer un nouvel article dans le code du travail pour énumérer toutes les informations à fournir aux institutions représentatives du personnel afin qu’elles puissent apprécier l'ampleur des départs à la retraite et être en mesure de suivre les remplacements qui pourraient être effectués. Or les dispositions en matière d'information et de consultation sont d'ores et déjà très précises et couvrent l'ensemble des données nécessaires à ce suivi des mouvements de personnel. Un manque de respect de ces obligations de la part de l'employeur justifie déjà l'intervention de l'inspection du travail et éventuellement l'application de sanctions à son encontre au titre de l’article L.483-1.

Sans dresser une liste exhaustive des informations à fournir aux représentants du personnel, je voudrais vous rappeler à titre d'illustration qu'ils sont déjà obligatoirement destinataires, à travers le bilan social annuel obligatoirement établi par l'employeur – aux termes de l’article L. 438-1 –, de nombreuses informations en matière d'évolution de l'emploi, qu'ils sont informés et consultés sur l'évolution de l'emploi et des qualifications dans l'entreprise au cours de l'année passée, sur les prévisions annuelles ou pluriannuelles et les actions que l'employeur envisage de mettre en œuvre, compte tenu de ces prévisions, et particulièrement au bénéfice des salariés âgés.

Il apparaît clairement que les représentants du personnel disposent dès à présent de l'ensemble des informations pour apprécier et vérifier l'effectif des salariés qui vont partir à la retraite, les dates de départ, les postes libérés et les éventuelles nécessités de remplacement.

En ce qui concerne les stages, je vous rappelle qu’ils constituent un outil fondamental d'orientation, de formation et d'insertion professionnelle, car ils permettent l'acquisition d'une première expérience du monde de l'entreprise et préparent les jeunes au passage vers le monde du travail. Il était toutefois important de lutter contre certaines pratiques abusives et de réaffirmer la dimension pédagogique des stages.

La loi sur l'égalité des chances, adoptée la semaine dernière, prévoit, pour la première fois, un encadrement…

M. Alain Gest. Absolument !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …avec une obligation d'indemnisation, une obligation de la convention de stage, une limitation de la durée des stages à six mois, hormis ceux intégrés à un cursus pédagogique, et la mise en place d'une franchise pour les premiers 360 euros par mois à partir de la fin du troisième mois.

Ces avancées confortent les actions déjà mises en œuvre par le Gouvernement : tout d’abord, la conception et la mise en place d'une charte nationale des «bonnes pratiques du stage », avec les représentants des employeurs, les représentants des établissements d'enseignement supérieur, les syndicats étudiants et le collectif Génération précaire ; un projet de charte sera présenté au Gouvernement dans les semaines qui viennent. Nous développons également les stages dans les universités. Le Premier ministre a demandé à Gilles de Robien et au ministère du travail…

M. Jean-Louis Idiart. Nous sommes sauvés !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. … la mise en place d’un bureau des stages dans chaque université et la reconnaissance des stages comme élément à part entière du cursus universitaire. Enfin, le Gouvernement souhaite intégrer la reconnaissance des stages dans l'ancienneté professionnelle. Le Premier ministre a demandé aux branches d'engager rapidement des négociations en ce sens.

Monsieur le rapporteur, votre proposition pose le principe de la requalification des stages abusifs en contrats de travail. Mais la jurisprudence est claire.

M. Alain Gest. Bien sûr !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Lorsque le stage se déroule dans l'entreprise dans des conditions susceptibles d'entraîner sa requalification en contrat de travail par le juge, il entre dans le champ du travail dissimulé, délit pour lequel l'article L. 362-3 du code du travail prévoit une peine d'emprisonnement de trois ans et une amende de 45 000 euros.

Enfin, la lutte contre l'utilisation abusive des « faux stagiaires » fait partie des six objectifs du plan national d'action de lutte contre le travail illégal, adopté le 26 janvier dernier.

Comme vous le voyez, monsieur le rapporteur, vos préoccupations sont largement prises en compte.

M. Jean-Louis Idiart. Tout va bien !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Paradoxalement, la logique qui sous-tend votre proposition de loi pourrait constituer une forte « désincitation » à l’emploi. En imposant le remplacement automatique des départs à la retraite, elle mettrait en place un mécanisme de cliquet qui interdirait l’adaptation des entreprises, nécessaire face aux mutations incessantes de la réalité économique. Car n’oublions jamais que c’est l’entreprise qui crée la richesse et la richesse qui crée l’emploi !

M. François Rochebloine. Absolument !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Vous avez évoqué les entreprises du Cac 40.Mais, sur les 16 019 700 salariés affiliés à l’UNEDIC, plus de 12 millions sont dans des entreprises qui ne sont pas cotées et dont la marge de manœuvre est inférieure à deux points. Or la création d’emplois se fait dans ces entreprises et cette réalité est la seule susceptible de créer des emplois. En opposant l’entreprise aux salariés, nous désincitons à la création d’emplois, et surtout, nous incitons à choisir d’autres destinations que la France. Notre choix, c’est le développement de l’activité économique, et donc de l’emploi en France, et la préservation de notre modèle social ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Je constate que la situation sociale actuelle entretient la forme de notre ministre !

Je pensais que cette proposition de loi recueillerait quelque écoute sur tous ces bancs, voire ouvrirait des pistes de réflexion.

M. Alain Gest. Nous vous avons écouté !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Même si vous avez employé un ton alerte, monsieur le ministre, le sujet de ma proposition de loi fait écho à ce qui se passe en ce moment dans notre pays. L’emploi, et notamment l’emploi des jeunes, est l’objet de nos préoccupations. Tous les intervenants, y compris M. le ministre, ont fait le même constat.

Selon M. Gest, nous faisons un bon diagnostic : bien sûr, puisqu’il reflète la réalité !

Mme Jacqueline Fraysse. Cela crève les yeux !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Comme l’a rappelé M. Rochebloine, les chiffres sont explicites : entre 2002 et 2015, il y aura 500 000 départs à la retraite par an et 100 000 créations d’emplois nouveaux.

C’est une occasion extraordinaire pour votre gouvernement, et la saisir lui permettrait sans doute d’éviter bien des désagréments.

Vous dites, monsieur Gest, que les seniors ne doivent plus être une variable d’ajustement. Je suis d’accord ! Vous avez également insisté, en lien avec le ministre délégué,…

M. Alain Gest. Non, indépendamment !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. …sur la nécessité de réfléchir au taux d’emploi des seniors.

Mme Claude Greff. C’est vrai.

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Ce n’est pas la première fois que j’entends une telle réflexion dans cet hémicycle. Je n’ai pas la prétention de lire dans le marc de café, mais ne seriez-vous pas en train de préparer un CNE ou un CPE senior ?

M. Jérôme Rivière. Vous les préférez dans la précarité ?

Mme Claude Greff. Nous, nous nous occupons des seniors !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Bien sûr, le mouvement qui associe jeunesse et salariés de ce pays vous empêche de le déclarer officiellement. Craignez en effet que les seniors ne se mobilisent également contre votre politique, à laquelle ils s’intéressent déjà de près, ne serait-ce que parce qu’ils ont des enfants et des petits-enfants.

Mme Muguette Jacquaint. Ils sont très inquiets !

Mme Jacqueline Fraysse. Le CPE fait l’unanimité de toutes les classes d’âge contre lui !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Ils ne manifestent peut-être pas encore, mais ils seront certainement dans la rue samedi, aux côtés des jeunes.

Par ailleurs, personne ici n’a parlé de partager le travail.

M. Alain Gest. Si !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Vous pouvez estimer que le partage du travail relève d’une mauvaise conception des choses, mais personne ne l’a proposé ici, et surtout pas moi !

Vous assimilez la proposition de loi à une obligation d’embauche, assortie de sanctions. Mais ce n’est pas le cas. Il n’y aurait sanction qu’en l’absence de négociation.

M. Alain Gest. Non : à défaut d’accord !

M. François Liberti. Il s’agit d’une obligation de négocier, rien de plus !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Soyons clairs : dans le cas où la négociation entre partenaires sociaux ne donnerait lieu à aucune embauche, il n’y aurait aucune sanction.

Tout l’objet de ce texte est de dépasser les CPE et CNE, qui ne sont que de la précarité institutionnalisée, pour faire du CDI une réalité tangible.

Comme nous tous, monsieur Rochebloine, vous êtes tombé d’accord sur l’analyse de la situation. Mais vous avez également affirmé que notre proposition de loi entérinait une fracture intergénérationnelle, ce qui n’est pas le cas, bien au contraire.

Vous insistez par ailleurs – et nous pouvons tous, y compris le ministre, vous rejoindre sur ce point – sur l’importance de la formation.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Il va de soi, et le Président de la République s’est d’ailleurs exprimé à ce propos, que nous devons travailler à établir un lien direct entre la formation et l’emploi. Aujourd’hui, même les députés communistes ont renoncé à l’idée d’un emploi à vie. Tout le monde sait qu’une certaine flexibilité est nécessaire. C’est bien pour cela qu’il faut assurer une certaine sécurité dans l’emploi et dans la formation. Ce champ de réflexion est devant nous et il faut y travailler.

En revanche, j’ai été surpris, monsieur Rochebloine, de vous entendre proposer la création d’un CDI assorti d’une période d’essai de six mois, c’est-à-dire, en quelque sorte, d’un CPE dont la période de consolidation serait raccourcie. Vous m’avez profondément déçu sur ce point.

M. François Rochebloine. Je n’ai pas dit que cela ! Vous réduisez mon propos !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Vous avez par ailleurs recours à des lieux communs pour caricaturer notre position. Nous ne remettons pas en question la liberté d’entreprendre, bien au contraire.

M. François Rochebloine. Vous êtes réducteur ! Vous ne retenez de mon discours que ce qui vous arrange !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Notre proposition de loi ne vise qu’à sécuriser le parcours professionnel, un objectif sur lequel nous pouvons tous nous mettre d’accord.

Je vous remercie très chaleureusement, monsieur Liebgott, pour le travail – bref, mais très positif – qui a été accompli en commission. Nous avons la même conception du contrat sécurité formation. Un aspect de votre intervention m’a paru particulièrement intéressant : si notre but, je le répète, n’est pas de porter atteinte à la liberté d’entreprendre, la réalité nous prouve que les partenaires sociaux – en particulier les entreprises – ont besoin que la puissance publique joue son rôle et les aide à assurer la cohésion sociale et le développement économique. Sinon, à quoi bon avoir une Assemblée nationale et un gouvernement ? Il suffirait de laisser faire la prétendue liberté d’entreprendre, mais sans garantie qu’elle poursuive l’intérêt général.

Je vous félicite, monsieur Liberti, pour la pertinence de votre intervention.

M. François Rochebloine. C’est très surprenant !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Vous avez parfaitement compris l’enjeu de cette proposition de loi, en soulignant la formidable opportunité offerte par ces 600 000 emplois potentiels. D’autres solutions existent que celles qui nous sont imposées par la procédure du 49-3, sans discussion réelle à l’Assemblée nationale, comme pour le CPE.

M. François Rochebloine. C’est vrai !

M. Guy Geoffroy. Le CPE a été voté, je vous le rappelle !

M. François Liberti. Mais le projet de loi a été adopté grâce au 49-3 !

M. Jean-Louis Idiart. Vous supprimez des articles, vous légiférez par amendement ! Arrêtez de tricher !

M. le président. Mes chers collègues, ne vous prenez pas mutuellement à partie. Seul le rapporteur a la parole !

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Je n’ai fait qu’énoncer une simple vérité.

Je vous sais gré, monsieur le ministre délégué, du constat, semblable au mien, que vous avez dressé s’agissant de l’emploi des seniors et des possibilités offertes par les futurs départs en retraite. Mais je suppute que votre plan d’action pour les seniors se traduira par une nouvelle forme de précarité pour les intéressés. Les seniors qui se trouvent aujourd’hui en situation de grande précarité ou dont les perspectives de retraite sont dérisoires apprécieront.

Selon vous, notre proposition de loi porterait en elle le mythe de la relève des seniors par les jeunes. Mais, une fois de plus, cette proposition n’a rien à voir avec une logique comptable ! Nous ne cherchons pas à imposer le recrutement d’un jeune lors de chaque départ à la retraite !

M. François Rochebloine. Vous imposez un accord majoritaire !

M. François Liberti. Nous imposons la négociation !

M. Michel Piron. Une obligation de négocier ? Vous ne trouvez pas cela paradoxal ?

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. Vous avez parlé de « vision mécanique ». C’est faux ! En commission, c’est d’ailleurs bien le groupe UMP, par la voix de M. Giro, qui affirmait que les départs en retraite entraîneraient forcément des recrutements. N’inversez pas les rôles !

En ce moment même, la commission des affaires économiques procède à l’audition du patron de Renault. Si cette entreprise, qui envisage le départ en retraite de milliers de ses employés, embauchait des jeunes dans la même proportion, cela ne déséquilibrerait en rien ses résultats financiers. C’est pourquoi nous souhaitons que la puissance publique favorise la tenue de négociations afin que les entreprises, notamment les grosses, ne profitent pas des départs à la retraite pour aggraver la flexibilité et la précarisation des salariés, en particulier des plus jeunes d’entre eux.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Frédéric Dutoit, rapporteur. En ce qui concerne les accords majoritaires, j’ai moi-même déposé une proposition de loi visant à prendre en compte les syndicats qui, ensemble, forment une majorité aux élections professionnelles. Le présent texte va dans ce sens.

Enfin, s’agissant des stagiaires, il est faux de dire que l’objectif de la proposition de loi est déjà satisfait. Votre réponse portait en effet sur le travail dissimulé, et non sur les stages. Vous étiez donc hors sujet.

Quoi qu’il en soit, je remercie tous les orateurs d’avoir travaillé sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La commission des affaires culturelles, familiales et sociales n’ayant pas présenté de conclusions, l’Assemblée, conformément à l’article 94, alinéa 3 du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l’Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Brunhes. Ce n’est pas clair, votre affaire !

M. le président. Ce n’est pas mon affaire, monsieur Brunhes, c’est le règlement, et il est très clair. Vous devez le savoir, pour avoir siégé à cette place, et en tant que membre éminent du Bureau depuis plusieurs années.

Je ne suis saisi d’aucune demande d’explication de vote.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour un rappel au règlement.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le président, lors de l’examen de la proposition de résolution débattue mardi matin dans le cadre de la niche parlementaire, le président Bur n’a pas suivi la même procédure. Ainsi, pour que la discussion se poursuive, notre groupe a dû émettre un vote négatif. Il semblerait donc qu’il y ait deux règles ou deux interprétations. Quelle est la bonne ? Soyons clairs !

Mme Muguette Jacquaint. Nous ne sommes pas contre le texte, mais pour le passage à la discussion des articles !

M. le président. Je vais donner la parole au président de la commission ; ensuite, j’expliquerai à M. Brunhes la différence entre le vote sur les conclusions de rejet – article 94, alinéa 2 – et le cas où la commission ne présente pas de conclusions.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. La semaine dernière, lors de la réunion de la commission, M. Dutoit a fait un exposé de grande qualité, j’en conviens, salué par tous les députés présents. Mais, après une discussion générale au cours de laquelle les députés de chaque groupe ont pu s’exprimer, la commission a décidé de ne pas poursuivre l’examen du texte et n’a, en conséquence, pas présenté de conclusions. Le président se trouve sans doute aujourd’hui dans une situation différente de celle à laquelle M. Brunhes fait allusion.

M. le président. M. Dubernard s’est exprimé plus clairement que la présidence elle-même.

Monsieur Brunhes, je vous précise que la commission avait conclu au rejet de la proposition de loi du groupe communiste examinée dans le cadre de la niche de mardi matin. En revanche, concernant le texte dont nous venons de débattre, la commission n’a pas présenté de conclusions.

Mme Muguette Jacquaint. Très bien ! Nous comprenons mieux ! («Ah ! »sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Cela prouve le rôle positif des rappels au règlement de M. Brunhes !

M. Jean-Louis Idiart. Si M. de Villepin s’exprimait aussi clairement, on comprendrait mieux !

Reprise de la discussion

M. le président. Je ne suis saisi d’aucune demande d’explication de vote.

Je mets aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

(L’Assemblée nationale ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n’est pas adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quinze, est reprise à onze heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

enregistrement de l’acte de naissance

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jacques Brunhes et plusieurs de ses collègues tendant à accorder la primauté à la commune de résidence des parents pour l’enregistrement de l’acte de naissance (nos 2894, 2933).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jacques Brunhes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, mes chers collègues, la proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter, n'a qu'une ambition, certes modeste, mais elle intéresse, je puis en témoigner, nos concitoyens, les élus, les maires des petites communes, celui de Saint-Marcel-de-Félines pour ne citer qu'un exemple (Sourires), mais aussi ceux des grandes ou moyennes agglomérations.

De quoi s’agit-il ? D’une proposition de bon sens, non politique ou idéologique, qui vise tout simplement à adapter le code civil aux évolutions de la société sur le seul point de la déclaration de naissance.

Sous l'Ancien Régime, les registres paroissiaux faisaient office d'état civil. La Révolution française a créé en 1792 l'état civil affranchi de la religion. Le code civil de 1804 en a confirmé les principes et dispose en son article 55 : « Les déclarations de naissance seront faites, dans les trois jours de l'accouchement, à l'officier de l’état civil du lieu : l’enfant lui sera présenté. » La condition de présentation de l'enfant sera supprimée par la loi du 20 novembre 1919, encore en vigueur.

Cette disposition date d'une époque où les accouchements se faisaient essentiellement à domicile. Or, à l'heure actuelle, les naissances ont lieu de manière presque exclusive en milieu hospitalier.

Un second phénomène, plus récent, est à relever : la disparition progressive des petites et moyennes maternités depuis trente ans. Je vous renvoie aux tableaux du rapport écrit. En 2001, seules 520 communes sur environ 36 700, soit 1,4 %, étaient dotées d’une maternité. Il en résulte que 98,6 % des communes de France – 36 180 –, n'enregistrent plus que des décès.

Non seulement une commune sans déclarations de naissance peut être perçue comme dévitalisée, mais ses habitants se voient ainsi privés d'un moyen d'affirmer leur attachement à leur pays natal, à l'identité et à la fierté locale, à l'origine familiale, ceci  « à une époque où le besoin d'identification se fait de plus en plus nécessaire, où là volonté de se reconnaître d'une région, d'une commune est un facteur d'intégration, de joie et même de fierté » : je cite l’exposé des motifs de la proposition de loi ayant le même objet que celle que je vous présente, déposée le 7 novembre 2002 par quatre-vingts députés UMP, dont M. Geoffroy qui est à vos côtés, monsieur le garde des sceaux.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois constitutionnelle, de la législation et de l’administration générale de la République. Le texte n’était pas le même !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Par ailleurs, l'article 55 contrevient au principe du rapprochement du service public du citoyen, qui devrait être un élément essentiel d'une politique d'aménagement du territoire. En effet, pour obtenir un extrait d'acte de naissance, les administrés sont amenés, dans de très nombreux cas, à s'adresser aux services d'état civil d'une commune autre que celle de leur résidence habituelle. Ainsi, dans les faits, ils ne disposent plus d’un service public de proximité. L’identité territoriale se perd. L’obtention des extraits des copies intégrales d’actes se fait de plus en plus dans des communes éloignées du lieu de résidence.

La proposition de loi que je vous présente vise à répondre à l’évolution sociale et à maintenir un service public de l’état civil proche des citoyens. En conséquence, l'article 1er modifie le premier alinéa de l'article 55 du code civil en permettant aux parents de déclarer la naissance de leur enfant, selon leur choix, soit à l'officier de l’état civil du lieu de la naissance, soit à l'officier de l’état civil de leur lieu de résidence.

Je souhaite qu’il n’y ait pas d’équivoque. L’acte de naissance mentionne le jour, l’heure et le lieu de naissance. Ces dispositions impératives doivent être respectées dans tous les actes inscrits sur les registres. Il s’agit bien, dans mon esprit, de la seule déclaration de naissance et non de l’acte de naissance.

M. Jean-Luc Warsmann. Alors, cela existe déjà ! Vous pouvez retirer votre proposition !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Vous n’avez pas voulu en commission discuter des articles. J’ai proposé des amendements, notamment sur l’article 2, et je souhaite que l’on en discute, pour aboutir à une conclusion consensuelle. Il me semble en effet que laisser aux parents le choix du lieu de déclaration de la naissance est une souplesse nécessaire.

Il convient d’envisager aussi les cas où il n’y a pas de résidence commune des parents. Nous proposons d’instaurer alors une procédure d’enregistrement préférentiel, conforme à la manière dont l’INSEE recense les naissances, au lieu de résidence de la mère. L’enregistrement de la naissance au lieu de résidence du père ne sera possible que si la mère donne son accord. Une telle solution est en analogie avec la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille donné à l’enfant.

Pour s’opposer à une telle possibilité, on invoque l’incertitude concernant le domicile. Je propose en effet la mention du domicile plutôt que celle de résidence pour des raisons de sécurité juridique. Je rappelle que le titre III du code civil est consacré au domicile. L’article 57 prévoit d’ailleurs déjà, parmi les informations à mentionner sur l’acte de naissance, les prénoms, noms, âges, professions et domiciles du père et de la mère.

Enfin, l’inscription sur les tables annuelles et sur les tables décennales de la commune de résidence des parents autorisée par le décret de 1951 n’équivaut pas, vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux, à un enregistrement.

Il convient donc d’ouvrir la possibilité d’effectuer la déclaration de naissance auprès de l’officier d’état civil de la commune de résidence, d’où le texte que je propose et que vous trouverez dans les amendements si vous en acceptez la discussion, ce que je souhaite : « Les déclarations de naissance seront faites dans les trois jours de l’accouchement, à l’officier de l’état civil du lieu ou à celui du domicile commun des parents ou, à défaut de domicile commun, à l’officier de l’état civil du domicile de la mère ou, le cas échéant, du père, si une déclaration conjointe des parents le prévoit. »

L’article 2 de la proposition de loi, dans sa rédaction initiale, a concentré les critiques. J’en ai tenu compte. L’acte doit énoncer le lieu réel de la naissance de l’enfant, c’est impératif. Aussi, en cohérence avec l’article 1er, je propose simplement qu’à l’article 57 du code civil, aux divers renseignements qui doivent être énoncés dans l’acte : le jour, l’heure et le lieu de la naissance, soit ajouté le lieu de la déclaration de naissance.

Cette nouvelle rédaction, que j’ai fait parvenir à tous mes collègues, doit satisfaire l’ensemble des membres de la commission et de notre assemblée, ainsi que vous-même, monsieur le ministre.

La commission, très partagée, a décidé à une voix près de passer à l’examen des articles, alors qu’il y avait seulement un député communiste et deux députés socialistes en séance. Je le regrette d’autant plus que les amendements que je me proposais de présenter et que je viens de vous exposer lèvent toutes les ambiguïtés juridiques. J’exprime donc le souhait que l’Assemblée nationale aille aujourd’hui jusqu’au bout de l’examen du texte.

Tous les intervenants en commission ont dit comprendre la motivation qui a conduit au dépôt de cette proposition.

M. Michel Piron. Les intentions sont pures !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Cela se conçoit d’ailleurs quand on connaît les multiples initiatives parlementaires convergentes émanant de tous les groupes sur le sujet, dans des rédactions identiques ou voisines : proposition de loi de l’UMP déjà mentionnée, quatre-vingts signataires ; proposition de loi de M. Rudy Salles en 2003 ; proposition de l’UDF et de M. Santini ; proposition de loi de trois députés UMP du Doubs et du Territoire de Belfort en 2005, Mme Tharin, M. Bonnot et M. Meslot, Mme Tharin m’ayant expliqué qu’il n’y avait plus aujourd’hui une seule maternité à Montbéliard et que plus un seul enfant n’y naissait ; proposition de loi du groupe socialiste au Sénat, cosignée notamment par M. Badinter et par M. Mauroy. Et je ne cite pas les nombreuses questions écrites au Gouvernement.

Pourquoi un tel intérêt ? Tout simplement parce que les évolutions de la société conduisent à une adaptation de bon sens du code civil dans ce domaine. Il convient de revivifier le lien entre l’état civil et les citoyens à l’occasion de la déclaration de naissance.

Je ne doute pas, mes chers collègues, de votre volonté d’examiner le texte avec impartialité, et je vous invite à adopter les articles de cette proposition de loi qui devrait faire consensus. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Henri Nayrou.

M. Henri Nayrou. Le groupe communiste nous présente une proposition de loi tendant à accorder la primauté à la commune de résidence des parents pour l’enregistrement de l’acte de naissance, en modifiant le code civil par deux articles : le premier, qui réécrit le premier alinéa de l’article 55, permet aux parents de déclarer la naissance à l’officier d’état civil de leur lieu de résidence et le second vise à compléter l’article 57.

Les enfants ne viennent plus au monde dans leur monde mais dans des maternités. Seules 2 000 à 2 500 naissances, sur 770 000, ont lieu, de manière souvent imprévue, au domicile des parents. Il s’est produit une telle concentration des maternités, pour des raisons de sécurité sanitaire bien compréhensibles et pour des considérations financières, que la naissance officielle de 668 000 êtres humains ne concernait plus en 2002 que 653 communes sur un total de 36 000.

Dans une proposition de loi enregistrée le 18 février 2003, les sénateurs socialistes énuméraient les conséquences d’une telle situation : les communes petites ou moyennes ne possédant pas de maternité ne peuvent plus procéder à l’enregistrement des naissances ; on prive les administrés du bénéfice d’un service public de proximité en les obligeant à s’adresser à l’officier d’état civil du lieu où ils sont nés ; on impose aux personnels des 653 communes où sont situées les maternités de multiplier les actes d’état civil pour des citoyens n’ayant désormais plus aucun lien avec ces communes. J’ajoute une quatrième raison : on passe outre à une formelle identification territoriale.

Je ne vais pas me lancer dans un rappel de toutes les dispositions législatives qui ont été prises depuis l’édit de novembre 1787. Actuellement, l’officier d’état civil doit, en aval de l’enregistrement de la naissance, communiquer l’information à trois sources, l’officier d’état civil de la commune où résident les parents, le médecin chargé de la protection maternelle et infantile du département et l’INSEE. La transcription existe donc déjà et fonctionne bien. De la transcription obligatoire à l’inscription officielle, il n’y a qu’un pas que cette proposition de loi suggère de franchir en assimilant le lieu de naissance à celui de la déclaration de naissance. Ce n’est pas une véritable révolution.

Le texte semble poser problème pour des raisons techniques et juridiques. Je ne les partage pas, mais il convient de les citer pour éviter toute ambiguïté. Ce serait par exemple le cas si les parents sont de nationalité étrangère. Les choses pourraient aussi être compliquées pour les reconnaissances de paternité et l’attribution de l’autorité parentale, voire faciliter les substitutions d’enfants. Là où les parents sont en conflit, erreurs et abus pourraient éventuellement se confondre. Enfin, cette proposition pourrait éventuellement être source de complications pour les services d’état civil, ce qui accroîtrait les risques d’erreur.

Je ne partage pas du tout cette analyse, et je pense qu’il y a lieu de débattre, car le Parlement ne légifère pas pour lui-même mais pour les citoyens.

Les sénateurs socialistes avaient déposé une proposition très équilibrée, qui prévoyait une procédure de double déclaration de naissance. Les avantages sont de quatre ordres. Premièrement, rien ne change fondamentalement parce que l’officier d’état civil de la commune où se trouve la maternité a déjà l’obligation de transmettre à son homologue du lieu du domicile des parents les documents de naissance enregistrés par lui. Deuxièmement, les communes choisies pourront délivrer des papiers d’état civil tout au long de l’existence de la personne concernée, et c’est un avantage non négligeable. Troisièmement, la commune de la maternité n’aura plus cette charge énorme, sans aucun fondement pratique. Quatrièmement, et c’est essentiel, l’individu disposera d’une parfaite identification territoriale. De nombreuses personnes vous disent avec un air contrit qu’elles sont nées par hasard quelque part, à Berlin, Hénin-Liétard ou Vladivostok. Comme le disait un sage de mes montagnes, le pays natal, on ne le choisit pas, le pays renatal, on le choisit. Pourquoi n’y aurait-il pas deux lieux de naissance sur un document d’état civil ?

On nous parle des dangers. Il faut relativiser. Pensez à la loi du 20 novembre 1919 qui a supprimé l’obligation pour les parents déclarants de présenter leurs nouveau-nés à l’officier d’état civil. Imaginez-vous à l’époque la révolution dans les esprits et la réaction des esprits frileux et bileux ? Comment serait-il donc impossible, en ce début du XXIsiècle où les nouvelles technologies bouleversent les usages et où ces usages sont de plus en plus sécurisés, de mettre en place un dispositif de double inscription des enfants, l’une imposée, l’autre choisie, un dispositif pour qu’une citoyenne ou un citoyen n’ait plus sur ses papiers d’identité et sous ses yeux toute la vie le témoignage incertain d’être né quelque part par hasard ?

Le groupe socialiste a souhaité s’abstenir sur le fond du problème, ce que je regrette. Les députés socialistes présents dans l’hémicycle voteront pour la poursuite de la réflexion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, maire d’une commune de 1 600 habitants qui ne possède ni maternité, ni hôpital, j’ai examiné avec beaucoup d’intérêt cette proposition de loi tendant à donner aux parents la possibilité d’enregistrer la naissance de l’enfant soit au lieu de la naissance, soit à leur résidence.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? C’est généralement le personnel du bureau des entrées de la maternité qui se déplace dans la chambre de la mère pour rassembler les renseignements nécessaires. Puis un membre du personnel de la maternité ou de l’hôpital, généralement le ou la vaguemestre, transfère l’ensemble des déclarations au service de la mairie, où un numéro d’ordre est délivré afin d’être certain que toutes les naissances sont bien déclarées. En pratique, la quasi-totalité des parents ne se déplacent pas à la mairie ; c’est par cette chaîne, entre la maternité et la mairie, que s’effectue aujourd’hui la déclaration.

Quels seraient les avantages et les inconvénients du nouveau système que l’on nous propose ?

Quelle est, tout d’abord, la solution la plus sûre pour qu’aucun enfant ne passe entre les mailles du filet et soit bien déclaré ? Incontestablement, c’est la solution actuelle parce que la connexion entre la maternité et la mairie du lieu où elle se trouve est totale. Dès lors que l’on offre une possibilité de choix entre le lieu de naissance et le lieu de résidence des parents, il faudra procéder à une vérification pour être sûr que la déclaration a bien été faite dans l’un des deux lieux. L’argument de sécurité plaide donc en faveur du texte actuel.

Qu’en est-il maintenant de la sécurité juridique et du risque de contestation ? Aucune contestation n’est possible aujourd’hui : l’enfant est déclaré dans la commune où il est né. En revanche, dans le système qui nous est proposé, il peut y avoir des contestations. Chacun sait que les familles n’ont plus la même stabilité et la notion de domicile peut être contestée. Cela peut être une source de contentieux, là où il n’en existe aujourd’hui aucun, puisque le critère géographique prévaut.

Quelle est la meilleure solution pour l’avenir ? J’attire votre attention sur le fait que c’est au lieu où sera enregistré l’acte de naissance que seront enregistrés les autres événements de la vie, ceux qui ont lieu à l’étranger, par exemple. Mes chers collègues, il y a quelques semaines, nous avons prévu dans la loi sur les successions que, pour bien respecter l’égalité entre les enfants naturels et les enfants légitimes, les premiers seraient systématiquement inscrits en marge de l’acte de naissance. Il faut donc être certain de le trouver facilement. Est-ce plus facile en gardant le principe du lieu de naissance ou en choisissant celui du lieu de résidence ? Les personnes pouvant déménager, le lieu de résidence peut être un choix plus instable ; l’ancrage le plus solide est donc le lieu de naissance. D’ailleurs les conventions internationales prévoient que les modifications d’état civil qui ont eu lieu à l’étranger seront à enregistrer sur l’acte figurant au lieu de naissance.

Enfin se pose le problème de la compétence de l’officier d’état civil. Un officier d’état civil ne peut constater que ce qui se passe dans sa commune. En ma qualité de maire de Douzy, je n’ai aucune compétence pour enregistrer un mariage célébré à Sedan ! Les pouvoirs d’un maire, d’un adjoint au maire ou d’un délégué sont limités à la commune. Je ne peux aller ni contester, ni attester quelque chose qui s’est passé dans une autre commune. L’article 2 de la proposition de loi prévoyait initialement que le lieu de naissance pouvait être le lieu de déclaration de la résidence. Vous avez annoncé, monsieur le rapporteur, votre intention de retirer cette disposition et vous avez eu raison parce qu’il s’agirait, en quelque sorte, d’un mensonge institutionnalisé : la loi ne peut pas décider que quelqu’un qui est né à Sedan est né à dix kilomètres de là !

L’examen de ces quatre critères pèse en faveur du maintien du droit actuel, même si je ne suis pas du tout insensible à deux arguments d’ordre général que vous avez avancés.

S’agissant de la vitalité des communes qui n’ont ni maternité ni hôpital, si un mouvement a été engagé par quelques communes qui viennent de perdre leur maternité, il existe depuis des années des dizaines de milliers de communes qui sont dans ce cas et ont dû s’organiser pour vivre ainsi.

Vous affirmez que la plupart des communes, environ 36 000, n’enregistreraient plus que des décès et pas de naissances. Ce n’est pas la réalité : chaque fois qu’une femme qui réside dans ma commune accouche, je reçois automatiquement un avis de naissance. En voici un que m’a adressé la ville de Sedan : « En exécution des dispositions de l’article 7 bis du décret n° 51-284 du 3 mars 1951, modifié par le décret du 9 janvier 1985, j’ai l’honneur de vous aviser de la naissance de la jeune Carla le 5 février 2006. »

Mme Janine Jambu. Nous savons tout cela, mais ce n’est pas la question !

M. Jean-Luc Warsmann. Je suis même obligé de transcrire cet avis de naissance dans les tables annuelles et décennales de l’état civil…

M. Michel Piron. C’est une garantie.

M. Jean-Luc Warsmann… et je fais paraître dans le bulletin mensuel de ma commune la liste de tous les enfants dont la maman réside dans ma commune, qui sont nés le mois d’avant. Les toutes petites communes le font dans un bulletin annuel, les plus importantes dans un bulletin trimestriel ou mensuel, parfois même le service d’état civil publie la liste des naissances dans la presse régionale. Aujourd’hui, les communes d’origine enregistrent donc déjà les naissances.

Mme Janine Jambu. Vous ne nous apprenez rien !

M. Jean-Luc Warsmann. Monsieur le rapporteur, devant les risques juridiques que comportait votre proposition de transférer l’acte d’état civil, et devant la nécessité de maintenir l’enregistrement de l’acte dans la commune de naissance, vous nous proposez seulement une transcription de l’acte d’état civil dans la commune de résidence. Mais, elle existe déjà ! Si vous demandez aux parents de se rendre dans la commune du lieu de domicile pour enregistrer leur enfant, vous ne ferez qu’alourdir considérablement la procédure sans rien apporter de nouveau.

De même, puisque aujourd’hui l’immense majorité de nos concitoyens décèdent à l’hôpital, j’enregistre, en tant que maire, peu d’actes de décès, mais je procède à de nombreuses transcriptions de ces actes, notamment ceux que m’adresse la ville de Reims.

Si l’argument de la revitalisation des communes et celui de la transmission de nouvelles informations n’existent donc pas, en revanche celui de l’insécurité juridique est réel, à tel point que notre collègue du groupe socialiste a demandé une double inscription pour ne pas déstabiliser le système.

Mes chers collègues, préservons le système actuel ; il est léger et garantit la sécurité et le respect des droits de chaque enfant, sans mettre à l’écart la commune de résidence.

Reste toutefois une question : comment renforcer le lien entre un jeune et sa commune d’origine ? Pour ma part, je suis né à la maternité de Villers-Semeuse dans les Ardennes, mais je dis toujours que je suis de Douzy, ma commune ! Il ne m’est jamais venu à l’esprit de dire que je suis de Villers-Semeuse !

Vous souhaiteriez peut-être renforcer cet attachement. Je suis très ouvert à toutes les propositions. Des dispositions réglementaires pourraient le prévoir… Mais prévoir quoi ? J’avoue que je n’ai pas trouvé.

Un document, la carte d’identité par exemple, pourrait mentionner une autre commune que la commune de naissance, mais laquelle ? Pensez-vous que c’est à la commune de première résidence que va l’attachement des Français ? Bien des enfants nés en Île-de-France se disent des Ardennes, où leur grand-mère habite toujours, et où ils se rendent tous les week-ends. L’attachement est là et non dans la commune où résidaient les parents lorsque l’enfant est né, qui n’était qu’un passage. Jamais nos concitoyens n’ont autant déménagé. Si l’on veut une notion plus vraie, peut-être faudrait-il introduire celle de commune d’origine. Mais, monsieur le ministre, j’avoue que cela n’a rien de très juridique.

Malgré ma sympathie pour cette proposition de loi, le souci de simplicité et de sécurité juridique doit nous conduire à la rejeter. La revitalisation des communes qui n’ont pas de maternité est un argument qui n’a pas de réalité, comme je vous l’ai démontré. Peut-on cependant trouver des solutions dans la vie de tous les jours pour que nos concitoyens manifestent davantage leur attachement à leur lieu d’origine ? Le débat peut continuer sur ce point. Je n’ai pas d’argument législatif à proposer. Un groupe de travail pourrait peut-être être constitué et rechercher une solution d’ordre réglementaire. Mais pour ma part, monsieur le rapporteur, et je suis désolé si je vous déçois, je ne voterai pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Janine Jambu.

Mme Janine Jambu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec plaisir, une fois n’est pas coutume, qu’au nom de notre groupe, j’inviterai l’Assemblée à suivre les propositions présentées par le rapporteur.

De quoi, s’agit-il ? De faire entrer dans le code civil la possibilité pour les parents de privilégier leur commune de résidence comme lieu de déclaration de la naissance de leur enfant, et d’adapter ainsi le droit afférent à la déclaration des naissances aux évolutions de notre société.

En effet, l’obligation de déclaration de naissance auprès de l’officier d’état civil de la commune où elle a lieu date d’une époque où les accouchements se pratiquaient à domicile. Une obligation de présentation de l’enfant l’accompagnait même avant 1919. Aujourd’hui, la quasi-totalité des accouchements a lieu, après suivi de la grossesse et pour en garantir la sécurité médicale, dans les maternités et établissements hospitaliers.

La réorganisation et la concentration territoriale des structures hospitalières opérées au fil des trois dernières décennies conduit à cette singulière situation : 99,8 % des naissances sont déclarées dans 1,5 % des communes, soit 520 communes sur 36 700 !

Connaissez-vous cette chanson, monsieur le ministre, : « Être né quelque part, c’est toujours un hasard » ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Elle est de Maxime Le Forestier !

Mme Janine Jambu. J’ajouterai que c’est aussi un héritage. S’il est vrai que le lieu de naissance peut être marqueur d’inégalités, il est également synonyme de grands bonheurs familiaux, de transmission de savoirs et d’une culture ; il permet l’inscription dans la filiation d’événements individuels et collectifs forts.

Dans notre pays reste fort l’attachement à la commune où l’on vit, où l’on se construit, parce que c’est la terre de la famille de génération en génération. Tout aussi fort est l’attachement créé au fil de la vie, de l’emploi, de l’engagement dans la vie locale, des liens sociaux qui y sont noués, de l’appropriation de l’histoire de sa commune d’accueil. Dans toutes les régions, du plus petit village à la commune de banlieue, cet ancrage a une signification pour de nombreuses familles comme pour de nombreux élus locaux qui désespèrent de voir les colonnes des registres de naissances désespérément vides.

Ce serait sans nul doute une fierté et une émotion que de permettre au natif de La Bresse dans les Vosges, d’Avaray dans le Loir-et-Cher, de Saint-Pourçain-sur-Sioule dans l’Allier ou de Massignac en Charente, de voir figurer sur son extrait de naissance le nom du beau village de son enfance.

Et cela ne vaut pas seulement pour les communes rurales, mais aussi pour les communes périphériques et les banlieues d’Île-de-France. Ainsi, c’est en partie l’attachement à l’histoire, à la vitalité et au dynamisme de Gennevilliers qui motive notre rapporteur. Il en est de même en ce qui me concerne. J’ai été pendant près de deux décennies maire de Bagneux où, depuis la fermeture de la maternité, aucun enfant ne naît plus, au grand dam de nombreux Balnéolais. Il en est de même dans ma circonscription pour les nouveau-nés dont les parents habitent à Malakoff ou à Montrouge. Depuis plus de vingt-cinq ans, aucune naissance n’est déclarée dans ces trois communes du sud des Hauts-de-Seine, qui comptent pourtant chacune entre 38 000 et 40 000 habitants et possèdent une histoire et une identité propre.

J’ajoute qu’à l’heure où devraient être privilégiés les liens de proximité avec le service public, l’administré voit se compliquer, pour des raisons d’éloignement ou de délai du traitement des demandes par courrier, les démarches d’établissement d’un extrait de naissance, alors qu’il lui serait plus simple de se rendre à la mairie de son domicile.

Sans doute le développement de l’informatisation simplifiera-t-il les démarches à distance, mais tous les foyers ne sont pas équipés d’un ordinateur et d’une connexion à Internet, et toutes les administrations ne sont pas en mesure de répondre aux demandes.

Ainsi, les problèmes posés sont bien réels. Ils ne sont d’ailleurs ignorés par aucun député, comme en témoignent les propositions de loi émanant de parlementaires de divers groupes et visant le même objectif que le texte en discussion.

La commission des lois a décidé de ne pas présenter de conclusions sur cette proposition et il nous revient, en application de l’article 94-3 du règlement, de statuer sur le passage à la discussion des articles.

Puisque nous convenons que personne ne peut se satisfaire de la situation présente et qu’il est nécessaire que le législateur actualise le droit comme il l’a fait par exemple dans le domaine des noms patronymiques, de la famille ou des successions, voyons comment parfaire les dispositions proposées.

Y aurait-il quelque aberration juridique à retenir le lieu du domicile comme lieu de la déclaration de naissance ? Je souhaite que vous répondiez à cette question, monsieur le ministre.

Le code civil prévoit que, lorsque la naissance survient au cours d’un voyage terrestre ou aérien, la déclaration est faite dans la commune où la mère cesse son voyage. De même, lorsque le décès survient dans une autre commune, la transcription de l’acte de décès est effectuée à l’état civil du dernier domicile du défunt. Sont-ce là des aberrations ?

Arguer encore que la notion de domicile est floue et introduit une insécurité juridique nous semble intenable au vu des dispositions du titre III, articles 102 et suivants du code civil, consacrées à cette notion.

Outre qu’elle laisse aux parents le choix d’enregistrer la naissance auprès de l’officier d’état civil du lieu de naissance ou du lieu de leur domicile, cette proposition de loi prévoit dans son article 2 que le lieu de naissance est celui de la déclaration de naissance. Certes, ce lien sera fictif, mais le code civil prévoit déjà cette exception dans son article 58 pour le cas de l’enfant trouvé, en énonçant que l’officier de l’état civil « désigne comme lieu de naissance la commune où l’enfant a été découvert », sans que l’on sache nécessairement où celui-ci est né.

Toutefois, sensible aux objections soulevées et aux observations émises en commission des lois, le rapporteur a, comme il l’a rappelé, déposé trois amendements, dont deux doivent plus particulièrement retenir notre attention. Le premier vise à améliorer la rédaction de l’article 1er et le second à modifier l’article 2 pour que l’acte de naissance précise le lieu de la naissance ainsi que le lieu de la déclaration de naissance.

Dans cet esprit constructif, nous souhaitons que l’Assemblée décide de passer à l’examen des articles et adopte cette proposition qui répond aux vœux de nombre de nos concitoyens des villes et des campagnes, ainsi que d’un grand nombre d’élus. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Jérôme Rivière. Voilà un homme de bon sens !

M. Pierre-Christophe Baguet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 55 du code civil dispose dans son premier alinéa : « Les déclarations de naissance seront faites dans les trois jours de l’accouchement, à l’officier de l’état civil du lieu. » Cette disposition, héritée du code de 1804, a été modifiée par la loi du 20 novembre 1919 relative aux actes et jugements d’état civil.

Depuis cette loi de 1919, les évolutions ont été profondes. Les accouchements à domicile ont quasiment disparu et ne représentent plus désormais que 0,3 % des naissances. Par ailleurs, de nombreuses maternités ont fermé leurs portes, notamment dans les petites communes, et la concentration des naissances dans les seules villes disposant de grands centres hospitaliers a engendré de profonds changements.

L’évolution des conditions sanitaires et les déplacements de population sont autant de raisons qui aboutissent à ce chiffre très symbolique : 520 communes sur 36 300 disposaient de maternités en 2001. En conséquence, la quasi-totalité des 770 000 naissances annuelles s’y concentrent. Si elle peut se justifier pour la sécurité des mères et des enfants lors de l’accouchement, une telle concentration a des conséquences pour le moins paradoxales en matière de natalité. En effet, l’enfant est inscrit dans la commune de son lieu de naissance et non dans celle où sont domiciliés ses parents, de sorte que certaines communes voient leur natalité artificiellement diminuer.

C’est pourquoi il est proposé que les naissances qui ont lieu, principalement du fait de l’éloignement de la maternité, hors de la commune où sont domiciliés les parents, puissent être déclarées dans cette commune. C’est l’objet de ce texte qui vise, comme son nom l’indique, à accorder la primauté à la commune de résidence des parents pour l’enregistrement de l’acte de naissance. Concernant le lieu d’enregistrement, le choix serait donc laissé aux parents.

Pour illustrer mon propos, je citerai l’exemple d’une ville des Hauts-de-Seine que je connais bien, Boulogne-Billancourt, qui s’honore de 1 604 naissances en 2004, alors que plus aucun enfant n’est déclaré boulonnais depuis la disparition des cinq maternités que comptait la ville.

Mme Janine Jambu. Exactement !

M. Pierre-Christophe Baguet. Désormais, certaines communes n’enregistrent plus que des décès.

M. Jérôme Rivière. Ce n’est pas vrai, on vient de l’expliquer !

M. Pierre-Christophe Baguet. De ce fait, elles se trouvent privées du facteur dynamisant que représente l’enregistrement des naissances.

Au-delà de cet aspect, il convient de s’attarder sur les valeurs véhiculées par la proposition de loi de nos collègues communistes, valeurs qui revêtent une grande importance pour nos concitoyens. À l’heure où la mobilité géographique s’est particulièrement développée, l’attachement à notre commune d’origine constitue en effet un facteur indéniable de notre identité. L’enracinement de nos familles, l’investissement associatif et social, les liens affectifs, tous ces éléments participent de la construction de notre personnalité.

Le lieu de notre naissance est également un signe fort de nos origines. Dans une société dont les repères s’effacent les uns après les autres, pouvoir s’appuyer sur son village ou sa ville de naissance, bien souvent lieu de l’enfance, est un facteur stabilisateur et rassurant. Or la concentration sur quelques pôles urbains renforce le sentiment de déracinement. Je retiens d’ailleurs une phrase issue d’une proposition similaire précédente, qui résume parfaitement l’esprit qui nous anime : « Le besoin d’identification se fait de plus en plus nécessaire ; la volonté de se reconnaître d’une région, d’une commune, est un facteur d’intégration et même de fierté. »

L’adoption de cette proposition de loi, sous réserve qu’elle soit amendée, permettrait aussi de maintenir un service public de l’état civil proche des citoyens et de remédier à l’image de collectivités territoriales dévitalisées, qui pâtissent de la disjonction grandissante entre le lieu de résidence des parents et le lieu de naissance des enfants. En ces temps d’appel au patriotisme économique, il conviendrait, à travers ce texte, de défendre une certaine forme de « patriotisme local », selon l’expression chère à M. le rapporteur, afin de revitaliser nos communes.

Je rappelle enfin que le groupe UDF avait déjà proposé, en janvier 2003, de légiférer dans ce sens. Notre collègue Rudy Salles, député des Alpes maritimes, avait ainsi présenté une proposition de loi relative à la déclaration de naissance d’un enfant auprès de l’officier de l’état civil du lieu de résidence des parents.

M. Jérôme Rivière. Ce n’est pas sa meilleure proposition !

M. Pierre-Christophe Baguet. Le texte en discussion s’inspire du même esprit et dépasse les clivages traditionnels entre majorité et opposition, puisque le groupe socialiste et le groupe UMP avaient également souhaité en 2002 rendre possible la déclaration de naissance dans la commune de résidence des parents.

Dans cet esprit, le texte présenté par Jacques Brunhes mérite d’être amendé sur plusieurs points, comme l’ont fait remarquer tant Jean-Luc Warsmann qu’Henri Nayrou. Ainsi, les situations familiales ont considérablement évolué et rendent difficilement applicables certaines bonnes intentions. Je souligne donc l’importance de l’amendement n° 1, qui distingue à juste titre la résidence du domicile, ou encore le risque de surcharge des tâches administratives pour des services d’état civil pas toujours assez étoffés. Peut-être faudrait-il à cette occasion réfléchir à une plus large informatisation des services d’état civil.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera le passage à l’examen des articles, car l’esprit de cette proposition de loi doit nous conduire à en débattre. Elle mérite en effet d’être améliorée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé témoigne indiscutablement, et même manifestement, de bonnes intentions.

M. François Liberti. Cela commence bien !

M. le garde des sceaux. Trop bien ! Cela ne durera pas.

M. Michel Piron. Le rapporteur a évoqué le besoin d’identification pour les uns, la valeur de l’attachement aux racines pour d’autres. Suffit-il cependant de bonnes intentions pour faire de bonnes lois ? En l’espèce, je crains que non.

L’article 1er, que M. Warsmann a longuement évoqué, avec toute la précision qu’on lui connaît, se heurte pour le moins, en effet, aux limites territoriales des compétences exercées par les maires, ce qui n’est pas rien. Par ailleurs, il complique infiniment plus les choses qu’il ne les simplifie. Et, au lieu de la relative sécurité juridique qu’on rencontre aujourd’hui, je crains fort qu’il ne nous propose un gisement d’insécurité juridique.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Un gisement inépuisable !

M. Michel Piron. Quant à l’article 2, monsieur le rapporteur, j’ai bien retenu que vous avez décidé de l’amender – à juste titre – après la réunion de la commission. Je me souviens en effet de la première rédaction que nous avions examinée et dont j’avoue qu’elle m’avait plongé dans des abîmes de perplexité.

M. le garde des sceaux. J’espère que vous en êtes sorti !

M. Michel Piron. Car de quoi s’agissait-il dans l’article 2 non amendé ? De rien de moins que de pouvoir déclarer que les Pyrénées nous séparent de l’Angleterre (Sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), ce qui ne suffit peut-être pas pour qu’il en soit ainsi. Dans sa rédaction d’origine, en effet, l’article ouvrait des perspectives tout à fait nouvelles en fondant un droit nouveau à nous faire prendre les vessies pour des lanternes. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Muguette Jacquaint. Vous étiez bien parti, mais vous vous êtes arrêté en route !

M. Michel Piron. Le besoin de racines peut incontestablement stimuler nos interrogations.

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Je vous rappelle que nous avons proposé une nouvelle rédaction !

M. Michel Piron. Certes, mais nous avons travaillé en commission et je souhaite rappeler ce qu’à été notre réflexion. J’admets cependant que votre amendement nous interdit de revenir à l’époque du malheureux Galilée, où la géographie était fille du droit.

M. le garde des sceaux. C’est juste !

M. Michel Piron. Incontestablement, un tel principe peut mener loin, mais je ne suis pas sûr qu’il éclaire énormément la perception de la réalité.

M. Jean-Louis Idiart. D’où l’importance de se munir de lanternes, plutôt que de vessies !

M. Michel Piron. Je comprends bien le dernier argument évoqué, qui a trait à la valeur des origines et à l’attachement qu’on peut avoir pour le lieu où l’on est né.

M. Jean-Louis Idiart. Autant dire à la terre.

M. Michel Piron. Je vous invite néanmoins à réfléchir à ce que signifie cette valeur, car on peut parfaitement être d’une commune sans y être nécessairement né. La question des origines est aussi bien, si ce n’est plus, une question de culture que de nature. Et je ne vois pas pourquoi la culture devrait nier le principe de réalité.

Au nom de ce principe de réalité et à l’instar de Galilée, je vous invite donc à considérer que, pourtant, elle tourne ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j’ai pris un grand plaisir à écouter les différents orateurs, dont les arguments méritaient tous attention, même si certains d’entre eux étaient plus fondés que d’autres.

Monsieur Brunhes, ma tentation spontanée serait de vous donner satisfaction, car je vous connais et vous sais animé par la volonté de favoriser l’aménagement du territoire et la reconnaissance de nos communes – les plus petites en particulier, puisque vous avez même eu la délicatesse de faire allusion à une commune qui ne m’est pas étrangère. Je comprends donc parfaitement vos intentions et je sais combien on peut être sensible, notamment dans les travées de cette assemblée, à un argument que je qualifierai, sans mépris aucun, d’affectif.

M. François Liberti. Il faut toujours faire confiance à son premier sentiment !

M. le garde des sceaux. Néanmoins, la commission des lois a été saisie de cette proposition de loi et les arguments juridiques, développés en particulier par Jean-Luc Warsmann et Michel Piron, priment cette dimension affective.

La proposition de loi que vous présentez vise à modifier l’article 55 du code civil, afin que l’enregistrement des déclarations de naissance ne soit plus uniquement réservé à l’officier de l’état civil du lieu de naissance. Le panel de choix que vous offrez ainsi aux parents est très ouvert. La naissance de leur enfant pourrait, en effet, être déclarée à sa commune de naissance ou à celle de leur domicile commun et, à défaut, à celle du domicile de la mère, voire, s’il y a accord entre les parents, à celle dont dépend le domicile du père.

Vous motivez cette modification très importante de nos règles d’état civil par trois arguments de nature sociologique. Mais si je comprends vos préoccupations, je ne suis pas convaincu par votre analyse sur le plan juridique.

Vous estimez d’abord qu’il convient de rétablir l’équilibre entre les communes pour éviter que certaines ne meurent à défaut d’enregistrer des naissances. Vous conviendrez que ce n’est pas le nombre de naissances qui fait le dynamisme d’une commune, mais sa densité démographique.

Vous soulignez ensuite que les parents sont souvent attachés à leur commune de domicile et souhaitent légitimement pouvoir y déclarer leur enfant. Ce raisonnement ne me paraît pas résister à l’accroissement de la mobilité géographique que nous constatons.

Enfin, j’observe que le rapprochement du service public et du citoyen que vous préconisez, et auquel nous sommes tous très attachés, se réalise désormais par l’intermédiaire de technologies nouvelles. Ainsi l’arrêté du 6 février 2006 crée un service qui permet aux usagers de solliciter, par Internet, la copie ou l’extrait des actes d’état civil les concernant.

Le dispositif présenté serait à la fois source de complications et d’erreurs, tant pour les services de l’état civil que pour les parents. Il serait contraire à l’intérêt de l’enfant. Enfin, sa mise en œuvre serait coûteuse pour les communes et l’État.

Une complication évidente est liée à la détermination du domicile au moment de la naissance ou postérieurement à celle-ci. En effet, alors que la détermination du lieu de naissance ne prête à aucune équivoque, il n’en est pas de même pour celle du domicile. En ce sens, la mesure consistant à substituer la notion de domicile à celle de résidence, que vous aviez initialement proposée, ne résout rien, bien au contraire. Le domicile est défini par l’article 102 du code civil comme le lieu du principal établissement de la personne. Or la notion de domicile peut dans certains cas donner lieu à des hésitations. Ainsi, depuis la loi du 11 juillet 1975, les époux peuvent avoir des domiciles distincts. Retenir la déclaration de la naissance non pas au lieu de l’événement, mais à celui du domicile va obliger l’officier de l’état civil à s’assurer de sa compétence territoriale et en conséquence à exiger du déclarant la preuve du domicile dans son ressort. Cette preuve n’est pas aisée à rapporter et l’on devine que ce sera également source de fraude.

J’ajoute que les demandes de délivrance et d’actualisation des actes postérieurement à la naissance ne seront pas facilitées. En effet, si les personnes savent où elles sont nées, elles ne savent pas toujours où leurs parents demeuraient au moment de la naissance. Elles ne sauront donc pas auprès de quel officier d’état civil requérir la délivrance d’une copie ou d’un extrait.

S’agissant maintenant de l’actualisation des actes, le texte proposé risque, ainsi que l’a souligné M. Warsmann, de poser des difficultés dans la mise en œuvre de la réforme des successions. Cette avancée importante pour les notaires et l’égalité des enfants dans l’accès à la succession de leurs parents suppose que le lieu de conservation de l’acte de naissance du défunt soit aisé à connaître.

M. Jean-Luc Warsmann. Eh oui !

M. le garde des sceaux. Ce ne serait plus le cas si votre proposition était adoptée.

D’autres difficultés importantes sont liées à la multiplicité des critères de compétence, qui nuit à la sécurité juridique. II ne faut pas oublier que la déclaration de naissance peut être faite par le père ou une personne ayant assisté à l’accouchement et que, parfois, la coordination entre ces personnes n’est pas réalisée en pratique. Dès lors, la proposition recèle un risque soit de déclarations multiples et de coexistence de plusieurs actes de naissance pour une même personne, soit au contraire d’absence de tout acte de naissance.

Des déclarations multiples en des lieux différents ne sont pas à exclure : l’une étant faite auprès de l’officier de l’état civil du lieu de l’événement par les services de maternité et l’autre auprès de l’officier de l’état civil du lieu de domicile par le père. Certes, l’action en annulation ouverte au procureur de la République permettra a posteriori de faire disparaître cette anomalie, mais la question se posera alors de déterminer quel acte de naissance doit être annulé alors même que les deux actes dressés auront une valeur authentique identique et la même régularité.

À l’inverse, le texte facilitera l’absence de déclaration de naissance, notamment lorsque ni les parents ni la maternité n’auront déclaré l’enfant, chacun pensant légitimement que l’autre aura effectué cette formalité sans toutefois pouvoir facilement en vérifier l’accomplissement, comme c’est le cas aujourd’hui.

J’ajoute que les états partenaires à la Commission internationale de l’état civil sont bien conscients de l’importance du lieu de naissance pour la fiabilité de l’état civil. C’est ainsi que la convention n° 26, que la France a ratifiée le 12 décembre 2003, prévoit que l’officier de l’état civil détenteur des actes de naissance doit être informé des événements d’état civil survenus à l’étranger concernant les personnes dont il est dépositaire de l’acte de naissance.

L’intérêt de l’enfant aussi est d’avoir, dès sa naissance, un état civil fiable. Dès lors, offrir aux parents le choix de désigner l’officier d’état civil compétent pour enregistrer sa déclaration de naissance est susceptible de créer des conflits et risque de retarder l’accomplissement de cette formalité à son détriment.

Je passe sur les conflits entre parents qui pourront également apparaître après l’enregistrement de la naissance, notamment en cas de séparation ou lorsque le père aura procédé à la déclaration de naissance en méconnaissant l’accord parental. L’enregistrement de la naissance risque ainsi de devenir un nouveau moyen pour les parents de mettre indirectement leur enfant au sein de leurs différends personnels. C’est pourquoi je pense qu’il appartient à l’État de déterminer quelle est l’autorité compétente pour recevoir la déclaration de naissance et qu’il ne faut pas en laisser le choix à la discrétion des parents.

La déclaration de naissance est une obligation civile et civique qui ne doit prêter à aucune hésitation et à aucun conflit.

Enfin, cette réforme serait coûteuse pour les communes et pour l’État – et, compte tenu de vos intentions, monsieur le rapporteur, vous ne manquerez pas d’être sensible à cet argument. En outre, elle entraînerait une surcharge de travail pour les officiers de l’état civil et une réorganisation des services, en imposant notamment un élargissement de leurs horaires d’ouverture, lesquels sont plus limités qu’il y a quelques années.

À cet égard, je relève que les récentes réformes intervenues en droit des personnes ou de la famille démontrent combien il est fondamental que les fonctionnaires de l’état civil qui procèdent à l’enregistrement des naissances aient acquis une expérience et des connaissances juridiques suffisantes. La loi sur le nom de famille entrée en vigueur le 1er janvier 2005 en est une illustration, et la prochaine entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, de la réforme sur la filiation le confirme.

Si votre proposition était adoptée, des efforts certains, notamment de la part de nos plus petites communes – je pense spontanément à Saint-Marcel-de-Félines –, devraient être consentis et des moyens supplémentaires en personnels déployés. Je sais que vous êtes aussi sensible que moi à cet argument, monsieur le rapporteur, même si je conviens que la commune de Gennevilliers est un peu plus grande que celle que je viens de citer. (Sourires.)

Au total, cette proposition de loi me paraît incompatible avec la fiabilité de notre état civil qui, je tiens à le souligner, est unanimement reconnue au sein de la communauté internationale. Elle est en parfaite contradiction avec les objectifs du Gouvernement, qui a pour souci de lutter contre la fraude et d’assurer à nos concitoyens tout à la fois sécurité juridique et simplicité des démarches à accomplir. C’est pourquoi je vous demande de ne pas l’adopter.

J’en viens maintenant, monsieur le rapporteur, aux amendements que vous avez déposés. Je ne saurais non plus adhérer à un dispositif revenant à distinguer le lieu de la déclaration de naissance du lieu où est dressé l’acte, pour les raisons suivantes.

Tout d’abord, cela complique singulièrement les démarches à accomplir, puisque deux officiers d’état civil auront à connaître de la même naissance. Cela nuit donc à la sécurité juridique et je rappelle à cet égard qu’il convient, dans l’intérêt de l’enfant, que l’acte de naissance puisse être établi immédiatement et que le déclarant puisse en obtenir immédiatement une copie ou un extrait.

J’ajoute que votre proposition manque son objectif, monsieur Brunhes, puisque dans le dispositif que vous préconisez, l’acte de naissance reste établi au lieu de naissance. Seul le registre du lieu de naissance sera donc alimenté d’une naissance, et les registres des petites communes, que vous défendez, ne recevront pas davantage de nouvelles transcriptions.

Par ailleurs, il me semble que vous n’avez pas pris conscience de toutes les conséquences pratiques – dont certaines sont très importantes – qu’entraîne votre proposition. En vertu de l’article 38 du code civil, l’officier d’état civil fait lecture de l’acte de naissance, avant que la personne déclarante ou habilitée ne le signe. Ce formalisme confère à l’acte son caractère authentique, qui fait foi jusqu’à une éventuelle inscription de faux. Le mécanisme que vous proposez nécessiterait donc deux déplacements du déclarant : une première déclaration à la mairie du domicile, une seconde à la mairie du lieu où l’acte est dressé. Vous ne simplifiez pas, vous complexifiez la procédure, qui deviendrait très lourde, tant pour le déclarant – en général le père – que pour les services de maternité.

Si cette proposition de loi est intéressante dans ses intentions, elle se révèle complexe dans sa mise en œuvre et nécessiterait de modifier nombre d’articles du code civil. Comme vous vous en êtes fait la réflexion à haute voix à cette tribune, loin de simplifier l’existence des familles ou de leurs représentants, le dispositif que vous proposez complexifierait la situation en contrepartie d’un avantage pour les petites communes qui ne serait qu’apparent, puisque, au bout du compte, la déclaration se ferait toujours au lieu de naissance.

Malgré toute la sympathie que j’ai pour vous, monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous dire que votre idée est une fausse bonne idée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Je voudrais souligner deux points qu’a omis d’évoquer notre rapporteur, ce dont on ne saurait lui tenir rigueur, tout empressé qu’il était de défendre sa proposition.

Premièrement, monsieur Brunhes, vous avez fait une allusion plus malicieuse que maligne à une proposition de loi présentée il y a un peu plus de trois ans par certains parlementaires de notre majorité. J’ai moi-même signé cette proposition, comme vous avez eu la bonté de le souligner, mais pas plus que les autres cosignataires – dont certains se trouvent aujourd’hui dans cet hémicycle – je n’entends renier ma signature. Vous avez laissé entendre que ce serait le cas si nous n’allions pas aujourd’hui dans le sens que vous souhaitez. Il n’en est rien, car il existe de profondes différences, de forme et de fond, entre nos propositions respectives.

La première tient au fait que la nôtre ne contenait qu’un article, de portée somme toute assez limitée, visant à affirmer, et répondant en cela à un souhait largement partagé, l’importance des racines familiales. Il s’agissait de faire mention d’un lieu où la famille s’est enracinée, notamment du fait de la naissance de certains de ses membres en ce lieu. Notre proposition était basée sur l’idée d’une transcription de la déclaration de naissance, mais aucunement d’un transfert du lieu de naissance.

Or, et c’est le deuxième point que je voulais évoquer, la proposition qui a été soumise à la commission des lois nous place dans un tout autre cas de figure. Son article 2 va beaucoup plus loin puisqu’il dispose que le lieu de naissance devient le lieu de la déclaration. Autrement dit, il transfère juridiquement une réalité géographique, ce qui est une véritable aberration, comme l’avait souligné en commission le président Philippe Houillon et comme notre rapporteur lui-même semble l’avoir admis entre-temps.

C’est pourquoi la commission, dans sa grande sagesse, a décidé de ne pas présenter de conclusions sur cette proposition de loi et d’inviter notre assemblée à ne pas poursuivre l’examen des articles, ce qui ne signifie nullement un reniement pour ceux de ses membres qui avaient signé la proposition de 2002. Ce qui nous serait présenté si nous passions à l’examen des articles n’a presque plus rien à voir avec la proposition de loi initiale. Ce n’est même pas une version Canada Dry très édulcorée de cette proposition, c’est tout autre chose.

M. Jean-Louis Idiart. Cela a fait pschitt !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Je ne nie pas les bonnes intentions qui ont présidé à la rédaction de ce texte, mais la sagesse voudrait, me semble-t-il, que nous suivions la commission des lois, qui a pris position sur la proposition initiale et rien que sur elle. Si nous devions d’aventure nous interroger à nouveau sur cette question, certes importante, il serait bon que nous nous soyons entre-temps donné le temps de la réflexion sur ses tenants et aboutissants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Je comprends l’embarras de M. Geoffroy.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Je ne suis pas embarrassé du tout !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. La proposition de loi aujourd’hui soumise à notre assemblée serait, selon lui, très éloignée de celle qu’il a cosignée le 7 novembre 2002.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Je me permets de lire l’exposé des motifs de cette première proposition :

« L’article 55 du code civil dispose que “les déclarations de naissance seront faites dans les trois jours de l’accouchement, à l’officier d’état civil du lieu”.

« À une époque où le besoin d’identification se fait de plus en plus nécessaire, où la volonté de se reconnaître d’une région, d’une commune, est un facteur d’intégration, de joie et même de fierté, force est de constater que les agglomérations disposant d’hôpitaux intercommunaux ont vu la fermeture des lits d’obstétrique dans les communes intéressées par l’activité de l’établissement intercommunal.

« En effet, les progrès de la médecine, le besoin d’offrir plus de sécurité en rassemblant dans un seul établissement les moyens les plus performants et la rationalisation nécessaire des crédits affectés à cet acte médical ont conduit tout naturellement à cette situation.

« Mais la population éprouve une rupture affective dans le cadre de la réglementation actuelle, qui n’offre aucune possibilité de choix du lieu de déclaration de naissance et ressent cette situation comme une contrainte administrative insensible au respect des valeurs auxquelles chaque être humain est attaché.

« La conséquence logique de cet état de fait est que les services de l’état civil de ces communes n’enregistrent plus que des décès ou les rares naissances faites au domicile. »

Mme Muguette Jacquaint. C’est exactement la même proposition !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. L’article unique de cette proposition de loi était ainsi rédigé :

« Le premier alinéa de l’article 55 du code civil est complété par les mots : “ou à celui de la résidence principale des parents dans la limite du même département”. »

C’est exactement le même esprit que celui qui m’anime, puisque je propose pour ma part de compléter le premier alinéa de l’article 55 par les mots « ou à celui du domicile des parents » !

Pour justifier le fait que vous adoptez deux positions opposées à l’égard de deux textes très semblables, monsieur Geoffroy, vous tirez argument de l’article 2 de notre proposition,…

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Effectivement !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. …sur lequel vous avez refusé le débat en commission. Or j’ai fait des propositions à la tribune pour tenir compte de vos observations. Mais vous faites comme si de rien n’était, vous référant uniquement au texte initial, ce qui trahit votre embarras.

M. le garde des sceaux. Pour ma part, j’ai adapté ma réponse !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Je me permets de vous citer un article paru dans Le Figaro : «“Il n’y a plus et il n’y aura jamais plus, sans cette mesure, de natifs de Briantes”, regrette Jean Petipez, le maire de cette bourgade berrichonne de 557 habitants. »

M. Michel Piron. Ah, le Berry !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Pour sa part, M. Forissier, ancien ministre, se dit « très favorable à cette initiative, tant pour des raisons de dynamisme économique que d’attachement psychologique à ses origines ».

À la lecture de ces prises de position, on comprend d’autant mieux votre embarras.

Le maire de l’île d’Aix, en Charente-Maritime, s’affirme quant à lui « entièrement partisan de cette mesure ». « Autant chacun est fier, ici, de son identité insulaire, autant personne ne met en avant qu’il est né à Rochefort, ville la plus proche », déclare-t-il.

On peut encore lire dans cet article que, pour d’autres raisons, la mesure semble aussi séduire les élus de plus grandes villes. M. Nicolin, par exemple, – que vous connaissez bien, monsieur le ministre, puisqu’il est l’élu d’une circonscription voisine de la vôtre – est le maire de Roanne, qui dispose d’une maternité, mais il déclare : « Ici, le problème est précisément inverse : nous devons enregistrer toutes les naissances de l’arrondissement, qui comporte 200 000 habitants ; cela crée une surcharge de travail pour nos personnels de l’état civil. En 2005, parmi les 1 969 naissances enregistrées dans l’arrondissement, on comptait seulement 412 “vrais” Roannais. »

Voilà ce que je souhaitais répondre à M. Geoffroy. Quant à M. Piron, son humour, selon moi, trahissait surtout son intention de nous détourner du fond.

M. Michel Piron. Ah non ! J’ai évoqué l’aspect culturel !

M. Jacques Brunhes. L’humour constitue souvent le moyen d’évacuer la réalité des problèmes, mon cher collègue.

M. Michel Piron. Vous m’avez mal compris !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Il me semble pour ma part que tenter de répondre aux problèmes soulevés par cette proposition de loi serait beaucoup plus intéressant. Si l’aspect affectif n’est pas à négliger, il n’est pas non plus le seul à prendre en considération. Ainsi, M. le ministre et M. Warsmann ont tous deux évoqué le problème de la sécurité juridique.

M. le garde des sceaux. Eh oui !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Sur ce point, je ne vous cache pas mon étonnement, monsieur Warsmann. La notion de domicile est en effet définie par le titre III du code civil.

M. Jean-Luc Warsmann. Et alors ?

M. Jacques Brunhes, rapporteur. C’est une référence permanente,…

M. Jean-Luc Warsmann. Certes, mais mouvante et qui peut se contester, contrairement au lieu de naissance !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. …ce qui justifie que le domicile doive être obligatoirement mentionné sur nombre d’actes officiels : sur la carte d’identité, sur le passeport…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et alors ?

M. Jacques Brunhes, rapporteur. …sur le permis de conduire, sur tous les actes de l’état civil pour chacune des personnes qui sont dénommées, sur les listes électorales, sur la carte électorale et sur tous les documents fiscaux. Dans la mesure où il est fait mention du domicile dans les textes normatifs relatifs à tous les documents que je viens d’énumérer, monsieur Warsmann, il est permis de penser que cette mention est de nature à satisfaire à l’exigence de sécurité juridique.

M. Jean-Luc Warsmann. Non, parce que le domicile est mouvant et contestable !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Cela n’a pas de sens ! On ne peut que constater la très grande faiblesse de votre argumentation sur ce point. En réalité, il n’y a pas lieu d’invoquer une quelconque insécurité juridique.

Vous avez également évoqué le principe de la compétence territoriale des agents communaux. Les officiers de l’état civil n’ont compétence, nous dites-vous, que dans les limites de la commune où ils exercent leur ministère. Certes, mais l’existence d’un principe n’interdit pas les exceptions. Et c’est notre rôle de législateur de les définir. En l’occurrence, je peux m’appuyer sur d’autres dispositions dérogatoires d’ores et déjà en vigueur. Lorsque la naissance a lieu par exemple au cours d’un voyage terrestre ou aérien, elle doit être déclarée conformément à la rubrique 269. C’est une exception. Il est donc possible d’en prévoir une autre en matière de compétence territoriale des agents de la fonction publique.

M. Michel Piron. Vous proposez en fait de généraliser les exceptions !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. On trouve aussi des dispositions dérogatoires pour l’application de l’article 80 du code civil concernant la procédure spéciale de transcription de la déclaration de décès.

Il faut donc réfléchir davantage que ne l’a fait la commission car certains des arguments invoqués semblent fallacieux.

Pour votre part, monsieur le garde des sceaux, vous avez considéré que le panel de choix qui serait ainsi offert aux parents poserait un problème. Sans doute, mais nous pourrions le régler en commission.

Par ailleurs, et ce point m’a surpris, vous avez estimé que nous élargissions les critères de compétence et qu’il y avait donc un risque de déclarations multiples. Mais ce n’est pas à vous que je vais apprendre qu’il y a la loi, puis les décrets et les règlements. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Ne les mélangeons pas ! Votre objection porte exclusivement sur des problèmes réglementaires. Moi, je propose un cadre législatif qui répond à des besoins normatifs et à la volonté des élus. Il restera ensuite à travailler sur les décrets pour la mise en œuvre de la loi.

M. François Liberti. C’est clair !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Enfin, vous avez considéré que ce texte serait contraire à l’intérêt de l’enfant.

M. le garde des sceaux. Eh oui !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Le choix ainsi proposé aux parents serait dangereux, nous avez-vous dit. En quoi ? Certes, cela risque de rendre plus complexes les démarches. Mais nous pourrions discuter de ce point dans le cadre de l’examen des articles.

Monsieur le garde des sceaux, chers collègues de la majorité, j’ai bien compris que vous ne souhaitiez pas passer à la discussion des articles. Vous le regretterez certainement. J’ai même la conviction que la majorité reprendra ce texte sous une autre forme.

M. Michel Piron. Mais non !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Bien sûr que si ! Du reste, vous l’avez déjà fait s’agissant d’autres propositions déposées dans le cadre des niches parlementaires. Vous serez conduits à reprendre notre proposition car, sur 36 700 communes, il y a en au moins 36 000 qui approuvent ce dispositif.

M. le garde des sceaux. Ce n’est pas le problème !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Et si l’on faisait un sondage, il apparaîtrait qu’une très large majorité de nos concitoyens y est également favorable. L’intérêt qu’a suscité dans le pays cette minuscule proposition de loi montre bien qu’il s’agit d’une question importante.

M. Jean-Louis Idiart. C’est vrai !

M. Jacques Brunhes, rapporteur. Il faudra bien, un jour ou l’autre, la régler. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Votre passion, monsieur le rapporteur pourrait être communicative. Le problème est strictement juridique, sinon on vous donnerait raison.

M. Michel Piron. Bien sûr !

M. le garde des sceaux. Il ne suffit pas en effet de déclarer son lieu de domicile : il faut le prouver. Le lieu de naissance est en revanche objectif et incontestable. C’est cette grande différence qui est à l’origine de la législation actuelle. Dans les grandes maternités, l’officier d’état civil de la commune vient souvent directement enregistrer les naissances. Si nous retenions votre proposition, la maternité devrait disposer des papiers du père, qui devrait donc apporter sa carte d’électeur ou ses justificatifs de domicile. Tout cela serait source de complications.

Votre proposition serait en outre contraire à l’intérêt des enfants. Certains pourraient se retrouver sans acte d’état civil parce que ni la maternité ni les parents n’auraient finalement déclaré l’enfant, chacun pensant que l’autre a effectué cette formalité. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) La fiabilité de l’état civil réside dans la certitude de la déclaration et de son authenticité. Dès lors qu’un flou sera introduit dans le choix, vous n’aurez plus cette sécurité juridique et vous irez donc à l’encontre de l’intérêt de l’enfant.

Mme Muguette Jacquaint. C’est tiré par les cheveux !

Vote sur le passage à la discussion des articles

M. le président. La commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître le caractère très séduisant de la proposition de loi présentée par Jacques Brunhes. Mais nos échanges ont révélé la complexité de son application, les risques d’insécurité et les coûts qu’elle pourrait entraîner pour les communes. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Cela étant, il faut sortir des obstructions politiques dont sont victimes quasi systématiquement les textes examinés dans le cadre des niches parlementaires. On ne passe pratiquement jamais à la discussion des articles.

M. Jean-Louis Idiart. Absolument !

M. Pierre-Christophe Baguet. Lorsque Philippe Séguin a créé cette faculté pour le Parlement, il s’agissait de nous permettre de discuter en dehors du calendrier imposé par les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite.

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Eh oui !

M. Pierre-Christophe Baguet. Ainsi, l’examen du texte relatif à l’Ordre des infirmiers, soumis à l’Assemblée dans le cadre de la niche parlementaire de l’UDF au mois de janvier par Jean-Luc Préel mais qui avait été présenté par tous les groupes parlementaires, s’est arrêté à l’issue de la discussion générale.

Nous devrions pouvoir aller au bout de la procédure parlementaire. Rien que pour protester contre le sort réservé aux textes examinés dans ce cadre, je voterai pour le passage à la discussion des articles. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Pourquoi devrions-nous accepter de ne pas débattre ? Jean-Luc Warsmann a proposé la création d’un groupe de travail sur le texte qui nous occupe ce matin. Il sera intéressant de le constituer. Et Rudy Salles, qui a beaucoup réfléchi à cette question, sera sans doute très heureux d’y participer. Mais la réflexion peut aussi avoir lieu dans cet hémicycle, où l’on débat encore mieux.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

(L'Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.)

ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 1206, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information :

Rapport, n° 2349, de M. Christian Vanneste, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

À dix-sept heures trente :

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 2876, relatif aux offres publiques d’acquisition :

Rapport, n° 2921, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 1206, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information :

Rapport, n° 2349, de M. Christian Vanneste, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.)