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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 21 mars 2006

177e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Conseil européen des 23 et 24 mars

Déclaration du Gouvernement
et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen des 23 et 24 mars et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, dans deux jours, avec Thierry Breton et Catherine Colonna, j’accompagnerai le Président de la République à Bruxelles pour participer au Conseil européen de printemps, consacré aux questions économiques et sociales.

Traditionnellement, le Conseil européen de printemps traite de ce qu’on appelle la « stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi ». Si l’objectif de cette stratégie est essentiel et si la coordination qu’elle a établie entre les États membres a eu de nombreux résultats positifs, les citoyens européens ont souvent du mal à percevoir concrètement ce que l’Europe fait pour la croissance et l’emploi. Nous devons donc agir pour que la stratégie de Lisbonne devienne moins abstraite et soit mieux comprise.

Nous avons l’impérieuse obligation de bâtir une maison commune européenne au service des citoyens.

M. Philippe Vuilque. Pure abstraction !

M. le ministre des affaires étrangères. Un premier progrès, en termes de lisibilité, a été l’élaboration par chaque État membre d’un « programme national de réforme », lui permettant de s’engager en faveur de la croissance et de l’emploi tout en préservant ses spécificités nationales. La France a élaboré le sien à l’automne dernier. Nous y insistons sur les nouveaux pôles de compétitivité, l’agence pour la recherche et l’agence pour l’innovation industrielle, trois initiatives nationales de premier ordre ayant des implications européennes évidentes.

Mais au-delà, d’autres progrès sont nécessaires. Pour la France, ce Conseil européen doit aboutir à des résultats concrets et visibles en matière de politique économique européenne. Il doit ainsi démontrer que l’Europe peut susciter une véritable dynamique du développement et surtout représenter une force d’entraînement pour la création d’emplois. La France attend des résultats dans deux secteurs particuliers : l’énergie et la recherche.

Renforcer la sécurité de l’approvisionnement de l’Europe en énergie est devenu un objectif prioritaire. La crise gazière de janvier entre la Russie et l’Ukraine a démontré l’importance de cette question.

Que peut faire l’Europe dans le domaine énergétique ? D’abord, aider les États membres à identifier les capacités de production et de transport énergétiques qu’il faut construire ; ensuite, développer une politique énergétique mieux coordonnée à l’échelle de l’Union, en accordant une attention particulière à la Russie, au Caucase, à l’Asie centrale et à l’Afrique du Nord. Nous devons notamment nous demander comment l’Europe peut aider nos entreprises à mieux exploiter et acheminer les ressources énergétiques des zones voisines de l’Union européenne.

Enfin, et c’est le sujet essentiel, …

Plusieurs députés du groupe socialiste. C’est le CPE qui est essentiel !

M. le ministre des affaires étrangères. …nous devons nous assurer de la compatibilité de la politique énergétique européenne avec le respect de l’environnement, …

M. Albert Facon. Baratin !

M. le ministre des affaires étrangères.… ce qui implique de développer les sources d’énergie alternative et de réfléchir à la place de l’énergie nucléaire.

Le deuxième secteur dans lequel nous voulons agir est celui de la recherche et de l’innovation. Nous poursuivons deux objectifs.

Nous voulons d’abord lancer un Institut européen de technologie pour mettre en réseau les compétences européennes dans la recherche et l’enseignement. Nous avons très tôt exprimé notre appui à ce projet, qui contribuera au développement de l’excellence et de l’innovation en Europe.

M. Bernard Roman. Parlez-nous plutôt du CPE !

M. le ministre des affaires étrangères. Notre deuxième objectif est de poursuivre l’effort européen de financement de la recherche, en concrétisant notamment une initiative du Président de la République qui consiste à inciter la Banque européenne d’investissement à consacrer à ce secteur quelque 10 milliards d’euros, ce qui devrait représenter des ressources supplémentaires de près de 30 milliards d’euros pour les entreprises européennes, particulièrement les petites et moyennes entreprises. Là encore, la France mettra tout en œuvre pour que le Conseil européen adopte des dispositions concrètes.

Nous voulons également apporter une réponse concrète à l’inquiétude suscitée dans l’opinion par les récentes délocalisations. Si elle veut gagner durablement la confiance des citoyens, l’Europe doit s’appuyer sur deux piliers : favoriser l’innovation, mais aussi soutenir les secteurs fragilisés et aider aux reclassements économiques. C’est pourquoi, dans le cadre de ses perspectives financières 2007-2013, l’Europe instaurera un fonds destiné à venir en aide aux États membres confrontés aux conséquences des délocalisations.

M. Christian Paul. Parlez-nous du CPE !

M. le ministre des affaires étrangères. Le Conseil européen approuvera la mise en place de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi car il importe que l’Europe ait les moyens financiers de soutenir les salariés qui subissent les conséquences des restructurations économiques.

Toujours dans le cadre des perspectives financières 2007-2013, nous souhaitons un effort supplémentaire de l’Union en faveur des bourses Erasmus et Leonardo. Favoriser la mobilité des étudiants et des jeunes travailleurs européens fait partie intégrante d’une stratégie globale de soutien à l’emploi.

Mme Martine David. Où est le Premier ministre ? Qu’il vienne nous parler du CPE !

M. le ministre des affaires étrangères. C’est aussi un des moyens de créer une conscience commune, un sentiment d’appartenance à l’Europe, sans lesquels il ne saurait y avoir de projet politique solide.

M. Bernard Roman. Nous voulons voir le Premier ministre !

M. le ministre des affaires étrangères. Nous espérons que le Conseil européen prendra cette décision qui favorisera la formation et l’insertion sur les marchés de l’emploi de tout le continent.

M. Alain Néri. Parlez-nous du CPE !

M. le ministre des affaires étrangères. Mesdames et messieurs les députés, si nous voulons que les Français retrouvent confiance dans l’Union européenne (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), celle-ci doit montrer sa capacité à concevoir un dessein renouvelé. Cela passe par des projets concrets, inscrits dans une vision collective, porteurs de résultats positifs et clairement identifiables par nos concitoyens. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Enfin, mesdames et messieurs de l’opposition, puisque vous parlez du CPE (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) permettez-moi de dire que vos amis du SPD allemand et du Labour anglais ont fait aujourd’hui à leurs concitoyens des propositions qui sont certainement plus porteuses de précarité que le CPE, qui n’est autre qu’un CDI ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

souhaits de bienvenue
à une délégation étrangère

M. le président. Je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation de députés géorgiens, conduite par la Présidente du Parlement de la République de Géorgie, Mme Nino Bourdjanadze. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

Conseil européen des 23 et 24 mars

Déclaration du Gouvernement
et débat sur cette déclaration (suite)

M. le président. Nous abordons le débat sur la déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen des 23 et 24 mars.

La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, monsieur le ministre de la culture, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre des choix qui seront proposés au prochain Conseil des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne. Nous venons d’écouter le ministre des affaires étrangères, mais nous n’avons en réalité que peu d’éléments sur ce qui va se passer au cours de ce Conseil.

L’initiative d’un tel débat est louable, mais nous ne pouvons nous empêcher de nous interroger sur la qualité d’écoute du Gouvernement. Allez-vous écouter ce que nous vous dirons, monsieur le ministre des affaires étrangères, alors qu’au même moment vous ignorez les jeunes et les salariés qui défilent par centaines de milliers dans toute la France contre le CPE ? Allez-vous écouter, vous qui ne respectez pas le verdict populaire du 29 mai ? (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Notre peuple ne veut pas des politiques libérales impulsées par l’Union européenne. Allez-vous enfin écouter le peuple qui, dans notre République, est le seul souverain, ou bien allez-vous continuer à gouverner contre lui ? Allez-vous persévérer à porter en Europe une parole qui n’est pas la sienne ?

Parlons de l’agenda de Lisbonne, de votre programme national d’action et de ses résultats au bout de cinq ans. Le constat est cruel : le chômage se situe toujours autour de 9 % en Europe et la précarité devient galopante. En France, si l’on met de côté vos chiffres réducteurs, il y a en réalité 4,5 millions de chômeurs. En Allemagne, le cap des 5 millions de sans-emploi est franchi. La pauvreté touche 68 millions de personnes dans l’Union !

Les politiques libérales sont incapables de réaliser les objectifs affichés concernant l’éducation, la formation, la culture et la recherche, comme l’ont rappelé les états généraux de la recherche.

M. Jean-Marc Roubaud. Hors sujet !

Mme Marie-George Buffet. Face à ce triste bilan, qu’ont décidé les Vingt-cinq ? D’aller plus vite et plus loin dans la même direction : celle du tout-libéral, avec « un plan d’action concret et concentré sur la compétitivité », comme l’a déclaré le vice-président de la Commission.

Parmi les priorités affichées pour la période 2005-2010, la première mesure citée est l’adoption de la directive sur les services. Que va dire le chef de l’État face à cette légalisation du dumping social et salarial ? Vous vous apprêtez à l’accepter, en prétextant qu’on a supprimé quelques mots trop voyants…

On parle aujourd’hui de compromis, mais entre qui et qui ? Le texte voté continue de s’inscrire dans la logique libérale condamnée par le peuple français le 29 mai dernier. Il se réfère toujours au principe du pays d’origine et conserve toute la philosophie du projet initial. Sur ce point, monsieur le ministre, soyez assuré de notre vigilance au cours des mois qui viennent. Elle ne se relâchera pas. Vous devez exiger le retrait de cette directive, comme l’ont demandé de nombreux manifestants à Strasbourg il y a quelques semaines ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Deflesselles. Ce n’est pas à la rue de faire la politique de la nation !

Mme Marie-George Buffet. La mesure qui suit est, selon le communiqué de la Commission, la « libéralisation du marché de l’énergie ». Après le Conseil européen du printemps dernier, qui avait fait « la promotion d’une concurrence accrue sur les marchés de l’électricité et du gaz », le Conseil européen du printemps 2006 a pour mandat d’analyser « les progrès globaux réalisés sur le marché intérieur européen de l’énergie ». Quels progrès ? Il conviendrait de mieux évaluer les conséquences de ces décisions du point de vue de l’emploi, du droit à l’énergie pour chacun et chacune, de l’efficacité et de l’indépendance énergétiques. La libéralisation des marchés est en contradiction avec les impératifs de sécurité des approvisionnements et de sécurité tout court, car seule la recherche de rentabilité à court terme guidera les opérateurs.

Je tiens à évoquer aussi le problème crucial des grands choix de développement, qu’il nous faut opérer avec pour seul critère l’intérêt général.

La concurrence aveugle entre oligopoles engendre des concentrations en chaîne et des raids boursiers, au prix de formidables gâchis humains, matériels et financiers. Cela n’apporte rien au consommateur, qui voit bien que les prix de cette denrée vitale qu’est l’énergie sont en forte hausse, comme en témoignent les 16 % de hausse réclamées par GDF !

Ce qu’il faut, ce sont des opérateurs gérant l’énergie comme un bien commun – ce qu’elle doit être en droit – et non comme une simple marchandise : cela veut dire des opérateurs publics, assumant des missions de service public.

Hélas, vous venez de devancer les injonctions prévisibles de l’Union Européenne en livrant GDF à Suez, n’hésitant pas à trahir votre engagement de ne pas faire descendre en dessous de 70 % la participation de l’État dans GDF. Nous nous opposons résolument à cette opération, qui ferait perdre à la puissance publique le contrôle d’un service public essentiel et aggraverait la concurrence entre EDF et GDF, alors que tout appelle à leur rapprochement et à leur coopération, indispensables pour répondre aux besoins des populations et à l’aménagement harmonieux du territoire.

Votre réponse à la tentative d’OPA de Enel sur Suez est mauvaise. Le « patriotisme économique » à géométrie variable dans lequel vous vous drapez vise à défendre le capital et jamais le travail. C’est un cheval de Troie, que vous utilisez pour privatiser et libéraliser toujours plus vite !

Pour contrer l’OPA de Enel sur Suez, comme celle de Mittal sur Arcelor, il aurait fallu utiliser les outils financiers publics que sont la Caisse des dépôts, les caisses d’épargne ou la Banque postale. Vous auriez pu aussi prendre des mesures d’urgence en incitant les banques à investir en faveur de l’emploi et non de la spéculation boursière.

Les évolutions préoccupantes que nous connaissons appellent un grand débat démocratique sur la satisfaction des besoins énergétiques en Europe. En lieu et place de l'approche actuelle fondée sur la concurrence prédatrice, il faut une véritable politique européenne dont l'instrument devrait être une agence européenne de l'énergie favorisant la maîtrise publique et la coopération des opérateurs.

Voilà ce que vous pourriez proposer cette semaine aux dirigeants européens ! Cela demande, certes, de revisiter les traités de l'Union européenne, mais c'est cela qui a été demandé le 29 mai 2005. Rappelez-vous, même si c'est douloureux pour vous, le débat sur le traité constitutionnel : il a manifesté la vive opposition d’une majorité de nos concitoyennes et de nos concitoyens à la suppression des réseaux de services publics de qualité.

Le plan d’action adopté par les Vingt-cinq prévoit également « la libéralisation des transports et de l’accès aux services portuaires ». Il insiste sur la « libre circulation des capitaux » et notamment la nécessité de « faciliter les fusions ». On retrouve les mêmes lancinantes obsessions libérales dans les conclusions du Conseil européen du printemps dernier : « réforme des retraites, du secteur de la santé et du marché du travail » ; « majorer l’âge effectif du départ à la retraite ; accroître la productivité du travail», etc.

Face à cette déferlante, allez-vous enfin faire entendre la voix du peuple français qui a rejeté ces choix libéraux le 29 mai dernier et qui continue à manifester son rejet ?

Avec vos amis libéraux européens, vous faites le choix de la finance. Alors qu'il faudrait réorienter la politique de la Banque centrale européenne pour favoriser l'emploi et la formation, alors qu'il faudrait poser la question à l'échelle européenne de la sécurisation des parcours professionnels, la tendance à l’assouplissement du droit du licenciement s’étend en Europe et vous montrez l'exemple en précarisant à tous crins. La précarité est un fléau pour des millions d'hommes et de femmes dans notre pays. L’absurde et scandaleuse richesse des uns se nourrit de la précarisation des autres. Vous laissez faire les délocalisations et les licenciements boursiers. Vous autorisez le travail de nuit des enfants contre toutes les conventions internationales (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous poussez à la déscolarisation des jeunes qui auraient le plus à attendre de l'école. Vous cassez le contrat de travail. Le CPE, par lequel vous vous en prenez d'abord à notre jeunesse, est un exemple de cynisme. Vous instaurez le droit de licencier les jeunes sans motif, vous restaurez le patronat de droit divin, vous interdisez de fait à tous les moins de vingt-six ans l'accès à un emploi stable et à la vie qui va avec.

Le projet de conclusions du Conseil des 23 et 24 mars souligne, d’après la Commission, les réels efforts des États membres pour associer les partenaires sociaux à l’élaboration des politiques sur l’emploi !... Soit les rédacteurs ne sont pas venus en France, soit ils pratiquent une véritable langue de bois !

Changez, monsieur le ministre, arrêtez de vous entêter et de gouverner contre le peuple qui vous dit sa colère ! Allez dire aux dirigeants de l'Europe que leur politique ne marche pas, qu'elle est insupportable, qu'il faut faire autrement ! Allez leur dire que leur politique ne passe pas, et vous en savez quelque chose ! Voilà qui serait utile à la France. Voilà qui serait utile aux peuples d’Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Marc Laffineur. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, chers collègues, depuis l'échec du référendum sur le traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas, …

M. Jacques Desallangre. Ce n’est pas un échec mais un succès !

M. Maxime Gremetz. Une grande victoire !

M. Marc Laffineur. …l'Europe est en panne, l'Europe doute d'elle-même. Plus que jamais, en cette période d'incertitude, nous devons reprendre l'initiative, susciter l'espoir, insuffler une nouvelle dynamique à l'Europe. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Cette année 2006 doit être mise à profit pour débloquer certaines situations et pour approfondir la solidarité entre les Vingt-cinq, avant même d'envisager tout nouvel élargissement et tout autre projet institutionnel.

La présidence autrichienne de l'Union a réaffirmé ce qui doit être notre priorité pour les mois à venir : promouvoir la croissance et l'emploi, c'est-à-dire être au plus près de ce qui touche la vie quotidienne de nos concitoyens.

C'est avec l'espoir qui sied à l'idéal des pères fondateurs de l'Europe que nous devons aborder le Conseil européen de jeudi et vendredi. La recherche, l'innovation, l'environnement des PME, l'emploi et l'énergie sont au menu de ce Conseil. C'est précisément dans ces secteurs qui engagent directement notre avenir que nous pouvons relancer l'idée européenne.

Il est grand temps d’assurer une coordination européenne en matière de recherche : dans la compétition économique qui nous oppose à l'Amérique et à l'Asie, nous devons faire preuve de davantage d'esprit d'innovation et c'est en associant nos diverses capacités de recherche, tant publique que privée, tant civile que militaire, que nous pourrons être à même de rivaliser avec nos principaux concurrents. Nous devons être capables de dupliquer la réussite d'Airbus dans chaque domaine susceptible d'apporter de la valeur ajoutée à l'économie européenne.

Ainsi, pourrions-nous reproduire à l'échelle européenne le succès rencontré en France par les pôles de compétitivité. (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Cette notion de fonctionnement en réseau convient parfaitement à la réalité européenne en permettant de rapprocher des universités, des laboratoires de recherche et des entreprises innovantes par le biais des autoroutes de l'information.

De même, la protection de l'environnement et la politique de l'énergie dépassent les frontières nationales : que ce soit pour la lutte contre l'effet de serre, les pollutions diffuses des cours d'eau, le développement de solutions alternatives au transport routier à travers le développement d'autoroutes de la mer ou du ferroutage, ou encore pour la gestion de l'après-pétrole, seule la dimension européenne est à même de prendre en compte l'ampleur du phénomène.

À cet égard, nous ne pouvons que nous féliciter de la direction prise par la France tant au niveau de l'énergie nucléaire que pour la diversification vers les énergies renouvelables. C'est seulement à ce prix que nous pourrons sécuriser nos approvisionnements. L'implantation du projet ITER à Cadarache est le symbole des succès que peuvent remporter la France et l'Europe lorsqu'elles partent unies.

Le problème ainsi posé, la France a toute sa place dans l'Europe. Avec l'Allemagne, elle a été depuis les origines, et le sera encore pour longtemps, je l'espère, le principal moteur, l'initiatrice de l'idée européenne. Mais si le couple franco-allemand est nécessaire, il n'est plus suffisant, il faut l'élargir aux quatre autres grands pays européens ainsi qu'au Benelux. Malgré nos divergences sur la poursuite ou non du processus de ratification du traité constitutionnel, nous devons dès à présent reprendre l'initiative et proposer à nos partenaires des projets pour relancer la construction européenne. Cela est d'autant plus urgent que l'Europe est notre avenir, que la France n'a pas d'avenir hors de l'Europe et que je suis intimement persuadé que les Français demeurent profondément européens.

Nous ne pouvons déjà que féliciter le Gouvernement qui, malgré la situation défavorable de la France après le référendum du 29 mai, a su faciliter la conclusion d'un accord sur les prochaines perspectives financières, mettant l'accent sur les dépenses d'avenir en faveur de la recherche et de l'innovation.

Mais pour redonner le goût de l'Europe aux Français ainsi qu'à tous les peuples d'Europe, il faut s'intéresser aux problèmes qui les concernent directement dans leur vie de tous les jours, c'est-à-dire à l'emploi.

M. François Liberti. Il faut écouter les jeunes !

M. Marc Laffineur. Être mobile, parler plusieurs langues, faire une partie de son cursus universitaire à l'étranger, voilà autant de facteurs qui caractériseront le marché du travail de demain et pour lesquels l'Europe peut être une formidable chance et une magnifique opportunité.

Mais il n'y a pas d'emploi sans croissance et l'Europe est le cadre approprié pour créer les conditions favorables à l'établissement d'une croissance durable.

Dans la compétition économique qui agite le monde, l'Europe ne doit pas être un espace livré à une concurrence débridée,…

M. Jacques Desallangre. C’est pourtant ce qu’elle est !

M. Marc Laffineur. …mais un espace qui promeut une vision humaniste de la mondialisation, une mondialisation solidaire et équitable qui bénéficie à tous. Dans la lutte contre les délocalisations qui inquiètent nombre de nos concitoyens, l'Europe doit être un fer de lance en relançant une véritable politique industrielle européenne, en promouvant la constitution de champions européens capables d'agir sur les marchés mondiaux.

Si l'Europe doit se tourner vers les secteurs d'avenir en favorisant la recherche et les nouvelles technologies, tel que le recommande la stratégie de Lisbonne, elle ne doit pas pour autant abandonner son industrie, car sans industrie puissante – de même que sans agriculture – l'Europe ne pourra maintenir sa position dans le monde de demain.

Nous le voyons bien avec l'ensemble de ces projets qui interpellent directement chacun d'entre nous, chaque citoyen européen, l'idée européenne n'est pas morte au lendemain du 29 mai. Le rejet de la Constitution européenne par le peuple français ne doit pas nous interdire toute nouvelle initiative, y compris dans le domaine des institutions.

M. Jean-Claude Lefort. Oh là là !

M. Marc Laffineur. En effet, tout le monde s'accorde pour dire que les institutions, telles qu'elles existent actuellement, ne sont plus adaptées à l'Europe à vingt-cinq, avec le risque de paralysie que cela comporte. Or c'est de cette paralysie que naît le sentiment de frustration des citoyens par rapport à l'Europe. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Cette impuissance doit nous conduire à engager une réforme profonde des institutions de l'Union, qui reprendrait en partie les propositions contenues dans le titre Ier du projet de Constitution. Personne ne peut s'opposer sérieusement à ce que nous ayons des institutions plus stables et plus efficaces. L'instauration d'un Président élu pour deux ans et demi et la création d'un poste de ministre des affaires étrangères permettraient enfin à l'Union d'avoir une véritable visibilité et de peser davantage sur la scène internationale. Le renforcement des pouvoirs du Parlement européen comme des parlements nationaux serait un gage de démocratie et de proximité avec les citoyens de l'Union.

Cet approfondissement est d'autant plus nécessaire que l'élargissement de quinze à vingt-cinq n'a pas toujours été compris par les Français. Cela doit nous amener à doter l'Europe de frontières. C'est d'autant plus nécessaire si nous ne voulons pas que l'Europe se dilue dans un simple espace de libre-échange à l'opposé de l'Europe politique que nous voulons construire.

Cette Europe politique que nous appelons de nos vœux n'a de sens que si elle est aussi fondée sur une identité européenne, c'est-à-dire sur ce qui nous rassemble au-delà de nos différences. Plus que jamais, les peuples ont besoin de se construire une identité dans un monde où tout va de plus en plus vite, où la mondialisation s'insinue dans chaque strate de la société.

Néanmoins, doter l'Europe de frontières ne signifie pas rejeter les pays qui seraient en dehors. Au contraire, cela nous permettrait de clarifier nos relations avec notre environnement immédiat et de développer avec eux des partenariats privilégiés.

Réussir au mieux cet élargissement demande d'introduire davantage de souplesse dans le fonctionnement de l'Europe. C’est ce que nous autorisent les coopérations renforcées ; n'ayons pas peur de les multiplier, notamment dans les secteurs clés pour l'avenir comme la recherche, la défense ou l'énergie.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Marc Laffineur. Un noyau dur de quelques pays expérimente dans un tel domaine une coopération spécialisée ; si cette coopération fonctionne, les autres pays ne tarderont pas à rejoindre les pays fondateurs.

Voilà, mes chers collègues, madame et messieurs les ministres, les défis qui nous attendent. Il faut agir maintenant et non demain – nous n'avons déjà que trop tardé – si nous voulons être au rendez-vous de la stratégie de Lisbonne, qui veut faire de l'Europe l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde à l'horizon 2010.

M. Jean-Claude Lefort. Bolkestein !

M. Marc Laffineur. Nous y croyons et nous faisons confiance au Gouvernement pour rapprocher l'Europe des Français et faire de nouveau entendre la voix de la France dans la relance du projet européen. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, où est donc passée l’Europe ? (« Demandez-le à Fabius ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Est-elle encore une ambition française ? (« Fabius ! Fabius ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous en prie !

M. Jean-Marc Ayrault. Croyons-nous encore au défi quotidien qu’elle nous propose depuis un demi-siècle ? Depuis l’échec du référendum sur le traité constitutionnel, l’Europe est devenue le fantôme de nos débats publics. Escamotée, volatilisée ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Et le sort de l’Europe semble si peu intéresser le Gouvernement que vous organisez ce débat en pleine crise sociale, comme pour faire diversion à vos problèmes avec les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Le Premier ministre n’a même pas daigné être présent à cette tribune.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Où est le Premier ministre ?

M. Guy Teissier. Il s’occupe des Français !

M. Jean-Marc Ayrault. Quelle désinvolture pour l’Assemblée nationale, mais aussi pour l’Europe !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Hors sujet !

M. Jean-Marc Ayrault. Car, que vous le vouliez ou non, le CPE dépasse maintenant les frontières d’un conflit intérieur. Il est devenu le symbole d’une France qui ne sait plus où elle va, d’une France mal gouvernée, enfermée en elle-même. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Quelle autre nation d’Europe connaît un tel degré de tension ? Quel autre gouvernement d’Europe méconnaît avec tant de constance la protestation de son peuple ? (« Aucun ! » sur les bancs du groupe socialiste.) C’est malheureusement la réalité de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, nous sommes à un moment extrêmement dangereux.

M. Yves Fromion. C’est vrai !

M. Jean-Marc Ayrault. Par l’obstination insensée du Premier ministre, tout le pays est plongé dans une épreuve de force qui peut gravement dégénérer. (Vives protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues ! Nous ne sommes pas à l’Opéra-Comique !

M. Jean-Marc Ayrault. M. de Villepin, le Premier ministre, sème les graines de l’affrontement. Déjà − et je le déplore profondément −, un manifestant est entre la vie et la mort (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et nous demandons que toute la lumière soit faite sur ce qui s’est passé. Mais on compte aussi des dizaines de policiers blessés. La plupart des universités sont bloquées…

M. Lucien Degauchy. L’Europe ! L’Europe !

M. Jean-Marc Ayrault. …des milliers de lycéens descendent dans la rue, de nouvelles manifestations et des journées de grève nationale sont annoncées. (« L’Europe ! L’Europe ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Robert Lamy. Récupération ! Démago !

M. Jean-Marc Ayrault. Mesdames et messieurs de la majorité et du Gouvernement, vous n’avez tiré aucune leçon de la crise des banlieues. Votre seul souci est de faire ployer le genou à ceux qui vous contestent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − De nombreux députés du groupe UMP continuent de scander « L’Europe ! L’Europe ! ».)

Oui, il est trop tard aujourd’hui pour que le Premier ministre annonce une négociation qui n’a jamais eu lieu avant l’élaboration du projet de CPE, en violation même de la loi sur le prétendu dialogue social que la majorité UMP avait votée mais qu’elle est incapable de pratiquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il a piétiné les partenaires sociaux, contraint le Parlement par l’urgence et le 49-3, ignoré les manifestations. Nul ne croit plus à sa parole. Nul ne croit plus à ses pseudo-concessions. S’il revient sur les deux ans d’essai et sur l’absence de motif de licenciement, le CPE ne servira plus à rien. Et s’il biaise, le bras de fer sera sans issue.

Mû par l’égoïsme, M. Dominique de Villepin emprisonne la France dans son destin personnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Peu lui chaut qu’elle se brise. Seul lui importe de sculpter sa statue de présidentiable inflexible ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP, dont de nombreux députés se lèvent et commencent à quitter l’hémicycle.)

M. Jean Glavany. Dehors ! dehors !

M. le président. Restez ! Si vous n’êtes pas capables d’écouter, restez au moins à vos places !

M. Jean-Marc Ayrault. Eh bien non ! La concorde nationale lui commande de rabattre son orgueil. (Très vives protestations des députés du groupe UMP massés au pied de la tribune. − « CPE ! CPE ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Bernard Deflesselles. C’est scandaleux ! Parlez de l’Europe !

M. le président. Revenez tous à vos places et écoutez l’orateur !

M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, nous sommes maintenant la majorité !

M. Jean-Marc Ayrault. Mes chers collègues, il n’est qu’une solution qui vaille : l’abandon de cette loi, la négociation d’un nouveau projet et le retour devant le Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Quand un peuple s’exprime avec une telle force, le devoir est de l’écouter. La précarité ne peut pas être la loi pour notre jeunesse. Elle ne peut pas devenir le fondement du modèle social européen. Le Premier ministre divise les Français et abaisse la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je répète donc ma question, monsieur le ministre des affaires étrangères. Où est passée l’Europe ? Qu’est-elle devenue dans votre politique ? L’Europe est paralysée, la France est muette. Chaque État porte sa responsabilité, mais ce dont je vous accuse, c’est de ne rien tenter, c’est de vous résigner à la paralysie, c’est de participer aux replis nationaux qui affectent pratiquement tous nos partenaires. Dans votre discours officiel ne résonnent plus que les accents martiaux du patriotisme économique, cette nouvelle forme d’impuissance à se penser dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Votre ligne Maginot industrielle en est le symbole. À quoi bon s’inquiéter des OPA quand, dans le même temps, vous dénationalisez EDF et GDF ? Que signifient ces refus systématiques de tout mariage européen, quand Américains, Canadiens ou Asiatiques viennent tranquillement faire leur marché dans l’Hexagone ? Votre patriotisme économique est une simple vision défensive qui fait le deuil de toute idée d’Europe industrielle. Elle est à l’opposé de l’esprit conquérant d’Airbus et d’EADS, d’Ariane, de Galileo, d’ITER, de tous ces programmes mondiaux que la France a fait sortir des coopérations européennes.

Le contresens est d’autant plus grave qu’il intervient au moment même où l’Union tente d’établir une stratégie commune pour sécuriser ses approvisionnements énergétiques, face à la pression politique de la Russie sur le gaz et à l’instabilité des pays du Golfe pour le pétrole. À refuser les partenariats industriels avec les Européens, vous risquez de conduire chaque État à défendre ses intérêts nationaux au détriment de la sécurité de tous.

Est-ce donc là votre patriotisme économique ? Se replier sous sa tente ? Renoncer à toute volonté d’orienter le cours de l’Europe ? Que veut dire une stratégie européenne de croissance, quand vous dites non à toute augmentation de son budget, quand vous vous opposez à toute réforme de ses priorités ? Le résultat, monsieur le ministre, c’est que l’enveloppe prévue pour les dépenses de croissance, de recherche et d’innovation est de moitié inférieure à ce qu’il aurait fallu consentir.

M. Yves Fromion. Et vous, qu’avez-vous fait ?

M. Jean-Marc Ayrault. Mais, pour réussir, la stratégie européenne passe par le redressement national. La plus grande faute de votre gouvernement est d’avoir raté la modernisation du pays, d’en avoir fait l’un des hommes malades de l’Europe.

M. René André. C’est vous qui l’avez plombé !

M. Jean-Marc Ayrault. Alors que l’Europe du Nord connaît l’expansion et le plein emploi, nous végétons dans la stagnation et le chômage de masse. Alors que les États du Nord ont massivement investi dans la recherche, l’éducation, la formation, les nouvelles technologies, vous n’avez cessé depuis quatre ans d’élaguer les crédits pour combler les déficits. Là où les États du Nord ont su passer avec leur peuple un contrat social qui marie sécurité et souplesse, vous avez livré le nôtre à une politique qui creuse les inégalités et la précarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Voilà pourquoi, mes chers collègues, la résurrection de l’Europe passe, dans notre pays, par un profond changement de politique.

M. Jean Marsaudon. Des mots !

M. Jean-Marc Ayrault. Votre gouvernement n’a plus ni l’assise intérieure ni le crédit extérieur pour impulser un quelconque sursaut. Il appartiendra au prochain – ou à la prochaine – Président de la République de remettre le pays en mouvement, de replacer la France et l’Europe sur les voies de la renaissance. Tel est l’essentiel du message des députés socialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Albertini, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Pierre Albertini. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, revenons un instant à l’Europe, puisque tel est l’objet de notre débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Le 23 et le 24 mars prochains, le Conseil européen traitera de sujets importants, même si les résultats risquent d’être en deçà de nos espérances. Il faut le rappeler, les Français, dans la diversité de leurs opinions, portent un jugement favorable sur l’Europe. Selon le dernier sondage Eurobaromètre, présenté le 15 mars − et non le 29 mai dernier −, 66 % d’entre eux considèrent que les pays de l’Union européenne possèdent « des valeurs communes qui les distinguent du reste du monde » et 75 % estiment que l’appartenance de la France à l’Union européenne « est une bonne chose ». (Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire regagnent l’hémicycle.)

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Nous revenons, puisqu’on parle de nouveau de l’Europe !

M. Pierre Albertini. Cette appréciation générale est évidemment plus contrastée lorsqu’on interroge nos concitoyens par thèmes d’action. Pour ne citer que deux exemples opposés, ils jugent favorablement l’action européenne en matière de protection de l’environnement et défavorablement celle en matière de lutte contre le chômage.

Ce sondage démontre une fois de plus que les actions européennes, lorsqu’elles sont expliquées et s’inscrivent dans la réalité quotidienne, reçoivent un très large appui. Il indique également que nos concitoyens ne désespèrent pas de voir l’Europe aller au-delà de ces timides avancées qui marquent le concert européen depuis quelques années. Il y a d’ailleurs fort à parier que le Conseil des 23 et 24 mars ressemblera aux précédents. Faute d’institutions claires, faute de frontières définies, le projet européen a tendance à se diluer dans un catalogue de bonnes intentions, incapables de transcender l’égoïsme des États et celui des groupes d’intérêts.

Il faut d’ailleurs bien reconnaître que nous avons atteint les limites de la stratégie des petits pas. Ce n’est plus de petits pas que l’Europe a besoin, mais de grands pas, pour affirmer la constance, la cohérence de son projet politique, c’est-à-dire son organisation, son développement et son indépendance. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Parmi les sujets mis à l’ordre du jour du Conseil européen par la Présidence autrichienne, figurent deux questions importantes : d’une part, la « stratégie de Lisbonne » et les initiatives prises pour la relancer ; d’autre part, la définition d’une nouvelle politique de l’énergie.

Qu’a-t-on décidé à Lisbonne le 24 mars 2000 ? Les dirigeants européens, conscients des bouleversements provoqués par la globalisation de l’économie, ont mis en place une stratégie visant à préparer la transition vers une société des savoirs, de l’information, de la recherche et du développement. Pour y parvenir, plusieurs axes ont été tracés : la mise en œuvre de réformes structurelles pour renforcer la compétitivité et l’innovation ; l’achèvement du marché intérieur ; la modernisation du modèle social européen, investissant dans les ressources humaines et luttant contre l’exclusion sociale.

Les conclusions du Conseil de Lisbonne fixaient un objectif ambitieux à l’Union, qui devait « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Qu’en est-il aujourd’hui ? La présidence luxembourgeoise notait à mi-parcours, l’année dernière, que « le bilan est à tout le moins mitigé. Trop d’objectifs, trop de priorités ont tué les priorités et dilué l’appropriation » de la stratégie de Lisbonne. La relance, décidée l’année dernière, tenait en quelques points stratégiques : une compétitivité renforcée ; une modernisation accrue de nos comportements et de nos politiques économiques ; une volonté retrouvée d’innover et de développer la recherche.

La France a-t-elle pris la mesure de ces engagements ? S’est-elle donné les moyens d’y parvenir ? De l’avis de beaucoup, hélas, le projet de loi de programme pour la recherche, que nous examinerons en dernière lecture jeudi prochain, reste très en deçà des ambitions affichées. Son principal mérite, d’ordre financier, ne permettra pas de combler notre retard car l’effort déployé est resté trop longtemps notoirement insuffisant. Comme le montre le tableau d’Eurostat, annexé aux pré-conclusions de ce sommet, la France ne consacre que 2,16 % de sa richesse nationale à la recherche-développement contre 3,5 %. pour la Finlande et 3,7 % pour la Suède.

Pour atteindre à notre tour l’objectif affiché de 3 % en 2010, il faudra encore améliorer substantiellement la situation des jeunes chercheurs, débrider la recherche universitaire, accroître l’autonomie des établissements et investir puissamment dans l’enseignement supérieur.

M. Maurice Leroy. Très juste !

M. Pierre Albertini. L’agenda de Lisbonne, c’est aussi la mise en œuvre d’une stratégie pour l’emploi. Mais là encore, le bilan à mi-parcours reste modeste. L’Union européenne n’a pas atteint son objectif intermédiaire qui était de parvenir à un taux d’emploi de 67 %.

Pour ce qui concerne la France, le jugement est plutôt médiocre. Notre programme national de réforme se heurte à des handicaps bien identifiés, qui ne sont hélas toujours pas surmontés : si la mise en œuvre des pôles de compétitivité est une bonne chose, il reste encore beaucoup à faire pour réduire notre dette et notre déficit public, et pour redresser notre balance commerciale.

Le chômage des moins de vingt-cinq ans est un problème commun à l’ensemble de l’Union européenne, où il est en moyenne deux fois plus élevé que celui de l’ensemble des actifs. La plupart de nos voisins ont mis l’accent sur la formation, sur le suivi personnalisé et sur les incitations financières pour les entreprises. Certes, nombre d’entre eux ont assoupli les règles de licenciement ou allongé les périodes d’essai, mais aucun n’a adopté un dispositif comparable au contrat première embauche, (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française)...

M. Gérard Bapt. Et voilà !

M. Pierre Albertini. ...dont le principal défaut est de confondre, avec le même outil, la situation des jeunes non qualifiés – ils sont 150 000 chaque année – et celle des diplômés de l’enseignement supérieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Jean Le Garrec. Très bien !

M. Pierre Albertini. Cela n’a pas empêché ces pays d’obtenir des résultats plus probants que les nôtres (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) – il faut avoir la modestie de le reconnaître.

Autre sujet ambitieux : la politique énergétique. Comment assurer la sécurisation de notre approvisionnement et la diversification de nos ressources en énergie ? Comment mieux promouvoir les économies d’énergie et les énergies renouvelables, bref le développement durable ?

Dans ce domaine crucial, rien ne serait pire, là aussi, que de raisonner dans un cadre exclusivement hexagonal et de spéculer sur la notion de « patriotisme économique », dont la réelle portée reste à définir. Si la constitution de grands groupes a un sens en matière d’énergie, c’est bien entendu à l’échelle de l’Europe tout entière et non d’un seul pays.

Faut-il rappeler que les premiers pas vers la construction européenne ont été accomplis, dans les années 50, grâce à la mise en commun, précisément, des ressources énergétiques, c’est-à-dire, à l’époque, du charbon et de l’acier, puis de l’énergie atomique ? On a depuis, hélas, oublié ce que l’on devait aux pères fondateurs !

M. Maurice Leroy. Eh oui !

M. Pierre Albertini. Nous sommes bien loin des objectifs fixés par le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, adopté par la Convention européenne en 2003 : régulation du marché, sécurité de l’approvisionnement, promotion des énergies renouvelables et des économies d’énergie. Lutter contre cette carence suppose d’ouvrir un dialogue, empreint de fermeté, avec la Russie, premier exportateur de gaz et deuxième exportateur de pétrole au monde.

La question de l’énergie m’amène également à porter un jugement sur les décisions que nous prenons au niveau national : je pense en particulier aux biocarburants. Dans ce domaine, la France accuse un retard : en tête des pays européens il y a vingt ans, elle n’est aujourd’hui qu’en troisième position, assez loin derrière l’Allemagne et l’Espagne.

M. Jean Glavany. Parlez-en à Bercy !

M. Pierre Albertini. En 2005, notre pays n’a incorporé que 0,8 % de biocarburants, alors que la directive européenne fixait un objectif de 1,2 %. Pourquoi de tels blocages ? Espérons que l’Europe sera un accélérateur qui nous libérera de notre excessive prudence.

Je ne terminerai pas sans évoquer la directive sur les services, que le Parlement européen a récemment adoptée après l’avoir grandement améliorée. Notre collègue Anne-Marie Comparini (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française) a déjà donné la position de notre groupe sur ce point lors de l’examen de la proposition de résolution présentée par le groupe communiste.

M. Maurice Leroy. Dans notre groupe, c’est la Journée de la femme toutes les semaines ! (Sourires.)

M. Pierre Albertini. Ce projet de directive a été le sujet principal du référendum du 29 mai 2005 et le principal ferment du non français. Le texte adopté par le Parlement est désormais un document équilibré (Murmures sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) entre la liberté du développement économique et le respect du droit du travail et des droits des consommateurs. L’intégration des services dans le marché unique est une condition de la croissance européenne. L’abandon du principe du pays d’origine, un champ d’application plus clair : voilà les avancées décisives obtenues par le Parlement européen.

M. le président. Monsieur Albertini, je vous prie de conclure.

M. Pierre Albertini. Je termine, monsieur le président.

Certes, des ambiguïtés persistent. Certes, les pré-conclusions du Conseil invitent la Commission à présenter un texte amendé, « tenant compte » simplement de la discussion au Parlement. Souhaitons que la Commission européenne n’oublie pas les avancées réalisées au sein du Parlement européen. Cette voix a permis de corriger le tir, mais tout danger n’est pas écarté.

La prochaine réunion du Conseil n’aboutira pas à des résultats spectaculaires. Il s’agira sans doute d’une réunion de routine, certes utile, mais dont la portée restera mineure.

Après cette année 2005, formons le vœu que l’Europe se dote enfin du projet et des institutions dont elle a besoin...

M. Jean Glavany. Parlez-en à Chirac !

M. Pierre Albertini. ...pour être un espace de paix, de liberté, de prospérité et de stabilité dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères.

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, l’initiative prise par le Gouvernement d’organiser un débat avant chaque Conseil européen...

M. Alain Néri. Est malvenue aujourd’hui !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. ...est un premier pas vers une association plus étroite du Parlement aux questions européennes, qui ne peuvent plus être séparées de notre politique intérieure.

J’évoquerai trois sujets, dont deux doivent être examinés lors de la prochaine réunion du Conseil :...

M. Patrick Lemasle. Le CPE !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. ...la relance de la croissance en Europe, la politique énergétique et, enfin,...

M. Alain Néri. Le CPE !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. ...les négociations d’adhésion.

L’Union européenne, tout d’abord, connaît un problème de croissance économique. On évoque souvent, avec inquiétude, celle de la Chine ou de l’Inde : nous ne devons pas craindre le développement économique de ces pays, qui seront aussi et qui sont déjà des marchés pour nos industries.

La stratégie de Lisbonne, dont nous avons tiré un premier bilan l’an passé, n’a pas donné les fruits attendus.

M. Jean Glavany. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Il est pourtant essentiel de faire de l’Europe un centre de recherche et de développement des technologies les plus avancées pour renforcer notre compétitivité. À cet effet, il faut mettre en place des politiques économiques concertées. La France doit prendre des initiatives en ce domaine, et je souhaite que le Gouvernement étudie les moyens de stimuler la croissance en Europe. Comment ?

J’ai proposé de réfléchir à une meilleure coordination des politiques fiscales et des prélèvements sociaux au sein de la zone euro, et peut-être au-delà – c’est ce que j’ai appelé le « serpent fiscal et social ». Je m’en suis entretenu dernièrement avec M. le ministre de l’économie et des finances qui m’a dit être décidé à faire étudier la possibilité technique de cette proposition.

M. Jean Glavany. Voilà qui a dû vous rassurer !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Le Gouvernement est-il en mesure de faire des propositions en ce sens, afin d’assurer une meilleure coordination des prélèvements sociaux et fiscaux au sein de la zone euro ?

Deuxième question : la politique énergétique. La commission des affaires étrangères s’est saisie de cette question en constituant une mission d’information présidée par M. Paul Quilès et dont le rapporteur est M. Jean-Jacques Guillet.

À la suite du mémorandum français Pour la relance de la politique énergétique européenne, présenté le 24 janvier dernier, la Commission vient, quant à elle, de publier un Livre vert qui contient des propositions intéressantes. Je pense à celle d’un plan stratégique européen pour la recherche sur les technologies de l’énergie, grâce, peut-être, à un prélèvement financier sur les entreprises du secteur énergétique. Quels projets concrets le Gouvernement entend-il proposer à nos partenaires pour parvenir à ces fins ?

De même, s’agissant de l’achèvement du marché intérieur du gaz et de l’électricité, comment favoriser l’émergence de grands groupes européens de l’énergie – nationaux ou multinationaux, selon le cas et en fonction de l’intérêt général – de taille suffisante pour défendre la sécurité énergétique de l’Europe dans les négociations avec les États et les entreprises productrices ?

J’évoquerai enfin l’élargissement, pour me réjouir que certaines idées progressent. La coopération est excellente entre le Gouvernement et notre commission, qui a constitué un groupe, présidé par M. Hervé de Charette,...

M. Patrick Lemasle. Il est contre le CPE, lui !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. ...chargé de suivre les négociations d’adhésion de la Turquie et composé de représentants de toutes tendances. Le Gouvernement peut-il nous indiquer sur quels points la négociation rencontre aujourd’hui des difficultés ? Je pense notamment au chapitre sur l’éducation, que la Commission européenne envisage, semble-t-il, d’ouvrir à la négociation.

Le Parlement européen, si j’en crois les résolutions votées récemment, n’exclut plus la remise en question du processus d’adhésion en cours, estimant que « les pays vivant dans la perspective de l’adhésion peuvent, s’ils le souhaitent, rejoindre un cadre multilatéral en guise d’étape intermédiaire ». C’est exactement la position que nous défendons depuis plusieurs mois ; elle conduit à offrir aux pays candidats la perspective d’une association étroite qui peut être ou non une étape vers l’adhésion.

Enfin, certains parlementaires allemands et français, réunis à l’initiative du président Lequiller, considèrent que la capacité d’absorption de l’Union est désormais la condition essentielle à son élargissement. Ils estiment qu’il est d’intérêt mutuel d’instituer une coopération avec les pays voisins de l’Union, cette coopération pouvant prendre d’autres formes que l’adhésion pure et simple.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Quelle est la position du Gouvernement à ce sujet ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Pour éviter de reprendre la discussion sur la réforme des institutions – qui pose quelques problèmes en ce moment –, on évoque, afin de relancer la construction de l’Union, l’Europe des projets. Je ne crois pas que l’on puisse distinguer les deux questions. Nous constaterons du reste très vite qu’il est très difficile à l’Union de bâtir de projets concrets, en matière énergétique par exemple, sans une réforme des institutions qui permette des décisions rapides et efficaces.

L’Europe des projets n’est pas, selon moi, le substitut à la réforme des institutions. C’est pourquoi je souhaite que le Gouvernement, en accord avec notre assemblée, veuille bien mettre cette réforme à l’étude puisque la question sera discutée non pas dans quelques jours mais au Conseil du mois de juin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Maurice Leroy. Au moins aurons-nous entendu un Premier ministre aujourd’hui…

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais d’abord me féliciter de l’inscription à l’ordre du jour de ce débat sur l’Europe.

M. Jean Glavany. Et de sa qualité…

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne. C’est un débat que nous avons tous réclamé : le président de la commission des affaires étrangères, M. Balladur, et moi-même, mais aussi le président Debré et l’ensemble des membres de la Conférence des présidents, dont vous-même, monsieur Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Et alors ?

M. Albert Facon. Où est le Premier ministre ?

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne. Je trouve donc regrettable que vous ayez saisi cette occasion pour vous livrer à une diatribe purement franco-française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Monsieur Lequiller, vous êtes de mauvaise foi !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne. Je souhaite que nous puissions continuer de parler ainsi de l’Europe avant chaque Conseil européen.

Selon un Eurobaromètre récent, auquel M. Albertini a fait allusion, les Français sont très satisfaits d’appartenir à l’Union européenne, mais ils lui reprochent d’être éloignée de leurs préoccupations quotidiennes et lui attribuent des effets négatifs sur l’emploi. Le Conseil européen de printemps des 23 et 24 mars porte précisément sur la croissance et l’emploi.

M. Alain Néri. Sur le CPE ?

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne. Premier thème de ce Conseil : l’énergie, enjeu majeur d’aujourd’hui et de demain.

Les hausses récentes des prix du gaz, du fioul, de l’essence, la crise entre la Russie et l’Ukraine, la montée fulgurante de la consommation de la Chine montrent la nécessité d’adopter une véritable politique européenne en ce domaine. Tous les partenaires européens que j’ai pu rencontrer, à Vienne ou à Lisbonne, à Varsovie ou à Prague, ont bien conscience de cette priorité, et le dernier Livre vert de la Commission européenne, auquel M. Balladur a fait référence, en souligne toute l’importance. À quand une politique étrangère et commerciale à l’appui de la politique énergétique ? Un cadre commun au moins est nécessaire pour négocier d’une même voix avec les pays fournisseurs comme la Russie, pour agir ensemble en cas de menaces sur les approvisionnements et pour accroître la diversification de nos sources énergétiques. Comment la proposition française sur la programmation pluriannuelle des investissements contenue dans le mémorandum est-elle reçue ?

Ensuite, la recherche et l’innovation.

Pour faire face aux défis de la mondialisation, les États membres doivent appliquer véritablement la stratégie révisée de Lisbonne. Je félicite le Gouvernement d’avoir proposé le recours à la Banque européenne d’investissement, avec d’ailleurs le soutien du Conseil européen. Mais à quand l’Institut européen de technologie proposé par la Commission ?

Les programmes franco-allemands dans le domaine du multimédia, de l’imagerie médicale ou encore de la biologie moléculaire, qui sont soutenus par l’Agence de l’innovation industrielle initiée par Jean-Louis Beffa, que notre délégation a auditionné, sont particulièrement prometteurs. Nos homologues allemands, que nous avons reçus la semaine dernière, nous en ont dit le plus grand bien.

En matière sociale, il est nécessaire de faire aboutir, d’une part, le fonds d’ajustement à la mondialisation pour venir en aide aux salariés victimes des délocalisations, nouvelle initiative positive de l’Europe ; d’autre part, le projet de directive sur les services. Ce projet qui, après un profond remaniement, a été adopté au Parlement européen par un vote transpartisan PPE-PSE, à l’exception notable des députés européens socialistes français (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) est une chance pour la France, grande exportatrice de services, ce qui justifie les votes de la délégation, de la commission des affaires économiques et de l’Assemblée mardi dernier.

M. Pierre Cohen. Vous avez capitulé !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour que les garanties obtenues soient préservées et les clarifications indispensables apportées.

Enfin, je reste convaincu que l’existence d’une citoyenneté européenne ne peut passer que par l’éducation et la culture, comme le Premier ministre l’a souligné à Berlin.

Cela suppose l’extension d’Erasmus, la création d’universités et de lycées européens, la mise en place d’une carte jeune quinze – vingt-cinq ans pour favoriser la mobilité des jeunes à travers toute l’Union. Je m’inquiète à ce propos de l’insuffisance des crédits européens destinés à la jeunesse dans le budget 2007-2013, comme je l’avais déjà indiqué dans cet hémicycle devant le Président Barroso.

Je n’ai pas abordé le cadre institutionnel, qui est à l’ordre du jour du Conseil européen de juin, ni le thème de l’élargissement, mais j’espère que ces questions seront traitées à la veille de ce Conseil dans cet hémicycle car les politiques européennes, dont je souhaite ardemment le développement, ne pourront être effectives que si on améliore la prise de décision. La réforme devra être mise en place dès l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie, et avant tout autre élargissement. Une pause est nécessaire pour pouvoir réaliser l’approfondissement.

En attendant, nous connaissons la détermination du Gouvernement et nous attendons du Conseil européen des actes qui redonnent confiance aux citoyens. L’Europe est plus que jamais une grande idée dans un monde multipolaire, avec la montée de la Chine, de l’Inde, du Brésil. Le rival, madame Buffet, ce n’est pas « le plombier polonais », ce slogan qui a insulté nos partenaires et qui est xénophobe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Gilbert Biessy. Vous êtes malhonnête !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne. Le rival, ce sont ces nouvelles puissances d’Asie et d’Amérique. Dans ce monde multipolaire, il faudra bien construire l’Europe politique, une Europe qui, comme le dit le poète portugais Pessoa, « parle dans toutes ses langues d’une même voix ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.

Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la délégation pour l’Union européenne, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi d’abord de vous remercier de l’intérêt croissant que vous portez aux enjeux européens, qui jouent un rôle de plus en plus grand dans la vie quotidienne des Françaises et des Français. Je veux également vous redire avec force que le Gouvernement a besoin de votre soutien pour son action en Europe.

« Où est passée l’Europe ? » avez-vous demandé, monsieur le président Ayrault. On pouvait en effet se demander où était passée l’Europe dans votre discours.

M. François Liberti. Et où est passé le Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Depuis le mois de juin, un débat public se tient sur l’Europe avant chaque Conseil européen. Les citoyens auraient aimé vous entendre davantage sur ce sujet et connaître vos propositions. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Néri. Le retrait du CPE !

M. Jean Glavany. La polémique vous va mal, madame la ministre ! Arrêtez !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Mais l’Europe est là. Comme Philippe Douste-Blazy vous l’a indiqué, le Conseil européen de printemps est traditionnellement consacré aux sujets économiques et sociaux, dont il me paraît inutile de souligner, après lui, l’importance. Nous entendons saisir cette occasion pour progresser dans la mise en œuvre de la stratégie de croissance, d’emploi et de développement durable dont s’est dotée l’Europe. Cette stratégie dite de Lisbonne est la bonne.

M. Jacques Desallangre. À vos yeux !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Elle doit toutefois être appliquée de façon plus volontariste, avec des objectifs et des calendriers précis chaque fois que cela est possible. Je souhaite, dans cet esprit, revenir sur les points qui sont à l’ordre du jour et sur lesquels vos interventions ont porté.

En premier lieu, l’énergie.

M. Alain Néri. C’est elle qui manque !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Il s’agira en effet d’un des thèmes principaux de ce Conseil européen. Il sera abordé pour la première fois d’une façon globale et non plus seulement sous l’angle du marché, madame Buffet. Ce sujet d’avenir avait d’ailleurs été retenu à notre demande en octobre 2005 au Conseil européen informel de Hampton Court.

Comme vous le savez, le gouvernement français a présenté à ses partenaires un mémorandum sur l’énergie fin janvier, dont la Commission s’est très sensiblement inspirée dans son Livre vert paru début mars, qui sera évoqué en très grande partie au Conseil européen.

Le texte soumis à l’approbation du Conseil européen prévoit ainsi que la Commission présentera régulièrement, dès 2007, un examen stratégique annuel sur l’énergie.

M. Jacques Desallangre. On est sauvés !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Le texte identifie également les mesures à prendre dans un premier temps, telles que le plan d’action sur l’efficacité énergétique, un plan d’interconnexion ou le renforcement du dialogue Union européenne – Russie, pour que cette dernière ratifie la charte de l’énergie. Cela permettra de jeter les premières bases d’une politique européenne de l’énergie.

M. Jacques Desallangre. Ce sont les grands groupes qui en décideront, pas vous !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. La France est prête à aller plus loin et il faudra aller plus loin.

Par exemple en matière de programmation des investissements, de relations extérieures, de développement des différentes sources d’énergie, sans exclure le nucléaire, ou de maîtrise de la demande énergétique.

C’est dans cet esprit que nous avions transmis à nos partenaires le mémorandum que j’évoquais il y a un instant, et le Président de la République ne manquera pas d’en rappeler la teneur au cours de ce Conseil européen et d’appeler à une politique européenne de l’énergie ambitieuse. Je sais, monsieur le président Balladur, que cela va dans le sens de vos préoccupations.

Les attentes sont considérables, comme l’a montré le dernier sondage Eurobaromètre que vous évoquiez, monsieur Albertini, sondage qui révèle que près de 76 % des personnes interrogées se prononcent en faveur d’une action européenne en matière d’énergie.

Nous considérons donc ce Conseil européen comme un point de départ plutôt que d’arrivée. Nous devrons poursuivre nos efforts pour mettre progressivement en place une vraie politique européenne de l’énergie.

M. Jacques Desallangre. Commencez déjà par la France !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Cette politique est nécessaire et elle est possible si nous savons faire dans les années qui viennent ce que nous avons su faire dans le passé pour le charbon et l’acier.

J’en viens à présent aux questions de croissance et d’emploi, évoquées par chacun d’entre vous.

Avec la stratégie de Lisbonne, l’Europe s’est mobilisée davantage sur la croissance et l’emploi, et c’est une évolution positive car il s’agit bien sûr de la préoccupation majeure de nos concitoyens. Cette année, nous innovons puisque chaque État membre a dû se doter d’un programme national de réforme détaillant les mesures qu’il prend pour être plus efficace.

M. Jacques Desallangre. On attend de voir !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Nous sommes prêts à parler de ces programmes avec nos partenaires et à comparer nos réformes, car les enjeux sont en vérité les mêmes pour tous : la mondialisation, le vieillissement démographique, les progrès technologiques constants. Il ne s’agit pas d’entrer dans des débats stériles opposant tel modèle à tel autre, mais de voir ce qui marche et de s’en inspirer si possible avec pragmatisme et dans le meilleur esprit européen.

M. Jacques Desallangre. Ça marche pour qui ?

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Le projet de conclusions de la présidence évoque ainsi la thématique de l’emploi avec quelques objectifs généraux : créer deux millions d’emplois chaque année au niveau européen d’ici à 2010, permettre à tout jeune d’entrer rapidement sur le marché du travail, adopter un pacte européen pour l’égalité des sexes.

Le projet prévoit également la mise en place du fonds d’ajustement à la mondialisation, dont les principes ont été arrêtés par le Conseil européen de décembre dernier et qui doit permettre d’aider à faire face au choc des délocalisations vers les pays tiers.

M. Jean Glavany. Quel souffle, quel enthousiasme, quel punch ! On sent un grand projet européen !

M. Jacques Desallangre. Avec une grande force de conviction !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Il évoque aussi la recherche et l’innovation, notamment avec la création d’une facilité financière de 10 milliards d’euros gérée par la Banque européenne d’investissement, création que nous souhaitons la plus rapide possible, ou avec la mise en place du futur Institut européen de technologie, que nous appelons également de nos vœux.

L’accent est également mis dans ce projet de conclusions sur les petites et moyennes entreprises, très créatrices d’emplois, avec l’objectif de réduire à une semaine le temps nécessaire pour créer une PME.

Il est évident que l’emploi ne se décrète pas et que le chiffrage ne suffit pas. Pourtant, chacun sait que les objectifs chiffrés ont leur utilité pour guider l’action des États. Concentrons-nous sur ces objectifs concrets plutôt que de nous disperser dans des débats un peu théoriques. La France, comme les autres pays européens, et parfois plus qu’eux, est un pays ouvert au commerce et à l’investissement. C’est la troisième terre d’accueil des investissements étrangers au monde, la première en Europe continentale, et le quatrième exportateur mondial de services. Elle n’est donc ni protectionniste ni repliée sur elle-même, n’en déplaise à certains donneurs de leçons, la réalité le prouve.

J’en viens à la proposition de directive sur les services, évoquée également pas plusieurs d’entre vous. Vous avez mentionné le vote du Parlement européen intervenu le 16 février dernier. Aux yeux du Gouvernement, le Conseil européen doit saluer ce vote car le Parlement a pris en compte les préoccupations que nous avions exprimées.

M. François Liberti. Oh ! quelle honte !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Le principe du pays d’origine est supprimé, les services publics ainsi que les secteurs sensibles sont préservés, et surtout le dumping social est écarté : c’est le droit du travail français qui s’appliquera en France, comme il se doit évidemment. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Desallangre. Vous n’y croyez pas vous-même !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire devant la représentation nationale, la proposition initiale de la Commission, qui avait suscité notre opposition, est définitivement derrière nous.

M. Alain Néri. On est au bord du gouffre et vous faites un pas en avant !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. L’équilibre et la force du vote du 16 février, acquis à près de 400 voix contre 200, c’est une réalité politique qui doit être respectée.

M. Jacques Desallangre. Comme le vote du peuple français le 29 mai !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Nous attendons donc maintenant de la Commission qu’elle fasse une nouvelle proposition qui tienne le plus grand compte de ce vote. Nous serons très vigilants sur ce point. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Le Parlement européen également, je n’en doute pas, puisqu’il s’agit d’un sujet qui relève de la codécision, sur lequel il aura donc à se prononcer de nouveau.

J’en viens enfin au budget de l’Union européenne, évoqué par M. Laffineur et M. Lequiller, notamment sous l’angle des perspectives financières et du futur accord inter-institutionnel. L’équilibre de l’accord du 16 décembre 2005 doit être respecté. Cet accord permet de doter l’Europe d’un budget en augmentation de plus de 50 milliards d’euros sur la période, crédits notamment destinés aux programmes les plus importants : recherche-développement, réseau transeuropéen, programmes Erasmus et Leonardo – dont nous souhaitons voir doubler le nombre des bénéficiaires d’ici à 2013, ce qui est possible, et je remercie M. Lequiller de son soutien –, mais aussi relations extérieures, en particulier avec le développement d’instruments de voisinage pour les pays méditerranéens.

Au total, ce Conseil européen sera une première étape permettant d’engager plusieurs actions que nous jugeons essentielles pour avancer dans la voie de l’Europe des projets, indispensable pour montrer concrètement à nos concitoyens ce que l’Europe leur apporte.

Il faudra d’autres étapes, comme vous l’a dit Philippe Douste-Blazy, et c’est la raison pour laquelle le Président de la République et le Premier ministre ont fait des actions concrètes de l’Union la priorité de leur politique européenne. Gouvernance économique, innovation, recherche, énergie, sécurité, défense : dans tous ces domaines, l’Europe doit retrouver sa capacité d’impulsion et d’action pour répondre aux attentes des citoyens.

Au-delà, nous devrons aussi nous atteler aux questions qui touchent à l’avenir de l’Union européenne, à commencer par celle de l’élargissement et celle des institutions. Ces questions seront abordées lors du Conseil européen de juin et ne sont pas à l’ordre du jour de celui de cette semaine. Nous aurons donc l’occasion de faire des propositions et de vous en reparler dans les mois qui viennent. C’est d’ailleurs à la demande de la France que le Conseil aura un débat sur la stratégie d’élargissement.

Toutefois, la présidence a souhaité que les ministres commencent à préparer informellement ces débats en marge du Conseil de printemps, dès jeudi soir. Sur le fond, Philippe Douste-Blazy vous a fait part de nos réflexions en la matière.

M. Jacques Desallangre. Quel souffle !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. L’Europe se construit pas à pas, vous le savez. Quelles que soient les difficultés, la France est déterminée à aller de l’avant et à recréer les conditions d’une action plus résolue de cette Europe qui est non seulement notre présent, mais aussi notre avenir.

M. Jacques Desallangre. Nous sommes au bord du gouffre !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Soyons donc lucides : les doutes et les incertitudes demeurent, et seule la preuve par l’action les lèvera. C’est bien ce que notre pays veut faire.

Un élément nous incite à l’optimisme : selon l’étude à laquelle je me référais il y a un instant, trois Français sur quatre jugent positivement l’appartenance de leur pays à l’Union européenne. A nous de leur montrer qu’ils ont raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Le débat est clos.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Maurice Leroy.)

PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

DROIT D’AUTEUR
dans la société de l’information

Explications de vote et vote
sur l’ensemble d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (nos 1206, 2349).

La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Au terme de la discussion des articles de ce projet de loi, je tiens, au nom du Gouvernement, à vous remercier, monsieur le président, pour la façon dont vous avez conduit nos débats, et je vous prie de transmettre mes remerciements au président de l’Assemblée nationale ainsi qu’à l’ensemble de vos collègues vice-présidents qui se sont succédé au perchoir tout au long des dix-huit séances publiques que l’Assemblée nationale a consacrées à l’examen de ce texte.

Je tiens également à remercier M. le rapporteur, M. le président et les vice-présidents de la commission des lois, qui ont remarquablement accompli leur tâche, ainsi que l’ensemble des députés qui ont pris part à cette discussion où chacune et chacun d’entre vous a pu s’exprimer, exposer ses arguments et ses propositions en utilisant tout le temps du débat parlementaire pour délibérer, réfléchir, interroger, analyser, prendre position et voter.

Ce débat parlementaire est aussi un grand débat de société, le premier sans doute à avoir été autant suivi en direct sur Internet. Réconcilier auteurs et créateurs avec la toute nouvelle technologie qu’est Internet constitue un défi que peu avant nous ont accepté de relever.

Nous avons accompli des avancées considérables, bien au-delà de ce qu’imposait la transposition de la directive européenne. C’est pourquoi notre débat a été long, parfois difficile, souvent constructif et enrichissant, toujours passionné. Après le vote du mois de décembre, il était nécessaire de clarifier le texte qui vous était proposé. Nous l’avons fait et vous avez accueilli favorablement nos propositions. Les enjeux de ce texte pour la création comme pour notre société méritaient ce débat approfondi. Nous pouvons collectivement être fiers du résultat auquel nous sommes parvenus. Aujourd’hui, le projet de loi tel qu’il a été élaboré, enrichi des apports des uns et des autres, est un texte d’équilibre tourné vers l’avenir, un texte qui permet l’avènement d’un Internet équitable.

Les débats ont été vifs, notamment au sujet de la licence globale, mais ils ont permis à des consensus d’émerger. Je pense en particulier à l’adoption, à l’unanimité, de l’amendement assurant que "l’auteur est libre de choisir le mode de rémunération et de diffusion de ses œuvres ou de les mettre gratuitement à la disposition du public", principe qui replace le créateur au centre de notre débat, et c’est légitime. Je suis convaincu que la sécurité juridique offerte par ce texte permettra à une offre nouvelle de naître et de croître. Les musiciens, les cinéastes, les jeunes talents qui se lancent dans une carrière artistique, comme les plus confirmés, l’ensemble des auteurs et des créateurs, pourront diffuser et faire rayonner leurs œuvres grâce à Internet.

En adoptant ce projet de loi, vous ferez œuvre utile en créant les conditions pour que se développe une offre légale, de qualité, diversifiée, sécurisée et à des prix raisonnables. Ce texte prépare le passage d’un modèle culturel, économique et social à un autre, dans le respect des évolutions technologiques que nous savons rapides, dans le respect de la pérennité et de la diversité de la création, et de l’exception culturelle française.

Ce projet garantit aussi l’équilibre économique et l’avenir de la création française ; il est en effet de notre devoir de protéger notre potentiel culturel exceptionnel. Il crée en même temps pour le public un droit à l’exception de copie privée, qui n’était pas formulé comme tel jusqu’à présent.

Le texte auquel nous avons abouti est un texte de liberté et de responsabilité. Un internaute qui télécharge illégalement de la musique ou un film sur Internet pour son usage personnel ne risquera plus la prison.

Mme Christine Boutin. Heureusement !

M. le ministre de la culture et de la communication. Désormais, la frontière entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas est très clairement délimitée, et délimitée par la loi, c’est-à-dire par la représentation nationale. Des sanctions proportionnées et graduées, dans le respect absolu de la personne et de la vie privée, ne ciblent pas les simples internautes, mais se concentrent sur la répression de l’offre illégale.

Le texte qui ressort de vos travaux garantit la neutralité technologique et préserve l’avenir du logiciel libre. Il garantit aussi l’interopérabilité, c’est-à-dire la liberté pour l’internaute de lire une œuvre acquise légalement sur tout type de support.

Ces avancées considérables vont bien au-delà de ce qu’imposait la simple transposition de la directive européenne.

Le texte que je vous demande de voter permet, enfin, d’incorporer dans notre législation cet autre droit d’auteur, le droit de suite, en veillant aux intérêts des artistes et des professionnels, ainsi qu’à la fluidité du marché de l’art.

Élaborée au terme d’un débat long et approfondi, ouvert et transparent, la loi sera évaluée au bout d’un an et j’en ferai rapport au Parlement.

M. Alain Néri. Vous ne serez plus là !

M. le ministre de la culture et de la communication. En l’adoptant, vous permettrez aux créateurs de l’ère numérique de vivre de leurs talents. Vous permettrez de tourner la page du temps où n’existait qu’une offre illégale et d’écrire une nouvelle page où s’épanouira une offre légale attractive, pour construire un Internet équitable, respectueux des talents, des droits et des devoirs de chacun. Je vous remercie du vote positif que vous allez émettre. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici enfin arrivés au terme d’un débat passionné et passionnant. Passion de longue durée pour le rapporteur de la commission des lois, puisque ce texte a été déposé en novembre 2003 afin de transposer une directive du 22 mai 2001, et qu’il a été inscrit une première fois à l’ordre du jour en juin de la dernière session, avant d’être finalement reporté en décembre 2005.

M. Patrick Bloche. Quel aveu !

M. Christian Vanneste, rapporteur. J’ai procédé à une cinquantaine d’auditions avec plus d’une centaine d’interlocuteurs et je tiens à remercier les services de l’Assemblée qui ont accompagné cette longue gestation.

Ce débat tenait du paradoxe : un texte modeste en apparence, la transposition d’une directive européenne, à quoi l’on avait ajouté quelques dispositions internes. Mais un texte destiné à adapter la loi à l’évolution des techniques, tâche redoutable et d’autant plus redoutable qu’il s’agit ici d’une révolution : la révolution numérique qui emporte non seulement les frontières entre les pays, mais aussi les frontières entre les médias.

Cette transposition à la suite des traités de l’OMPI offrait elle-même un second paradoxe : la possibilité d’un retour à la conception la plus française du droit d’auteur grâce aux nouvelles technologies. La directive européenne nous invitait en effet à garantir juridiquement les protections techniques destinées elles-mêmes à sauvegarder les droits d’auteur et droits voisins. Le choix de l’exception pour les personnes handicapées, de même que la réaffirmation du droit à l’exception pour copie privée indiquent bien la dimension personnaliste du texte qui vous est proposé.

La recherche de l’équilibre a été au cœur de nos débats et a pleinement profité de leurs rebondissements, dont le ministre de la culture a su tirer le meilleur parti grâce à son sens du dialogue. C’est l’équilibre entre la liberté des artistes et celle des internautes. C’est l’affirmation de l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers. Dans cet esprit, nos débats nous ont amenés à garantir le développement du logiciel libre et l’interopérabilité, à mieux proportionner les sanctions liées aux téléchargements illicites, à favoriser l’information la plus transparente pour les consommateurs.

Cette recherche d’équilibre entre intérêts particuliers au profit de l’intérêt général, partagée je crois par tous les participants à nos nombreuses séances, nous a conduits à quelques rares moments d’unanimité : sur l’interopérabilité au cours de la seconde délibération de l’article 7, qui a permis de nous rassembler, ou sur les exceptions pour copie privée en faveur des bibliothèques notamment.

Il n’en demeure pas moins que les points d’accord avec nos collègues de l’opposition sont restés limités. Je crois que le débat a pu mettre en lumière deux conceptions de la culture à l’ère numérique. Deux conceptions dont la frontière ne passe d’ailleurs pas entre les partis politiques.

Sur le fond tout d’abord, il s’agit non pas d’un texte empêchant les internautes de télécharger des contenus culturels, mais d’un texte favorisant le téléchargement licite respectant les droits des auteurs. La copie privée est inscrite dans la loi, mais elle ne se confond évidemment pas avec le téléchargement. La directive européenne était très claire à ce sujet.

Les sanctions appliquées aux téléchargements illicites à des fins personnelles et non commerciales relèveront du régime des contraventions de première et deuxième classe, c’est-à-dire d’une peine très faible au regard du quantum actuel qui est, je le rappelle, de 300 000 euros.

Par ailleurs, ce texte réalise des avancées concrètes, pratiques et attendues. Dire le contraire serait faire peu de cas de tous ceux qui attendent avec impatience l’entrée en vigueur de ce projet de loi : des associations de personnes handicapées, désireuses de bénéficier des exceptions au droit exclusif de reproduction, aux agents publics publiant des œuvres de l’esprit.

Sur la forme, ensuite, beaucoup de questions de procédure ont ralenti nos débats et leur ont parfois donné une apparence décousue. Cependant, le Gouvernement a eu raison de donner un peu de temps à la réflexion et à la concertation démocratique avant de reprendre les débats. Grâce à ce délai supplémentaire, nous avons pu trouver des aménagements susceptibles de rééquilibrer la version initiale du projet tant en ce qui concerne les garanties de l’exercice du droit à la copie privée sur Internet qu’en ce qui concerne la modulation de la gravité des sanctions prévues à l’encontre des contrevenants au droit d’auteur et aux droits voisins.

Au terme d’un dialogue fructueux et d’une écoute particulière du Gouvernement sur ces questions, nous sommes parvenus, je crois, à de bonnes solutions, à des dispositions d’avenir. La France, si elle est l’un des derniers États de l’Union européenne à transposer la directive de 2001, deviendra malgré tout exemplaire dans la conciliation des droits d’auteur avec le développement d’Internet. Elle pourra également, et c’est l’essentiel, sauvegarder une industrie culturelle exceptionnelle qui génère 250 000 emplois.

Mes chers collègues, le texte qui est soumis à votre vote solennel répond à un véritable enjeu de société. Il comporte d’indéniables avancées. Je vous appelle sans réserve à le voter. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la rencontre entre la création artistique et les nouvelles technologies de l’information est un choc majeur. Ce choc présente à l’évidence des dangers pour le monde de la création, dangers incarnés par la pratique de masse du téléchargement illégal.

Ce choc présente aussi de formidables perspectives, d’abord pour les créateurs eux-mêmes, capables d’être en relation beaucoup plus facilement avec d’immenses publics. Mais c’est aussi une formidable perspective démocratique permettant une diffusion à une échelle jamais envisagée et à des prix sans cesse plus bas. La culture ayant souvent constitué un des privilèges d’élites réduites, qui ne voit la révolution démocratique que permet l’arrivée d’Internet comme média majeur ?

Dans ce débat, l’UDF a poursuivi deux objectifs politiques : d’une part, stimuler la création artistique et inventer pour elle de nouveaux modèles de rémunération ; d’autre part, permettre au plus grand nombre d’accéder aux trésors de la culture dans des conditions d’accessibilité, d’ergonomie et de modicité de prix jamais atteintes.

À cet égard, ce projet de loi était une chance. Les députés de l’UDF avaient en tête le modèle préconisé par le législateur européen. Nous considérons en effet que la consommation de la culture sur Internet doit devenir l’assiette principale de la rémunération des auteurs. D’où notre soutien aux plateformes légales payantes. Certes, elles restent très insuffisantes, trop peu ergonomiques, trop chères et leur catalogue est limité, mais elles montrent la direction à prendre. C’est pourquoi aussi nous acceptons le principe des mesures techniques, à condition qu’elles soient respectueuses des libertés privées. Enfin, nous nous inscrivons dans la lignée de la directive européenne dont l’article 8 invite les États membres à mettre en place des sanctions efficaces, dissuasives et proportionnées.

Voilà comment nous vivons Internet. Pour nous, c’est un espace d’échange gratuit, en même temps qu’un espace marchand majeur. Enfin, ce doit être aussi un espace de droit.

Pourtant, à l’issue de ce débat, nous ne pouvons pas cacher notre déception.

Elle porte d’abord sur la forme. Le ministre et le rapporteur l’ont rappelé : nous devions transposer avant le 31 décembre 2002 une directive datant de 2001. Or le projet de loi, qui n’a été déposé qu’en décembre 2003, ne sera promulgué qu’en 2006, avec un retard de trois ans. Dernière avec l’Espagne, la France se place en vingt-quatrième position en matière de transposition des directives européennes. Quand serons-nous enfin sérieux en la matière ?

Il y eut ensuite le choix incompréhensible de l’urgence sur un texte que l’on savait sensible politiquement, puisqu’il présentait le risque d’un heurt frontal entre le monde de la création et celui des internautes.

Enfin, le 21 décembre, le groupe UMP et le groupe socialiste, allant à contresens de la directive européenne, se prononcèrent en faveur de la licence globale. Le Gouvernement manifesta alors la volonté, d’ailleurs compréhensible, de revenir dans le sens de la directive, ce qu’il fit au prix d’une accumulation de maladresses procédurales donnant une image très dégradée de ce débat, qui méritait mieux.

Sur le fond, la directive européenne est d’abord une affirmation du droit d’auteur exclusif, y compris et surtout sur Internet. Cette affirmation a été contestée par les tenants de la licence globale qui, au mépris de la directive, ont voulu faire du téléchargement une exception au droit d’auteur. Sur ce point central, nous avons eu avec eux un débat en profondeur. Mais l’UDF a été la seule famille politique à ne jamais changer d’avis et à considérer la licence globale comme une impasse. Pour nous, cette solution séduisante de prime abord est le type même de la fausse bonne idée.

Non, la solution au problème actuel n’est pas à chercher du côté du système de la licence légale, et nous dénonçons le double langage de certains de nos collègues draguant les internautes à l’Assemblée et les artistes à l’extérieur.

M. Richard Cazenave. Très juste !

M. Jean Dionis du Séjour. La directive affirme aussi à l’article 6 la nécessité de mesures techniques de protection. Elles sont légitimes pour répondre au téléchargement illégal, même si leur arrivée crée une véritable tension avec cet autre droit fondamental qu’est le droit à la copie privée.

Saluons la transposition réussie de l’article 7, grâce à l’intervention de nombreux collègues. Le texte apporte de véritables avancées pour le logiciel libre et l’interopérabilité. Monsieur le ministre, nous vous confions la responsabilité de les défendre au Sénat, faute de quoi la CMP risque d’être compliquée.

Enfin, l’article 8 de la directive appelle les États membres à prévoir des sanctions « efficaces, proportionnées et dissuasives » pour les contrevenants.

Le groupe UDF se retrouve dans le contenu de la directive, dont il aurait pu approuver une transposition fidèle et modeste. Mais le projet de loi soumis à notre approbation s’en écarte sur des points importants.

Je pense par exemple au collège des médiateurs, dont le projet de loi indique clairement que ses décisions auront valeur exécutoire. Puisqu’il s’agit en fait d’une autorité de régulation, pourquoi ne pas lui donner son vrai nom ? Nous sommes loin de ce que prévoit l’article 6 de la directive européenne. Vous créez non seulement une véritable confusion, mais aussi un risque de conflit entre le collège des médiateurs et la commission de la rémunération pour la copie privée. Comment voulez-vous qu’un tel dispositif puisse fonctionner ?

L’amendement n° 150 proposant de lourdes sanctions pour les éditeurs de logiciels de pair à pair est au centre d’un débat important, car le logiciel libre est une voie d’avenir et un moteur de croissance. C’est, à côté du logiciel propriétaire, l’autre modèle économique de développement de l’industrie du logiciel et il est heureux, pour l’économie comme pour la société, que ces deux modèles coexistent.

Le débat est en cours dans la communauté du logiciel libre. Dès lors fallait-il légiférer ? Notre avis est qu’il est urgent de laisser vivre cette communauté, qui prendra la responsabilité d’inclure d’elle-même la fonction des DRM.

M. Richard Cazenave et Mme Christine Boutin. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. En outre, nous nous interrogeons sur l’efficacité nationale d’une telle disposition, qui ne figure pas dans la directive.

Quant aux articles 13 et 14, nous émettons des doutes sur le « caractère efficace, proportionné et dissuasif » des sanctions mises en place par ce projet de loi. Même si les conditions dans lesquelles vous l’envisagiez n’étaient pas satisfaisantes, vous aviez proposé en décembre le concept intéressant de riposte graduée. Certains éléments étaient inacceptables, comme l’idée d’une police assurée par les agents assermentés des sociétés de répartition, cette fameuse police privée condamnée dans cet hémicycle par François Bayrou. Mais d’autres nous semblaient dignes d’être retenues, comme la gradation des sanctions, le principe de responsabilisation de l’abonné ou la prévention par l’envoi de messages d’avertissement.

Peut-être, monsieur le ministre, nous retrouverons-nous sur cette conclusion : nos débats ont été confus, heurtés, pollués tant par les hésitations politiques des principaux groupes de l’Assemblée que par des maladresses procédurales. C’est pourquoi, même si ce texte s’inspire en grande partie d’une directive européenne que nous faisons nôtre, il s’en écarte sur des points importants.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDF a le sentiment d’une occasion manquée, d’un rendez-vous gâché. Il ne votera pas ce texte. Certains, dont je fais partie, s’abstiendront, parce qu’ils demeurent sensibles aux choix fondamentaux qu’il incarne. Les autres, qui représentent la majorité d’entre nous, voteront contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous avons achevé la semaine dernière le débat sur un texte dont les conditions d’examen et les dispositions sont à la fois choquantes et problématiques. À cette occasion, le Gouvernement a témoigné une fois encore d’un incroyable mépris à l’égard de la représentation nationale en usant de procédures qui portent visiblement atteinte aux droits du Parlement et en faisant preuve d’un déroutant amateurisme. Et cela n’est rien en regard de son évident aveuglement sur les enjeux de ce débat et de son refus obstiné tant de conduire sur le fond un véritable travail de concertation que de se mettre à l’écoute de nos concitoyens, notamment de la jeunesse de notre pays. Il est vrai qu’il a l’habitude d’agir ainsi, comme il l’a fait à l’occasion de la crise des banlieues ou de la contestation du CPE.

M. Guy Teissier. Le raisonnement est un peu court !

M. Frédéric Dutoit. Les incidents qui ont émaillé ce débat, notamment le cortège surréaliste des amendements rédactionnels déposés à la sauvette sur le bureau de l’Assemblée, soulignent combien le Gouvernement s’est engagé dans ce qui est de toute évidence une impasse. Dès le mois de décembre, nous avons réclamé le retrait pur et simple de ce texte par trop improvisé.

Monsieur le ministre, vous devez admettre que vous avez déguisé du nom de projet de loi relatif au droit d’auteur un texte dont le seul objectif consiste à multiplier les entraves, les contrôles liberticides et la surveillance généralisée de l’Internet pour garantir aux maisons de disques et aux magnats de l’industrie culturelle le contrôle absolu des modes de diffusion de la culture. Vous avez tout fait pour offrir à ce grands groupes les moyens d’exploiter un nouveau marché bien plus rentable que tout ce qu’on peut imaginer. Vous ne poursuiviez en effet aucun autre objectif et, pour satisfaire leurs exigences démesurées, vous n’avez reculé devant aucun sacrifice. Vous avez sacrifié les droits des consommateurs et le respect des libertés publiques. Vous avez bafoué aussi bien le droit à la copie privée que le droit à l’usage privé et légitime des œuvres.

Plus grave encore, vous avez sacrifié le droit de chacun au respect de sa vie privée, puisque certains pourront demain violer en toute impunité la confidentialité des données personnelles et intercepter des échanges comme on pratiquerait des écoutes téléphoniques. C’est un recul préoccupant des droits et libertés individuels,

Vouloir, par crainte des fraudes, verrouiller l’Internet et criminaliser, comme vous le faites, tous les usages légitimes des produits culturels relève d’une conception infantile, stérile et dangereuse du lien social, en même temps que d’un mépris effarant du sens des responsabilités de nos concitoyens.

Votre texte sera inapplicable, parce que le fantasme d’un contrôle généralisé de nos concitoyens est heureusement hors de votre portée juridique et technique. D’ailleurs, il est d’ores et déjà obsolète. C’est un projet mort-né. Qui s’en plaindra du reste, tant il est vrai qu’une loi n’est respectée que pour autant qu’elle est respectable ? Je regrette cependant que nous n’ayons pas saisi l’occasion de ce débat pour poser les vraies questions et proposer de vraies réponses.

Comme votre texte se montrera impuissant à réguler les échanges sur Internet de façon audacieuse et véritablement innovante, les auteurs resteront sur le bord du chemin. Ils seront les grands perdants de ce projet de loi. En imposant une logique de péage et de répression là où aurait pu s’instaurer une société de partage et d’échanges culturels profitables aux auteurs eux-mêmes, vous sapez les bases de toute authentique rencontre, à l’ère du numérique, entre les auteurs et leur public.

Pourtant, notre proposition de création d’une vaste plateforme publique de téléchargement voulait ouvrir la voie à la recherche de solutions nouvelles. Le respect des droits moraux et patrimoniaux des auteurs nécessite en effet, à l’aube de l’ère numérique, que soient repensées en profondeur les modalités de rémunération de la création.

Certes, nous avons obtenu que soit reconnu le principe d’une plateforme destinée à la promotion des œuvres des jeunes créateurs. Je félicite à ce sujet tous les groupes de l’Assemblée, ainsi que vous-même, monsieur le ministre, qui vous avez donné votre accord à cette mesure. C’est un premier pas qui sera, je l’espère, suivi de beaucoup d’autres, car nous ne sommes en accord que sur un point : il faut inventer la culture sur Internet.

Mais, compte tenu de votre obstination à ne poursuivre d’intérêts que mercantiles, nous voterons contre votre projet de loi, tout en réclamant à nouveau et instamment son retrait au profit de la création, on ne peut plus urgente, d’une mission d’information parlementaire, qui pourrait ouvrir la voie d’un vrai débat sur cette question.

Je vous avais prévenu, monsieur le ministre : vous n’avez pas voulu tenir compte du XXIe siècle, il vous rattrapera. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Je fais d’ores et déjà annoncer dans l’enceinte de l’Assemblée nationale le scrutin sur l’ensemble du projet de loi.

La parole est à M. Dominique Richard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Dominique Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme d’un débat riche, divers et approfondi, nous voici arrivés à l’heure où chacun doit s’exprimer en conscience devant la nation. Enfin, c’est l’heure de vérité où ceux qui parlaient contre la licence globale rue de Solferino et pour elle dans l’hémicycle vont devoir sortir du bois. La clarté des choix est bien le minimum que nous devons à la démocratie !

Notre ambition était d’engager un débat qui mette notre pays sur la voie d’une solution innovante et ambitieuse, et constitue un progrès pour les créateurs, pour les internautes, ainsi que pour les chercheurs et les entreprises innovantes. Grâce à votre ouverture d’esprit, monsieur le ministre, souvent à votre patience et surtout à votre volonté avérée que ce texte résulte d’un dialogue constructif entre le Parlement et le Gouvernement, nous y sommes parvenus.

M. Jacques Desallangre. Vous êtes bien indulgent !

M. Dominique Richard. Je tiens à vous en remercier chaleureusement au nom du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Nous y sommes parvenus parce que, en soixante heures de débat – excusez du peu –, chacun a pu défendre ses convictions autant que de besoin et sans tabou.

Nous y sommes parvenus parce que vous avez su écouter, prendre en compte nos propositions et construire ainsi un texte dont chacun ressortira gagnant.

Les auteurs, artistes et techniciens, tout d’abord, grâce à une rétribution normale et juste de leur œuvre, qui seule garantit l’accès de nouveaux talents et permet à chaque créateur et à lui seul de choisir les conditions de mise en ligne de ses productions.

Les internautes, ensuite, qui ne risqueront plus la prison, pas plus que le contrôle individuel de leur consommation. Ils vont enfin pouvoir bénéficier d’une offre légale fournie, variée et sécurisée, et en faire bénéficier leur entourage sans risque, avec l’exception pour copie privée.

Les internautes, encore, qui pourront lire les œuvres qu’ils ont acquises sur le support de leur choix et verront inévitablement le coût du téléchargement baisser au fur et à mesure que l’offre légale montera en puissance.

Les entreprises françaises du logiciel libre, enfin, qui vont pouvoir développer leur inventivité en toute sécurité juridique, grâce notamment à l’article 7 voté à l’unanimité.

Autant le dire, il s’agit d’avancées déterminantes qui, dans un équilibre gagnant-gagnant, vont une nouvelle fois placer la France à l’avant-garde des pays qui veulent combiner diversité culturelle, respect de l’œuvre, technologies de pointe et diffusion la plus large possible, tout en autorisant une adaptation permanente à l’évolution de la technologie grâce à l’institution du collège des médiateurs.

Le groupe UMP, qui a largement participé au travail qui a abouti à ce texte équilibré, le votera avec détermination et avec l’intime conviction d’avoir servi notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Comme le CPE !

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour le groupe socialiste.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il aura donc fallu trois semaines de débat au sein de notre assemblée pour voir soumis à notre vote un bien mauvais texte qui aura d’abord révélé l’amateurisme et l’improvisation dont le Gouvernement a continuellement fait preuve sur ce dossier juridiquement complexe et historiquement conflictuel. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

À l’issue d’une première lecture qui fait apparaître plus que jamais la nécessité d’une seconde lecture et, par conséquent, la levée de l’urgence que nous avons réclamée en vain jusqu’à présent, nous sommes face à un projet de loi déséquilibré, certainement contraire à la Constitution dans plusieurs de ses dispositions et, surtout, inapplicable.

Plus grave encore, c’est un texte perdant-perdant. Perdants, nos concitoyens internautes le sont sans conteste, qui sont maintenus dans une insécurité juridique permanente et privés d’un droit réel à la copie privée. Perdants, nos entrepreneurs, nos inventeurs et nos chercheurs, puisque a été voté un amendement scélérat lourd de menaces pour le logiciel libre. Perdants, nos auteurs et nos artistes puisque, à deux reprises, a été rejetée la mise en place d’un financement supplémentaire pour la culture.

Une occasion historique d’adapter une nouvelle fois le droit d’auteur aux évolutions technologiques n’a pas été saisie. C’est donc d’un vrai gâchis législatif qu’il faut parler. La responsabilité du Gouvernement est totale à plusieurs titres. Tout d’abord, parce que son parti pris l’a conduit à faire le choix éhonté d’une transposition restrictive et, surtout, à céder à la logique funeste du tout-répressif sur Internet, mettant ainsi en péril les libertés publiques et la légitime protection de la vie privée des internautes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Au contraire de ce qui s’était passé en 1985 avec le vote à l’unanimité de la loi Lang, le manque de concertation et de dialogue, comme pour le CPE, a été flagrant. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Il a d’ailleurs contribué à faire gonfler les rangs des mécontents au fil de la discussion parlementaire : dernièrement, le Syndicat national de l’édition, les journalistes auteurs multimédia, les photographes ou les nombreux oubliés du protocole concernant l’enseignement et la recherche. La palinodie parlementaire du retrait puis de la réintroduction de l’article 1er a ajouté à la confusion, mettant gravement en cause le droit constitutionnel d’amendement dont dispose chaque député.

Le groupe socialiste votera d’autant plus spontanément contre ce projet de loi qu’aucune des demandes que Didier Mathus, Christian Paul et moi-même avons exprimées à de multiples reprises en son nom n’a été réellement satisfaite. De puissants lobbies ont ainsi contribué activement à ce que soit rompu l’équilibre que, pourtant, la directive ménageait entre le contrôle des usages des œuvres et la préservation de la copie privée, qui garantit l’accès de tous à la connaissance, au savoir et à la culture.

Certes, nous avons quitté le champ de la contrefaçon, et c’est là le bénéfice le plus direct de la discussion parlementaire de décembre 2005. Mais dans la mesure où le régime contraventionnel sera fixé par décret, nous avons souhaité lui assurer une base légale en posant un certain nombre de questions : comment l’infraction sera-t-elle définie ? Sera-t-elle constituée pour chaque acte de téléchargement, pour chaque morceau téléchargé ? Comment seront assurés les droits de la défense ? Malgré notre insistance, vous n’avez jamais répondu à ces questions, monsieur le ministre, ni à celle de la compatibilité entre les deux rôles du collège des médiateurs : celui d’arbitre des litiges et celui – ajouté au cours de la discussion – de régulateur. Notre rapporteur ayant retiré subrepticement son amendement qui indiquait que le nombre de copies ne pouvait être inférieur à un, nul ne sait aujourd’hui combien de fois pourront être reproduits un CD ou un DVD. Peut-être zéro fois, et ce sera la fin de la copie privée.

Notre souci majeur d’encadrer strictement les mesures techniques de protection, dites DRM, n’a été partiellement satisfait qu’à l’ultime moment de notre discussion, lors d’une seconde délibération qui a vu l’adoption, contre l’avis du Gouvernement et du rapporteur, de deux amendements socialistes garantissant l’interopérabilité.

M. Christian Vanneste, rapporteur. C’est faux : avec l’appui du rapporteur !

M. Patrick Bloche. Nous n’avons pu, hélas, empêcher l’adoption d’un amendement absurde qui sanctionne une technologie – les logiciels d’échange dits de peer to peer – et non les usages répréhensibles qu’elle peut permettre. C’est un coup fatal qui est de fait porté, au mépris de toute considération de patriotisme économique, à un secteur de l’innovation et de la recherche dans lequel la France a su être pionnière.

Comment, enfin, ne pas souligner le degré d’incohérence qu’a atteint ce projet de loi, tant de fois modifié, par l’établissement d’un dispositif de sanctions qui, en perdant sa capacité de dissuasion, avec une amende de base de trente-huit euros, banalise paradoxalement la gratuité et alimente le budget de l’État à défaut de rémunérer les auteurs.

Sous la réserve d’une censure du Conseil constitutionnel, que nous saisirons le moment venu, votre loi, monsieur le ministre, est obsolète avant même d’avoir été votée (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), car c’est une ligne Maginot qui nie les nouvelles pratiques culturelles de nos concitoyens et qui retarde le moment où Internet financera enfin la culture. Votre refus de mettre à contribution les fournisseurs d’accès pour alimenter la rémunération pour copie privée, comme l’a proposé le groupe socialiste, montre bien qui a réellement servi l’intérêt des auteurs et des artistes dans ce débat.

Il reviendra très certainement à une autre majorité d’élaborer une loi d’avenir qui, en conciliant la liberté et la responsabilité, pour reprendre la formule de Jean-Marc Ayrault, prendra tout simplement en compte l’intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale a adopté.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Élection du président de la République

Discussion d’un projet de loi organique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République (nos 2883, 2934).

La parole est à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, il est de tradition, avant chaque élection présidentielle, de soumettre au Parlement un projet de loi organique relatif à l’organisation de ce scrutin.

Comme vous l’avez écrit, monsieur le rapporteur, il s’agit de rendre ainsi applicables les dispositions du code électoral qui ont été modifiées depuis la précédente élection, mais également de répondre aux observations formulées par le Conseil constitutionnel.

M. René Dosière. Pas à toutes !

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Je vais le préciser.

Le projet que vous allez examiner aujourd’hui s’inscrit pleinement dans cette tradition. Il comporte à ce titre deux catégories de dispositions.

La première, purement technique, a pour objet d’actualiser les renvois au code électoral qui figurent dans la loi organique du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République.

L’article 6 de notre Constitution confie en effet au législateur organique le soin de définir le régime applicable à l’élection présidentielle. Or la majorité des dispositions du code électoral sont du domaine de la loi simple. Un texte organique est donc indispensable pour les rendre applicables au prochain scrutin.

Sans cette actualisation, une réforme aussi importante que la simplification du régime des procurations, intervenue en 2003, ne pourrait s’appliquer en 2007, alors que cette disposition permet d’alléger considérablement les démarches imposées aux électeurs, contribuant ainsi, j’en suis convaincu, à renforcer la participation.

L’actualisation des règles applicables à l’élection présidentielle va de pair avec leur modernisation. C’est dans cette optique que le Conseil constitutionnel, qui veille à la régularité du scrutin, a proposé certaines évolutions du droit, que le Gouvernement vous propose de reprendre.

Il s’agit en premier lieu de « desserrer » le calendrier des opérations préparatoires à l’élection. Dans le dispositif actuel, les parrainages peuvent être adressés au Conseil constitutionnel jusqu’au dix-neuvième jour précédant le premier tour, alors que la liste officielle des candidats doit être publiée le seizième jour avant cette échéance. Ce calendrier très contraint présente plusieurs inconvénients.

Le Conseil constitutionnel dispose ainsi d’un délai très bref pour vérifier la validité de parrainages qui lui sont parfois adressés au dernier moment. De même, la publication de la liste des candidats deux semaines seulement avant le scrutin impose de fortes contraintes aux autorités chargées de contrôler les opérations électorales, qu’il s’agisse de la Commission nationale de contrôle ou du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

L’adaptation qui vous est proposée consiste à avancer la date limite de réception des parrainages au sixième vendredi précédant le premier tour. Cela permettra au Conseil constitutionnel de vérifier leur validité dans de meilleures conditions et surtout d’arrêter au plus tôt la liste des candidats admis à se présenter.

Dès lors, les autorités chargées de l’organisation et du contrôle de la campagne électorale pourront accomplir leurs missions de manière plus sereine.

Enfin, et ce n’est pas le moindre avantage, les Français connaîtront plus rapidement la liste définitive des candidats, ce qui permettra de mettre fin plus tôt aux supputations diverses sur la capacité de tel ou tel à franchir le seuil des 500 signatures.

Une deuxième réforme suggérée par le Conseil constitutionnel vise à transférer à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques le contrôle des comptes des candidats.

Aujourd’hui, la Commission nationale assume cette mission pour l’ensemble des scrutins à l’exception de l’élection présidentielle, pour laquelle le Conseil constitutionnel est compétent. En privant ainsi de voie de recours les candidats dont le compte est rejeté ou réformé, le système en vigueur leur offre moins de garanties que pour les autres scrutins, alors même que l’élection présidentielle est la plus déterminante pour la vie démocratique de notre pays.

Depuis que l’ordonnance du 8 novembre 2003 a promu la Commission nationale au rang d’autorité administrative indépendante, plus rien ne s’oppose à ce qu’elle examine en première instance les comptes des candidats à l’élection présidentielle, le Conseil constitutionnel intervenant désormais en cas de recours.

Plus précisément, la Commission nationale se prononcera sur les comptes dans les six mois qui suivent l’élection. Comme pour les autres scrutins, elle pourra les approuver, les rejeter ou les réformer et arrêter le montant du remboursement forfaitaire. Le Conseil constitutionnel pourra être saisi dans le délai d’un mois.

Sans attendre, et dans un souci de pleine transparence, les comptes communiqués par chaque candidat seront d’abord publiés au Journal officiel dans le mois suivant la date limite de dépôt. Ils feront ensuite l’objet d’une seconde publication après avoir été définitivement arrêtés par la Commission nationale ou par le Conseil constitutionnel.

J’en viens à la troisième mesure, qui consiste à renforcer le pouvoir d’appréciation du Conseil constitutionnel et de la Commission nationale dans la détermination du remboursement accordé à chaque candidat.

Vous aviez déjà pris en compte cette nécessité en 2001 en permettant au Conseil constitutionnel d’accorder le remboursement forfaitaire dès lors que les éventuelles irrégularités constatées étaient non intentionnelles et de portée très réduite.

Le déroulement de la campagne présidentielle donne en effet lieu à une multitude d’initiatives locales, qu’il est particulièrement difficile à chaque candidat de suivre en temps réel et dont le bilan ne peut être véritablement tiré qu’au moment de l’établissement définitif du compte.

Il vous est proposé d’accorder au Conseil constitutionnel et à la Commission nationale une plus grande latitude pour ajuster le montant du remboursement, compte tenu du nombre et de la gravité des éventuelles irrégularités.

Le projet dont vous êtes saisis vise enfin à permettre à tous nos compatriotes de prendre part au vote sans connaître les résultats de la métropole. Il étend ainsi le principe du vote le samedi, déjà prévu pour la Polynésie française, à toutes les collectivités françaises d’Amérique, ainsi qu’aux ambassades et postes consulaires français sur le continent américain.

C’est à votre initiative, je me plais à le souligner, que ce dispositif avait pu s’appliquer dès les élections européennes de 2004 dans les collectivités territoriales d’Amérique. Il a été reconduit l’année suivante pour le référendum sur le projet de Constitution européenne et, à cette occasion, étendu aux ambassades et postes consulaires.

La révision de l’article 7 de la Constitution, intervenue en 2003, a rendu possible cette évolution, qu’il vous est donc aujourd’hui proposé d’étendre à l’élection présidentielle. Il s’agit là, me semble-t-il, d’une garantie supplémentaire pour la sincérité du scrutin, autant qu’une marque de respect pour nos compatriotes de l’outre-mer.

Telles sont, mesdames, messieurs les députés, les dispositions nouvelles que le Gouvernement vous propose d’adopter en vue de la prochaine élection du Président de la République.

M. Christophe Caresche. Considérables ! (Sourires.)

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Toutes sont de nature strictement technique.

M. René Dosière. Parlez-nous donc des dispositions politiques !

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Elles permettront aux acteurs chargés de l’organisation de l’élection d’effectuer leur travail de manière plus sereine et à nos compatriotes d’outre-mer de voter sans connaître les résultats du scrutin en métropole. Elles renforceront enfin les droits des candidats lors du contrôle de leurs dépenses électorales.

Ce sont, il est vrai, des aménagements ponctuels, mais qui permettront à tous de se consacrer à l’essentiel : le débat démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les mouvements que l’on pressent à un peu plus d’un an de la prochaine élection du Président de la République contrastent avec la modestie des dispositions figurant dans le projet de loi organique qui nous est aujourd’hui soumis.

Mais cette modestie relative ne signifie pas contingence. Ne nous leurrons pas : ce projet de loi organique est autant nécessaire qu’urgent.

Rappelons en effet qu’en application de l’article L. 52-4 du code électoral, rendu applicable à l’élection présidentielle par l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962, « le mandataire recueille, pendant l’année précédant le premier jour du mois de l’élection et jusqu’à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne ».

Le mandat de l’actuel Président de la République devant s’achever le 16 mai 2007 à minuit, le premier tour devrait se tenir soit le 15 avril, soit le 22 avril 2007, et le second tour soit le 29 avril, soit le 6 mai. Le rapprochement de ces deux impératifs, d’ouverture des comptes d’une part, de date de l’élection d’autre part, impose donc un calendrier précis à toute modification de la loi de 1962.

Le projet proposé est nécessaire. À l’approche de chaque élection du Président de la République, il n’était pas incongru que nous soyons saisis d’un tel projet de loi organique modifiant la loi de 1962 qui précise le régime de cette élection en complément de l’article 7 de la Constitution.

En effet, nous sommes désormais habitués à ce type de démarche. Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel, en vertu de la mission qui lui est confiée par l’article 58 de la Constitution, s’attache à présenter, après chaque scrutin et avant le suivant, des observations aux fins d’actualiser et de perfectionner le cadre juridique de l’élection présidentielle. Dans ce domaine comme dans de nombreux autres, le Conseil fait œuvre utile.

C’est pourquoi, dans un second temps, le législateur organique s’empare de certaines de ses observations et modifie la loi de 1962.

Pour ne prendre que les exemples les plus récents, la loi de 1962 fut modifiée selon ce même schéma en 1988, en 1995, et la dernière fois en 2001.

Le présent projet de loi organique s’inscrit donc dans la logique d’actualisation du régime électoral du Président de la République qui précède, désormais de manière classique, chaque élection.

Ce projet s’inscrit également dans la politique de simplification du droit à l’œuvre depuis 2002 et qui s’est traduite notamment en matière électorale par l’adoption, en 2003, d’une ordonnance prise sur le fondement de la première loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit et, en 2005, de deux lois relatives au vote des Français établis hors de France.

Le projet qui nous est soumis est essentiellement technique. Comme l’a écrit récemment un ancien membre du Conseil constitutionnel, « à une année de la prochaine élection présidentielle, il ne serait ni moralement concevable ni politiquement acceptable de modifier les règles du jeu, c’est-à-dire changer le mode de scrutin ou les conditions de vote. »

Outre la mise à jour indispensable des références du code électoral applicables à l’élection du Président de la République, le présent projet de loi organique propose des mesures techniques touchant à la fois à l’organisation du scrutin et au financement de la campagne.

En premier lieu, parmi les mesures relatives à l’organisation du scrutin, et suivant les recommandations du Conseil constitutionnel, il est proposé d’avancer la date limite de recueil des présentations, c’est-à-dire les « parrainages », de dix-huit jours avant le premier tour de scrutin au sixième vendredi avant cette date, soit trente-sept jours avant le premier tour. Cette mesure permettra à la fois de laisser plus de temps au Conseil constitutionnel pour établir la liste des candidats après vérification des présentations, et d’allonger la période s’étendant de la publication de cette liste à la tenue du premier tour.

Suivant également les recommandations du Conseil constitutionnel, et à l’instar de ce qui a été introduit pour la Polynésie en 2004, l’élection dans les départements et collectivités d’outre-mer situés en Amérique ainsi que dans les bureaux de vote tenus par nos ambassades et nos postes consulaires situés également en Amérique pourrait être organisée le samedi au lieu du dimanche, afin de concilier décalage horaire et égalité du suffrage.

Aujourd’hui, les 778 000 électeurs inscrits dans les collectivités d’outre-mer concernées et les 104 000 Français établis hors de France inscrits dans les centres de vote de la « zone Amérique » ont connaissance des résultats de la métropole avant la fermeture de leurs propres bureaux de vote.

En second lieu, parmi les mesures relatives au financement de la campagne, il est proposé, sur recommandation du Conseil constitutionnel, de confier désormais l’examen des comptes de campagne en première analyse à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, dont chacun reconnaît la compétence, le sérieux et l’efficacité.

Afin de respecter la mission confiée par la Constitution au Conseil constitutionnel, il est prévu de lui confier l’examen des recours en pleine juridiction portés contre les décisions de la Commission nationale par le candidat concerné. Ainsi, il pourra non seulement annuler la décision prise par la Commission, mais aussi la réformer.

Cette nouvelle procédure présente à mon sens cinq avantages principaux. Tout d’abord, l’institution d’un double examen apporte aux candidats une sécurité juridique plus importante et renforce la garantie de leur droit au recours.

Ensuite, cette modification du régime de contrôle des comptes constitue une nouvelle étape significative dans la simplification de l’architecture du droit électoral. Désormais, la Commission nationale sera compétente pour toutes les élections sans exception, sous le contrôle soit du juge administratif pour les élections locales, soit du Conseil constitutionnel pour les élections législatives et l’élection présidentielle.

En outre, cette simplification conduira à une harmonisation des pratiques. Dans l’état actuel du droit, le risque que tel type de dépense traité par la Commission nationale dans le cadre d’une élection locale le soit de manière différente par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une élection présidentielle, n’est pas nul. L’institution du quinquennat a eu des conséquences certaines sur le rapprochement de l’élection présidentielle et des élections législatives. Dès lors, pour une dépense considérée, il peut être particulièrement délicat de faire le départ entre ce qui relève de la campagne présidentielle et ce qui relève de la campagne législative. Ce phénomène impose au Conseil constitutionnel et à la Commission nationale d’organiser une coordination permanente, qui fragilise assurément la sécurité des analyses. La modification proposée permettra de dépasser cette difficulté.

De surcroît, les changements proposés renforceront l’efficacité des contrôles. La Commission nationale possède une expérience diversifiée du contrôle des comptes de campagne. Toute son organisation est dédiée à cette tâche. Elle pourra utilement établir, pour un même type de dépense, une règle commune à l’ensemble des élections.

En dernier lieu, elle permettra au Conseil constitutionnel de dégager du temps pour l’exercice de ses autres fonctions, notamment l’examen du contentieux des élections législatives.

Cette proposition d’extension des pouvoirs de la Commission nationale correspond à un moment où son assise a été renforcée par l’ordonnance du 8 décembre 2003 portant simplification du droit électoral. Celle-ci a pleinement consacré le caractère d’autorité administrative indépendante de la commission et en tire les conséquences pour parachever le dispositif permettant une plus grande responsabilité et une plus grande souplesse de gestion. Cette donnée n’est pas sans importance pour la question qui nous préoccupe. En effet, la charge supplémentaire à laquelle la commission va se trouver confrontée – même si elle sera mieux répartie dans le temps grâce à l’étalement des échéances électorales en 2007 et 2008 que nous avons voté – nécessitera des moyens supplémentaires importants dans un laps de temps relativement court.

Enfin, dans un souci d’équité et de proportionnalité des sanctions, et conformément aux observations du Conseil constitutionnel, une marge d’appréciation est ouverte au profit de la Commission nationale et, en cas de recours, au Conseil lui-même, dans la fixation du montant du remboursement forfaitaire, qui pourra désormais, en cas d’irrégularité, être modulé.

Aujourd’hui, le Conseil n’a le choix qu’entre refuser ou accorder l’ensemble du remboursement forfaitaire, dans une forme de « tout ou rien » étrangère à l’idée de justice et de proportionnalité. Pour rendre le système efficace, il convient donc de permettre cette modulation en fonction du nombre et de la gravité des irrégularités constatées.

Votre commission des lois a jugé utile, au-delà de quelques modifications rédactionnelles, de faire deux ajouts.

Le premier est destiné à lever toute ambiguïté dans les dispositions du code électoral applicables à l’élection présidentielle. Dans l’état actuel du droit, le Conseil constitutionnel, par référence au quatrième alinéa de l’article L. 52-15 du code électoral, peut saisir le parquet des irrégularités qu’il aura constatées dans l’application par un des candidats des règles relatives au financement de la campagne. Cette référence au code électoral a disparu dans le projet de loi organique. On peut sans difficulté soutenir que l’article 40 du code de procédure pénale peut être utilisé dans le même but.

Mais, afin qu’il soit certain que la Commission nationale des comptes de campagne disposera demain du même pouvoir de saisine du parquet que le Conseil constitutionnel aujourd’hui, votre commission des lois a préféré réintroduire une référence au quatrième alinéa de l’article L. 52-15.

Le second ajout adopté par votre commission des lois est issu d’une proposition faite à plusieurs reprises par le sénateur Robert Del Picchia, la dernière fois à l’occasion du débat sur les lois organique et ordinaire du 20 juillet 2005 sur le vote des Français établis hors de France.

En effet, la modification de la loi organique du 31 janvier 1976 prévue dans l’article 5 de notre projet de loi organique peut être l’occasion d’introduire une disposition tendant à favoriser les contacts en matière électorale entre les ambassades et les consulats, d’une part, et nos compatriotes vivant à l’étranger, d’autre part. Les moyens modernes de communication permettent d’échanger des informations de manière instantanée avec une grande sûreté. C’est pourquoi il nous est apparu utile de faire mention sur la liste électorale consulaire de l’adresse électronique de chaque électeur si elle existe. Ainsi, nos concitoyens pourraient recevoir par voie électronique toute information à caractère électoral.

Suivant cette analyse, la commission a adopté un amendement du rapporteur permettant aux Français établis à l’étranger de voir figurer leur adresse électronique sur la liste électorale consulaire, afin de faciliter la diffusion de l’information relative au scrutin.

Sous réserve de ces légères modifications, je vous engage, mes chers collègues, à suivre la commission des lois et à adopter ce projet de loi organique. Il est sage de suivre la voie tracée par le Gouvernement et de s’en tenir à ces mesures techniques. Il convient en effet d’écarter tout soupçon qui ne manquerait pas de naître de toute initiative qui irait au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer la rectitude juridique du futur scrutin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. « Si je suis élu, je réunirai les plus grands constitutionnalistes, les meilleurs, et je leur donnerai deux ou trois mois pour faire des propositions de réforme constitutionnelle, tout de suite, afin que soient adaptées les dispositions de la Constitution qui ont été contestées, ici ou là. Je leur demanderai de regarder ce qui se passe dans les grandes démocraties, je leur demanderai de faire des propositions, et ces propositions je les suivrai. Personnellement, je trouve qu’il est désagréable et très gênant que le Président de la République ne puisse pas répondre à la convocation d’un juge. J’ai le plus grand respect pour la justice et je serais très heureux de sortir d’un système qui est marqué par la rumeur et la calomnie, ce serait beaucoup plus simple. » 

M. René Dosière. Très bien !

M. Christophe Caresche. Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que déclarait Jacques Chirac, dans le cadre d’une interview sur France 2, le 11 mars 2002, donc à la veille de sa réélection comme Président de la République.

M. René Dosière. Il a perdu la mémoire depuis !

M. Christophe Caresche. Quatre ans plus tard, presque jour pour jour, où en sommes-nous ? La commission a été constituée. Présidée par M. Pierre Avril et composée d’éminents juristes, elle a effectué un travail considérable. Elle a notamment procédé, suivant en cela les souhaits de Jacques Chirac, à des comparaisons avec ce qui se passe dans d’autres pays. Puis elle a remis un rapport au Président de la République, le 12 décembre 2002.

Un projet de loi a ensuite été adopté par le conseil des ministres en juillet 2003. Il reprenait pour l’essentiel les propositions du rapport de la commission Avril. Il préconisait ainsi des dispositions visant à clarifier le statut pénal du Président de la République et à tenter de régler le problème que pose l’impossibilité de mettre en cause le Président de la République devant des juridictions pour des actes ne relevant pas de l’exercice de sa fonction.

Mais ce projet de loi n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour du Parlement. Quatre ans après, malgré les engagements solennels de Jacques Chirac, la réforme du statut pénal du Président de la République n’est toujours pas à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ou du Sénat.

Si bien, monsieur le ministre, que nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation paradoxale, voire irréaliste. Nous sommes en effet appelés à examiner un texte technique sur les modalités de l’élection du Président de la République, et largement inspiré par les propositions du Conseil constitutionnel, alors que nous ne sommes toujours pas saisis du projet sur le statut pénal du Président de la République, beaucoup plus politique, il est vrai.

Il y a là quelque chose de profondément choquant que nous voulons dénoncer. Je le ferai dans le cadre de cette motion, conscient que mon intervention ne constitue pas à proprement parler une exception d’irrecevabilité. Mais l’opposition ne dispose pas d’autre moyen pour permettre à ce texte, si important, si attendu, et répondant aux engagements du Président de la République et de la majorité, de venir en discussion devant notre assemblée.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. Et les niches parlementaires ?

M. Christophe Caresche. Il reste encore un an avant la fin de cette législature et nous nous réservons en effet la possibilité d’inscrire ce texte dans le cadre d’une niche parlementaire.

Cela dit, la désinvolture avec laquelle a été traitée cette question est inacceptable.

Des engagements précis ont été pris par le Président de la République lors de la campagne présidentielle. Il s’agissait de mettre fin à une situation qui a beaucoup heurté l’esprit civique de nombre de nos concitoyens, à savoir l’impunité du chef de l’État pour des faits qui ne sont pas liés à sa fonction. Au passage, je salue l’action d’Arnaud Montebourg qui, à l’époque, avait dénoncé courageusement cette situation. Rétrospectivement, on constate combien ce combat était nécessaire car, plusieurs années après, nous en sommes toujours au même point : cette question n’est toujours pas traitée, malgré les déclarations réitérées du Gouvernement, notamment par M. Perben, alors ministre de la justice, qui nous a expliqué, chaque fois que nous l’avons saisi, que ce texte viendrait en discussion au Parlement avant la fin de la législature.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. La législature n’est pas encore terminée !

M. Christophe Caresche. Le 30 juin 2004, le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, demandait à Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, si le Gouvernement entendait inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée le projet de loi sur le statut pénal du Président de la République : « Ce projet se propose à la fois de clarifier la question de la responsabilité du Président de la République devant les tribunaux ordinaires et de substituer à l’actuelle procédure de haute trahison jugée par la Haute Cour de justice une procédure de destitution décidée par le Parlement constitué en Haute Cour. Voilà donc bientôt un an que ce projet de loi est en attente d’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. » Le 15 juillet, Jean-Pierre Raffarin lui répondait en ces termes : « J’ai pris note de votre souhait de voir inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Je vous indique qu’il est bien dans les intentions du Gouvernement, comme le Président de la République l’a demandé, d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ce texte. » Le Premier ministre de l’époque s’était donc formellement engagé à inscrire ce texte. Or, à l’heure où je vous parle, il ne l’est toujours pas.

M. René Dosière. Que vaut la parole de ce Premier ministre ?

M. Christophe Caresche. Ce matin, comble du cynisme, je lisais dans le journal Libération qu’un conseiller du Président de la République certifiait : ce texte « sera adopté d’ici à la fin du mandat ». On continue donc, dans l’entourage du Président de la République, à expliquer aux Français et aux parlementaires qui s’en inquiètent que ce texte sera inscrit d’ici la fin du mandat.

M. René Dosière. Ah ! ah !

M. Christophe Caresche. Il n’y a donc pas de problème : cette question sera traitée.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. En effet, il n’y a pas de problème !

M. Christophe Caresche. Comment le croire ? De qui se moque-t-on ? Ce texte, de par sa nature constitutionnelle, nécessitera du temps et il est par conséquent peu probable qu’il viendra en discussion d’ici aux prochaines élections. En réalité, tout indique que cette réforme ne sera pas examinée au cours de cette législature.

M. René Dosière. Encore une promesse oubliée !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Encore un procès d’intention !

M. Christophe Caresche. Dans le cas contraire, je suis prêt à faire mon mea culpa.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur. Ce serait nouveau !

M. René Dosière. Et même publiquement !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Dont acte !

M. Christophe Caresche. Je rappelle qu’il s’agit de l’une des premières réformes annoncées par le Président de la République.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Patience !

M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur. Il y avait tant à faire !

M. Christophe Caresche. On pourrait en sourire – et c’est d’ailleurs ce que vous faites –…

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Non ! C’est de l’exception d’irrecevabilité que je souris !

M. Christophe Caresche. …tant cela ressemble aux pratiques de celui qui exerce les plus hautes fonctions dans notre pays depuis plus de dix ans.

On pourrait en sourire, tant cela correspond à une certaine image de notre pays, celle d’une démocratie immature dans laquelle la parole politique n’a pas à être respectée.

On pourrait en sourire si cette ultime pirouette ne minait pas profondément la crédibilité de nos institutions et la confiance que nos concitoyens accordent à leurs représentants.

Je n’évoquerai pas ici les conditions dans lesquelles la question du statut pénal du chef de l’État s’est posée. Vous les connaissez, vous les avez toutes en tête et je ne suis pas ici pour polémiquer. Rappelons seulement que l’impossibilité de mettre en cause le chef de l’État pour des faits sans rapport avec l’exercice de son mandat a créé un profond malaise dans notre pays. Comment, en effet, comprendre que le plus haut responsable de notre pays n’ait aucun compte à rendre à la justice et soit considéré comme une sorte d’intouchable ? Comment ne pas être troublé par cette impunité absolue qui place le Président de la République en quelque sorte au-dessus des lois ?

Chacun mesure combien le sentiment d’une justice à deux vitesses, le sentiment du « deux poids, deux mesures » peut être délétère pour notre démocratie, comme nous l’avons constaté en 2002. Sur ce plan, les deux décisions qui ont été rendues, l’une par le Conseil constitutionnel, l’autre par la Cour de cassation, sur l’interprétation qu’il fallait donner à l’impunité du chef de l’État, qui est effectivement inscrite dans notre Constitution, n’ont que partiellement dissipé ce malaise. Appelés à se prononcer sur cette question, le Conseil constitutionnel puis la Cour de cassation ont en effet livré des interprétations qui, si elles convergeaient dans leur résultat, divergeaient dans leur démarche et leurs implications.

Les deux institutions ont, certes, conclu à l’inviolabilité du chef de l’État durant son mandat, mais le Conseil constitutionnel a considéré que la responsabilité pénale du Président de la République durant son mandat relevait de la Haute Cour de justice, alors que la Cour de cassation a jugé que le chef de l’État bénéficiait d’une inviolabilité temporaire, les délais de prescription et les poursuites se trouvant seulement suspendus et pouvant reprendre après la fin du mandat du Président.

Force est bien de constater que, dans cette affaire, nous sommes confrontés à deux décisions en partie contradictoires et que tant qu’un texte ne sera pas examiné et adopté par le Parlement, cette question restera ouverte, à la fois politiquement mais aussi juridiquement.

M. René Dosière. C’est une incitation à se représenter !

M. Christophe Caresche. Peut-être !

Honnêtement, je m’étonne que le Conseil constitutionnel ne se soit pas préoccupé de cette question. En effet, alors que c’est une décision qu’il a prise lui-même au détour de l’adaptation d’un texte concernant la Cour pénale internationale, il ne donne pas le sentiment de se préoccuper de la suite, et donc de l’inscription à l’ordre du jour d’un éventuel projet de loi. De ce point de vue, on peut s’interroger sur son rôle, d’autant que la décision qu’il avait prise avait été à l’époque très contestée, qu’elle avait donné lieu à de nombreuses interprétations et polémiques, tant sur le fond que sur la forme.

Sur le fond, le Conseil constitutionnel avait indiqué que les actes du Président de la République relevaient de trois catégories distinctes : les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, qui relèvent de la haute trahison et sont donc susceptibles d’être poursuivis devant la Haute Cour de justice ; les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, mais qui ne relèvent pas de la haute trahison et qui bénéficient d’une totale impunité, y compris après la fin du mandat ; les actes antérieurs à son entrée en fonction ainsi que les actes accomplis pendant son mandat et qui sont sans lien avec ses fonctions, qui ne sont susceptibles d’être poursuivis que devant la Haute Cour de justice pendant la durée de son mandat et, le cas échéant, devant les juridictions ordinaires ensuite.

Sur la forme, je le répète, cette interprétation a été donnée au détour de l’adaptation d’un texte concernant la Cour pénale internationale. Beaucoup s’étaient interrogés sur la portée de cette incidente : s’imposait-elle ou non aux tribunaux ? Son contenu même avait fait l’objet de nombreuses discussions entre juristes.

La Cour de cassation s’est ensuite prononcée dans un sens différent de ce qu’avait prévu le Conseil constitutionnel. Il est donc nécessaire de trouver une solution juridique afin que notre Constitution prévoie des dispositions visant à stabiliser en quelque sorte le statut pénal du Président de la République. C’est à cette condition que l’on pourra juger de la sincérité des déclarations et des engagements pris à l’époque. Car j’ai le sentiment aujourd’hui – mais peut-être serai-je démenti demain – qu’il s’agissait surtout d’arrêter les juges. C’est de cette façon que notre Constitution pourra rejoindre celle des grands pays démocratiques qui prévoient des dispositions sur le statut pénal du chef de l’État, lesquelles ont d’ailleurs souvent fait l’objet d’un consensus, comme l’ont montré les travaux de la commission présidée par Pierre Avril.

Par cette exception d’irrecevabilité, nous demandons à nouveau au Gouvernement d’inscrire instamment à l’ordre du jour de l’Assemblée le texte sur le statut pénal du Président de la République. Il y va du respect des engagements pris par le Président de la République devant les Français ainsi que du respect vis-à-vis de la représentation nationale. Ce projet, qui a été adopté en conseil des ministres, n’attend plus que d’être discuté dans cet hémicycle. Pourquoi ne le fait-on pas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jérôme Chartier, pour le groupe UMP.

M. Jérôme Chartier. Monsieur le président, je serai très bref. M. Caresche ayant eu l’amabilité de reconnaître d’emblée qu’il était hors sujet, il n’y a pas de commentaire à ajouter. L’UMP votera contre.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Michel Vaxès. Je saisis l’occasion pour parler du débat que nous aurions souhaité avoir et que nous n’aurons pas.

L’élection du Président de la République au suffrage universel a renforcé la prééminence sur nos institutions d’une seule personne. De nombreux observateurs et juristes ont considéré cette réforme comme un renforcement du pouvoir personnel s’inscrivant dans une dérive plébiscitaire, dangereuse pour la démocratie. Nous y sommes.

En effet, le chef de l’État est devenu intouchable, au prétexte qu’il concentre sur sa seule personne les prérogatives les plus lourdes. Parallèlement, le Parlement, dont le rôle s’est réduit comme peau de chagrin, est devenu une chambre d’enregistrement. Depuis, alors que le général de Gaulle obtenait en 1965 au premier tour près de 37,5 % des inscrits, soit plus de 44 % des votants, le vote de nos concitoyens s’est effrité, au point que l’actuel occupant de l’Élysée a recueilli en 2002 moins de 14 % des inscrits, soit 19,88 % des suffrages exprimés.

M. Jérôme Rivière. Combien a fait votre candidat ?

M. Michel Vaxès. Depuis, la participation au scrutin a chuté de treize points, de 84 % à 71 %. Depuis, le pourcentage des bulletins nuls a quadruplé et la cote de popularité du Président de la République en fin de mandat s’est effondrée au point d’atteindre à peine 21 %.

M. Michel Terrot. Et le PC a disparu !

M. Michel Vaxès. Tous les clignotants sont au rouge. Les Françaises et les Français ne se reconnaissent plus dans le système électoral. Le Gouvernement ne trouve pourtant rien d’autre à proposer qu’une loi organique qui procède à un rafraîchissement minimaliste de la loi électorale, c’est-à-dire à une simple actualisation d’un régime présidentiel à la dérive.

Un tel choix est affligeant. Mes chers collègues, c’est non pas de ce texte que nous aurions voulu débattre, mais d’une loi constitutionnelle qui réponde à l’exigence, légitime et largement majoritaire parmi nos concitoyens, d’un nouvel essor du pouvoir citoyen, du pouvoir populaire impulsé à tous les échelons. Que l’on ne vienne pas nous dire que l’échéance est trop proche. La question était déjà posée en 2002. Le Gouvernement avait tout loisir d’agir et il n’a rien fait.

Monsieur le ministre, le Gouvernement refuse à la représentation nationale de débattre sur le fond de questions essentielles que pose aujourd’hui avec plus d’acuité encore le mode d’élection du Président de la République. J’y reviendrai dans la discussion générale, mais sachez que le groupe des député-e-s communistes et républicains refuse de jouer sur le terrain de l’inessentiel. Dans ces conditions, nous n’avons pas d’autre choix que de ne pas prendre part aux votes, aux différentes étapes de l’examen du texte.

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi une question préalable ? L’article 91, alinéa 4, de notre règlement précise que son adoption signifie qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Tel est bien mon sentiment. En effet, le texte est incomplet. Il ne répond pas aux véritables préoccupations, qu’il s’agisse, comme on vient de le voir, du statut pénal du chef de l’État ou des aspects financiers de la Présidence de la République, de son statut financier.

Nous sommes au cœur du débat car les conditions dans lesquelles le budget de la Présidence de la République est élaboré et exécuté sont telles que personne ne peut garantir qu’il ne sert pas au financement de la campagne présidentielle. Le Président n’a en effet aucun compte à rendre. Certes, on me rétorquera qu’il s’agit d’un procès d’intention.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Tout à fait !

M. René Dosière. Mais, dans le passé,...

M. Michel Terrot. Sous Mitterrand ?

M. René Dosière. J’en parlerai.

Grâce aux confidences de ceux qui ont servi à l’Élysée sous différents présidents, on sait qu’il y a eu des dérives. C’est la raison pour laquelle je souhaite faire des propositions, afin d’éviter enfin de telles pratiques et de rassurer les Français.

Depuis la Révolution française, les crédits mis à la disposition du chef de l’État ont pris deux dénominations distinctes. Sous la monarchie et l’Empire,...

M. Jérôme Chartier. Avant 1995 ?

M. René Dosière. ...la personne royale disposait d’une liste civile, tandis qu’en République il s’agissait d’une dotation. Selon M. Dussart, universitaire qui a travaillé sur l’autonomie financière des pouvoirs publics, « la liste civile était une institution purement monarchique ou impériale. Les régimes républicains ont tous, en théorie du moins, rejeté le système de la liste civile. Sous ces régimes, le chef de l’État ne devait plus bénéficier que d’un traitement et de frais de représentation inscrits dans la loi de finances. »

Ainsi, l’article 19 de la Charte constitutionnelle du 14 août 1830, qui est en tous points semblable à l’article 23 de la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, dispose : « La liste civile est fixée pour toute la durée du règne par la première législature assemblée depuis l’avènement du Roi. » Inversement, la Constitution républicaine du 4 novembre 1848, dans son article 43, déclare : « Le peuple français délègue le pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de Président de la République. » Quelle belle formule que celle de « Président citoyen » ! L’article 62 précise : « Il est logé aux frais de la République et reçoit un traitement de 600 000 francs par an. »

C’est sous la IIIe République que les procédures budgétaires se mettent progressivement en place. Elles seront corrigées à la marge sous la IVe République et, dans le silence des textes, elles seront prorogées sous la Ve. En effet, le général de Gaulle, dont la Constitution a sensiblement affaibli l’Assemblée nationale, n’a pas voulu d’un véritable budget pour la Présidence de la République.

Ces procédures se caractérisent par une autonomie financière de la Présidence de la République. Le Président se voit accorder la somme qu’il demande et qu’il a lui-même fixée. Les crédits étaient discutés par la Chambre sous la IIIe République, mais l’habitude s’est perdue sous la IVe et la Ve République, jusqu’en 2001. De plus, par dérogation au droit commun budgétaire, l’utilisation des crédits n’est ni contrôlée, ni justifiée, au nom de l’irresponsabilité politique du chef de l’État, laquelle était effective sous la IVe République, mais n’est que virtuelle sous la Ve. Les nouvelles attributions du Président de la République ont sensiblement modifié la donne.

Durant toutes ces années, quelques ministères ont pris l’habitude de prendre en charge certaines dépenses de la Présidence de la République : les affaires étrangères assument les déplacements à l’extérieur, les postes et télécommunications les frais de communication, la défense, la sécurité extérieure et la maison militaire. Ces participations, initialement modestes, ont augmenté considérablement. De tels financements n’appelaient pas de remarques particulières dès lors que le rôle du Président était limité, et qu’ils ne l’étaient pas moins. Le dernier Président de la IVe République, René Coty, dont l’action fut déterminante dans l’arrivée du général de Gaulle, comme le rappelle Michel Winock dans un ouvrage récent sur le 13 mai, disposait d’un cabinet qui se limitait à sept ou huit personnes ! Ces chiffres nous font rêver...

Cinquante ans de Ve République ont montré combien l’absence de statut financier de la Présidence avait entraîné des dérives préjudiciables à l’autorité même du Président de la République. La réduction à cinq ans du mandat présidentiel a encore modifié le rôle du chef de l’État, dont on voit bien qu’il est devenu le véritable chef du pouvoir exécutif. Il convient donc d’en tirer les conséquences sur le plan financier et de rompre avec les pratiques monarchiques pour adopter des mœurs républicaines. Tel est l’objet des six propositions que je vais formuler.

La première proposition consiste à doter la Présidence de la République d’un « budget vérité ». Si la dotation budgétaire votée par le Parlement au chapitre des pouvoirs publics a longtemps suffi au Président, avec l’aide indirecte mais modeste de quelques ministères, et le concours des fonds secrets, dont le montant est resté inconnu jusqu’à ce que Lionel Jospin le publie en 2001, il en va différemment sous la Ve République, surtout avec les successeurs du général de Gaulle.

Entre 1960 et 1969, le budget officiel voté par les assemblées reste stable en francs constants ; il diminue même très légèrement. Sous le quinquennat de Pompidou, il augmente de 9 % – j’ai converti tous les chiffres en francs 2005, pour simplifier. Sous Giscard, le budget augmente de 20 %, contre 9 % entre 1981 et 1995.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Y compris Mazarine ?

M. René Dosière. Depuis l’arrivée de Jacques Chirac, le budget a explosé. Dès 1995, le budget voté dans la loi de finances, soit 19,8 millions de francs, correspondant à 3,52 millions d’euros 2005, a été complété après l’élection pour atteindre 29,8 millions de francs, soit 5,30 millions d’euros.

M. Jérôme Chartier. C’est le travail budgétaire du rapporteur Dosière !

M. René Dosière. Sept ans plus tard, en 2002, ce budget passe à 20,2 millions d’euros. Il a augmenté de plus de 577 % ! Autrement dit, il a été multiplié par six, et ce n’est pas fini ! En 2002, le volume du budget comprend les fonds spéciaux. Lionel Jospin les supprimera à bon droit, mais ils seront compensés par une augmentation de la dotation budgétaire, et même « supercompensés » en ce qui concerne l’Élysée. Il faut donc, pour l’année 2002, faire le calcul sans les fonds spéciaux et avec la dotation compensatoire.

Entre 2002 et 2006, la hausse du budget se poursuit à un rythme il est vrai un peu moins effréné : j’aurais tendance à y voir l’effet de mes interventions. En 2006, le budget s’élève à 32,47 millions, soit 25 % de plus qu’en 2002. Une progression aussi forte – 745 % entre 1995 et 2005 –, à enveloppe budgétaire constante, aurait mérité des explications précises et chiffrées.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Elles ont été fournies.

M. René Dosière. Or je n’ai reçu que des réponses aussi générales que floues. Nous sommes en tout cas très loin de la présidence modeste promise à son arrivée par le Président de la République, si j’en crois un article du Figaro du 4 juillet 1995.

Toutefois, mon propos est autre. En effet, ce budget officiel qui explose ne constitue qu’une faible part du budget réel de l’Élysée, puisque les différents ministères y contribuent en prenant en charge des dépenses ou en versant, comme l’outre-mer, une dotation forfaitaire que le Président utilise à son gré – 500 000 euros quand même. Ces participations ministérielles ont naturellement augmenté au rythme des compétences nouvelles des présidents.

Grâce aux questions écrites que j’ai posées aux différents ministères et en dépit de quelques « blancs » qui subsistent, il apparaît que le budget officiel, celui que votent les assemblées, ne représente que 36,9 % du budget total de l’Élysée, dont les ministères assurent, de façon dispersée, 63,0 %, soit 29 % pour le ministère de la défense, 13 % pour celui des affaires étrangères, 12 % pour celui de la culture, 3 % pour celui de l’économie et des finances, 2 % pour celui de l’intérieur et celui de la justice et 2 % encore pour six autres ministères.

S’en tenir au seul budget officiel que nous votons ne permet donc pas de connaître le coût de la Présidence. Ainsi, en 2003 – année pour laquelle nous avons les réponses des ministères, mais elles sont en cours d’actualisation pour 2004 et 2005 –, alors que le budget visible s’élève à 30,5 millions d’euros, le budget caché dans les arcanes des différents ministères s’élève à 52,123 millions d’euros, et encore ce chiffre est-il vraisemblablement inférieur de 2 à 3 millions à la réalité.

Or, conformément à la loi organique relative aux lois de finances, toutes les sommes fournies par les différents ministères devraient figurer dans un budget unique de la Présidence. Nous aurions alors un budget-vérité. Je tiens du reste à ajouter à l’intention de ceux qui me soupçonnent de quelque procès d’intention que cette manière de procéder reviendrait à sanctuariser le budget de la Présidence, c’est-à-dire à le protéger. En effet, si la dotation officielle est protégée par le principe de l’autonomie financière, réaffirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2001-456 relative à l’article 115 de la loi de finances pour 2002, il n’en va pas de même des crédits ministériels, qui peuvent être réduits ou annulés. Il est vrai que, quelle qu’ait été la période, on n’a jamais vu un gouvernement vouloir réduire ces crédits. Mais est-il en théorie admissible qu’un gouvernement ait la possibilité de réduire les crédits du Président de la République ? Il conviendrait donc de procéder à l’amélioration que je vous propose.

Il serait également nécessaire de faire la vérité sur la rémunération du chef de l’État. C’est l’objet de ma deuxième proposition : fixer par la loi le traitement du Président de la République.

Une des différences entre la monarchie et la république, je l’ai dit, c’est que, en république, le Président reçoit un traitement dont le montant est fixé par la loi, voire par la Constitution, comme en 1848. C’était encore le cas au début de la IIIe République, mais l’évolution des pratiques budgétaires relatives à la Présidence a transformé ce traitement en une dotation sur laquelle le Président détermine lui-même la part qui correspond à un traitement.

Autrement dit, dans la République française, le Président fixe lui-même le montant de sa rémunération. Cette pratique ne me paraît pas satisfaisante. Au regard des principes républicains, il est en effet anormal que le chef de l’exécutif soit le seul – je dis bien le seul – responsable politique dont la rémunération ne soit pas fixée par la loi, alors que celle du maire du plus petit village de France l’est.

M. Michel Terrot. Même celle de M. Frêche !

M. René Dosière. De même, à l’été 2002, nous avons revalorisé la rémunération du Premier ministre et celle des ministres, afin de tenir compte de la suppression, qui a été un progrès, des fonds secrets, dont une partie, hélas, servait à compléter la rémunération ministérielle.

Pour le Président, la situation consistant à fixer soi-même son traitement est délicate à gérer, ce qui fait que le montant atteint un niveau ridicule, et chacun comprend bien pourquoi. Fixé, toujours en valeur 2005, à 104 300 euros par an en 1960, il n’a jamais été revalorisé par le général de Gaulle, si bien qu’en 1970, il est descendu – en valeur constante – à 70 212 euros.

M. Michel Terrot. Eh oui !

M. René Dosière. Il semble de toute façon que le Général ne le percevait pas, puisqu’il le reversait à une œuvre humanitaire en fin d’année. Cette rémunération passe en 1977 à 144 400 euros, tombe à 88 140 euros en 1984, remonte à 93 950 euros en 1987, avant de redescendre à 84 500 euros en 1993, le Président de la République ayant réduit de 10 % son propre traitement, à l’instar des membres du Gouvernement. Aujourd’hui, selon la réponse que m’ont faite les services du Premier ministre, ce traitement – car il s’agit bien d’un traitement soumis intégralement à l’impôt – s’élève à 79 133 euros. Or, dans la mesure où, selon le Premier ministre, ce traitement est « traditionnellement » – j’insiste sur le mot – « liquidé sur la base du groupe hors échelle G », on s’explique mal les variations auxquelles il a été soumis. Peut-être, dans le passé, son mode de fixation a-t-il été calculé sur une autre base. Dans ce cas, la tradition évoquée est récente.

Quoi qu’il en soit, la rémunération du chef de l’exécutif est inférieure non seulement à celle du Premier ministre – 242 472 euros –, mais encore à celle d’un secrétaire d’État : 153 540 euros. Je n’ai rien contre les secrétaires d’État et je le serais volontiers un jour, mais est-il convenable que le traitement du chef de l’État soit inférieur à celui d’un secrétaire d’État ? Nous vivons dans un drôle de pays !

Si la loi est muette quant au traitement du Président en activité, en revanche elle détermine la rémunération du président retraité, puisque l’article 19 de la loi 55-366 du 3 avril 1955, publiée au Journal officiel du 6 avril, précise que les anciens présidents perçoivent « une dotation annuelle d’un montant égal à celui du traitement indiciaire brut d’un conseiller d’État en service ordinaire » – soit quelque 70 000 euros. Il s’en est fallu de peu que le montant de la retraite soit supérieur à celui du traitement d’activité ! De nombreux salariés aimeraient se trouver dans une telle situation !

Pour mettre un terme à cette incohérence si peu républicaine, j’ai proposé que la loi fixe le traitement du Président à un niveau évidemment supérieur à celui du Premier ministre. J’ai le souci de la rémunération du Président ! Mes chers collègues de la majorité, vous avez repoussé cet amendement de bon sens…

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Par souci d’économie !

M. René Dosière. …qui, je le pense, finira par s’imposer.

J’entends bien l’objection selon laquelle ce traitement constitue de l’argent de poche, puisque les dépenses du Président liées à sa fonction sont prises en charge par l’Élysée ! Toutefois, c’est également le cas du Premier ministre, et une disposition de ce type devrait s’accompagner d’une clarification entre dépenses publiques et dépenses privées.

C’est l’objet de ma troisième proposition : séparer dépenses publiques et dépenses privées.

Dès lors qu’il disposerait d’un véritable traitement, et compte tenu de sa prise en charge financière par l’Élysée, il conviendrait que le Président finance lui-même ses dépenses personnelles. C’est parfaitement réalisable si l’on en croit Claude Dulong dans son livre La vie quotidienne à l’Élysée au temps de Charles de Gaulle : « Ce serait presque une insulte à la mémoire du Général que d’insister sur son intransigeante probité à l’égard des deniers publics. Rappelons tout de même que, jamais, il ne fit supporter par le budget de la Présidence de ces petites dépenses dont d’autres ne se font pas scrupule, par exemple le coût de ses uniformes et costumes ; jamais non plus il n’emmena à la Boisserie des serveurs de la Présidence. » Pas de personnels de l’Élysée chez lui ! « On s’amusera d’apprendre qu’il avait toujours son chéquier à portée, même pendant ses voyages officiels, pour pouvoir payer directement ses dépenses personnelles ». On croit rêver !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Vous n’avez pourtant cessé de le combattre !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. C’était même le coup d’État permanent !

M. René Dosière. C’était la Présidence dans les années soixante !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. Et pour Mazarine, qu’en a-t-il été ?

M. René Dosière. Il est en revanche une autre question qui ne se posait pas au temps du général de Gaulle, c’est le statut du conjoint, terme qui, aujourd’hui, paraît plus adapté que celui d’épouse.

En effet, l’évolution de la société et des modes de vie ne permet plus d’ignorer l’activité professionnelle, le cas échéant, et politique, évidemment, du conjoint du chef de l’exécutif, et ses conséquences sur l’utilisation des fonds publics, aucun statut de conjoint du Président de la République n’étant prévu par la loi.

M. Michel Terrot. Et d’une Présidente ?

M. René Dosière. J’ai parlé de conjoint : le terme me semble clair.

Qui peut nier l’engagement politique de Mme Mitterrand, et aujourd’hui de Mme Chirac, qui a multiplié, à l’occasion des campagnes électorales, déplacements et interventions médiatiques ?

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. C’est une élue !

M. René Dosière. Il est vraisemblable que l’engagement politique du conjoint du chef de l’État ira en s’accentuant, ce qui rend plus que jamais nécessaire une réflexion sur son statut au regard de l’usage des fonds publics qui en résulte. Monsieur Chartier, c’est un point que vous n’avez pas abordé.

Dès à présent d’ailleurs, la question se pose pour le nombre de personnels mis à la disposition du conjoint du chef de l’État, ce qui me conduit à ma quatrième proposition : clarifier le statut du personnel en poste à la Présidence de la République.

Combien de personnes travaillent à l'Élysée ? Neuf cent soixante-trois, vient-on de me répondre, sans que l'on sache exactement à quoi correspond ce chiffre, puisqu'il existe deux catégories de personnel : les fonctionnaires mis à disposition, qui continuent d’être rémunérés par leur administration d'origine mais qui perçoivent en sus des primes versées directement par l'Élysée, et les contractuels, embauchés et payés directement par la Présidence.

L'évolution de ces effectifs est allée de pair avec l'extension des interventions de l'Élysée. En 1977, le nombre total d'agents s'élevait à 548, chiffre qui est passé en 1984 à 684 – hors personnel du cabinet qui, à cette date, comportait 5 officiels et 7 officieux –, soit environ 700 personnes. En 1995, l'effectif passait à 828, en 2001 à 914 et, en 2006, à 963 : voilà une belle croissance ! Quatre-vingts pour cent de cet effectif sont fournis par les différents ministères qui mettent leur personnel à disposition, 15 personnes venant de La Poste, 10 de France Télécom et 33 de la Ville de Paris.

M. Christophe Caresche. Tout à fait ! Ce sont les jardiniers de la Ville de Paris.

M. René Dosière. Je signale d’ailleurs que, s’agissant de ces trois institutions, l'Élysée rembourse le salaire des personnes ainsi mises à disposition.

Or cette juxtaposition de personnels de statuts très différents ainsi que l'absence de transparence sur le budget de la Présidence ont conduit l'Élysée à des pratiques curieuses à la légalité douteuse.

Ainsi, un livre consacré à l'Élysée sous François Mitterrand évoque la présence de conseillers officieux dont la rémunération était assurée par des entreprises comme EDF, Gaz de France, Air France.

M. Jérôme Chartier. Mais c’est incroyable !

M. Pierre Hellier. M. Mitterrand n’a pas pu faire cela ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière. Autant d'emplois fictifs qui, aujourd'hui, tomberaient sous le coup de la loi si jamais ce système perdurait. En effet, je m’efforce en vain depuis plusieurs mois de connaître le détail des emplois contractuels payés directement par l’Élysée. Or cette volonté manifeste de dissimuler la répartition de ces emplois rémunérés par l'Élysée s'explique peut-être par le souci de cacher la provenance de ce type de recrutement. Si tout est clair, pourquoi le Premier ministre, organisateur en son temps d'un « cabinet noir » à l'Élysée, s'obstine-t-il à ne pas répondre à ma question sur ce sujet ?

Qui sont – le chiffre est une estimation – ces 180 contractuels attachés à l'Élysée ? Quel est leur rôle exact ? Pourquoi un tel effectif quand on estime le nombre des collaborateurs du général de Gaulle à une vingtaine, ceux de M. Giscard d'Estaing à une trentaine et ceux de François Mitterrand à une quarantaine ?

M. Jérôme Chartier. Comment pouvez-vous le savoir ?

M. René Dosière. En 1977, l’Élysée disposait de 35 voitures, 2 motos et 7 vélomoteurs. Actuellement, selon l’une des réponses que l’on m’a faites, on compte 61 voitures et 7 scooters. À leur tour, naturellement, ces véhicules entraînent une augmentation de la consommation d’essence et un coût plus élevé des assurances.

Mme Pascale Gruny. Paient-ils la TVA ?

M. René Dosière. Il serait donc préférable de doter la Présidence d’une administration propre en utilisant la procédure du détachement pour les fonctionnaires, plutôt que la mise à disposition. Seule la sécurité externe pourrait faire exception. J’ajoute qu’une telle évolution serait parfaitement conforme à la loi organique sur les lois de finances, dont le but est de connaître la vérité des coûts.

D'où ma cinquième proposition concernant le paiement des prestations de service.

Il convient en effet de soumettre les prestations de service au régime de la LOLF. Vous savez à ce sujet que les déplacements aériens du chef de l'État et des ministres sont assurés par l'escadron de transport, d'entraînement et de calibrage, l’ETEC, qui comprend 70 officiers et 149 personnels non-officiers, soit un coût salarial global de 9,2 millions d'euros en 2004.

M. Michel Terrot. Sans compter les écoutes téléphoniques !

M. René Dosière. Pour assurer les déplacements des autorités gouvernementales qui ont effectué cette année 3 757 heures de vol, cet escadron dispose de deux Airbus A 319 acquis en 2002 pour 130,8 millions d’euros chacun, de deux Falcon 900 et de quatre Falcon 50 acquis à la fin des années 80. Le coût horaire de ces aéronefs varie, en 2004, de 4 114 euros à 6 328 euros selon l’appareil, ce coût comprenant les carburants et ingrédients, l'amortissement, les rémunérations et charges sociales.

Compte tenu des 1 076 heures de vol effectuées en 2004 au bénéfice de la Présidence, contre 673 en 2003 – d’une année sur l’autre, le Président a sensiblement augmenté ses déplacements – le coût d'utilisation de l’ETEC s'élève à 5,8 millions d'euros, somme à laquelle il convient d'ajouter une quote-part des frais fixes de personnel, soit 2,6 millions d’euros.

Tous ces chiffres se trouvent dans les réponses claires, précises et rapides de la ministre de la défense, dont je souligne à quel point elle est respectueuse de la fonction parlementaire, ce qui n’est pas le cas du Premier ministre, dont on connaît le mépris à l’égard des députés. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jérôme Chartier. C’est trop facile !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Vos propos ne sont pas corrects du tout !

M. René Dosière. Mais il est vrai qu'elle, avant d'être ministre, a été députée. J’y reviendrai.

Il apparaît donc que cet escadron se comporte comme un prestataire de services pour le chef de l'État et les autorités gouvernementales, et dispose d'une comptabilité analytique permettant de chiffrer le coût de chaque déplacement. Dans ces conditions, il est tout à fait contraire à la LOLF de faire supporter par le seul ministère de la défense le coût global de cet escadron. Je suggère donc que chaque utilisateur rembourse à 1'ETEC le montant de ses prestations.

De même, l'entretien et la restauration des meubles déposés dans les locaux de la Présidence par le Mobilier national ont nécessité, en 2004, 4 217 jours de travail, soit l'activité d'une vingtaine de personnes à temps plein. En outre, le coût d'achats de matières premières pour la Présidence est de l'ordre de 300 000 euros. Là encore, il serait conforme à la LOLF que ces prestations soient intégralement remboursées au Mobilier national.

Bien entendu, toutes ces dépenses ne figurent pas dans les documents « budgétaires » de la Présidence, contrairement au souhait exprimé par le législateur en 2001. Ce qui m’amène à ma sixième et dernière proposition : établir la transparence sur le budget de la Présidence.

Lorsque, en octobre 2001, j'ai souligné pour la première fois la croissance vertigineuse et quelque peu camouflée du budget officiel de l'Élysée, les parlementaires de la majorité d'alors se sont émus – il y avait de quoi – et ont voté, à l'initiative du rapporteur général de l'époque – M. Didier Migaud – un amendement rendant obligatoire, pour chacun des pouvoirs publics et donc pour la Présidence de la République, un rapport expliquant les crédits demandés dans le cadre de la loi de finances, et, à l'occasion de la loi de règlement, une annexe explicative développant les crédits dépensés. Cet amendement est devenu l'article 115 de la loi de finances pour 2002.

On dispose aujourd'hui de six rapports et de deux annexes pour les budgets 2003 et 2004.

Je vous avoue, mes chers collègues, que la déception que j'éprouve aujourd'hui à la lecture de ces documents est aussi forte que l'espoir que cette disposition avait soulevé en moi à l'époque. En effet, lorsqu’on examine ce document, on s’aperçoit que le budget de l’Élysée est réparti en douze lignes aux commentaires volontairement courts : pas plus de deux pages.

Je ne prendrai qu'un exemple : le « jaune », nom donné au document en question, fait apparaître au titre des produits divers une ressource de 365 000 euros. Le commentaire – le même d’ailleurs depuis trois ans – sur cette recette, précise que cette somme provient « notamment » des contributions des personnels au fonctionnement de la crèche et, ensuite, des intérêts du compte de dépôt de fonds au Trésor. Il aurait sans doute été plus judicieux d'inverser les recettes, et peut-être, d’ailleurs, d'en donner le montant, car je doute fort que les produits de la crèche soient les plus élevés. J'ajoute qu'on trouverait vainement, côté dépenses, le coût de cette crèche dont l'essentiel est pris en charge par l'Assistance publique.

Autrement dit, l'indigence – et je pèse mon mot – de ce rapport apparaît encore plus forte si on le compare à ceux rédigés par les autres pouvoirs publics. Le Conseil constitutionnel qui, la première année, avait déposé un rapport très succinct, ce qui avait suscité une protestation de ma part, a très vite complété son rapport, désormais complet. Le Sénat, depuis 2002, et l'Assemblée nationale, depuis 1994, mettent à la disposition du public une brochure détaillée sur leurs comptes. Tout le monde peut s’en procurer un exemplaire ; il compte 50 pages et commente de manière détaillée un budget réparti en 76 rubriques. En outre, l'Assemblée nationale édite, dans le cadre de la commission de vérification des comptes, un document de 150 pages dont les commentaires détaillent 266 lignes budgétaires, données à comparer aux deux pages de la Présidence commentant 12 lignes budgétaires.

Vous comprendrez mon étonnement d’abord, ma colère ensuite, quand l'auteur de la réponse signée par le Premier ministre ose écrire que le rapport de la Présidence est « de même nature que celui fourni pour chacun des autres pouvoirs publics constitutionnels ».

À trois reprises, j'ai demandé quel était le nombre de personnels dont la rémunération principale était assurée sur le budget officiel de la Présidence, en soulignant dans chacune de mes questions les insuffisances du rapport prévu par l'article 115 de la loi de finances pour 2002.

À trois reprises, la réponse du Premier ministre m’a renvoyé au rapport prévu par l'article 115 de la loi de finances pour 2002, et ne répondait pas aux questions posées. On ne saurait se moquer davantage du contrôle parlementaire.

Et que l'on ne m'oppose pas l’argument de l'autonomie financière ! Si elle implique en effet, comme je l'ai déjà dit, qu'il appartient au Président de fixer son budget, comme le fait l'Assemblée, et même d'échapper au contrôle des dépenses – ce qui en revanche n'est pas tout à fait le cas de l'Assemblée, qui a créé en son sein une commission de vérification des comptes –, l'autonomie financière n'implique absolument pas l'opacité.

Au contraire, l'autonomie financière exige une transparence totale sur le budget réalisé, principe auquel se conforme l'Assemblée nationale. Est-il besoin de rappeler ici l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en vertu duquel « tous les citoyens ont le droit de constater […] la nécessité de la contribution publique […] » et « d'en suivre l'emploi » ? Refuser, au nom de « l'autonomie financière », de faire toute la lumière sur les dépenses publiques est inacceptable en régime républicain car c'est la porte ouverte à toutes les anomalies et toutes les dérives ; le passé est là pour nous instruire à ce sujet.

Il y a quelques années, un maire de Paris a pu dépenser sans compter parce qu'il n'existait aucun contrôle sur ses dépenses, au point que, selon le rapport de l'Inspection générale de la Ville de Paris, « les dépenses réglées en espèces par la questure avaient été l'occasion de détournements significatifs ».

S’agissant de la Présidence, on sait aujourd'hui, par de nombreux témoignages, que sans le recours aux fonds secrets et aux financements occultes d'entreprises publiques, l'Élysée de François Mitterrand n'aurait pu fonctionner.

M. Jérôme Chartier. Ça, c’est vrai !

M. René Dosière. Autant de dérives que la mise en œuvre des propositions que je formule permettrait d'éviter.

Mais il faut, en outre, une transparence totale sur le budget. Quand on constate la différence d'attitude entre les ministères qui détaillent leur contribution et l'Élysée qui dissimule – par Premier ministre interposé – le contenu de son budget « officiel », on se demande ce que cache cette volonté d'opacité.

Pourquoi ce budget a-t-il été multiplié par six depuis 1995 ? Quels types de financements occultes ce silence recouvre-t-il ? Autant de questions qui ne pourront disparaître qu’avec la transparence sur le budget de l’Élysée. Si, en vertu de la séparation des pouvoirs, il n’existe pas de contrôle législatif, il importe d’informer complètement l’opinion publique.

Mes chers collègues, en 1958, le général de Gaulle, pour ne pas inquiéter davantage les parlementaires, s’est refusé à la création d’un vrai budget. Très vite, la modicité des moyens a nécessité le recours à des pratiques plus où moins licites – plutôt plus que moins, d’ailleurs ! La rigueur dans la gestion de ces crédits dont a fait preuve le premier Président de la Ve République n’a, hélas ! pas été suivie par ses successeurs.

Aujourd’hui, la connaissance, pas encore totale, que l’on a de ce budget et de ses sources de financement exige la publication d’un document précis faisant apparaître le détail des dépenses. C’est à ce prix que la Présidence de la République gardera son prestige et son autorité, et c’est bien pourquoi je mène ce combat pour la transparence.

À l’occasion des quelques lectures sur la Ve République que j’ai faites pour préparer cette intervention, j’ai pu constater que, durant ces cinquante années, on était passé de l’enthousiasme à la dépression actuelle. Il m’est alors revenu cette pensée d’un auteur qui m’est cher, Charles Péguy : « Tout commence en mystique et finit en politique » – et, sous sa plume, le terme de « politique » n’avait rien d’élogieux ! Le républicain que je suis n’a pas oublié le désastre que fut le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 : un désastre pour la République, au-delà des situations personnelles. Mon inquiétude est grande de voir que toutes les leçons n’en ont pas été tirées.

M. Jérôme Chartier. Surtout par le PS !

M. Michel Terrot. Dites-le à M. Frêche !

M. René Dosière. J’espère que la prochaine campagne permettra l’élection d’un homme ou d’une femme qui nous fera retrouver la mystique républicaine et abandonner la politique politicienne car, comme l’écrivait encore Péguy, « la mystique républicaine, c’était quand on mourait pour la République, la politique républicaine, c’est à présent qu’on en vit ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Dans votre question préalable, monsieur Dosière, vous revenez sur un sujet qui mobilise, je n’ose dire la totalité, mais du moins l’essentiel de votre énergie.

M. René Dosière. Oh non : une petite partie seulement !

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Je vous ai écouté avec beaucoup d’attention et tiens à vous remercier d’avoir rendu au général de Gaulle un hommage fort, quoique un peu tardif à notre goût…

M. René Dosière. J’avais quinze ans en 1958 !

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Vos rappels historiques, très complets et intéressants, mériteraient de faire l’objet d’un additif à l’ouvrage La Vie quotidienne à l’Élysée au temps de Charles de Gaulle, dont l’auteur est, si ma mémoire est bonne, Jean Sainteny.

M. René Dosière. Non, il s’agit de son épouse, Claude Dulong-Sainteny.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Toujours est-il que vos compétences se trouveraient mieux employées à compléter cette belle collection de La Vie quotidienne à l’Élysée au temps de… qu’à discuter du présent projet de loi organique.

En effet, certaines de vos propositions sont obsolètes, parce que déjà entrées dans les faits. S’agissant par exemple des moyens de transports du Président de la République et des membres du Gouvernement, les vols ETEC sont déjà facturés à chaque ministère, contrairement à ce que vous avez dit ; de plus, une procédure de révision est semble-t-il en cours pour imposer aux ministères d’assurer ce financement sans délais excessifs, sachant que ces délais peuvent être aujourd'hui de plus d’un an. Sur ces questions précises, l’information pointue dont vous vous prévalez est à mon avis inexacte.

M. René Dosière. Selon Mme la ministre de la défense, seuls les petits utilisateurs remboursent !

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Enfin, si vous avez parlé de beaucoup de choses, vous n’avez abordé aucun des points du projet de loi.

M. René Dosière. Je le ferai tout à l’heure !

M. Jean Launay. Ce n’est qu’une question préalable !

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Si cela veut dire qu’ils ne posent pas de problème pour vous, je m’en réjouis : c’est de très bon augure pour la suite de la discussion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Raoult. M. Dosière n’a pas parlé non plus de Mazarine !

M. René Dosière. Ni de la Polynésie ! Mais ce sont là d’autres dérives, monsieur Raoult !

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jérôme Chartier, pour le groupe UMP.

M. Jérôme Chartier. Comme l’a relevé M. le ministre, l’intervention de M. Dosière était constamment hors sujet. Elle a néanmoins soulevé une question qui m’est chère : le financement des moyens alloués à la Présidence de la République et, d’une façon générale, la transparence de la vie politique.

Quel dommage, monsieur Dosière, que vous ne formuliez ces remarques que lorsque vous êtes dans l’opposition, et que vous oubliiez de les mettre en œuvre lorsque vous avez la majorité !

M. Éric Raoult. Eh oui !

M. Jérôme Chartier. Alors que M. Jospin était Premier ministre depuis 1997, il a fallu attendre la loi de finances pour 2002 pour que soit décidée la disparition des fonds secrets.

M. Éric Raoult. Eh oui !

M. René Dosière. Mieux vaut tard que jamais !

M. Jérôme Chartier. Qui plus est, vous avez oublié d’augmenter à due concurrence les traitements des ministres et des membres des cabinets.

M. Éric Raoult. Scandaleux !

M. Jérôme Chartier. De ce fait, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a été obligé de procéder à cette augmentation dans une loi de finances rectificative. Et qu’a dit l’opposition ? « Regardez les ministres et les membres de leurs cabinets : ils s’augmentent de 77 % ! » Nous sommes dans l’hypocrisie la plus totale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière et M. Christophe Caresche. C’est faux ! Il s’agissait de l’amendement Charasse, et nous l’avons voté !

M. Jérôme Chartier. Tout dans votre intervention est à l’avenant, monsieur Dosière.

Oui, il faut augmenter le traitement du Président de la République, car il est actuellement inférieur à celui qui est prévu pour sa retraite, oui, il faut rendre la Présidence de la République transparente. Mais c’est un long chemin, c’est un long combat.

M. René Dosière. Je m’en suis rendu compte !

M. Jérôme Chartier. Lionel Jospin n’a pas été le seul à prendre des décisions tardives : l’interdiction du financement des partis politiques par les entreprises n’est intervenue qu’en janvier 1995, à l’initiative du gouvernement d’Édouard Balladur et alors que François Mitterrand en était à la fin de son deuxième et dernier mandat…

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Eh oui !

M. Jérôme Chartier. Et pouvait-on parler alors de transparence dans le fonctionnement du palais de l’Élysée et dans les dépenses de la famille, ou plutôt des familles, du Président de la République quinze ans durant ? (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christophe Caresche. Et les HLM de la Ville de Paris ?

M. René Dosière. S’il y avait un vrai budget, il n’y aurait pas de dérives !

M. Jérôme Chartier. Franchement, monsieur Dosière, ne croyez-vous pas que l’évocation de la transparence, de l’honnêteté et les valeurs morales de la vie politique nécessitait de votre part, en tant que porte-parole du groupe socialiste, un tant soit peu de modestie ? Les hommes honorables, en la matière, ont été Jacques Chirac, qui a fait adopter en mars 1988 les premières lois sur le financement de la vie politique,…

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. C’est vrai !

M. René Dosière. Et à la mairie de Paris ?

M. Jérôme Chartier. …et Édouard Balladur, qui a voulu montrer l’exemple en supprimant en 1995 le financement des partis politiques par les entreprises.

Nous sommes sur le bon chemin, comme le prouve d’ailleurs le rapport que vous avez fait sur la Présidence de la République. Un véritable contrôle parlementaire sur le budget de la Présidence commence à se mettre en place. Il appartiendra à ceux qui seront élus en 2007 de poursuivre dans cette voie.

Le groupe de l’UMP ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Vous avez souhaité, monsieur le ministre, que l’on parle du texte lui-même : c’est ce que je vais faire.

En vue des échéances électorales de 2007, il nous est proposé d’examiner un projet de loi organique visant à modifier certaines dispositions relatives à l’élection du Président de la République. Comme l’a rappelé notre excellent rapporteur, il s’agit en fait de reprendre des observations assez techniques émises par le Conseil constitutionnel en novembre 2002 et en juillet 2005, dans la perspective des élections présidentielles et législatives de 2007. Nous débattons donc d’une réforme minimale de ce régime électoral.

Les principales modifications proposées ne paraissent pas sujettes à polémique. Ainsi, la mesure phare qui consiste à avancer la procédure de présentation de dix-huit à trente-sept jours afin de faciliter le travail des différentes autorités chargées d’organiser et de contrôler la campagne et les opérations électorales semble être de bon sens : cette disposition relative aux parrainages sera efficace car elle offrira plus de temps pour assurer la confection, le contrôle et l’acheminement du matériel électoral. Elle permettra en outre de raccourcir la période au cours de laquelle il est fait appel à la notion de « pré-candidat », période qui pose des problèmes à la fois dans l’équilibre de la couverture médiatique et dans l’application des règles de financement de la campagne, en particulier celles relatives aux déductions fiscales.

En second lieu, l’extension du vote le samedi aux collectivités françaises d’Amérique et aux ambassades et postes consulaires français situés sur le continent américain permettra de concilier l’égalité du suffrage et le décalage horaire. Jusqu’à maintenant, en raison de ce décalage entre la métropole et certains territoires situés à l’ouest de celle-ci, le vote de milliers d’électeurs était vidé de son sens, en contradiction avec l’article 3 de la Constitution, qui prévoit l’universalité, l’égalité et le secret du suffrage. C’était donc une disposition qui s’imposait.

Enfin, ce projet de loi organique entend donner un rôle plus important à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, essentiellement pour harmoniser les pratiques concernant les dépenses des campagnes présidentielles et législatives. Néanmoins, la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel par recours de pleine juridiction contre les décisions rendues par la Commission montre le caractère conciliant de la réforme.

Quant aux dispositions concernant le remboursement des dépenses de campagne, elles ne paraissent pas prêter à polémique. La modulation de ce remboursement en fonction de la gravité des manquements et de la bonne foi des candidats s’inscrit dans la logique des souhaits émis par le Conseil constitutionnel dès avant le scrutin de 2002 en faveur d’un plus grand pouvoir d’appréciation : il n’est donc guère utile de la contester.

Toutefois, le projet aurait gagné en intérêt s’il avait dépassé ces mesures mises en place par le ministre de l’intérieur : certaines propositions du Conseil constitutionnel sont en effet restées lettre morte. Je sais que ce texte se veut minimaliste, mais elles auraient mérité qu’on leur porte une attention plus soutenue.

En particulier, le projet de loi organique ne reprend pas deux des suggestions ayant trait aux « parrains » de la présidentielle, ces cinq cents élus dont la signature est nécessaire pour qualifier un prétendant à l’Élysée au premier tour de l’élection : premièrement, comme l’exigerait la transparence, la publication du nom de tous les parrains sur le site Internet du Conseil, alors qu’aujourd’hui ne sont rendus publics, après tirage au sort, que les noms de cinq cents élus par candidat ; deuxièmement, l’augmentation du nombre de parrains nécessaires afin de limiter le nombre de candidatures – en 2002, on le sait, les voix se sont dispersées entre les seize personnalités en lice.

Cela étant, les réformes proposées sont essentielles à l’amélioration du système électoral. Nous saluons ce pas en avant, mais un véritable débat de fond devra être engagé au lendemain des élections de 2007 afin de répondre aux problèmes majeurs que j’ai évoqués.

Enfin, je me permets de vous interroger sur un sujet qui me tient à cœur, monsieur le ministre : celui des modalités de vote. J’ai pris des initiatives, avec d’autres collègues, pour faciliter le vote par l’utilisation de moyens modernes, notamment l’Internet. Dans le cadre d’un contrôle strict de la sécurité et de la traçabilité des opérations de vote, et peut-être à titre expérimental, il me semble que les scrutins de 2007 pourraient donner lieu au vote par Internet. En effet, bien que les procurations soient désormais plus faciles à obtenir, trop d’électeurs ne peuvent se déplacer, en raison par exemple d’un handicap ou de leur isolement, ou, dans le cas de jeunes travaillant très loin de chez eux, parce qu’un déplacement pour voter serait trop onéreux.

À défaut d’une loi généralisant ce mode de vote, le ministère de l’intérieur pourrait à tout le moins faciliter une telle expérimentation.

Reste que l’UDF, pour les raisons que j’ai exposées, votera ce projet.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission, et M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une société française en crise, notre triptyque républicain « Liberté, égalité, fraternité », auquel j’accolerais volontiers « solidarité », est devenu un leurre, et toutes nos institutions – école, justice, police, système de représentation – sont contestées. Les fonctions dévolues au Président de la République ainsi que son mode d'élection n'échappent pas à cette critique radicale. L'inversion du calendrier électoral subordonnant l'élection législative à la présidentielle aggrave la dérive monarchique du régime et le rend plus critiquable encore.

Plusieurs exemples récents illustrent de manière saisissante la perversité des mécanismes et le divorce patent entre les citoyens et notre système institutionnel. La montée de l'abstention marque l'exclusion d'une part croissante de nos concitoyens de la vie politique. La dernière élection présidentielle a vu le vainqueur recueillir près de 83 % des suffrages exprimés au second tour alors qu’il n’a rassemblé que 13,75 % du corps électoral. Quelle illustration du malaise ambiant ! Lors du référendum sur le projet de Constitution européenne, la majorité de nos concitoyens n’a pas tenu compte des appels des deux grandes formations politiques qui se partagent le pouvoir depuis un quart de siècle en se prononçant à 55 % pour le « non ». Pour nous, ce résultat signe la condamnation par l'opinion publique de la bipolarisation de la vie politique française. Il ne faut donc pas s'étonner que la rupture soit consommée entre le peuple et sa représentation.

C'est dans un tel contexte, monsieur le ministre, que vous nous soumettez un projet de loi organique relatif à l'élection du Président de la République. Mais cette réponse n’est pas à la hauteur de la crise. Alors que la réforme de l'élection présidentielle est la seule solution, vous vous enfermez dans une logique de toilettage du régime électoral. Vous évitez ainsi le débat de fond et empêchez le dépôt d'amendements essentiels, qui sont, par définition, de nature constitutionnelle. M. le rapporteur suggère que cette logique d'actualisation précéderait désormais, de manière classique, chaque élection. Cela n’aurait rien que de très banal. Mais toucher un tant soit peu à la sacralisation de la Présidence de la République, il n’en est pas question !

Pourtant, l'émergence de la citoyenneté pose en termes forts l'exigence de démocratie participative et de pluralisme et appelle plus que jamais à un grand débat sur les institutions. Les député-e-s communistes et républicains entendent contribuer à un tel débat en formulant des propositions visant à rééquilibrer les pouvoirs, à contenir et à réduire les pouvoirs exorbitants du chef de l'État et à mettre un terme à une dérive monarchique anachronique. Nous plaidons pour une Vle République, qui s’inscrirait dans la continuité d'une tradition démocratique née en 1789, mais qui serait en même temps la première d'un nouvel âge démocratique, développant en tous domaines une logique d'implication citoyenne directe.

Sans ce nouvel essor du pouvoir citoyen, il n'y aura pas d'issue à la crise institutionnelle. Le moteur d'institutions rénovées modernes ne peut se trouver que dans une implication citoyenne active. L'initiative citoyenne doit être élargie, y compris à des propositions législatives, de même que le référendum d'initiative populaire. La souveraineté populaire doit être renforcée, la parité rendue obligatoire dans tous les scrutins, la proportionnelle généralisée à toutes les élections, la durée des mandats réduite et leur cumul strictement limité.

La logique des institutions doit être celle de la prépondérance du législatif sur l'exécutif. Les pratiques qui musellent la représentation nationale, comme le vote bloqué ou le recours à l'article 49-3, doivent être abandonnées. Le rôle de l'Assemblée nationale doit être revalorisé. La responsabilité de l'exécutif ne doit-elle pas incomber d'abord au Premier ministre et à son gouvernement ? Ne faut-il pas, d'ailleurs, envisager l'élection du Président de la République pour cinq ans au suffrage universel indirect ?

Voilà, parmi d'autres, des questions que nous aurions aimé voir abordées dans ce débat. Voilà à quoi vous vous refusez en nous présentant des mesures strictement techniques, vous l’avez répété plusieurs fois.

L'anticipation du vote le samedi pour ceux qui résident sur le continent américain peut parfaitement être comprise, pour peu que soient apportées les garanties de respect, à tous les niveaux, du secret des résultats jusqu'à la fermeture des bureaux de vote sur le territoire métropolitain. Il ne faudrait pas que le remède proposé produise pour les métropolitains les mêmes inconvénients qu'ont connus les ultramarins. Les garanties seront-elles suffisantes ?

L'allongement de la période comprise entre l'établissement de la liste des candidats et le premier tour peut également se comprendre pour favoriser un meilleur contrôle. Il pourrait également permettre une meilleure publicité de la liste des parrains, dans un souci de transparence et de démocratie. Nous présenterons un amendement en ce sens.

S'agissant du financement des campagnes, si l'établissement d'un niveau de première instance devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ne soulève pas d'objection en ce qu'il institue un double niveau de contrôle, il n'en va pas de même de la possibilité de moduler le remboursement des dépenses de campagne en fonction de la gravité des manquements constatés. Quels seront les faits générateurs ? Comment apprécier leur gravité ? Qui va l'apprécier ? La CCFP, devenue autorité administrative indépendante ? Mais n'est-ce pas lui attribuer trop de pouvoirs ? Comment le Conseil constitutionnel appelé à statuer en pleine juridiction interviendra-t-il en ce domaine ? Comment et sur quelle base le parquet sera-t-il saisi ? Nous attendons, monsieur le ministre, vos précisions et vos éventuelles assurances sur ce point.

J'ai voulu faire ici quelques remarques et formuler quelques questions que nous inspire ce projet de loi organique. Il contient d'autres dispositions, sur lesquelles je ne m'étendrai pas, mais dont aucune ne permettra de répondre aux défis majeurs que nous devons relever pour la vie politique et institutionnelle française.

Par respect des électeurs, une mesure – que nous ne sommes pas les seuls à exiger – pourrait être prise sans délais : la modification de l'article 7 de la Constitution, que deux juristes reconnus, Guy Carcassonne et Olivier Duhamel, ont très récemment suggérée dans une tribune de presse. Si l'on peut s'interroger sur la viabilité de leur proposition, force est de constater qu'ils soulèvent une question très importante : comment favoriser la libre expression et respecter le choix des électeurs, auxquels deux tours sont offerts en vue de l'élection du Président de la République ?

Notre groupe, derrière son président, mon ami Alain Bocquet, a déposé le 31 janvier dernier une proposition de loi constitutionnelle tendant à modifier l'article 7 de la Constitution afin de renforcer l'expression démocratique et citoyenne du peuple français. Avec ce texte, nous entendons faire sauter le verrou du duel au second tour en permettant, le cas échéant, à plusieurs candidats de se présenter. Le Président de la République élu sera celui qui recueillera le plus grand nombre des suffrages. Afin de ne pas reproduire le premier tour, et pour couper court aux critiques qui pourraient être formulées sur ce point, il conviendrait sans doute de fixer un seuil à partir duquel les candidats pourraient maintenir leur candidature au second tour. Il est d'ailleurs significatif que les électrices et les électeurs aient, chaque fois depuis 1965, fait nettement ressortir trois, voire quatre, candidats au premier tour. La vie politique et démocratique, c'est avant tout la diversité et le pluralisme. Or la loi électorale présidentielle telle qu'elle s’applique aujourd'hui fait perdre, aux yeux de nos concitoyens, tout intérêt au scrutin puisque le premier tour se trouve largement hypothéqué par le second. Imaginons que notre proposition ait été appliquée lors du second tour de la dernière élection présidentielle : l'issue du scrutin aurait sans aucun doute été plus conforme à ce qu’attendaient les Françaises et les Français, avec un second tour plus ouvert et donc plus respectueux de leur choix.

Voilà les observations que je souhaitais formuler au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains. J'ai dit ce que nous pensions de ce projet et j'ai posé les questions que votre texte nous inspirait. Nous serons naturellement attentifs à vos réponses. Mais j'ai dit également quelle vraie réforme nous attendions. Faute de vous engager dans cette voie, vous contribuerez à déconsidérer davantage nos institutions.

Notre démocratie représentative va mal. Il est urgent d'offrir aux Françaises et aux Français un espace et du temps pour débattre de son avenir et des institutions républicaines qu’ils souhaitent. Telle est la question fondamentale : définir une nouvelle citoyenneté à tous les niveaux de la société française. En nous privant de ce débat, vous nous privez de l’essentiel !

M. René Dosière. Tout à fait !

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi organique, n° 2883, relatif à l’élection du Président de la République :

Rapport, n° 2934, de M. Pierre Morel-A-L’Huissier, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)