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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 11 mai 2006

217e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

Eau et milieux aquatiques

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, sur l’eau et les milieux aquatiques (nos 2276 deuxième rectification, 3070).

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour un rappel au règlement.

M. André Chassaigne. Mon intervention portera sur deux points.

Tout d’abord, au nom du groupe des députés communistes et républicains mais aussi du groupe socialiste, je regrette la façon dont ce débat prend place dans l’ordre du jour. En effet, jusqu’à une heure très tardive de la nuit, on nous a affirmé que la discussion commencerait à quinze heures, puis nous avons appris en allumant notre téléviseur ce matin qu’elle était fixée à dix heures. Nous déplorons cette valse-hésitation.

Pis encore, nous entamons le débat alors que la commission des affaires économique ne s’est pas réunie pour discuter des amendements au titre de l’article 88. Cette réunion importante, reportée trois fois, devrait finalement se tenir cet après-midi entre quatorze heures trente et quinze heures. On aura beau m’objecter que les débats en commission ont déjà duré près de onze heures, j’estime que nous pourrions accorder plus de temps à cette phase de la procédure.

J’en viens à ma deuxième observation. On m’a informé ce matin par téléphone qu’il était impossible de discuter en séance un amendement qui relève à l’évidence du domaine réglementaire mais qui correspond à une demande très forte exprimée au cours d’une quinzaine de réunions par les habitants qui participaient à mon atelier de circonscription. Il y a là une violation manifeste de l’article 41 de la Constitution, lequel dispose que « s’il apparaît au cours de la procédure législative qu’une proposition ou un amendement n’est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l’article 38, le Gouvernement peut opposer l’irrecevabilité ». Le fait que ce soit le président de l’Assemblée nationale qui oppose l’irrecevabilité sur des amendements qui, certes, peuvent relever du domaine réglementaire constitue, je le répète, une violation manifeste de la Constitution. Il s’agit là, on le voit bien, d’une application anticipée de la proposition de loi constitutionnelle que notre président a déposée. Or une proposition de loi n’est pas la loi. Je demande que la Constitution soit respectée dans notre débat.

M. le président. Permettez-moi de vous répondre sur les deux points de ce rappel au règlement, monsieur Chassaigne.

Tout d’abord, le président de votre groupe, M. Alain Bocquet, siège à la Conférence des présidents. Il était donc parfaitement informé que le début de la discussion de ce texte dépendrait, conformément à l’ordre du jour et comme c’est la tradition, du moment où les débats sur le texte précédent prendraient fin. C’est pourquoi – un parlementaire aussi expérimenté que vous ne peut l’ignorer – on a pu un moment évoquer la séance de l’après-midi. Mais, comme la séance de nuit s’est terminée aujourd'hui à une heure cinquante, nous respectons l’intervalle prévu en pareil cas et entamons tout à fait normalement la séance de ce matin à dix heures. L’ordre du jour fixé par la Conférence des présidents est donc parfaitement respecté.

Quant à la réunion de la commission des affaires économiques, le Feuilleton de ce jour, que vous n’avez sans doute pas eu le temps de consulter, indique bien qu’elle aura lieu à quatorze heures trente.

S’agissant de votre amendement n° 882, il en va de l’article 41 comme de l’article 40 de la Constitution : le président de l’Assemblée nationale a parfaitement le droit, et c’est même son devoir, de déclarer…

M. André Chassaigne. C’est faux !

M. le président. Vous vous en apercevez parce que c’est un de vos amendements, mais ce n’est pas une première : c’est même la règle.

M. André Chassaigne. C’est faux !

M. le président. Vous ne pouvez vous adresser ainsi à la présidence, monsieur Chassaigne ! Vous avez d’ailleurs été quelque peu imprudent, puisque l’on pourra lire au Journal officiel que vous reconnaissez vous-même le caractère réglementaire de votre amendement.

M. André Chassaigne. C’est un fait !

M. le président. Cette franchise vous est fatale : par définition, si l’amendement est d’ordre réglementaire, il ne peut venir en discussion.

M. Claude Gaillard. Très juste !

M. le président. Nous devrions tous nous réjouir de cette règle. Le président Jean-Louis Debré a d’ailleurs demandé la plus grande vigilance à cet égard. Vous savez que la distinction entre ce qui doit relever de la loi et ce qui relève du règlement est un peu son dada. Mais il ne fait qu’appliquer la Constitution.

M. André Chassaigne. Non !

M. le président. Quant à la proposition de loi constitutionnelle que vous évoquez, c’est un autre sujet.

Comme vous-même venez de le reconnaître, soit l’article 41 de la Constitution est appliqué, et votre amendement n’est pas distribué – à l’instar de ce qui se passe pour l’article 40 –, soit la vigilance de la présidence de l’Assemblée et de ses services est prise en défaut, et l’amendement vient en discussion, contraignant le Gouvernement à invoquer lui-même l’article 41 pour le déclarer irrecevable. Ne jouons pas sur les mots !

Puisque cette proposition vous tient à cœur, vous avez tout loisir de vous inscrire sur l’article 24 ter pour la défendre. Nous avons tous subi cette situation, quelle que soit la majorité, pour des amendements tombés au champ d’honneur du fait de l’application de l’article 40. Votre intervention figurera ainsi au Journal officiel et vos mandants verront que vous avez bien soutenu votre position en interpellant le Gouvernement sur son pouvoir réglementaire. L’autre procédure, bien connue dans cette maison, est celle des questions écrites. Vous avez donc la possibilité d’intervenir, et c’est bien là l’essentiel !

Ouverture de la discussion

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie et du développement durable.

Mme Nelly Olin, ministre de l’écologie et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, le Forum mondial de l’eau, qui s’est tenu à Mexico il y a deux mois, nous a rappelé que la mauvaise qualité de l’eau est la première cause de mortalité au monde. Nous le savons, une personne sur cinq n’a pas accès à l’eau potable, et une personne sur trois à l’assainissement. Dans un contexte de changement climatique et de croissance démographique, l’eau est un enjeu planétaire essentiel dont dépendent les équilibres écologiques, économiques et sociaux.

Ce constat peut sembler éloigné de notre problématique française. Nous avons en effet la chance de disposer d’un important réseau hydrographique qui a modelé notre territoire, et d’une ressource globalement abondante. Mais cette disponibilité à notre robinet ne doit pas être banalisée. Elle ne doit pas nous faire oublier l’investissement humain et financier réalisé pour que nous disposions tous les jours d’une eau potable de bonne qualité. C’est un privilège qui doit nous inciter encore davantage à assurer la qualité de l’eau dans le milieu naturel, et à garantir ainsi que demain tous les usages de l’eau pourront être satisfaits. Ce choix d’une gestion de l’eau concertée, durable et équitable pour une reconquête de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques, c’est celui du projet de loi qui est soumis à votre examen.

C’est pour moi un grand honneur et une grande satisfaction de vous présenter aujourd’hui ce texte, que je sais très attendu. Il a fait l’objet d’une très large concertation. De nombreux acteurs du monde de l’eau, mais aussi directement le grand public, ont pu contribuer à son élaboration. Je veux saluer ici le travail de mes prédécesseurs ainsi que celui du Sénat, qui a amélioré le projet du Gouvernement. Ma responsabilité, notre responsabilité aujourd’hui, est de mener à bien ce projet de réforme de la politique de l’eau.

Avant de vous en présenter les principaux enjeux, permettez-moi de remercier chaleureusement Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, André Flajolet, rapporteur au fond, pour son implication personnelle et l’importance du travail qu’il a accompli depuis des mois, sans oublier Philippe Rouault, rapporteur pour avis.

Pourquoi réformer notre législation dans le domaine de l’eau ? Ce texte a pour but d’adapter nos outils pour atteindre les objectifs fixés collectivement dans le cadre de la politique européenne de l’eau. Il ne s’agit pas de vivre ces engagements, auxquels, je le rappelle, nous avons librement souscrit, comme une contrainte, mais de les assumer pleinement comme une chance pour un environnement plus sain.


Nous le savons tous, la France est comptable devant la Commission européenne de leur bonne réalisation. À ce propos, je tiens à souligner que le nombre de contentieux européens liés à l’eau a été réduit de moitié en un an. Cela doit nous encourager à faire porter nos efforts sur les affaires en cours, dont certaines exposent la France à des sanctions financières lourdes à brève échéance. Tel est notamment le cas en matière d’assainissement, où nous avons pris un retard de huit ans dans la transposition de la directive « Eaux résiduaires urbaines », et où nous ne respectons pas, en Bretagne, la norme de 50 milligrammes de nitrates par litre dans les eaux destinées à la production d’eau potable.

Parmi les objectifs européens que nous nous sommes engagés à atteindre, la directive cadre sur l’eau de 2000 tient une place particulière. Elle lie intimement préservation du milieu et satisfaction des usages, et fixe des objectifs très ambitieux : parvenir d’ici à 2015 au bon état des eaux ; réduire, voire supprimer, les rejets de substances dangereuses ; faire participer le public à l’élaboration et au suivi des politiques ; récupérer les coûts des services liés à l’utilisation de l’eau. Cette directive rejoint et complète l’approche développée au niveau national par la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, qui avait consacré l’eau comme patrimoine commun de la nation et fait le lien entre milieu et usages. Face à ces enjeux, et malgré le dispositif mis en place par les lois sur l’eau ou la pêche de 1964, 1984 et 1992, la situation en France n’est pas satisfaisante à plusieurs égards, en particulier trois.

Tout d’abord, la qualité de l’eau et des milieux aquatiques est encore insuffisante pour atteindre le niveau requis par la directive cadre. Les pollutions ponctuelles et surtout diffuses compromettent la préservation des ressources destinées à la production d’eau potable. Les bilans de l’Institut français de l’environnement font ainsi apparaître une contamination généralisée des eaux par les pesticides, dont la présence est détectée dans 80 % des stations de mesure en rivière et 57 % en eaux souterraines. La moitié du territoire national est classée « zone vulnérable », en raison d’une concentration des eaux en nitrates supérieure à 40 milligrammes par litre ou de phénomènes d’eutrophisation.

L’objectif de bon état écologique des eaux n’est atteint aujourd’hui que dans la moitié environ des points de suivi de la qualité des eaux superficielles et des eaux côtières. Ces dernières reçoivent in fine les pollutions de l’ensemble des bassins versants, qui génèrent des phénomènes comme les marées d’algues vertes. Le bon état écologique des cours d’eau est également limité par la présence d’ouvrages qui font obstacle dans le lit des cours d’eau et entravent la continuité biologique et la circulation des sédiments.

La gestion quantitative de la ressource en eau constitue un deuxième problème. Tous les efforts de réduction des pollutions perdraient leur sens si, parallèlement, nous ne veillions pas à maintenir un débit suffisant dans nos cours d’eau. Cette question de la gestion quantitative de l’eau s’est posée avec acuité ces dernières années. Même si la pluviométrie des deux derniers mois a considérablement amélioré les prévisions pour l’été 2006, nous devons rester vigilants et nous inscrire dans une action structurelle pour réduire les écarts entre l’offre et la demande en eau. Certaines régions connaissent en effet entre les besoins et les ressources des déséquilibres chroniques qui sont préjudiciables aux activités économiques et à l’équilibre écologique des milieux aquatiques.

Enfin, s’agissant de notre organisation institutionnelle, force est de constater la nécessité de l’adapter pour améliorer la gouvernance dans le domaine de l’eau. Le dispositif des agences de l’eau a certes permis de dégager les moyens nécessaires à l’amélioration des réseaux d’eau et d’assainissement et du traitement des rejets urbains et industriels, mais les services publics d’eau et d’assainissement doivent faire face à des responsabilités importantes qu’ils ont des difficultés à assumer, notamment en matière de développement et de bon fonctionnement des dispositifs d’assainissement non collectifs ou de maîtrise des eaux de ruissellement. Les pollutions diffuses ou la protection des milieux aquatiques doivent être davantage prises en compte.

Face à ces défis multiples, l’encadrement insuffisant des ressources des agences de l’eau au regard des exigences constitutionnelles limite leurs possibilités d’évolution et d’adaptation. De même, l’organisation institutionnelle de la pêche en eau douce date d’une soixantaine d’années et n’est plus adaptée aux besoins des pêcheurs. Notre dispositif s’est bâti par couches successives depuis l’après-guerre : création du Conseil supérieur de la pêche et des fédérations de pêche en 1941, puis création des agences de l’eau en 1964 et reconnaissance des établissements publics territoriaux de bassin en 2003. Il a atteint, au fil du temps, une complexité excessive et manque désormais de lisibilité. S’il s’est révélé adapté pour répondre à des enjeux ponctuels avec des responsabilités bien identifiables, il montre ses limites dès lors qu’il faut s’attaquer à des enjeux plus diffus, comme les pollutions par les engrais et les produits phytosanitaires ou la qualité défaillante de l’assainissement non collectif.

C’est pourquoi le projet de loi qui vous est soumis vient parachever le travail entrepris depuis l’été 2002 en matière de réforme de la politique de l’eau, qui porte tant sur les outils réglementaires que sur les aspects institutionnels ou financiers : prévention des risques d’inondation, création des offices de l’eau d’outre-mer, transposition juridique de la directive cadre sur l’eau, protection des captages, coopération internationale, protection des zones humides, lutte contre l’érosion des sols. Il constitue le texte central de la politique française de l’eau et en conforte les grands principes. Il réaffirme ainsi le bassin versant comme le périmètre privilégié pour la définition des objectifs de gestion durable et la mise en œuvre des mesures destinées à les atteindre, amplifie l’association des usagers de l’eau ou de leurs représentants à la définition et au suivi de la politique de l’eau et renforce le principe de l’affectation exclusive de leur contribution financière, par le biais de redevances, à la politique de l’eau.

Ce projet de loi s’organise autour de trois grands axes : améliorer la gouvernance dans le domaine de l’eau ; renforcer les outils disponibles pour assurer la qualité de l’eau et des milieux aquatiques ; faciliter et rendre plus transparente la gestion des services d’eau et d’assainissement, en particulier pour l’assainissement non collectif.

En matière de gouvernance, tout d’abord, le projet de loi a pour ambition de réformer l’ensemble du système pour lui donner plus de lisibilité. Il traite ainsi des moyens financiers, en appuyant les redevances des agences de l’eau sur des bases juridiques plus sûres, au moyen d’une déconcentration encadrée par le Parlement et d’une simplification. En vertu de l’article 34 de la Constitution, le Parlement a en effet compétence exclusive pour fixer les règles d’assiette des redevances des agences de l’eau et encadrer leurs taux. En contrepartie, les compétences des comités de bassin sont élargies : ils devront donner, à l’avenir, un avis conforme sur les programmes d’intervention des agences. Je tiens à préciser que les redevances des agences inscrites dans le projet de loi correspondent toutes à des prélèvements existants, dont certains ont été transférés au bénéfice des agences. Le seul prélèvement obligatoire nouveau prévu est celui lié au fond de garantie des boues.

Par ailleurs, le Conseil supérieur de la pêche est transformé en un Office de l’eau et des milieux aquatiques, chargé de renforcer la surveillance des cours d’eau sur le terrain et de bâtir un pôle national d’études et d’expertise. Cet office mettra également en place un véritable système d’information sur l’eau et les milieux aquatiques ainsi que sur les performances des services publics de l’eau et de l’assainissement, outil indispensable à une évaluation partagée des résultats de notre politique de l’eau. Il apportera également un appui technique aux services centraux et déconcentrés de l’État ainsi qu’aux agences de l’eau et assurera, en tant que de besoin, une solidarité entre bassins. Il ne s’agit donc pas, comme certains semblent le craindre, d’accroître le périmètre du secteur public, mais de mieux utiliser les capacités existantes.

Parallèlement, le projet de loi propose de réformer l’organisation de la pêche. D’intérêt général, la gestion durable du patrimoine piscicole et des habitats participe à la gestion équilibrée de la ressource en eau. Le projet de loi modernise ainsi l’organisation de cette activité et en responsabilise les acteurs.

Enfin, pour améliorer la gestion locale et concertée des ressources en eau, le projet de loi assouplit les règles de composition et de fonctionnement des commissions locales de l’eau, chargées d’élaborer les schémas d’aménagement et de gestion des eaux et de suivre leur mise en œuvre. En renforçant également la portée juridique de ces schémas, il rendra ceux-ci plus opérationnels.

Pour ce qui est de la reconquête de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques et la gestion quantitative, le projet de loi retient cinq priorités.

Tout d’abord, la lutte contre les pollutions diffuses, dont j’ai déjà dit qu’elles étaient importantes. Si nous avons bien identifié certains polluants d’origine essentiellement agricole – pesticides, nitrates et parfois phosphore –, nous n’en sommes probablement qu’au début des recherches pour de nombreuses autres substances que nous rejetons dans notre environnement et qui se retrouvent dans les eaux.

Il convient donc d’agir de manière efficace et dépassionnée face à une pollution dont l’origine est systémique. L’enjeu est de rechercher des modes de production et de fonctionnement de notre économie qui ne génèrent pas un empoisonnement diffus et ne présentent pas de risques pour la santé.

En ce qui concerne l’agriculture, la maîtrise des pollutions diffuses est d’autant plus importante que des débouchés nouveaux se créent en matière de biocarburants ou de chimie verte.

M. Yves Cochet. Comment cela va-t-il se traduire ?

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. Il convient de sortir du climat actuel de défiance, dans lequel une redevance est considérée soit comme une punition, soit comme un droit à polluer. Nous devons aller de l’avant, considérer la maîtrise des pollutions comme un enjeu stratégique de développement et nous donner une obligation de résultats tangibles, seule preuve concrète de nos efforts. C’est dans cet esprit que le projet de loi propose des plans d’action géographiquement ciblés contre les pollutions diffuses, qui devront contribuer à faire évoluer les pratiques agricoles vers une meilleure prise en compte de l’environnement. Ces plans pourront bénéficier d’aides et devenir obligatoires dans les secteurs sensibles, tels que les zones d’alimentation des captages, les zones humides d’intérêt particulier ou encore les zones d’érosion diffuse.

Le texte s’attaque à la pollution par les pesticides, dont j’ai évoqué précédemment l’ampleur et dont nous connaissons tous l’importance en matière de santé publique. Il donne les moyens d’assurer la traçabilité des ventes de produits phytosanitaires et de biocides et instaure un contrôle des pulvérisateurs utilisés pour l’application de ces produits. Certains agents de la police de l’eau pourront effectuer des contrôles sur les conditions d’utilisation des produits phytosanitaires. La taxe générale sur les activités polluantes applicable aux produits phytosanitaires sera, en outre, transformée en une redevance au profit des agences de l’eau.

En ce qui concerne l’application aux agriculteurs du principe de réparation énoncé à l’article 4 de la charte de l’environnement, le Gouvernement propose une approche pragmatique et ciblée. Pour les éleveurs, la principale cause de pollution étant les nitrates, le projet de loi propose de les utiliser comme assiette de la contribution et élément intégrateur de l’ensemble des pollutions dues à cette activité. Pour les cultures, le principal problème est sans conteste celui des pesticides, dont certains sont classés comme cancérigènes et toxiques pour la reproduction. Ils sont donc dangereux non seulement pour le milieu naturel, mais surtout pour la santé humaine, les plus exposés étant les applicateurs eux-mêmes. Afin d’inciter ces derniers à moins les utiliser, le projet de loi propose donc d’utiliser les pesticides comme assiette de taxation, en instaurant, en remplacement de la taxe généralisée sur les activités polluantes payée par les fabricants de ces produits, une redevance versée par les utilisateurs.

Cette assiette, ciblée sur le paramètre de pollution le plus grave, est considérée comme représentative de l’ensemble des pollutions par les cultures : nitrate, phosphore. Elle a donc semblé suffisante pour fonder la contribution de celles-ci au principe de réparation, d’autant que le Sénat en a relevé les taux, ce que je tiens à saluer, s’agissant d’un sujet dont les conséquences en matière de santé publique peuvent être très importantes.


Par ailleurs, au-delà du découplage des aides agricoles, je rappelle que, en ce qui concerne les nitrates, la conditionnalité des aides de la PAC est maintenant pleinement opérationnelle. Elle peut conduire à refuser jusqu’à 5 % des aides à un exploitant, et constitue un outil bien plus incitatif que ne le serait une redevance sur les nitrates.

M. Yves Cochet. Non !

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. Nous devons sortir des symboles et utiliser avec pragmatisme les outils à notre disposition.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. La deuxième priorité est de reconquérir la qualité écologique des cours d’eau.

Les états des lieux qui viennent d’être réalisés, tant en France que dans les autres États membres de l’Union européenne, montrent tous que la principale raison de la non-atteinte du bon état écologique réside dans les modifications apportées par l’homme à la morphologie des cours d’eau : la gestion de certains barrages ne tient pas suffisamment compte des effets sur le cours d’eau, l’entretien est parfois mal réalisé, voire pas du tout.

Le projet de loi prévoit que le débit minimum imposé au droit des ouvrages hydrauliques soit adapté aux besoins écologiques et que leur mode de gestion permette d’atténuer les effets des éclusées. Il fixe une date limite pour l’application de ces mesures : le 1er janvier 2014. Cela concerne en particulier la règle du débit réservé du 1/10e du module introduite dans la loi de 1984 comme un objectif, lequel n’est quasiment jamais atteint sur les ouvrages existants. Il était donc nécessaire de définir une échéance.

Le texte facilite également l’entretien des cours d’eau, tout en promouvant des pratiques qui respectent les milieux aquatiques et permettent d’atteindre le bon état écologique. Il prévoit en outre plusieurs mesures pour que les continuités écologiques soient assurées, tant pour les migrations des espèces que pour les sédiments.

Enfin, il renforce les sanctions applicables aux atteintes faites aux milieux aquatiques et au braconnage.

Ces dispositions, telles qu’elles ont été modifiées par le Sénat, me paraissent un bon compromis entre la nécessité de permettre le développement des énergies renouvelables et l’objectif de bon état écologique.

La troisième priorité en matière de qualité des milieux concerne la gestion quantitative de la ressource.

Le texte actuel prévoit notamment plusieurs mesures pour renforcer la gestion collective et permettre l’attribution de quotas d’eau, ce qui est plus souple pour les utilisateurs et plus efficace pour la protection du milieu.

L’exemple de la gestion de l’eau en nappe de Beauce, où cinq départements ont mis en œuvre une gestion volumétrique exemplaire, doit être suivi.

Le Gouvernement a donc déposé plusieurs amendements afin de renforcer la maîtrise de la gestion des prélèvements d’eau, en application du plan de gestion de la rareté de l’eau que j’ai présenté en conseil des ministres le 26 octobre dernier.

En particulier, je proposerai que la loi reconnaisse la priorité qui doit être donnée systématiquement à l’alimentation en eau potable, que la pose de compteurs individuels dans les logements neufs soit rendue obligatoire et, enfin, que les collectivités responsables des services d’eau aient la possibilité d’assurer la protection de l’approvisionnement en eau de leurs captages en créant des zones de sauvegarde quantitative.

La quatrième priorité porte sur la protection des milieux marins.

J’ai constaté que le projet de loi prenait insuffisamment en compte ce patrimoine naturel exceptionnel dont dispose la France. Je présenterai donc quatre amendements sur ce sujet.

La directive « eaux de baignade » ayant été promulguée en mars dernier, la loi sur l’eau permettra d’assurer sa transposition législative. L’amendement qui vous sera proposé reprend et prolonge les propositions de l’association nationale des élus du littoral qui avaient été introduites dans le texte lors de son examen devant la Haute assemblée.

Un autre amendement portera sur l’application spécifique de la directive « Natura 2000 » en mer.

Enfin, je présenterai deux amendements visant à renforcer les sanctions en cas de dégradation du milieu marin, sanctions qui pourront aller jusqu’à la confiscation des bateaux.

La cinquième et dernière priorité en matière de protection des milieux aquatiques porte sur la simplification et le renforcement de la police de l’eau.

Un amendement gouvernemental permettra de ratifier l’ordonnance de simplification administrative du 18 juillet 2005.

Celle-ci permet d’unifier les outils issus de la législation sur la pêche et de la législation sur l’eau, de façon à avoir un régime unique en matière de pisciculture, de travaux en rivière ou de vidanges de plans d’eau. Elle limite également la procédure, lourde et coûteuse, de « l’autorisation loi eau » aux ouvrages les plus importants ayant un impact sur les milieux aquatiques.

Les autres opérations seront simplement soumises à déclaration, mais le préfet pourra exercer un droit d’opposition si la préservation de ces milieux n’est pas assurée.

L’action de l’administration pourra ainsi être recentrée sur les ouvrages les plus importants, sans diminuer la protection du milieu aquatique. Les délais d’instruction seront réduits et le nombre de contrôles, gage du respect des prescriptions, sera augmenté. La mise en œuvre de cette ordonnance s’accompagne, sur le terrain, de la constitution d’un service unique de police de l’eau dans chaque département, qui sera achevée d’ici à la fin de l’année. Il répond à un souhait largement exprimé par tous les acteurs de l’eau.

Après la gouvernance et la reconquête de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques, le troisième grand axe du projet de loi porte sur les services d’eau et d’assainissement.

Le texte a pour ambition de répondre à de nombreuses difficultés que rencontrent les élus gestionnaires de services d’assainissement.

La création d’un fonds de garantie pour l’épandage des boues d’épuration permettra de pérenniser cette filière…

M. François Sauvadet. Très bien !

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. …qui contribue au recyclage des sous-produits de l’épuration des eaux, tout en évitant des émissions supplémentaires de CO2.

Je salue à ce propos le rôle des agriculteurs.

M. François Guillaume. Ah !

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. Le projet de loi donne des compétences accrues aux communes en matière de contrôle et de réhabilitation des dispositifs d’assainissement non collectif ou des raccordements aux réseaux, ainsi que de contrôle des déversements dans les réseaux.

Sur ce sujet important, en particulier pour les communes rurales, M. le rapporteur proposera des mesures, auxquelles je me rallie volontiers, tendant à simplifier les dispositifs existants et à rapprocher les services d’assainissement collectif et non collectif.

Le projet de loi donne également des outils nouveaux aux maires pour améliorer la transparence de la gestion des services d’eau et d’assainissement et renforcer l’information des usagers, par exemple en prévoyant l’obligation de transmission systématique du règlement de service.

Les débats en matière de prix et de qualité des services d’eau et d’assainissement restant vifs, comme en témoignent certains articles de presse récents, je vous proposerai, par un amendement gouvernemental, de confier au comité national de l’eau, qui rassemble des élus, des usagers et des techniciens, une mission d’évaluation et de suivi de la qualité de ces services. Il s’agit de donner un cadre pertinent pour un débat apaisé et constructif, sans pour cela créer une structure nouvelle.

Néanmoins, améliorer le fonctionnement des services ne saurait être suffisant si, parallèlement, un effort n’était fait concernant l’accès à l’eau de nos compatriotes les plus démunis.

Le texte facilite cet accès à l’eau et à l’assainissement de tous les usagers, y compris les plus démunis, en interdisant les dépôts de garantie et autres cautions, qui devront être remboursés. L’encadrement de la part fixe de la facture d’eau décidée par le Sénat va également dans ce sens.

Au-delà de ces mesures, le Gouvernement a également choisi de prendre des mesures ciblées, de façon à s’assurer que la solidarité mise en place le soit bien du riche vers le pauvre, et pas l’inverse, résultat auquel aurait pu conduire par exemple une première tranche d’eau gratuite pour tout le monde.

Ainsi, grâce au dispositif existant pour venir en aide aux impayés de factures d’eau mis en place dans le cadre de la loi de décentralisation d’août 2004 – fonds de solidarité logement –, et à l’interdiction des coupures d’eau pendant la période hivernale pour les personnes en situation de précarité prévue par le projet de loi « engagement national pour le logement », nous disposerons d’un arsenal complet permettant de traiter les problèmes sociaux liés à l’eau.

M. André Chassaigne. Tout cela est certes prévu, mais pas encore appliqué !

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. La solidarité ne saurait cependant se limiter à l’intérieur de nos frontières, elle doit aussi s’entendre entre citoyens du Nord et du Sud.

C’est pourquoi je vous proposerai un amendement inscrivant dans les missions prioritaires des agences de l’eau la mise en œuvre de coopérations décentralisées, comme la possibilité leur en a été donnée par la loi de février 2005, portée par MM. Jacques Oudin et André Santini, que je salue pour la mise en place de ce dispositif exemplaire.

M. François Sauvadet. Très bien !

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. Celui-ci permet de mettre en œuvre une solidarité financière et technique et peut contribuer à faire valoir à l’étranger le savoir-faire reconnu de la France en matière d’eau.

Pour conclure, je sais que ce projet de loi est parfois assez technique, ce qui peut rendre sa lecture difficile. Je ne doute pas néanmoins que les échanges que nous aurons au cours des débats qui vont suivre permettront de répondre aux interrogations qui pourraient subsister. Je rappelle que la directive cadre nous demande de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats : il s’agit d’un changement profond et d’un défi auquel je ne doute pas que les acteurs de l’eau sauront répondre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. André Flajolet, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, mes chers collègues, nous sommes réunis pour écrire une nouvelle page de la législation sur l’eau. Celle-ci est aujourd’hui source de toutes les attentions, tant sur les plans économique, écologique et humanitaire qu’au regard des questions de géostratégie politique ou militaire et des enjeux mondiaux de santé et d’éducation.

L’eau est histoire et avenir de l’humanité, sacralisée par toutes les religions, inspiratrice de nombreux poètes, consubstantielle de toutes les formes de vie. Nous-mêmes, nous sommes d’abord de l’eau. Mais elle est aussi, par ses excès ou insuffisances, source de mort, cause de conflits majeurs – à tous les niveaux des relations sociales et jusque entre les États – et de profondes inégalités entre les hommes et les nations. Elle peut être enfin l’origine majeure de pandémies.

Si ces images ou mirages perdurent dans l’imaginaire collectif, l’homme sur terre a utilisé son intelligence et ses savoir-faire à construire, en domestiquant l’eau, un ordre économique, agricole, industrieux, entraînant la création de règlements d’usage. Il a ainsi détruit l’ordre originel, changé le cours naturel des événements, institutionnalisé des inégalités. Même si on ne commande à la nature qu’en lui obéissant, l’essentiel du rapport de l’homme au monde se fait dans la maîtrise des éléments premiers et de l’eau en particulier. Tel est l’un des fondements du progrès.

Si toutes les cultures et traditions placent l’eau au centre des règles, coutumes et pratiques religieuses, la première révolution industrielle a procédé à des codifications des usages économiques de l’eau et la seconde a montré progressivement les limites des dispositifs de répartition, obligeant les dirigeants à mettre en place, de façon empirique, une législation de répartition de l’eau dans les rapports sociaux et de patrimoine.

La loi du 16 décembre 1964 fut à la fois un aboutissement et un acte fondateur. L’eau est une valeur marchande, fragile et altérable, qu’il faut d’urgence gérer et protéger. En France, elle le sera par les bassins hydrographiques en faisant l’objet de régulations et d’une planification à la fois d’intérêt national et de proximité. L’eau est reconnue comme une ressource renouvelable, fragile en elle-même et par ses milieux récepteurs, qui requiert une organisation et entre dans les champs de l’économique, de l’écologie préventive, de la lutte contre le gaspillage de la ressource et de la recherche des coûts évités.

La loi du 3 janvier 1992 renforcera ces dispositifs par l’affirmation de deux principes : le premier, que l’eau est le bien commun de la nation ; le second, qui est le fil rouge de tout mon travail de rapporteur, que l’intérêt général et public est en tous points supérieur et prioritaire face à des intérêts privés et particuliers.

Dès cette période, la conscience collective s’accélère. Le thème de l’eau s’ouvre réellement aux dimensions européenne et mondiale. Les conférences et sommets mettent en avant les questions de l’accès des populations à l’eau, d’une écologie responsable vis-à-vis des êtres humains et de la planète et, enfin et surtout, des corrélations entre eau, santé et devenir des peuples.


Le projet qui est soumis à votre approbation garde une partie des conclusions de la loi de 2002, restée en panne après la première lecture.

M. Yves Cochet. La faute à qui ?

M. Michel Bouvard. À ceux qui l’ont inscrite aussi tard !

M. André Flajolet, rapporteur Il tire les conclusions pratiques des engagements de 1992 – engagements finalement heureux, monsieur Cochet – mais restés assez théoriques.

Il affirme pleinement la dimension internationale des enjeux de l’eau.

Le texte que j’ai l’honneur de rapporter est le résultat d’un travail d’écoute, de synthèse et de partage.

Il pose avec force cinq principes essentiels.

Premièrement, garantir le socle constitutionnel et organisationnel de la politique de l’eau et les outils nécessaires à l’application des directives européennes.

Deuxièmement, fonder les principes financiers d’utilisation et de répartition de l’eau pour garantir les solidarités entre acteurs et protéger les ressources, y compris la pérennisation financière de 1’ex-FNDAE pour les communes rurales.

Troisièmement, fournir une base constitutionnelle aux redevances. Tel fut 1’objet d’un très long débat sur la récriture de l’article 37.

Quatrièmement, simplifier les pratiques et les procédures pour les rendre compréhensibles dans leurs fondements et leurs objectifs dans un but de gouvernance et de prise de conscience des enjeux. Ainsi en est-il de la réforme de la redevance élevage, où le contrôle administratif tatillon et suspicieux doit être remplacé par la déclaration. Ainsi en est-il de la proposition des commissions locales géographiques, considérées comme auxiliaires de proximité et relais locaux. Ainsi en est-il du soutien des agences à la mise en place effective des SAGE, véritables outils de démocratie participative.

Cinquièmement, structurer clairement les espaces de décision, de gestion et de responsabilité. À ce titre, votre rapporteur propose de supprimer tous les lieux parallèles de décision, afin de rendre ces dernières lisibles et d’optimiser les moyens financiers disponibles en les limitant à des objectifs de travaux et de résultats.

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Très bien !

M. André Flajolet, rapporteur. Votre rapporteur propose également une politique plus responsable, efficace et organisée pour l’assainissement non collectif, objectifs que rappelait tout à l’heure Mme la ministre.

La mise en œuvre de ces cinq principes nécessite des outils : les SAGE, qui, comme je l’indiquais à l’instant, sont en quelque sorte des parlements de proximité et des lieux participatifs citoyens ; la proposition de retour au maintien de l’équilibre des collèges au sein des comités de bassin ; la création de l’ONEMA, organisme limité à des prérogatives régaliennes de l’État pour une mise en pratique effective des directives européennes, une réelle capacité opérationnelle du ministère de l’écologie ; une mutualisation des savoirs ; un soutien différencié aux territoires fragiles et un nouvel avenir pour le CSP, recentré sur des missions de service public ; enfin, une prise en compte, pour l’essentiel, des conclusions du rapport Vestur, commandé par le ministère de l’écologie, afin de pacifier les relations entre les acteurs de la pêche et de distinguer les « eaux libres » et les « eaux closes ».

M. François Sauvadet et M. Georges Colombier. Très bien !

M. André Flajolet, rapporteur. Il n’a échappé à aucun observateur attentif que l’Europe est omniprésente dans ce texte, car il nous incombe de mettre en œuvre des directives, dont la plus importante est la directive cadre sur l’eau. De même, l’Europe est présente par la politique agricole communautaire, les contraintes et les objectifs de l’écoconditionnalité.

M. Jean Lassalle. Malheureusement !

M. André Flajolet, rapporteur. La question de la place des agricultures au cœur de ce projet de loi a suscité de longs débats, a donné lieu à beaucoup d’écrits, et a agité des lobbys bruyants. Il me paraît important d’apporter l’éclairage de la commission dès le début de notre discussion, tant le sujet est passionnel.

L’un des objectifs du projet de loi est d’exprimer un juste équilibre financier afin que l’utilisateur de l’eau paye une redevance équitable. Ce débat se déroule dans un contexte européen qui impose des pratiques environnementales assorties de pénalités lourdes et dans un climat médiatique qui confine parfois à l’aveuglement idéologique. Le reportage de TF1, lundi soir, était un modèle de caricature et de négation du rôle de notre assemblée.

En conclusion, je vous livrerai les quelques réflexions que m’ont inspirées les entretiens que j’ai eus avec le monde agricole.

Alors que la consommation de nitrate minéral a baissé de 20 % en trois ans, la redevance « nitrates », au cœur du projet de 2002, ne semble plus d’actualité…

M. Yves Cochet. Au contraire !

M. André Flajolet, rapporteur …car elle répondait à une philosophie de sanction et ses modalités de calcul étaient très complexes.

L’écoconditionnalité, qui prévoit une pénalité de 5 % en cas de non-respect, est une sanction de substitution plus dissuasive, qui vise exclusivement les pratiques non vertueuses.

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Exact !

M. André Flajolet, rapporteur. Les produits phytos sont-ils – dans leurs aspects les plus performants pour les uns, les plus nocifs pour les autres – suffisamment taxés pour être à la hauteur des enjeux exprimés lors de l’adoption de la Charte environnementale adossée à la Constitution ?

La position exprimée par le Sénat semble constituer le compromis le moins discutable si les autres participations proposées par votre rapporteur sont acceptées – car équilibrées –, concernant notamment la redevance élevage, dont nombre d’entre vous ont dénoncé la complexité suspicieuse et le coût de recouvrement,…

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. C’est vrai !

M. André Flajolet, rapporteur. …lequel recouvrement a parfois excédé le montant de la dite redevance.

Je me dois d’indiquer que les résultats du dernier BIMAGRI –n° 18 – ne sont pas étrangers à mon souci de modération ; je constate que l’endettement moyen des agriculteurs a augmenté de 20 % entre 2004 et 2005 et que les arboriculteurs et les viticulteurs d’appellation d’origine ont subi une érosion massive de leurs revenus.

Nous visons un juste milieu qui corresponde à une dimension humaine et sociétale très marquée.

Cependant, je reste convaincu qu’une nouvelle logique participative est à créer, car les agricultures doivent intégrer, pour elles-mêmes et pour le sol en tant qu’outil de travail et d’aménagement du territoire, de nouvelles missions et de nouveaux objectifs : la lutte contre le ruissellement et l’érosion ; le stockage préventif contre l’étiage ; les cultures intermédiaires et les corridors biologiques ; l’utilisation intelligente des caractéristiques naturelles comme les talwegs ou les haies bocagères ; l’extension des CADD collectifs et la protection renforcée des zones sensibles ou des zones de captage d’eau potable. Ce sont là des outils de reconquête environnementale au bénéfice de tous. Tels pourraient être les ingrédients nouveaux d’un contrat entre le monde agricole, les agences et les ministères concernés.

Les agences de l’eau et les outils existants, comme les SAGE, les EPTB, les parcs, les collectivités territoriales, pourraient, dans leurs compétences respectives, faciliter la mise en œuvre de ces pratiques nécessaires.

Il reste un chantier : définir les critères et les sources de financement. À cet égard, la réflexion avec les agricultures n’est pas encore achevée.

La Charte européenne des ressources en eau adoptée par le Conseil des ministres du 17 octobre 2001, qui affirme dix-neuf principes, reçoit ici des contenus techniques et financiers nouveaux, qui permettront à notre pays de la rendre opérationnelle et de répondre à des objectifs de qualité.

Les articles 1 et 3 de cette charte ont aussi donné lieu à débat, afin que soit trouvé un équilibre entre les traditions « au fil de l’eau » et la modernité de la production d’électricité d’origine hydraulique, et que soit respectée la vie des milieux aquatiques d’autre part.

Il n’aura échappé à personne que la France doit atteindre 21 % de production électrique par énergies renouvelables, que seule la production électrique d’énergie hydraulique permet à la fois une réactivité immédiate en période de pointe et une absence de production de CO2 dans une enveloppe de droits d’émissions fermée.

Les compromis trouvés entre les services de l’État et les élus lors des travaux de la commission nous permettront, je l’espère, d’avancer rapidement sur ces questions. Ces compromis traduisent le souci de l’intérêt général et tournent le dos aux slogans.

C’est aussi dans la dimension du monde que le projet de loi s’inscrit, en rappelant nos engagements du millénaire pour ce qui est de nos devoirs d’humanité. Le projet réaffirme le contenu de la loi Oudin-Santini pour des partenariats qui soient à la dimension des attentes de nombreux pays que nous avons rencontrés à Mexico. Il prône une action éducative auprès des publics scolaires, tant les principes de dignité et de savoir sont essentiels. Je souhaite que les agences de l’eau sachent créer les conditions de micro-réalisations en faveur des étudiants des lycées et collèges des pays émergents, en collaboration avec leurs homologues français, et qu’elles participent par exemple au « projet 1 000 écoles avec sanitaires » dans les pays pauvres grâce à des coopérations bilatérales – gages d’accès à l’éducation, pour les filles en particulier.

Pour arriver au projet qui est soumis à votre réflexion, un vaste chantier préparatoire a été nécessaire. Nous avons eu la possibilité de nous appuyer sur le travail sénatorial, sur les multiples auditions auxquelles nous avons participé – nous nous sommes même parfois rendus sur place –, sur l’important apport de la commission des affaires économiques, toutes sensibilités politiques confondues, et de son président Patrick Ollier, que je remercie sincèrement,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économique, de l’environnement et du territoire. Merci !

M. André Flajolet, rapporteur. …sur les services éclairés des ministères concernés et de nos administrateurs. Je remercie la presse, qui, pour l’essentiel, présente des analyses facilitant la réflexion et la compréhension des enjeux de ce projet de loi.

Je suis convaincu que le débat parlementaire qui va s’engager saura faire émerger de nouvelles opportunités. J’ai, dans cette expérience, renforcé ma conviction que le Parlement est un lieu exemplaire de dialogue fructueux et de démocratie apaisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les députés, rapporteur pour avis de la commission des finances, j’aborderai uniquement les enjeux financiers de la loi sur l’eau, André Flajolet ayant été exhaustif.

La législation sur l’eau attendait une réforme depuis longtemps. La dernière grande loi sur l’eau date en effet de 1964. Novatrice à l’époque, elle a toutefois, au cours de ces quarante années, montré quelques défaillances, tant sur le plan juridique que sur le plan pratique, notamment au niveau de la répartition des responsabilités.

Soucieux de résoudre la complexité des structures et des financements, le présent projet place la future loi sous le signe de la continuité et du renouveau. Il lui donne de nouvelles bases juridiques, plus conformes à l’esprit comme à la lettre de notre Constitution. Il ne sera cependant un véritable progrès que s’il conserve la relative simplicité qui avait prévalu en 1964, et qui, depuis lors, s’est dégradée.

Ce projet jette les bases d’une nouvelle fiscalité de l’eau, qui ne soit plus fondée sur le schéma juridiquement très incertain sur lequel reposent aujourd’hui les redevances.

La réorganisation prévue s’opère dans deux directions.

Le Parlement aura désormais un réel pouvoir de décision dans le domaine des redevances sur l’eau.

Les redevances sont actuellement perçues en violation de la Constitution. En pratique, les budgets des agences de bassin sont alimentés par des redevances. Celles-ci servent à financer toutes leurs dépenses, quel que soit leur objet. En dépit de leur nom, elles ne peuvent être considérées comme des rémunérations pour des services rendus et constituent bel et bien des « impositions de toute nature ». Or, nous le savons, la Constitution impose, dans son article 34, que le Parlement fixe le taux, le recouvrement et la durée « des impositions de toute nature ».

M. Christian Decocq. Ça se discute !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Il s’agit au demeurant de la prérogative la plus ancienne et la mieux établie de tous les Parlements, née précisément du principe que « taxation ne va pas sans représentation » inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

L’inconstitutionnalité du dispositif était pourtant avérée depuis 1982. Dès cette date, le Conseil constitutionnel avait relevé que les redevances perçues par les agences constituaient des impôts.

De plus, la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau n’a pas abordé la question des agences, tandis que, en 2001, la mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances, mentionnait comme première proposition la compétence du Parlement pour fixer l’assiette et le taux des redevances.


Cette proposition est restée sans suite. Le Parlement se trouve ainsi privé d’un pouvoir décisionnel qui lui incombe constitutionnellement en vertu des principes fondamentaux applicables à sa compétence fiscale.

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Je tiens donc à souligner que l’un des intérêts du présent texte consiste à mettre fin à une situation choquante sur le plan des principes démocratiques,

Le présent projet de loi, par son article 27, prévoit ainsi que le Parlement fixe à l’avenir le taux, l’assiette et les modalités de recouvrement des redevances sur l’eau.

M. Michel Bouvard. Il était temps !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Les agences de l’eau perçoivent, mais n’établissent pas le taux de ces redevances.

Je souhaite au demeurant aller plus loin encore en proposant de renvoyer à un décret en Conseil d’État le soin de fixer des taux qui ne seraient pas votés par le Parlement en matière de redevances.

Les organes directeurs des agences de l’eau seraient amenés à émettre un avis, mais l’autorité qui leur est attribuée par le présent projet de loi reviendrait ainsi, logiquement, au pouvoir réglementaire.

Par ailleurs, je vous propose d’alléger le texte examiné ou de simplifier les dispositifs qu’il prévoit.

Le texte du projet de loi sur l’eau transmis à l’Assemblée nationale compte soixante-seize pages. Sur l’ensemble des dispositions proposées, certaines ne semblent pas indispensables, d’autres même paraissent nuire aux objectifs poursuivis.

Par un souci de clarté, j’ai donc estimé que la contribution la plus utile que je pourrais apporter au texte, au nom de la commission des finances, serait de retrancher certaines dispositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Decocq. Excellent !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Dans ce but, j’ai proposé plusieurs amendements.

De plus, le contenu même de certaines dispositions se trouve affaibli du fait d’un éparpillement auquel il convient de remédier.

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. L’assiette des redevances est souvent mal définie.

M. Michel Bouvard. Il y a trop de redevances !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. La fiscalité de l’eau est trop dispersée. L’article 37 propose ainsi d’instituer pas moins de huit redevances.

M. Michel Bouvard. C’est beaucoup trop !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. La redevance pour stockage d’eau en période d’étiage et la question de la taxe de ruissellement retiennent, elles aussi, tout particulièrement l’attention.

En atomisant ainsi la fiscalité de l’eau,…

M. Michel Bouvard. Fiscalité passoire !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. …le dispositif nuit tant à la fluidité du recouvrement qu’à sa bonne compréhension par l’usager. Il gagnerait beaucoup à être allégé, même s’il constitue une amélioration par rapport à la technicité de la situation actuelle.

Enfin, le présent projet de loi procède à une réorganisation qui doit conduire à un partage plus net des responsabilités entre les acteurs de la politique de l’eau.

Il révise d’abord le fonctionnement des agences de l’eau. Il revoit ensuite les rapports financiers qui unissent l’État à ces agences.

Il faut préserver le rôle central des agences de l’eau. Toute l’originalité de l’organisation institutionnelle française en matière d’eau repose sur la notion de bassin versant. À chacun des six grands bassins versants correspond une agence de l’eau.

Ces dernières ont en effet passé avec succès l’épreuve du temps. Le présent projet de loi ne remet pas en cause leur rôle mais il apporte quelques modifications à ces piliers essentiels de la politique de l’eau en France.

Nous devons donc nous concentrer sur ce niveau d’intervention efficace. J’ai estimé que l’article 28 bis, qui propose la création d’un fonds départemental pour l’alimentation en eau et l’assainissement, ferait naître le risque de compliquer inutilement l’organisation institutionnelle existante.

M. François Sauvadet. Non !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Il ajouterait un niveau d’intervention supplémentaire, sans que ce niveau corresponde à l’échelle naturelle des problèmes en cause, …

M. François Sauvadet. Cela se discute !

M. Christian Decocq. Non, c’est très bien !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis…. telle qu’elle est consacrée depuis plus de quarante ans par la loi.

J’ai donc proposé que des fonds de réserve spéciaux soient constitués pour recevoir les recettes qui pourraient être perçues en excédent, sachant que les agences de l’eau fixent des redevances au taux maximal autorisé par la loi. Leurs recettes estimées sur la période 2007-2012 pourraient se révéler bien supérieures au plafond global de dépenses proposé par l’article 36 du projet de loi, soit 12 milliards d’euros pour l’ensemble de cette période.

M. François Sauvadet. Quand on voit les difficultés qu’elles connaissent dans l’élaboration des programmes, on peut en douter !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. De plus, il faut souligner que le présent projet de loi rénove en profondeur le circuit de financement de la politique de l’eau. Cette évolution recouvre une redistribution plus générale des compétences. Un Office national de l’eau et des milieux aquatiques reprendrait certaines des activités actuelles de la direction de l’eau. Le budget de cette dernière sera-t-il réduit d’autant ?

Concernant enfin l’adaptation à l’élevage de la redevance pour pollution de l’eau, le présent projet de loi prévoit de déterminer la redevance des élevages en calculant la quantité d’azote oxydé produit par les animaux.

Le texte reprend en cela le droit en vigueur, qui ne donne pourtant pas vraiment satisfaction sur ce point puisqu’il exige des évaluations complexes et coûteuses, lesquelles entament d’autant le produit final de la redevance.

J’ai donc estimé qu’il fallait simplifier le dispositif en proposant pour base de calcul des rejets d’éléments azotés le nombre d’unités de gros bétail, grandeur plus aisée à mesurer. Aujourd’hui, les frais de recouvrement de cette redevance sont importants ; ils baisseraient donc considérablement et accroîtraient les recettes des agences, sans pression accrue sur les éleveurs.

Je conclurai par un constat : nous sommes arrivés à une période charnière de la gestion des ressources en eau.

Mal répartie entre les hommes, menacée par les pollutions – pollutions organiques, par les pesticides, micropolluants –, source de conflits, l’eau n’est plus depuis longtemps ce bien que l’on croyait gratuit et inépuisable. Aujourd’hui, c’est bien d’une crise de l’eau qu’il est question.

M. Jean-Charles Taugourdeau. N’exagérons rien !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Il faut donc donner les outils à l’administration, aux collectivités territoriales et aux acteurs de l’eau en général pour poursuivre la reconquête de la qualité des eaux afin d’atteindre en 2 015 les objectifs de bon état écologique et retrouver une meilleure adéquation entre ressources en eau et besoins dans une perspective de développement durable des activités utilisatrices d’eau.

Le présent projet de loi vise à donner aux collectivités territoriales les moyens d’adapter les services publics d’eau potable et d’assainissement aux nouveaux enjeux, en termes de transparence vis-à-vis des usagers, de solidarité en faveur des plus démunis et d’efficacité environnementale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les rapporteurs l’ont dit avant moi, nous examinons aujourd’hui un texte extrêmement important. La précédente majorité avait commencé à l’examiner en 2002, mais l’avait abandonné à l’approche des élections. Nous le reprenons donc « au fil de l’eau ». Il est en urgent en effet que la représentation nationale assume ses responsabilités sur ce dossier délicat. Merci, donc, madame la ministre, d’avoir le courage de l’aborder devant le Parlement. Il s’agit en effet d’un sujet délicat, qui génère des oppositions et des conflits. En tout état de cause, c’est l’honneur de notre majorité de s’y consacrer.

M. Jean-Charles Taugourdeau. En effet !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est d’ailleurs avec une certaine satisfaction que je constate certaines similitudes de positions entre la majorité d’hier et la majorité d’aujourd’hui : l’eau est un sujet complexe, dont les modalités de préservation peuvent faire l’objet d’un consensus entre la droite et la gauche. Et je souhaite que le débat soit aussi constructif dans l’hémicycle qu’au sein de la commission des affaires économiques, ce dont je remercie la majorité et l’opposition. Nous avons accepté bon nombre d’amendements émanant tant de la majorité que de l’opposition.

M. André Chassaigne. Pas suffisamment !

M. Germinal Peiro. On aurait pu faire mieux !

M. François Sauvadet. On en a adopté au moins un !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Monsieur Chassaigne, vous ne pouvez pas dire le contraire !

S’agissant du présent projet de loi, je tiens à féliciter le Gouvernement pour l’exceptionnelle concertation menée en amont : elle a débuté dès 2003 par un grand débat national qui s’est déroulé en quatre phases successives, permettant de recueillir les avis du plus grand nombre et de les synthétiser. Fort de cette concertation, le projet de loi a été soumis et discuté avec rapidité et efficacité en avril 2005 au Sénat. Nos collègues ont fait un bon travail auquel je rends hommage. Mais force est de constater que, si nous sommes d’accord sur les objectifs généraux, notre commission a fait ressortir certaines divergences de vue entre les deux chambres. Nous aurons donc la lourde responsabilité de poursuivre le débat avec nos collègues.

Les réflexions autour de la problématique de l’eau durent donc depuis près de cinq ans. Il est temps d’avancer, d’autant que les objectifs à atteindre sont clairement définis. La directive cadre du 23 octobre 2000, qu’un projet de loi a transposée en 2004, prévoit d’atteindre en 2 015 un bon état écologique et chimique des masses d’eau. Ce résultat est pour l’instant loin d’être atteint et suppose, selon les estimations du ministère de l’écologie, qu’une politique volontariste soit mise en œuvre pour y parvenir. Mais je sais que vous avez cette volonté, madame la ministre, et nous vous soutiendrons.

Le deuxième objectif de ce projet de loi réside dans la mise en conformité du dispositif des redevances des agences de l’eau avec la Constitution, M. Rouault l’a rappelé ; elles ont en effet été qualifiées d’impositions de toute nature par le Conseil constitutionnel en 1982 – le Parlement ne peut pas l’ignorer – et sont donc perçues depuis cette date sur un fondement juridique plus qu’incertain. Notre rapporteur, M. Flajolet, a beaucoup travaillé sur cette question.

Cet état de fait est d’autant moins acceptable dans un état de droit que cette fragilité juridique a empêché toute réforme de fonds du dispositif, les redevances continuant à être perçues en fonction des priorités fixées il y a bien longtemps. Nous partageons un objectif commun avec la commission des finances : nous aussi, à la commission des affaires économiques, nous avons mis en accord l’attitude de la commission avec le discours national tenu par la majorité et le Gouvernement : faire en sorte qu’il y ait moins de redevances, cesser de superposer systématiquement de nouvelles strates de prélèvements et mieux coordonner ce qui existe aujourd’hui pour une meilleure lisibilité du système.

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Très bien !

M. François Sauvadet. Ça se discute.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous en discuterons, monsieur Sauvadet, et tout le monde sait que vous un expert en cette matière.

Je ne reviendrai pas sur le détail de ce projet de loi, qui a été fort bien présenté par le rapporteur. Je tiens, à ce stade, dire combien la commission a apprécié le travail accompli par M. Flajolet.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Tout à fait !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Tout le monde, du reste, a reconnu ses mérites et je tiens à lui rendre hommage, car sa tâche n’a pas été facile. Je le remercie d’avoir su, pendant près d’un an, structurer la concertation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Le projet de loi doit être enfin l’occasion de mettre en conformité notre pays avec plusieurs autres obligations communautaires, notamment en évitant des condamnations onéreuses au titre de la directive « eaux résiduaires urbaines » du 21 mai 199, on l’oublie un peu trop. En tant que président de la commission des affaires économiques, je serai également attentif à ce que le projet de loi permette le développement de l’énergie hydroélectrique, en rappelant que la directive du 27 septembre 2001 nous impose un taux de consommation d’électricité produite à partir de sources d’énergies renouvelables de 21 % en 2010. Je rappellerai également l’attachement à cet objectif exprimé par les membres de notre commission lors du récent débat sur la loi d’orientation sur l’énergie votée en 2005. Si j’insiste autant sur ce point, c’est parce que je suis convaincu que, grâce à la spécificité française en matière d’énergie nucléaire et d’eau,…

M. Michel Bouvard. En effet !

M. Patrick Ollier, président de la commission. …nous avons des marges de croissance pour aller dans le sens de la directive, notamment avec la petite hydroélectricité. Je constate que mes collègues montagnards ici présents m’approuvent.

M. Michel Bouvard. Certes ! Mais il faut un certain équilibre !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Il y a incontestablement beaucoup d’espoirs à fonder dans ce domaine et ce projet de loi ne peut que satisfaire nos collègues montagnards .


Il y a enfin un dernier objectif, qui englobe tous les autres et auquel nos concitoyens sont particulièrement attentifs : il consiste à maintenir dans notre pays une certaine stabilité du prix de l’eau qui, depuis quelques années, a tendance à augmenter. Certes, il nous faut l’accepter, dans la mesure où l’eau est en train de devenir un bien rare, dont la préservation doit être assurée. Mais, au-delà, il faut être attentif à ne pas alourdir inutilement la facture d’eau, notamment en transférant sur le consommateur la charge des missions régaliennes de l’État. Nous serons vigilants en la matière. Il faut également être attentif à ne pas mettre en difficulté certaines activités économiques, comme l’agriculture, dont la sensibilisation aux problématiques de l’eau est déjà ancienne.

M. François Sauvadet. Très juste !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. À ce titre, je suis heureux que l’Assemblée puisse bénéficier, pour avis, de l’expertise de la commission des finances et je remercie M. Rouault pour son excellent travail.

Pour prendre en compte tous ces objectifs, notre commission a fait un travail de qualité, sérieux et très consensuel, aboutissant à des points d’accord qui dépassent les clivages politiques, monsieur Launay. Tout cela augure bien du débat qui s’ouvre aujourd’hui et nous laisse espérer qu’il ne donnera pas lieu à des polémiques.

Nous avons peu touché au titre Ier du projet de loi, qui concerne la préservation des milieux aquatiques. Il est prévu de limiter l’impact des éclusées sur le milieu aquatique et de généraliser l’utilisation du débit affecté tout en maintenant un débit minimal dans les cours d’eau, ce qui permet une utilisation rationnelle de l’eau et évite de porter une atteinte démesurée aux écosystèmes aquatiques. Cet équilibre permettra de développer l’énergie hydroélectrique dans notre pays, ce dont je me réjouis.

S’agissant du titre II, consacré à l’alimentation en eau et à l’assainissement, la commission a prévu de modifier le financement du fonds de garantie des boues, en transformant la surprime sur les contrats d’assurance en taxe affectée. Elle a par ailleurs proposé, dans un souci de stabilité de la facture d’eau et de pragmatisme, de supprimer la taxe sur les eaux pluviales, dont la mise en place – et je le regrette – serait bien trop compliquée. On sait en effet que bien souvent, les taxes coûtent plus cher à prélever que ce qu’elles rapportent. Notre rapporteur en a fait la démonstration en commission.

Dans un souci de libre administration des collectivités locales, nous avons en outre décidé d’assouplir les modalités de fixation de la part fixe en supprimant le plafond qui devait être fixé par le pouvoir réglementaire.

Plusieurs députés du groupe Union pour la démocratie française. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Enfin, je laisserai le rapporteur exposer la réforme de grande ampleur de l’assainissement collectif et non collectif qu’il a mise au point et que la commission a jugée tout à fait pertinente. Il existait depuis trop longtemps des incertitudes auxquelles il fallait mettre un terme. Je n’entrerai pas dans les détails.

S’agissant des redevances, il a été tenu compte des difficultés de certaines activités économiques et notamment de l’agriculture. Cela a été un des points essentiels de notre débat. La commission a repoussé la taxe nitrates proposée par l’opposition, non par principe mais par réalisme : le coût administratif de cette taxe est démesuré et il me semble préférable dans ce domaine de rentrer dans une logique partenariale plutôt que dans une logique fiscale qui n’est pas du tout adaptée.

Je sais que ce texte va susciter des campagnes contre nos agriculteurs, je sais que certains vont tenter de faire passer des messages pour dire que nous avons manqué l’occasion de sanctionner des pratiques inacceptables et non vertueuses. Des articles paraissent déjà sur ce thème. Mais je voudrais que, dans cet hémicycle, sans esprit polémique, on en revienne aux réalités. Le choix que nous avons fait ensemble est celui de la pédagogie et de la prévention. Nous l’avons fait avec l’Europe : depuis le 1er janvier 2006, l’Union européenne conditionne ses aides par des pratiques vertueuses tendant à diminuer l’utilisation de tout ce qui peut être néfaste à la santé et à la nature. Ce nouveau système d’écoconditionnalité est excellent. La prévention doit faire son œuvre : ensemble, nous devons aider les agriculteurs à faire en sorte que cela fonctionne.

Il n’était pas nécessaire, me semble-t-il, d’entrer dans une logique de sanction en mettant en place des taxes. Certes, elles auraient eu de bons échos dans l’opinion publique, toute prête à voir les pollueurs sanctionnés. Mais elles n’auraient fait que surcharger la barque des agriculteurs qui, dans certaines filières comme le phytosanitaire ou l’arboriculture, sont à la limite de la rupture.

Plusieurs députés du groupe Union pour la démocratie française. Très juste !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Fallait-il aller plus loin, risquer de provoquer dépôts de bilan et suppressions d’emplois et abandonner des pans entiers de notre économie ? Nous avons dit : « non ! ». Avec courage, nous avons choisi la prévention et l’écoconditionnalité, et je remercie la commission de l’avoir fait. Nous poursuivons tous le même objectif : moins polluer pour produire dans des conditions plus satisfaisantes, tout en s’inscrivant dans la perspective d’un développement durable.

M. Jean Launay. Les résultats ne seront pas au rendez-vous !

M. André Chassaigne. Sur quels moyens comptez-vous vous appuyer ?

M. Patrick Ollier. L’écoconditionnalité est un bon moyen d’y parvenir, monsieur Chassaigne. Il n’était pas nécessaire d’ajouter des taxes sanction. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je termine sur l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA. Sa création avait fait débat, mais aujourd’hui plus personne ne réfute son utilité. Il vous reviendra, madame la ministre, de répondre aux questions de la représentation nationale sur les missions réellement prises en charge par cet établissement. Peut-être accepterez-vous aussi certaines précisions que nous voulons apporter à ce sujet ?

Sur ce projet de loi, près de mille amendements ont été déposés.

M. Jean Launay. Et leur sort sera réglé en une demi-heure !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Non : seuls deux cents seront examinés au titre de l’article 88. Mais vous étiez présent lorsque nous avons discuté des huit cents autres, non ?

À cet instant, je voudrais remercier Mme Nelly Olin. Nos rapporteurs ont fait un excellent travail. Mais vous avez eu le souci, madame la ministre, comme c’est le cas chaque fois qu’un de vos projets concerne notre commission, de nous apporter votre soutien, montrant beaucoup de compréhension et d’esprit d’ouverture, et je remercie vos collaborateurs, avec qui nous avons travaillé. Nous avons apporté beaucoup de modifications à ce texte, allant dans le sens de notre conception de l’intérêt général. Vous nous avez rejoints dans cette conception puisque vous nous avez aidés à faire apparaître aujourd’hui ces changements de manière très claire, ce qui nous a permis d’aboutir à un texte équilibré, où le Parlement et l’Assemblée nationale plus particulièrement ont pris toute leur place. Il fallait rendre hommage à cette manière de travailler ensemble. Il ne reste plus maintenant qu’à aborder la discussion des articles et des amendements. Et je ne doute pas que la majorité, peut-être même, dans certains cas, l’opposition,…

M. André Chassaigne. Ah, ça, c’est autre chose !

M. Patrick Ollier, président de la commission. …vont vous soutenir pour que nous puissions adopter le plus rapidement possible cette importante loi sur l’eau. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean Launay.

M. Jean Launay. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il aura donc fallu trois ministres de l’écologie pour que ce projet de loi sur l’eau et les milieux aquatiques arrive en première lecture à l’Assemblée nationale, un an après son passage au Sénat.

Je dois rappeler, madame la ministre, que l’un de vos prédécesseurs, Mme Roselyne Bachelot, avait refusé de prolonger la discussion du projet de loi en cours de navette, qui avait fait l’objet d’une première lecture à l’Assemblée nationale en janvier 2002, sous le gouvernement de Lionel Jospin.

L’enjeu principal aujourd’hui est le respect des objectifs de la directive cadre du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique commune dans le domaine de l’eau liant intimement préservation du milieu et satisfaction des usages. Elle fixe aussi des objectifs ambitieux aux États membres pour atteindre en 2015 le bon état écologique sur les trois quarts des masses d’eau. L’objectif global de la directive sur l’eau est le retour aux équilibres quantitatifs et qualitatifs, proches de ce qu’ils devraient être naturellement, avec un impact modéré des activités humaines. Il est en effet admis que seuls ces équilibres peuvent garantir une protection durable du patrimoine de l’eau et de ses usages par la collectivité.

Dans quel contexte évoluons-nous ? Je crois que le constat est connu mais que personne n’en tient véritablement compte : la pollution des eaux se généralise et s’aggrave en quantité et en qualité.

Au niveau mondial, seuls 2,5 % des réserves totales d’eau sont constituées d’eau douce. 69 % de cette eau douce sont confinés sous forme de glace et 30 % sont situés dans les eaux souterraines. Lacs et rivières ne comptent que pour 0,3 % des réserves d’eau douce.

Ces volumes d’eau ne varient pas à l’échelle de la planète : la Terre contient autant d’eau à ce jour qu’aux premières heures de l’humanité. Mais la répartition spatiotemporelle et la forme sous laquelle on la retrouve sont en constante évolution. Dans les faits, les quantités d’eau disponibles pour les usages humains sont beaucoup plus limitées que ce que révèlent ces données.

En effet, la pollution des eaux de surface et des eaux souterraines rend une portion des ressources en eau renouvelables inaptes à certains usages ou nécessite le recours à des traitements coûteux et complexes d’un point de vue technologique.

Pour illustrer plus précisément l’aspect vital de nos ressources hydriques, je préciserai que la pollution des eaux tue 25 millions de personnes chaque année. Des enfants meurent d’avoir bu de l’eau contaminée : la diarrhée en tue encore près de trois millions chaque année. On se demande donc comment l’eau, si indispensable à la vie, pourrait ne pas être un enjeu social et politique.

Mais, me direz-vous, ces chiffres alarmants ne concernent pas les pays riches et a fortiori la France. Il est de bon ton de ne pas s’interroger sur les ressources en eau de notre pays et de considérer qu’elles ont toujours été et seront toujours suffisantes. Et bien, mes chers collègues, détrompez-vous. Il est temps que nous prenions pleinement conscience de la gravité de la situation. Dans de nombreux pays, y compris les pays développés, de nombreuses maladies sont causées par les pollutions des eaux. Je citerai l’intoxication par le plomb, l’empoisonnement par le fluorure, certains cancers provoqués par le mélange de sous-produits désinfectants ménagers et du chlore, sans parler de l’arsenic, des pesticides, des dioxines. Mais, surtout, n’effrayons pas les citoyens : grâce à la technologie, la qualité de l’eau distribuée en France est totalement sécurisée. Peut-être. Toutefois, tous les bilans convergent vers un constat commun : depuis des années, la qualité de l’eau et des cours d’eau s’est perpétuellement dégradée dans notre pays. Notre ancien collègue André Aschieri a, dans son ouvrage La France toxique, paru en août 1999, déploré la situation de l’eau en France.

Le 8 mars 2001, la Cour de justice européenne a condamné la France car elle ne prenait pas les dispositions nécessaires pour restaurer une qualité d’eau superficielle compatible avec une qualité alimentaire.

En mars 2003, le rapport de Gérard Miquel, sénateur du Lot, établi au nom de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, indique que la dégradation de la qualité des eaux est quasiment générale en France.

En juillet 2004, le sixième rapport annuel sur les pesticides de l’IFEN met en évidence la présence de pesticides dans 75 % des points de mesure de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques en 2002.

Enfin, en juin 2005, un rapport du Muséum d’histoire naturelle réalisé sous la direction de Jean-Claude Lefeuvre précise que, en l’absence d’une politique adaptée et dans l’hypothèse la plus optimiste, seulement 25 % des masses d’eau pourront atteindre le bon état écologique prévu par la directive cadre : « 100 % des eaux souterraines utilisées pour l’alimentation en eau potable en Artois-Picardie sont classées à risque. Les eaux du bassin Loire-Bretagne sont atteintes à plus de 35 %, celles du bassin Rhin-Meuse à 45 %, les eaux souterraines du bassin Seine-Normandie sont polluées à 83 %. » Pire encore, il est précisé dans ce rapport que l’on sous-estime depuis longtemps des causes importantes de pollution des eaux dont l’impact sur la santé humaine, les populations animales et les écosystèmes est pourtant avéré.

Citons quelques extraits de ce rapport, qui portent sur la nécessaire amélioration des textes européens : « Pour atteindre le bon état des masses d’eau, les substances chimiques émergentes et les contaminants microbiologiques doivent être intégrés dans la directive cadre sur l’eau afin d’optimiser la prise en compte des polluants chimiques. L’état écologique d’une masse d’eau ne saurait donc être classé sans prendre en compte ces menaces. 


Il est légitime de s’interroger aujourd’hui sur la pertinence d’une liste établie à partir de données anciennes, même si les risques présentés par ces substances étaient avérés à l’époque. Certaines substances non considérées lors de l’élaboration de cette liste sont susceptibles aujourd’hui de mettre en péril la qualité des eaux et l’équilibre du fonctionnement des écosystèmes aquatiques, par exemple les polluants émergents.

Le rapport Lefeuvre insiste aussi sur la nécessité de compléter les programmes de mesures et de respecter les échéances juridiques, et il pointe de façon sévère la réalité de la situation de notre pays. La France, précise-t-il, doit s’affranchir rapidement de ses contentieux en transposant et appliquant les directives pour lesquelles elle est en retard.

Bon nombre de produits ne sont pas analysés, faute de moyens ou de techniques. Parmi les micropolluants émergents et dangereux pour la santé, M. Lefeuvre cite les produits de dégradation des pesticides, plus de 3 000 substances pharmaceutiques, les phtalates, les retardateurs de flamme, les polluants d’origine microbiologique comme certaines micro-algues et cyanobactéries.

Ainsi donc, mes chers collègues, nous sommes tous concernés aujourd’hui encore par la dégradation de la qualité des eaux et, dès à présent, nous devons prendre la mesure des enjeux de la protection et de la gestion des ressources en eau. Car, si le diagnostic est établi depuis longtemps sur les causes de cette dégradation, il ne mobilise malheureusement pas grand monde.

Nitrates, phosphates et pesticides sont à l’origine de niveaux élevés de pollution dans tous les bassins de France. Les causes en sont identifiées : les nitrates et les phosphates proviennent des engrais, des déjections des élevages et des effluents domestiques ; les pesticides sont des produits chimiques utilisés massivement dans une lutte controversée contre les nuisibles et les maladies qui affectent les cultures ainsi que pour l’entretien des espaces verts.

L’agriculture intensive, l’épandage massif de pesticides et d’intrants, le démembrement, l’érosion des sols, l’assèchement des dernières zones humides génèrent inévitablement une pollution qui devient insoutenable. À titre de comparaison, le drainage, la pollution, l’irrigation et le changement climatique ont entraîné la disparition de 50 % des zones humides dans le monde. Depuis les années 50, la vallée de la Seine, en amont de Montereau, a perdu 84 % de sa surface en prairies et les prairies du marais poitevin ont régressé au rythme de 1 600 hectares par an.

Sur le plan des quantités disponibles, on sait également que l’irrigation provoque une consommation d’eau contraire aux cycles saisonniers et participe à l’épuisement des ressources en eau, que l’on gère chaque année la pénurie, que nos milieux aquatiques se dégradent, que nous sommes responsables de la disparition des espèces piscicoles comme l’esturgeon et que les milieux humides régressent alors même qu’ils sont les garants de la bonne qualité de l’eau.

Mes chers collègues, la situation de l’eau en France n’est pas satisfaisante. Pourtant, nous disposons de toutes les informations qui devraient nous amener à placer la gestion de l’eau et des cours d’eau au centre de nos préoccupations politiques. Nous devons reconsidérer le dogme selon lequel la technique résoudra tous les problèmes, comprendre que l’eau potable ne peut pas être destinée à tous les usages et aborder la question des milieux aquatiques dans son ensemble et pas seulement du point de vue des ressources.

Le modèle français de gestion de l’eau est pourtant souvent cité et promu dans le monde entier. À cet égard, je souhaite rendre hommage à nos prédécesseurs ; conscients des enjeux, ils ont poussé à l’adoption de textes qui, replacés dans le contexte de l’époque, ont bousculé les habitudes et exprimé une véritable ambition.

L’organisation institutionnelle française dans le domaine de l’eau est issue de la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux, qui avait créé les agences de l’eau et posé le principe pollueur-payeur. Ce système institutionnel a permis de moderniser considérablement l’appareil public de gestion des services d’eau.

La loi du 3 janvier 1992 a fait de l’eau un patrimoine commun de la nation, de sa protection un intérêt général, et surtout affirmé le principe de l’unité de la ressource, qui doit être accessible à tous. Enfin, et c’est le plus important, grâce à l’élaboration des schémas d’aménagement et de gestion des eaux, elle a permis d’intégrer la gestion de l’eau dans les politiques d’aménagement du territoire.

Malgré le dispositif mis en place par les lois sur l’eau ou la pêche de 1964, 1984 et 1992, force est de constater que la situation en France n’est pas satisfaisante au regard de la qualité des eaux, et nous savons que notre pays a été condamné à plusieurs reprises par la Cour européenne de justice, en vertu de l’article 226 du traité de l’Union.

Reconnaissons que nous n’avons pas valorisé correctement ces outils, que nous n’avons ni su les faire évoluer, ni donné à ces textes et ces organisations les moyens d’être véritablement efficaces. Il eût fallu faire de l’écologie un ministère aussi important que tous les autres ministères régaliens. L’absence de politique environnementale coordonnée repose sur une comparaison : les dépenses fiscales défavorables à l’environnement atteignent dans notre pays 2,3 milliards d’euros, soit dix fois plus que celles qui y sont favorables.

Aujourd’hui encore, et le présent projet de loi l’illustre parfaitement, nous passons à côté d’une étape supplémentaire mais tout aussi indispensable qui nous permettrait d’aborder réellement la gestion des cours d’eau et des eaux souterraines en termes d’aménagement du territoire. En outre, l’examen de ce texte a lieu après que les décisions ont été prises en matière d’énergie et, partant, d’hydroélectricité, et après qu’ont été débattues les orientations agricoles. Or vous savez comme moi l’importance de l’agriculture en matière de gestion des eaux. Quelle place reste-t-il donc à ce projet de loi pour infléchir des politiques qui, selon tous les rapports, influent de façon très significative sur la gestion qualitative et quantitative de nos ressources en eau ? Nous avons à l’évidence manqué une superbe occasion de repositionner les débats sur l’eau en amont des autres débats sur ses usages qui ont un impact sur la ressource. Ne nous étonnons donc pas aujourd’hui du caractère minimaliste du projet de loi qui nous est présenté.

Je regrette pour ma part, tout en revendiquant l’excellence du modèle français de gestion de l’eau, que nous n’ayons pas su anticiper la mise en application de la directive cadre sur l’eau. Toutefois, celle-ci devrait nous inviter à réfléchir à une véritable politique de l’eau digne de la France.

Madame la ministre, face aux propositions de taxation des intrants et des pesticides, votre prédécesseur, Serge Lepeltier, considérait – il faut bien le dire, sous l’aimable pression des lobbies – que les exigences européennes d’écoconditionnalité de la PAC seraient suffisantes pour obtenir un effet positif sur la dépollution des eaux. Nous ne sommes pas d’accord sur ce point.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Seulement sur celui-là ?

M. Jean Launay. De l’avis des experts cela sera certainement, sinon totalement faux, du moins insuffisant. Cette affirmation ignore notamment le fait que les élevages hors sol ou la viticulture sont peu concernés par la PAC.

Il faudrait sur ces points faire preuve de courage et prendre l’initiative de bâtir des politiques convergentes, réfléchies et coordonnées, car lorsque nous discutons de la gestion de l’eau, c’est plutôt de la gestion des usages de l’eau, alors que nous devrions parler à la fois agriculture, industrie, urbanisme et bien sûr écologie, autant de thèmes que le Gouvernement aborde indépendamment les uns des autres avec les conséquences que nous connaissons sur la qualité et la quantité de nos eaux.

C’est donc poussés par les événements que nous allons débattre d’un projet en laissant à l’Europe le soin de l’initiative, de l’action, de la régulation et de la sanction.

La gestion de l’eau en France s’organise, et c’est logique, autour d’aspects réglementaires, financiers et contractuels. Mais notre système réglementaire est déficient. Il n’est pas de bonne politique de ne pas imposer que les règles juridiques nécessaires soient appliquées par tous, personnes privées comme personnes publiques. Pourtant, nous devons admettre que la police de l’eau est relativement inopérante par manque de moyens, de personnel et en raison de la faiblesse des sanctions. Tout contribue aujourd’hui à rendre cet outil, pourtant indispensable à une approche équilibrée de l’organisation des usages, assez inefficace.

La police de l’eau nécessite des moyens financiers incontestables qui ne lui sont pas attribués et elle est fragmentée entre différents services. À quoi bon, par exemple, développer les SAGE et leur volet réglementaire si les moyens d’appliquer leurs décisions ne sont pas mis en place ?

Les sanctions sont presque partout inférieures au nombre d’infractions constatées, et surtout les montants des amendes sont souvent dérisoires par rapport aux dommages écologiques constatés.

Mais l’argent manque, et pourtant la politique de l’eau aura besoin d’argent, de beaucoup d’argent.

L’incitation financière comme la taxation furent deux des aspects les plus originaux de la loi de 1964. Mais les agences de l’eau peinent et peineront à répondre à toutes les sollicitations, que ce soit en matière d’assainissement ou de lutte contre les pollutions diffuses, de financement des actions en matière de gestion quantitative, de restauration d’espèces piscicoles ou de lutte contre les inondations.

Face à l’accroissement considérable des moyens financiers nécessaires pour respecter les impératifs de la directive cadre, nous devons nous interroger sur les moyens des agences, au moment où les commissions programmes et finances des conseils d’administration des agences préparent les orientations de leur neuvième programme pour la période 2007-2012. Il nous faudra, madame la ministre, débattre sur le montant de leurs recettes, que le projet de loi propose de plafonner à 12 milliards d’euros sur la période. Il nous faudra également ouvrir la discussion sur la solidarité urbain/rural. C’est ce que nous ferons en abordant l’article 28 bis, relatif au fonds départemental pour l’alimentation en eau et l’assainissement, et l’article 36, qui prévoit que les contributions versées par les agences de l’eau au titre de la solidarité en faveur des communes rurales ne pourront être inférieures à 150 millions d’euros par an.

Force est de aussi de constater que, dans le même temps, les politiques contractuelles faiblissent et que l’on n’intègre pas la gestion de l’eau dans les documents de planification.

La diminution des moyens disponibles au sein de l’État et des agences a été en partie compensée par des politiques contractualisées. Nous avons vu, par exemple, se développer les contrats d’agglomération ou encore les contrats de rivière, qui aboutissent dans tous les cas à un transfert de charges plus ou moins accepté vers les collectivités et les citoyens. Mais l’effet de seuil aidant et les aides de l’État ou des agences n’ayant plus d’effet incitatif suffisant, ces outils contractuels perdent de leur efficacité, sauf si les régions ou les départements s’y investissent fortement, ce qui revient une fois de plus à transférer des charges vers ces collectivités déjà trop sollicitées.

Plus globalement, il est regrettable que les débats qui vont se tenir autour des contrats de projets n’intègrent pas davantage les politiques de l’eau, ce qui confirme que, dans l’esprit du Gouvernement, le lien entre gestion de l’eau et aménagement du territoire n’est pas très bien admis.

M. Jean-Louis Dumont. Il est bon de le souligner !

M. Jean Launay. Le projet de loi ne répond pas à toutes ces questions et nombreuses sont celles qui restent en suspens.

Premièrement, des règles favorables à la protection du milieu vont disparaître et certains usages de l’eau sont privilégiés par rapport à d’autres, en contradiction avec le principe de gestion équilibrée de la ressource.

Sur le plan réglementaire, le renforcement des sanctions administratives pour travaux en rivière, prévu à l’article 6, ou le renforcement des amendes pour braconnage, prévu à l’article 11, ne résolvent en rien toutes les difficultés d’application dues à la faible sensibilité et au manque de formation en ce domaine des procureurs et des acteurs de la justice en général.

Les moyens de police ne sont guère augmentés. La plupart des mesures donnent l’impression qu’il s’agit d’ajustements de détail sans aucune véritable avancée novatrice et les outils qui fonctionnaient bien sont remplacés par d’autres dont l’efficacité reste à démontrer. C’est le cas par exemple du classement des cours d’eau, prévu à l’article 4, ou de la protection des habitats aquatiques prévue à l’article 8.

Sur le plan financier, aucun accroissement significatif des moyens ne semble prévu alors que les enjeux sont de plus en plus importants en raison, d’une part, de l’aggravation des problèmes : progression des contaminations et des polluants émergents ; d’autre part, du renforcement des exigences, notamment avec l’obligation de résultat liée aux directives européennes et l’abaissement des seuils des normes.

Deuxièmement, les redevances, créées pour lutter contre les pollutions et limiter les prélèvements, exonèrent certains redevables et ne respectent pas le principe pollueur-payeur. Nus ne sommes pas pour la sanction systématique, monsieur Ollier, mais ce principe permet d’assurer l’équilibre entre les différentes catégories de redevables.

À l’heure de la promotion du « grand chantier sur l’eau » lié à la directive, il est incroyable que le plafond des budgets des agences reste stable, et nous le verrons lors de l’examen de l’article 36. Les moyens alloués à l’application des politiques de l’eau sont de facto très faibles au regard des enjeux qu’elles recouvrent. Visiblement, ce gouvernement juge délicat de mettre en place ou d’augmenter des redevances sous prétexte qu’elles pourraient fragiliser la situation financière des agents économiques. C’est là, à mon sens, une vision à court terme qui desservira dans un futur proche les acteurs économiques.

Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut réduire le déséquilibre entre les différentes redevances en fonction des usages, mais ce qui est proposé est insuffisant. Le consommateur subit une double injustice puisque la qualité de l’eau potable se dégrade et qu’il paie 89 % des contributions globales au budget des agences de l’eau.

Troisièmement, la gouvernance de l’eau suppose qu’information du public et communication ne soient pas mélangées.

M. Jean-Louis Dumont. C’est indispensable !


M. Jean Launay
. Si la sensibilité à l’écologie des sociétés industrielles augmente, elle s’observe plus dans les sondages d’opinion qu’au bord des rivières ou chez les particuliers. Aucune disposition pour renforcer l’information et l’éducation du public n’est prise alors que son adhésion à la politique de l’eau constitue un élément fondamental des nouvelles orientations fondamentales liées à la directive cadre.

Les méthodes de tarification et le calcul des redevances restent obscurs : il faut, pour y voir clair, quasiment procéder à des modélisations ou à des simulations qui ne sont pas du tout à la portée des citoyens. La polémique déclenchée par l’analyse de l’UFC-Que Choisir est révélatrice de ces incompréhensions.

Au-delà des éléments polémiques, la vraie question est celle de la clarté des contrats passés et de la mise en concurrence des prestataires. Encore le problème ne relève-t-il pas tant de votre ministère, madame Olin, que de celui des finances.

Quatrièmement, le débat sur le service public de l’eau et de l’assainissement est insuffisamment poussé. Le projet ne prévoit pas de mieux définir la notion de service public de l’eau en réponse aux attentes des utilisateurs, qui veulent bien payer mais à condition de savoir pourquoi. Il n’introduit pas davantage de démocratie dans le débat et rien ne garantit par exemple que la gestion en régie directe des services d’eau des communes apportera la même transparence. Ce texte ne renforce pas non plus la solidarité nationale pour la fourniture d’eau, notamment aux plus démunis, et il n’améliore pas la facturation en la faisant passer du régime du forfait à celui du volume réellement consommé.

Enfin, s’agissant de la gestion des ressources, vous créez l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques en démantelant les services de l’État et en ponctionnant au passage les finances des agences. L’ONEMA affaiblira le service public de la gestion de la ressource en eau, lequel nécessiterait pourtant, au niveau national, un pilote fort pour organiser l’acquisition des connaissances sur la ressource, diriger une police de l’eau restructurée et intégrée aux directions régionales de l’environnement. C’est votre ministère, et particulièrement la direction de l’eau, qui devrait jouer ce rôle de chef d’orchestre en coordonnant les acteurs de la gestion de la ressource en eau : aux commissions locales de l’eau des SAGE et aux comités de bassin la définition des objectifs ; aux services de la police des eaux et aux agences la répartition de l’usage de la ressource dans le respect desdits objectifs ; aux établissements publics territoriaux de bassin – existants ou à créer – le rôle de maître d’ouvrage des aménagements nécessaires pour la ressource.

Voici maintenant quelques propositions pour pallier les insuffisances de votre politique.

Il est nécessaire et urgent – et c’est un premier axe – d’affirmer clairement que l’eau dépend directement des écosystèmes et qu’il ne faut pas confondre ressource et milieux. Des écosystèmes intacts sont seuls à même de garantir le bon fonctionnement du cycle de l’eau et la fourniture aux populations d’une ressource de qualité en quantité suffisante. Le principe pollueur-payeur ou consommateur-payeur, par définition localisé et ponctuel dans son application, devrait évoluer pour intégrer la dimension écosystémique.

Il faut inscrire dans tous les projets de loi que la gestion de l’eau est étroitement liée aux politiques d’aménagement du territoire, qu’elle ne peut être qu’interministérielle et transversale, et que la sauvegarde de nos milieux et de nos ressources ne peut se satisfaire d’analyses trop localisées. C’est à l’échelle des bassins hydrographiques que doivent être menées les actions opérationnelles et il est indispensable, pour ce faire, de doter les fleuves et grands cours d’eau français de programmes de gestion intégrée, et de reconnaître ainsi leur rôle structurant dans le développement social et économique. Pourquoi ne pas envisager une loi-cadre sur les fleuves pour compléter les dispositifs similaires conçus dans le passé afin de garantir le développement durable des montagnes et du littoral ?

Deuxième axe : il faudrait lutter plus efficacement contre les changements climatiques et la sécheresse.

Les rapports prospectifs de Météo France, qui montrent un accroissement des précipitations hivernales accompagné de sécheresses plus accentuées en été et en automne, doivent orienter l’exploitation à long terme des bassins versants et se traduire, entre autres, par des mesures courageuses concernant les politiques agricoles. Il s’agira notamment de diminuer de façon significative les surfaces affectées à la maïsiculture – certaines régions le font déjà. Il faut éviter l’alternance continuelle des cultures, les mesures incitent au productivisme – qui aggravent la pénurie ou la pollution et conduisent à des restrictions d’urgence – et engager un débat national pour concilier à l’avenir la politique agricole et les impératifs environnementaux. À cet égard, il serait nécessaire, pour faciliter un redéploiement structurel des productions agricoles, de mettre rapidement en place un dispositif de taxation de l’irrigation assorti d’aides à la reconversion. La redevance sur l’irrigation devrait être relevée pour inciter les agriculteurs à y moins recourir et tendre vers l’équité entre les consommateurs, que j’appelle de mes vœux.

Troisième axe : il faut réduire rapidement et de façon volontaire et dynamique la pollution des eaux. La directive cadre européenne de 2000 impose aux États membres d’obtenir un bon état écologique et chimique de l’eau d’ici à 2015, objectif que la France ne pourra atteindre sans mesure complémentaire. On sait aujourd’hui que la redevance, bien appliquée, a incité les industriels à diminuer leur pollution. De même, l’étude Ecotec de 2001 a prouvé que les taxes sur les nitrates et pesticides ont favorisé une diminution des pollutions agricoles en Europe. Enfin, on sait qu’il est possible, grâce à la maîtrise des aides, de rendre économiquement soutenable la lutte contre les pollutions agricoles.

Il faut également intensifier la recherche scientifique sur les effets des différentes substances, en particulier les micropolluants, sur les biocénoses aquatiques et la santé humaine, pour mettre au point des dispositifs d’épuration adaptés en aval et de prévention en amont, chez les pollueurs.

Les territoires de l’eau doivent, autant que faire se peut, se conjuguer avec les territoires de vie et d’administration issus de l’histoire culturelle et politique des pays. C’est pourquoi la recherche en aménagement du territoire et en sciences sociales devrait apporter sa contribution. L’expérience montre qu’il convient de développer la recherche en direction de programmes pluridisciplinaires coordonnés à l’échelle des fleuves, et, a minima, d’améliorer l’accès des gestionnaires locaux aux résultats des travaux menés sous la houlette d’organismes de recherche nationaux. Il faut donc systématiser les comptes rendus publics des recherches et mieux cibler leur diffusion auprès des acteurs confrontés aux réalités locales.

La diminution des pollutions étant beaucoup moins coûteuse que le traitement de la pollution, les fonds doivent être affectés en priorité aux actions préventives, plutôt que curatives. Cela implique d’accroître le budget des agences de l’eau dans le cadre de programmes précis et contrôlés par le Parlement.

Enfin, quatrième axe, revitaliser les cours d’eau est indispensable. Pour lutter contre les effets négatifs des politiques passées d’aménagement des cours d’eau – calibrage, drainage, intensification des cultures – il faut mettre en place une politique active de reconquête,...

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. Jean Launay. ...pour rendre aux cours d’eau leur rôle d’habitat, préserver leur place dans le paysage et garantir leur fonctionnement d’espace de détente pour la population, tout en réduisant les effets des crues. Une telle politique passe par une plus grande responsabilisation des communes et de leurs groupements dans la protection des écosystèmes aquatiques. Pour ce faire, il sera proposé d’intégrer dans les règlements municipaux et les différents schémas d’aménagement les dispositions visant à la protection des écosystèmes aquatiques.

Il reste le cinquième et le sixième points, respectivement la réforme de la gouvernance de l’eau et l’encadrement des tarifs.

Je vais abréger un peu mon propos, monsieur le président, car le temps avance inexorablement.

M. François Rochebloine. Bonne idée !

M. Jean-Louis Dumont. Mais non, vous faites œuvre pédagogique !

M. Jean Launay. Une meilleure gouvernance de l’eau, qu’il est urgent de mettre en place, suppose de faire évoluer, en les valorisant, les structures actuelles : comités de bassin, agences de l’eau, établissements publics territoriaux de bassin.

M. François Sauvadet. Et les motifs de l’exception d’irrecevabilité ?

M. Jean Launay. J’y viens !

Afin de renforcer la cohésion des actions et d’éviter que le comité de bassin et toutes les instances de concertation ne deviennent des chambres d’enregistrement, il serait utile de réfléchir à une répartition différente des rôles. Le comité de bassin, doté d’un statut d’instance de régulation, se verrait confier un double mandat d’orientation de la politique de l’eau sur le territoire de l’agence correspondante et de contrôle de l’exécution de cette politique. Le Comité national de l’eau, instance suprême de régulation des politiques de l’eau, rendrait compte de l’application des orientations nationales au Parlement. De façon plus décentralisée, les commissions locales de l’eau deviendraient des instances locales de régulation à l’échelle des schémas d’aménagement et de gestion des eaux. Les commissions géographiques, quant à elles, deviendraient des instances de régulation agissant au nom du comité de bassin à l’échelle des bassins versants hydrographiques. Dans ce contexte, les établissements publics territoriaux de bassin deviendraient les maîtres d’ouvrage naturels des politiques engagées à l’échelle des bassins hydrographiques.

Sixième et dernier axe : il faut encadrer les tarifs de l’eau et réviser les règlements de service, mais je ne développerai pas ces points.

Quelques mots pour conclure et justifier cette exception d’irrecevabilité.

Il serait facile, en s’appuyant sur la quête du bonheur de tous inscrite en conclusion du préambule de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, d’invoquer l’inconstitutionnalité flagrante de ce texte étant donné le nombre d’acteurs du cycle de l’eau et les usages difficilement conciliables qu’ils en font. Je pourrais aussi, comme M. Laffineur dans sa motion d’irrecevabilité d’une heure et demie lors de l’examen du précédent projet de loi le 8 janvier 2002, me contenter de faire vaguement référence à « l’autonomie des collectivités locales, au principe d’égalité et de responsabilité individuelle ›› pour juger ce texte inconstitutionnel. Je pourrais encore me fonder sur le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, également intégré dans notre bloc de constitutionnalité, qui prévoit que « la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Votre projet de loi, madame la ministre, officialise la disparition du Fonds national pour le développement des adductions d’eau, véritable outil de solidarité envers le monde rural. Il consacre un véritable renoncement du Gouvernement à la solidarité entre les territoires. Le fonds départemental introduit par le Sénat, risque d’accroître encore la concurrence fiscale entre les conseils généraux. Je vous reconnais d’ailleurs une certaine cohérence dans ce domaine, puisque la réforme de la DATAR n’est guidée que par l’idée d’une compétitivité accrue entre les territoires, voire de dumping fiscal entre collectivités.

Mais c’est l’adoption récente de la Charte de l’environnement résultant de l’article 2 de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 – que j’ai, à titre personnel votée, contre l’avis de mon groupe – qui apporte des arguments plus précis. En effet, le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui ne modifie qu’à la marge le déséquilibre flagrant du financement des agences de l’eau et de la dépollution au détriment du consommateur. Or l’article 2 de la charte précise que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Et l’article 4 dispose que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi », version très allégée du principe pollueur-payeur.

Votre texte fige irrésistiblement le financement déséquilibré des agences, en complet décalage avec les secteurs d’activités polluantes. Il ne s’agit pas de stigmatiser les pratiques de qui que ce soit, mais simplement de rappeler qu’il y a un principe d’égalité devant les charges publiques. Certes, le principe d’égalité ne veut pas dire uniformité puisqu’il permet de traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes. Mais la préservation de la ressource en eau et de sa qualité est un objectif d’intérêt général et, comme le précise le préambule de la Charte de l’environnement, « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». Dès lors tous les acteurs de l’eau doivent participer équitablement à la préservation de l’eau.

Votre projet de loi reflète le présent mais n’ouvre pas suffisamment la voie de l’avenir. On nous avait annoncé une grande loi sur l’eau à la hauteur d’une ambition européenne : le compte n’y est pas. Votre texte ne s’inscrit nullement dans la perspective du développement durable, tel qu’il est désormais inscrit dans notre corpus constitutionnel. Il ne donne pas une véritable impulsion pour nous engager sur la voie du bon état écologique de la ressource en eau et permettre ainsi aux générations futures de satisfaire leurs propres besoins. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.


M. André Flajolet
,
rapporteur. Monsieur Launay, je vous ai écouté avec attention et j’ai pris de nombreuses notes.

M. Jean Launay. Vous êtes un grand travailleur ! (Sourires.)

M. André Flajolet, rapporteur. En réalité, toute votre intervention a consisté à montrer qu’il est urgent de délibérer.

M. Jean Launay. Oui !

M. Jean-Louis Dumont. Nous aurions même dû le faire depuis longtemps !

M. André Flajolet, rapporteur. Vous n’avez guère montré l’exemple !

Vous nous avez expliqué que la dimension internationale de la question ne peut plus être éludée, que la situation est inquiétante et que si, par malheur, nous refusions d’en débattre, elle ne ferait que s’aggraver.

Toutefois, vous avez établi votre constat sur des éléments qui appartiennent déjà à l’histoire. Il en est ainsi du FNDAE, dont l’acte de décès remonte à 2001 !

M. Jean Launay. C’est un détail au vu de l’ensemble des problèmes !

M. Michel Piron. Ah !

M. André Flajolet, rapporteur. Loin d’être un détail, c’est un point essentiel,…

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. François Sauvadet. C’est vrai !

M. André Flajolet. …puisque 70 % du territoire national est rural. C’est pourquoi les ruraux et les collectivités territoriales attendent, non pas avec inquiétude, comme vous le pensez, mais avec espoir les résultats de nos travaux. Du reste, je défendrai un amendement visant à sanctuariser l’ex-FNDAE revu et corrigé, en excluant par exemple tout chiffrage annuel,…

M. François Sauvadet. Très bien !

M. André Flajolet, rapporteur. …afin d’éviter le saucissonnage des programmes d’investissement et de couper court à toute tentation, pour certains, de mettre les doigts dans la confiture.

M. Jean-Louis Dumont. Vous parlez d’expérience !

M. Philippe Rouault, rapporteur pour avis. Excellente initiative !

M. André Flajolet, rapporteur. Il s’agit là d’un point capital.

M. Jean-Louis Dumont. C’est vous qui le dites !

M. André Flajolet, rapporteur. Monsieur Dumont, je vous prie de respecter ma liberté d’expression !

Vous avez également prétendu que le projet de loi ne prévoit que des modifications à la marge. Or j’ai eu avec de nombreux interlocuteurs des discussions approfondies. Sur l’hydroélectricité, par exemple, le président Ollier et Mme la ministre ayant rappelé notre obligation d’atteindre le seuil de 21 % d’énergie renouvelable, afin d’éviter des condamnations. Ou encore sur l’agriculture, car nous allons augmenter fortement les contributions agricoles alors que les revenus baissent. Compte tenu de la gravité de ces sujets, je crois pouvoir affirmer qu’il est urgent de discuter au fond de chacun des articles du projet de loi.

Enfin, j’ai cru déceler une divergence de fond, portant sur la gouvernance. Nous sommes convaincus que la pédagogie et la conviction doivent prévaloir sur la sanction : voilà une différence fondamentale entre nous !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Oui !

M. André Flajolet, rapporteur. En effet, pour avoir pris connaissance des propositions contenues dans certains de vos amendements, je mesure combien elles sont éloignées des positions courageuses adoptées en commission.

Je suis convaincu que si nous pouvions adopter à l’issue de nos travaux les grands principes de notre action, corriger certaines participations financières et, ce qui est fondamental, énoncer de nouvelles règles de gouvernance, nous aurions atteint nos différents objectifs : diminuer les coûts, faire prendre conscience à chacun qu’on ne saurait parler de l’eau en ignorant les milieux – sur ce point nous sommes d’accord –, permettre à la pédagogie de l’emporter et à la loi Oudin-Santini de donner une image rénovée de la France, faire passer auprès des collégiens et des lycéens le message que l’eau est le patrimoine commun de la nation. Nous aurons alors fait œuvre utile pour le pays, ce qui, me semble-t-il, justifie notre présence ici. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Nous en arrivons aux explications de vote.

Pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Claude Gaillard.

M. Claude Gaillard. Chacun l’a compris : il n’y a pas eu dans l’intervention de M. Launay le début d’un argument permettant de justifier l’exception d’irrecevabilité. Toutefois, ce temps de parole supplémentaire donné à l’opposition est une tradition démocratique dont chacun peut mesurer l’intérêt – je le sais pour avoir défendu une motion en 2002. (Sourires.)

Cela dit, la description que M. Launay a faite de la situation, pour être apocalyptique – les choses ne sont pas d’une telle gravité –, n’en révèle pas moins combien il est urgent de légiférer, et si je peux regretter, moi aussi, que le présent débat n’ait lieu qu’à ce moment de la législature, je regrette encore plus que rien n’ait été entrepris au cours de la précédente : cinq ans sans qu’aucune mesure soit adoptée ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Gaubert. C’est faux !

M. Claude Gaillard. Hormis, il est vrai, en toute fin de législature, une première lecture courant janvier, peu de temps avant que l’Assemblée n’interrompe ses travaux à la mi-février ! Ce n’était tout de même pas faire preuve de bonne volonté.

S’agissant de la solidarité – un des points abordés par M. Launay –, je reprends à mon compte les propos du rapporteur sur le FNDAE : s’il est sanctuarisé, il deviendra incontournable, et c’est à mes yeux essentiel. Ainsi, le budget du comité de bassin Rhin-Meuse, que j’ai réuni vendredi dernier, en présence de Mme la ministre, s’est vu conforter en passant de 4 à 10 millions d’euros par an. Nous devons faire confiance au fonctionnement des agences et des comités de bassin, et le projet de loi nous apporte la garantie de la solidarité territoriale, ce qui est fondamental.

Sur le plan international, la France a des responsabilités d’autant plus grandes qu’elle est en avance sur les autres pays. Non seulement nous sommes copiés, au bon sens du terme, pour avoir inventé « l’école française de l’eau », mais la loi Oudin-Santini, qui permet d’aider les pays en voie de développement à s’organiser et à se structurer, conforte les efforts importants déjà consentis par les collectivités dans le cadre de la coopération décentralisée. Le présent texte nous permettra d’aller encore plus loin et plus vite dans cette voie.

En ce qui concerne les aides publiques, monsieur Launay, des efforts considérables ont été réalisés, en particulier grâce à l’enquête lancée à l’occasion de la directive cadre, sur les enjeux de laquelle vous avez eu raison d’insister. Le projet de loi, là encore, nous permettra d’aller plus loin, notamment en matière d’information du public.

Quant aux redevances, aujourd'hui trop complexes, je le reconnais volontiers – personne n’étant par exemple capable d’expliquer simplement le calcul de la contre-valeur –, le texte va dans le sens de la simplification, ce qui justifie que nous ne perdions pas de temps avant de commencer l’examen des articles.

Vous avez également évoqué les polluants émergents : il est vrai que nous devons porter à cette question toute notre attention afin de l’anticiper autant que faire se peut. Or, compte tenu de l’importance que le projet attribue aux produits phytosanitaires et aux nouveaux médicaments, ainsi qu’aux changements de comportements – il vise à persuader nos compatriotes de prévenir la pollution plutôt que de la traiter –, ce texte apporte en la matière une valeur ajoutée considérable : il fera franchir une nouvelle étape au règlement des problèmes liés à la pollution.

Certes, il reste encore beaucoup à faire ! Mais nous devrions nous réjouir tous ensemble des avancées du projet de loi, qui permettra une meilleure organisation du territoire, la simplification du paysage de l’eau et une redéfinition des priorités. Notre objectif – je le rappellerai au cours de la discussion générale – est de réaliser le subtil équilibre entre le regard national, le volet régalien, la décentralisation et la responsabilisation de tous les acteurs. Nos aînés, en 1964, y étaient intelligemment parvenus : le texte projette un nouvel éclairage, adapté aux problèmes d’aujourd'hui, ce qui n’est déjà pas si simple, et les réponses qu’il apporte constituent autant de progrès.

Nous devons, je le répète, nous en réjouir, quelles que soient les faiblesses du texte – quel texte n’en a pas ? C’est pourquoi, plutôt que de chercher à en retarder l’examen, vous devriez avoir hâte de légiférer. Telle est la raison pour laquelle le groupe UMP votera contre l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Chassaigne. Ayant entendu les différents arguments développés par Jean Launay, je vois, pour ma part, contrairement au précédent orateur, de multiples raisons de voter cette motion compte tenu du caractère inconstitutionnel de nombreux aspects du projet de loi.

Jean Launay – je lui en sais gré – n’a pas fait référence à l’article 55 de la Constitution, en vertu duquel il est inconstitutionnel de ne pas respecter une directive européenne,…

M. Patrick Ollier, président de la commission. Raison de plus pour délibérer !

M. André Chassaigne. …mais j’avoue que ce n’est pas ma tasse de thé. C’est pourquoi je ne m’appuierai pas non plus sur cet argument-là. (Sourires.) Je note toutefois que votre prise en considération de la directive européenne est bien en deçà de ce qu’elle aurait dû être.

Mon collègue a en revanche démontré avec beaucoup de pertinence que ce texte ne respecte pas la Charte de l’environnement, aujourd’hui inscrite en préambule de notre Constitution, ne l’oublions pas ! Or, puisque cette charte prescrit que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains et que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation, la seule question qui vaille la peine est de savoir si le projet de loi répond à ces deux exigences.

La réponse apportée par Jean Launay s’appuie notamment sur le fait que « le compte n’y est pas » et que le texte se contente d’« ajustements de détail ».

J’ai été sensible à l’argument selon lequel ce texte arrive bien tard, en particulier après la discussion de la loi sur l’énergie, alors que l’hydroélectricité établit un lien évident entre la question de l’énergie et le présent débat. De même, nous avons été nombreux sur ces bancs à participer à la discussion sur la loi d’orientation agricole : or nul n’ignore qu’il y a télescopage entre les orientations fondamentales de notre agriculture et la nécessité de développer d’autres techniques culturales.

Je ne reviendrai pas sur les réponses dérisoires du président de la commission qui prétend, par exemple, que l’écoconditionnalité de la PAC suffirait. Il suffit de connaître le rôle de la PAC dans le hors-sol notamment, pour se rendre compte du caractère insatisfaisant d’une telle réponse.

M. Patrick Ollier, président de la commission. C’est vous qui le dites !

M. André Chassaigne. J’insisterai en revanche sur un point qu’a souligné Jean Launay : le projet de loi néglige le problème du service public de l’eau et de l’assainissement, notre collègue ayant noté qu’il manque aujourd’hui un véritable pilote. Telle est la grande carence du projet, qui ne comporte aucune proposition forte, à même de régler la question, pourtant fondamentale, de la maîtrise publique de l’eau et de l’assainissement. Alors qu’en la matière une politique cohérente au plan national serait nécessaire, le texte ne fait aucune proposition. Pourtant j’en suis convaincu, si nous en restons à l’atomisation actuelle, nous ne réglerons aucun problème.

C’est pourquoi le groupe des député-e-s communistes et républicains votera naturellement cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Charles Taugourdeau. Quel dommage !

M. le président. La parole est à M. Germinal Peiro, pour le groupe socialiste.

M. Germinal Peiro. Je souhaite commencer par une remarque sur l’organisation de nos travaux. Monsieur le président, nous nous sentons bafoués dans notre rôle de parlementaires, puisqu’on nous a dit au milieu de la nuit que le débat n’aurait lieu que cet après-midi et qu’il pourrait même être repoussé. C’est donc avec une grande surprise que nos collègues ont appris ce matin que le débat avait commencé. Voilà qui manque de sérieux, compte tenu de l’importance du texte.

M. Jean-Luc Warsmann. C’est que nous avons bien travaillé hier soir !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Votre groupe a été prévenu en Conférence des présidents.

M. Germinal Peiro. C’est inexact : notre groupe n’a pas été prévenu cette nuit. Sans vouloir polémiquer, on peut mieux faire en matière d’organisation. Hier soir encore, vers 22 heures, le rapporteur m’affirmait que nous commencerions ce débat à 15 heures !

M. André Flajolet, rapporteur. C’est ce qui était prévu, effectivement.

M. Germinal Peiro. Je ne veux pas insister, mais les faits sont têtus, et je regrette que les choses se soient passées ainsi !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Il fallait être là à deux heures du matin, comme nous !


M. Germinal Peiro
.
Je regrette également que la commission ait plusieurs centaines d’amendements à étudier en une demi-heure cet après-midi. J’estime que le travail parlementaire mérite mieux.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. Germinal Peiro. Je regrette enfin, madame la ministre, que, contrairement à la tradition, vous ne répondiez pas aux motions de procédure. Nous avons pu apprécier la qualité de l’exposé de notre collègue Jean Launay, au ton dépourvu d’esprit polémique. Aussi ne voudrais-je pas que votre silence augure mal de la suite de nos travaux.

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. Pas du tout !

M. Jacques Kossowski. Ne soyez pas pessimiste !

M. Alain Gest. Tout va bien se passer !

M. Germinal Peiro. Sur le fond, nous considérons que le compte n’y est pas. En effet, la loi ne permettra pas de réaliser l’objectif fixé par la directive-cadre selon laquelle, en 2015 – dans moins de dix ans –, les trois-quarts des masses d’eau du territoire national doivent atteindre un bon état écologique. Nous déplorons que cette loi se borne à dresser un état des lieux plutôt que de préparer l’avenir.

Nous attendions en effet une véritable politique publique en termes quantitatifs aussi bien que qualitatifs. Les usagers sont certes concernés et j’espère qu’ils bénéficieront d’avancées, mais les agriculteurs, souvent cités dans l’hémicycle, ne le sont pas moins, tant il est vrai, rappelons-le, que l’irrigation est indispensable à la vie des plantes et que, depuis des millénaires, les hommes ont essayé de maîtriser l’irrigation.

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est vrai !

M. Germinal Peiro. Or ce texte ne prévoit pas de moyens publics d’encouragement à la maîtrise de l’irrigation, que ce soit par le biais des collectivités locales ou par celui des exploitants.

Sur le plan qualitatif, les progrès que la société attend ne sont pas non plus au rendez-vous. Il ne s’agit pas de montrer du doigt, de sanctionner à tout prix, bien que le Gouvernement le fasse dans d’autres domaines, comme celui de la sécurité routière où l’on a dû passer par la sanction, la prévention se révélant insuffisante. Mais cette loi devant couvrir plusieurs années, nous n’atteindrons pas les objectifs qualitatifs en nous fondant sur les pratiques existantes. Comme vous le savez, l’utilisation de l’éco-conditionnalité de la PAC n’est pas suffisante contre les pollueurs puisque de grands secteurs agricoles comme l’arboriculture, la viticulture et les élevages hors sol ne sont pas aidés.

En outre, les nouvelles dérogations au débit minimum vont remettre en cause le bon état écologique des cours d’eau, de même que certaines pratiques comme la pêche.

À ce propos, il semble que nous manquions une occasion et que nous soyons en retard. La société marque en effet une prédilection pour les rivières. Or j’ai l’impression que le projet de loi n’est pas de nature à faciliter l’aspiration légitime de nos concitoyens à se promener au bord des cours d’eau domaniaux. Est-ce beaucoup demander que des randonneurs non motorisés puissent longer les grands fleuves de France, ce qui leur est interdit aujourd’hui ? Nos propositions en ce sens ont été rejetées, mais j’espère que nous pourrons en discuter au cours du débat.

Dans le même ordre d’idées, à partir du moment où la libre navigation des engins non motorisés sur les cours d’eau est reconnue par la loi de 1992, on pourrait accepter le principe que les responsables d’ouvrages qui entravent les cours d’eau réalisent les aménagements nécessaires pour permettre cette libre circulation.

M. Antoine Herth. Nous pourrions ainsi organiser des randonnées en kayak !

M. Germinal Peiro. Ainsi ce texte ne répond pas aux aspirations de nos concitoyens.

Enfin, nous regrettons l’extrême faiblesse des moyens financiers engagés eu égard aux progrès qu’il nous reste à accomplir, de même que l’absence de maîtrise publique des services de l’eau et de l’assainissement.

Vous comprendrez donc que sur le fond autant que sur la forme, nous soutenions la motion d’irrecevabilité présentée par Jean Launay. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe UDF.

M. François Sauvadet. Nous sommes déjà entrés dans le vif du sujet. Nous récusons les arguments présentés par l’opposition et, même s’ils renvoient directement aux articles dont nous discuterons ultérieurement, je me permets de vous rappeler, mes chers collègues, que l’exception d’irrecevabilité a pour objet de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles.

Aussi n’irai-je pas jusqu’à parler ici de détournement de procédure (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), mais j’ai écouté avec attention les éléments qui pourraient fonder une telle motion sans être convaincu. Du reste, si nous vous suivions, le texte serait rejeté et il n’y aurait plus lieu d’engager une discussion que, pour notre part, nous souhaitons.

M. Jérôme Lambert. Il faut faire un autre texte !

M. François Sauvadet. Le groupe UDF vous suivra d’autant moins dans cette voie qu’il a saisi le Premier ministre pour que ce texte sur l’eau soit rapidement inscrit à l’ordre du jour, afin que nous puissions l’examiner jusqu’au bout, répondant ainsi aux exigences que nous nous sommes fixées.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Les socialistes vont à contre-courant !

M. François Sauvadet. Nous devons assurer la transposition d’une directive communautaire dont l’objectif devrait tous nous rassembler puisqu’il s’agit de parvenir au bon état écologique de l’eau d’ici à 2015. Nous devons à cet effet moderniser nos outils.

Il nous faut avancer résolument dans cette voie, dans le respect de la Charte de l’environnement, adossée à la Constitution, et notamment du principe de précaution. Dans la mesure où ce projet répond aux objectifs que nous avons définis au terme d’un large débat, nous souhaitons engager son examen au plus vite.

Votre intervention, monsieur Launay, laisse entrevoir les thèmes sur lesquels nous aurons des divergences profondes, comme ç’avait été le cas sous la précédente législature à propos d’un texte que les élections ne nous avaient pas permis d’examiner jusqu’au bout.

Parmi ces éléments de divergence, nous considérons que les collectivités locales, eu égard à leurs responsabilités en matière d’approvisionnement et d’assainissement, doivent pouvoir conserver leur liberté d’approche. Cette responsabilité, les collectivités doivent l’assumer devant les usagers. Ceux qui souhaitent un prix de l’eau uniforme, ne tenant pas compte des réalités territoriales, nous engageraient dans une impasse.

M. Christian Decocq. Très juste ! Avec l’opposition, on se croirait revenu en 1978, au temps du programme commun de la gauche !

M. François Sauvadet. Ce n’est pas à vous que je fais allusion, monsieur le porte-parole du groupe socialiste, mais à votre collègue du groupe communiste qui renvoyait à une vision uniforme du territoire, alors que les problèmes sont différents selon les régions.

Par ailleurs, madame la ministre, nous devrons non seulement poser la question des économies à réaliser, mais discuter de la création de ressources nouvelles. Sur ce point aussi, la gauche, en particulier les Verts, devra clarifier ses positions. On ne pourra en effet durablement soutenir qu’il faille préserver ce bien précieux qu’est l’eau, sans évoquer la nécessité de créer de nouvelles ressources pour en permettre les divers usages. Il s’agit donc d’en finir avec les hypocrisies et de chercher à concilier objectifs environnementaux et objectifs économiques, notamment dans le domaine agricole. Ainsi le principe pollueur-payeur ne paraît pas souhaitable...

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est en effet un raccourci !

M. François Sauvadet. …puisqu’il reviendrait, si on l’appliquait d’une manière stricte, à créer un droit à polluer, pour peu que l’on s’acquitte des amendes prévues. Ce n’est pas la meilleure manière pour parvenir au bon état écologique de l’eau à l’horizon 2015.

Comme certains de leurs collègues de l’UMP, les députés de l’UDF ont choisi une position plus équilibrée selon laquelle, s’il faut effectivement sanctionner certaines pratiques, notre responsabilité est d’encourager l’agriculture raisonnée. À ce titre, les efforts accomplis – d’ailleurs parfois pour des raisons économiques – par l’ensemble des agriculteurs pour parvenir à une meilleure maîtrise des intrants, méritent d’être salués et stimulés.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. François Sauvadet. Je me réjouis qu’en commission nous ayons encouragé ces nouvelles pratiques d’agriculture raisonnée, et j’espère que Mme la ministre nous suivra.

Nous qui avons demandé l’examen de ce texte et qui voulons entrer dans le vif du sujet de manière très ouverte, nous ne suivrons pas l’opposition. Les députés du groupe UDF, très nombreux aux côtés, notamment, de François Rochebloine et de Jean Lassalle, repousseront cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 2276 deuxième rectification, adopté par le Sénat, sur l’eau et les milieux aquatiques :

Rapport, n° 3070, de M. André Flajolet, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 3068, de M. Philippe Rouault, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures vingt-cinq.)