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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 14 juin 2006 

243e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

souhaits de bienvenue
à une délégation étrangère

M. le président. Mes chers collègues, vous le savez, l’Assemblée nationale s’est beaucoup investie pour aider à la mise en place en Afghanistan d’un Parlement démocratique. Celui-ci a enfin pu se réunir à Kaboul le 19 décembre 2005 après trente ans d’absence.

Aussi suis-je heureux de souhaiter aujourd’hui en votre nom la bienvenue à une délégation de trente-six députées afghanes. (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent longuement.)

Elles nous ont fait l’honneur de venir en France remercier l’Assemblée nationale.

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

suites du rapport de la commission « outreau »

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Michel Hunault. Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, la semaine dernière, la commission d’enquête parlementaire dite d’Outreau a rendu son rapport, voté à l’unanimité. Je voudrais d’abord rendre hommage à son président et à son rapporteur pour la façon dont nous avons travaillé sous le regard de la presse, dans la transparence et dans un esprit de responsabilité. Ce qui nous a animés, c’était d’abord le souci des victimes, l’écoute des enfants, mais aussi le respect de principes comme la présomption d’innocence et le caractère exceptionnel de la détention provisoire.

À l’Union pour la démocratie française, nous considérons que toutes les réformes, à travers notamment une grande loi de programmation pour la justice et la ratification des conventions européennes sur la prison, nécessiteront des moyens financiers.

Au vu des conclusions consensuelles du rapport, certaines mesures pourraient être prises rapidement sans attendre. Quelles suites le Gouvernement entend-il donner à ces travaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je vous remercie de votre question parce que ce qui s’est passé est suffisamment rare pour être salué.

Vous venez de rappeler que, dans cette affaire, la totalité ou presque de nos concitoyens ont été choqués par la durée, presque sans précédent, de la détention provisoire subie par un très grand nombre de personnes : plus de vingt-cinq ans au total. La commission d’enquête de l’Assemblée nationale s’est emparée du sujet : elle a mené des auditions pendant près de 200 heures en se mettant sous le regard des Français – plus que des médias. Les Français ont suivi ses travaux avec beaucoup d’attention, les députés ont été extrêmement assidus sous la houlette du président de la commission, André Vallini, et de son rapporteur, le président de la commission des lois, Philippe Houillon.

Cette affaire aurait pu être traitée dans la tradition de l’Assemblée nationale, le rapport n’étant voté que par une partie de la commission. Ce n’est pas cette voie qui a été choisie par ses membres, qui ont voté le rapport à l’unanimité. Autrement dit, ils ont fait l’effort de chercher un consensus pour montrer aux Français qu’ils pouvaient se mettre d’accord pour éviter un nouvel Outreau.

M. Bernard Roman. Il faut annuler les lois Perben !

M. le garde des sceaux. De très nombreuses propositions ont été faites, et, comme je l’ai dit depuis le début, je souhaite parvenir aussi à un consensus entre les parlementaires et le Gouvernement. Cet après-midi même, dans une heure, monsieur le député, je réunirai à la Chancellerie tous les membres de la commission d’enquête pour examiner ensemble les points sur lesquels nous pouvons tomber d’accord.

M. Bernard Roman. Il faut annuler les lois Perben !

M. le garde des sceaux. Après, la question est d’ordre politique. Faut-il que nous attendions quatorze, quinze ou dix-huit mois, voire vingt-quatre, ou que nous mettions d’ores et déjà en place les mesures sur lesquelles tout le monde est d’accord pour éviter un « Outreau bis » ? Telle est la question posée, et que je poserai tout à l’heure aux députés qui viendront à la Chancellerie. J’espère que nous conclurons dans l’intérêt des Français. C’est mon vœu le plus cher. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

réduction des effectifs de fonctionnaires

M. le président. La parole est à M. Gilbert Biessy., pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Gilbert Biessy. Monsieur le Premier ministre, vous venez d’annoncer pour l’an prochain la suppression de quelque 15 000 postes de fonctionnaires, dont 8 700 au moins dans l’éducation nationale, au prétexte de réaliser des économies.

M. Hervé Novelli. Ce n’est pas assez !

M. Gilbert Biessy. Cette réduction sans précédent du nombre des agents de l’État témoigne, une fois encore, du mépris dans lequel vous tenez notre fonction publique, le peu de cas que vous faites de nos services publics et des besoins de nos concitoyens. Il est scandaleux de faire des fonctionnaires les boucs émissaires de vos choix politiques désastreux. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Pourquoi supprimer autant de postes dans l’éducation nationale...

M. Robert Lamy. Il y a moins d’élèves !

M. Bernard Roman. Allez donc le dire dans les banlieues !

M. Gilbert Biessy. ...quand les événements qui se sont déroulés dans nos banlieues à l’automne dernier devraient au contraire nous inciter à renforcer l’efficacité de notre système éducatif et à améliorer l’encadrement scolaire de nos enfants ?

M. Georges Tron. Arrêtez !

M. Gilbert Biessy. Une fois de plus, vous faites fausse route. Vous consentez des cadeaux fiscaux démesurés aux ménages les plus aisés, aux détenteurs de gros patrimoines et aux entreprises du CAC 40, le tout à fonds perdus (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), pour venir ensuite nous expliquer qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses et qu’il faut faire des économies.

M. Georges Tron. Arrêtez donc !

M. Gilbert Biessy. De qui se moque-t-on ? De l’ensemble des Français qui sont demandeurs de services publics toujours plus performants et efficaces, ce qui ne peut se faire sans maintenir un niveau d’emploi élevé dans la fonction publique. Vous vous moquez tout autant de nos agents publics, auxquels vous continuez de refuser tout rattrapage de pouvoir d’achat. Il est vrai que vous vous apprêtez à ne pas revaloriser le SMIC cette année, sans doute pour permettre à quelques poignées d’actionnaires d’accroître encore leurs profits. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le Premier ministre, quand prendrez-vous la mesure des besoins réels de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Georges Tron. C’est pitoyable !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, cet éternel numéro de la gauche qui consiste à expliquer que le service public marche moins bien si l’on n’augmente pas tous les ans le nombre de fonctionnaires est d’un autre temps ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) En réalité, notre responsabilité consiste à mettre les fonctionnaires là où nous en avons besoin pour rendre le meilleur service public. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Comme je n’entends pas, et Thierry Breton non plus, tomber dans le piège classique que vous nous tendez en mettant de l’idéologie partout, nous avons trouvé cette fois-ci une recette magique ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Nous avons réalisé dans tous les ministères des audits qui permettent de documenter, à l’emploi près, les raisons de nos choix (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), aussi bien dans les secteurs où les effectifs augmentent que dans ceux où ils diminuent !

Par exemple, dans l’éducation, les élèves augmentent en primaire et les postes aussi.

M. Gilbert Biessy et M. Jacques Desallangre. Non ! Non !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Dans le secondaire, il y a moins d’élèves et les effectifs seront diminués. C’est le bon sens et l’esprit de responsabilité ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En plus, dans cette affaire, il n’y aura que des gagnants : les contribuables en auront pour leurs impôts, les usagers bénéficieront de la modernisation du service public et les fonctionnaires récupéreront la moitié des gains de productivité réalisés.

M. Jacques Desallangre. Vous vous moquez du monde !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je vous invite, monsieur le député, à regarder ce qui se passe dans le reste du monde. Ça bouge partout ! La semaine dernière, j’ai rencontré mon homologue du nouveau gouvernement italien. Figurez-vous qu’il vient du mouvement communiste, comme vous. Mais, lui, il est aujourd’hui chargé de réfléchir à un programme de privatisations !

Les temps changent et, je vous le confirme, Karl Marx est vraiment mort ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Desallangre. Ce n’est pas digne de vous !

allocataires du rmi

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lemoine, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Claude Lemoine. Monsieur le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, nous nous réjouissons tous de la baisse significative et régulière du chômage en France depuis plusieurs mois. Mais ce reflux s’accompagnerait, comme dans d’autres pays européens, d’une hausse équivalente des bénéficiaires de minima sociaux. Pourriez-vous donc, monsieur le ministre, nous indiquer l’évolution du nombre d’allocataires du RMI au cours des derniers mois ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous félicite, monsieur Lemoine, de la brièveté de votre question, et je donne la parole à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le député, la baisse de 220 000 demandeurs d’emploi ne s’est pas accompagnée d’un mouvement inverse et concordant du nombre de bénéficiaires de minima sociaux, notamment du RMI. C’est la raison pour laquelle, quand l’inversion de l’évolution du chômage commençait à se confirmer, j’avais anticipé devant vous une baisse du nombre d’allocataires du RMI, avec un décalage de neuf à douze mois, monsieur Lemoine. Eh bien, nous y sommes ! Ce trimestre, pour la première fois depuis de nombreuses années, le nombre de bénéficiaires du RMI a baissé de 1 %. La tendance est donc inversée ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Augustin Bonrepaux. Vous trafiquez les chiffres !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Le plus important, au-delà des chiffres, monsieur Lemoine, ce sont les efforts consentis pour les bénéficiaires du RMI. Dans le plan de cohésion sociale que vous avez voté,...

M. Augustin Bonrepaux. Tricheur !

M. le président. Monsieur Bonrepaux !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. ...il est prévu de leur offrir un contrat d’avenir, c’est-à-dire un travail et une formation au SMIC horaire.

M. Augustin Bonrepaux. Et qui finance tout ça ?

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Ces dispositifs sont mis en place par les départements. Déjà, 60 000 sur 1,1 million de RMIstes en ont bénéficié en cinq mois. Dans des départements comme la Creuse, la Corrèze, la Moselle ou le Nord, le taux de RMIstes bénéficiant d’un contrat d’avenir se monte à près de 15 %. J’espère qu’on atteindra les 30 % en fin d’année.

J’invite évidemment les autres départements, qui ont mis du temps à s’occuper des personnes au RMI, lesquelles sont essentielles à l’énergie de notre pays et ne demandent qu’à retrouver une activité, à suivre un tel exemple. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

privatisation de gaz de france

M. le président. La parole est à M. David Habib, pour le groupe socialiste.

M. David Habib. Monsieur le Premier Ministre, galvanisé par vos succès de ce printemps, vous engagez aujourd'hui la privatisation de Gaz de France, alors que, le 15 juin 2004, devant cette même assemblée, Nicolas Sarkozy, la main sur le cœur,…

M. Jean-Pierre Brard. Il n’a pas de cœur !

M. David Habib. …déclarait : « Je l'affirme : EDF et Gaz de France ne seront pas privatisés. » Deux ans après, votre gouvernement, où siège le même Nicolas Sarkozy, s'apprête à revenir sur cet engagement. Nous connaissions la valeur des promesses du numéro deux du Gouvernement : nous en connaissons désormais la durée.

Toutefois, là n'est pas le plus grave. Ici même, des élus de toutes tendances ne cessent de vous mettre en garde sur les conséquences dramatiques de cette privatisation : conséquences tarifaires, conséquences en matière d'approvisionnement, conséquences industrielles, conséquences sociales enfin, puisque vous allez placer 50 000 salariés d'EDF-GDF Distribution dans la confusion la plus totale.

Pourquoi ? Il ne s’agit pas uniquement de reprendre la main, encore moins de sauver Suez, qui dispose des outils lui permettant de rejeter l'OPA inamicale d'Enel, ni de constituer un « majeur européen » : tout sépare GDF de Suez ! Non ! Le véritable objectif, reconnu par les dirigeants de Gaz de France et de Suez eux-mêmes dans le dossier qu’ils ont remis à la Commission européenne, est de créer « un concurrent à EDF », dont, au contraire, en cette période de tension sur les matières énergétiques, nous mesurons tous combien il importe de favoriser la stabilité et l'efficacité.

Aussi, monsieur le Premier ministre, plutôt que de remettre en cause une architecture industrielle héritée de la Libération et parfaitement adaptée aux défis énergétiques présents et à venir, …

M. Jean-Paul Anciaux. Ceux du siècle dernier !

M. le président. Monsieur Anciaux, je vous prie de laisser M. Habib poser sa question !

M. David Habib. …renoncez à une telle braderie du patrimoine public, qui choque non seulement les élus de gauche, mais également, vous le savez bien, ceux de votre majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mesdames et messieurs les députés, je souhaiterais que, sur cette question, vous fassiez tous preuve d’une attitude responsable. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Claude Lefort. Commencez par vous !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Dans les cinquante dernières années, la France n’a manqué aucun tournant important de sa politique visant à assurer son avenir énergétique. C’est pourquoi le Premier ministre a souhaité que la représentation nationale, cet après-midi, à partir de seize heures quinze, ait un débat de fond sur ces questions.

En effet, monsieur le député, les temps changent. Il suffit de lire, dans l’édition de ce soir d’un journal que vous aimez bien,…

M. Patrick Lemasle. Nous les aimons tous ! Pas vous ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …l’éditorial de la page deux ainsi que les pages huit et vingt-deux : vous comprendrez alors pourquoi les temps ont changé, pourquoi, aujourd'hui, Gaz de France, qui est assurément une entreprise forte de ses salariés…

M. Bruno Le Roux. Vous osez le reconnaître !

M. le président. Monsieur Leroux, laissez M. le ministre s’exprimer !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …et de son histoire, n’en demeure pas moins une entreprise de taille moyenne sur le plan énergétique et pourquoi le statu quo est désormais impossible.

Vous serez appelés à prendre vos responsabilités devant les Français. Nous le serons également. Un débat va avoir lieu, à l’issue duquel nous répondrons à toutes vos questions. À la fin, c’est vous qui déciderez de laisser, ou non, Gaz de France au bord de la route, sans partenaire et dans l’impossibilité de sécuriser ses approvisionnements (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) et de laisser, ou non, échapper au pays l’avenir de Suez. Ce choix vous appartient. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) J’ai fait le mien, convaincu que ce projet de fusion est bon pour la France et pour nos entreprises.

Mesdames et messieurs les députés, au moment de prendre votre décision, pensez également au jour d’après : nous aurons tous des comptes à rendre à nos électeurs ! (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Albert Facon. Demandez donc à votre majorité ce qu’elle en pense !

M. Julien Dray. Il faut prévenir Le Monde que l’UMP n’applaudit pas le ministre !

M. le président. Monsieur Dray, je vous prie de vous taire !

actionnariat salarié
dans les entreprises privatisées

M. le président. La parole est à M. Édouard Balladur, pour le groupe UMP.

M. Édouard Balladur. Monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, selon certaines informations, la société Alcatel aurait l’intention de mettre fin à la représentation des salariés au sein de son conseil d’administration, au prétexte qu’elle doit en modifier la composition à la suite du rachat de la société américaine Lucent. Cette décision me paraît extrêmement regrettable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Les temps changent !

M. François Hollande. Le capitalisme, c’est affreux !

M. Édouard Balladur. Tout d’abord pour des raisons de fond.

M. Julien Dray. Édouard avec nous ! (Rires sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Édouard Balladur. L’actionnariat salarié et la désignation de représentants salariés au sein des conseils d’administration des entreprises visent à faire participer les salariés aux décisions essentielles les concernant. Or ces dispositions ont déjà fait maintes fois la preuve de leur efficacité. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Cette décision me paraît également regrettable pour des raisons de forme. En effet, Alcatel est une entreprise privatisée et l’article 8 de la loi de 1986 prévoit la présence sans limitation de durée de deux administrateurs salariés au moins au conseil d’administration. Ces dispositions ont toujours été respectées par les sociétés privatisées, même lorsqu’elles ont été rachetées.

M. Jacques Desallangre. C’est l’hommage du vice à la vertu !

M. Édouard Balladur. Dès lors, monsieur le ministre, je vous poserai trois questions.

Premièrement, partagez-vous mon opinion sur le caractère extrêmement regrettable des intentions prêtées à la société Alcatel et avez-vous l’intention de vous y opposer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française, ainsi que sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Deuxièmement, avez-vous l’intention d’utiliser tous les moyens de droit en votre possession pour que, même en cas de fusion avec une autre société, la place des administrateurs salariés au sein d’une société privatisée soit préservée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli. Bravo Édouard !

M. Édouard Balladur. Troisièmement, si les dispositions en vigueur ne vous paraissent pas suffisamment claires, ce qui me surprendrait, envisagez-vous de prendre, à l’occasion de l’examen du projet de loi sur la participation que notre assemblée doit bientôt examiner,…

M. Jean-Claude Lefort. Le gaullisme est de retour !

M. Édouard Balladur. …les mesures qui permettraient de mieux protéger les droits reconnus aux salariés par les lois de privatisation ? (Applaudissements sur tous les bancs.) Monsieur le ministre, je compte sur le Gouvernement pour s’opposer à ce qui, à mes yeux, constitue une régression tout à fait regrettable. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je constate, monsieur le Premier ministre, non sans une certaine satisfaction, que votre question, vous qui avez été l’artisan des privatisations et du remodelage des entreprises françaises, suscite l’approbation sur tous les bancs de cette assemblée. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Daniel Paul. Ce n’est pas vrai !

M. Gilbert Biessy. Il n’a rien compris !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est assez rare pour être souligné.

De plus, monsieur le Premier ministre, je partage votre profond intérêt pour l’actionnariat salarié.

M. Jean-Claude Lefort. Pour les patrons, surtout !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je l’ai moi-même vérifié : cet actionnariat est une force pour nos entreprises.

Du reste, le Gouvernement, en concertation avec l’ensemble de la majorité et des partenaires sociaux, a élaboré un texte qui sera bientôt soumis au Parlement et qui répondra – je le pense – en grande partie à vos légitimes interrogations, relatives notamment à la représentation des actionnaires salariés au sein des conseils d’administration.

M. Jean-Pierre Brard. Blablabla !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Répondez à la question !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous souhaitons, vous le savez, que cette représentation devienne obligatoire dès lors que les salariés possèdent plus de 3 % du capital des entreprises – un seuil dont nous pourrons débattre mais qui me paraît raisonnable.

Vous m’interrogez par ailleurs à juste titre sur la fusion d’Alcatel et de Lucent. Je tiens à rappeler qu’elle a pour objectif la naissance d’un champion mondial dans le domaine des télécommunications.

M. Jean-Pierre Brard. Répondez à M. Balladur !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je pense comme vous, monsieur le Premier ministre, qu’il est important de maintenir la représentation des salariés au conseil d’administration : il y va de l’intérêt de l’entreprise. C’est pourquoi je m’en entretiendrai avec le président d’Alcatel, M. Tchuruk, et avec le directeur général de Lucent, Mme Russo, dès que j’en aurai l’occasion. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Albert Facon. Vous ne répondez pas aux trois questions de M. Balladur !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Enfin, je vous donne de nouveau à tous rendez-vous…

M. Albert Facon. Répondez aux trois questions !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …pour affiner encore le texte auquel nous avons travaillé, notamment avec Franck Borotra, et qui constitue une bonne base en vue de répondre à l’ensemble de vos préoccupations. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

égalité des chances et baccalauréat

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Le Ridant, pour le groupe UMP.

M. Jean-Pierre Le Ridant. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, lundi 12 juin, l'épreuve de philosophie a marqué, pour les quelque 517 000 candidats au baccalauréat général ou technologique, le coup d'envoi de la session 2006.

Je tiens du reste à saluer son excellente organisation par les services de l'éducation nationale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 4 000 sujets, près de 140 000 correcteurs et examinateurs, quelque quatre millions de copies et plus d'un million d'épreuves orales.

Alors que le Gouvernement a fait de l'égalité des chances une de ses priorités, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous faire part des dispositions que vous avez prises en vue de faciliter, d’une part, le passage de cet examen par les élèves handicapés et, d’autre part, l’accès des bacheliers issus de milieux modestes aux formations supérieures d'excellence ?

Enfin, monsieur le ministre, la plupart des rectorats mettant en ligne les résultats du baccalauréat, pouvez-vous nous assurer que tous les candidats y auront accès gratuitement dès la fin de la session ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, je vous remercie de souligner que les épreuves du baccalauréat se déroulent dans les meilleures conditions possibles. C’est pour nous l’occasion d’exprimer notre gratitude aux 140 000 personnels de l’éducation nationale qui, depuis des mois, se préparent eux aussi à cette échéance et qui, au cours des épreuves, font montre de tout leur talent.

M. Christian Bataille. C’est pour cela que vous les mettez à la retraite !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je peux tout d’abord vous assurer que dans toutes les académies de France les résultats seront gratuitement mis en ligne pour l’ensemble des candidats au baccalauréat. C’est une innovation.

Par ailleurs, il est normal que les élèves handicapés puissent passer les épreuves du baccalauréat comme tous leurs camarades. À cette fin, des dispositions ont été prises pour que les candidats concernés puissent notamment disposer de textes écrits en braille, d’ordinateurs adaptés ou encore d’une aide au secrétariat. Nous avons également prévu cette année une majoration d’un tiers du temps imparti au passage des épreuves.

M. Jean-Claude Lefort. Cela a toujours été le cas !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons pris deux mesures supplémentaires à l’intention de ces candidats : la possibilité, d’une part, d’étaler sur plusieurs sessions l’ensemble des épreuves du baccalauréat et celle, d’autre part, de conserver pour la session de 2007 le bénéfice des notes acquises en 2006.

Enfin, le Président de la République a demandé que 30 % des élèves boursiers aient accès aux classes préparatoires. Nous en sommes encore loin, même si la promotion que nous en avons faite a permis une augmentation de 6,8 % du nombre d’inscriptions en classes préparatoires. Ce chiffre demeure toutefois insuffisant. J’ai donc demandé à toutes les académies, dès que les résultats du baccalauréat seront connus, de prendre individuellement contact avec tout nouveau bachelier qui aura obtenu une mention « très bien » ou « bien », en vue de les informer sur les possibilités d’inscription en classe préparatoire.

Je peux donc vous répondre de façon affirmative à la fois sur l’accès en ligne gratuit pour tous les candidats aux résultats du baccalauréat, sur les mesures en faveur des élèves handicapés et sur celles en direction des élèves boursiers. L’égalité des chances est en marche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Gaz de France

M. le président. La parole est à M. Henri Emmanuelli, pour le groupe socialiste. (Huées et protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je vous en prie, M. Emmanuelli n’a encore rien dit !

Vous avez la parole, monsieur Emmanuelli.

M. Henri Emmanuelli. Monsieur Copé, Marx est peut-être mort, mais nous avons tous pu constater que, fort heureusement, M. Édouard Balladur se portait bien. (Sourires.)

Monsieur le Premier ministre, il est un principe élémentaire de la démocratie – la responsabilité politique – que vous vous acharnez à fouler aux pieds puisque, à l’évidence, vous ne vous sentez responsable que devant le Président de la République, qui, lui-même, ne se sent responsable devant personne. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Aussi, à défaut de pouvoir vérifier votre légitimité dans cette assemblée, ce que je vous mets au défi de faire, vous accumulez les aventures.

M. Richard Mallié. Pour qui vous prenez-vous ?

M. Henri Emmanuelli. Après le CNE, dont on apprend aujourd’hui, malgré vos affirmations répétées, qu’il n’a créé qu’un emploi sur dix, après le CPE, vous vous apprêtez à une nouvelle aventure : la privatisation de Gaz de France.

Je ne vais pas répéter ce qu’a dit M. Habib. J’affirme néanmoins avec une certaine gravité que nous n’accepterons pas une situation où le pouvoir d’achat des Français, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises, sera pris en otage par des actionnaires privés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il s’agirait en effet d’une situation inacceptable.

Demandez aux Français, monsieur Breton, puisque vous parlez de sondages, s’ils sont satisfaits des 30 % d’augmentation du gaz constatés depuis 2002, et s’ils veulent que ce soient des actionnaires privés qui décident de ces hausses ; le résultat de vos sondages sera différent. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je souhaite savoir, monsieur le Premier ministre, si vous allez renoncer à cette nouvelle aventure et nous épargner, une fois de plus, d’avoir à mener des combats dont nous nous passerions bien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur Emmanuelli, une nouvelle fois, vous vous illustrez par votre sens de la nuance (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste) et par votre sens des réalités. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous parlez d’aventure. Parlons donc de la bataille pour l’emploi : 210 000 chômeurs en moins en quelques mois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Est-ce cela, une belle aventure ?

M. Bernard Roman. Et les 20 % de RMIstes en plus ?

M. le Premier ministre. Et le contrat nouvelle embauche, dont l’INSEE dit clairement qu’il a créé entre 40 000 et 80 000 emplois nouveaux, même s’il est vrai qu’une étude ne fait pas plus le printemps qu’une hirondelle ! (Sourires.)

Alors oui, nous traversons une crise énergétique majeure. Le prix de toutes les matières premières augmente : le gaz, le pétrole, l’électricité.

M. Jacques Desallangre. Et l’énergie nucléaire ?

M. le Premier ministre. La sécurité des approvisionnements doit être consolidée. Toutes les grandes entreprises du secteur de l’énergie dans le monde cherchent à nouer des alliances pour être plus fortes. Et que dites-vous ? Vous dites : « Et alors ? » Que proposez-vous ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Rien ! On ne touche à rien, on ne change rien et, même, on revient en arrière en renationalisant EDF ! (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Voilà la belle aventure que vous nous proposez !

Nous avons une autre conception de la politique énergétique : garantir aux Français un approvisionnement sûr au meilleur coût. Cela, monsieur Emmanuelli, je le fais sans complexe, en fidèle du général de Gaulle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), qui a donné à la France l’indépendance et la sécurité énergétique, remises en cause par toutes les politiques de la gauche depuis trente ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons un champion mondial pour le pétrole avec Total, un champion mondial pour l’électricité avec EDF, un champion mondial pour le nucléaire avec Areva.

M. François Hollande. Et vous, vous n’êtes pas le champion des Français en tout cas !

M. le Premier ministre. Nous avons pris toutes les mesures nécessaires pour développer les énergies renouvelables et celles du futur. Ce n’est pas vous qui l’avez fait, ce ne sont pas les Verts, c’est nous ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Reste la question difficile du gaz, je dis « difficile » parce que, parfois, en politique, il faut un peu de courage. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. Ah bon ?

M. le Premier ministre. Nous avons une échéance inéluctable en juillet 2007 avec l’ouverture complète des marchés de l’énergie.

M. Jean-Pierre Brard. Vous ne serez plus là !

M. le Premier ministre. Cette échéance implique que l’on soit prêt. C’est pourquoi nous avons besoin d’un texte législatif pour transposer la directive européenne en protégeant les tarifs et les prérogatives de l’État.

La France a aujourd’hui une opportunité. Faut-il la saisir, monsieur Emmanuelli ? Cette opportunité est de créer un nouveau champion mondial dans le domaine du gaz,…

M. François Hollande. Encore des champions !

M. Jean-Pierre Blazy. Ribéry ! (Sourires.)

M. le Premier ministre. …capable de diversifier et de renforcer notre approvisionnement et capable de peser sur les prix. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. Ah bon ?

M. le Premier ministre. C’est tout le sens du rapprochement entre Gaz de France et Suez.

M. François Hollande. Dans l’enthousiasme !

M. le Premier ministre. Je sais bien que des questions se posent. Rien de plus normal ! Le Gouvernement prendra le temps de répondre à chaque interrogation,...

M. François Hollande. En un an !

M. le Premier ministre. …comme il l’a fait pendant plusieurs mois avec les organisations syndicales ; Thierry Breton les a reçues à trente-sept reprises. (Signes de dénégation sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Une inquiétude légitime concerne les prix du gaz. Nous y répondrons. Le tarif réglementé tel qu’il existe aujourd’hui sera maintenu au-delà du 1er juillet 2007. Il est hors de question que les ménages français soient exposés à des hausses brutales de tarifs dont l’État n’aurait pas la maîtrise.

Il existe aussi une inquiétude à propos des statuts des personnels. Il n’a jamais été question de les modifier.

M. Julien Dray. Comme pour France Télécom !

M. le Premier ministre. Tout cela figurera dans le projet de texte.

Nous sommes aujourd’hui dans le temps de l’explication. Thierry Breton et François Loos répondront cet après-midi même à vos questions. Ce débat essentiel permettra d’éclairer les choix de chacun. Le Gouvernement sera très attentif aux différentes propositions qui seront formulées par l’Assemblée.

Je souhaite qu’ensemble, nous puissions faire entrer la France dans une nouvelle ère énergétique, celle de l’après-pétrole, où notre pays a pris plusieurs longueurs d’avance.

M. Henri Emmanuelli. En servant les intérêts des actionnaires privés ?

M. le Premier ministre. Et, je l’affirme solennellement devant vous : le Gouvernement se prononcera sur ce dossier en fonction du seul intérêt général (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Marc Ayrault. Comme ce fut le cas pour le CPE ?

M. le Premier ministre. …qui reste mon unique préoccupation depuis le premier jour. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

réforme de la justice

M. le président. La parole est à M. Jacques Remiller, pour le groupe UMP.

M. Jacques Remiller. Monsieur le garde des sceaux, la semaine dernière, la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire dite d’Outreau a adopté à l’unanimité quatre-vingts propositions de réformes de la justice, fruit de plus de deux cents heures d’audition des acteurs de ce fiasco judiciaire. De même, l’inspection générale des services judiciaires vient de rendre ses conclusions.

Que dit le rapport de la commission ? Il relève que la justice a mal fonctionné et que treize innocents ont été privés de liberté pendant de très long mois – à eux tous, les acquittés ont ainsi cumulé plus de vingt-cinq ans de prison !

Chacun, au moment de l'acquittement de ces derniers, s'est demandé si cela ne pouvait pas lui arriver, aujourd’hui ou demain. Nos concitoyens, vous le savez, se demandent si nous allons véritablement tirer les leçons de cette affaire pour que pareil drame ne se reproduise plus, ou si le rapport restera au fond d’un tiroir.

Pouvez-vous dire à la représentation nationale, monsieur le garde des sceaux, sachant que, dans moins d’une demi-heure, vous recevrez les membres de la commission d’enquête, quelles sont les propositions susceptibles, selon vous, de faire l'objet d'un projet de loi et quelles sont les intentions du Gouvernement pour que nos concitoyens retrouvent confiance en la justice ?

Pour finir, je rends hommage à mon tour au président et au rapporteur de la commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous remercie de votre question, monsieur le député de l’Isère, puisqu’elle me permet de rappeler certains éléments à mes yeux fort importants.

Première idée que je ne peux développer et que je me contenterai donc d’évoquer : vous avez affirmé que la commission d’enquête et l’Inspection générale des services judiciaires avaient chacune rendu un travail de grande qualité, soulignant notamment de graves dysfonctionnements concernant le procureur de la République et le juge d’instruction.

J’ai souhaité saisir l’organe constitutionnel, à savoir le Conseil supérieur de la magistrature, pour déterminer s’il y a eu faute disciplinaire ou non. Je tiendrai compte de cet avis et prendrai les décisions qui s’imposent.

En ce qui concerne notre action pour les semaines qui viennent, j’ai l’accord du Président de la République et celui du Premier ministre pour présenter au Parlement un projet de loi définissant non pas ce que certains appellent la « grande réforme » – je ne sais pas moi-même ce qu’est la grande réforme –, mais un texte dont les dispositions empêcheront un « Outreau bis ».

Je pense notamment à des mesures aussi incontestables que l’enregistrement audiovisuel de la garde à vue au moment de l’interrogatoire, le réexamen de la détention provisoire par la chambre de l’instruction, cette dernière ayant la possibilité, avec le concours d’assesseurs à plein temps, de modifier totalement la décision initiale.

S’agissant du recueil de la parole de l’enfant – l’une des raisons de ce que vous appelez le fiasco judiciaire d’Outreau –, il faudra l’entourer de conditions particulières et recourir à des professionnels.

Quant aux droits de la défense, enfin, il faudra garantir l’équilibre des responsabilités de chacun, ainsi que l’a suggéré la commission et comme je le proposerai moi-même tout à l’heure aux membres de la commission.

Ces mesures seront la substance même du projet de loi qui vous sera présenté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

soutien au secteur de la pêche

M. le président. La parole est à M. Léonce Deprez, pour le groupe UMP.

M. Léonce Deprez. Monsieur le ministre de l’agriculture et de la pêche, les artisans marins qui contribuent à faire vivre le littoral français ont perdu entre 25 % et 35 % de leur rémunération en 2005. La question de la survie de leurs exploitations se pose puisqu’en 2006 les mêmes menaces pèsent sur leur activité.

Je vous demande donc si vous êtes en mesure de convaincre les scientifiques et ceux qui, à Bruxelles, travaillent sur ces questions,…

M. Jean-Claude Lefort. Ce sont des technocrates !

M. Léonce Deprez. …que la réglementation européenne n’est pas adaptée à ce type de marins qui, pour vivre, doivent pouvoir pêcher plusieurs espèces de poissons. (Interruptions sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Claude Lefort. Vous ne savez pas ce que c’est que le poisson !

M. Léonce Deprez. La réglementation européenne en vigueur est en train d’asphyxier tous ceux qui vivent sur le littoral français.

M. Jacques Desallangre. Et vous vous en étonnez ?

M. Léonce Deprez. Les marins-pêcheurs sont ceux qui font vivre ce littoral.

Vous l’avez dit hier à Nantes, monsieur le ministre : vous vous battez. Aussi, pouvez-vous apporter un espoir à ceux qui veulent assurer l’avenir de la pêche artisanale sur tout le littoral français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Tout d’abord, permettez-moi d’annoncer à l’Assemblée nationale que nous venons d’obtenir de l’Union européenne une autorisation au sujet de laquelle de nombreux députés de départements touchés par la sécheresse nous avaient écrit : la possibilité de pâturer les jachères dans une trentaine de départements. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

La pêche française, monsieur Deprez, connaît en effet de grandes difficultés, entre une Commission européenne qui a parfois trop tendance à imposer une réglementation entravant la pêche et cette hausse inouïe des prix de l’énergie, qui représentent 30 à 40 % du coût de revient.

Mme Hélène Tanguy a remis avant-hier à M. le Premier ministre un rapport sur la situation de la pêche et la commercialisation du poisson. Il contient cinquante-neuf propositions, dont nous allons nous inspirer. J’ai moi-même présenté hier à Nantes, en présence d’un certain nombre de vos collègues, dont MM. Priou et Guédon, un plan d’avenir pour la pêche qui comporte toute une série de mesures allant dans le sens que vous souhaitez : ainsi la gestion collective des quotas, la création d’une réserve nationale des quotas, la mise en place d’une interprofession, des mesures pour lutter contre la crise du prix du gazole – à ce titre, d’ailleurs, le Premier ministre a débloqué 80 millions d’euros de crédits supplémentaires pour aider notre flotte.

Ce plan comporte aussi un important volet de mesures de sécurité. Tous les Français ont été choqués par les récents accidents de pêche, notamment, monsieur Besselat, celui du Gwel Vo, au large d’Antifer près du Havre, ou celui qui a coûté la vie à Guillaume Normant et à Édouard Michelin au large d’Audierne. Le tribut de morts que la pêche paie chaque année est inacceptable. Nous avons donc décidé de renforcer les mesures de sécurité : tous les navires de plus de quinze mètres devront être équipés d’un dispositif anticollision, à l’instar de ce qui existe dans le domaine aéronautique, et tous les marins auront l’obligation – selon des modalités dont nous discuterons avec eux –, dans les circonstances de pêche difficile, de porter un vêtement de flottabilité intégré. Je n’ignore pas que cela peut poser des difficultés, mais, dans la plupart des accidents récents, les marins auraient survécu s’ils avaient porté ce vêtement.

Nous allons donc prendre simultanément des mesures économiques pour redonner espoir aux artisans pêcheurs – et je répondrai à votre souhait, monsieur le député, en allant les présenter chez vous, à Étaples –, et des mesures de sécurité, car nos marins ont besoin de conditions de travail dignes et ne doivent pas craindre la mort lorsqu’ils partent en mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

prix de l'énergie

M. le président. La parole est à M. René Rouquet, pour le groupe socialiste.

M. René Rouquet. Monsieur le Premier ministre, dans votre réponse à Henri Emmanuelli, vous en avez appelé au sens de la nuance. J’espère que vous en ferez preuve en répondant à ma question, qui porte elle aussi sur les conséquences de la hausse des prix de l’énergie. Celle-ci pèse de plus en plus sur le pouvoir d’achat des familles, et particulièrement des plus modestes. Un chiffre le démontre : les dépenses liées au gaz, à l’électricité et au carburant ont augmenté en 2005 de 200 euros en moyenne par ménage. Nos concitoyens n’en peuvent plus ! Sur quelque banc que nous siégions – c'est-à-dire aussi sur ceux de la majorité, dont vous avez mis en cause tout à l’heure le courage –, ils nous interpellent dans nos permanences.

L’augmentation du prix de l’énergie n’est pas propre à la France, mais votre politique aggrave la situation, comme le montre, d’une part, votre refus de rétablir la TIPP flottante et, d’autre part, votre volonté de privatiser Gaz de France par une fusion avec Suez, alors que des démarches identiques en Europe ont entraîné des augmentations de tarifs excessives pour les usagers.

Face à ces hausses de prix, le groupe socialiste a réaffirmé sa volonté de voir l’État rester le premier acteur de la politique énergétique en France et a déposé une proposition de loi visant à soutenir le pouvoir d’achat des Français tout en agissant pour l’environnement.

Aujourd'hui, je vous demande, après M. Habib et M. Emmanuelli, d’entendre l’inquiétude des Français et des chefs d’entreprise. Allez-vous enfin accepter de renoncer à la privatisation de GDF et retirer ce texte si contesté par une majorité d’entre nous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. Jean-Pierre Brard. Il y a de l’eau dans le gaz à l’UMP !

M. le président. Monsieur Brard, on ne vous a pas demandé d’allumer des incendies ! (Sourires.)

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Nous traversons en effet une crise énergétique mondiale, monsieur Rouquet. La hausse considérable des prix du pétrole depuis quelques années s’est bien entendu répercutée sur le prix de l’essence, sur celui du fioul et sur celui du gaz.

M. Jean-Claude Lefort. Mais pas sur le prix de l’électricité produite par le nucléaire !

M. Jacques Desallangre. Avant, EDF produisait le kilowattheure le moins cher du monde !

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous avons évidemment à cœur, non seulement de préserver, mais d’accroître le pouvoir d’achat de nos concitoyens et la compétitivité de nos entreprises. Aussi nous battons-nous sur tous les fronts.

Concernant le pétrole, nous avons agi pour développer les investissements afin de réduire la tension entre l’offre et la demande. Bien que ces mesures soient très importantes et spectaculaires – 4 milliards d’investissements dans nos raffineries, par exemple –, leurs effets sont structurels et mettront un certain temps à se faire sentir.

Concernant le gaz, l’État dispose de moyens d’intervention importants. À preuve, lorsque Gaz de France nous a demandé au début de l’année une augmentation de 8 %, nous avons décidé qu’une hausse de 5,75 % était juste et suffisante. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Desallangre. Cela représente tout de même quatre fois la hausse du coût de la vie !

M. le ministre délégué à l’industrie. Au regard de l’augmentation du prix d’achat du gaz, c’est un effort vraiment très important que nous avons demandé à Gaz de France.

Enfin, M. le Premier ministre vient d’expliquer que le contrat de service public d’EDF interdit toute augmentation du prix de l’électricité supérieure à l’inflation et prévoit que les demandes d’augmentation sont soumises à l’accord du Gouvernement. Ainsi, nous n’avons permis aucune augmentation depuis le début de l’année. Cette condition de maintien des tarifs figurera dans le projet de loi que vous allez examiner et sera donc valable au-delà du 1er juillet 2007, date de l’ouverture des marchés fixée par la directive européenne. Ces avancées ont été permises grâce au travail mené par le Conseil supérieur de l’électricité et du gaz, qui réunit tous les partenaires concernés.

S’agissant des entreprises « électro-intensives », nous avons pris des mesures permettant à un millier de sites industriels de bénéficier de tarifs de « très gros » s’ils prennent une participation dans un consortium dont la vocation est d’acheter de l’électricité nucléaire à EDF sur une période de vingt ans. Ce dispositif nous permet d’aller plus vite que les Finlandais : ils ont choisi de construire une centrale nucléaire pour les industriels, mais ceux-ci n’en ressentiront les premiers bénéfices que dans sept ans ; avec notre solution, nous obtenons des résultats dès cette année.

Au total, notre plan d’action a été amélioré dans tous les secteurs de l’énergie. Il est à l’œuvre pour préserver la compétitivité de nos entreprises et le pouvoir d’achat de nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

budget pour 2007

M. le président. La parole est à M. André Schneider, pour le groupe UMP.

M. André Schneider. Monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, depuis quatre ans maintenant, le Gouvernement poursuit un politique de maîtrise des dépenses connue sous le nom de « zéro volume » : les dépenses de l’État n’augmentent pas plus que l'inflation. Le rapport Pébereau a souligné l'urgente nécessité de résorber la dette publique afin de ne pas faire peser sur les générations futures un poids financier excessif.

Dans cet esprit, les orientations budgétaires présentées hier au Parlement marquent votre volonté d'emprunter résolument le chemin du retour progressif à l'équilibre. Pour la première fois depuis de nombreuses années, les dépenses baissent en volume. Elles progresseront donc beaucoup moins que l'inflation. C'est une décision historique dans un pays qui s'était habitué à dépenser toujours plus. Vous avez ainsi tenu vos engagements pris en janvier dernier lors de la première conférence nationale des finances publiques.

En outre, le nouveau cadre budgétaire que constitue la LOLF place désormais la performance au cœur du pilotage des politiques publiques.

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous revenir sur les axes majeurs d'un projet de budget pour 2007 placé sous le signe d'un meilleur service au citoyen pour le meilleur coût ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. « Allô ? » sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Le budget pour 2007, monsieur le député, sera conforme à la « feuille de route » que nous avons reçue du Premier ministre. Nous y travaillons dans des conditions nouvelles : nous avons une nouvelle Constitution budgétaire, la LOLF, qui met l’accent sur les résultats et non sur les moyens ; d’autre part, les ministères du budget et de la réforme de l’État ont été regroupés, dans le but d’obtenir des gains de productivité et de moderniser l’administration partout où cela est possible, notamment en utilisant les nouvelles technologies. Tout cela permet d’élaborer, pour la première fois, un budget dans lequel on va faire baisser la dépense publique et le nombre de fonctionnaires tout en faisant en sorte, je vous le garantis, que le service public continue de se moderniser et de s’améliorer au service des Français. La totalité des priorités publiques qui ont été définies et sur lesquelles les Français attendent des résultats seront financées.

Comment y sommes nous parvenus ? Il n’y a pas de gagnants ou de perdants, je vous l’affirme ! Tous les ministères ont fait un effort significatif, notamment grâce au recours à l’audit.

Par ailleurs, ce budget nous permet de prendre date avec la gauche : sur ces sujets, le parti socialiste a fait toute une série de propositions ambiance 1936-1981 – renationalisations, généralisation des 35 heures, abrogation de la réforme des retraites… Coût total : entre 50 et 100 milliards, si j’ai bien compris. Ne reste qu’une question : va-t-il les financer avec plus de dettes ou avec des augmentations d’impôt ? Rendez-vous tout au long de l’année ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

primes d'aménagement du territoire

M. le président. La parole est à M. Jean Proriol, pour le groupe UMP.

M. Jean Proriol. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

La Commission européenne a donné le 21 décembre dernier ses directives sur les aides économiques aux entreprises que les États et les collectivités territoriales pourront accorder pendant la période 2007-2013. Le Gouvernement, qui a obtenu le maintien d’un dispositif en faveur de la France, a transmis les cartes des territoires retenus dans chacune des régions, sachant que Bruxelles a diminué les zonages des deux tiers par rapport à la période 2005-2006. Les préfets de région vous ont fait des propositions, monsieur le ministre, se transformant pour l’occasion en géographes-cartographes, remettant cent fois sur le métier leur ouvrage. Il apparaît ainsi que l’Auvergne se trouve ramenée à 17 % de sa population zonée.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est scandaleux !

M. Jean Proriol. Cette situation a suscité beaucoup de débats, au cours desquels on a vu apparaître des cartes protéiformes, organisées tantôt selon des logiques axiales, tantôt selon des logiques spatiales. Des zones jadis bénéficiaires et dorénavant exclues se sentent fragilisées, même si l’on admet pour quelques territoires un zonage transitoire de deux ans.

Comment compenser cette perte pour les zones non bénéficiaires des meilleures aides à l'emploi lorsqu'elles auront un ou des projets ? On parle de l'existence d’une « réserve ». On parle aussi de porter les aides de minimis à 150 000 euros…

Par ailleurs, c’est Bruxelles qui aura le dernier mot et qui validera ou non vos propositions.

M. Jacques Myard. Scandaleux !

M. Jean Proriol. Mais l’Europe se soucie-t-elle de la solidarité entre les territoires ruraux et les zones très attractives ? Décidément, les zonages PAT, en plein rétrécissement, ne sont-ils pas une espèce en voie de disparition ?

M. le président. La parole est M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur le député, la prime d’aménagement du territoire est attribuée à des entreprises qui ont un projet de développement ou d’implantation sur des territoires en difficulté. Entre 2000 et 2006, elle aura permis à l’État et aux collectivités locales d’engager 640 millions d’euros qui, par effet de levier, auront aidé 1 300 projets d’entreprise, pérennisé 11 000 emplois et généré près de 25 milliards d’euros d’investissements dans les territoires.

Il y a un an, avec les dix nouveaux pays entrants, la Commission européenne avait décidé que la France, comme d’autres pays de l’Union, ne bénéficierait plus de la prime d’aménagement du territoire pour la période 2007-2013. C’était pour nous inacceptable et, un an après, c’est un immense succès pour le gouvernement de Dominique de Villepin que de l’avoir fait revenir sur cette décision. Avec Nicolas Sarkozy, nous avons engagé un rapport de force avec la Commission et nous avons gagné. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) Nous avons obtenu de conserver 9,3 millions d’habitants en territoire difficile dans le dispositif, de manière permanente. Nous avons aussi obtenu une phase transitoire jusqu’en 2008 pour 4,3 millions habitants de plus. Enfin, nous avons obtenu de la souplesse par rapport au dispositif précédent : alors l’on exigeait une action dans de grands bassins d’emploi, de l’ordre de 400 000 à 500 000 habitants, le ciblage beaucoup plus fin qui a été retenu – 20 0000 à 30 000 habitants – nous permet d’aider beaucoup de territoires fragilisés ou rencontrant des difficultés économiques.

Enfin, votre question montre que nous risquons d’être confrontés à un certain nombre de situations de crise. Nous avons donc conservé, pour les sept années à venir, une réserve démographique de 430 000 habitants, que nous utiliserons chaque fois qu’une difficulté se présentera.

Telle est, monsieur le député, notre politique d’équité entre les territoires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

achèvement de la mission temporaire
confiée à une députée

M. le président. M. le Premier ministre m’a informé de l’achèvement de la mission temporaire confiée à Mme Hélène Tanguy.

Politique énergétique de la France

Déclaration du Gouvernement
et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la politique énergétique de la France et le débat sur cette déclaration.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. Sur quel article le fondez-vous ?

M. Daniel Paul. L’article 52 !

M. le président. Vous avez la parole.

M. Daniel Paul. Notre collègue Édouard Balladur, ancien Premier ministre, a posé au Gouvernement une question importante sur la décision du groupe Alcatel, privatisé, de revenir sur la représentation des salariés au sein du conseil d’administration. Dans sa réponse, M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a traité de la représentation des salariés actionnaires, se gardant bien d’évoquer le cas des salariés…

M. le président. Monsieur Paul, ce n’est pas un rappel au règlement. D’une part, il fallait invoquer l’article 58. D’autre part, les rappels au règlement ne concernent pas la teneur des réponses des ministres. Si, à chaque fois qu’un ministre ne répondait pas de manière satisfaisante à une question posée, cela devait susciter un rappel au règlement, nous serions partis pour la gloire !

M. Daniel Paul. Dans la mesure où le débat que nous allons entamer porte sur le même sujet, je voulais faire cette remarque préalable, car cela augure mal de la suite !

M. le président. Si vous voulez des précisions du ministre, vous les lui demanderez au cours du débat. Veillez à respecter le règlement de l’Assemblée nationale, surtout si vous vous y référez.

La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, comme le Premier ministre s'y est engagé, nous voici aujourd'hui réunis pour débattre de l'un des enjeux essentiels pour la France et l'Europe : notre politique de l'énergie.

Face à la forte croissance de nos besoins en énergie, et surtout de ceux des pays émergents, en particulier ceux d'Asie, comme l’Inde, le caractère limité de nos ressources nous apparaît avec force : la fin de l'ère du tout-pétrole est une réalité, les approvisionnements en gaz naturel deviennent un enjeu géostratégique et une politique ambitieuse d'investissements dans des installations de production électrique est désormais nécessaire pour accompagner l'augmentation de la consommation. Certains avancent le chiffre de 700 milliards d’euros d’investissement d’ici à 2030 pour satisfaire ces besoins. Tel est, mesdames, messieurs les députés, le monde d’aujourd’hui.

Notre débat, même s’il intervient à la veille de l’été – on n’y peut rien –,…

M. François Brottes. Allons donc !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …est décisif pour poser les questions de stratégie auxquelles nous devons répondre. Chacun décidera en son âme et conscience, mais tous nous devrons – avec humilité car personne en la matière n’a la science infuse – assumer nos responsabilités collectives, en particulier, je le dis d’emblée, en ce qui concerne l’avenir de Gaz de France.

En effet, mesdames, messieurs les députés, je suis venu vous parler de l’avenir de Gaz de France,…

Mme Catherine Génisson. Ah !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. … qui, en tant que ministre de l’économie, me préoccupe au premier chef, l’État en étant le principal actionnaire. Cette entreprise, forte de son histoire, de ses savoirs, de ses compétences, n’intervient pourtant pratiquement que sur le territoire national, et apparaît désormais comme un acteur de taille moyenne, voire petite, au niveau mondial. Il faut lui donner les moyens de nouer des partenariats et des alliances : c’est l’intime conviction que je me suis forgée après que le Premier ministre m’eut demandé d’instruire ce dossier dans la plus large concertation. Les temps ont changé et nous ne pouvons pas prendre le risque de laisser Gaz de France sur le bord de la route. Il est indispensable de lui permettre de nouer des alliances stratégiques pour faire face aux défis de demain.

M. François Brottes. C’est l’histoire du pompier pyromane !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. La France, dans les cinquante dernières années, n'a raté aucun des grands rendez-vous dans le domaine de l'énergie, même les plus difficiles politiquement. Qu'il s'agisse de l'hydraulique ou du nucléaire, pour n'en citer que deux, les dirigeants d'hier ont su apprécier à leur vraie mesure les défis d'alors. Malgré l'immense effort de pédagogie et de conviction qu’elles impliquaient, ils ont su prendre les décisions les plus courageuses et les plus visionnaires. Grâce à eux, la France dispose aujourd'hui de substantiels atouts dont chacun se félicite au quotidien.

Nous sommes aujourd'hui face à des questions aussi décisives, car la crise de l'énergie fait du statu quo moins que jamais une option. En fonction des décisions qui seront prises à l'issue de nos discussions, nous nous serons donné, ou non, la possibilité de prendre en main l'avenir de Gaz de France, de peser davantage sur les rapports de force industriels et commerciaux en Europe et dans le monde et de mieux maîtriser notre futur.

Chacun devra faire la part de ce qui est réellement décisif et stratégique pour notre pays, pour l'entreprise GDF, ses salariés et ses consommateurs, et de ce qui l'est moins. Chacun devra juger sur pièces la réalité des défis et des menaces du monde qui est le nôtre, la qualité des réponses que les entreprises proposent d'y apporter et le sérieux des garanties dont le Gouvernement a décidé d'entourer ce projet. Vous êtes, je le sais, pleinement conscients de ces enjeux et convaincus de l'importance des échanges que nous aurons, tant est grand le poids de notre responsabilité sur ce dossier.

Les évolutions géostratégiques et économiques dans le domaine de l'énergie se sont accélérées. Depuis 2000, et plus encore depuis 2004, le secteur de l'énergie a profondément changé. Le monde a pris conscience de la réalité de l'épuisement désormais prévisible des ressources fossiles. Simultanément, la demande a explosé avec le dynamisme des nouvelles économies asiatiques, alors même que l'instabilité politique des zones de production ne cessait de croître. La quasi-disparition durable des surcapacités de production en matière d'hydrocarbures a conduit à une forte hausse des prix du pétrole – problème que nous surveillons quotidiennement avec François Loos –, portant le baril de 28 dollars en 2004 à 70, voire 73 dollars aujourd’hui, mais également au renforcement des enjeux liés à la sécurité d'approvisionnement en gaz de l'Europe, et au mouvement considérable de consolidation des acteurs européens de l'énergie. Le caractère stratégique de la ressource gazière en fait, comme il en est déjà du pétrole, de manière de plus en plus visible, une arme assumée sans état d'âme dans les rapports de force internationaux. À cet endurcissement du rapport de force économique dans le secteur de l'énergie, répond une puissante vague de consolidation et de concentration dans les pays consommateurs.

Dans les vingt-cinq ans qui viennent, la population de la planète augmentera de 50 %, les besoins en énergie croîtront jusqu’à devenir un enjeu majeur. Pour peser, il faudra avoir la taille nécessaire et pouvoir nouer les alliances utiles. Je vous demande de considérer que les marchés de l’énergie sont en train d’évoluer vers ce que certains observateurs appellent une bulle, qui verra les concentrations s’accélérer dans le domaine de l’énergie, comme cela s’était produit à la fin des années quatre-vingt-dix dans le domaine des technologies de l’information.

C'est aujourd'hui que se constituent les acteurs majeurs de l'énergie de demain. Cette évolution est beaucoup plus rapide que ce qui pouvait être envisagé il y a encore quelques mois. Si nous voulons conforter notre indépendance énergétique, nous ne devons pas attendre pour prendre les décisions importantes. En effet, la politique énergétique n'a tout son sens que si elle peut s'appuyer sur des entreprises puissantes, auxquelles leur taille permet de faire face aux enjeux de ce nouveau monde. C'est le cas d’EDF, mais la question est plus délicate pour Gaz de France et pour d’autres grands acteurs de l’énergie, comme Suez.

Tous les énergéticiens européens cherchent à disposer d'une taille critique qui leur permette d’investir, de renforcer leur pouvoir de négociation avec les producteurs, en particulier la Russie ou l’Algérie, de présenter une offre duale en gaz et électricité et de satisfaire la demande de leurs clients. Les acteurs de l'énergie sont donc engagés dans une course à la taille, qui est un élément déterminant pour s'assurer l'indispensable capacité d'investissement en amont, mais aussi la capacité d'approvisionnement ou de production.

Les montants en jeu sur chaque investissement ou chaque contrat d'approvisionnement à long terme sont considérables. Ils se chiffrent en milliards d'euros et laissent peu ou pas de place pour les acteurs de second rang. Il faut disposer à la fois d'une capacité financière de premier rang et d'une capacité de distribution très forte. Cette course se déroule aujourd'hui sous nos yeux. Personne ne peut dire comment elle se terminera. Elle peut prendre, je le redis – et j’en suis, en ce qui me concerne, persuadé – la caractéristique d'une bulle. Elle peut aussi se dérouler sur le long terme. Mais une chose est certaine : on ne reviendra pas en arrière. La dimension de ces enjeux est désormais planétaire.

C’est pourquoi nous menons de longue date, avec François Loos, une politique ambitieuse et volontaire, dont je souhaite rappeler les grandes lignes.

D’abord, pour répondre aux défis des prix du pétrole, nous avons engagé un dialogue constructif avec les principaux pays producteurs, afin de favoriser les investissements dans les installations de production et de raffinage et d'améliorer la transparence des marchés pour lutter contre les phénomènes spéculatifs.

Je mène ce combat au nom du Gouvernement dans l’ensemble des enceintes où j’ai l’honneur de représenter notre pays (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …à l’ECOFIN, à l’Eurogroupe, au G8. Celui-ci s’est tenu, la semaine dernière, à Saint-Pétersbourg.

Oui, la France est considérée aujourd’hui comme l’un des pays qui appréhendent le mieux et avec le plus de courage cette problématique.

Pour favoriser les investissements dans les outils de production d'électricité, nous réalisons une démarche prospective à moyen terme, la programmation pluriannuelle des investissements, dont nous venons de vous transmettre le dernier rapport pour 2005-2015. Elle permet à toutes les parties prenantes de disposer d'une information fiable sur l'évolution des besoins et des ressources en électricité, suscitant ainsi les investissements nécessaires. Il faut disposer d’une certaine visibilité pour mobiliser de telles ressources en amont.

Par ailleurs, l'augmentation de capital d'EDF, rendue possible par son introduction en Bourse, lui a donné les moyens de réaliser l’un des plus importants programmes d’investissement qu’elle ait jamais menés : 40 milliards d’euros d'ici à cinq ans, à la fois dans la production et dans les réseaux.

Répondre aux enjeux des hydrocarbures chers, c'est aussi trouver des sources d'énergie alternatives et limiter la croissance de nos besoins. En matière de transport, l'action du Gouvernement en faveur des biocarburants est également d'une ampleur sans précédent.

Un plan biocarburants très ambitieux a été engagé par le Gouvernement afin de porter nos objectifs d'incorporation à 7 % en valeur énergétique en 2010 et 10 % en 2015, soit au-delà, vous l’aurez noté, des obligations communautaires. Deux appels d'offre ont ainsi été lancés sur 2005 et 2006 afin d'agréer les quantités nécessaires et de permettre les investissements : ce ne sont pas moins de seize nouvelles usines qui seront construites, ce qui représente un investissement de 2 milliards d’euros.

Au-delà de ces mesures et pour préparer ce qui sera, je pense, une des évolutions majeures de nos modes de consommation de l'après pétrole, j'ai mis en place un groupe de travail associant les industries des secteurs pétrolier, automobile et agricole ainsi que les consommateurs afin de développer d’ici à 2010 le « flex fuel », c’est-à-dire la capacité d’avoir des moteurs qui puissent être alimentés à la fois à l’essence traditionnelle et aux biocarburants, et, en particulier, au bioéthanol.

En matière d'électricité et de chaleur, le soutien aux énergies renouvelables n'a jamais été aussi fort. Dès à présent la France occupe la place de premier producteur européen d'énergie renouvelable, devant la Suède et l'Allemagne. Nous nous sommes pourtant fixé des objectifs encore plus ambitieux d'ici à 2010 : plus 50 % pour la chaleur renouvelable, 21 % de l'électricité d'origine renouvelable – contre 14 % en 2004. Pour les atteindre nous avons mis en place – cela a fait l’objet de nombreux échanges entre nous – des tarifs de rachat garantis pour l'électricité renouvelable, des crédits d'impôt ainsi que des subventions.

L'action des gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin dans le domaine énergétique a donc été – et continue d'être – exemplaire face aux défis auxquels nous sommes confrontés.

Elle s'est concrétisée par deux lois essentielles déjà adoptées par votre assemblée.

Avec la loi du 9 août 2004, nous avons permis à EDF et à Gaz de France d'être en mesure de saisir les opportunités stratégiques liées – c’était ce qui était déjà très précisément indiqué – à l'évolution des marchés de l'Europe de l'énergie et, ainsi, de se préparer à la transposition de la directive au plus tard en juillet 2007. Certes, nous aurions pu la transposer alors.

M. Hervé Novelli. Tout à fait !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le Parlement en a décidé autrement. Je respecte son choix.

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il a décidé de se donner un peu de temps.

Le rendez-vous est arrivé. Il faut, mesdames et messieurs les députés, l’assumer. Je me permets de vous mettre en garde contre le fait qu’une non-transposition de cette directive conduirait à une application directe de celle-ci, sans possibilité de l’adapter à nos spécificités politiques.

M. Hervé Novelli. Cela fait rire nos collègues socialistes !

M. François Brottes. Il fallait transposer en 2004 !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Cette loi a permis de doter EDF et Gaz de France des capitaux nécessaires à leur développement, avec les ouvertures de capital de 2005. Ces évolutions se sont accompagnées d'engagements très clairs sur les investissements nécessaires au développement de ces entreprises et à la sécurité d'approvisionnement national. Les contrats de service public signés la même année par l'État avec ces deux entreprises ont permis de conforter leurs missions en matière de sécurité, de qualité de service rendu aux usagers et de présence territoriale, ainsi que de modération tarifaire.

La loi du 13 juillet 2005 a établi la feuille de route de notre politique énergétique, centrée sur la maîtrise de l'énergie et sur le développement de capacités de production d'énergies nouvelles, mais aussi nucléaire, avec la décision de construire en France une nouvelle centrale nucléaire de troisième génération, l'EPR. Nous reprenons ainsi le flambeau de nos prédécesseurs, qui, dans les années soixante-dix, ont su faire les choix stratégiques judicieux et doter notre pays d'un outil de production électrique unique au monde.

Enfin, la loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire, en cours de promulgation, ainsi que le projet de loi sur les déchets radioactifs, qui sera débattu en deuxième lecture cette semaine, permettront de renforcer le cadre réglementaire applicable à ce secteur.

Nous conduisons donc une action volontariste à grande échelle, qui ne laisse de côté aucun des grands leviers de la politique énergétique. Dans ce contexte, la responsabilité de chaque entreprise est de proposer les évolutions qui lui permettront de renforcer sa position dans l'intérêt de ses clients, de ses salariés et de ses actionnaires.

Il est de la responsabilité de Gaz de France comme de Suez ou de tout autre groupe énergétique de choisir et de proposer leurs stratégies et leurs meilleurs projets. Il est de la responsabilité de l’État de veiller à la défense de ces intérêts.

Cette analyse stratégique sur la situation de Gaz de France, l'entreprise l'a effectuée, et François Loos et moi-même ainsi que l’ensemble de nos services l'avons examinée au cours de la longue concertation que nous avons menée.

Elle conduit à un constat simple, que je me dois de partager avec vous : face au mouvement de consolidation des acteurs de l'énergie en Europe, Gaz de France n'est qu'un acteur de taille moyenne – et cela n’est pas péjoratif, c’est une réalité ! –…

M. Hervé Novelli. C’est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir. Il a raison !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …par rapport aux géants comme EDF, EON et Enel.

J’ai lu que certains voudraient marier Gaz de France avec EDF.

M. Jean Gaubert. Remarier !

M. Daniel Paul. Ce serait une bonne solution !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Figurez-vous que, peu de temps après avoir pris mes fonctions, je me suis posé la même question.

M. Daniel Paul. Vous auriez dû poursuivre !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. J’ai donc demandé à mes services de l’instruire. La réponse a été simple – et rejoint le verdict qui est tombé au Portugal il y a quelques jours – : c’est tout simplement impossible pour des problèmes de concentration.

M. Pierre Ducout. C’est faux !

M. David Habib. Et en Allemagne, monsieur le ministre ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je tiens à votre disposition l’analyse juridique de mes services, qui est confortée par ce qui vient de se passer au Portugal (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce n’est que chimère.

Voilà la réalité. Voilà le monde dans lequel nous vivons.

Certes, Gaz de France dispose de 7 millions de clients particuliers et de 11 millions de clients au total.

Certes, Gaz de France a, avec ses 30 000 salariés, une capacité humaine et des savoir-faire unanimement reconnus.

Certes, Gaz de France dispose de contrats d'approvisionnement à long terme, qui ont été négociés avant la hausse récente du prix du pétrole et lui assurent à ce stade – et uniquement à ce stade – une sécurité d'approvisionnement.

Certes, Gaz de France dispose d'un réseau de transport, d'un savoir-faire reconnu auprès des collectivités locales françaises et d'une image forte auprès des Français.

Certes, Gaz de France c’est tout cela.

Mais Gaz de France n'est qu’un acteur de taille moyenne. Ce n’est pas un acteur décisif dans le gaz. Il ne représente que 14 % des ventes de gaz en Europe. Dans un marché ouvert à l'échelle de l'Europe, il ne sera qu'un acteur de petite taille.

M. Hervé Novelli. Résiduel !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Gaz de France n'est que le distributeur d'un gaz qu'il achète. Son activité de production est très faible, quasiment inexistante. Dans un contexte où le rapport de forces est favorable aux producteurs, l’entreprise sera soumise, comme les autres distributeurs, à une forte pression lors de la renégociation de ses contrats.

Gaz de France n'est pratiquement pas présent dans l'électricité. Or, dans un marché de l'énergie qui se consolide, il est indispensable de pouvoir offrir le choix à ses clients entre plusieurs sources.

Face à ce constat, on ne peut que tirer la conclusion que Gaz de France doit pouvoir s'adapter et trouver les meilleures alliances pour l'entreprise, pour ses clients et pour ses salariés. Ces alliances ne seront possibles que si l’entreprise dispose d'une liberté suffisante sur son capital.

Ce constat, Gaz de France l'a partagé à l'automne dernier avec le groupe Suez, qui parvenait aux mêmes conclusions pour sa propre situation.

Conscients de ces défis stratégiques, Gaz de France et Suez ont amorcé, dès l’automne 2005, des discussions en vue d'une coopération industrielle, qui ont déjà débouché sur un premier accord portant sur la production électrique dans le Sud de la France.

Mais il est rapidement apparu qu'un rapprochement plus étroit avec Suez permettrait à Gaz de France de compenser ses faiblesses stratégiques, tout en conservant la maîtrise de son développement au travers d'un mariage entre égaux. Du point de vue de Gaz de France, l'alliance avec Suez est la meilleure perspective stratégique, comme cela a été relevé par la totalité des analystes du secteur, avec une complémentarité géographique et technique parfaite et sans destruction d'emplois, les synergies étant supérieures à celles que procurerait une alliance avec un opérateur britannique ou espagnol, avec lesquels l'intégration des équipes aurait, par ailleurs, été sans doute plus difficile.

En devenant le premier fournisseur de gaz en Europe, le nouveau groupe serait incontournable pour les producteurs, ce qui lui offrirait les meilleures perspectives pour acheter du gaz dans les conditions les plus compétitives et ainsi mieux servir ses clients. Il serait également en mesure de mener une politique d'investissement dans l'amont gazier encore plus volontaire. Ce point deviendra essentiel, mesdames, messieurs les députés, dans les prochaines années. Il en aura les moyens financiers. Il faut avoir le bilan pour pouvoir se lancer dans de tels investissements. Il aurait également une capacité équilibrée en électricité et en gaz, ce qui est un atout considérable pour ses clients.

Suez et Gaz de France se connaissent bien, ont des cultures d'entreprise proches et partagent déjà un grand nombre de valeurs, notamment celles du service public fondées sur une activité reposant largement sur des délégations de service public. À ce titre, toutes les missions de service public de Gaz de France dans l'énergie et de Suez dans l'eau seraient naturellement – je le dis avec force, car c’est incontournable – maintenues et tous les engagements pris dans ce cadre seront évidemment tenus.

Étant donné les complémentarités exceptionnelles que présentent ces deux entreprises, elles ont rapidement été convaincues que leur fusion était pour chacune d’entre elles le meilleur projet stratégique.

Compte tenu de ces éléments, vous l'avez compris, la démarche du Gouvernement a été dictée par le seul esprit de responsabilité. Notre objectif est simple : préparer le meilleur avenir industriel possible pour Gaz de France, pour qu'il continue à contribuer à notre sécurité énergétique.

Nous avons dressé un premier constat : il est vital – je dis bien vital – pour Gaz de France de disposer de flexibilité sur son capital pour pouvoir choisir le type d’alliance qu’il pourra conclure – et non pas être limité à 70 % –,…

M. Hervé Novelli. Évidemment !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …et être maître de son destin.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Bien sûr !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Quel type d’alliance ? J’entends ici ou là formuler des idées. Pourquoi pas ? Encore faut-il pouvoir les réaliser !

Si vous ne souhaitez pas vous prononcer sur le projet de Suez et de Gaz de France – ce qui, du reste, n’est pas demandé au Parlement –, il est de votre responsabilité de déterminer si, oui ou non, l’évolution du capital de Gaz de France lui permettra de relever les défis de l’avenir ? Il appartiendra ensuite à l’entreprise et à son conseil d’administration, dans lequel l’État est majoritaire, de définir la meilleure stratégie.

Souvenez-vous de ce qui s’est passé en 2000, où, dans des secteurs stratégiques, des entreprises, parce qu’elles ont été bloquées, ont dû s’endetter pour des montants tels que l’on sait où cela nous a menés !

La stratégie des entreprises leur appartient. L’État n’est là que pour la contrôler et aider à la mettre en œuvre. Encore faut-il qu’il ait la possibilité de le faire.

M. François Brottes. Bref, vous nous demandez un chèque en blanc !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est la question qui vous sera posée aujourd’hui et à laquelle il vous appartiendra de répondre.

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous avons dressé un deuxième constat : cette question se pose dès aujourd'hui. La différer, c'est prendre le risque que Gaz de France – je le dis en toute sincérité et avec une certaine solennité – soit isolé pour l’avenir. C’est la préoccupation première du ministre de l’industrie. Je vous demande, mesdames, messieurs les députés, de considérer ce point : Gaz de France ne pourra pas continuer longtemps comme cela, sans partenaire long terme, sans accroître sa capacité d’investissement en amont.

M. Hervé Novelli. Eh oui !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Enfin, un projet industriel de rapprochement avec Suez nous a été proposé par Gaz de France, avec le soutien de Suez. Ce projet a été reconnu par tous les experts du secteur comme sans doute le plus porteur pour l'entreprise. Après l'avoir expertisé, je l’ai dit tout à l’heure, pendant trois mois, je suis convaincu, comme François Loos, ministre délégué à l’industrie, que c'est le meilleur projet industriel envisageable pour l'entreprise et le plus complémentaire.

Pour agir en toute responsabilité, le Gouvernement devait réunir tous les éléments d'appréciation. C'est pourquoi nous avons engagé une démarche en trois temps.

Le premier temps a été celui, est encore celui de la concertation, puisque nous y sommes encore.

D'un point de vue social d’abord, après plus de trente réunions avec les organisations syndicales, des réponses écrites ont été apportées aux soixante et onze questions des syndicats, qui étaient toutes pertinentes, toutes légitimes. Le tout s’est déroulé, mesdames, messieurs les députés, dans un contexte républicain, dans un contexte de sérieux, que je tiens à souligner aujourd’hui devant la représentation nationale.

Les organisations syndicales, que ce soient celles de Suez, qui soutiennent à l’unanimité ce projet, ou celles de Gaz de France, ont été des partenaires sérieux, responsables dans cette concertation. Je tenais à vous en faire part.

La concertation a été également juridique. Nous avons saisi le Conseil d’État, pour examiner les conséquences du projet de fusion sur les missions de Gaz de France. Le Conseil d'État a confirmé que la privatisation de Gaz de France était possible sans impact sur le périmètre et les activités actuelles de l'entreprise.

M. Jean Gaubert. Comment ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. D'un point de vue sectoriel, le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz a été saisi d'une concertation sur l'adaptation nécessaire des marchés de l'énergie en France à nos engagements européens.

M. François Brottes. Comment le savez-vous ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Au terme d'un travail d'un grand sérieux – et je tiens à en remercier M. Jean-Claude Lenoir (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) –, il a pu orienter nos travaux, afin de préserver les intérêts des consommateurs. J'y reviendrai tout à l'heure.

Enfin, la concertation devait avoir lieu avec vous, mesdames et messieurs les députés, et demain avec les sénateurs. Nous avons voulu ce débat, qui se situe dans le temps de la concertation, pour permettre à chacun d’apprécier l'ensemble des enjeux, hors esprit polémique, hors idéologie, et de se prononcer sur ce projet, en son âme et conscience, dans l’intérêt de la France.

Nous passerons ensuite au deuxième temps : celui du débat législatif si vous partagez l'opinion du Gouvernement sur la nécessité de donner à Gaz de France la souplesse nécessaire à la réalisation de ses projets et alliances industrielles, pour faire face aux nouveaux défis de l'énergie, tout en sécurisant les aspects stratégiques pour la nation et les consommateurs. Le Gouvernement a engagé la préparation d'un projet de loi qui est en cours d'examen au Conseil d'État. Je souhaite que notre débat, aujourd'hui, nous permette d'avancer dans la définition du contenu définitif de ce texte, grâce à l’ensemble de vos remarques et commentaires.

Beaucoup d’interrogations émanaient des élus, des partenaires sociaux et de l'ensemble des acteurs. J’en citerai quelques-unes pour mémoire.

Quel est le niveau adéquat de contrôle du capital Gaz de France par l'État ? II faut trouver un équilibre entre la flexibilité nécessaire à Gaz de France pour nouer des alliances et le contrôle d'une part suffisante du capital de l'entreprise par l'État. Je vous apporterai une réponse précise. Comprenons-nous bien : il ne s'agit en aucun cas de vendre des actions ou de demander l’autorisation de vendre des actions de Gaz de France en deçà du seuil des 70 %. Le seul objectif, quelles que soient les évolutions ultérieures et les partenariats qui pourront être noués avec une ou plusieurs entreprises, est de définir le cadre juridique. Il ne suffit pas de s’interroger, il faut se poser, ensemble, les bonnes questions.

Il faut définir le seuil nécessaire pour que l’État puisse exercer aisément son contrôle sur l’entreprise. Dans ce contexte, nous vous proposerons un projet de loi. Il est clair que l’État ne pourra diminuer sa participation que dans le cadre de partenariats ou d’alliances stratégiques. C’était d’ailleurs la solution le plus souvent retenue par le parti socialiste, lors de la privatisation d’entreprises. J’en suis le vivant exemple.

M. Pierre Ducout. Ce n’était pas du tout la même chose ! Il s’agissait de partenariats industriels solides.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous avez eu raison, messieurs les députés, socialistes en particulier, de mettre en place cette jurisprudence. J’invite la représentation nationale à se l’approprier à nouveau dans ce cas précis. Je pense qu’il sera nécessaire de maintenir pour Gaz de France la minorité de blocage, afin que l’État puisse, dans son rôle d’actionnaire, s’opposer à tel ou tel projet stratégique qui ne serait pas dans l’intérêt de l’État actionnaire.

M. Pierre Ducout. Il ne s’agit pas de s’opposer, mais de proposer !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous proposons de donner cette souplesse, mais c’est encore un point en débat, uniquement dans le cadre de partenariats stratégiques, la minorité de blocage permettant de préserver les intérêts nationaux.

Deuxièmement, les pouvoirs d’actionnaires doivent être complétés, afin d’assurer le contrôle public sur le nouveau groupe, pour que les intérêts nationaux soient protégés, en particulier pour ce qui concerne la sécurité d’approvisionnement.

M. Jean Gaubert. La nationalisation de Suez !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est dans ce but que la mise en place d’une action spécifique pourrait être proposée, notamment sur les terminaux méthaniers ou sur les réserves stratégiques.

Elle permettrait à l'État de s'opposer à toute décision de l'entreprise qui remettrait en cause les intérêts nationaux, dans le respect de nos engagements européens. Le seuil de détention minimale d'un tiers du capital sera prévu dans la loi. Enfin, des commissaires du Gouvernement seront placés dans les filiales régulées du nouveau groupe.

Autre question légitime à l’issue de ces quatre mois de concertation : quelle sera la prochaine étape ? Le nouveau groupe sera-t-il « opéable » ? Avec plus d’un tiers du capital détenu par l’État, les évolutions industrielles ou capitalistiques futures du groupe supposeront nécessairement le soutien absolu de l'État.

Y a-t-il un impact sur les missions de service public et sur les tarifs ?

M. Pierre Ducout. Oui !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je veux le dire de la façon la plus claire : il n'y a aucun lien entre la détention du capital, l’origine de la détention du capital, qu’elle soit privée ou publique, et les tarifs ou la définition des missions de service public. Il n’y a aucun lien aujourd’hui. Il n’y aura aucun lien demain.

M. François Brottes. Alors, pourquoi bloquez-vous les tarifs de GDF ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je le répète : c’est la CRE – la Commission de régulation de l’énergie – qui propose au ministre les évolutions tarifaires. Le ministre signe, non en tant qu’actionnaire, mais en tant que ministre.

M. François Brottes. Ça aide !

M. Pierre Ducout. Le 1er juillet 2007, qu’allez-vous faire ? Vous ne serez plus là !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. J’ai pris cette décision, comme vous en d’autres temps. Lorsque vous avez décidé, entre 1999 et 2000, d’augmenter de 30 % les tarifs du gaz, l’État détenait 100 % du capital de Gaz de France. Je ne veux pas croire – d’ailleurs je ne le crois pas – que vous ayez augmenté les tarifs pour combler le déficit budgétaire. Vous y avez été contraint par la loi, qui prévoyait d’appliquer le transfert de l’augmentation des cours d’approvisionnement sur le consommateur. C’est la loi ; cela n’a rien à voir avec la détention du capital.

J'ajoute que tous les engagements envers les partenaires sociaux seront respectés et maintenus. C’est un sujet absolument essentiel, sur lequel nous avons passé beaucoup de temps dans la phase de concertation qui s’achève. Le statut du personnel des industries électriques et gazières sera maintenu. Je le dis clairement devant vous, mesdames et messieurs les députés.

M. Jean Gaubert. Pendant deux ans !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. L'existence d'un service commun entre EDF et Gaz de France pour la distribution sera réaffirmée dans la loi. Pour les salariés de Suez et de Gaz de France, c'est la chance de participer à l'essor d'un nouveau géant industriel, tout en conservant un statut auquel ils sont très attachés, et le Gouvernement aussi.

Autre question essentielle : comment assurer la protection du consommateur sur le marché de l'énergie ? La protection du consommateur est une préoccupation première du Gouvernement, mais vous m'accorderez sans doute le fait qu’elle se pose indépendamment – je le redis – du capital de Gaz de France. Nous devons faire des choix importants pour l'organisation du marché de l'électricité et du gaz en France.

Je veux tout d'abord faire le point précisément sur la fourniture de gaz et d'électricité aux particuliers. Nous devons éviter une situation de vide juridique au 1er juillet 2007 pour nos concitoyens vis-à-vis de leurs fournisseurs de gaz et d'électricité. Pour cela, des mesures législatives sont nécessaires pour transposer les directives européennes sur le marché de l'énergie, dans des conditions assurant la protection des consommateurs.

En effet, les directives européennes de 2003 prévoient l'ouverture complète à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz. Ces directives sont d'application directe sur certains points. Ainsi, même sans transposition législative, je le répète, les consommateurs pourraient se faire démarcher dès le 1er  juillet 2007 par des concurrents français ou étrangers d'EDF et de Gaz de France, en dehors de tout cadre.

M. Pierre Ducout. C’est vous qui l’avez accepté !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pire ! Tout notre édifice juridique définissant les tarifs réglementés risquerait de devenir obsolète dès le 2 juillet 2007 et pourrait être annulé en cas de contentieux.

M. François Brottes. Il fallait y penser plus tôt !

M. Jacques Myard. Qui gouverne en France ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Notre responsabilité collective est donc de proposer un cadre cohérent, afin de protéger les consommateurs.

La date du 1er juillet 2007 doit signifier pour eux des possibilités supplémentaires, non la fin des tarifs réglementés qui constituent une légitime protection.

Je rappelle que, en 2004, le Parlement a décidé de ne pas transposer la directive. Il a remis ce sujet à plus tard. Nous y sommes aujourd’hui. Pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas, on n’a pas voulu transposer plus tôt. Il faut se poser la question maintenant. N’attendons pas ! Il est de mon devoir de vous le rappeler.

Je suis ministre depuis quinze mois.

M. Pierre Ducout. Que faisait Sarkozy ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il ne faut pas tarder. Ne perdons pas de temps.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il convient de transposer la directive, tout en fixant des règles prémunissant les consommateurs contre toute dérive et en dotant l'existence de ces tarifs d'une base juridique adaptée.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il serait inenvisageable de traiter le projet Suez-Gaz de France sans répondre simultanément aux nombreuses questions des partenaires sociaux, des acteurs du secteur et de la représentation nationale sur l'évolution du secteur de l'énergie et en particulier sur les questions de coexistence entre prix et tarifs.

Comme je l'évoquais tout à l'heure, nous avons saisi le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, présidé par Jean-Claude Lenoir et auquel participent d'autres parlementaires, comme les députés de Gaulle et Nicolas et les sénateurs Revol et César.

Au terme d'un travail d'un grand sérieux, je le répète, au cours duquel toutes les parties prenantes ont pu s'exprimer – les syndicats, les entreprises, les consommateurs, les collectivités locales et, bien entendu, la Commission de régulation de l’énergie –, le CSEG nous a rendu un rapport qui a orienté nos travaux.

Malgré les points de vue naturellement divers qui s'expriment au sein du CSEG, plusieurs constats de consensus ont émergé.

D’abord, la France a su mettre en œuvre les directives européennes tout en conservant un modèle propre original et efficace. Cette plus-value doit être préservée.

Deuxièmement, le développement des investissements associé à une politique de maîtrise de l'énergie : ce sont là des fondamentaux indispensables.

Troisièmement, le maintien de l'existence de tarifs réglementés.

(M. Jean-Luc Warsmann remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous privilégierons donc une approche favorisant systématiquement ces recommandations et, à travers elles, la protection des consommateurs.

Le Gouvernement souhaite proposer à tous les consommateurs particuliers qui le souhaitent de pouvoir rester au tarif réglementé. Dans les propositions que nous pourrions vous faire dans un projet de loi, nous veillerions par exemple à ce que, lors de chaque déménagement, une personne puisse à nouveau avoir accès à ce tarif. Nous proposerions aussi la mise en place d'un tarif social pour le gaz, …

M. François Brottes. Il est temps de s’en préoccuper !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …similaire à celui existant pour l'électricité : les personnes en situation de précarité pourront avoir accès à une certaine quantité de gaz naturel dans des conditions préférentielles.

En second lieu, je souhaite aborder la question sensible des prix de marché pour les entreprises, notamment pour les PME et PMI.

L'évolution récente des prix de l'électricité fournie aux entreprises par les opérateurs sur le marché concurrentiel est une préoccupation majeure pour le Gouvernement, comme pour certains d’entre vous, notamment le président de la commission des finances, avec qui nous avons des discussions constructives – et, je l’espère, efficaces – sur ce sujet depuis un certain temps.

Mais là aussi, il faut être clair : ce sujet est totalement indépendant de celui des tarifs du gaz ou de l'électricité, comme il est indépendant de la question de la souplesse accordée à l’évolution du capital de Gaz de France.

Confrontée à la forte hausse du prix des hydrocarbures et à la disparition des surcapacités de production en électricité, l'Europe voit les prix de l'électricité augmenter de façon importante et continue depuis 2004.

M. Jacques Myard. Eh oui ! C’est la déréglementation !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pas pour les particuliers, puisque nous avons garanti l’évolution tarifaire. Nous sommes le seul pays à l’avoir fait, grâce au choix du nucléaire. Nous n’augmentons pas plus vite que l’inflation. Nous sommes le seul pays au monde à pouvoir le faire. C’est notre fierté nationale.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. En effet !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En revanche, les entreprises qui ont choisi entre 2000 et 2003 de faire jouer la concurrence et de bénéficier de prix inférieurs aux tarifs se trouvent aujourd'hui parfois confrontées à des hausses trop importantes.

J'entends le mécontentement de certains industriels qui voient les prix de leurs contrats augmenter d'une façon parfois inacceptable, et je le comprends. Ce mécontentement est compréhensible et appelle une réponse forte.

Nous allons y répondre de manière claire et concrète d’abord de façon structurelle, en assurant une capacité de production suffisante à long terme. C'est tout le sens de l'action gouvernementale en matière d'investissements en France et en Europe.

Ensuite, en apportant une réponse coordonnée avec d'autres pays européens. Nous avons mis en place un groupe de travail avec quatre autres pays européens, et notamment l'Allemagne, pour proposer des actions visant à limiter l'impact excessif du marché du CO2 sur la formation des prix de l'électricité, et en particulier à obtenir une révision de la directive « quotas ».

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous apporterons aussi des réponses directes, à court terme. Pour aider à améliorer la situation des entreprises consommatrices d'électricité qui subissent des hausses importantes, le Gouvernement prend des mesures significatives, que je rappellerai très brièvement.

Pour les entreprises électro-intensives, un dispositif de consortium, mis en place par la loi de finances rectificative 2005, a permis à ces industriels de se regrouper pour investir indirectement, à travers les producteurs d'électricité, dans des moyens de production et bénéficier en contrepartie, sur de longues périodes – une vingtaine d’années –, de prix stables fondés le plus possible sur les coûts de production. Ce sont plus de soixante très grandes entreprises qui sont concernées, PME comme grands groupes, représentant plus de 20 % du marché de l'électricité ouvert à la concurrence.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Lesquelles ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pour les PME et PMI, les entreprises concernées par une hausse brutale des prix de l'électricité sont en nombre modéré, mais elles se trouvent parfois confrontées à des situations très difficiles. Pour faire face à cette difficulté réelle, François Loos a organisé une table ronde le 15 mai dernier avec les producteurs d'énergie. Elle a permis d'obtenir plusieurs engagements concrets de modération des prix en faveur de ces entreprises.

Les producteurs se sont engagés sur des offres commerciales non indexées à la hausse sur les prix du marché et permettant aux clients de bénéficier des baisses. Ils se sont également engagés à proposer des contrats de plus long terme pour apporter une meilleure visibilité aux clients. Ils ont également accepté de renégocier certains contrats. Nous y veillons et nous les inciterons à aller encore plus loin.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je mesure pleinement l'importance de ce sujet. Vous êtes nombreux à vous en inquiéter, à juste titre. Nous allons suivre la mise en œuvre de ces engagements par les opérateurs. Si ces actions semblaient sans effet suffisant, nous serions prêts à envisager avec vous les dispositions législatives ou réglementaires nécessaires – dans le respect, bien sûr, des règles communautaires – pour répondre à cet enjeu essentiel : la compétitivité de notre industrie.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Daniel Paul. Cela ne va pas bien loin !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Au terme d'un processus de concertation approfondie, reconnue comme telle par tous ceux qui y ont participé, nous entrons dans une phase où chacun devra se déterminer sur ce projet. Il s'agit d'un grand projet industriel, instruit avec soin. Nous en mesurons pleinement l'enjeu : il est à la mesure des défis qui se posent à notre pays et à nos entreprises.

La France se doit de défendre son excellence industrielle dans le domaine de l'énergie. L'action du Gouvernement, sur la scène nationale, européenne et internationale nous prépare à l'ère du pétrole rare et cher. Cette action doit pouvoir s'appuyer sur des groupes industriels puissants.

Avec EDF, la France a le premier électricien nucléaire mondial. Il est, je le rappelle, hors de question de toucher au capital d’EDF. Avec Areva, elle a le numéro 1 mondial du nucléaire. Avec Total, elle a l'un des tout premiers groupes pétroliers au monde.

Soyons lucides sur la réalité de Gaz de France. GDF – et ce n’est pas faire lui faire injure que de le dire – ne joue pas dans la même catégorie qu'EDF, Areva ou Total.

C'est précisément pourquoi la capacité de GDF de nouer des alliances stratégiques est un enjeu vital. Laissons-lui la possibilité de forger son destin. Aujourd'hui, nous pouvons créer un quatrième leader mondial de l'énergie, basé en France. Devons-nous saisir cette chance ?

M. Hervé Novelli. Oui !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Gaz de France a-t-il un autre partenaire potentiel ?

M. Pierre Lellouche. Il faut regarder.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Oui, il faut regarder avec sérieux, mais je me suis penché sur ce dossier, monsieur Lellouche, sans aucun a priori. Je me dois de vous livrer le résultat de quatre mois de concertation. Il vous appartiendra de juger. Je sais qu’il y a des experts de l’énergie parmi vous et je les respecte.

M. René Couanau. Il n’y a pas que les experts qui décident. Il y a aussi les députés !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il vous appartiendra de décider ce que nous voulons faire pour l’avenir de Gaz de France.

Devons-nous saisir cette chance ? La question est posée ici et maintenant, car ce qui est possible aujourd’hui ne le sera pas forcément dans quelques mois ou dans quelques années.

Alors, ne nous trompons pas de débat. Nous aurions pu, les uns ou les autres, souhaiter un autre calendrier – je le dis sans fard – pour faire évoluer la loi de 2004. Mais la réalité du monde économique qui nous entoure en a décidé autrement. C'est un fait. La consolidation du secteur de l'énergie est déjà en route en Europe, sans aucune considération pour les échéances électorales ici ou là.

Nous aurions pu souhaiter une étape intermédiaire avant la fusion. J'ai moi-même très sérieusement examiné cette option. Ceci était bien sûr envisageable. Je rappelle toutefois que ce n'était pas la proposition des deux entreprises. C'est un fait. Elles ont estimé de leur devoir, face aux défis qui sont les leurs, de proposer une fusion totale immédiatement.

Ces éventuels regrets mis de coté face à la simple réalité des faits, le débat ne doit porter que sur quatre vraies questions, que je me permets, avec humilité, de poser.

Faut-il ou non autoriser Gaz de France à faire évoluer la structure de son capital pour préserver son avenir en lui permettant de jouer son rôle à armes égales dans la consolidation européenne, quels que soient, du reste, les projets ? Ce peut être Suez ou d’autres projets. Encore faut-il que nous permettions à Gaz de France de se poser ces questions.

M. Daniel Paul. Ils se sont déjà posé la question !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Certaines propositions sont peut-être pleines de bon sens et de réalisme. Mais dans quel cadre pourrions-nous les mettre en œuvre ? Nous devons donc nous poser ces questions, et je crois, pour ma part, après quatre mois d’analyse, que le projet est un bon projet.

Le projet présenté par Gaz de France et soutenu par Suez est-il le meilleur qui puisse être envisagé pour Gaz de France ? Je vous ai livré ma réponse, mais il ne s’agit que de ma réponse. Lorsque j’ai été contacté par les entreprises, j’étais circonspect. Et comme vous, j’ai voulu avoir des réponses aux nombreuses questions que je me posais.

L'État conservera-t-il dans cette hypothèse tous les moyens d’assurer un véritable contrôle sur les missions de service public et les actifs stratégiques de Gaz de France ? C’est la troisième question.

Enfin – mais ceci est un sujet différent – les intérêts des consommateurs seront-ils protégés dans le contexte des évolutions à venir des marchés de l'énergie ?

À ces quatre questions décisives, vous l’aurez compris, je vous réponds oui sans aucune hésitation.

Oui, Gaz de France a besoin aujourd'hui et maintenant de pouvoir faire évoluer son capital à la seule condition que ce soit pour nouer une alliance décisive dans le cadre d'un projet industriel stratégique et certainement pas pour que l’État vende des actions. En tout cas, telle est ma recommandation.

Oui, nous sommes en situation de créer un leader mondial et européen de l'énergie de plus, enraciné en France, tout spécialement fort dans le domaine ultrasensible du gaz, où nous sommes vulnérables compte tenu de la concentration de la ressource mondiale dans quelques pays.

Oui, nous conserverons plus de 33 % du capital du futur groupe, des actions spécifiques sur tous les actifs importants de GDF et une vraie régulation publique inchangée des missions de service public et de GDF.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Oui, enfin, les modalités d'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie pour les particuliers sont très protectrices des intérêts de nos consommateurs : possibilité de pouvoir rester au tarif réglementé, d'y retourner à l'occasion de chaque déménagement, et mise en place d'un tarif social pour le gaz.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous le savons, mesdames messieurs les députés, notre monde est en profond changement, qu'il s'agisse des équilibres économiques internationaux, des tensions sur les matières premières ou de la compétition croissante pour l'accès à l'énergie. C'est pourquoi notre devoir à tous est de procéder dans le dialogue, la concertation et la dignité républicaine à toutes les adaptations utiles pour préserver l'intérêt et la sécurité de nos concitoyens.

Nos compatriotes sont conscients des défis et attendent légitimement que nous prenions nos responsabilités. En ce qui me concerne, j’ai souhaité vous faire partager le résultat de quatre mois de travail approfondi que j’ai mené avec mes équipes en concertation avec les organisations syndicales. Je sais que la décision à prendre est difficile. Je sais qu’elle est courageuse dans le contexte que nous vivons.

M. Jean-Marc Ayrault. Le contexte de l’UMP !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Faut-il pour autant l’éluder ? Je ne le crois pas. Les vacances parlementaires se profilent, c’est vrai, mais je suis sûr que chacune et chacun saura prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, porte-parole du groupe des député-e-s communistes et républicains.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre des finances, monsieur le ministre délégué à l’industrie, mes chers collègues, moins d'un an après la promulgation de la loi de programme fixant les orientations de notre politique énergétique, l'Assemblée nationale est de nouveau appelée à discuter des orientations de la politique énergétique de la France. Au-delà des motivations internes à votre majorité qui ont pu être à l'origine de cette initiative – et votre intervention semble le confirmer, monsieur le ministre –, nous voulons en profiter pour contribuer à sortir notre pays de l'impasse dans laquelle le conduisent les choix libéraux.

Le programme du Conseil national de la Résistance appelait à un retour à la nation des sources d'énergie et des richesses du sous-sol. Dès la libération du joug nazi, la France conquit son indépendance énergétique en construisant des services publics porteurs de développement économique, de progrès social et de coopération internationale.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’était il y a soixante ans ! Les temps ont changé !

Mme Marie-George Buffet. C’est vrai, les temps ont changé. Mais j’ai l’impression, en vous entendant, monsieur Breton, que l’ambition pour la France n’est plus la même qu’à cette époque. Cet atout inestimable, qui a fait preuve de sa modernité, de son efficacité pendant toute cette période, vous êtes en train de le brader au nom de vos dogmes libéraux. Vous le faites contre l'intérêt de la France, de son peuple, des salariés de ces entreprises. Vous le faites dans la logique du tout-marchand et de la libre concurrence que portent aujourd'hui l'Union européenne et l'Organisation mondiale du commerce. Alors que la question énergétique constitue aujourd'hui un véritable enjeu de civilisation, vous jouez petit, vous jouez profit ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Raoult. Oh !


Mme Marie-George Buffet
. Mes chers collègues, l'énergie est une question trop importante pour laisser libre cours à un tel aventurisme. À je ne sais combien de reprises, monsieur le ministre, vous avez mis en avant la taille de GDF pour justifier sa privatisation. On aurait pu construire, avec EDF et GDF, un grand groupe public de l’énergie qui garantisse notre souveraineté énergétique et permette des coopérations avec des groupes privés. Mais vous avez préféré alimenter la course aux OPA et donc menacer l’avenir de GDF, d’EDF, mais aussi – et cela nous importe – de Suez. Mon ami Daniel Paul reviendra sur ce point dans son intervention.

Une telle inconséquence répond peut-être aux prescriptions de la Commission européenne. Elle n'en reste pas moins une ineptie politique. En effet, les choix énergétiques relèvent de l'intérêt général de la planète : aucun intérêt particulier ou financier ne peut interférer dans la définition et la conduite de ces politiques ! Elles relèvent du bien commun, donc des peuples et de leurs représentations démocratiques.

L'énergie, avant d’être un marché, c'est d'abord un droit pour chaque homme, chaque femme. C'est un atout vital pour chaque peuple. C'est donc aussi de grandes responsabilités pour tous les gouvernements !

C'est le droit au bien-être : droit de se chauffer, de s'éclairer, de se déplacer. Il figure d'ailleurs dans le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité. Son article 10 dispose notamment que « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Il proclame ainsi l'existence de ce droit à l'énergie.

Or, aujourd’hui, ce droit n'est pas assuré pour tous nos concitoyens. Des salariés d'EDF, les « Robins des bois », sont obligés de pallier les carences de l'action publique en rétablissant le courant aux familles les plus démunies de notre pays. Et cette situation risque encore s'aggraver car la privatisation d'EDF…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais EDF n’est pas privatisée, madame !

Mme Marie-George Buffet. …a entraîné des hausses de tarifs de 48 % dans le secteur dérégulé, mettant ainsi à mal les entreprises. Et si le Gouvernement accepte la libéralisation totale des marchés d'ici à juillet 2007, les ménages connaîtront le même sort.

L'énergie, c'est aussi le droit au développement et donc au progrès économique et social pour tous les peuples de la planète. Aujourd’hui, 2,6 milliards d'hommes et de femmes sont privés d'un accès à l'énergie dans le monde et les ressources énergétiques sont sources de conflits et de tensions. On assiste à l'épuisement progressif de toutes les ressources fossiles et au réchauffement climatique. Mais, entravés ou guidés par les logiques du tout-marchand, les tenants de l'ordre établi sont incapables d'apporter une réponse collective permettant de placer les ressources énergétiques et leur utilisation au service des individus et du développement durable de la planète.

Conscients que la société dans son ensemble est concernée par la question énergétique, les députés communistes et républicains proposent de faire reposer notre politique énergétique sur des choix démocratiques et sur un réel volontarisme politique, à même de donner corps à la conduite de celle-ci. En ce sens, nous revendiquons la totale maîtrise publique de ce secteur économique.

Et comme ces questions sont communes à toute l'Europe, nous soutenons la création d'une véritable Europe de l'énergie.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien ! Vous avez trouvé votre chemin de Damas !

M. Charles de Courson. Quelle conversion !

Mme Marie-George Buffet. Mais cette politique européenne n'aura d'efficacité que si elle porte cette vision du caractère universel de l'énergie dans les instances internationales et seulement si elle repose sur le respect de l'indépendance énergétique des États membres, sur la coopération et les échanges entre les États, mais aussi sur un fort engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Une telle ambition ne se concrétisera pas sans une remise à plat de l'esprit de la construction européenne : …

M. Jean Dionis du Séjour. Ça se gâte !

Mme Marie-George Buffet. …face aux logiques financières de court terme induites par la déréglementation et la mise en concurrence des secteurs de l'énergie et du transport, l'Europe devra opposer, pour être crédible, d'autres logiques politiques, solidaires, humanistes, seules à même de répondre à ces enjeux de civilisation.

Dans ce cadre, nous soutenons la création d'un véritable pôle public de l'énergie. Il s'agirait, au-delà des nécessaires renationalisations d'EDF et de GDF, de regrouper tous les acteurs de la filière énergétique, qu'ils relèvent de la recherche, de la production ou de la distribution de l'énergie.

Ce pôle public, fort des orientations définies par le Parlement, aurait pour mission de mener cette politique, mais aussi d'influencer les choix économiques, c'est-à-dire d'irriguer toute la sphère publique des enjeux liés aux questions énergétiques et de leur importance.

Il serait chapeauté par une Haute Autorité, composée d'élus de la nation, de représentants de l'État, des salariés et des usagers et chargée de veiller au bon respect de la transparence et du caractère démocratique des décisions.

Son financement pourrait reposer en partie sur le prélèvement à effectuer sur les profits exorbitants réalisés par Total : plus de 21 milliards d'euros pour les années 2004 et 2005 ! De même, toutes les opérations d'acquisitions externes d'EDF ont révélé l'ampleur des gâchis consécutifs à cette politique de promotion des seuls investissements financiers.

Un véritable service public, émancipé de ces logiques financières, aurait donc pleine capacité à investir dans la recherche, dans la promotion de nouvelles énergies et dans le développement de nouvelles capacités de production, tout en maintenant un coût d'accès à l'énergie acceptable pour tous les usagers.

Ce pôle public de l'énergie devrait chercher à répondre aux besoins énergétiques, dans des conditions susceptibles de préserver l'environnement et l'avenir de notre planète. Au vu de la croissance forte des besoins en énergie et de leur impact sur notre environnement, il est devenu vital de développer des énergies propres, durables et renouvelables.

Mais il est tout aussi urgent de repenser notre conception même du développement économique.

Il n'est plus possible de se lancer dans de grandes envolées sur le développement durable, tout en continuant de cautionner un système économique, le capitalisme, à l'origine même du pillage des ressources naturelles et de la destruction progressive de l'environnement.

Il n'est plus possible de continuer à promouvoir une croissance incapable de prendre en compte son impact sur l'environnement. Il en va de l'avenir de la Terre et des générations futures.

La fonction de ce pôle public de l'énergie serait donc essentielle. Je prendrai un exemple : toute notre politique d'aménagement du territoire repose aujourd'hui sur des logiques libérales et donc un complet laisser-faire sur le marché foncier. Cette politique consomme énormément d'espaces en périphérie des villes et renforce l'utilisation de la voiture. Dans ce cadre, il s'agit de repenser notre politique d'urbanisme et de transport à travers le prisme de la maîtrise de l'énergie et de son efficacité sociale.

Devant la fin du pétrole qui se profile, ce pôle public aurait aussi pour mission d'orienter et de financer la recherche et le développement d'énergies du futur, propres et, si possible, renouvelables. Je pense au projet ITER, dont l’intérêt est considérable. Mais nous savons que les promesses suscitées par la fusion nucléaire ne pourront se concrétiser avant des décennies, au mieux. Pour satisfaire nos besoins, tous les projets d'investissement dignes d'intérêt devraient être soutenus, notamment afin d’améliorer les performances des énergies renouvelables, de la biomasse ou de la méthanisation, et de travailler sur la production d'hydrogène. Nous soutenons aussi les recherches visant à développer une énergie nucléaire propre. Il s'agit de travailler sur les centrales de quatrième génération, qui pourraient être moins génératrices de déchets, mais aussi sur la gestion des déchets produits actuellement par nos centrales nucléaires. Leur existence suscite de réelles et légitimes inquiétudes dans l'opinion qui ne pourront être levées qu'en trouvant, dans la plus totale transparence, des solutions à ce problème. Et le projet de loi actuellement en débat au Parlement est loin de répondre à cet enjeu !

Comme nous savons qu'il n'y aura pas de substitut unique au pétrole, nous devons engager de réels investissements pour garantir que nos capacités de production d'énergie répondent bien, à l'avenir, à nos besoins en énergie : c'est dans ce cadre que nous soutenons la construction d'un réacteur de type EPR à Flamanville et que nous exigeons, au nom de la sûreté des installations nucléaires, leur totale maîtrise publique. Il faudra surtout s'engager, de façon bien plus déterminée qu’aujourd'hui, vers une diversification de nos sources d'énergie, en promouvant notamment les énergies renouvelables comme les énergies solaire et éolienne.

De la même façon, nous attendons, au-delà des beaux discours, un réel engagement des pouvoirs publics en faveur du développement du ferroutage et du transport fluvial, ce qui implique de ne pas poursuivre la libéralisation du rail, comme vous le faites, mais bien de préserver un grand service public du transport.

Nous pensons également qu'il est nécessaire d'investir davantage dans la recherche pour un charbon propre. Des grands pays fondent aujourd'hui leur développement sur cette ressource, avec les conséquences que nous connaissons sur l'environnement : il y a donc urgence au développement d'une coopération internationale sur ce terrain de recherche.

Je le répète, toutes les énergies propres seront utiles pour compenser, à l'avenir, non seulement l'épuisement rapide des ressources pétrolières, mais aussi les risques de perte d'indépendance énergétique consécutifs à l'insuffisance croissante de nos capacités de production.

Mes chers collègues, oui, les conditions de vie des générations futures, l'avenir de notre pays et de la planète dépendent en grande partie des choix énergétiques. Rien ne serait plus grave et irresponsable que de les laisser dominer par les seules logiques du marché, par les desiderata d'actionnaires assoiffés de dividendes. Les choix énergétiques doivent être maîtrisés par les peuples, ils doivent relever de l'intérêt général.

Monsieur le ministre, après ce débat, que va-t-il se passer ? Allez-vous déposer une loi sur la privatisation de GDF pour la faire passer en force en juillet ? Préférez-vous le statu quo, source de tant de dangers dans la valse d'OPA que nous connaissons aujourd’hui ? Ou allez-vous, et c'est ce que nous vous demandons, ouvrir un grand débat populaire, citoyen sur la politique énergétique de la France débouchant sur un véritable acte souverain : l’organisation d’un référendum ?

Monsieur le ministre, l'énergie n'est pas une question réservée à des spécialistes, à des experts, encore moins aux affairistes, elle est propriété des habitants de la communauté que devrait être notre planète. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant, porte-parole du groupe UMP.

M. Serge Poignant. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, M. le Premier ministre a souhaité un débat sur l'énergie au Parlement au moment où la question se pose d'une éventuelle fusion GDF-Suez, mais aussi avant l'ouverture complète à la concurrence des marchés européens de l’énergie, le 1er juillet 2007.

Avant d'aborder la question d'actualité proprement dite, l'occasion m'est donc donnée, au nom du groupe UMP, et après votre déclaration, monsieur le ministre des finances, de dresser un rapide bilan de l'action du Gouvernement et de sa majorité menée depuis 2002. Entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin a fait preuve de ce qu'il faut bien appeler un complet immobilisme.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très juste !

M. Daniel Paul. Vous, c’est la fuite en avant !

M. Serge Poignant. Pourtant, la France avait pris des engagements européens au cours de cette période, engagements affirmés au Conseil européen de Barcelone en mars 2002 par le Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin.

C'est ainsi que le nouveau gouvernement français a dû déposer en urgence, en octobre 2002, un projet de loi de transposition de la directive sur le gaz, à la suite du lancement de procédures contentieuses. Cela s'est traduit par la loi du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie, rapportée par notre collègue François-Michel Gonnot. La loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières a donné ensuite les moyens juridiques et financiers à EDF et GDF d'évoluer dans le nouveau contexte de l'ouverture à la concurrence des marchés européens de l'électricité et du gaz. Contestée par l'opposition, cette adaptation était pourtant d'une nécessité économique incontestable et la transformation d'EDF et de GDF en sociétés anonymes avait d’ailleurs été souhaitée par plusieurs responsables socialistes avant 2002.

Parallèlement, une large réflexion sur l'avenir de la politique énergétique de la France a été placée au cœur de l'action des gouvernements Raffarin et Villepin. Il me faut en effet rappeler, mes chers collègues, qu'un débat national sur les énergies, à l’initiative du Président de la République, a été lancé au début de l’année 2003. Il a permis d'informer nos compatriotes, de manière transparente et complète, sur toutes les formes d'énergie, de les sensibiliser aux enjeux et de les associer à l'élaboration de notre politique énergétique. Une synthèse des débats a été élaborée et un livre blanc sur les énergies a été présenté en novembre 2003 par Nicole Fontaine, alors ministre de l'industrie.

Puis, une déclaration du Gouvernement accompagnée d’un débat a suivi en avril 2004.

Enfin, une loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique française a traduit, en juillet 2005, l'aboutissement de ce long et, je pense pouvoir le dire, exemplaire processus démocratique. J'ai eu l'honneur de rapporter cette importante loi de programme,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Fort bien d’ailleurs !

M. Serge Poignant. …conscient qu'il s'agissait véritablement d'une première en matière d'affirmation de la politique énergétique française, les orientations de celle-ci n'ayant jamais été fixées par le Parlement auparavant.

Je veux ici rappeler les quatre objectifs forts alors définis : garantir la sécurité d'approvisionnement ; mieux préserver l'environnement ; garantir un prix compétitif de l'énergie ; assurer l'accès de tous les Français à l'énergie.

Pour atteindre l'ensemble de ces objectifs, il nous fallait d'abord maîtriser la demande. D'où une priorité très forte donnée à cet aspect. Les certificats d'économies d'énergie ont ainsi été instaurés, mais il nous faudra aller beaucoup plus loin dans la nécessité de changement des comportements et très certainement vers une législation beaucoup plus incitative, voire contraignante.

Je vous invite, monsieur le ministre, mes chers collègues, à vous imprégner du rapport de Nathalie Kosciusko-Morizet, qui fait suite à une mission d'information de notre assemblée présidée par Jean-Yves Le Déaut et à laquelle j'ai participé. Je veux vous assurer que nous avons tous été convaincus que, au-delà du respect de nos engagements de Kyoto, il est urgent de mener une politique drastique de lutte contre les rejets de gaz à effet de serre et le changement climatique. Des propositions sont d’ailleurs avancées, tant sur le plan français que sur notre possible action au plan européen, voire mondial.

Nous avons donc eu raison d'affirmer dans la loi notre engagement en faveur de la diversification de notre bouquet énergétique et le recours aux énergies renouvelables pour réduire l'utilisation des énergies fossiles et de prendre les mesures que vous avez énoncées dans votre intervention, monsieur le ministre, il y a quelques instants.

Je rappelle, bien évidemment, que l'énergie concerne les trois secteurs de l'électricité, de la production de chaleur et des transports.

Pour ce qui concerne les transports, l'objectif affiché par M. le Premier ministre en matière de biocarburants dépasse celui de notre engagement de Kyoto, confirmé dans la loi de juillet 2005, puisqu'il vise 5,75 % d'incorporation dès 2008 au lieu de 2010, puis 7 % en 2010 et 10 % en 2015. Je prépare actuellement, avec Antoine Herth, à la demande du président de notre commission des affaires économiques, Patrick Ollier, un rapport d'information sur l'avancement de cette politique des biocarburants.

Pour ce qui concerne la consommation dans les autres secteurs, priorité me semble devoir être donnée à l'habitat et au tertiaire, qui sont très consommateurs d’énergie.

Nous avons eu raison de maintenir ouverte, dans la loi d'orientation, l'option nucléaire et d'affirmer la nécessité de construire l'EPR, lequel sera réalisé à Flamanville chez notre collègue Claude Gatignol.

Depuis, plusieurs collègues ont travaillé ardemment sur deux projets de loi, monsieur le ministre, notamment leurs rapporteurs, Alain Venot et Claude Birraux, ce dernier étant également l’auteur de nombreux rapports de l'Office d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Le premier de ces projets, qui concerne la transparence et la sécurité en matière nucléaire, a été définitivement adopté en deuxième lecture au Sénat le 1er juin 2006. Le second a trait à la gestion durable des matières et déchets nucléaires et sera examiné cette semaine même en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.

Pour la première fois, le secteur nucléaire se verra ainsi doté d'un cadre législatif incluant l'aval du cycle et confortant la sûreté, grâce à la création d'une autorité indépendante en charge de la sûreté nucléaire.

Enfin, et puisqu'il nous faut toujours nous projeter dans le futur en matière d'énergie, n'oublions pas la nécessité d'une recherche performante, tant privée que publique, dans le contexte mondial que nous connaissons, et ceci tant en matière de fusion nucléaire – et nous nous félicitons du choix de Cadarache au sommet de Moscou en juin 2005 pour le projet ITER – que de stockage de l'électricité, de séquestration du carbone ou encore de développement de la technologie hydrogène ou des carburants de synthèse.

Après avoir associé tous mes collègues qui ont contribué par leurs rapports à la richesse de la réflexion parlementaire sur ce sujet de l'énergie, qu'ils fassent partie de la commission des affaires économiques, de celle des finances, de celle des affaires étrangères, de la Délégation aux affaires européennes ou de l'Office d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, j’en viens maintenant à la double question de GDF-Suez et de l’ouverture complète des marchés.

J'entends vos arguments, monsieur le ministre, comme j'entends les questions des membres de mon groupe politique.

M. François Brottes. Ah !

M. Daniel Paul. Ça devient intéressant !

M. Serge Poignant. Vous dites que le monde de l'énergie a changé rapidement depuis août 2004 et que nous devons relever un triple défi : la quasi-disparition des surcapacités de production en matière d'hydrocarbures, qui a conduit à une forte hausse du prix du pétrole, dont le baril est passé de 30 à 70 euros, le renforcement de l'enjeu géostratégique lié à la sécurité d'approvisionnement en gaz de l'Europe et le mouvement considérable de consolidation des acteurs européens de l'énergie.

Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le nombre d’habitants sur notre planète passera, en quelques décennies, de 6 à 9 milliards. Par ailleurs, il faut savoir que les pays en voie de développement sont extrêmement demandeurs d’énergie. Il me faut, bien évidemment, ajouter les velléités d'Enel sur Suez, qui vous ont conduit à engager une concertation juridique et sociale, tant avec les acteurs directement concernés qu’avec le Conseil supérieur de l’électricité et du gaz, présidé par M. Jean-Claude Lenoir, avant de passer devant le Parlement – mais vous me concéderez que c’est un peu tardivement dans la session.

Oui, la réflexion doit se situer dans le prolongement de la loi d'août 2004 par laquelle nous avons permis à EDF et GDF d'être en mesure de saisir des opportunités liées à l'évolution des marchés de l'Europe de l'énergie, en les dotant d'un statut adapté et en assurant la pérennité de leur régime de retraites, comme elle doit se situer dans les objectifs de la loi de juillet 2005 que j'ai rappelés au début de mon propos.

Oui, nous devons considérer la force que pourrait avoir un futur groupe en termes de capacités de négociation.

Oui, nous devons nous poser la question de l'avenir de GDF, s’il devait rester seul après une OPA d'Enel sur Suez.

Oui, nous devons nous poser la question de la délégation de service public dans le domaine de l'eau dans le cas d’une OPA sur Suez et du devenir des 80 000 emplois français de Suez.

Pour autant, monsieur le ministre, si tous mes collègues sont convaincus de l'enjeu, certains ne sont pas satisfaits de la solution proposée. Je ne doute pas que vous ferez preuve d’une pédagogie constante et d’une grande écoute, car ils vous poseront des questions pertinentes dont je leur laisse l’initiative individuelle.

Pour ma part, et pour bien éclairer le débat, je rappelle les deux objectifs que vous avez associés dans votre projet de loi : la privatisation de GDF, pour permettre sa fusion avec Suez…

M. François Brottes. Il a dit « peut-être » !

M. Serge Poignant. …et organiser alors le contrôle public et l'exercice des missions de service public avec l'entité issue de la fusion ; l’adaptation du droit électrique et gazier français à l'ouverture complète à la concurrence au 1er juillet 2007, conformément aux directives européennes.

Ces deux questions pourraient n'apparaître que partiellement liées, mais, d'une part le Conseil d'État a estimé que la constitutionnalité de la privatisation de GDF était conditionnée par la transposition de la directive gazière et, d'autre part, l'ensemble de nos collègues s’interrogent sur les tarifs de l’énergie.

Au-delà du projet industriel, il faut en effet considérer les consommateurs,…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Serge Poignant. …qu’il s’agisse des particuliers ou des entreprises, et je me fais le porte-parole de tous mes collègues qui se posent la question.

Vous me répondrez, monsieur le ministre, que le projet industriel améliore la protection des consommateurs en accroissant la sécurité d'approvisionnement et en permettant l'obtention de prix concurrentiels. Certes, mais le 1er juillet 2007, c'est demain !

Je sais que vous êtes attaché au maintien des tarifs au 1er juillet 2007.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En effet !

M. Serge Poignant. Pouvez-vous nous confirmer votre volonté de l’inscrire dans la loi, y compris pour les nouveaux consommateurs professionnels ?

Pouvez-vous nous confirmer également votre volonté d'instaurer un tarif social pour le gaz, comme cela a été fait pour l'électricité ?

De façon générale, nous devons traiter de la spécificité française concernant les prix de l'électricité. Comment expliquer, en effet, qu'avec 80 % de nucléaire et en rejetant beaucoup moins de gaz carbonique que d'autres dans l'atmosphère, nous atteignions des prix dont vous mesurez le niveau aujourd’hui ?

M. François Brottes. Le ministre a répondu que c’était à cause du prix du pétrole !

M. Serge Poignant. Comment, en effet, expliquer aux PME-PMI, qui ont vu le coût de leur énergie augmenter de plus de 60 %, qu'elles ne peuvent revenir au tarif après avoir fait jouer leur éligibilité ? Il faudrait peut-être réfléchir à un tarif de retour spécifique pour ces cas.

M. Claude Gatignol et M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Serge Poignant. Et je le dis en toute connaissance des besoins en investissements d'un opérateur comme EDF.

Si le projet de loi devait être déposé, la grande majorité du groupe demanderait que plus du tiers des actions demeurent détenues par l'État avec des golden share, c'est-à-dire des actions spécifiques qui puissent lui garantir le rôle auquel sont attachés les parlementaires.

D'aucuns pensent toutefois qu’il faut se donner du temps pour explorer toutes les pistes possibles et peut-être trouver des solutions négociées. Tous vont s'exprimer et vous voyez que je me suis fait le porte-parole de mes collègues du groupe UMP dans la diversité de leurs interrogations.

M. François Brottes. C’est un résumé plus qu’une synthèse !

M. Serge Poignant. Merci d'avoir organisé ce débat sur un enjeu dont, je le répète, chacun mesure l'importance. Il était nécessaire. Je souhaite que, dans l'intérêt de la France, de ses entreprises, de ses emplois et de ses consommateurs, vous trouviez la solution la plus efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes, porte-parole du groupe socialiste.

M. François Brottes. Messieurs les ministres, ce n’est pas la première fois que la majorité nous invite à débattre de la question de l'énergie. D’ailleurs, plus on débat, plus les prix montent, plus vous bradez les entreprises publiques. C'est un peu comme si le fait d'en parler avec une certaine solennité vous dédouanait de la mauvaise action que vous accomplissez une fois de plus.

M. Éric Raoult. Caricature !

M. François Brottes. Avec ce gouvernement, le rituel se déroule souvent selon le même scénario : une provocation, suivie d'un débat sans véritable concertation, puis un 49-3 et une grève. Ensuite, advienne que pourra !

M. Éric Raoult. Et une obstruction !

M. François Brottes. On a chaque fois un peu le sentiment que vous nous invitez à réécrire l'histoire d'un CPE qui succède à un CNE, ou d'un engagement du ministre Nicolas Sarkozy de ne pas privatiser que vient trahir avec délectation Dominique de Villepin, M. Sarkozy étant complice. Allez comprendre ! Pour ma part, j’avoue avoir un peu de mal à suivre.

C'est donc une fois le coup du mépris, une autre fois le coup de trop !

Quel est le bilan énergétique de votre gouvernement ? Sûrement beaucoup d'énergie perdue, ce qui n'est pas bon pour lutter contre l'effet de serre !

Il y a eu quatre lois sur l'énergie. La première était une loi d'orientation, pour faire semblant d'avoir une stratégie, celle du fameux « bouquet énergétique », qui ne contenait qu'une seule fleur : le nucléaire. Il s'agissait surtout de faire passer la pilule de la loi suivante.

M. François-Michel Gonnot. Ce n’est pas vrai ! Un titre entier de la loi y était consacré !

M. François Brottes. Rien de volontaire sur l'efficacité et la sobriété énergétique dans l'habitat, rien de performant sur les transports en commun, plutôt des crédits nationaux en moins et du biocarburant autorisé à dose homéopathique. Sur ces sujets comme sur le reste, nous n'avons pas les mêmes ambitions.

M. François-Michel Gonnot. C’est clair !

M. François Brottes. La deuxième loi était une amorce de privatisation d'EDF et de GDF, avec le cynisme de Nicolas Sarkozy pour s'engager sur tout et son contraire.

M. Alain Gest. Un seul être vous manque…

M. François Brottes. Pourquoi, monsieur Breton, votre émotion n’a-t-elle pas transpiré à l’époque au sujet de GDF ? M. Sarkozy n’avait-il pas alors la même capacité d’analyse, la même perspicacité que celle que vous avez développée tout à l’heure ? Je laisse chacun juge de vos propos.

La troisième loi visait à corriger, à la marge, dans une loi de finances, les effets catastrophiques de l'ouverture du marché, en bricolant un dispositif de groupement d'achat, véritable usine à gaz pour les industriels « électro-intensifs » asphyxiés par l'évolution des prix.

La quatrième loi doit venir pour rattraper l'occasion perdue de la première en matière de transposition des directives européennes, concernant notamment la question cruciale des tarifs réglementés et pour trahir votre engagement de 2004 de ne pas privatiser totalement Gaz de France.

Pendant ce temps, les entreprises et les ménages font la connaissance des effets du démantèlement d'EDF-GDF, avec une double facturation – quelle simplification ! –, de la course aux dividendes avec un président de GDF qui en veut toujours plus, et du prix du marché qui n'a plus grand-chose à voir avec un vrai tarif orienté vers les coûts.

Pendant ce temps, les entreprises découvrent le bonheur d'être éligibles à la liberté des prix en dehors de ce que vous appelez le carcan des tarifs publics. Un bonheur dont Mme Fontaine, ex-ministre de l'industrie du gouvernement Raffarin, se réjouissait ici même lorsqu'elle avait obtenu, à l'issue d'un sommet européen, le droit de rendre éligibles à l'augmentation des tarifs l'ensemble des ménages à partir du 1er juillet 2007.

Si vous vous arrêtiez un peu de vouloir faire le bonheur des Français malgré eux, peut-être vivraient-ils un peu plus heureux !

À force de considérer que les lois du marché vont tout régler sans une régulation propre à préserver la péréquation des tarifs sur tout le territoire et à garantir en priorité la sécurité des installations et la qualité du service plutôt que d'avoir l'obsession du cours de l'action, c'est le pouvoir d'achat des familles qui ne cesse de diminuer sous le poids de vos choix idéologiques, parfois improvisés, ce sont les entreprises qui voient les charges de l'énergie dépasser désormais le poste budgétaire des salaires dans leurs charges fixes.

Cette situation est très grave et, chacun d’entre nous, sur tous les bancs, a en tête des exemples significatifs. Je pense notamment à l’une de nos collègues de l'UMP qui, dans sa question écrite n° 79430, s’est émue du fait que l'hôpital de Besançon avait vu sa facture d'énergie augmentée de 450 000 euros par an, depuis l’abandon du tarif d'EDF pour rejoindre la concurrence. Aussi notre collègue de l'UMP souhaite-t-elle savoir si le Gouvernement compte mettre en place un dispositif offrant une ultime possibilité d'accéder au tarif régulé d'EDF, notamment lorsque le surcoût peut affecter le financement de tâches de service public, à l'instar des hôpitaux. J'imagine, monsieur le ministre, que vous allez lui répondre que la privatisation de GDF résoudra le problème. C’est tout de même un comble que je sois obligé de faire référence aux députés du groupe UMP pour tenter de vous faire entendre raison !

Je pourrais aussi vous donner l'exemple, récent, – je parle sous le contrôle du président Ollier – du patron d'Arcelor, qui déclarait hier, lors de son audition en commission des affaires économiques, qu'il y avait beaucoup plus de fournisseurs de gaz en Allemagne qu’en France, mais que le prix y était encore plus élevé que chez nous…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Et pourtant, ce n’est pas privatisé !

M. François Brottes. Combien d'exemples devrai-je vous donner pour vous convaincre que vous allez aggraver la situation ?

Le pouvoir d'achat des ménages, et notamment des plus modestes, subit une ponction croissante liée au renchérissement du prix de l'énergie en général, du pétrole et du gaz en particulier. Je vous l’accorde, vous n’êtes en rien responsable de la hausse du prix du pétrole. Mais, face à cette situation, les réponses du Gouvernement relèvent de la cécité ou de l'inconséquence. En refusant obstinément de rétablir la TIPP flottante, au seul motif que ce mécanisme de compensation a été inventé par les socialistes, vous allez alourdir une nouvelle fois la facture énergétique de nos concitoyens avec la privatisation de GDF et l’ouverture à la concurrence des marchés du gaz et de l’électricité.

Nous combattons votre projet parce qu'il est politiquement, juridiquement, économiquement, industriellement et socialement condamnable.

M. Hervé Novelli. Bigre ! Cela fait beaucoup !

M. Jean Gaubert. Et c’est malheureusement exact !

M. François Brottes. Nous vous faisons part de notre totale mobilisation pour faire échec à cette marche en avant qui relève d’une attitude suicidaire pour l’économie et l’emploi dans notre pays. Nous combattons votre projet, parce que nous considérons que des alternatives existent pour garantir aux usagers la pérennité d’un véritable service public de l’énergie, y compris dans le cadre d’un marché européen de l’énergie.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Dites-nous lesquelles !

M. François Brottes. Il convient notamment, plutôt que de s’en remettre aux seules lois du marché, de réguler les échanges au niveau communautaire…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous rêvez !

M. François Brottes. …et non pays par pays, comme c’est le cas aujourd’hui. Cette situation frise le ridicule, compte tenu de la dimension des territoires européens et de la nécessité d’améliorer les interconnexions.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ce n’est pas en votant non au référendum du 29 mai que l’on a aidé à ces rapprochements !

M. François Brottes. Une telle approche laisse toute sa pertinence et sa légitimité à l’existence d’un pôle public EDF-GDF.

Si l’on entre dans le détail, il est vrai que, pour l’électricité, aucune solution efficace au problème posé à l’économie française par l’ouverture à la concurrence n’est envisageable sans une remise en cause fondamentale du modèle de régulation ultralibéral en vigueur. Admettons que les précédents gouvernements, de quelque bord qu’ils fussent, n’aient pas suffisamment pris la mesure de ce que l’électricité n’était en rien un bien ordinaire. Tout le monde en a besoin, souvent en même temps, et elle ne peut être stockée. De ce point de vue, la France n’a nullement à rougir des performances de son réseau, que la Suisse, l’Angleterre, l’Italie, le Canada ou les États-Unis lui envient : ceux-ci connaissent pour leur part les effets catastrophiques d’une dérégulation débridée…

M. Hervé Novelli. Allons, ils ne s’éclairent tout de même pas à la bougie !

M. François Brottes. …qui s’accompagne d’une absence de rigueur de gestion et qui induit des « économies de bouts de chandelles » réalisées sur le compte de la maintenance des réseaux… Ces pays, dont certains sont les chantres du libéralisme, sont même capables de reconnaître que nos entreprises publiques, sans oublier l'esprit de service public, offrent des garanties incomparables.

Alors, cherchez l'erreur ! Pourquoi détruire ce qui marche ? Pour jouer à celui qui sera le plus à droite, le plus « anti-secteur public » ? S’il existait un concours de la bêtise libérale, ne vaudrait-il pas mieux distribuer des cartons rouges plutôt que des dividendes ?

M. Jean-Marc Ayrault. Très bien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. C’est petit !

M. Hervé Novelli. L’histoire a tranché !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous nous avez habitués à mieux !

M. François Brottes. S'agissant du gaz naturel, l'ouverture à la concurrence est une véritable mystification – ce que, monsieur le ministre, vous vous gardez bien d’avouer. Cessez de vouloir faire croire au mirage selon lequel l’ouverture à la concurrence fera baisser les prix, qu'il y ait ou non fusion entre GDF et Suez.

En effet, selon un rapport de mars 2006 de la commission chargée d'une mission de réflexion sur les tarifs du gaz auprès du ministre de l’économie, pour la fourniture à un consommateur domestique, les coûts matière représentent 47 % des coûts totaux et les coûts d'utilisation des infrastructures – réseaux de transport et de distribution, ainsi que le stockage – s’élèvent à 45 % ; la matière première est en pratique importée – en l'état, près de 90 % du gaz de l'Union Européenne sont achetés à la Russie, à l'Algérie et à la Norvège –, et elle est acquise auprès de fournisseurs internationaux à un prix qui dépend essentiellement du cours du baril de pétrole. L'ouverture à la concurrence ne peut donc en aucun cas l'affecter.

Pour un consommateur domestique, 92 % des coûts hors taxes sont indépendants de l'ouverture à la concurrence du marché. Ce qui signifie clairement que l'ouverture à la concurrence du marché du gaz naturel ne peut apporter aucun bénéfice significatif à notre économie, et que vos arguments pour démanteler EDF et GDF, et fusionner GDF avec une société privée ne sont que gesticulations idéologiques.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est « le monde selon Brottes » !

M. François Brottes. Nous combattons votre projet parce qu'il est aussi politiquement condamnable. En effet, la politique ne sort pas grandie quand le Gouvernement, à quelques mois d’intervalle, remet en cause ses engagements publics et législatifs au moindre bruissement de la Corbeille.

Le 22 février 2006, l'annonce publique du président d’Enel, Fulvio Conti, selon laquelle son groupe, après avoir examiné différentes pistes pour se développer sur le plan international, n’excluait pas de lancer une OPA sur Suez, vous a fourni une occasion rêvée. Trois jours plus tard, sur le perron de Matignon, le Premier ministre en personne annonçait que le Gouvernement avait décidé de fusionner Gaz de France et Suez. Quid de la concertation que vous aviez annoncée ?

Improvisation, opportunisme, mensonge délibéré devant l'opinion publique ? Seule la commission d'enquête que nous avons demandée sur les conditions de cette annonce permettrait d'y voir clair.

M. Jean-Marc Ayrault. Elle nous a été refusée !

M. François Brottes. Je précise que la question ne porte pas sur les qualités et les compétences de Suez, par ailleurs largement reconnues.

Une seule certitude : cette annonce nous éclaire sur la portée véritable des engagements pris ici même le 14 juin 2004 par Nicolas Sarkozy lors de la discussion du projet de loi relatif au statut d'EDF et de GDF. Celui-ci déclarait alors : « Je l'affirme parce que c'est un engagement du Gouvernement : EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées. Le Président de la République l'a rappelé solennellement lors du Conseil des ministres au cours duquel fut adopté le projet. »

M. David Habib. Nous aurions dû nous méfier !

M. François Brottes. Si le Président de la République l'a dit et que Nicolas Sarkozy l'a fait, c'est du solide ? (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) L'histoire retiendra simplement que ce n'est pas parce que le titulaire et le prétendant prennent le même engagement qu'il a plus de chance d'être respecté !

M. Jean-Marc Ayrault. Un ange passe !

M. François Brottes. Cette décision politique d'une « fusion-absorption » de GDF, nullement imposée par une quelconque directive, est condamnable parce que, au nom du patriotisme économique, vous décidez de la disparition d'une entreprise publique – Gaz de France – pour en fragiliser une seconde : EDF. Ce jeu de domino vous tient lieu de politique industrielle, au risque de remettre en cause la pérennité du service public de l'énergie et notre indépendance énergétique. Notre sécurité d'approvi-sionnement repose en effet sur la capacité de la puissance publique à l'assurer en négociant avec des vendeurs monopolistiques. Or, dans ce cadre, on ne voit pas ce que l'absence d'investissement de Suez dans l'amont gazier peut apporter en matière de sécurité d'approvisionnement.

Votre projet est tout aussi condamnable au plan économique. Votre parti pris de privatisation des opérateurs historiques et d'ouverture des marchés énergétiques est en complet décalage avec les nombreux dysfonctionnements du marché que constatent les observateurs et la Commission européenne elle-même.

On peut aussi s'interroger sur le silence total de l'Agence des participations de l'État au regard de ce projet.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ce n’est pas le moment, monsieur Brottes. Vous allez trop vite !

M. François Brottes. Cette agence a pourtant pour mission d'incarner la fonction d'actionnaire de l'État, Gaz de France et EDF faisant explicitement partie de son champ de compétence. Cette fonction est censée être assurée en toute transparence vis-à-vis de l'ensemble des ministères, du Parlement et des citoyens.

La fusion entraînera la constitution d'un groupe concurrent direct d'EDF. Le projet fragiliserait ainsi le seul opérateur de l'énergie qui, pour le moment, demeure public. C’est ce que vous avez promis tout à l’heure, monsieur le ministre. Mais je me méfie de cette promesse sur laquelle vous pourriez revenir dans quelques mois !

Juridiquement, votre projet est également inacceptable. Dans son avis du 11 mai 2006, le Conseil d'État a considéré que certaines missions confiées au seul opérateur Gaz de France sont de nature à maintenir à cette entreprise le caractère d'un service public national, ainsi que l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 août 2004. Il s'agit notamment du monopole de la fourniture de gaz aux clients non éligibles.

Dès lors, pour mettre fin à la participation majoritaire de l'État dans le capital de Gaz de France, le Gouvernement doit déposer un projet de loi, afin d'ouvrir à la concurrence l'activité de fourniture de gaz aux clients non éligibles – au plus tard au 1er juillet 2007 – et de préciser les obligations de service public s'imposant à tous les opérateurs gaziers au titre de la péréquation des coûts de distribution.

Il est absolument inadmissible d'ouvrir totalement le marché alors que le préalable posé à Barcelone par Lionel Jospin – que vous n’avez rappelé que très partiellement lors de votre intervention – n'est pas réalisé, à savoir l'adoption d’une directive cadre sur les services d'intérêt général : un projet a d’ailleurs été déposé la semaine dernière par le groupe socialiste européen. C'est un acquis majeur du sommet de Barcelone, que vous omettez systématiquement de rappeler, et surtout que vous n'avez en rien essayé de faire respecter. « Les avantages considérables qui peuvent découler du marché intérieur en termes de gains d'efficacité, de baisses de prix, d'amélioration de la qualité du service et d'accroissement de la compétitivité », tels que les annoncent les préambules des deux directives adoptées en 2003 qui ouvrent totalement à la concurrence les marchés de l'électricité et du gaz au plus tard au 1er juillet 2007, n'étant pas à ce jour démontrés, il est tout à fait justifié d'exiger l'abandon du rendez-vous de 2007. D’autant qu’on nous avait promis une étude d’impact, que nous attendons toujours. Cela figure dans les textes et les traités internationaux, et je regrette, monsieur le ministre, que vous ne l’ayez pas revendiqué tout à l’heure.

Votre projet est industriellement inacceptable. L'improvisation ou la navigation à vue ne sont pas compatibles avec l'élaboration d'une politique industrielle. Depuis 2002, vous avez adopté trois lois sur l'énergie et libéralisé ses marchés. La menace d'une OPA hostile, réelle ou supposée, vous aura permis de sacrifier GDF à la construction d'un acteur énergétique important sur le BEnelux, sans aucune réflexion stratégique sur l'impact pour l'ensemble de nos entreprises. Mais, quatre mois après, l'urgence est-elle toujours d'actualité ? Le prétexte semble de moins en moins convaincant. Enel paraît revenue à des intentions plus pacifiques et constructives. La mise en place par le conseil d'administration de Suez, le 5 mai 2006, de bons de souscription d'actions, présentée par le ministre de l'économie et des finances comme une arme anti-OPA hostile, ne serait-elle pas suffisante pour écarter définitivement ce risque ? Toutes les solutions, me semble-t-il, n’ont pas été envisagées, comme l’ont indiqué nombre de députés de la majorité.

En outre, votre projet est socialement inacceptable pour les personnels. Il apparaît à ce stade qu'aucune information préalable à la décision du Premier ministre n'a été fournie, aux représentants du Parlement comme aux partenaires sociaux, et que les représentants des personnels n'ont pas été consultés. S'agissant d'un projet d'une telle envergure, impliquant la remise en cause d'un engagement solennel du Gouvernement, la privatisation d'un opérateur central d'un secteur jugé stratégique et la redéfinition du statut de ses personnels, ce refus d'information des parties prenantes est particulièrement préoccupant. Votre sens de l'approximation dans les réponses que vous leur avez apportées est tout aussi préoccupant. Par exemple, lorsque vous répondez à la question n° 7 « que la situation d'EDF est très différente de celle de Gaz de France, car EDF est notamment en charge du transport de l'électricité dans le cadre d'un monopole national », vous faite l'impasse sur le fait qu'il s'agit de RTE, entité dont les directives vous imposent de renforcer l'indépendance.

La recherche classique de réduction des charges et d'optimisation de ce nouveau groupe, sous la pression de ses actionnaires majoritaires, risque d'être fatale à la qualité du service, et elle entraînera la suppression de nombreux emplois, comme l'a déjà démontré le rachat de la SNET par Endesa.

Par ailleurs, le nouvel opérateur Suez-GDF affronterait EDF sur son marché domestique, avec, probablement, des conséquences sur l'emploi. Vous tirez des plans sur la comète, puisque vous ignorez ce que la Commission européenne lui imposera – le 19 juin – comme périmètre d'activité à abandonner, et donc d'emplois à fragiliser.

Votre projet est socialement inacceptable pour les usagers du service public. Comme l'a démontré la concomitance de l'annonce avec de nouvelles augmentations des tarifs du gaz, la privatisation de l'opérateur impliquerait d'évidence une plus grande difficulté pour l'État à imposer une modération volontaire des tarifs – comme vous essayez de le faire aujourd’hui – et le maintien d'une péréquation nationale. Gaz de France a d'ailleurs annoncé qu'il visait, pour l'année en cours, un bénéfice supérieur à 2 milliards d'euros, grâce, je cite, « à une hausse des tarifs du gaz reflétant » – soi-disant – « les coûts ».

L'actuel PDG de Suez, rompant avec le silence du Gouvernement, a déclaré le mois dernier qu'il aurait été aux côtés des actionnaires de GDF, autres que l'État, pour exiger une hausse plus importante lors des précédentes négociations. Cela n'augure rien de bon pour le consommateur !

M. Jean Gaubert. Certes non !

M. François Brottes. Ces évolutions auront donc inévitablement des conséquences pour les consommateurs domestiques et professionnels. À tel point que vous avez pris les devants en reportant après les échéances électorales de 2007 la prochaine révision tarifaire : c’est un aveu ! En réalité, vous vous apprêtez à créer, sur le marché du gaz, le même désordre que celui qui affecte déjà l'électricité.

Pour les industriels qui ont fait le choix du marché – soit environ 30 % des entreprises –, le coût de la facture d'électricité a déjà fortement augmenté. Certains gros consommateurs, comme les hôpitaux ou, dans ma circonscription, cette papeterie dont la facture énergétique pèse désormais 15 % des charges fixes au lieu de 7 % il y a quelques mois, se trouvent aujourd'hui dans des situations financières très difficiles.

Pour ceux qui sont restés au tarif régulé, les menaces s'accumulent. L'ouverture totale du marché à la concurrence au 1er juillet 2007 se traduira inévitablement par une augmentation importante des prix, les tarifs régulés venant s'aligner sur les prix du marché. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Cet alignement du prix de l'électricité sur les cours du marché mondial revient à priver les entreprises et les particuliers du bénéfice des choix stratégiques faits par la France depuis quarante ans – Serge Poignant y a fait allusion tout à l’heure. Le développement du parc nucléaire a notamment été justifié par une volonté d'assurer l'indépendance énergétique et une électricité à bas coût. Il permet aujourd'hui de respecter notre engagement en faveur du protocole de Kyoto. Cet avantage comparatif pour les entreprises françaises risque d'être remis en cause et de disparaître après le 1er juillet 2007.

Certes, je l'ai déjà évoqué, les industriels à forte consommation d'électricité peuvent s'organiser en groupement d'achat d'électricité. Mais les conditions d'adhésion au groupement ne bénéficient qu'à certains sites, créant ainsi des risques de distorsion de concurrence, voire de pratique discriminatoire, entre des industriels d’un même secteur.

En toute hypothèse, l'existence du consortium n’atténuera que partiellement les conséquences de la volatilité des prix sur le marché mondial, sans véritable effet sur les risques de délocalisation, notamment dans certains secteurs tels la sidérurgie ou la papeterie.

Pour les familles, la décision prochaine du Gouvernement d'ouvrir le marché de l'électricité aura également une incidence directe sur les tarifs. D’ores et déjà, le contrat de service public signé le 24 octobre 2005 prévoit une hausse correspondant à l'inflation alors que les contrats précédents organisaient une baisse tendancielle. Et vous essayez de nous vendre cela comme une avancée !

Il est indispensable, avant le rendez-vous du 1er juillet 2007, que la représentation nationale soit parfaitement informée sur les conditions de formation des prix sur le marché de l'électricité, sur leurs conséquences pour les entreprises et les particuliers et sur les mécanismes de régulation à mettre en place. C'est pour ces raisons, et parce que vous vous refusez à réclamer une étude d’impact à la Commission européenne, que le groupe socialiste a déposé récemment une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête.

La fusion va augmenter la concentration du marché de détail de l'électricité mais soutiendra aussi l'apparition d'un concurrent plus fort face à EDF. Est-il opportun de mettre en concurrence frontale deux opérateurs publics – même si l’un des deux aura perdu cette qualité – ayant entre eux une très grande culture de collaboration, …

M. Jean Gaubert. Cela ne marchera pas !

M. François Brottes. …notamment à travers les services communs EDF-GDF distribution, services que vous prétendez vouloir maintenir, on ne sait par quel moyen ? Un duopole sera-t-il vraiment plus favorable aux consommateurs qu'un monopole ? Est-ce le moment de déstabiliser EDF sur le marché national alors que l’entreprise s'apprête à réaliser de lourds investissements dans le nucléaire, doit faire face à de lourdes charges – notamment pour le paiement des retraites et en matière de traitement des déchets – et continue à se développer en Europe ?

Si nous combattons votre projet de privatisation de GDF, c’est parce qu’il existe des alternatives susceptibles de garantir aux usagers la pérennité d'un véritable service public de l'énergie.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Lesquelles ?

M. François Brottes. Contrairement à ce que vous affirmez, il y a en effet une réelle différence entre votre approche et la nôtre.

Il faut ici rappeler quelques vérités.

La première directive ouvrant le marché de l'électricité date de 1996 et a été validée par le gouvernement Juppé. Le Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002 avait engagé le Conseil des ministres et le Parlement à adopter dès que possible les propositions concernant la phase finale d'ouverture des marchés énergétiques, de façon à donner à tous les consommateurs européens autres que les ménages le libre choix du fournisseur.

Le gouvernement de Lionel Jospin a donné son accord au compromis en raison de la prise en compte par l'Union des obligations de service public, de la sécurité d'approvisionnement et la mise en place d'organismes de régulation. De plus, le Conseil européen de Barcelone avait demandé à la Commission de consolider et de préciser, dans une proposition de directive-cadre – c'est-à-dire un texte fondateur encadrant ensuite les directives sectorielles – les principes relatifs aux services d'intérêt général.

Mais le 25 novembre 2002, au Conseil des ministres de l'énergie, le gouvernement Raffarin, par la voix de Nicole Fontaine, alors ministre de l'industrie, a entériné – avec zèle – la libéralisation intégrale des marchés du gaz et de l'électricité pour les ménages et la fin du monopole d'EDF, à compter du 1er juillet 2007, ce que nous avions toujours refusé. C'est donc bien un gouvernement de droite qui a donné son accord à la libéralisation totale du marché de l'énergie pour les particuliers. Au Parlement européen, les députés UMP et UDF ont confirmé ce choix et apporté leur soutien à la libéralisation, comme d'ailleurs à tous les autres rapports relatifs aux services publics.

L'énergie est un des défis les plus importants du XXIe siècle, et ce dans le monde entier. Les craintes sur la fin du pétrole sont justifiées, les inquiétudes plus ou moins rationnelles sur le nucléaire prospèrent, l’augmentation des prix de l'énergie handicape nos économies et l'environnement est devenu un sujet majeur de préoccupation. Or, pour faire face à ces défis, la recherche de nouvelles énergies non polluantes, abondantes et renouvelables requiert un volontarisme fort et des investissements qu'aucun État membre ne peut mobiliser individuellement : ce sont donc des questions d'intérêt européen.

On ne peut pas faire confiance aux seules lois du marché. Les pays qui l’ont fait, tels les États-Unis, en ont payé le prix et reviennent sur ce choix. Ne faisons pas le chemin à l'envers !

Nous en sommes persuadés : le libre jeu du marché est insuffisant pour assurer les investissements nécessaires dans le domaine de l'électricité et du gaz. Au contraire, la recherche de dividendes à tout prix par les actionnaires risque de « plomber » toute volonté d’investir.

Nous pensons donc que l'Union Européenne doit jouer pleinement son rôle. Mais comment expliquer aux ménages et aux petites et moyennes entreprises électro-intensives qu’après avoir financé des centrales nucléaires de façon à payer, à terme, l'électricité moins cher, ils devront subir, en raison de l'ouverture des marchés, des prix de l'électricité désormais alignés sur ceux du marché européen, sur la base de l'énergie la plus coûteuse à produire et la plus polluante ?

La Commission européenne ne peut se contenter de mettre en demeure dix-sept États membres au prétexte que leurs tarifs réglementés, très inférieurs aux prix du marché, constitueraient des obstacles à la concurrence et à la création du marché unique. Le 1er juillet 2007 ne doit pas être une échéance incontournable : nous avons l’obligation de réclamer une étude d’impact. Avant toute nouvelle libéralisation du marché, il faut doter l’Union européenne de solides compétences en matière énergétique.

Le marché unique de l'énergie ne peut être fondé seulement sur des principes de concurrence, mais doit répondre à d'autres objectifs – qualité du service, prix, sécurité d'approvisionnement. À terme, il repose sur une régulation réalisée à l'échelle du marché européen, et non pays par pays.

M. Pierre Lellouche. Il a raison.

M. François Brottes. Sur un marché unique ainsi constitué, nous sommes persuadés de la pertinence d'un grand pôle public énergétique qui associerait EDF et GDF. Si la régulation passe à un autre niveau, le débat se pose dans d’autres termes.

Les questions posées par le respect des règles de la concurrence sont largement ouvertes. Aucun argument définitif n'a pu être avancé permettant d'affirmer que le droit communautaire s'opposerait à un pôle public EDF-GDF, pas plus, d'ailleurs, que l’Europe n’a imposé de changer le statut des entreprises publiques, encore moins de les privatiser. Il s'agit là du seul choix de votre majorité.

Ainsi, le rapport remis par François Roussely et Pierre Gadonneix à Nicolas Sarkozy en septembre 2004 concluait que la fusion pourrait être possible au regard de la réglementation européenne et de la jurisprudence de la Commission sur les concentrations.

M. Pierre Lellouche. Eh oui !

M. François Brottes. La plupart des objections avancées à l'époque à l'encontre de ce projet sont d’ailleurs aujourd'hui largement relativisées par les tenants du projet de fusion GDF-Suez.

« Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national […] doit devenir la propriété de la collectivité. » Le neuvième alinéa du préambule de la constitution de 1946 s'applique en l'espèce, comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé le 5 août 2004 : « En maintenant aux sociétés nouvellement créées les missions de service public antérieurement dévolues aux personnes morales de droit public EDF et GDF, le législateur a confirmé leur qualité de services publics nationaux, et a garanti, conformément au préambule de la constitution de 1946, la participation majoritaire de l'État ou d'autres entités publiques dans le capital de ces sociétés. » Telle était la réponse au recours que nous avions formulé. Respectons au moins cette décision !

Une fois de plus, vous allez brader une entreprise publique, bafouer les missions de service public, mais en plus trahir les principes et les valeurs de notre loi fondamentale.

Pour toutes ces raisons, et pour beaucoup d'autres, nous refusons la privatisation de Gaz de France. L'urgence n'est pas de jouer au Monopoly avec nos entreprises publiques de l'énergie.

M. François-Michel Gonnot. L’urgence est de ne rien faire !

M. François Brottes. L'urgence est de disposer d’une énergie accessible à tous et respectueuse de l'environnement. La hausse des prix de l’énergie, souvent bien plus forte chez nous qu'ailleurs – en particulier en Amérique du Nord – ne doit pas empêcher les familles de se chauffer l'hiver ni affecter la compétitivité des entreprises. Les socialistes feront tout pour dénoncer votre funeste projet et s’opposer à sa mise en œuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François-Michel Gonnot. Quel conservatisme !

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, porte-parole du groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. L’UDF, groupe minoritaire, dispose rarement d’un tel temps de parole : vingt minutes ! N’étant pas spécialiste de cette distance, je demande votre indulgence. (Sourires.)

Le Gouvernement a pris l'initiative d'organiser un débat sur la politique énergétique de la France. Pourquoi pas ? Mais il nous semblait, à l'UDF, avoir travaillé sur ce sujet lors de la loi d'orientation sur l'énergie de 2004. Le contexte a-t-il significativement changé depuis ? La réponse est non, même si des événements significatifs comme le bras de fer entre la Russie et l'Ukraine en matière d'approvisionnement en gaz naturel ont pu éclairer le diagnostic que nous avions fait alors.

La vérité est que le Gouvernement organise ce débat pour prendre le pouls et la température du Parlement avant d’entrer dans le vif du sujet : le projet de fusion GDF-Suez et la fin de la transposition des directives sur l'ouverture à la concurrence des marchés électriques et gaziers. Alors, autant le dire, monsieur le ministre : nous sommes en face d'un problème majeur de politique industrielle et de service global rendu aux usagers. Et pour que la décision finale aille dans le sens de l'intérêt national, vous n'avez pas tort de vous donner du temps – à la condition expresse, toutefois, que ce débat contribue réellement à nourrir la réflexion, …

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Bien sûr !

M. Jean Dionis du Séjour. …et ne relève pas de l'alibi, ou de l'accompagnement psychologique de députés encore meurtris par une expérience récente…

Quelle est la position de l’UDF ? Au niveau mondial, le diagnostic est maintenant connu et partagé : épuisement prévisible des réserves en hydrocarbures, croissance mondiale élevée, de 5 % par an, combinée à une offre déclinante et dont les coûts d’exploitation marginaux explosent. Nous sommes sans doute définitivement entrés dans la période du pétrole, du gaz et, plus généralement des hydrocarbures rares et chers. Il y a là, c'est vrai, les ingrédients d'un véritable tsunami énergétique.

Les enjeux environnementaux liés à nos modes de consommation énergétique sont devenus majeurs. Le réchauffement climatique, en particulier, doit nous obséder : la température de la Terre a augmenté de 0,6 degré en un siècle, et celle de l'Europe de plus de 0,9 degré. On s’attend, pour le siècle à venir, à une augmentation d’au moins 1,5 degré. Je note d’ailleurs qu’à Agen, la température a augmenté de 2 degrés entre 1946 et aujourd’hui. Certaines régions sont donc particulièrement exposées.

Ce contexte nouveau et brutal exige changements et ruptures dans le quotidien. Il appelle une réponse de chacun d’entre nous, pas seulement des organisations ni, bien sûr, du Gouvernement.

Au niveau européen, il convient de saluer la qualité du travail réalisé.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne. Tout à fait !

M. Jean Dionis du Séjour. Le Conseil européen des 23 et 24 mars a mis, à juste titre, la politique énergétique à son ordre du jour et s’est lancé, avec la Commission, dans l’élaboration de cette politique, en un processus qui inclut un livre vert – tout à fait remarquable –, un livre blanc et diverses consultations.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Sans parler du mémorandum présenté par la France !

M. Jean Dionis du Séjour. Il faut lire ces documents et commencer à peser sur les décisions. L'UDF est dans son rôle d'avant-garde européenne lorsqu'elle rappelle à l'Assemblée nationale les directions stratégiques que l'Union entend se donner. Permettez-moi de le faire.

Six domaines prioritaires ont été retenus.

Premièrement, l’énergie doit être au service de la croissance et de l'emploi en Europe, grâce la réalisation des marchés intérieurs européens de l'électricité et du gaz.

Deuxièmement, le marché intérieur doit garantir la sécurité d'approvisionnement en énergie et poser le principe de la solidarité entre les États membres. La France n’est en effet pas insensible à ce qui peut se passer, par exemple, en Ukraine ou en Pologne.

Troisièmement, la sécurité et la compétitivité de l'approvisionnement en énergie passent par un bouquet énergétique plus durable, efficace et diversifié.

Quatrièmement, une approche intégrée au niveau européen doit permettre de lutter contre le changement climatique.

Cinquièmement, il faut encourager l'innovation, grâce à un plan européen pour les technologies énergétiques stratégiques.

Sixièmement, enfin, l’Union doit se doter d’une politique extérieure cohérente en matière d'énergie – qu’il s’agisse de diplomatie ou de défense.

Telle est l'étendue du chantier : il nécessite la mobilisation de notre diplomatie et même du Gouvernement tout entier ! Voilà des priorités capables de rassembler les peuples européens – à cet égard, je salue le changement d’attitude que traduit l’intervention du groupe communiste et républicain – …

M. Daniel Paul. Vous n’aviez sans doute pas bien écouté avant !

M. Jean Dionis du Séjour. …et de permettre de sortir par le haut de la crise larvée dans laquelle le « non » au référendum nous a plongés.

Et tant que nous sommes au niveau européen, constatons les grandes tendances industrielles sur ce secteur d'activité : émergence d'énergéticiens offrant à leurs clients une offre complète comprenant le gaz et l’électricité ; concentration croissante sur des activités très capitalistiques ; européanisation des acteurs. Ces points de repère nous seront en effet utiles dans le débat sur la fusion Suez-GDF.

Au niveau national, enfin, lors du débat sur la loi d'orientation sur l'énergie, l’UDF avait insisté sur un certain nombre d'enjeux majeurs qui restent toujours valables deux ans après. La santé humaine doit être un objectif de notre politique énergétique nationale : nous ne pouvons pas penser « énergie » sans penser « impact sur la santé humaine ».

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Bien sûr, vous avez tout à fait raison !

M. Jean Dionis du Séjour. Par exemple, les conséquences des gaz d’échappement des automobiles en ville sur certains cancers sont maintenant établies.

Nous devons mettre en place une nouvelle gouvernance énergétique : l'action publique dans le domaine énergétique doit s’exercer sur le long terme. La France a engagé sa parole en signant le protocole de Kyoto, à l’horizon 2050 ; elle s’est encore engagée à porter la part des énergies renouvelables à 21 % en 2010 et celle des biocarburants à 5,75 % d'incorporation non plus en 2010, mais en 2008.

Alors, en conscience, permettez-moi de citer un grand penseur du Lot-et-Garonne, Francis Cabrel (Sourires) : une question doit nous obséder : est-ce que ce monde est sérieux ? Avons-nous décidé d'être sérieux avec la parole de la France ? Avons-nous décidé d'être sérieux en matière énergétique et environnementale ? Si oui, ce que nous espérons de toutes nos forces, il nous faut une planification à long terme détaillant le chemin à emprunter pour honorer nos engagements internationaux. Où est-elle aujourd'hui ? Il nous faut une articulation entre cette planification à long terme et notre gestion budgétaire annuelle. Où est-elle aujourd'hui ? Il nous faut, enfin, un contrôle parlementaire sur le respect de la parole donnée de notre pays en matière énergétique et environnementale. Où est-il aujourd'hui ?

L'UDF – et je reconnais que nos propositions ne sont pas bouclées – suggère un dispositif plus ambitieux et lisible : instaurons une véritable loi de financement de l'énergie qui donne vraiment au Parlement les moyens de maîtriser, à travers la fiscalité, la production et la consommation d'énergie et d'engager un vrai programme d'économies et de développement des énergies renouvelables. C'est dans cet esprit que le gouvernement Juppé avait, par exemple, créé les lois de financement de la sécurité sociale et c'est dans cet esprit que nous serons amenés, un jour, à revoir notre outil législatif dans le domaine stratégique de l’énergie.

Toujours en matière de nouvelle gouvernance énergétique, le groupe UDF veut saisir cette occasion pour défendre l'exigence d'un véritable régulateur du secteur de l'énergie. Vos propos devant la commission des finances nous ont d’ailleurs rassurés, monsieur le ministre de l’énergie. Mais, s'il y a projet de loi, nous déposerons à nouveau la série d'amendements renforçant les pouvoirs de contrôle et d'intervention de la Commission de régulation de l’énergie.

M. Charles de Courson. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. J'espère néanmoins pouvoir vous convaincre, monsieur le ministre ! Votre position en commission des finances est un bon début. Nous verrons après ! La route est longue !

J’en viens à la politique de développement de l'énergie nucléaire, domaine dans lequel, il est vrai, l’UDF a fait entendre une petite musique différente. Qu’avons-nous dit ? Nous avons beaucoup parlé de l’EPR. Pour l'UDF, il aurait fallu commencer par calibrer la demande énergétique en fixant un objectif très ambitieux de réduction de l'intensité énergétique finale. À partir de cette expression des besoins, nous aurions pu débattre du véritable bouquet énergétique voulu par la nation en distribuant les rôles entre production nucléaire, place des énergies fossiles et énergies renouvelables. C'est pourquoi si nous avons approuvé la construction d'un démonstrateur EPR, qui servira de solution de remplacement d'ici à 2015, nous pensons que la question de fond concernant la filière électronucléaire française n'a pas encore trouvé sa réponse. Cette question très simple est devant nous. Combien de centrales nucléaires devrons-nous reconstruire pour remplacer le parc actuel et satisfaire aux besoins énergétiques de la nation et pour quelle puissance de production ? Il faudra, un jour, au-delà du symbole quasiment sacré qu’est maintenant devenu l’EPR, nous pencher sur cette question.

M. François-Michel Gonnot. Nous avons rendez-vous en 2020 !

M. Daniel Paul. Nous serons là !

M. Jean Dionis du Séjour. Pour notre part, nous reconnaissons le rôle positif et central du nucléaire dans l'offre énergétique française, mais nous sommes opposés, a priori, à un renouvellement à l'identique de notre parc nucléaire. Pour obtenir une réelle diversification du bouquet énergétique français, nous devons nous fixer une règle simple : la production d’électricité nucléaire doit être recentrée là où elle est imbattable, c’est-à-dire à la base de notre demande énergétique. Le gaz naturel et les énergies renouvelables doivent monter en puissance pour satisfaire les besoins exprimés en semi-base et en pointe.

Quatrièmement, qu’en est-il de la place à donner aux énergies renouvelables ? Osons dire clairement que les mesures prises jusqu'à ce jour, si elles vont dans le bon sens, sont insuffisantes et manquent d'efficacité.

Parmi les énergies alternatives, permettez-moi de m’arrêter sur ce qui est une spécialité de l’UDF : celle des biocarburants. Depuis de nombreuses années, notamment avec mes collègues que je salue ici, Charles de Courson et Stéphane Demilly, président du groupe parlementaire sur les biocarburants, l'UDF s'est investie et nous nous battons pour que soit donné à cette filière tout le soutien dont elle a besoin. Les objectifs affichés, les annonces faites sont ambitieuses, mais les actes suivent difficilement. Loi après loi, PLF après PLF, nous avons toujours fait un certain nombre de propositions très concrètes et très pragmatiques pour le développement de cette filière : la TGAP sur les biocarburants dont nous sommes à l'origine n'a été qu'une étape. Il s'agit maintenant d'aider les producteurs à être compétitifs, d'inciter les consommateurs à préférer les biocarburants. Il faut agir sur tous les maillons de la chaîne. Chaque année, nous proposons des mesures ambitieuses pour certaines comme des avantages fiscaux pour les véhicules « flex-fuel » ou encore celle de l'aide fiscale à l'incorporation de biocarburants.

J’ai personnellement vivement défendu, notamment dans le cadre de la loi d’orientation agricole, les huiles végétales pures. Je me suis beaucoup battu pour que cette filière soit reconnue comme un biocarburant à part entière en France…

M. Daniel Paul. C’est vrai !

M. Jean Dionis du Séjour. …comme elle l’est par l’Union européenne. Monsieur le ministre, pourquoi son utilisation est-elle restreinte aux seuls agriculteurs ? Je voudrais vous appeler, sur ce sujet, à l’audace. Les raisons évoquées, qu'elles soient techniques, juridiques, écologiques ou énergétiques, ne sont tout simplement pas valables. Les blocages sont toujours là. C’est pourquoi l’UDF a réclamé la constitution d’une commission d’enquête sur ce sujet. Notre retard s’accumule, la distance grandit entre nous et nos voisins, malgré notre bonne volonté. Nous sommes maintenant tellement loin derrière l'Allemagne, l'Angleterre, les pays nordiques, le Brésil, les États-Unis. Nous devons nous mobiliser sur cette question.

Dernier point, avant d’en arriver à la fusion de GDF et de Suez, il faut ériger les économies d'énergies dans le secteur du logement ancien en priorité nationale. Nous avons, en la matière, manqué l’opportunité que nous offrait la loi d’orientation sur l’énergie. Environ 400 000 logements sont réhabilités chaque année. Nous aurions dû, pour cette réhabilitation du parc ancien, prendre des mesures extrêmement audacieuses.

M. Daniel Paul. Très juste !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous ne l’avons pas fait, mais il n’est pas encore trop tard, monsieur le ministre !

Voilà pour le contexte, venons-en au cœur du débat : la fusion Suez-Gaz de France.

Monsieur le ministre, vous souhaitez tâter le pouls de la représentation nationale quant à ce projet de fusion. Sachez qu'à l'UDF, nous sommes extrêmement prudents, j’allais dire « prudentissimes », sur ce sujet. Nous n'avons pas arrêté notre position : nous prendrons le temps d'écouter tous les acteurs socioprofessionnels concernés et d'instruire très précisément tous les scénarios possibles. Je ferai un bref clin d'œil amical à M. Prodi, Chef d’État que je salue, en voyage diplomatique et énergétique actuellement en France. Il a insisté – et cela vaut son pesant d’or – sur la nécessité d’avoir des règles de marché équilibrées, symétriques et ouvertes. En pensant à lui, je voudrais dire : sur Suez-GDF, plus qu'ailleurs, « chi va piano, va sano » Nous avons ici ce débat, c'est un bon début !

Commençons par un commentaire désagréable sur la forme, monsieur le ministre, mais que nous sommes obligés de faire. L’annonce de ce projet depuis Matignon en présence de MM. Cirelli et Mestrallet, n’était pas heureuse. Elle avait un petit parfum 1960, un petit parfum tout de même archaïque.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Qu’avez-vous contre 1960 ? C’était de Gaulle en 1960 !

M. Jean Dionis du Séjour. Je n’ai rien contre 1960, mais nous sommes en 2006, monsieur le président !

M. Charles de Courson. Les temps ont changé !

M. Jean Dionis du Séjour. Les temps ont, en effet, changé. Cette annonce n’était pas heureuse, nous tenions à vous le dire, mais ce n’est pas l’essentiel.

Pour nous, cette fusion doit être envisagée sans passion. Votre argumentaire a été fort. Vous nous avez dit qu’elle répondrait à une logique industrielle, qu’elle permettrait la naissance du deuxième groupe mondial d'électricité et de gaz. Cela paraît donc comme un choix possible pour la France et, au-delà, pour l’Europe. Mais il faut aller au-delà de ce scénario positif. L’UDF vous pose cinq questions et attend de vous, monsieur le ministre, des réponses précises.

Première question : peut-on laisser le « patriotisme économique » guider nos choix en matière de politique énergétique et même économique ? Pourquoi ne pas se battre pour garder nos centres de décisions en France ? Je ne suis pas, pour ma part, de ceux qui écartent forcément ce concept. Vous avez ouvert là un véritable débat.

M. Charles de Courson. C’est vrai !

M. Jean Dionis du Séjour. Ce projet de fusion est en effet moins un véritable choix stratégique de politique énergétique qu'une « pilule anti-OPA » destinée à contrer l'offre d'Enel sur Suez et ainsi à rassurer les Français qui voient dans le patriotisme économique une réponse à la mondialisation sauvage. Est-il vraiment positif d'agir en « réaction contre », en « refus de » ? Réfléchissons à l’image que nous donnons à nos voisins européens ! Le patriotisme ne doit pas être synonyme de défiance ou de rejet. Comment peut-on justifier que la France, en 2004, soit le premier pays européen à prendre des participations dans des entreprises européennes tout en refusant les mêmes procédés lorsqu'il s'agit de nos entreprises ? M. Prodi avait raison en disant, hier, que la France devait mettre un peu de cohérence dans sa position.

M. Charles de Courson. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Je cite M. Prodi : « Elle ne peut pas souhaiter avoir 20 % du marché italien d'électricité contrôlé par EDF, grâce au rachat par EDF du groupe Edisson, et bloquer toute participation d'Enel dans les marchés français correspondants. »

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. On ne l’a pas fait : Enel est présent en France !

M. Jean Dionis du Séjour. Vous me répondrez, monsieur le ministre !

Je cite mon collègue, Charles-Amédée de Courson, qui a souvent raison :…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pas toujours !

M. Jean Dionis du Séjour. …« Pour moi, bâtir une politique industrielle sur le principe du patriotisme économique est une plaisanterie. Aujourd'hui la meilleure façon de défendre les intérêts des salariés et des consommateurs français, c'est de créer des champions européens, comme nous l'avons fait avec Airbus. » Il y a là un vrai débat. Nous aimerions que vous nous répondiez.

Deuxième question : si cette fusion peut se justifier – je parle d’une fusion d’un énergéticien gaz et électricité costaud ; et j'ai moi-même cité l'émergence de nouveaux acteurs énergéticiens à dimension européenne et à offre énergétique complète –, n'aurait-il pas été plus évident encore d'opérer un rapprochement avec EDF, partenaire historique de GDF ? Je vous ai entendu, monsieur le ministre, nous dire que ce scénario était une chimère.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Hélas !

M. Jean Dionis du Séjour. Il faut nous le prouver. Les Allemands, c’est vrai – les socialistes l’ont dit, et il faut les entendre –, ont réussi, certes pas à la même époque, un tel rapprochement entre Ruhrgas et EON ? Pourquoi pas nous ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. On va vous dire pourquoi ! Il y a des raisons !

M. Jean Dionis du Séjour. Je vous entends, monsieur le président, mais je pose des questions au nom de l’UDF.

On nous dit, et vous nous l’avez dit, monsieur le ministre, que les temps ont changé, que la Commission européenne, devant le poids d'un tel acteur sur les marchés français de gaz et d'électricité nous imposerait des cessions d'actifs importantes. Certes, mais avons-nous seulement étudié ce scénario et pourquoi n'a-t-il pas été présenté à la représentation nationale ? Or ce scénario présente d'énormes avantages, y compris en ce qui concerne la maîtrise du capital d'EDF et la maîtrise des tarifs d'électricité. L'UDF vous demande, monsieur le ministre, de mettre à disposition de la représentation nationale le scénario EDF-GDF. Nous en débattrons en conséquence.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Parlez-en à Bruxelles !

M. Jean Dionis du Séjour. Même si on s’est prononcé à Bruxelles, entrons dans le débat !

Quitte à pratiquer le patriotisme économique, autant mener la logique à son terme. Quid de l'esprit des deux entreprises ? Cette question n'est pas sans importance.

La troisième question a d’ailleurs déjà été posée. Nous ne sommes pas, sur ce sujet, aussi violents qu’ont pu l’être nos collègues socialistes. Il est vrai que se pose un problème de méthodologie. M. Sarkozy en 2004, avait promis de conserver la part de l'État dans les deux entreprises, EDF et GDF, au-dessus de 70 % Dans le projet qui s'annonce, on ne devrait pas dépasser les 40 %, suffisants pour la minorité de blocage réclamée par mon collègue Serge Poignant. Nous ne pouvons, encore une fois, que souligner votre changement de position. Nous n’y sommes pas forcément opposés. Nous aimerions tout de même obtenir une réponse claire : quels sont aujourd'hui votre chemin et votre calendrier pour lever ce blocage législatif ?

Quatrième question : le « casse-tête » institutionnel. Ainsi, selon le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » Si le texte est très clair, quelles sont les conséquences du respect de la Constitution sur la modification des actifs de GDF et de ses compétences ? Les choses sont-elles aussi nettes que cela du point de vue constitutionnel ?

Cinquième question : quelle est la position de la Commission européenne à l’égard de la fusion GDF-Suez ? L’Europe est très chatouilleuse lorsqu’on parle de concurrence. Quelles contreparties sera-t-elle amenée à demander afin que le nouvel ensemble qu’elle va engendrer respecte les principes de la concurrence ?

Le vrai problème, vous l’avez dit, monsieur le ministre, ne se situe pas en France mais en Belgique. En effet, le nouveau groupe contrôlerait 90 % des marchés belges de l’électricité et du gaz. Le régulateur belge, la Commission de régulation de l’électricité et du gaz, la CREG, a rendu un avis juridiquement non contraignant mais politiquement difficile à ignorer. Il recommande l’abandon par GDF de ses 25 % dans la SPE, deuxième électricien du royaume, la vente par Suez de Distrigas, sa filiale, à 57 %, de négoce de gaz en Europe, la cession de ses participations, 57,25 %, dans Fluxys – transport du gaz naturel – et Elia – gestionnaire de réseaux haute tension détenu à 27,45 % – ainsi que de sept réacteurs nucléaires exploités par Electrabel. Cela fait tout de même beaucoup. Confirmez-vous que telles seront les contreparties ? Dans ces conditions, le jeu en vaut-il la chandelle ?

Enfin, sixième question : nous voulons que vous soyez extrêmement précis sur les conséquences statutaires et sociales de la fusion. Que vont devenir les 56 000 salariés d’EDF et GDF qui travaillent aujourd’hui ensemble dans le secteur de la distribution ?

Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous répondre de façon détaillée sur ces six questions.

Dernier point, la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité. C’est dans la directive. À l’UDF, nous sommes favorables à la construction du marché intérieur européen. Nous n’allons donc pas vous reprocher d’aller jusqu’au bout de la directive.

Afin d’apporter des garanties, le Gouvernement a envisagé un certain nombre de garde-fous. Vous avez parlé de tarifs réglementés inférieurs aux prix du marché, de la création d’un « tarif social gaz », de réversibilité dans certains cas.

Dans la mesure où le Gouvernement a annoncé le gel des prix du gaz jusqu’en juillet 2007 et où il a contraint EDF à s’engager à ne pas augmenter ses tarifs au-delà de l’inflation dans les cinq prochaines années, les particuliers n’auront sans doute aucun intérêt à faire le choix de la concurrence.

M. François Brottes. C’est lucide !

M. Jean Dionis du Séjour. Notre question est donc très simple, monsieur le ministre : pouvez-vous nous dire exactement ce qu’il y a dans la deuxième partie du projet de loi. Notre demande me semble relever du minimum syndical.

En conclusion, pour l’UDF, l’énergie n’est pas un secteur d’activité comme les autres. Les enjeux et les risques pour la nation sont énormes. Face aux turbulences majeures qui s’annoncent à l’horizon, soyons à la hauteur du changement d’époque que nous allons vivre. Le débat est ouvert et c’est pourquoi l’examen d’un tel projet est légitime.

Ces enjeux concernent tous les Français et, osons le dire, tous les Européens. Face à un tel défi, ils peuvent se mobiliser très positivement. À nous de ne pas recommencer des erreurs récentes, à nous de prendre le temps de faire de ce débat un vrai temps fort démocratique.

M. Charles de Courson et M. François Dosé. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat présente un caractère particulier alors qu’est envisagée la discussion prochaine d’un projet de loi relatif au secteur énergétique. Ce projet viendra conclure le travail législatif particulièrement riche conduit par les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin depuis quatre ans.

Je ne vais pas revenir sur le travail réalisé, qu’a très bien développé Serge Poignant, qui était le rapporteur de la loi d’orientation sur l’énergie, mais je tiens toutefois à insister sur quatre chantiers prioritaires de la politique énergétique :

La relance de notre nucléaire pour préparer le renouvellement du parc existant, avec la décision courageuse de construire l’EPR à Flamanville, ce qui nous met en bonne position pour renforcer notre spécificité nucléaire ;

Les économies d’énergie avec la mise en place du système des certificats blancs qui va enfin entrer en application ;

La promotion des énergies renouvelables thermiques, comme les chauffe-eau solaires et le bois, avec le renforcement massif du crédit d’impôt, ce qui est déjà un progrès considérable ;

Enfin, le développement des biocarburants, pour lesquels nous avons fixé des objectifs ambitieux, en dernier lieu dans la loi d’orientation agricole, et dont la production décolle enfin.

M. François Brottes. On l’a fait d’abord dans l’intérêt de l’agriculture !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous avons mis en place une politique énergique pour développer les biocarburants. Alors qu’entre 1997 et 2002, en cinq ans, la production française de biocarburants n’avait augmenté que de 75 000 tonnes d’équivalent pétrole, de 2002 à 2005, en trois ans, elle a progressé de 113 000 tonnes d’équivalent pétrole, soit 50 % de plus en presque deux fois moins de temps. Voilà un bon résultat, qui traduit la détermination de notre majorité.

M. François Brottes. À côté de nos voisins, c’est ridicule !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Le travail accompli en quatre ans en matière de politique énergétique a donc été considérable, et il y a tout lieu d’en être fier.

Nous pouvons aujourd’hui franchir une nouvelle étape avec le projet de fusion de Gaz de France et de Suez présenté par le Gouvernement.

Abordons le débat objectivement. J’exprime un avis personnel, certes, mais il est largement partagé au sein de la commission des affaires économiques et, je le sais, au sein du groupe UMP.

Ce projet est d’abord et avant tout un projet industriel nécessaire pour le développement de Gaz de France, dont l’ensemble des consommateurs français bénéficieront.

Pourquoi est-il nécessaire ? Parce que nous assistons aujourd’hui à un mouvement européen de concentration dans le secteur de l’énergie et à une convergence entre le secteur électrique et le secteur gazier.

Dans ce contexte, Gaz de France est une entreprise qui manque de moyens de production d’électricité, qui n’a pas la taille critique au regard des autres énergéticiens avec un chiffre d’affaires d’environ 20 milliards d’euros par an alors que celui d’EON ou de RWE dépasse les 40 milliards d’euros. Voilà la réalité européenne à laquelle nous sommes confrontés, sur laquelle il faut ouvrir les yeux, monsieur Brottes.

M. François Brottes. Mais sans œillères !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Gaz de France risque donc de ne pas pouvoir proposer d’offres compétitives à ses clients désireux de s’alimenter en gaz et en électricité auprès du même fournisseur, et manque de moyens pour se développer dans l’amont gazier, secteur qui nécessite des investissements considérables.

Selon vous, monsieur Brottes, une solution aurait été la fusion d’EDF et de Gaz de France. Elle n’aurait eu que des avantages si elle avait été réalisée lorsqu’elle était possible, c’est-à-dire lorsque vous étiez au pouvoir.

M. François Brottes. Elle était possible en 2004 !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Non !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. À l’époque, en effet, ces entreprises réalisaient plus des deux tiers de leur chiffre d’affaires en France et leur fusion n’aurait pas été soumise au contrôle des concentrations de la Commission européenne. Aujourd’hui, les deux entreprises se sont développées au niveau européen, et les contreparties qu’exigerait la Commission seraient insupportables.

M. François Brottes. Lesquelles ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il faut le dire, parce que c’est la vérité. C’est pourquoi cette option n’est plus possible, et le seul autre électricien français pouvant fusionner avec Gaz de France est Suez.

La fusion de ces deux entreprises est donc dans l’intérêt de Gaz de France, de ses personnels et de ses actionnaires. Elle est également dans l’intérêt des consommateurs, et je voudrais, mes chers collègues, qu’on comprenne que ce projet est un projet de défense du consommateur.

Aujourd’hui, la France n’a aucune influence sur le prix du gaz sur les marchés internationaux. Or le prix d’achat du gaz est déterminant pour le prix facturé au consommateur, c’est évident. Ce prix d’achat augmente compte tenu de la demande mondiale d’énergie et, surtout, parce qu’il est indexé, chacun le sait, sur le pétrole et que nous n’y pouvons rien.

Dès lors, il y a trois options.

La première, c’est d’accepter la hausse pleine et entière des prix pour les ménages, ce que vous avez fait en 2000 et 2001, au cours de la précédente législature, messieurs les élus de la gauche, en augmentant les tarifs de 30 %. Ce n’est pas ce que je souhaite.

La deuxième, c’est que Gaz de France vende à perte, et on va finir par y arriver, ou que la consommation de gaz soit subventionnée par les contribuables. Ce n’est pas non plus notre souhait.

Enfin, la troisième, c’est d’essayer de peser sur les prix internationaux pour limiter autant que possible la hausse pour le consommateur. C’est la solution que nous souhaitons.

En effet, si Suez et Gaz de France fusionnent, ils seront le premier acheteur européen de gaz naturel avec 20 % du marché. Puisque nous ne pouvons pas jouer sur le prix, vu qu’il est indexé sur celui du pétrole, je ne vois pas d’autre solution que de jouer sur le volume d’achat car, plus on achète en volume, plus le prix est bas. C’est la seule solution pour essayer d’éviter que la hausse du gaz ne soit trop forte et insupportable pour le consommateur.

M. François Brottes. C’est la méthode Coué !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je ne dis pas que ça réglera le problème, ce serait malhonnête, car le prix du gaz va augmenter, mais cette fusion est une bonne chose car elle permettra…

M. Daniel Paul. Permettrait !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …de modérer cette augmentation.

Qui peut proposer une autre formule aussi efficace pour essayer de maîtriser l’évolution des prix du gaz ?

Je suis donc favorable au projet présenté par le Gouvernement, qui répond à une logique industrielle de développement de Gaz de France et à l’intérêt des consommateurs.

Il se trouve que ce projet a été accéléré par la menace d’OPA d’ENEL sur Suez et qu’il permettrait de protéger Suez contre cette OPA.

M. François Brottes. C’est un autre sujet !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Du coup, on entend parfois dire que ce projet serait anti-européen. Je veux revenir un instant sur cet argument.

D’abord, être européen, ce n’est pas forcément être naïf. Un vaste mouvement de concentration est en cours dans le secteur énergétique et de nombreux États comme l’Espagne et, tout dernièrement, l’Autriche essaient de constituer des champions nationaux. Pourtant, ils sont aussi européens que nous. Je ne vois pas pourquoi la France se priverait du moyen de constituer elle aussi un champion national.

Par ailleurs, et cela me paraît essentiel, Enel a indiqué que ce qui l’intéressait, c’étaient les activités énergétiques de Suez. Ce que veut Enel, c’est Electrabel en Belgique, mais pas le secteur de l’eau. Le risque donc, c’est que ce secteur soit vendu par appartements. General Electric a manifesté son intention d’être candidat, les fonds de pension américains aussi.

Moi, je ne souhaite pas voir passer notre eau sous le contrôle de ce type d’acteurs. Nous avons aussi pour le service public de l’eau une tradition française que je souhaite voir respecter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je pense que les collectivités locales qui ont signé des DSP avec les entreprises françaises de l’eau préfèrent qu’elles soient contrôlées par un champion français que par des fonds de pension américains. À mon avis, leur objectif d’avoir un rendement de 15 % par an ne serait pas compatible avec notre volonté de ne pas voir augmenter le tarif de l’eau.

Pour l’ensemble de ces raisons, je suis favorable à ce projet. Je souhaite éviter le démantèlement de Suez. Il y va aussi, messieurs les ministres, de l’intérêt national de la France.

M. François Brottes. Ça, c’est du gaullisme !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. J’entends aussi les partenaires sociaux, j’entends les syndicats qui réagissent, et je comprends leur inquiétude. C’est pourquoi, au nom de la commission des affaires économiques, et avec M. Poignant, je mets quatre conditions pour que ce projet puisse être voté. Certaines garanties, indispensables, ne figurent pas dans le texte. Si vous nous les donnez, messieurs les ministres, vous aurez notre soutien.

Je souhaite, comme première condition, que l’identité de Gaz de France soit préservée : nous n’accepterons pas de voir disparaître la riche culture de cette entreprise, qui est le fruit d’une belle et longue histoire. La fusion doit donc réunir deux égaux de façon paritaire, comme l’ont promis les dirigeants des deux entreprises.

Deuxièmement, je souhaite que soit garantie la pérennité des missions de service public de Gaz de France, et même que celles-ci soient enrichies par la création d’un tarif social du gaz, sur le modèle de ce qui existe pour l’électricité.

M. François Brottes. Vous souhaitez tout et le contraire de tout !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Troisièmement, nous souhaitons le maintien du statut des personnels. Même s’il n’est pas en cause, puisqu’il s’agit d’un statut de branche, il est bon que ce point soit rappelé.

Quatrièmement, il faut assurer un contrôle public efficace de la nouvelle entité, ce qui n’est pas, monsieur Brottes, incompatible ni avec la fusion, que nous souhaitons, ni avec l’évolution future, également souhaitée par la majorité, de Gaz de France et Suez, du moment que la capacité d’intervention de la puissance publique est préservée. Nous souhaitons donc, monsieur le ministre, que le texte précise que l’État conserve 34 % du capital, afin d’assurer l’efficacité de ce contrôle.

M. François Brottes. En 2004, vous mettiez la même emphase à affirmer la nécessité des 70 % !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous souhaitons enfin qu’un mécanisme d’action spécifique, ou golden share – bien que je n’aime pas cette expression –, permette à l’État, dans le respect des règles de l’Union européenne, d’opposer son veto à toute tentative d’OPA sur le futur groupe.

J’en viens à mon dernier point, monsieur le président, car je vous sens impatient : ce texte doit être également, messieurs les ministres, l’occasion de préparer l’ouverture du marché du gaz et de l’électricité en 2007, qui appelle des mesures urgentes. Je ne vois pas ce qu’il y aurait d’antieuropéen à vouloir préserver la spécificité nucléaire française dans la perspective d’un prix européen de l’énergie. On comprend très bien que, dans une Europe où l’énergie nucléaire est pratiquement inexistante, la formation d’un prix européen de l’énergie thermique se fonde sur le prix du pétrole : mais il est tout aussi légitime que nous préservions la spécificité nucléaire que nous devons au général de Gaulle et que ses successeurs ont maintenue, d’autant qu’elle garantit au consommateur français un bas tarif de l’électricité. Il s’agit d’une question de bon sens et de défense de l’intérêt public : aussi longtemps que l’Europe n’aura pas une véritable politique de l’énergie, cette spécificité devra être protégée.

Les entreprises qui achètent leur énergie sur le marché dérégulé depuis quelques mois subissent des augmentations de 60 à 80 %. Nous proposons, pour mettre fin à une situation dont elles souffrent, qu’on puisse examiner la possibilité d’inscrire dans le texte un prix de retour au marché régulé.

Surtout, messieurs les ministres, nous refusons les hausses de tarifs que risquent de subir les particuliers avec la dérégulation totale prévue pour 2007 par la directive, bien que celle-ci soit, je le sais, conforme à vos convictions. Je souhaite dire solennellement dans cet hémicycle que si l’Europe ne révise pas les conditions de mise en œuvre de la directive de 2003, nous aurons alors un problème avec elle. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Et Dieu sait pourtant combien nous sommes européens ! Mais en ce qui concerne l’énergie, nous avons le devoir de faire preuve de la plus grande vigilance. Cela nous impose d’inscrire dans la loi la garantie que les tarifs des particuliers seront mis à l’abri des conséquences fâcheuses de la dérégulation de 2007.

Telles sont les conditions indispensables pour que notre majorité accepte ce texte. Je reconnais qu’il y a des débats au sein de la majorité : il est légitime que certains collègues de l’UMP s’interrogent quant à la pertinence du calendrier retenu.

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est la démocratie !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Qui en vérité ne s’en inquiéterait pas, à quelques jours de la fin de la session parlementaire ? Pour ma part cependant, je suis prêt, à un moment crucial de notre vie politique, à aller jusqu’au bout d’une certaine logique.

Nous sommes, messieurs les ministres, preneurs de toutes les solutions qui permettraient d’aboutir au même projet sur le plan industriel, sous une forme juridique différente. Mais comme je ne vois pas pour le moment de pistes sérieuses à explorer, je suis favorable à ce texte. La voie est étroite, si on veut défendre à la fois le développement de Gaz de France et de Suez, et surtout les intérêts du consommateur.

Je parle avec la modestie de qui n’est pas un expert, mais avec la conviction qu’il faut défendre l’intérêt général, et protéger les consommateurs du risque de subir des hausses de tarifs insupportables. Je sais, messieurs les ministres, combien il est difficile de concilier toutes ces attentes ; mais je sais de façon tout aussi certaine que le pire serait de ne rien faire. Vous êtes, messieurs les ministres, maîtres de votre projet ; vous êtes aussi maîtres de notre temps parlementaire. C’est donc à vous qu’il revient, après nous avoir écoutés, de nous proposer une stratégie courageuse et énergique qui permette la réussite de ce projet industriel et la satisfaction de nos exigences. Rien ne serait pire que de rester immobile : la France a besoin qu’on avance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, je veux d’abord remercier le Gouvernement de nous permettre de débattre des choix difficiles qu’il devra faire.

Je ne reviendrai pas sur les questions d’ordre général, que vous avez, monsieur Poignant, excellemment posées.

M. Alain Gest. Et avec objectivité !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Je veux également préciser que je partage l’effort engagé par le Gouvernement depuis quelques années.

Je veux cependant revenir sur ce qui peut susciter quelques divergences entre nous, c’est-à-dire le projet de fusion entre Gaz de France et Suez. Je ne conteste d’aucune façon la pertinence industrielle d’un tel projet, probablement supérieure à celle d’une alliance avec Enel, au regard du moins des informations dont nous disposons actuellement.

M. Alain Gest. Absolument !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Si j’approuve la détermination du Gouvernement à défendre nos intérêts, je pense cependant qu’il faut prendre le temps de la pédagogie, des auditions publiques et de la recherche de solutions alternatives. En effet, la défense de nos intérêts ne nous impose pas une solution unique, que nous devrions voter en quinze jours, ce qui n’est pas sans risque pour l’avenir. (« C’est ça ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Cela est d’autant plus vrai, messieurs les ministres, qu’un rapport de force favorable vis-à-vis des producteurs de gaz, en ce qui concerne tant le tarif que la sécurité de nos approvisionnements, a plus de chance de s’établir à l’échelon européen qu’au seul échelon national : les difficultés que nous connaissons actuellement avec la Russie le prouvent assez.

Au-delà de ce problème, beaucoup de questions subsistent, qui appellent des précisions. Je ne m’étendrai pas sur le choix de revenir sur l’engagement de conserver dans le public 70 % du capital de GDF : si on peut toujours changer de position, encore faut-il expliquer au pays ce revirement, et le convaincre de son bien-fondé. Quelle garantie avons-nous que la nouvelle entité ne sera pas demain à son tour à la merci d’une OPA ? Pouvez-vous nous assurer que la nouvelle entité ne se limitera pas aux activités énergétiques ? Je partage de ce point de vue les inquiétudes de ceux qui craignent que le nouvel ensemble ne se débarrasse de l’eau dans quelques années.

Comment être certain que les conditions posées par la Belgique et la Commission européenne ne remettront pas en question le projet que nous aurons voté ? Comment l’État – ce sera ma dernière question – pourra-t-il maîtriser les tarifs de l’énergie en ne disposant que de 33 % du capital du nouvel ensemble ?

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Nous étions contre !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Vous savez, messieurs les ministres, qu’il est permis de douter du bon fonctionnement des marchés énergétiques aujourd’hui, alors que l'énergie a été pendant longtemps un des éléments de l'attractivité de la France. D’ailleurs un tarif de l’énergie compétitif, assuré par les efforts nucléaires de notre pays, était l’un des quatre objectifs qui ont été rappelés tout à l’heure.

C’est pourquoi, messieurs les ministres, je suis surpris que ce soit le Parlement, et non le ministère de l’industrie ni celui de l’économie et des finances, qui ait soulevé le problème des conditions léonines imposées par EDF, mais aussi par Suez, à nos entreprises en matière de tarifs de l’énergie, et ceci alors même que nous ne cessons de proclamer la nécessité de défendre nos PMI ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je suis stupéfait de voir que nous proposons sur le marché dérégulé des tarifs de l’énergie supérieurs à ceux de l’Allemagne, de l’Espagne, des États-Unis, de la Finlande, de la Suède, alors que nous disposons d’un potentiel nucléaire qui devrait assurer la compétitivité de notre électricité, et que ces prix ont augmenté de 75 % en cinq ans, et de 48 % en une seule année : presque aucun pays ne pratique des prix plus élevés que ceux de la France.

M. Philippe Auberger. Ce n’est pas de la vente, c’est du racket !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Il me semble que le contrôle gouvernemental a manqué d’efficacité sur ce point.

M. David Habib. Vous avez raison !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Je n’ignore certes pas les contraintes financières qui pèsent sur EDF, du fait notamment du tarif réglementé dont bénéficient les particuliers, et qui pèse sur les prix du marché dérégulé. Ces contraintes pouvaient justifier une augmentation de ces prix de 25 % – il ne faut pas oublier que ces entreprises ont bénéficié pendant deux ans du tarif dérégulé – ; mais entre 25 % et 70 % d’augmentation, il y a quand même une marge, et elle contribue à l’étouffement de certaines entreprises.

Certains faits nous prouvent que le marché de l'électricité n’obéit pas aux règles de la concurrence.

M. Hervé Novelli. Il n’y a pas de concurrence !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. En voici un exemple flagrant : une jeune société, d’ailleurs remarquable…

M. Hervé Novelli. À Vitré ? (Sourires.)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Non : il s’agit d’une société de services installée à Paris, dont les salariés sont essentiellement des femmes. Elle propose aux entreprises qui ont opté pour le prix de marché une fourniture complémentaire d'électricité à un prix très inférieur à celui qui est proposé dans les contrats passés avec leur fournisseur principal. Elle réussit, grâce à une optimisation de ses propres approvisionnements, en termes horaires et géographiques, à réduire la facture d'électricité totale d'un industriel de près de 20 % ! Quand ils s’en sont aperçu, les deux fournisseurs d'électricité déjà évoqués se sont entendus pour introduire dans les contrats de fourniture des clauses d'exclusivité destinées à interdire aux entreprises de bénéficier de telles prestations.

M. Philippe Auberger. Ce sont des clauses abusives ! Il faut saisir le Conseil de la concurrence !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Voilà qui prouve que les conditions d’une véritable concurrence ne sont pas réunies aujourd’hui sur le marché de l’électricité, pas même sur le marché dérégulé.

Une telle situation, qui concerne entre 700 et 800 « grosses PMI » et 30 % du volume de l’électricité, nous incite à nous montrer prudents dans l’avenir, car il s’agit d’un des éléments essentiels de notre stratégie industrielle. Elle appelle deux questions : la réversibilité, qui permet, dans certains pays, de revenir sur le marché régulé, quitte à s’acquitter de pénalités, sera-t-elle accordée à ces entreprises ? Si cette solution n’est pas possible, pourrions-nous au moins, par la négociation, parvenir à un plafonnement des prix, et dans quel délai ? En effet ces entreprises ne pourront pas longtemps survivre avec de tels tarifs.

La situation des électro-intensifs n’est pas non plus satisfaisante. La procédure de l’appel d’offres ne leur permet pas de savoir s’ils devront payer l’électricité vingt-cinq, vingt-sept, ou même quarante euros.

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Je n’ai pas plus que les autres de solution toute faite à un problème aussi difficile. Voilà pourquoi j’estime qu’il faut se donner le temps de la pédagogie qu’exige un sujet aussi difficile, afin qu’on ne nous accuse pas dans quinze jours d’avoir bâclé le débat.

Nous devons aussi prendre le temps d’examiner si des alternatives européennes ne nous offriraient pas de meilleures conditions de compétitivité.

Telles sont, messieurs les ministres, les questions auxquelles je souhaite que vous répondiez. À la différence de certains, je suis persuadé que si, au bout de trois mois, après avoir envisagé toutes les hypothèses, nous n’avons pas dégagé d’autres solutions, nous convaincrons plus facilement nos compatriotes, en particulier de l’opposition, de ne pas s’engager dans l’obstruction. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez aisément que je souhaite traiter de la dimension européenne de ce débat, que d’autres ont d’ailleurs déjà évoquée, en insistant sur la grave crise énergétique que notre continent traverse.

La coupure de gaz de la société russe Gazprom lors du dernier réveillon a réussi là où des décennies de discours sans lendemain sur la nécessité d’une Europe de l’énergie avaient échoué. L’Union européenne a pris conscience de sa vulnérabilité et s’est engagée dans le développement d’une politique extérieure commune de l’énergie qui, je le rappelle, était prévue dans le traité constitutionnel et qui sera évoquée lors du Conseil européen qui se tiendra demain.

Plusieurs conclusions peuvent déjà être tirées du rapport de la Commission européenne et de M. Solana sur l’énergie.

D’abord, l’énergie ne peut pas dépendre seulement des règles du marché et de stratégies d’entreprises autonomes. Un dialogue politique au plus haut niveau est nécessaire avec les pays producteurs et de transit pour sécuriser les approvisionnements à des prix abordables et les investissements de long terme dans des zones instables ou avec des fournisseurs qui se servent du gaz ou du pétrole comme d’une arme politique.

Ensuite, face à un fournisseur russe colossal, mais fragile, qui tente de constituer un oligopole du gaz avec d’autres fournisseurs comme l’Algérie, la division de l’Union européenne est mortelle. L’Union européenne devrait donc parler d’une seule voix pour être efficace.

Aujourd’hui, compte tenu notamment de la réponse qui a été faite à la proposition de traité constitutionnel, l’approche ne peut être qu’intergouvernementale et non communautaire, dans un domaine où l’intégration du marché intérieur de l’énergie est encore limitée. En revanche, il ne faut pas attendre le développement du marché intérieur de l’énergie pour mener une politique extérieure commune.

La négociation du partenariat énergétique avec la Russie va s’engager dans un climat de tensions et d’enchères très élevées. L’Union européenne veut sécuriser son approvisionnement et demande le droit d’acheter directement auprès des producteurs russes indépendants en utilisant le réseau dont Gazprom détient le monopole.

La question est de savoir jusqu’où va une complémentarité mutuellement avantageuse et où commence une interdépendance avec perte de contrôle. Gazprom n’est pas une entreprise comme les autres. Ce n’est pas un État dans l’État russe, mais l’État russe sous sa forme industrielle. Je rappelle que le gouvernement britannique, libéral, a très significativement exprimé l’intention d’adopter une loi spéciale pour empêcher un éventuel achat de Centrica par Gazprom.

La Russie menace de renvoyer ses échanges gaziers vers la Chine, mais tout le système énergétique russe est orienté vers l’Europe et il faudra du temps et de lourds investissements avant de construire un réseau équivalent vers l’Asie.

L’Europe a les moyens d’exercer une influence pour réaliser la perspective d’une communauté de l’énergie. En associant l’Ukraine, l’Algérie, la Turquie et d’autres voisins, elle pourrait constituer le socle d’un grand espace économique et de sécurité paneuropéen et euroméditerranéen.

Dans l’attente de cette véritable politique européenne de l’énergie et devant la menace et les pressions actuelles, il est normal et souhaitable que se constituent de grands groupes de l’énergie, car il en va à la fois de la souveraineté nationale et de l’avenir de l’Europe. C’est ce qui s’est passé avec de nombreuses opérations de fusion-acquisition, comme celles qu’ont menées Suez avec le Belge Tractebel-Electrabel, EDF avec EnBW, EON avec Ruhrgas et Endesa avec EON. Les gouvernements sont tous concernés, comme on l’a vu avec ceux de l’Espagne, de l’Allemagne, du Portugal et de l’Autriche.

Il faut néanmoins aller vers un regroupement concerté et accepté des forces industrielles. Le moins que l’on puisse dire est que l’offensive d’Enel – entreprise certes européenne – contre Suez n’était pas amicale. J’ajoute que les intentions d’Enel n’étaient pas claires, puisque l’objectif principal était de s’emparer des seuls actifs d’Electrabel pour recéder immédiatement l’ensemble des activités liées à l’eau et à l’environnement, auxquelles le président de General Electric a ouvertement indiqué mercredi dernier, lors d’une conférence de presse, s’intéresser très sérieusement.

Ce n’est là ni l’intérêt de la France, ni celui de l’Europe. Au contraire, l’alliance, cette fois amicale et concertée, entre les groupes Suez – qui, je le rappelle, est un groupe franco-belge comptant 11 000 salariés en Belgique et dont le numéro deux est belge – et GDF représenterait une synergie entre la base française et les marchés européens. Le groupe serait ainsi numéro un dans le gaz et numéro deux dans l’électricité sur l’ensemble France-Bénélux, ce qui consoliderait sa position de leader dans le gaz naturel liquéfié et de cinquième énergéticien en Europe centrale et orientale. Ce rapprochement constituerait en outre un pôle autour duquel pourraient s’effectuer d’autres alliances, mais cette fois en position de force.

Une chose est sûre : le choix n’est pas entre faire et ne rien faire. Ne rien faire, ce serait laisser GDF à sa taille actuelle et exposer Suez à des attaques qui ne manqueraient pas de se produire.

Il faut impérativement créer un grand groupe qui pèse sur la scène européenne et mondiale, car la France et l’Europe doivent avoir des acteurs de dimension mondiale dans le secteur de l’énergie pour négocier des prix d’achat, pour assurer l’emploi, le développement des investissements et pour protéger la sécurité d’approvisionnement de l’Europe.

La France a fait en son temps le choix visionnaire de l’énergie nucléaire, que nombre de nos partenaires européens et d’autres pays du monde nous envient aujourd’hui. Alors que le Conseil européen de demain traitera de la politique européenne de l’énergie, la question de l’impulsion de l’énergie nucléaire se pose, et elle se posera partout en Europe, en dépit des réticences fortes qui s’expriment dans certains pays, comme en Allemagne, car l’indépendance de ces pays en dépend.

De la même manière, il nous revient de constituer de grands groupes de taille mondiale. C’est pour nous une responsabilité historique.

Je suis donc favorable au texte qui nous est présenté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, premier orateur inscrit dans le débat.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques mois seulement, nous débattions de l’ouverture du capital de nos deux opérateurs historiques dans le domaine de l’énergie. Votre majorité – la même qu’aujourd’hui – soutenait votre décision de réduire à 70 % la présence de l’État et le ministre de l’économie de l’époque, M. Sarkozy, prenait l’engagement de ne pas descendre au-dessous de ce plancher. Nous avions combattu et nous continuons de dénoncer ces ouvertures de capital qui, loin d’apporter des solutions aux problèmes énergétiques auxquels nos sociétés sont confrontées en matière de production, de tarifs et d’environnement, ne visent et n’aboutissent qu’à intégrer l’énergie dans la jungle des marchés financiers.

Aujourd’hui, vous faites le forcing pour revenir sur cette loi. Après le CPE et le résultat que l’on sait, c’est une nouvelle fuite en avant, contre l’avis, là encore, de tous les acteurs du secteur. Faut-il que vous soyez gêné pour affirmer qu’il s’agit de discuter des orientations générales de la politique énergétique de la France !

Ce qui est réellement en jeu avec le projet de fusion GDF-Suez, c’est la privatisation de GDF, l’État ne gardant que 34 % de participation dans le nouveau groupe ainsi créé, au lieu du minimum de 70 % qui s’impose aujourd’hui pour GDF – et encore certains laissent-ils entendre que ce chiffre pourrait être inférieur à 34 %. On a vu le résultat pour France Télécom !

Ce qui est en jeu, c’est l’existence même d’une entreprise nationale, menacée par la libéralisation, avec pour conséquences de fortes inquiétudes sur la maîtrise et la sécurité de nos approvisionnements. Ce qui est en jeu, c’est la perspective d’augmentations des tarifs pour servir l’augmentation à deux chiffres des dividendes des actionnaires.

Vous avez certes tenté de jouer la carte de la défense des intérêts nationaux en invoquant le « patriotisme économique » au sujet du projet de fusion GDF-Suez.

Ainsi, vous évoquez la menace d’une OPA du groupe italien Enel sur Suez. Certes, la menace a existé. Mais faut-il, pour préserver Suez, accepter la disparition de GDF ? Oui, il faut empêcher le dépeçage de Suez, car on sait ce que cela signifie en termes de perte d’emplois et de savoir-faire, bien réel au sein de cette entreprise. Toutes ces opérations ont pour but de créer plus de valeur pour les actionnaires. Mais ne peut-on imaginer que des acteurs publics, présents ou non dans le capital de Suez, puissent y monter en charge jusqu’à mettre ce groupe à l’abri d’OPA hostiles, y compris pour protéger les activités autres que celles qui sont liées à l’énergie ?

On nous dit aussi que l’opération était dans les têtes depuis longtemps et qu’elle ne serait pas liée à la menace d’OPA, mais correspondrait à un véritable projet industriel aboutissant à développer un acteur puissant dans le domaine de l’énergie – électricité et gaz – ainsi que dans l’environnement, l’eau et les déchets.

Faut-il comprendre que, au moment où M. Sarkozy nous expliquait que l’État ne réduirait jamais à moins de 70 % sa participation au capital de GDF, un petit comité œuvrait déjà, en catimini, à contredire cette affirmation ? Il serait bien naïf de croire que le ministère de l’économie et des finances, représentant de l’État au sein de GDF, n’était pas au courant de cette perspective !

Quant au projet industriel, où sont les intérêts économiques du pays dans l’absorption de Gaz de France par Suez, dotée d’un chiffre d’affaire quasiment équivalent au double de celui de GDF ? En quoi le groupe privé Suez, majoritaire dans le capital du nouveau groupe, serait-il garant des intérêts économiques du pays ? Les exemples offerts par plusieurs grands groupes français qui n’hésitent pas à recourir à des plans sociaux ou à des délocalisations n’abondent pas dans ce sens. Faut-il rappeler le comportement du groupe EADS, issu lui aussi de la fusion d’un groupe public – Aérospatiale – et d’un groupe privé – Matra –, dans la récente affaire de la Sogerma ?

Vous évoquez les synergies et l’absence de concurrence, mais, en réalité, vous taisez le fait que ce nouveau groupe serait en concurrence directe avec EDF, qui n’aurait alors d’autre alternative que de rechercher lui aussi un partenariat, gazier cette fois, enclenchant à son tour un processus modifiant la situation de son capital.

Vous rejetez l’hypothèse d’un rapprochement entre EDF et GDF, pourtant seule solution préservant nos intérêts nationaux – ceux des usagers et ceux des salariés –, au prétexte de contreparties inacceptables. Examinons-les à la lumière de la priorité que nous devons accorder à une maîtrise publique et nationale dans le domaine de l’énergie.

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les actionnaires seraient gagnants. Chez GDF, on annonce, l’année même de la privatisation, une hausse des profits sans précédent, avec une augmentation du dividende de 48 % par rapport à 2004. Qui dit mieux ?

Quant à l’État, il est également gagnant dans cette opération financière, la première ouverture du capital de GDF lui ayant rapporté la modique somme de 2,5 milliards d’euros et celle d’EDF un milliard. Comment admettre que cela soit mis en balance avec les conséquences économiques et sociales de telles évolutions de notre secteur énergétique ? Votre acharnement à imposer à notre pays des réponses libérales, y compris dans un secteur aussi sensible, vous rend aveugle et sourd aux avertissements que vous lancent tous les syndicats, de nombreux acteurs économiques et une partie même de votre majorité.

L’énergie est un bien vital. Source de froid, de lumière et de chaleur, elle permet tout à la fois de se déplacer, de travailler, de se nourrir, de s’éclairer, de se chauffer. De l’accès à l’énergie dépend bien souvent l’accès à la santé, à l’hygiène et à l’éducation. En ce sens, elle est pleinement constitutive du droit au logement et représente un facteur essentiel de cohésion sociale. En outre, elle contribue à la vitalité économique de notre pays et est créatrice d’emplois et de richesses. Elle contribue à l’aménagement du territoire en assurant dans toutes les régions du pays, quelle que soit la densité de peuplement, une présence humaine et économique.

L’énergie a donc pleinement vocation à être un service public, au service de tous et de toutes, répondant réellement aux besoins de la population et contribuant au développement économique des territoires. En livrant à la concurrence et aux intérêts financiers privés cette ressource collective, vous faites fi de l’intérêt général. C’est inacceptable !

Vous niez fermement, bien sûr, le caractère idéologique de ces privatisations. Le maître mot de votre action serait le pragmatisme. Pourtant, vous butez sur les réalités économiques et financières du secteur énergétique. C’est peut-être parce que vous en avez conscience que vous refusez obstinément de dresser un bilan sérieux, détaillé et contradictoire de l’ouverture à la concurrence dans l’énergie, en France comme en Europe. Un tel bilan serait pourtant nécessaire.

Les prix sont bien sûr l’élément le plus visible, qui indique que l’ouverture à la concurrence et la privatisation du secteur sont contradictoires avec l’intérêt du plus grand nombre.

M. Hervé Novelli. Mais non !

M. Daniel Paul. C’est d’ailleurs – et vous le savez fort bien, monsieur Novelli – la crainte des plus libéraux de nos collègues de droite que de voir nos concitoyens prendre soudain conscience d’un lien entre l’ouverture du capital, la concurrence et l’augmentation des prix. Quel risque grave pour vous !

M. Jean Gaubert. C’est vrai !

M. Daniel Paul. Et comptez sur nous pour mettre en évidence cette relation forte !

La facture énergétique de la France a augmenté de 35 % en 2005, alors que la consommation énergétique a, pour sa part, pratiquement stagné.

M. Jean-Pierre Gorges. Il faudrait savoir !

M. Daniel Paul. C'est dans le secteur gazier que les hausses sont les plus fortes : les particuliers ont subi une augmentation de 30 % en dix-huit mois, soit dix fois l'inflation ! Pour les ménages modestes, c'est dramatique ! On nous dit que celles-ci s'expliquent par la hausse des prix des matières premières. Cela mérite examen ! En effet, l'achat du gaz se fait dans le cadre de contrats de long terme, ce qui devrait permettre de sécuriser les approvisionnements et de réduire la dépendance des tarifs aux variations de court terme des prix des matières premières. Observons que ces évolutions n'empêchent pas l'entreprise d'engranger des bénéfices historiques : GDF a ainsi amélioré en 2004 son résultat de 15 %. Quant à l'action, elle se porte bien, merci !

Face à ce constat, comment soutenir que l'organisation capitalistique du secteur énergétique n'est pas source elle-même d'injustices et d'inégalités ?

En ce qui concerne l'électricité, c'est le secteur industriel, déjà ouvert à la concurrence, qui a subi de plein fouet le coût de l'ouverture et la privatisation du secteur : les prix de l'électricité du marché dit « libre » ont cru de 48 % en un an ! Cette situation est telle qu'elle compromet le maintien d'activités et d'emplois dans notre pays. Et chacun, sur tous les bancs, connaît des PME, des PMI, qui avaient pensé que la concurrence était une bonne chose et accepté de passer au tarif dérégulé, et qui se retrouvent, d’une part, étranglées par des donneurs d'ordre qui exigent chaque année, comme auprès des sous-traitants de l’automobile, des baisses de prix, et, d'autre part, écrasées par les hausses de tarifs de l’énergie. Les plus gros industriels en sont même arrivés à s'unir, sous forme de consortium, pour négocier avec les producteurs des tarifs préférentiels. Comment admettre que la France, qui produit avec ses parcs nucléaire et hydroélectrique une électricité à des prix très compétitifs, ait les tarifs dérégulés parmi les plus élevés d'Europe ? L’alignement sur les tarifs gaziers et la recherche du profit, tel est le bilan de vos décisions en matière de politique énergétique pour notre pays !

Alors, face à la fronde, avec la perspective de la libéralisation complète au 1er juillet prochain, vous promettez en réalité… de ne rien faire, tant vous pliez devant les marchés. Il y a certes ceux qui proposent de pouvoir revenir au service régulé – ou presque – en cas d’insatisfaction, mais vous n'ignorez pas que ce tarif régulé est dans le collimateur des libéraux et de la Commission Européenne, et pas uniquement d’elle,…

M. Jean Gaubert. Et de la CRE  !

M. Daniel Paul. …pas plus que vous n’ignorez que votre projet de loi, celui dont voulez que l’on discute dans les prochains jours, prévoit que, pour revenir au tarif réglementé, un particulier devrait déménager !

Mais il n’y a pas que le porte-monnaie des usagers qui fait les frais de l'ouverture à la concurrence et de la privatisation de ce secteur. Rappelons que les entreprises énergétiques se sont lancées dans les logiques de retour rapide sur investissement et dans une gestion plus axée sur les profits de court terme que sur les investissements de long terme. C'est naturellement la règle qui prévaut dans la plupart des secteurs livrés à la concurrence. Ce sont alors des enjeux aussi variés que l'emploi, la sécurité, l'aménagement du territoire, qui en pâtissent, sans parler de la continuité d'approvisionnement. Autant d'éléments au cœur de ce qui devrait être le service public de l'énergie ! Ainsi de nombreuses communes souhaitant être raccordées au réseau de distribution du gaz se voient opposer des refus, les retours sur investissements étant insuffisants en vertu des impératifs de rentabilité.

La sécurité, elle aussi, est en jeu. Les audits réalisés en 2004 sur les installations extérieures ont révélé 6 % de défaillances. Faut-il rappeler la condamnation de GDF à Dijon, suite à un choix de gestion financière qui a coûté la vie à de trop nombreuses personnes ? La pression sur la sécurité ne serait-elle pas accentuée encore par les logiques financières ?

Pour l'électricité, on sait les problèmes qui ont surgi dans différents pays européens, conséquences de la logique de sous-investissement. En France, plusieurs estimations font état des déficits de production qui menacent notre pays. Il manquera, selon RTE – et selon vos propres chiffres, monsieur le ministre –, à l'horizon 2012, plus de 4 000 mégawatts, qui ne pourront être couverts que par l'installation de centres de production thermique à gaz, au fioul ou au charbon. C'est sans doute ce qui motive l'éclosion de tant de projets, émanant de groupes divers – EDF étant d’ailleurs peu présent, sauf évidemment dans le projet de Flamanville.

Je terminerai par les conséquences sociales de cette lame de fond de privatisation du secteur énergétique.

On n'a jamais vu des fusions ou des privatisations entraîner hausse de l'emploi et amélioration des conditions de travail. Les entreprises énergétiques ne dérogent pas à la règle, et, aujourd’hui, 56 000 salariés du secteur de la distribution ont des raisons majeures de s’inquiéter. EDF et GDF se caractérisent, sur les dernières années, par une baisse des investissements dans la formation, par un recours à des salariés intérimaires pour éviter des embauches sous statut, comme ce fut récemment le cas pour les ouvriers de Porcheville ; autant de signes préoccupants. Pour toutes ces raisons, il faut cesser cette fuite en avant libérale dans le secteur énergétique. Elle nous mène dans une impasse lourde de conséquences…

M. Jean-Pierre Gorges. C’est une phobie !

M. Daniel Paul. …pour notre pays, notre économie, nos concitoyens. L'énergie est un enjeu de société fort, avec des implications dans les domaines sociaux, économiques et environnementaux. C'est déjà ce qu'avaient expliqué les responsables de l'État à la Libération. Ils avaient compris qu'il fallait préserver ce secteur des intérêts privés. Vous vous apprêtez à rompre avec cette politique en vendant une partie supplémentaire du patrimoine national constitué depuis 1946, sans débat public avec les usagers, sans entendre ni les protestations des salariés, ni le front uni des syndicats, ni des responsables économiques inquiets devant une évolution qui les fragilise. Vous évoquez la concertation et les soixante et onze questions posées par les organisations syndicales. J’ai vu les questions, mais j’ai vu aussi vos réponses : le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles ne satisfont pas les organisations syndicales en question.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ah non ! Ce n’est pas vrai !

M. Daniel Paul. Vous choisissez aussi d'ignorer le mécontentement des Français devant des évolutions qui les touchent au quotidien. Il est vrai qu'une concertation réelle avec les différents acteurs et les usagers ferait certainement obstacle à votre prétendue politique énergétique, qui se contente, en répondant aux appétits financiers au détriment de l'intérêt des usagers, des salariés et du pays, de suivre aveuglément le dogme de l'efficacité du marché. Vous restez, messieurs les ministres, dans la logique du CPE : pour servir la logique financière, vous vouliez casser le code du travail ; cette fois, au nom de la même logique, vous cassez une entreprise publique ! On ne peut ainsi jouer avec des entreprises chargées d'assurer l'approvisionnement énergétique d'une des principales puissances économiques de la planète ! Soixante ans après la constitution d'un système énergétique public qui a grandement participé à la reconstruction de notre pays, changer deux fois en deux ans les règles fondamentales de fonctionnement de nos entreprises nationales, c'est fragiliser l’entreprise : ce n'est pas acceptable. À tout le moins, si vous persistiez dans vos intentions, une telle question mériterait une consultation par référendum.

Soyez persuadés de notre détermination à nous opposer à votre projet et à faire valoir, qu’elles que soient les circonstances début juillet, d’autres solutions, conformes, elles, à l'importance économique et sociale de l'énergie dans notre société. Oui, nous sommes pour une maîtrise publique sur ce secteur ; oui, nous sommes pour qu’EDF-GDF réuni soit l'outil de l'indépendance énergétique de notre pays ; oui, nous sommes pour extraire cette activité de la domination financière ; oui, nous sommes pour que l'État joue pleinement son rôle dans le domaine de l'énergie ; oui, nous sommes pour une politique européenne de l'énergie, pour des coopérations et pour que chaque pays européen se dote de moyens assurant son autosuffisance. C'est tout cela que nous porterons dans notre opposition à votre fuite en avant et au bradage de notre secteur énergétique que vous voulez imposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Monsieur le président, messieurs les ministres, je voudrais faire une remarque préalable : il ne me paraît pas raisonnable et pas justifié d’entretenir la confusion entre le prix des énergies et la politique industrielle, même si celle-ci est dépendante du prix mondial des énergies et a aussi pour but d’assurer l’indépendance énergétique de notre pays.

Pourtant, il est bien vrai que le prix du gaz – pour parler de ce qui nous occupe à propos de Suez et de Gaz de France – est en hausse forte et constante. C’est une réalité indiscutable : les cours mondiaux du gaz se sont envolés en même temps que ceux du pétrole. Par exemple, en janvier 2002, le prix mondial du gaz à Zeebrugge, sur le marché spot le plus significatif de ce secteur, était de 15 euros le mégawattheure pour les industriels ; il est aujourd’hui de 30 euros. Ça fait 100 % d’augmentation. Ce n’est pas rien ! Il y a tout de même la Commission de régulation de l’énergie, qui est bien obligée de tenir compte de l’augmentation du cours mondial mais qui tend à la lisser, si bien que, pour les industriels, le prix du mégawattheure est régulé à 20 euros au lieu des 30 euros du cours spot. Gaz de France, c’est essentiellement une entreprise qui achète et qui vend du gaz – elle produit très peu. Pour l’achat, elle dépend des cours mondiaux ; pour la vente, elle dépend de la Commission de régulation de l’énergie. Le prix du gaz en France est donc indépendant du statut de Gaz de France (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) : qu’elle soit entreprise nationalisée, entreprise privée, coopérative ou autre, le prix du gaz est totalement indépendant de son statut.

M. François Brottes. Et de la concurrence !

M. Patrick Devedjian. En effet, monsieur Brottes, puisqu’il n’y a pas de concurrence !

M. François Brottes. Et même s’il y en avait !

M. Patrick Devedjian. Il suffit d’ailleurs de dire cela pour comprendre la fragilité de Gaz de France.

M. Jean-Pierre Soisson. Bien sûr !

M. Patrick Devedjian. Une entreprise prisonnière des cours mondiaux pour l’achat et prisonnière des prix établis par une commission de régulation pour la vente, et qui n’a – même si elle en a beaucoup, qu’elle les gère bien et que c’est une entreprise de qualité –…

M. Jean Gaubert. C’est ce que nous disions en 2004 !

M. Patrick Devedjian. …essentiellement que des activités de transport, est donc bien sûr fragile.

M. François Brottes. Et nationale !

M. Patrick Devedjian. C’est la raison pour laquelle il me paraît raisonnable de l’adosser à une entreprise qui soit complémentaire.

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. Patrick Devedjian. J’y viens. Je ne vais pas nier le problème. Beaucoup auraient rêvé que la fusion se fasse avec EDF. (« C’est exact ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est vrai. Industriellement d’ailleurs, c’est une idée qui se défend.

M. Michel Piron. Oui !

M. Patrick Devedjian. Mais juridiquement, c’est impossible.

M. Daniel Paul. C’est vous qui le dites !

M. Patrick Devedjian. Car cela verrouillerait le marché français par un monopole complet, et la réglementation européenne – je ne parle pas de la Commission de Bruxelles – nous l’interdit. Et si, devenus provocateurs, révolutionnaires, nous le faisions malgré cela, Bruxelles nous obligerait, pour installer de la concurrence, à démanteler notre parc nucléaire en vendant une partie de nos centrales nucléaires.

M. François Brottes. Ne jouez pas à nous faire peur !

M. Patrick Devedjian. Êtes-vous prêts à vendre sur le marché des centrales nucléaires d’EDF à des concurrents pour que nous ayons une concurrence ? Je crois donc, quelle que soit la logique industrielle qui justifie le procédé, que c’est impossible. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle était arrivée, et ça n’a pas été contesté, la commission Roulet en 2004.

M. Daniel Paul. Elle n’a jamais montré cela !

M. Patrick Devedjian. Monsieur Paul, elle a envisagé naturellement cette solution, qui allait de soi, et elle l’a bien abandonnée pour les raisons que je viens d’exposer.

Quel est l’intérêt de Suez pour la politique industrielle française ?

D’abord, je voudrais rappeler ici – le débat n’est pas arrivé à son terme, d’autres le diront donc sans doute – que cette entreprise exploite sept réacteurs nucléaires en Belgique…

M. Daniel Paul. Qu’elle va devoir lâcher !

M. Patrick Devedjian. …et détient des droits de tirage sur deux centrales EDF nucléaires en France. À qui voulez-vous abandonner ça ? À qui voulez-vous laisser ça ? Neuf centrales nucléaires sont en cause : à qui les laissez-vous ? C’est tout de même le vrai sujet !

M. François-Michel Gonnot. Très bonne question ! C’est le fond du problème !

M. Patrick Devedjian. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, Suez suscite beaucoup de convoitises, en particulier de la part de pays qui se sont interdit de construire de nouvelles centrales nucléaires sur leur territoire. C’est d’ailleurs très commode d’être écologiste à la maison et nucléaire à l’étranger. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. Belle formule !

M. Patrick Devedjian. C’est ce que font certains !

Ne nous y trompons pas : si l’opération ne se fait pas, Suez ne restera pas seul. Cette entreprise belge – et non française –… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François-Michel Gonnot. Internationale, plutôt.

M. François Brottes. Patrick Ollier a dit et répété que c’était une entreprise française ! Il faut choisir !

M. le président. Veuillez laisser M. Devedjian poursuivre.

M. Patrick Devedjian. Principalement belge, en tout cas. Mais peu importe la nationalité : le fait est qu’elle n’est pas française et que le gouvernement français ne peut avoir de prise sur l’actionnariat de cette société. C’est tout ce que je dis.

M. Jean Gaubert. Nous sommes d’accord sur ce point.

M. Patrick Devedjian. Cette entreprise fera donc l’objet d’une OPA, qu’elle soit amicale ou hostile, et l’on peut d’ores et déjà imaginer, sans être exhaustif, que seront intéressés ENEL – entreprise d’État italienne –, EON ou RWE – entreprises allemandes –, General Electric – entreprise américaine –, ou comme l’a dit Pierre Lequillier, et même si je sais que cela dérange, l’entreprise russe Gazprom. Nul ne peut en effet savoir quels seront les intérêts de l’actionnariat belge !

Si, par malheur – ce que je ne souhaite pas –, Gazprom prend le contrôle de Suez, on cherchera alors avec une loupe ceux qui, dans cet hémicycle, se seront opposés à la constitution d’un nouveau champion mondial français ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Lellouche. En quoi la fusion empêcherait une telle prise de contrôle ? (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. Ça ne l’empêcherait pas !

M. le président. Merci de laisser M. Devedjian conclure.

M. François Brottes. C’est une réunion du groupe de l’UMP ! Nous pouvons vous laisser, si vous le souhaitez ! (Sourires.)

M. Patrick Devedjian. Et pourquoi pas ? Je veux bien répondre à M. Lellouche, d’autant que nous sommes assez nombreux pour tenir les rôles de la majorité et de l’opposition sans vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Devedjian, veuillez poursuivre.

M. Patrick Devedjian. Ce champion mondial français conforterait le leadership de notre pays en matière nucléaire. Comme je l’ai rappelé, neuf centrales sont en jeu, l’entreprise Suez exploitant sept réacteurs en Belgique et ayant un droit de tirage sur deux centrales françaises : il ne serait pas anodin de renoncer à un tel patrimoine.

M. François Brottes. Pourquoi le ministre délégué à l’industrie de 2004 ne s’y est-il pas intéressé ?

M. Patrick Devedjian. J’y viendrai, monsieur Brottes.

Par ailleurs, ce champion industriel assurerait 20 % de la distribution gazière en Europe, ce qui lui permettrait de résister à Gazprom, qui essaie d’imposer sa loi, et de négocier les prix avec les fournisseurs – certes sans attendre de miracle – dans le cadre d’un rapport de force plus favorable.

Ce champion mondial offrirait aussi de larges perspectives d’emploi en France et en Europe. En outre, sans verser dans le patriotisme économique…

M. Jacques Myard. Vous avez tort !

M. Patrick Devedjian. Le patriotisme économique, selon moi, c’est l’attractivité du territoire !

M. Alain Gest. Très bien !

M. Patrick Devedjian. Au reste, cela dit sans « cocorico », il est vrai qu’en fusionnant avec une entreprise française, Suez deviendrait elle-même française.

M. Pierre Lellouche. Tant qu’il n’y a pas d’augmentation de capital !

M. Patrick Devedjian. Cette fusion permettrait aussi, monsieur Paul, d’avoir sur le marché français un deuxième opérateur mondial en matière d’électricité – puisque, avec le gaz, on produit de l’électricité –, tout comme elle permettrait, monsieur Méhaignerie, la concurrence que nous souhaitons pour le marché français.

M. Daniel Paul. Elle permettrait surtout l’augmentation des tarifs !

M. Patrick Devedjian. Cette concurrence est au contraire le meilleur moyen de contenir les prix.

M. François Brottes. Cela reste à prouver !

M. Daniel Paul. C’est tout simplement faux !

M. Patrick Devedjian. Il est bien vrai, monsieur Paul et monsieur Brottes, qu’en 2004 – et je suis bien placé pour le savoir – le Gouvernement avait choisi de maintenir à 70 % la part de l’État dans le capital.

Mais il n’est pas moins vrai, monsieur Brottes, que la mondialisation n’attend pas. En 2004, le baril de pétrole était à 28 dollars ; en 2006, il est monté à 73 dollars. Vous admettrez que la situation a changé.

Je reconnais aussi que nous avons pris des engagements auprès des partenaires sociaux, mais beaucoup d’entre eux se demandent aujourd’hui si ces engagements justifient que nous laissions passer une occasion historique. D’autres partenaires sociaux, ceux de Suez, sont du reste favorables à la fusion avec GDF. C’est notamment le cas, monsieur Paul, de la CGT de Suez. En somme, ce que l’on demande au Parlement, c’est d’arbitrer entre deux fédérations de la CGT ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Gaubert. Cela reste à prouver !

M. Patrick Devedjian. Le progrès est en marche !

Pour conclure, je dirai, comme Nicolas Sarkozy, que tout doit être fait pour trouver, sans être idéologues, un compromis qui rassure tout le monde, et notamment les partenaires sociaux, et qui permette à la France de ne pas, une fois de plus, faire une politique contraire à ses intérêts. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Dosé.

M. François Dosé. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, ce siècle sera assurément marqué – sans préjuger d’autres défis – par trois enjeux majeurs, déjà parfaitement identifiés : les évolutions et les répartitions démographiques ; la gestion des ressources de l’eau ; le réchauffement climatique et la nouvelle donne énergétique.

Collectivités, État-nation et territoires communautaires seront confrontés à ces problématiques – souhaitons qu’elles ne deviennent pas des sujets d’affrontement. L’eau du Golan, le gaz de Russie, le pétrole du Moyen-Orient, sont déjà convoités avec violence et certaines décisions attestent aujourd’hui une volonté de prévenir les conflits. Ainsi, nous savons bien que le choix d’un EPR par les Finlandais ne témoigne pas d’une fascination pour notre filière nucléaire civile – au demeurant excellente –, mais de leur crainte d’un diktat de la Russie, pays fournisseur de leur gaz.

Il est donc juste que le Parlement français aborde régulièrement la problématique énergétique, et l’invitation à en débattre est pertinente.

Mais pourquoi donc, bien que chacun soit conscient de cette ardente et urgente obligation, tant de réticences s’expriment-elles, au sein de tous les groupes parlementaires, du Gouvernement, des entreprises concernées et même de la communauté nationale ? Pourquoi nos tribunes ne sont-elles pas garnies des centaines de personnes auditionnées lors du formidable travail d’investigation mené récemment par une mission d’information pour mieux appréhender les conséquences du changement climatique et suggérer des recommandations, des échéanciers, notamment dans le domaine énergétique ? Pourquoi ? Il ne faut pas être spécialement futé pour le comprendre : ce débat ouvert à seize heures quinze et clos, sans vote, dans la soirée, n’est pas là pour répondre aux vrais enjeux. La « Déclaration du Gouvernement sur la politique énergétique de la France avec débat » est, en l’occurrence, un titre trompeur : la politique énergétique de la France n’est pas l’enjeu du débat. La précipitation et l’opportunité prévalent en effet sur la nécessité et l’urgence de nos obligations globales, sociétales, environnementales, économiques. En réalité, la majorité vérifie cet après-midi la faisabilité politique d’un engagement du Premier ministre : GDF peut-il être privatisé au profit d’une fusion protégeant et favorisant Suez ?

Cette conviction ne témoigne pas d’un excès de défiance à votre égard, messieurs les ministres, mais de trois constats récents : de janvier à juillet 2003, le gouvernement de M. Raffarin initiait, avec raison, des assises décentralisées sur les énergies, mais la réalisation d’un EPR avait été annoncée dès le mois de décembre 2002 par Mme Fontaine. Le 8 octobre 2003, notre collègue Jean Besson publiait un excellent rapport sur la stratégie énergétique de la France, alors que, au mois de septembre – et sans consulter le Parlement –, le Gouvernement prolongeait de dix ans l’amortissement technique et financier de toutes nos centrales civiles. Enfin, au premier semestre 2004, une loi d’orientation sur les énergies tendant à définir notre mix énergétique nous était soumise alors que, sans attendre le vote de notre assemblée, il avait déjà choisi le site de l’EPR.

Que croire, et qui ? Acceptez, monsieur le ministre, la proposition de M. Méhaignerie : avant le dépôt du projet annoncé, examinez avec nous, en commission et d’une manière contradictoire, les avantages et les inconvénients de plusieurs hypothèses – un pôle public, des sociétés mixtes, des regroupements privés, etc.

Au fil des mois, l’Union européenne ébauche une politique énergétique à la hauteur des enjeux – ceux d’une bonne gouvernance des ressources, de l’acheminement, du stockage, de la distribution, et enfin de la consommation –, esquisse des programmes – comme celui sur les biocarburants – et rédige des directives. Tant mieux ! Mais il revient encore au Parlement, au Gouvernement, à l’État-nation, de maîtriser, d’orienter et d’infléchir la politique énergétique. À quoi servirions-nous dans le cas contraire ? Si la démonstration est faite ce soir que l’essentiel du pouvoir appartient désormais aux entreprises, notre rôle disparaît.

Il nous faut donc un diagnostic international, des objectifs clairs, qui ne soient pas seulement économiques et financiers mais aussi sanitaires et environnementaux. Il nous faut des moyens et des méthodes à la hauteur des défis. Faisons confiance, pour cela, à la puissance publique, sans contester pour autant la nécessité de tracer un nouveau périmètre entrepreneurial.

Pensez-vous vraiment, monsieur le ministre, que la privatisation, dans de brefs délais, de Gaz de France, relève de l’intérêt général ? Pensez-vous vraiment qu’elle nous offrira un socle vertueux et efficace pour mener une politique énergétique pertinente à l’échelle de l’Europe ? Pensez-vous vraiment que la nouvelle alliance que vous suggérez offre des garanties pour répondre aux objectifs que nous pouvons partager : l’efficacité économique, la pertinence financière, les solidarités territoriales et sociales, les obligations environnementales, l’indépendance nationale – du moins la suffisance nationale ?

D’autre solutions, dans un premier temps, existent, comme l’alliance entre EDF et GDF. Prouvez-nous, monsieur le ministre, que l’ébauche envisagée représente autre chose qu’une riposte, aux dépens de la nation et de l’État, à une compétition boursière. Prouvez-nous que cette mutation-là ne traduit pas votre soumission aux exigences de la corbeille. Prouvez-nous que les obligations territoriales seront maintenues. Prouvez-nous que les nécessités écologiques et environnementales seront demain mieux respectées. Prouvez-nous que les consommateurs, notamment les plus modestes, ne seront pas sacrifiés au profit des actionnaires. Surtout et enfin, prouvez-nous que cette alliance ne sera pas ensevelie, demain, dans une autre alliance, de type planétaire,…

M. Jean Gaubert. Très juste !

M. François Dosé. …indifférente à la sécurité de notre approvisionnement. Ce que l’on a observé avec Arcelor, dans le domaine de l’acier, est à cet égard inquiétant.

M. Pierre Lellouche. En effet !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Qui a vendu les actions Arcelor ? Le parti socialiste !

M. François Dosé. Sans une argumentation crédible, monsieur le ministre, cette opération ne semble être qu’une conjugaison médiocre entre les intérêts privés de ceux qui n’ont de cesse de fustiger les entreprises publiques – mais qui ne négligent pas d’en tirer profit –…

M. Jean Gaubert. Très bien !

M. François Dosé. …et la volonté de ceux qui, par conviction politique ou idéologie, souhaitent mettre nos fleurons nationaux les plus prestigieux dans les mains du privé.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est faux !

M. François Dosé. Monsieur le ministre, mes chers collègues, ne lâchons pas, ni pour des raisons partiales ou partisanes, ni pour des opportunités de circonstances, des outils économiques performants. Ils identifient l’État nation. Avant l’inéluctable – oui, inéluctable ! – mise en œuvre d’une architecture européenne, EDF et GDF peuvent ensemble contribuer à cette alliance efficace et stratégique…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais comment ?

M. François Dosé. …que nous appelons, que vous appelez de vos vœux. Ensemble, ils sont susceptibles d’être les chefs de file…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ça ne marche pas !

M. François Dosé. …dont les Européens ont besoin dans le marché mondial des énergies.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Comment ? Ce n’est pas possible !

M. François Dosé. Ensemble, ils peuvent encore amortir les chocs énergétiques prévisibles des prochaines décennies. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot.

M. François-Michel Gonnot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, jamais des gouvernements ne se sont autant préoccupés que ceux qui sont aux affaires depuis 2002 des questions énergétiques. Certains nous l’ont reproché. Il n’en reste pas moins vrai que les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin ont, comme aucun autre avant eux, voulu mobiliser le pays ainsi que le Parlement autour des grands enjeux énergétiques.

Aujourd’hui, néanmoins, quatre ans après le début de cette législature, nous avons à trancher le plus rapidement possible trois questions difficiles.

Que faut-il faire pour éviter qu’un prédateur, fût-il italien, ne prenne le contrôle du deuxième électricien français et ne dépèce, au profit de fonds de pensions américains, le pôle environnement de Suez ?

Que faut-il faire pour donner à Gaz de France l’opportunité de sortir de l’impasse stratégique dans laquelle se trouve cette entreprise ?

Que faut-il faire pour éviter aux ménages français le doublement de leurs factures auquel risque de conduire l’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz à partir du 1er juillet 2007 ?

Nous avons écouté les différentes interventions des membres des groupes socialiste et communiste, mais, bien qu’ils aient parlé, cet après midi, pendant soixante-dix minutes en tout, nous n’avons rien entendu.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. François-Michel Gonnot. Pour le groupe socialiste, la solution consiste à ne rien faire…

M. Jean-Claude Lenoir. Comme d’habitude !

M. François-Michel Gonnot. …ni pour Gaz de France, ni pour Suez ; et surtout à ne rien faire quant à l’ouverture des marchés, sinon demander à l’Europe de reporter cette échéance, ce qui est impossible.

Quant au groupe communiste, il n’a fait que suggérer de revenir à la France de 1946 !

Bien sûr, M. Patrick Devedjian, ministre de l’industrie à l’époque, a pu citer tous les dirigeants socialistes, dont certains sont aujourd’hui candidats à l’élection présidentielle, qui ont réclamé, en leur temps, l’ouverture des entreprises publiques EDF et GDF. Il s’est plu à rappeler que M. Dominique Strauss-Kahn a souhaité que l’on descende en dessous de 50 % pour Gaz de France !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. François-Michel Gonnot. Nous voyons bien que le débat, aujourd’hui, est au sein du groupe UMP. Il faut, messieurs les ministres, s’en réjouir, même si ce moment est à traverser avec sérénité, avec franchise aussi. Nous avons accepté qu’il ait fallu quatre mois aux deux entreprises, Suez et Gaz de France, pour se mettre d’accord, et que vous ayez dû réunir, à trente-sept reprises, les partenaires sociaux – comme l’a rappelé tout à l’heure le Premier ministre. Alors admettez que nous disposions de quelques jours pour trouver des réponses à nos questions.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Évidemment !

M. François-Michel Gonnot. Puisqu’il est, encore pour quelques heures sans doute, un peu difficile au groupe UMP de dire unanimement, et avec précision, ce qu’il veut, essayons de dire ce que nous ne voulons pas. Il est clair – tout le monde l’a dit avant moi – que nous ne voulons pas ne rien faire. À l’heure actuelle, nous avons en France un pôle public électricien, et un peu gazier, EDF, qui occupe environ 80 % du marché, conformément à ce que souhaite l’Europe, et à côté, un pôle concurrent, ou du moins un pôle concurrent qui reste à constituer, qui sera privé, et qui sera français ou étranger. Nous préférerions, bien sûr, qu’il demeure français.

Reste à savoir, Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, et Patrick Devedjian l’ont demandé avant moi, si le débat doit s’arrêter aujourd’hui ou si nous avons encore le temps de la réflexion – avec le Gouvernement – avant que ne vienne celui de prendre les décisions.

Beaucoup se demandent si la fusion est la seule solution. Les entreprises nous disent « oui », et elles sont tout de même les mieux placées pour le savoir. « Certainement », nous répond le Gouvernement. Nombreux sont ceux, en tout cas, qui souhaitent que toutes les pistes soient explorées. Autrement dit, messieurs les ministres, comme pour l’Europe, y a-t-il un « plan B » ? Soyons clairs : s’il est politiquement impossible de faire accepter par le Parlement la solution de la fusion, il faudra bien, de toute façon, qu’il y ait un « plan B » !

Autre question, l’approche aurait-elle été différente si l’OPA d’Enel avait été amicale ? Enel en France ? Ayons le courage de dire : pourquoi pas ? Si nous voulons qu’EDF et Gaz de France, voire Suez, soient présentes en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en Belgique et ailleurs, il faut accepter l’idée que, un jour ou l’autre, un grand européen s’implante sur le marché français.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. François-Michel Gonnot. Le problème est que nous ne pouvons pas accepter que l’OPA soit inamicale et qu’elle consiste à amener, dans les bagages, des fonds de pensions, voire de grands opérateurs américains, avec pour seule ambition de s’emparer d’un certain nombre d’activités du groupe Suez, dont le président Ollier rappelait qu’elles relevaient, elles aussi, de ces services publics auxquels les Français sont si attachés.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est bien notre crainte, en effet !

M. François-Michel Gonnot. Alors, comment aborder l’échéance de 2007 ? Je suis de ceux – il n’y en avait pas beaucoup ! – qui, depuis près d’un an et demi, réclament que la France fasse un bilan,…

M. François Brottes. Cela figure dans la directive !

M. François-Michel Gonnot. …comme elle en avait exigé un de ses quatorze partenaires au sommet de Barcelone, en 2000, par la voix du Président de la République et du Premier ministre d’alors.

M. Daniel Paul. Très juste !

M. François-Michel Gonnot. Je dois avouer que, personnellement, j’accepte mal les conditions dans lesquelles la Commission européenne procède au bilan de l’ouverture des marchés aux professionnels.

M. François Brottes. Ce n’est pas correct, effectivement !

M. François-Michel Gonnot. Il n’est pas normal que le bilan de l’Union européenne, alors que nous sommes à quelques mois de l’ouverture aux ménages, prenne la forme de papiers bleus envoyés à quatorze pays, dont la France, et de perquisitions dans un certain nombre d’entreprises européennes, notamment françaises.

M. François Brottes. Très bien !

M. Jacques Myard. C’est scandaleux !

M. François-Michel Gonnot. Il fallait un autre bilan, et si l’Europe n’était pas capable de le faire, il aurait fallu que notre pays prenne l’initiative, il y a quelques mois, d’en faire un qui soit pédagogique. Il aurait permis de remettre à plat plus tôt le problème des prix…

M. Daniel Paul. Très juste !

M. François-Michel Gonnot. …et de réfléchir à ces opérations de prédateurs qui cherchent à constituer de grands groupes au niveau européen, dont nous avions tous prédit qu’elles surviendraient, ayant assisté au même phénomène en Allemagne, et les ayant vu se dessiner en Italie et en Espagne. Il était évident que le problème se poserait un jour en France.

Puisque nous ne disposons pas d’un bilan, il nous faut essayer de préparer l’étape suivante. Messieurs les ministres, il est donc essentiel que, dans le projet de loi sur lequel vous travaillez, nous puissions trouver – et adopter – les articles nécessaires pour protéger les consommateurs français des conséquences de l’ouverture de 2007.

Sans doute faudra-t-il être très attentif, le moins libéral et le plus protecteur possible.

M. François Brottes. Sur ce point, nous sommes d’accord !

M. François-Michel Gonnot. Sur tous les bancs de cette assemblée, nous le souhaitons, et nous pourrions parvenir, à cet égard, au consensus nécessaire pour régler politiquement cette question qui nous préoccupe tous, et ce dans les meilleurs délais, peut-être même dans les jours qui viennent.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Très bien !

M. François-Michel Gonnot. S’agissant des prix industriels, les prix libres, s’ils nous posent problème, notamment sur le marché de l’électricité, c’est tout simplement parce que personne ne les surveille. Personne n’a les moyens d’exercer une police des prix.

M. Jérôme Lambert. C’est ça le libéralisme !

M. François-Michel Gonnot. Je regrette que, dans le passé, on ait refusé d’accorder ces moyens à la Commission de régulation de l’énergie, ainsi que certains parmi nous, sur divers bancs, l’avaient souhaité. Si nous devions passer par une étape législative pour préparer l’échéance de 2007, il serait impératif de régler cette question. C’est sur ce point que je voulais terminer mon intervention. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, rarement l’occasion nous est donnée, à nous parlementaires, de porter notre regard sur le très long terme. Or la politique de l’énergie nous oblige à envisager des échéances à plusieurs dizaines d’années : on parle souvent de 2030 ou 2040. C’est, par conséquent, à un véritable exercice de politique que le Gouvernement nous invite aujourd’hui.

Une bonne politique de l’énergie n’a pas besoin d’être de droite, de gauche ou du centre, mais de reposer sur quatre piliers : d’abord, s’assurer de la sécurité de nos approvisionnements ;…

M. Jacques Myard. Bien !

M. Jean-Claude Lenoir. …deuxièmement, garantir nos capacités de production ; troisièmement, protéger les consommateurs ; quatrièmement, soutenir la croissance, ainsi que l’emploi, tant au plan national que dans les entreprises.

À partir de l’énoncé de ces principes, quelles initiatives devons-nous prendre, quelles actions devons-nous mener pour que cette politique soit de qualité ? Nous devons d’abord disposer d’entreprises de taille suffisante, de taille européenne, capables de jouer un vrai rôle, soutenues par un projet industriel, et qui soient en mesure d’aller conquérir des marchés au-delà de l’hexagone.

M. Jérôme Lambert. C’est une révélation !

M. Jean-Claude Lenoir. Les exemples ne manquent pas. EDF est, depuis longtemps, une entreprise européenne qui vend 17 à 18 % de son électricité hors de nos frontières.

Nous avons une autre grande entreprise, celle qui est au cœur du débat d’aujourd’hui : Gaz de France. Nous parlons souvent, mes chers collègues, de Suez, à propos de ce projet de fusion Gaz de France-Suez. J’ai entendu, ce matin encore, quelques personnes expliquer que Gaz de France, entreprise publique, allait au secours de Suez ! Quelle erreur ! Les deux entreprises ont, certes, partie liée ; elles doivent se battre contre les prédateurs, contre les OPA hostiles. Mais la situation de Gaz de France est extrêmement fragile. En effet, qu’est-ce que GDF ? C’est une entreprise dont les actifs sont constitués d’un portefeuille de contrats d’approvisionnement et de fourniture ; entre les deux, il n’y a que des tuyaux.

En réalité, Gaz de France est en charge de la gestion de tuyaux, de transport et de distribution, même si, en effet, c’est dans le cadre d’une filiale organisée par la loi. Or ces tuyaux sont ouverts à ses concurrents et si rien n’est fait, si Gaz de France n’est pas en mesure, demain, de s’adosser à un partenaire industriel de poids, l’entreprise gérera des tuyaux pour le compte de ses concurrents, lesquels profiteront en quelque sorte de ces belles autoroutes réalisées par cette entreprise publique.

M. Hervé Novelli. Quelle ambition !

M. Jean-Claude Lenoir. Le projet, que je soutiens fermement, ne consiste pas, je le rappelle, à privatiser Gaz de France mais à la rendre privatisable. Après l’adoption de la loi de 2004 et sa publication au Journal officiel, il ne s’agissait pas de dire qu’EDF et GDF étaient privatisées à hauteur de 30 % ! Et ce n’est toujours pas le cas. En revanche, nous avions prévu qu’une commission, en l’occurrence la commission Roulet, déterminerait le montant de l’ouverture du capital et les conditions dans lesquelles elle s’opérerait.

Le projet de loi que nous allons rapidement – je l’espère – examiner fera en sorte que les choses se passent conformément à ce qui a été prévu en 2004, à savoir que, effectivement, Gaz de France serait privatisable, mais dans des conditions qui restent à déterminer.

L’entreprise doit être privatisable, mais avec des garanties. Et d’abord, des garanties pour ce qui concerne le service public. Patrick Ollier, avec qui j’en ai beaucoup discuté, partage ma conviction que c’est la loi qui doit le prévoir, ce qu’il a d’ailleurs défendu avec talent, il y a quelques instants. Il suffit, pour cela, de mener la politique qui convient. Il faut également que, dans le cadre de cette privatisation, l’État garde une minorité de blocage qui lui permette d’empêcher toute construction qui ne serait pas conforme à l’intérêt général.

S’agissant des 70 %, en tant que rapporteur du projet en 2004, je rappelle que le sort fait à Gaz de France aurait pu être différent. Nous l’avions même envisagé pendant la discussion puisque nous avons failli dissocier EDF et Gaz de France, et cela n’aurait posé aucun problème, ni ici, ni à l’extérieur. Par conséquent, n’en faisons pas un débat théologique !

Le projet industriel dont il est question – et qui n’est pas, que je sache, dans le projet de loi – sera rendu possible par la privatisation de Gaz de France. Il a le soutien de l’opinion, comme le montre un sondage récent : 54 % de Français y sont favorables, contre 4 % qui y sont hostiles. De plus, le personnel de Suez y est très attaché. J’ai rencontré tout à l’heure aux portes du Palais des représentants de ce personnel qui m’ont confirmé que tous les syndicats, toutes opinions confondues, avaient pris position en faveur de cette opération et demandaient au Parlement de prendre ses responsabilités.

Deuxièmement, cette bonne politique reposant sur quatre piliers suppose des tarifs à la mesure des besoins des entreprises. Ne l’oublions pas, les tarifs doivent permettre les investissements nécessaires. Or, trente-quatre des cinquante-huit des centrales nucléaires françaises devront être renouvelées d’ici à 2030.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Jean-Claude Lenoir. Si les tarifs ne sont pas suffisamment élevés pour investir et entretenir les réseaux de transport et de distribution, nous allons à la catastrophe industrielle ! Le débat, aussi intéressant soit-il, ne doit pas masquer les enjeux. Nous devons prendre nos responsabilités et dire la vérité.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Tout à fait !

M. Jean-Claude Lenoir. Troisièmement, il faut prévoir des garde-fous pour les particuliers.

Vous aviez, messieurs les ministres, confié au Conseil supérieur de l’énergie, que j’ai l’honneur de présider, le soin de mener une réflexion avec l’ensemble des acteurs sur les conditions d’ouverture du marché au 1er juillet 2007. La solution que nous avons envisagée devrait permettre aux particuliers de garder le bénéfice du tarif en jouant sur le couple site-personne : quelqu’un qui déménage ne doit pas être obligé de sortir du tarif. Il existe des solutions « euro-compatibles » de nature à tranquilliser les personnes qui s’inquiètent à juste titre de ce problème.

Nous avons également proposé la nomination d’un médiateur pour l’ensemble du secteur. Les consommateurs doivent être partie prenante pour être les vecteurs d’une communication utile et forte auprès de l’ensemble des clients.

Enfin, nous avons prévu pour le gaz un tarif social qui, aujourd’hui, n’existe pas.

Il reste le problème des prix facturés aux entreprises industrielles. Face aux dysfonctionnements que nous avons tous constatés, nous envisageons de demander à la Commission de régulation de l’énergie d’élargir ses missions et de jouer un rôle de gendarme. Il s’agirait pour elle, non pas de fixer les prix, bien entendu, mais de mettre en place une procédure d’agrément tout en prévoyant des contrats à long terme car le court terme nuit à la stabilité des prix.

Dans la mission que vous m’avez confiée, messieurs les ministres, il était prévu de faire un bilan. Je vous renvoie donc au rapport qui est assez complet et qui est à la disposition de tous. Il suffit de s’y référer pour trouver des renseignements utiles.

Je ne quitterai pas cette tribune sans relever les discours de mes collègues de gauche. Les représentants du groupe des député-e-s communistes et républicains ne nous ont pas surpris, et je ne ferai donc pas de commentaires. En revanche, nos collègues socialistes sont allés un peu loin ! En 2002, M. Jospin, alors Premier ministre, s’est engagé à Barcelone à libéraliser et à ouvrir les marchés de l’énergie. (« Tout à fait ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. Pas pour les ménages !

M. Jean-Claude Lenoir. Les lois que nous avons votées n’étaient destinées qu’à appliquer les réformes engagées par M. Jospin.

M. Jean-Claude Beauchaud et M. François Brottes. Soyez honnêtes !

M. Jean-Claude Lenoir. Et sa démarche était en cohérence avec les projets des dirigeants socialistes de l’époque. Quand ils croyaient encore qu’ils allaient gagner les élections, M. Strauss-Kahn et M. Fabius déclaraient qu’il fallait privatiser et que la part de l’État devait tomber au-dessous de 50 %. Le véritable projet des socialistes consistait à privatiser et EDF et GDF et ils avaient donné leur accord à Barcelone. Aujourd’hui, le parti socialiste propose de « renationaliser » Électricité de France !

M. François-Michel Gonnot. C’est scandaleux !

M. Alain Gest. Quelle catastrophe !

M. Jean-Claude Lenoir. Je veux fustiger votre position, chers collègues de l’opposition, à laquelle je préfère l’attitude responsable de l’UMP qui, sans esquiver le débat, regarde l’avenir avec détermination. Elle sait le poids des responsabilités qui pèse sur ses épaules et qu’elle continuera à assumer bien au-delà du printemps 2007. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, il est plus de vingt heures, heure à laquelle nous devions lever la séance. L’immense majorité d’entre vous souhaite prolonger la séance, mais il reste encore plus d’une heure d’interventions, sans compter la réponse des ministres. J’invite donc les prochains orateurs à respecter, autant que faire se peut, leur temps de parole.

La parole est à M. Jacques Masdeu-Arus.

M. Jacques Masdeu-Arus. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat auquel nous sommes aujourd'hui conviés par le Gouvernement est, malgré son intitulé, destiné à trancher entre deux options : ou bien nous permettons la constitution d'un grand groupe électrogazier européen, GDF-Suez, capable de faire face à la concurrence de plus en plus forte sur le marché de l'énergie ; ou bien nous décidons le statu quo et nous subirons le marché, avec le risque permanent d'un raid hostile, comme nous l'a montré récemment l'exemple de l'italien ENEL. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

L'ouverture du marché de l'énergie est chaque jour de plus en plus marquée et elle atteindra son paroxysme le 1er juillet 2007. Ensuite, et plus immédiatement, nous devons répondre à l'offre publique d'achat sur Suez envisagée par ENEL. Si elle aboutissait, GDF serait encore un peu plus marginalisé sur la scène énergétique européenne. Ainsi, le rapprochement de Suez et de GDF n'est pas seulement défensif : il vise à rendre possible l'émergence d'un nouvel acteur majeur de l'énergie en Europe. Cette fusion est bien sûr une chance pour notre pays, mais aussi et surtout une nécessité vitale dans un contexte de forte compétition européenne et mondiale.

Quelle est en effet la situation du marché énergétique en Europe aujourd'hui ? En 2007, l’ouverture des marchés de l'électricité et du gaz sera totale et le simple particulier pourra choisir librement son fournisseur, faisant ainsi jouer la concurrence. C’est d’ailleurs l’une des trois priorités que s'est fixée la Commission européenne en matière d'énergie : imposer le jeu de la concurrence pour maintenir des prix acceptables pour le consommateur ; assurer la sécurité des approvisionnements et favoriser des investissements durables et respectueux de l'environnement.

S'agissant de la sécurité d'approvisionnement, la récente crise gazière, avec la décision russe de couper le gaz à l'Ukraine, n'a fait que souligner cette urgence. En effet, le quart du gaz naturel consommé par l'Union européenne provient de la Russie et les quatre-cinquièmes empruntent les gazoducs ukrainiens, sans compter que notre dépendance énergétique risque d’atteindre près de 80 % à l'horizon 2030. Il est urgent d’agir.

Dès lors, le rapprochement entre GDF et Suez offrirait à la France une garantie exceptionnelle, grâce à la sécurisation et à la diversification de ses approvisionnements en gaz naturel, ainsi que l'accroissement de ses capacités d'investissements. Suez et GDF mettraient en commun des moyens qui leur permettraient d'être le numéro 1 mondial du gaz naturel liquéfié. Nous disposerions ainsi d'un poids plus grand pour négocier avec des gros fournisseurs comme Gazprom en Russie, ou d'autres en Algérie, en Égypte et au Qatar. Ce serait aussi l’occasion de nouveaux développements dans l'exploration ou la production en Russie et au Moyen-Orient. Or les investissements nécessaires dans ce secteur sont colossaux.

La question des prix de l’énergie est tout aussi capitale, compte tenu de l’impact direct qu’ont ces derniers sur la vie de nos entreprises et de nos concitoyens. Pourtant, nous n'avons pas, et nous n'aurons sans doute jamais, la pleine maîtrise de notre facture énergétique, qui découle essentiellement, s'agissant des carburants et des combustibles pétroliers ou du gaz naturel, des cours du brut.

Bien sûr, il nous reste quelques leviers d'intervention, notamment la responsabilisation des consommateurs par une meilleure maîtrise de leur consommation. Le système des certificats d'économie d'énergie défini par la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique permettra d'avancer dans ce domaine.

Toutefois, l’électricité représente une part importante de notre consommation d'énergie. La France est dans une situation particulière : avec 90 à 95 % de sa production d'origine nucléaire et hydraulique, le coût de revient est indépendant du prix des hydrocarbures. Compte tenu de notre parc de production, la fixation des prix du marché européen en fonction du prix du gaz et du charbon pose donc un problème majeur et remet en cause l'avantage compétitif que notre économie tire de nos choix courageux de politique énergétique. En conséquence, nos tarifs régulés par les pouvoirs publics sont bien inférieurs aux prix du marché et sont de surcroît parmi les plus bas d'Europe. Aussi est-il quasiment impossible aux fournisseurs concurrents d'EDF et de GDF de proposer aux consommateurs des conditions tarifaires compétitives. Dois-je rappeler que la Commission européenne, comme la Commission de régulation de l'énergie, appelle de ses vœux l'abrogation de ces tarifs régulés ?

Cette question est sensible, surtout à l'approche d'échéances électorales. Nous sommes pris entre deux volontés légitimes, mais contradictoires : maintenir un tarif raisonnable pour le consommateur tout en garantissant à nos entreprises, à EDF comme à GDF, des capacités de financement suffisantes pour survivre dans un marché à forte compétition ; relever les défis de demain, à savoir le démantèlement de nos réacteurs nucléaires et leur remplacement par une nouvelle génération, l’EPR.

Entre la suppression pure et simple des tarifs régulés et leur maintien aux conditions actuelles, il existe probablement une voie médiane qui respecterait ces deux exigences. À nous de la trouver. Même si le temps presse, il ne faut pas pour autant sacrifier celui de la discussion nécessaire entre tous les acteurs du dossier. Je suggère donc que le Parlement se saisisse dès cet été du projet de loi « portant adaptation du secteur de l'énergie » et que la discussion se poursuivre entre les deux chambres. Prenons le temps nécessaire à l’adoption d’un texte de compromis.

Messieurs les ministres, laissons un peu de temps au temps ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lors du débat de 2004, auquel participait un ministre qui vient de quitter l’hémicycle, nous insistions sur le fait que le changement de statut faisait de GDF une proie pour les entreprises privées.

M. François Brottes. Absolument !

M. Jean Gaubert. Nous nous heurtions alors aux dénégations de la majorité et du ministre, qui nous expliquaient que GDF était une entreprise solide, très peu endettée, qui était sûre de ses approvisionnements. Nous découvrons pourtant aujourd’hui que les négociations pour l’adosser à un ou plusieurs groupes privés ont commencé dès cette époque. Il aurait au moins fallu avoir alors le courage d’avouer de quoi il retournait.

M. François Brottes. Cela aurait été honnête !

M. Jean-Claude Lenoir. C’est vous qui aviez commencé !

M. Jean-Pierre Soisson. C’est vrai !

M. Jean Gaubert. Inutile de recommencer votre démonstration, monsieur Lenoir, à moins de dire honnêtement toute la vérité, en particulier à propos de Barcelone !

On a donc négocié. Avec un groupe à majorité publique ? Certainement pas, parce que l’Union européenne ne l’aurait pas permis ! Encore aurait-il fallu poser la question ! Ce que l’on s’est bien gardé de faire... Pourtant, le rapport que MM. Gadonneix et Roussely ont remis à M. Sarkozy évoquait ce cas de figure. Ce n’était donc pas impossible.

Avec une entreprise française ? Non plus ! Il faudrait nous apporter quelques éclaircissements sur ce point, monsieur le ministre. Vous parlez d’un champion français, mais votre prédécesseur redevenu député, M. Devedjian, parle, lui, d’un champion belge.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est un champion franco-belge !

M. Jean Gaubert. M. Mestrallet a mis tout le monde d’accord, il y a quelques mois, en déclarant que Suez n’était pas une entreprise française, mais une entreprise européenne. Je vous renvoie à ses propos. Une entreprise européenne un jour, pour pouvoir gagner des marchés, et française le lendemain pour s’adosser à Gaz de France...

Votre politique consiste à dire non au monopole, surtout non au monopole public, mais oui au monopole privé, non à l’entreprise intégrée verticalement, mais oui à l’entreprise intégrée horizontalement. L’eau, l’assainissement, les entretiens divers, les déchets et le chauffage urbain, plus le gaz et l’électricité, cela fera beaucoup et, dans un grand nombre de municipalités, le maire ne saura plus de quel côté du bureau s’asseoir puisqu’il n’aura plus le pouvoir de décider de la politique de l’ensemble de ses services et qu’il devra composer parfois avec une seule société !

Je tiens également, messieurs les ministres, à vous poser quelques questions. La première concerne l’avenir de l’entité EDF-GDF Services, qui a été créée dans le cadre des lois de 2004 et qui doit, en principe, demeurer l’entreprise de services de Gaz de France et d’EDF. Lorsque, demain, le groupe intégré Suez-Gaz de France disposera de ses propres équipes, que se passera-t-il ? Gaz de France aura pour l’entretien de ses réseaux d’eau, de ses usines d’incinération et de bien d’autres secteurs, des équipes qui ont les mêmes compétences que celles qui existent au sein de l’unité Gaz de France-EDF Services. Il est évident que le patron du groupe intégré donnera priorité aux équipes qui dépendront de lui avant de passer des commandes à celles qui ne dépendront plus de lui. Quelle est votre réponse, messieurs les ministres ?

Deuxième question : alors que les réseaux publics de gaz constituent un bien public, celui-ci sera de fait transféré à une entreprise privée.

M. François Brottes. Bien sûr !

M. Claude Gatignol. Mais non !

M. Jean Gaubert. Que deviendront les concessions ? J’aimerais recevoir une réponse d’autant plus précise sur le sujet…

M. François Brottes. Les ministres ne disent rien !

M. Jean Gaubert. …qu’aucune concertation n’a été menée avec les collectivités territoriales sur l’avenir de ces concessions. Passeront-elles par pertes et profits ? Peut-être ! Encore faudrait-il le reconnaître.

Troisième question : à qui fera-t-on croire qu’une minorité de blocage sert à diriger une entreprise ? Une minorité de blocage sert tout au plus à empêcher une entreprise de travailler ! Il faut le rappeler très clairement ! Soit vous possédez la majorité ou vous participez à un pacte majoritaire, soit vous disposez de la minorité de blocage mais, dans ce cas – chacun le sait –, vous ne pouvez pas vous en servir, parce que ce serait trop dangereux pour l’entreprise que vous voulez construire.

Enfin, dernière question, qui concerne surtout le prix de l’électricité : on oublie en effet trop souvent que cette entreprise est également concernée par le prix de l’électricité. Or, quelle surprise ce fut pour les heureux clients…

M. Jacques Myard. Les euro-clients !

M. Jean Gaubert. …dits éligibles que de subir une hausse des prix de l’électricité en 2005 de 48 % ! Ils ne s’y attendaient pas !

Chacun semble s’en étonner ! C’est extraordinaire !

M. Jacques Myard. Pas moi ! Je l’avais annoncée !

M. Jean Gaubert. Les libéraux n’auraient-ils donc pas compris la logique du système libéral ?

M. Jacques Myard et M. Jean-Claude Lenoir. Pourquoi Barcelone, alors ?

M. Jean Gaubert. Auraient-ils oublié qu’en marché libéral le prix de vente n’entretient aucun rapport avec le prix de revient mais qu’il résulte de l’équilibre entre l’offre et la demande ?

M. Jacques Myard. M. Jospin ne le savait donc pas non plus !

M. Jean Gaubert. C’est pourquoi il ne sert à rien de s’étonner que le prix de l’électricité ait augmenté alors que la France a le nucléaire ! Quand l’énergie est rare, notamment l’électricité, le marché peut faire grimper les prix. L’organisation de la rareté, telle est la raison de la hausse des prix, chacun le sait !

M. Claude Gatignol. La véritable raison, c’est l’imprévoyance des socialistes !

M. Jean Gaubert. Les premiers qui ont dérégulé et privatisé, les Norvégiens, ont rapidement pu le vérifier : la première année, les prix ont baissé en raison d’une production excédentaire mais, par la suite, les prix ont monté parce que les industriels ont réussi à éliminer les excédents, puis à organiser la rareté. C’est une règle du libéralisme.

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Gaubert.

M. Jean Gaubert. Je n’en ai plus que pour une minute, monsieur le président. C’est pourquoi je vous demande de bénéficier de la même mansuétude que celle dont vous avez fait preuve à l’égard de M. Lenoir.

En la matière, nous ne sommes pas au bout de nos peines ! Chacun se demande en effet ce que deviendra le prix régulé. Pour le savoir, il suffit de se référer au préambule du rapport de M. Lenoir – il a lui-même cité son rapport –, et notamment de rappeler les conclusions de la CRE sur le sujet : « La CRE, rejointe par certains opérateurs », a écrit M. Lenoir, et il n’y a aucune raison de douter de ses propos, « a souligné la difficulté de coexistence à moyen terme de tarifs et de prix de marché, »…

M. Hervé Novelli. Eh oui !

M. Jean Gaubert. …« souhaitant ainsi que les tarifs se rapprochent des prix de marché. » L’inverse est en effet impossible ! « Ils ont en particulier mis en exergue la nécessité d’une revalorisation du niveau des tarifs pour qu’a minima ils assurent, dans tous les cas, la couverture des coûts. »

M. François Brottes. Quelle remarquable citation !

M. Jean Gaubert. On conservera peut-être un tarif régulé, mais celui-ci suivra le prix de marché et la hausse de 48 % subie par les entrepreneurs en 2005, ce sont les consommateurs particuliers qui la subiront en 2007.

Voilà les premiers résultats du processus enclenché par la loi de 2004 ! Et ce ne sera pas l’essai de bureaucratie libérale que vous essayez de mettre en place qui y changera quelque chose ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Novelli.

M. Hervé Novelli. Messieurs les ministres, je tiens tout d'abord à vous féliciter de la tenue de ce débat sur la politique énergétique de notre pays, qui doit permettre de clarifier un certain nombre de défis, d’éviter des confusions et de mettre fin aux procès d'intention menés depuis plusieurs mois, en fait depuis l'annonce, le 25 février dernier, de la fusion Suez-Gaz de France. J'y reviendrai dans quelques instants, mais je souhaite auparavant fixer le cadre du marché de l’énergie et de ses mutations et indiquer ses enjeux pour notre pays.

Il convient tout d’abord d’en finir avec l'hypocrisie qui consiste à feindre de découvrir qu'il existe un marché commun de l'énergie,…

M. Jacques Myard. Il n’y en a pas !

M. Hervé Novelli. …alors que celui-ci a été voulu dès le début de la construction européenne et qu'il implique la libre circulation des produits, le libre établissement des producteurs et donc l'instauration dans chaque pays membre de la concurrence et de la libéralisation. Les directives européennes établissant ce marché commun de l'énergie ont été prises en 1996 et en 1998, la dernière, je le rappelle, ayant été validée par le gouvernement de M. Lionel Jospin, ce qui n'est ni contestable ni contesté par personne, ou presque. Ces directives ont elles-mêmes été remplacées par celles du 26 juin 2003, qui fixent un objectif d'ouverture complète des marchés au 1er juillet 2007. C'est donc dans ce cadre et lui seul qu'il nous faut inscrire notre réflexion afin de nous montrer à la hauteur des enjeux ainsi posés.

Remarquons d’emblée que la transposition française de ces directives est incomplète et nécessite donc une intervention législative. En effet, si la transposition des directives dans la législation française a progressivement ouvert le marché de l'électricité et du gaz, la dernière étape de l'ouverture du marché à tous les clients, c'est-à-dire aux particuliers, reste à faire.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Hervé Novelli. Et le plus tôt sera le mieux, vous l’avez souligné de manière suffisamment claire, monsieur le ministre, pour qu’il ne soit pas nécessaire d’insister.

Or l’ouverture des marchés de l’énergie fait souvent l’objet de procès d’intention. À l’instant, nous avons encore assisté à l’un d’eux !

Le premier de ces procès vise à rendre cette ouverture responsable de la hausse des prix de l'électricité et du gaz.

M. Jean Gaubert. Cette hausse découle en effet de la libéralisation !

M. François Brottes. C’est l’évidence même !

M. Hervé Novelli. En effet, si c’était vrai, ce serait alors tellement facile de discréditer la patiente construction du marché commun de l’énergie en renvoyant dans la même opprobre l'Europe, la libéralisation et l'ouverture à la concurrence ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Mais il n'en est rien…

M. Jacques Myard. Si !

M. Hervé Novelli. …et je vais vous le démontrer.

M. Jean Gaubert. Cela va être difficile !

M. Hervé Novelli. Premièrement, il est incontestable que l'ouverture des marchés a précédé, et de loin, le début de l’augmentation des prix de gros, notamment de l'électricité. L'ouverture des marchés s'est opérée dès 1990 en Grande-Bretagne,…

M. Jean Gaubert. En Norvège, tout d’abord !

M. Hervé Novelli. …dès 1998 en Allemagne et dès 2000 en France. Or force est de constater – Karl Marx aurait dit que les faits sont têtus – que l'augmentation des prix n'a commencé qu’en septembre 2003.

M. Jean Gaubert. Il fallait d’abord organiser la pénurie !

M. Hervé Novelli. Il n'y a donc pas de « corrélation », comme disent les économistes, entre l'ouverture des marchés et l'augmentation des prix de gros de l'électricité. En fait celle-ci résulte presque uniquement de l'augmentation des prix du pétrole. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Brottes. Ce n’est pas vrai pour l’électricité, enfin !

M. Hervé Novelli. Telle est la réalité !

Toutefois, rappeler ce point ne fait pas disparaître la nécessité de disposer d'un marché transparent en matière de prix. C’est pourquoi je souhaite, messieurs les ministres, à la suite de l’excellente proposition de Jean-Claude Lenoir, que vous confortiez par des dispositions législatives le rôle de la Commission de régulation de l’énergie. Tout marché a besoin d'un régulateur disposant de véritables pouvoirs d'investigation et de contrôle, ce qui n'est actuellement pas le cas de la commission de régulation de l’énergie.

M. Jean-Pierre Soisson. Il faut aussi lui donner des moyens indépendants !

M. Hervé Novelli. J’en viens à un second procès : le consommateur final serait livré aux appétits privés et à la hausse des prix. Eh bien, des députés du groupe de l’UMP et moi-même souhaitons que la transposition de la directive de juin 2003 prévoie pour les consommateurs des garanties sur le tarif final du gaz et de l’électricité. Elles devront figurer dans la loi. Permettez-moi de féliciter à ce sujet Jean-Claude Lenoir, auquel vous avez confié une mission et dont les conclusions visant à maintenir, sous certaines conditions et pour une certaine période – pas pour l’éternité ! –, le bénéfice des tarifs régulés pour les consommateurs, doivent, me semble-t-il, être suivies.

J'en viens maintenant à la fusion Gaz de France-Suez. Vous me permettrez, en abordant cette question, de privilégier l'avenir de Gaz de France, dont la responsabilité publique en matière de fourniture de gaz est majeure.

L'ouverture des marchés change la donne pour Gaz de France, dont l'activité sera, après celle-ci, constituée pour 80 % par le transport et la distribution de gaz, partie régulée et donc sans surprise. Sur ce marché européen, Gaz de France doit se marier car le célibat, dans ce cadre, c'est la perspective du déclin et de la marginalisation. Telle est la réalité !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Hervé Novelli. Or, en raison de ce mariage ou de cette alliance, qui ne peut être évité, la part de 70 % détenue par l'État empêche les augmentations de capital nécessaires pour cette stratégie et contraint à l'endettement.

Rappelons-nous, monsieur le ministre de l’économie, l'exemple de France Télécom : cette entreprise a failli être emportée par l'obstination mise à conserver à la puissance publique, mauvais actionnaire, une part prépondérante.

M. François Brottes. C’est hors sujet !

M. Hervé Novelli. Les partisans du statu quo, ici comme ailleurs, conduiraient d’autant au déclin que l’option du rapprochement GDF-Suez paraît opportune.

Là encore, il convient de clarifier les choses ! L’idée d’un tel rapprochement ne date pas d'hier : au contraire, cela fait des années que celui-ci est envisagé, souhaité et étudié par les différents responsables des deux entreprises. Chacun peut le comprendre : plusieurs démarches sont aujourd'hui nécessaires car chacune répond à une problématique différente. Une information complète sur les marchés de gros de l'électricité et du gaz serait, de ce point de vue, nécessaire, messieurs les ministres. La création d'une mission d'information de quelques semaines permettrait de faire toute la clarté nécessaire tout en ayant un caractère pédagogique quant aux propositions que j’ai évoquées.

Je regrette, pour ma part, que le rapprochement de Gaz de France et de Suez ait été considéré comme une opération de patriotisme économique face à l'intérêt d’ENEL, c'est-à-dire des Italiens, pour le groupe franco-belge. Les Italiens ne sont pas nos ennemis, bien au contraire, et l'opération a, elle aussi, du sens. En matière d'électricité, je le répète, les Italiens ne sont pas nos ennemis, ils sont même nos alliés,…

M. Jean-Pierre Soisson. Bien sûr !

M. Hervé Novelli. …comme le prouvent les participations qu'ils s'apprêtent à prendre dans le futur EPR français. Serions-nous donc incapables d'imaginer la naissance d'un ensemble européen associant Gaz de France, Suez et Enel, afin de permettre l’émergence du groupe européen de l'énergie dont nous avons besoin ?

M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !

M. Hervé Novelli. Sacha Guitry disait qu’en amour les mariages heureux se font souvent à trois ! Il en est de même en ce qui concerne l’énergie !

Le rapprochement entre Gaz de France et Suez est nécessaire avant tout pour donner toutes ses chances à Gaz de France. Il faut sauver le soldat Gaz de France ! Toutefois, il convient d’intégrer également la réflexion stratégique apportée par Enel.

Messieurs les ministres, cela ne se fera pas en un jour. C’est pourquoi je vous demande de prendre votre temps, et le nôtre, afin que, dans ce beau défi de la construction européenne, le marché fournisse un jour aux consommateurs l’énergie dont ils ont besoin dans les meilleures conditions de sécurité et de prix, à l’exemple de ce qu’il est capable de faire dans d’autres secteurs. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, chacun constatera que les positions au sein du groupe UMP convergent largement, peut-être pas toujours en ce qui concerne Sacha Guitry, mais, en tout cas, sur le fond du débat.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. Hervé Mariton. Ce débat que le Gouvernement propose sur la politique énergétique est opportun. Nous avons certes déjà beaucoup discuté du sujet ces dernières années – je pense en particulier à la loi d’orientation sur l’énergie –, mais le contexte économique général très mouvant justifie qu’on revienne sur un sujet qui intéresse autant l’opinion que l’Assemblée.

Nous devons traiter de deux questions en particulier : l’évolution de la libéralisation du secteur de l’énergie, d’une part, et l’opération industrielle GDF-Suez, de l’autre.

La libéralisation du secteur de l’énergie implique la transposition de directives européennes qui, il faut le répéter sans relâche, poursuivent un processus ancien, à la source même de la construction des communautés européennes. Ce processus a été confirmé par différentes majorités, puisque nous devons aujourd’hui transposer des directives de 2000, Lionel Jospin étant alors Premier ministre, et de 2003.

Faut-il donc attendre juin 2007 pour continuer ? Serait-ce de bonne gestion publique ? Serions-nous dès lors à la hauteur de notre responsabilité ? Sur le fond, attendre ne serait pas une bonne chose. De plus, en termes de pure opportunité politique, ne vaudrait-il pas mieux chercher à convaincre maintenant l’opinion, plutôt que d’attendre la veille des échéances de 2007 ? Ce dossier deviendrait alors, en effet, un enjeu électoral ; on ne peut donc pas le laisser paisiblement au placard jusqu’au lendemain des élections de l’année prochaine. Aussi, plutôt que d’engager ce débat au moment des campagnes électorales à venir, avec le risque de ne pas pouvoir le mener à terme avant le 1er juillet 2007, je pense qu’il est politiquement et économiquement responsable de l’entamer dès aujourd’hui.

Il est vrai que la libéralisation de l’énergie suscite des inquiétudes qui ne sont pas que psychologiques, mais qui sont bien réelles si l’on en juge par l’augmentation des prix de l’électricité, constatée par les industriels qui ont fait jouer leur droit d’option. Toutefois, comme certains collègues l’ont rappelé, affirmer que c’est la libéralisation du marché de l’électricité qui a provoqué l’augmentation des prix est faux ! Et ceux qui l’affirment le savent !

M. François Brottes. Quelle est la cause de cette augmentation alors ?

M. Hervé Mariton. On doit en effet le rappeler sans relâche : l’augmentation des prix de l’électricité fournie aux industriels est due à l’insuffisance de l’offre.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Évidemment !

M. Hervé Mariton. Il y a en Europe une insuffisance de l’offre !

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Hervé Mariton. Nous nous réjouissons dès lors que la loi d’orientation, ainsi que le programme d’investissements évoqués par M. le ministre, prévoient une augmentation de l’offre en France, étant entendu qu’il serait important que d’autres pays européens s’y emploient également.

M. François Brottes. Il n’y a pas d’insuffisance de l’offre en France !

M. Hervé Mariton. En effet, on constate une insuffisance de l’offre européenne et il est logique, et à bien des égards inévitable dans un marché ouvert, que, lorsque des industriels allemands en sous-capacité cherchent à acheter de l’électricité, il soit difficile d’en rester à une définition historique du prix.

M. Jacques Myard. Et voilà !

M. Hervé Mariton. Il faut garder à l’esprit que le prix d’un bien, ce n’est pas la même chose que son coût, à moins de se situer en dehors de toute logique de marché et de considérer que l’économie de la France ne serait pas une économie de marché. Pour autant, il n’est pas interdit de faciliter une certaine organisation de la demande. C’était le sens de l’amendement relatif aux entreprises électro-intensives, adopté dans le collectif budgétaire. Il n’est pas interdit non plus, et il est même indispensable d’encourager le développement de l’offre.

Est-ce que l’expérience du secteur de l’électricité est transposable dans le domaine du gaz ? Doit-on avoir les mêmes craintes ? La réponse est non ! En effet, la situation est objectivement et physiquement différente. On n’est pas, dans le secteur gazier, dans une configuration d’insuffisance de l’offre comme c’est le cas dans le domaine électrique. Le marché du gaz est fondamentalement un marché de négoce.

Ainsi, nous pouvons dire à nos concitoyens qu’ils ne doivent pas avoir peur de la libéralisation du marché du gaz et, en même temps, que l’opération industrielle GDF-Suez a le mérite de répondre aux deux enjeux que je viens d’évoquer : celui de l’électricité et celui du gaz. Cette opération peut en effet permettre d’accroître l’offre d’électricité et d’améliorer les conditions d’approvisionnement gazier.

Certes, la libéralisation du marché n’est pas un chemin facile, nous ne sommes pas naïfs. Elle n’apporte pas immédiatement une réponse à toutes les questions que se posent les clients. Il reste toutefois clair que, même si ce n’est pas la seule envisageable, l’opération GDF-Suez est une bonne réponse à la libéralisation.

Cette analyse justifie donc l’évolution du capital de GDF. À ce propos, je rappelle, à la suite de M. le ministre de l’économie, que ce n’est pas la structure du capital de GDF qui détermine le prix du gaz. L’évolution de cette structure est une condition nécessaire à l’opération industrielle qui, je l’ai démontré, apporte les réponses les plus claires et les plus rassurantes, s’il en est besoin, à la libéralisation. Cette opération, et M. le ministre a bien compris notre message, ne nous dispense pas de regarder de près l’intérêt des consommateurs dans la mesure où les parlementaires sont aussi leurs porte-parole.

Le Gouvernement apportera, dans les jours ou les semaines qui viennent, les réponses à la question qui nous occupe. En tout cas, nos engagements européens nécessitent une ouverture du marché. Dans ce cadre, nous vous offrons aujourd’hui l’opportunité d’une bonne réponse industrielle, d’une bonne réponse de marché. Cette nécessité et cette opportunité se rejoignent. Au regard du débat qui a lieu depuis quelques semaines dans l’opinion et à l’Assemblée nationale, je crois que les conditions sont réunies pour avancer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. On vous applaudit parce que vous êtes un ami, car nous ne sommes pas d’accord !

M. Pierre Hellier. Moi, je n’ai pas applaudi !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la politique énergétique, voilà un grand sujet qui mériterait de bien plus longues remarques que celles possibles dans le temps imparti. Heureusement, le sujet d'actualité, la fusion GDF-Suez, est assez complexe pour qu’on en évoque les aspects et, je l'espère, les éclairer tous.

Le projet industriel est bon, cela ne fait pas de doute, et je ne m'y attarde pas car le problème n'est pas là : il concerne d'abord les arguments employés, parfois développés dans la presse, et, ensuite, la présentation de ce projet. Ce dernier ne relève pas, en effet, d'une logique purement capitalistique et ne vise pas à servir le dessein de quelques-uns.

Faut-il insister sur le fait qu’il est question de notre capacité, à nous, consommateurs français d'eau et de gaz, de rester maîtres de nos approvisionnements ou, du moins, car il n'est pas possible d'en être maîtres, ne serait-ce que parce que nous ne produisons pas de gaz, d’en choisir les maîtres. Il ne s’agit d'ailleurs pas d’une question de nationalité – qui pourrait prétendre qu'il est urgent et indispensable de préférer un Belge à un Italien, ou le contraire ? –, mais d’une question de structure de l'actionnariat. Or, la perspective de laisser Suez, notamment son activité de distribution d'eau et les délégations de service public de nos communes, à des fonds de pension américains, pose un vrai problème, ainsi que l’évoquait justement Patrick Ollier.

Toujours au chapitre des arguments, nous n'avons pas assez rappelé que GDF n'était pas un producteur, mais seulement un distributeur, tributaire des prix des marchés internationaux sur lesquels il achète le gaz, et donc de son pouvoir de négociation sur ces marchés. Le rapprochement avec Suez, qui a négocié, en 2005, 8 % des quantités totales de gaz négociées en Europe, alors que GDF en a négocié 14 %, trouve ici, en partie, son sens.

Ces deux arguments sont forts : un prix du gaz qu'on espère mieux maîtrisé et un actionnariat préféré pour des entreprises qui nous sont chères et concernent tous les consommateurs français. Ces arguments sont meilleurs que ceux, permettez-moi de le dire, que l'on nous a parfois servis au long des semaines passées.

Toutefois, l'argumentaire seul ne pèche pas. Le fond du dossier mériterait lui aussi d'être éclairci, et notamment la question de l'éventuelle « opéabilité » du nouvel ensemble.

M. Jacques Myard. Bien sûr !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. J'ai entendu moi aussi les différents arguments évoqués ici. J'ai reçu, comme vous, mes chers collègues, des courriers sur la question. Peut-on envisager une golden share ?

M. Jacques Myard. Oh ! On parle français ici ! Dites : « une action privilégiée » !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Ou « une action spécifique », c’est égal, vous m’avez comprise. Oui ou non, courrons-nous le risque de voir le nouvel ensemble formé par Suez et GDF être à son tour menacé, par exemple par Gazprom, dans quelques mois ou quelques années ? Auquel cas nous n'aurons pas gagné grand-chose. Une réponse claire doit être donnée à cette question, et nous l’attendons.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mme Kosciusko-Morizet a raison !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Enfin, tout ce débat se développe sur fond de polémique sur les prix de l'électricité. Il n'est pas acceptable, je le dis tout net, que la rente nucléaire se retrouve dissipée et perdue pour les entreprises et les consommateurs français.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très juste !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Depuis des décennies, les Français ont accepté et soutenu une politique nucléaire audacieuse. La France est allée dans ce domaine plus loin que tous les autres pays. Elle doit en retirer les dividendes.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Tout à fait !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Toute initiative du Gouvernement sur ce sujet sera la bienvenue. Néanmoins, au-delà, elle est tout simplement indispensable pour envisager tout mouvement sur une fusion Suez-GDF, tant il est ici question de confiance.

Enfin, aurait-on répondu à toutes ces questions, que l'on n'aurait pas abordé la plus importante. En effet, en ce début de XXIe siècle, alors que l'horizon du peak oil se rapproche – oui, c’est encore du français –, (Sourires)…

M. Jacques Myard. Nous allons vous mettre à l’amende ! (Sourires.)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. …alors que l'on sait maintenant quel enjeu majeur représente la lutte contre le changement climatique, et je sais que le problème préoccupe beaucoup notre collègue Jacques Myard, une politique énergétique ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur le sujet. Plus encore, la seule, la vraie assurance énergétique consiste à bien prendre la mesure du défi que constitue l'effet de serre. Nous avons, notamment avec notre collègue Serge Poignant, participé à une mission d’information très convaincante sur le sujet, qui nous a montré à quel point cet enjeu de l’effet de serre balayait tous les autres.

M. Serge Poignant. C’est vrai !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Le plan biocarburant lancé par le gouvernement y concourt. Il n’est pas encore complet et pourrait notamment être utilement complété par des mesures sur les huiles végétales pures, messieurs les ministres. Il faut aller plus loin, se montrer ambitieux et trouver là les sources d'une nouvelle compétitivité.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. L'Europe, enfin, doit nous y aider. Nous nous plaignons, quelquefois à raison, de la voir s'occuper de sujets que nous préférerions traiter directement. Nous avons toutefois déploré, lors de la mission d'information sur l'effet de serre, son absence en matière de politique énergétique. Les travaux que nous avons menés ont montré les gains formidables de compétitivité et les synergies à développer dans ce domaine en Europe.

Une politique européenne de l’énergie a été annoncée. Est-ce un signe ? En tout cas, c’est certainement une opportunité à saisir sur tous les sujets que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis trente ou quarante ans, on l’a dit, la politique énergétique en France fait consensus. Il n’y a pas eu, en effet, de véritable rupture et, dans l’exercice des responsabilités, nous avons assumé avec ambition, avec fidélité, avec le désir de servir l’intérêt général, les choix faits par nos prédécesseurs, parfois nos rivaux, et qui méritaient d’être poursuivis.

François Brottes a rappelé que nous avons eu de nombreux débats sur les questions énergétiques depuis le début de la législature. Sur bien des dossiers, nous avons pu trouver des points de convergence. Ainsi, je pourrais aisément souscrire à l’intervention qui a précédé la mienne. Ce n’est pas se renier que d’admettre que ce gouvernement et le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ont fait évoluer positivement certaines problématiques énergétiques, comme, par exemple, les biocarburants. Un accord est également possible sur la place du nucléaire, et nous avons tous admis que nous devons modifier sensiblement notre vision en matière d’économies d’énergie.

Je suis donc fondé à vous dire, messieurs les ministres, que vous prenez aujourd'hui le risque de rompre ce consensus. En effet, vous traitez l’énergie comme une matière anodine, une marchandise comme les autres, alors que nous savons bien qu’il s’agit d’un enjeu stratégique nécessitant une vision à long terme. La place de la puissance publique dans la gestion du défi permanent que représente l’énergie doit être très précisément circonscrite.

Notre discussion, appelée un peu pompeusement « débat sur la politique énergétique de la France », porte d’abord sur EDF, GDF et Suez. Quatre sensibilités politiques sont représentées à l’Assemblée, mais le débat a surtout lieu entre les membres de l’UMP eux-mêmes.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Pas sur le fond, monsieur Habib !

M. David Habib. En tant que membre du parti socialiste, notez-le, je ne suis pas dépaysé… (Sourires.)

M. Pierre Hellier. Qu’en pense Ségolène ?

M. David Habib. Néanmoins, après Pierre Méhaignerie, je constate avec regret que vous bousculez non seulement votre majorité, mais aussi le pays, et que votre décision n’a pas été suffisamment mûrie.

Ainsi, lorsque Patrick Devedjian affirme être aujourd'hui favorable à l’abaissement du seuil, pourquoi l’avoir fixé à 70 % en 2004 ? Pourquoi nous avoir dit et répété que ce seuil permettait à GDF et à EDF de se développer ? N’en déplaise à M. Myard, j’ai souvent lu et entendu l’expression « stand alone ». Cette stratégie offrait au groupe Gaz de France la possibilité d’avoir une vision à moyen terme et d’assurer son développement sans avoir à s’adosser à quelque entreprise que ce soit.

Venons-en maintenant à Suez. Vous avez déposé et défendu un projet de loi contre les OPA, monsieur Breton. Dans ce nouveau cadre, le conseil d’administration de Suez a adopté un certain nombre d’outils qui devraient lui permettre de s’opposer, le cas échéant, à une OPA inamicale d’ENEL. Ou faut-il comprendre que vous n’avez qu’une confiance modérée dans l’efficacité du texte que vous avez vous-même présenté au Parlement ?

M. François Brottes. Ce n’est pas impossible !

M. David Habib. De plus, en quoi la fusion interdirait au nouvel ensemble d’être opéable par un opérateur français, allemand, italien ou russe s’intéressant aux questions énergétiques ou aux questions de l’eau ?

On a aussi parlé de golden share, ou, en français, d’action spécifique. Je suis l’élu d’un territoire qui, contrairement à ce que l’on a dit, produit encore du gaz.

M. Gilles Carrez. Plus beaucoup !

M. David Habib. Maire de Mourenx, élu du bassin de Lacq, je partage avec M. Carrez l’amour du Béarn. Aussi ai-je souvenance du sort de l’action spécifique que l’on avait associée à la privatisation d’Elf-Aquitaine. M. Balladur a tout à l’heure défendu avec lyrisme les intérêts des salariés,…

M. Jacques Myard. Balladur, lyrique ?

M. David Habib. …mais, à l’époque, dès lors que l’OPE avec Total était engagée, on a renoncé presque automatiquement aux actions spécifiques.

Il faut donc avoir l’honnêteté de reconnaître que le nouvel ensemble sera opéable et que non seulement notre secteur énergétique, mais aussi le secteur de l’eau pourront passer entre les mains d’un opérateur étranger. Au contraire, l’adossement de Gaz de France à EDF permettrait de répondre à une revendication qui prend de l’ampleur dans le pays, et selon laquelle il est grand temps de s’intéresser à la dimension publique et citoyenne de la gestion de la ressource en eau.

Si le membre du groupe socialiste que je suis s’est permis d’intervenir dans un débat qui, a priori, intéressait plutôt votre sensibilité politique, messieurs les ministres, c’était pour l’éclairer de notre vision. Lundi prochain, monsieur le ministre délégué à l’industrie, vous viendrez dans mon département pour inaugurer une liaison gazière.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Tout à fait.

M. David Habib. Il est vrai que c’est en pays Basque, et je ne sais si un Béarnais peut s’y rendre. (Sourires.) Si tel est le cas toutefois, j’aurai grand plaisir à vous faire constater combien la puissance publique peut réaliser des choses bénéfiques à l’ensemble du pays. Nous avons l’un et l’autre à défendre cette vision. Je suis persuadé que notre pays trouverait bénéfice à envisager une autre hypothèse. Il est certes important de sauver le périmètre et les fonctions de Suez. Des propositions ont été faites, notamment par Laurent Fabius, sur une OPA – et non une OPE – permettant à Gaz de France de prendre la mesure de Suez et de lui éviter une OPA du groupe italien Enel. D’autres solutions peuvent être envisagées avec EDF. Pour les expertiser, nous avons besoin de temps. De nombreux orateurs, de l’opposition comme de la majorité, vous l’on dit, messieurs les ministres : renoncez à ce projet. Vous grandirez le rôle de la réflexion publique en nous permettant de traiter cette question avec davantage de sérénité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jean Proriol. Attachez vos ceintures !

M. Jacques Myard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il faut se féliciter de l’organisation de ce débat, car de la question de l’énergie dépend la prospérité de l’économie nationale. Jadis, on disait à juste titre que le charbon était le « pain de l’industrie ». C’est donc une question géostratégique que l’État ne peut ignorer. En particulier, il ne peut la laisser entre les mains des marchés, quelle que soit leur capacité à réagir. Les marchés jouent un rôle très intéressant dans une économie ouverte, à condition que la concurrence soit loyale, mais on sait aussi qu’ils sont parfois changeants, versatiles, et qu’ils sont guidés par l’intérêt immédiat, sans considération pour le long terme.

Jusqu’à présent, le système français était monopolistique. Il était certes critiquable, et il ne faut pas compter sur moi pour défendre les privilèges éhontés du comité d’entreprise d’EDF, auxquels il faudra bien un jour ou l’autre mettre un terme. Ce système avait cependant du bon, puisqu’il a permis d’assurer l’indépendance énergétique et de garantir à la communauté nationale un coût de l’énergie, notamment de l’électricité, parmi les moins chers d’Europe.

Un tel système, de par sa constitution juridique, ne pouvait que déplaire aux idéologues bruxellois. La Commission, on le sait, a imposé une déréglementation totale qui a eu pour conséquence un renchérissement de l’électricité. En effet, EDF, qui vend une grande part de son électricité en Allemagne, s’est mise au taquet des prix allemands. On peut s’en féliciter et souligner qu’elle gagne ainsi de l’argent, mais est-ce bien son rôle ? Une entreprise qui a pour mission première d’assurer notre indépendance énergétique doit-elle faire à leur place le travail des Allemands ?

M. Daniel Paul. Bonne question !

M. Jacques Myard. Si l’électricité est chère en Allemagne, c’est un peu la faute des Allemands, qui n’ont pas fait les investissements nécessaires. Dès lors, le rôle d’EDF n’est-il pas d’assurer le meilleur coût électrique pour notre industrie et de nous conserver cet avantage dans la compétition mondiale ?

La concurrence est une bonne chose à condition qu’elle soit loyale – ce qui n’est pas toujours le cas avec la mondialisation – et qu’il existe un véritable marché. Mais il faut aussi qu’elle respecte les choix stratégiques d’un peuple, les choix de la nation. En l’occurrence, je ne suis pas certain qu’il existe un véritable marché mondial de l’électricité. On n’exporte pas de l’électricité au Japon ! Tout au plus exportera-t-on une centrale… Les politiques ont donc leur mot à dire et il faut mettre en place une véritable politique industrielle, avec un service public de l’énergie nous permettant de nourrir notre économie dans les meilleures conditions possibles.

S’il n’existe pas de marché mondial de l’électricité, je conviens qu’il en va autrement pour le gaz. Dans ce secteur, le marché mondial est en passe d’être dominé par Gazprom, ce qui n’est pas sans poser des problèmes. Comme me l’ont dit plusieurs acteurs, les Russes ont substitué la dissuasion énergétique à la dissuasion nucléaire.

M. Pierre Lellouche. Très juste !

M. Jacques Myard. On ne peut rester insensible à leur action. La libéralisation et la déréglementation du marché du gaz risquent de faire entrer le renard russe, Gazprom, dans le poulailler français et européen ! En Allemagne, Gazprom s’est bien gardé de s’allier avec les distributeurs et les producteurs historiques : il a monté ses propres sociétés et est en train de tailler des croupières aux entreprises allemandes d’origine. Il y a tout de même de quoi s’interroger !

La solution proposée de fusionner Suez et GDF est parfaitement défendable au point de vue industriel, mais ce nouveau groupe ne serait pas maître de l’ensemble de la filière gaz, puisqu’il ne serait pas lui-même producteur. De surcroît, il ne serait pas à l’abri d’une OPA hostile, car la solution des actions spécifiques n’est pas en odeur de sainteté à Bruxelles – eh oui, toujours Bruxelles !

En vérité, le « tout concurrence » et les directives ne sont pas un cadre idoine pour le marché de l’énergie. L’État doit s’engager dans une politique industrielle dérogatoire au droit commun du « tout concurrence ». Au nom de l’indépendance énergétique et de la sécurité de nos approvisionnements, nous ne devons pas laisser nos intérêts dépendre du « bingo » du casino spéculatif mondial. Vous devez reprendre le pouvoir qui vous est ôté par le « tout concurrence », monsieur le ministre de l’économie. Il faut modifier les règles bruxelloises. Je sais que cela ne sera pas facile, mais il faudra en passer par là, faute de quoi nous n’aurons plus la maîtrise de la politique énergétique de notre pays.

M. Daniel Paul. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, avec ce débat et l'examen éventuel du projet de loi sur l'énergie, deux grands problèmes se posent : un problème politique d’abord, lié à l'évolution des tarifs de l'électricité et du gaz, un problème industriel ensuite, concernant l'avenir de deux entreprises françaises, Gaz de France et Suez, mais aussi l'avenir de notre approvisionnement en gaz. La difficulté vient de ce que les deux questions se télescopent alors qu'en réalité elles pourraient être disjointes.

Nous connaissons actuellement la concomitance de plusieurs phénomènes : l'envolée du prix de revient du pétrole et donc du gaz, puisque les contrats d'approvisionnement en gaz comportent une indexation sur le pétrole ; l'ouverture du capital de nos deux entreprises publiques, EDF et GDF, décidée en 2004 avec un seuil de 70 % pour l'État actionnaire – à cet égard, je rappelle à mes collègues de gauche que l’ouverture du capital de Gaz de France avait été envisagée et préparée en 1999 et 2000 par Dominique Strauss-Kahn et Christian Pierret, et que nous en avions débattu ici même.

M. David Habib. Mais ils ne l’ont pas réalisée !

M. Gilles Carrez. Il y a aussi la libéralisation du marché de l'énergie, mise en œuvre par étapes successives au niveau européen et qui doit être totale au 1er juillet 2007.

M. Jacques Myard. Grave erreur !

M. Gilles Carrez. Il y a enfin un quatrième phénomène, dont Pierre Méhaignerie a souligné tout à l’heure les effets perturbateurs particulièrement regrettables : la forte hausse du prix de l’électricité pour des entreprises clientes éligibles, qui avaient choisi la concurrence il y a deux ans et qui, revenant chez EDF, se voient imposer des tarifs liés non pas au prix de revient de l'entreprise, mais à l'évolution du prix du baril.

Tout cela entretient une grande confusion, propice à un discours simpliste et trompeur, selon lequel ouverture du marché, ouverture du capital et, a fortiori, privatisation seraient synonymes de dérive tarifaire et de perte de contrôle du prix de l'énergie en France au détriment des ménages et des entreprises.

Nous perdrions ainsi notre avantage comparatif d'une énergie moins chère qu'ailleurs, que nous devons à l'ambitieuse politique nucléaire engagée et conduite avec constance par les majorités gaullistes, et par la nôtre aujourd’hui, et non aux décisions peu responsables prises par la majorité socialiste et surtout Verte à l’automne 1997.

M. Jacques Myard. Scandaleux !

M. Gilles Carrez. Les questions relatives à la protection des consommateurs appellent du Gouvernement des réponses et des engagements précis, qui me semblent pouvoir être pris. Les tarifs de l'électricité peuvent-ils continuer d'être régulés et, si oui, dans quelles conditions ? Peuvent-ils l’être au bénéfice à la fois des ménages et des entreprises ? L'ouverture du marché, c'est-à-dire la concurrence, implique que l'industriel dont les coûts de revient sont les plus bas pratique des prix de vente faibles puisqu'il ne se livre pas au dumping. Il n'y a donc aucune raison, qu’elle soit économique ou liée à la réglementation bruxelloise, monsieur Myard, pour que le consommateur français ne soit pas assuré du maintien de tarifs d'électricité avantageux. Patrick Ollier a parfaitement développé ce point et je souscris complètement à ce raisonnement. C'est donc au Gouvernement d'imposer ces obligations à EDF.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Gilles Carrez. La nature de l'actionnariat, public ou privé, n'a rien à voir. Il y a quelques mois, nous avons eu ici un débat très intéressant sur la privatisation des sociétés d'exploitation d'autoroutes. Dans cette opération, l'État n'a pas pour autant abandonné son pouvoir de contrôle des péages !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Au contraire !

M. Jacques Myard. Mais il n’en a plus les moyens régaliens !

M. Gilles Carrez. Donc, messieurs les ministres, nous attendons des engagements clairs et détaillés sur ce point. Je ne m’étends pas sur le sujet, Serge Poignant et Jean-Claude Lenoir l’ont déjà parfaitement développé.

La question du gaz me paraît, en revanche, différente. Dans ce domaine, il faut certes maintenir une régulation pour garantir une tarification sociale, mais il y a aussi une réalité économique : le prix du gaz dépend du prix du pétrole et les grands producteurs potentiels de gaz sont très concentrés – en Russie avec Gazprom, au Qatar, en Iran. Sauf pour raisons idéologiques, on ne peut pas ignorer l’économie de marché, en tout cas pas nous, pas la majorité. D’où le projet industriel de rapprochement de GDF et Suez.

Ce projet n’est pas neuf, beaucoup de cadres et de salariés des deux entreprises l’envisagent depuis plusieurs années, tout simplement parce qu’il a beaucoup de sens. Entre GDF, trop petit, trop gazier, trop hexagonal, et Suez, électricien par Electrabel et la Compagnie du Rhône, très présent en France dans les métiers de l'environnement aux côtés de nos collectivités locales, comme GDF d’ailleurs, les synergies sont évidentes, nécessaires, ne serait-ce qu’au titre de l’offre globale d’énergie et des services associés.

M. Jacques Myard. Mais il faut retrouver le pouvoir régalien d’empêcher Gazprom de tout absorber !

M. Gilles Carrez. Les ministres l’ont dit cet après-midi, si cette opération ne se fait pas, des questions très difficiles se poseront dans les jours qui viennent.

L’OPA d’Enel est prête. Je peux vous assurer que le financement de 50 milliards d’euros est bouclé. Contrairement à d’autres, je suis inquiet des ouvertures italiennes récentes, qui visent, selon moi, à nous inciter à baisser la garde. Plusieurs intervenants l’ont évoqué cet après-midi, si l’OPA est déclenchée, Suez sera vendu par morceaux. Quelles seront les conséquences pour les 60 000 salariés français et pour les collectivités locales ?

Quant à Gaz de France, son isolement et son manque de capacités d’investissement et d’approvisionnement en font une entreprise vulnérable. L’issue est jouée d’avance : ce sera la reconstitution d’un grand monopole public EDF-GDF, comme au bon vieux temps – la renationalisation d’EDF nous est d’ailleurs annoncée dans différents programmes électoraux –, et qui ne correspond absolument pas à notre conception de l’économie de marché et du fonctionnement des entreprises dans notre pays. N’oublions jamais que c’est toujours le contribuable qui paie les effets déplaisants du monopole public, dont le régime spécial des retraites est une des illustrations les plus emblématiques, mais pas la seule.

Ma conviction est qu’il vaut mieux avoir en France deux grands acteurs de l’énergie, l’un public, l’autre privé, tous deux de capital, et surtout de culture, à prédominance française. C’est la garantie d’un approvisionnement aussi sécurisé que possible et d’une grande capacité d’investissement ; c’est l’intérêt du consommateur et c’est un enjeu majeur pour l’emploi dans notre pays.

En conclusion, messieurs les ministres, comme beaucoup, je regrette les délais, la forme et bien d’autres aspects de ce débat, mais je suis persuadé que nous ne pouvons pas laisser passer une chance qui risque de ne pas se représenter de sitôt. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans la suite du débat interne à l’UMP, je vais faire entendre un son de cloche différent de celui de mon ami Gilles Carrez.

Le projet de fusion entre GDF et le groupe Suez peut être interprété très différemment selon que l'on se place du point de vue des actionnaires, des analystes financiers, des dirigeants de ces entreprises ou des éventuelles synergies industrielles de ces deux groupes. Cependant, le seul aspect qui doit nous intéresser en tant que représentants de la nation est la pertinence de ce projet dans la cohérence d'ensemble de la politique énergétique de la France.

Trois objectifs fondamentaux devraient inspirer une telle politique : l'indépendance énergétique, dans toute la mesure du possible, pour un pays qui ne dispose quasiment d'aucune réserve d'énergie fossile ; la sécurité des approvisionnements, qui est au cœur même de la mission régalienne de l'État ; la nécessité économique et sociale de maintenir les niveaux de prix les plus bas possible pour les consommateurs.

Je laisserai de côté toute considération politicienne ayant trait à la tenue de ce débat à quelques semaines de la clôture de la session parlementaire et à dix mois des élections présidentielle et législatives, ce qui est regrettable. C'est uniquement à l'aune des objectifs de politique énergétique que je voudrais évaluer ce qui nous est proposé.

Il est impensable d'isoler le projet de fusion du contexte international de brusque flambée des prix du pétrole et du gaz, due, entre autres facteurs géopolitiques, à l'irruption de très grands consommateurs, comme la Chine et l'Inde, sur le marché de l'énergie et des matières premières en général. C'est ainsi que la dépendance de l'Europe en matière d'importation d'énergie fossile va passer de 50 % aujourd'hui à 70 % en 2020. Il est également impossible de ne pas remarquer qu’elle concernera de plus en plus le gaz plutôt que le pétrole et que nous dépendrons donc de plus en plus de trois sources d'approvisionnement principales – l'Algérie, la Norvège et la Russie – et, à terme, de l’Iran et du Qatar. Avec Gazprom, immense entreprise étatique, première capitalisation boursière au monde, qui a également des intérêts dans les médias entre autres, la Russie s’est d’ailleurs dotée d’un outil stratégique et politique majeur.

À quelques jours du sommet du G8 à Saint-Pétersbourg, ironiquement consacré à la « sécurité énergétique », ce sont ces questions qui doivent être au cœur de nos choix. De ce point de vue, j'avoue ne pas voir clairement comment votre politique gazière s’inscrit dans la politique énergétique de la France.

En 1973, il y a déjà trente-trois ans, à la suite du premier choc pétrolier, notre pays avait lancé, sous l'impulsion de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d'Estaing, un énorme programme électronucléaire, unique au monde par son ampleur et sa durée, piloté par l'État et dont nous tirons aujourd'hui tous les bénéfices. Nous avons non seulement constitué la première industrie nucléaire au monde sur l’ensemble du cycle du combustible – et pour avoir eu l'honneur de négocier pour la France l'implantation d'ITER à Cadarache, je sais que ce fut déterminant dans le choix de nos partenaires –, mais nous avons également atteint une réelle autonomie dans la production nationale d'électricité, aujourd'hui à 80 % d'origine nucléaire, grâce à nos cinquante-huit centrales.

M. Jacques Myard. Cela ne plaît pas à tout le monde !

M. Pierre Lellouche. Dans ce secteur, j’attendais beaucoup de notre gouvernement, que je soutiens depuis 2002. J’aurais aimé que des orientations stratégiques plus nettes soient prises, s'agissant notamment du renouvellement de notre parc de centrales, réduit aujourd'hui à une seule commande, bien tardive, d'EPR, de la stratégie d'EDF et de l'indispensable ouverture de capital d'Areva, bloquée par l’actuel Gouvernement.

Sur le plan pétrolier, la fusion réussie Total-Fina-Elf a donné à la France l'une des premières majors mondiales, riche de ressources stratégiques importantes et réparties intelligemment sur la planète.

S'agissant du gaz, la décision a été prise il y a deux ans, par notre gouvernement, de séparer en deux logiques distinctes EDF et GDF et de créer une société, Gaz de France, détenue à 70 % par l'État. Cette société est aujourd'hui de taille modeste, héritière d'un réseau de distribution et de stockage, mais dépourvue de réserves et de stratégie propre d'approvisionnement. Le problème de son développement se pose donc et il est normal que le Gouvernement s'en préoccupe.

À la suite de l'annonce, le 21 février dernier, des velléités d'OPA d'Enel sur la partie génération électronucléaire du groupe Suez, Electrabel, la fusion GDF-SUEZ a soudainement – quatre jours plus tard ! – été présentée comme la panacée. Que cette fusion fasse sens sur le plan patrimonial, y compris d'ailleurs pour l'État actionnaire de GDF, ou sur le plan d'éventuelles synergies industrielles, en raison notamment de l'expérience de Suez en matière de transport de gaz liquéfié, qu'elle serve les intérêts des actionnaires, belges au demeurant, je veux bien l'admettre. Ce que je ne saisis pas, c’est la cohérence de cette solution avec la stratégie gazière de la France.

Par la loi du 9 août 2004, nous avons voté, à la demande du Gouvernement, la séparation d'EDF et de GDF. On nous explique aujourd'hui qu'il est urgent de remarier le gaz avec l'électricité, cette fois belge. J'avoue ne pas suivre le raisonnement ! Avec ou sans golden share de l'État français, le groupe ainsi constitué ne serait-il pas « opéable » par des prédateurs tels que Gazprom, qui n'a pas caché sa volonté de contrôler l'ensemble du marché gazier en Europe, de la production en Russie à la distribution dans toute l'Europe ?

M. Jacques Myard. Bien sûr !

M. Pierre Lellouche. Vous n’êtes pas sans savoir que c’est exactement le discours qu’a tenu M. Miller, le patron de Gazprom, aux Européens qu’il avait convoqués à Moscou. En quoi le groupe ainsi fusionné améliorerait-il les capacités de l'État français de garantir ses approvisionnements gaziers, sachant que Suez ne possède pas de réserves propres en matière de production gazière,…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est le problème !

M. Pierre Lellouche. …sachant aussi que ces négociations sont éminemment politiques et relèvent d'accords d'État à État ? De ce point de vue, la baisse sensible de la participation étatique dans GDF serait-elle nécessairement un avantage ? Vous dites, monsieur Breton, que « la stratégie des entreprises leur appartient ». J’en suis d’accord mais, dans de tels secteurs, cette stratégie est d'abord politique et l'État doit y conserver toute sa place !

M. Jacques Myard. Bien sûr !

M. Pierre Lellouche. Enfin, en quoi ce groupe ainsi fusionné aurait-il un impact positif sur l'évolution des prix à la consommation ? Comment convaincre les citoyens français que la privatisation de GDF ne sera pas ipso facto considérée comme la cause de l'augmentation, demain, des prix à la consommation, phénomène dont Pierre Méhaignerie a déjà dénoncé certaines manifestations dans la politique de prix menée par EDF depuis sa privatisation partielle ?

En dernier lieu, se pose une question européenne : comment expliquer à nos amis italiens, chez qui de grands groupes français ont d'ores et déjà pris des parts considérables sur le marché de l'énergie, que nous leur interdisons a priori de prendre pied sur le marché de la production d'électricité… en Belgique ?

Monsieur le ministre, puisque vous avez pris le temps de recevoir les syndicats trente-sept fois, pourquoi ne pas prendre celui de coordonner, voire de mettre sur pied, en liaison avec les parlements, une véritable stratégie européenne en matière gazière et énergétique en général, au lieu de laisser perdurer l’émiettement des réseaux de distribution et de gazoduc placés en concurrence les uns avec les autres, au seul bénéfice de la Russie et de M. Poutine ?

Telles sont, mes chers collègues, les questions que je me pose sur l'opportunité économique et stratégique de cette fusion, dans le contexte international extrêmement tendu que je viens de rappeler.

Il ne s’agit pas, vous l’avez compris, de défendre une idéologie pour ou contre la privatisation – le prix n’est pas en cause –, ni de faire de la politique politicienne. Il s’agit de se poser de vraies questions de fond sur une stratégie gazière pour la France, alors que la part du gaz dans le panier des énergies nationales va augmenter de façon importante dans les vingt prochaines années.

Quand on est parlementaire et fier du rôle que l’on joue au Parlement, le moins que l’on puisse demander est de disposer du temps de discuter de tous ces enjeux.

M. François Dosé. Tout à fait !

M. Pierre Lellouche. Bien que je vous aie écouté, monsieur le ministre, avec beaucoup d’amitié et d’attention, je n’ai pas aujourd’hui l’assurance d’avoir toutes les réponses à mes questions, et les conditions de travail annoncées pour la fin de la session parlementaire ne me semblent pas propices pour les obtenir.

Pour l'ensemble de ces raisons, je considère qu'il est de l'intérêt du pays – et c’est le rôle du Parlement d’y veiller – de prendre le temps de la réflexion sur l'ensemble de notre politique énergétique et gazière – je remercie le Gouvernement d'avoir initié ce débat aujourd'hui, mais il ne faudrait pas le conclure aujourd’hui –, et d'examiner, en particulier, s'il n'existe pas, avec nos partenaires européens, des solutions alternatives, ou même mixtes, plus convaincantes pour ce qui concerne la sécurité des approvisionnements et la politique des prix. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que nous avions un système énergétique fondé sur des entreprises publiques, régulé au plus haut niveau par l’État, le Gouvernement s’applique à le détricoter maille après maille. Il était pourtant le produit de la volonté politique des gouvernements qui s’étaient succédé depuis plus de soixante ans.

Pourquoi détruire ce qui fonctionnait bien ? Comment en est-on arrivé à une logique mondialisée qui veut que le prix du kilowattheure nucléaire produit en France se trouve indexé sur le prix du baril de pétrole brut du Proche-Orient ?

Contrairement à ce qu’affirment les théoriciens du marché libéralisé, l’énergie n’est pas une marchandise ordinaire. Elle recouvre des notions qui échappent aux considérations purement commerciales. Elle est avant tout un bien nécessaire à la vie. Par ailleurs, du fait de l’effet de serre, on ne peut la consommer n’importe comment. Enfin, elle est aussi stratégique que la défense nationale pour garantir notre indépendance.

Je ferai porter mon intervention successivement sur le prix du gaz, sur celui de l’électricité et, enfin, sur le rôle des pouvoirs publics.

Le gaz est une énergie de première nécessité qui requiert l’intervention de la puissance publique. Comme l’a dit M. Lellouche, le gaz naturel revêt une importance fondamentale dans notre approvisionnement énergétique.

Il représente une ressource énergétique d’une importance croissante en France : en 2005, la consommation de gaz naturel en tant qu’énergie primaire a représenté 41 millions de TEP, soit près de 15 % du total, ce qui correspond à un doublement depuis 1973.

La consommation de gaz naturel s’effectue à hauteur de près de 40 % dans le secteur résidentiel, de 38 % dans l’industrie et de 16 % dans le secteur tertiaire. Il est également présent dans le secteur de l’énergie et de l’agriculture. C’est dire si le prix du gaz naturel a une influence sur le niveau de vie des citoyens et sur la compétitivité de notre économie.

Les pressions sur les prix internationaux du gaz naturel demeurent très vives.

Dans le cadre des contrats d’approvisionnent à long terme, les prix du gaz naturel entre mars 2005 et mars 2006 ont augmenté de 76 %. Sur le marché spot de Londres, l’augmentation a été, dans la même période, de 90 %.

Il faut savoir, en effet, que les prix du gaz naturel dans le cadre de contrats d’approvisionnement à long terme suivent ceux des produits pétroliers avec un retard de trois à six mois seulement, et 95 % du gaz importé en France est acheté dans le cadre de tels contrats. Le marché national est ouvert à 70 % à la concurrence.

Ces constats démontrent que le contrôle de Gaz de France par l’État permet la modération des tarifs.

M. François Brottes. Évidemment !

M. Christian Bataille. Fin 2005, la composition de l’actionnariat de Gaz de France était la suivante : 80 % à l’État et 11 % aux institutionnels.

Gaz de France a signé un contrat de service public avec l’État, qui prévoit des obligations de service public, et, en contrepartie, des ajustements de ses tarifs tous les trois mois, en fonction des coûts d’approvisionnement et des charges hors coûts d’approvisionnement.

C’est le contrôle par l’État du capital de GDF qui permet de limiter la hausse de ses tarifs, comme le montre l’épisode de la fin de l’année dernière. En novembre 2005, GDF demande une hausse de 12 %. En contrepartie, il est décidé de diminuer de 45 % le tarif d’abonnement, ce qui n’est pas rien pour les 7 millions de clients particuliers qui se chauffent au tarif grand public. Dès lors, la facture ne devrait pas augmenter de plus de 3,8 %. En l’espèce, le Gouvernement a bien négocié, pour le plus grand profit des consommateurs.

Tributaire de ses fournisseurs, qui appliquent tous l’indexation des prix du gaz naturel sur ceux du pétrole, GDF conserve toutefois une marge de manœuvre dans le temps pour répercuter les hausses – ou les baisses – des cours du brut. En outre, l’entreprise s’attache à juste raison à développer sa production de gaz naturel, qui est encore très faible – 3 % –, par rapport aux volumes qu’elle commercialise.

La privatisation de GDF est donc dangereuse pour l’évolution des prix du gaz naturel. Elle rendrait impossible le type de modération arraché par l’État que je viens de citer. Les actionnaires privés privilégieraient la maximisation du profit de l’entreprise.

Aucune menace d’OPA ne pèse sur GDF contrôlé à 80 % par l’État. Il représente par contre une proie intéressante pour d’autres groupes – de nombreux orateurs l’ont souligné – en raison de l’excellence de son réseau de distribution – dont je rappelle qu’il est le fruit de l’effort national –…

M. François Brottes. Absolument !

M. Christian Bataille. …et en raison des débouchés offerts à la production de gaz naturel.

Enfin, penser que GDF, allié à un autre grand groupe, serait en mesure de peser sur les tarifs mondiaux est un leurre qui ne trompe personne. Je n’ai rien à retirer à ce qui a été dit à propos de Gazprom.

J’en viens à l’électricité.

La dérive injustifiable des prix de l’électricité ne doit pas remettre en cause le socle nucléaire. La dérégulation du marché de l’électricité a été un échec. En France, d’après les résultats maintes fois évoqués à cette tribune de Nus Consulting sur les coûts de l’électricité, le prix au 1er avril 2006 était de 86 euros par mégawattheure sur le marché dérégulé, en augmentation de 48 % en un an et de 76 % sur cinq ans. Sur le marché régulé, le prix, à la même date, était de 52 euros par mégawattheure, stable sur un an et en augmentation de seulement 10 % sur cinq ans.

Comment justifier la hausse sur le marché dérégulé ? Seulement par un alignement sur les prix du marché ; en aucun cas par l’incidence du coût du CO2 – avec 80 % de nucléaire, il n’y en est pratiquement pas produit – ni du coût du remplacement du parc de production. Au contraire, l’augmentation de la durée de vie des réacteurs de trente à quarante ans a été tout bénéfice pour EDF puisque le président d’EDF de l’époque, M. Roussely, a ainsi pu réétaler la dette. Cela lui a donné de la marge. Aux États-Unis, les centrales nucléaires sont appelées des « cash cows », des « vaches à cash ».

Pour EDF, il s’agit seulement d’un effet d’aubaine : l’entreprise profite aujourd’hui des choix clairvoyants effectués par la collectivité nationale dans le passé et de l’effort fait par tous.

En réalité, la dérégulation imposée par Bruxelles est un échec total.

Dans quelle mesure les clients industriels sont-ils intéressés par un changement de fournisseur ? L’enquête réalisée par la commission de régulation de l’énergie – la CRE – fournit des réponses : le prix est la motivation essentielle du changement de fournisseur et quatre clients sur dix pensent que l’ouverture des marchés est synonyme de réduction de leur facture énergétique, un client sur cinq est capable de citer un fournisseur autre que son fournisseur habituel, 6 % des clients sont en train de changer de fournisseur.

Pour l’avenir de notre industrie, il faut impérativement que nos entreprises qui ont quitté EDF puissent revenir sans tarder dans le marché régulé.

Troisième point de mon intervention : le nucléaire et, plus précisément, ce que je pourrais intituler la rente nucléaire, propriété de la nation.

Le coût de production du mégawattheure nucléaire par EDF constitue l’un des secrets industriels les mieux gardés. Le parc électronucléaire étant pour partie amorti, avec un âge moyen des centrales d’environ vingt ans, on peut toutefois estimer qu’il se situe entre 30 et 35 euros le mégawattheure, à rapprocher du prix moyen au 1er avril 2006 de 52 euros sur le marché régulé. On peut donc parler d’une véritable rente de la production nucléaire, qui ne saurait bénéficier aux actionnaires privés de EDF. La volonté des dirigeants d’EDF de rémunérer ses actionnaires privés – certes très minoritaires – tire le coût du mégawattheure vers des prix spéculatifs qui n’ont plus rien à voir avec le tarif raisonnable que devraient acquitter les clients.

Dès 1999, dans un rapport pour l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, j’ai appelé l’attention des pouvoirs publics sur l’appropriation de cette rente au bénéfice de la nation tout entière : elle doit être justement partagée entre tous, et non pas réservée à la frange d’actionnaires privés d’EDF.

Elle doit d’abord servir au remboursement de la dette contractée par l’entreprise, de manière à lui permettre d’investir.

Elle doit ensuite contribuer à la rémunération de l’État actionnaire et des autres actionnaires – mais pas plus que de raison.

Elle doit également permettre d’investir dans le parc de production, en particulier pour le renouvellement des centrales nucléaires.

Enfin, elle doit permettre de maintenir le prix de l’électricité à un niveau raisonnable sur le marché régulé, afin que les consommateurs, qui ont payé le parc d’EDF, bénéficient de leur investissement et que la France demeure une terre d’élection pour les industries électro-intensives.

Monsieur le ministre, votre gouvernement a pris des décisions tout à fait positives en faveur de l’énergie nucléaire, dont celle – je le dis à titre personnel – de réaliser le premier réacteur EPR. Demain, nous allons sortir de l’impasse dans laquelle nous étions pour le traitement des déchets nucléaires.

Mais tous ces efforts risquent d’être réduits à néant et nous risquons d’être confrontés à une véritable crise de confiance de l’opinion vis-à-vis de l’énergie nucléaire. Ce que les militants anti-nucléaire n’ont pas réussi à provoquer dans l’opinion, vous allez y parvenir par une politique absurde qui renvoie dos à dos toutes les énergies dans un même prix unique et gomme l’avantage compétitif de l’énergie nucléaire. Le consommateur, qui tirait avantage d’un prix raisonnable, deviendra indifférent et ne sera pas incité à défendre une énergie qui ne lui apporte plus aucun avantage.

J’en viens à ma conclusion.

La prétendue ouverture libérale est un phantasme de banquiers, qui entraîne la remise en cause de la notion de service public, l’abandon du souci d’établir des prix raisonnables et stables, l’ignorance des préoccupations environnementales et, également, – c’est un point qui n’a pas été beaucoup développé à cette tribune – la prétention de la CRE, la Commission de régulation de l’énergie, organisme non démocratique, à confisquer le rôle des pouvoirs publics et à fixer le niveau des prix en fonction de l’offre et de la demande.

Les consommateurs et les industries ont besoin d’un service public de l’énergie et de prix régulés. Ils ont besoin d’un État républicain qui joue son rôle et détermine les tarifs, en refusant les calculs financiers ou la recherche du profit. C’est l’intérêt général qui doit continuer de déterminer la politique énergétique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux. Il est dommage que trop peu de députés socialistes aient entendu le plaidoyer de notre collègue Christian Bataille en faveur du nucléaire, eux qui n’ont pas voté le lancement de l’EPR et qui prévoiront peut-être dans un programme d’arrêter le chantier.

M. Bernard Accoyer. Et le démantèlement de Superphénix !

M. François Brottes. Que chacun s’occupe de son programme !

M. Claude Birraux. Je voudrais m’exprimer d’abord sur la politique énergétique, conduite depuis 2002, et qui est en rupture totale avec la politique du gouvernement Jospin.

Le gouvernement Jospin avait une politique énergétique faite d’attentisme, d’absence de choix, de textes en panne, comme celui sur la transparence et la sûreté nucléaire qui n’a jamais pu être inscrit à l’ordre du jour – son seul exploit ayant été, si je puis m’exprimer ainsi –, la fermeture de Superphénix, sans débat démocratique, comme on en réclame aujourd’hui partout.

M. Bernard Accoyer. Dix milliards d’euros !

M. Claude Birraux. Depuis 2002, messieurs les ministres, nous avons beaucoup travaillé. Nous avons adopté la loi d’orientation « énergie », assumé notre choix nucléaire et lancé l’EPR pour le renouvellement du parc, relancé très fortement les énergies renouvelables, en particulier les biocarburants, ce que les écologistes du gouvernement Jospin n’étaient pas parvenus à faire.

Ensuite, je pense qu’il nous faut préparer l’avenir, car la politique énergétique est une politique de long terme, qui doit avoir pour but de remplacer les combustibles fossiles par des combustibles sans gaz à effet de serre ou avec moins de gaz à effet de serre. Le rapport de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques adopté le 15 mars dernier, dont les auteurs sont Christian Bataille et moi-même, propose de retenir de nouvelles technologies d’énergie et la séquestration du CO2.

Les nouveaux objectifs doivent être de travailler pour les carburants du futur à partir de biomasse pour le chauffage direct, de fabriquer des carburants liquides à partir de carbone – le charbon peut retrouver une seconde jeunesse –, avec la séquestration du gaz carbonique, avec les carburants liquides et, enfin, avec les nucléaires de troisième et quatrième générations.

La politique conduite jusqu’à ce jour a permis d’assurer notre indépendance énergétique et de protéger le consommateur. Si le prix de l’uranium double, le prix de l’électricité n’en sera affecté qu’à hauteur de 10 %. Si le prix du gaz double, le prix de l’électricité sera augmenté de 40 %.

L’avantage compétitif du nucléaire avec les centrales presque amorties ne se reflète pas sur les prix du marché, en particulier pour les PME éligibles,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai !

M. Claude Birraux. …et je rejoins à ce sujet les remarques de M. Pierre Méhaignerie.

Je voudrais encore signaler deux écueils. Pour Bruxelles, le taux d’ouverture, c’est le nombre de clients qui changent de fournisseurs. Cela ne me paraît pas être un critère objectif et suffisant. Puis, on voit poindre un certain nombre de traders qui commencent à demander – ils ne l’ont pas encore obtenu, mais sait-on jamais ? – qu’EDF cède des centrales amorties pour avoir de l’électricité au prix que Christian Bataille vient de donner.

Enfin, je crois – c’est notre souhait à tous – qu’il faut donner le libre choix au consommateur de sortir du marché régulé ou d’y revenir.

Dernier point : les impératifs d’une politique énergétique doivent être de lutter contre l’effet de serre et d’assurer la sécurité de notre approvisionnement. Là se pose la question Suez-Gaz de France.

On nous dit que, pour peser sur la scène énergétique, il faut être opérateur. Gaz de France produit 30 % du gaz qu’il distribue. Ce n’est qu’un distributeur ; il est donc fragile.

D’un côté, nous avons vu les défenseurs du service public brandir les symboles auxquels ils sont attachés, en quelque sorte leur étendard.

D'un autre côté, il y a un marché globalisé avec des producteurs de gaz, ou de pétrole, qui se situent dans des pays plus ou moins stables politiquement. Ils sont tous avides de profiter de leurs rentes, car ils savent que leurs réserves sont limitées dans le temps. On assiste aussi à une demande croissante des consommateurs, en particulier des pays émergents. Cela entraîne une augmentation des prix du pétrole et du gaz. De plus, ces pays producteurs sont aux manettes des vannes de la fourniture.

Si la Russie nous refait demain le coup de l'Ukraine –Pierre Lellouche a rappelé les déclarations du président de Gazprom –, que pèseront les symboles du service public face aux vannes fermées et aux tuyaux vides ?

La fusion Gaz de France-Suez est-elle la bonne réponse ? Elle est positive pour la direction du Trésor, qui avait déjà vendu cette idée à M. Strauss-Kahn, puis à M. Fabius, sous le gouvernement Jospin.

Je rappellerai aussi le rapport de Mme Nicole Bricq, députée PS en mission, qui demandait la privatisation de Gaz de France.

M. Claude Gatignol. Gaz de France est un nain, disait-elle !

M. Claude Birraux. La question est industrielle. Peut-être faut-il d'autres partenaires ? Un pétrolier ? Aujourd’hui, je ne sais pas. Je regrette que le Gouvernement ait en quelque sorte transformé ce dossier industriel en un dossier exclusivement politique.

Je sais qu’Enel veut acquérir des compétences dans le nucléaire. Dans un monde globalisé, politiquement instable chez les producteurs de combustibles fossiles, ne faut-il pas rechercher des synergies européennes, avoir un champion européen ?

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Claude Birraux. De ce point de vue, EDF a mené, depuis de nombreuses années, sous l’impulsion en particulier de François Roussely, une politique européenne, pour avoir un marché européen.

Le dossier doit mûrir encore et je rejoins sur ce point M. Pierre Méhaignerie et M. Pierre Lellouche. Pourquoi ne pas le faire examiner par une sorte de commission Roulet, qui avait œuvré avant le changement de statut d’EDF, et faire voter tout de suite les modalités d'application pour 2007 de la directive d'ouverture des marchés électriques et gaziers ?

Pour terminer, je m’exprimerai sur la forme de ce débat. Elle est particulièrement désagréable pour les parlementaires, tant récents qu’expérimentés. J’avais cru, la semaine dernière, que le Gouvernement allait attendre l’issue du débat parlementaire pour faire connaître les leçons qu’il en tirait. Deux jours plus tard, le Gouvernement annonçait qu’il allait passer la surmultipliée. C’est la marque d’une très grave incompréhension. Il est grand temps de réfléchir pour savoir si la solution que vous nous proposez aujourd’hui est la bonne ou s’il y en a d’autres. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Claude Gatignol.

M. Claude Gatignol. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis les années 2000 et plus encore depuis ces derniers mois, nous constatons l'expression forte dans tous les médias d'une préoccupation croissante : l'énergie. Ce sera sans doute l’un des points d’achoppement du sommet du G8, qui se tiendra à Saint-Pétersbourg au mois de juillet, sous la présidence russe.

Deux aspects dominent tous les commentaires : la disponibilité et le coût. Le Gouvernement a donc l'obligation politique d'engager une démarche de véritables choix stratégiques – dans tous les sens du terme – pour l'avenir de notre pays, tant l'énergie est indissociable de l'activité économique, de la vie sociale au quotidien, et aussi, ne l’oublions pas, de la défense nationale.

Les deux bases impératives de cette politique, reprises dans la loi d'orientation sur l'énergie de 2005, sont l’approvisionnement assuré et la meilleure compétitivité. Il faut ajouter à cela deux corollaires évidents dans deux domaines différents : d’une part, un impact minimal sur la santé et l'environnement, tout particulièrement vis-à-vis de l'effet de serre ; d’autre part, une optimisation maximale de la consommation, c'est-à-dire la chasse aux « gaspis », autrement dit l'efficacité énergétique.

La France dispose de moyens favorables : un parc nucléaire d’une capacité de 63 000 mégawatts et un parc hydraulique de 25 000 mégawatts, fournissant 95 % de la production nationale d’électricité, assurant ainsi notre indépendance dans ce domaine et notre très bonne place de faible émetteur de CO2. Nous en avons besoin, compte tenu d’une augmentation de la consommation de 2 % par an et de pointes atteintes certains soirs d’hiver de 86 700 mégawattheures.

Mais il faut s'interroger sur les prix pratiqués puisque, depuis les tentatives bien modestes d'ouverture du marché européen, cohabitent le tarif réglementé et le prix de marché issu d'une bourse de l'électricité, Powernext. On constate un écart important entre les deux. Il est dommage que nous ne puissions pas disposer d’une installation de projection, car le diagramme que j’ai en main témoigne de cette distorsion entre le prix du marché et le prix régulé. Quelle réponse pouvez-vous nous apporter sur ce point ?

Les paramètres du prix de revient de l’électricité sont multiples, complexes, mais la baisse du kilowattheure enregistrée dans les années 2000 relève plus d'un manque total de prévision et de provisions pour investissement que du jeu normal de l’offre et la demande. L'ouverture du marché, très imparfaite, sans effet de concurrence réelle, a certainement plus limité la hausse constatée qu’elle n’y a contribué.

J'ajoute que la mission de la Commission de régulation de l'énergie est bien d'évaluer les coûts et de dire l'évolution des prix. J'ai souhaité, à plusieurs reprises, que son rôle soit renforcé et qu’il soit fondé sur une indépendance de fonctionnement et une compétence incontestée. L’envisagez-vous enfin, messieurs les ministres ?

De plus, l’énergie électrique non stockable, sauf derrière un barrage hydraulique, est soumise aux capacités de RTE et aux interconnexions européennes très insuffisantes. Leur renforcement doit être inscrit en priorité pour la fluidité des échanges et la réponse à la consommation de pointe. Nous ne voulons pas de pannes, ces fameux black out.

Quant à la production, il est évident que la filière nucléaire est une bonne réponse. La tranche 3 de Flamanville, l'EPR français numéro 1, y contribuera de toute sa puissance, mais, hélas ! pas avant 2012. Nous devons aussi améliorer l'hydraulique, et le dernier rapport de M. Dambrine sur le sujet, qui vous a été remis récemment, monsieur le ministre, est encourageant, …

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Claude Gatignol. …les autres énergies renouvelables apportant une part complémentaire, qui sera la bienvenue. Dans le domaine de l'électricité, nous avons deux leaders reconnus, EDF et Areva. Ils occupent la première place au niveau international.

La situation est très différente pour les énergies d’origine fossile : nous sommes importateurs à 100 %. Le pétrole est devenu l'emblème des moyens de développement et de croissance économique au niveau mondial, mais aussi l’emblème des surenchères irraisonnées. Les capacités d'extraction et de raffinage sont insuffisantes pour répondre à la demande mondiale, ajoutant à la spéculation des surcoûts tels que le fameux baril a dépassé les 75 dollars.

Nous avons la chance de disposer d’un grand opérateur international, Total, et d’un parc composé à 70 % d’automobiles roulant au diesel, ce qui nous préserve de surconsommation excessive.

Cependant, nous ne disposons que de peu de moyens pour maîtriser les coûts de carburant. Il est heureux que l'orientation nationale, votée par les députés, visant à augmenter la part de biocarburants permette de limiter nos importations pétrolières.

Le charbon aura sans aucun doute un grand avenir lorsque la recherche nous aura fourni les moyens de l'utiliser en maîtrisant les émissions de CO2 et de radioactivité – ne l’oublions pas – mais, pour y parvenir, quelques années sont encore nécessaires...

Le gaz, autre produit fossile, devient par conséquent un enjeu démesuré de politique internationale. Les pays bénéficiant de réserves avérées les utilisent comme une arme diplomatique, économique, politique. Mais les réserves sont une chose, les opérateurs en sont une autre : pour être assurée d'une place à la table des négociations, une entreprise gazière doit avoir un poids certain, une dimension reconnue et des moyens d’investissement importants.

Notre opérateur historique GDF est un champion national et nous savons qu'il est très actif dans la recherche de parts dans la production gazière et dans la distribution.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai.

M. Claude Gatignol. Mais est-ce suffisant pour aborder l'avenir avec sérénité ? Je ne le pense pas. L'exemple de l'achat manqué en Roumanie il y a quelques jours en témoigne, ainsi que la liste et le potentiel des intervenants européens, tous en embuscade.

Aussi, le projet industriel GDF-Suez fondé sur la complémentarité, l'élargissement des compétences, le renforcement du transport de gaz naturel liquéfié, donc du système méthanier et la diversification des sources, ne peut qu’être considéré avec intérêt et soutenu lorsque les conclusions des études économiques et sociales se révèlent positives. Confirmez-vous cette analyse, monsieur le ministre ?

Ne nous voilons pas la face : l'actuel projet de contrat GDF-Suez, qui, depuis plusieurs mois fait l'objet de négociations, s’inscrit dans ce cadre.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très juste !

M. Claude Gatignol. Suez est un énergéticien sérieux, solide et diversifié, Patrick Devedjian l’a rappelé avec talent tout à l’heure. Les services qu’il propose dans le secteur de la distribution de l’eau auprès de plus de 5 000 collectivités en font un acteur local connu et apprécié. La complémentarité est réelle entre les deux entreprises qui ont en commun la culture de service public et l'exigence de qualité du service rendu. Cela doit nous encourager à donner un avis favorable au projet de fusion.

L’État a de ce fait un droit de regard naturel, je dirai même régalien, sur cette nouvelle entité. C’est possible avec seulement deux éléments : une part de capital à plus de 33 % et la fameuse action spécifique dont je crois savoir, monsieur le ministre, qu’elle a déjà été autorisée par Bruxelles pour au moins deux entreprises, Fluxys et Distrigaz. Avons-nous toutes les garanties sur ces points, monsieur le ministre ?

Il reste bien sûr à définir comment le consommateur – entrepreneur ou particulier, électro-intensif, artisan ou hôtelier – peut bénéficier de cette évolution, et à maintenir la délégation de service public. Le groupe UMP a des idées sur le sujet, des propositions à faire,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Claude Gatignol. …car il ne faut pas oublier que la directive sera de toute façon applicable au 1er juillet 2007. C’est incontournable.

Le Premier ministre vient de mettre en place au sein du Conseil d'analyse stratégique, une commission « énergie » chargée de réfléchir sur l'évolution des consommations ; c'est la preuve de l'implication du Gouvernement sur ce sujet touchant la performance industrielle autant que le pouvoir d'achat du citoyen, le débat d’aujourd’hui en témoigne.

Tous les experts, pour une fois d’accord, le disent : l'ère de l'énergie à faible coût est derrière nous, un changement de paysage énergétique est devant nous. L'innovation a vraiment un large champ d'intervention et l’immobilisme n’est assurément pas de mise.

Notre responsabilité politique est de tenter d'apporter les bonnes réponses. Elles se trouvent dans les choix du Gouvernement, confortés par le Parlement. Elles passent également par la force des opérateurs énergétiques, qui ont nécessairement des implications internationales et dont l'activité ne doit surtout pas être entravée.

L'Europe étant encore à la recherche d'une politique énergétique lisible et puissante, c’est à la France de donner des orientations et de veiller à la mise en place d'acteurs industriels solides et sûrs pour en assurer – lorsqu’une opportunité se présente – la réussite et atteindre les buts souhaités. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, dernier orateur inscrit.

M. Michel Bouvard. Monsieur le président, messieurs les ministres, depuis plusieurs années, j’interviens à cette tribune pour poser le problème du devenir d’une partie très significative de la grande industrie de notre pays, marquée par la forte consommation d’électricité dans le secteur des aciers spéciaux, de la métallurgie primaire, de l’aluminium, de la chlorochimie, de la pétrochimie, du carton, du papier, des fibres de renforcement ou des gaz industriels, pour ne citer que les principaux.

Ce sont 60 000 emplois directs et 120 000 emplois indirects qui sont en jeu. Ce secteur a été directement affecté par la hausse des prix de l’énergie, dont on a beaucoup parlé aujourd’hui, et sur laquelle j’avais appelé votre attention il y a deux ans. Vous aviez bien voulu diligenter une enquête de l’inspection générale des finances et du conseil général des mines, qui avait alors évalué les conséquences de l’ouverture du marché. Cette mécanique de hausse des prix n’est d’ailleurs pas terminée, quelles que soient les décisions que nous prendrons, puisque la sortie des contrats à long terme fait peser une épée de Damoclès sur l’existence de très nombreux sites industriels de notre pays.

M. François Brottes. Ce sera terrible !

M. Michel Bouvard. La mise en place, dans le collectif budgétaire de fin d’année, grâce à un amendement adopté le 22 décembre, du consortium des électro-intensifs a marqué une étape importante pour le maintien de ces activités créatrices de valeur et d’emploi dans notre pays.

Pour autant, la publication du décret correspondant et la signature des statuts d’Exeltium, le 15 mai dernier, ne règlent pas tout. Le nombre des entreprises éligibles, une cinquantaine, représente près de 35 térawattheures de consommation annuelle. Permettra-t-il d’obtenir pour les plus électro-intensifs les volumes d’énergie suffisants aux prix garantis intéressants par le consortium ? Des garanties de prix à long terme seront-elles apportées, en cohérence avec des investissements dans un secteur très capitalistique ? Comment le tarif sera-t-il calculé, notamment pour les capacités électriques nouvelles créées par l’EPR et par les producteurs ? S’agissant d’EDF, quelle sera la part de la rente nucléaire prise en compte pour déterminer un tarif correspondant aux enjeux de rentabilité au regard de la concurrence existant en Europe, mais aussi à l’étranger ? Pierre Méhaignerie a évoqué tout à l’heure un écart tarifaire de 27 à 40 euros, écart dans lequel le positionnement du curseur détermine très directement la fermeture d’un site, son transfert à l’étranger ou son développement par de nouveaux investissements dans notre pays.

Il est important que le Gouvernement demeure attentif à ces enjeux, en liaison avec la représentation nationale, et que des solutions complémentaires au consortium soient étudiées. Je pense par exemple à la mise en œuvre de tarifs de proximité des sites de production d’électricité, solution récemment mise en œuvre en Allemagne. Ces tarifs permettraient de faire des économies d’énergie par rapport aux pertes en ligne dans les transports et d’améliorer les tarifs pour les industriels, le transport d’électricité pouvant représenter pour certaines industries jusqu’à 8 % du prix de revient.

J’en viens maintenant au projet de fusion Suez-GDF, présenté comme une solution à la menace que ferait peser sur Suez l’OPA d’Enel. Ce projet est justifié dans votre discours, au nom du patriotisme économique, par la volonté de maintenir Suez sous pavillon français et de favoriser la croissance de Gaz de France dans une offre plurielle.

Messieurs les ministres, je ne suis pas convaincu par ce discours. Permettez-moi de vous faire part de mes interrogations puisque vous avez proposé un débat sur un sujet qui est loin d’être médiocre.

Le patriotisme économique se justifie-t-il par rapport à une OPA en provenance d’une société située chez notre deuxième partenaire économique ? Quelles relations voulons-nous établir durablement avec l’Italie…

M. Jacques Myard. Il faut l’annexer ! (Sourires.)

M. Michel Bouvard. …après qu’EDF ait pris le contrôle d’Edison et la BNP celui, récemment, de la Banca del Lavoro, après qu’Air France ait passé une alliance privilégiée avec Alitalia et après avoir fait obstacle à la prise de contrôle de SAPRR par Autostrade, pourtant alliée à la Caisse des dépôts et consignations ?

Quelles relations voulons-nous construire avec notre deuxième partenaire économique ? Je pose la question.

M. François-Michel Gonnot. Très bonne question !

M. Michel Bouvard. En second lieu, le maintien de Suez ou la fusion avec GDF se justifient-ils par rapport à la politique tarifaire future ? Avons-nous quelque chose à gagner en matière de politique tarifaire pour les consommateurs individuels et industriels ?

M. François Brottes. Rien !

M. Michel Bouvard. Je n’ai pas de réponse positive à cette question.

En revanche, j’ai une véritable interrogation, messieurs les ministres, qui rejoint le propos de Claude Birraux. La montée des prix de l’énergie en Europe est d’abord liée au déficit de production électrique du continent européen.

M. Jacques Myard. De l’Allemagne !

M. Michel Bouvard. En effet, mais aussi de l’Italie qui est l’un des principaux pays déficitaires.

M. Jacques Myard. Bien fait pour eux ! (Sourires.)

M. Michel Bouvard. Ne perd-on pas une occasion d’encourager l’Italie via Enel à développer à nouveau un site de production électrique nécessaire pour résorber ses déficits, faire baisser la tension sur les prix au niveau du continent et l’amener, après les accords passés dans le cadre de l’EPR, à revenir au nucléaire, ce qui lui permettrait dans le même temps de respecter les critères de Kyoto.

Ces interrogations demeurent et je ne suis pas convaincu par l’intérêt du montage. Certes, il est vrai, que Gaz de France a besoin de passer des alliances et de diversifier son offre. Mais pouvons-nous prendre de telles décisions dans un contexte aussi controversé et sans avoir étudié toutes les autres solutions ?

On a évoqué les champions nationaux et internationaux dans le secteur du pétrole. Peut-on envisager des alliances ?

Je conclurai sur le respect des engagements pris devant le pays. Pour ma part, je ne me résous pas à changer de stratégie, à changer d’avis en quelques mois. La commission des finances a souhaité que l’État se maintienne à hauteur de 70 % dans le capital de Gaz de France. La proposition initiale, c’était la majorité simple. Je fais partie des signataires de l’amendement qui a remonté à 70 % la participation de l’État. Or les dispositions qui nous sont imposées par Bruxelles…

M. Jacques Myard. Inadmissibles !

M. Michel Bouvard. …ne nous permettent pas de garantir une participation majoritaire de l’État dans le futur ensemble. C’est aussi une des raisons pour lesquelles, monsieur le ministre, à mon grand regret, je ne peux souscrire à la proposition qui nous est faite. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Paul. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. François Brottes. Il va s’en prendre à la gauche pour éviter de parler des désaccords au sein de la droite !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je tiens à vous remercier, mesdames messieurs les députés, pour la qualité et la tenue de ce débat important pour notre pays. Je remercie tout particulièrement les orateurs qui se sont exprimés, les cinq orateurs socialistes, les deux orateurs du groupe communiste et républicain, celui du groupe UDF, et surtout les dix-sept orateurs du groupe UMP.

Je vous remercie tous très sincèrement. Vos interventions dénotent l’intérêt que vous portez à ce débat essentiel, même si je ne partage pas tous les points de vue.

Merci aussi aux orateurs UMP, qui, dans leur très grande majorité, ont apporté un soutien sans faille à ce projet. J’ai bien noté qu’il en restait cinq à convaincre, nous nous attacherons à le faire, notamment pour ce qui concerne le calendrier.

Je salue tout d’abord Patrick Devedjian, qui a eu le courage de dire très clairement qu’il fallait aller de l’avant et suivre le projet du Gouvernement. Je tiens à le remercier car, si quelqu’un connaît le sujet, c’est bien lui, et à double titre : d’abord en tant qu’ancien ministre de l’industrie, ensuite pour avoir défendu devant la représentation nationale la loi de 2004. Sans ambiguïté, il nous a dit qu’il y allait de l’intérêt de la France.

De nombreuses questions ont été posées. Je souhaite y répondre en détail, monsieur le président, car j’ai bien conscience que de la qualité de nos réponses, à François Loos et à moi-même, dépendra la suite que nous donnerons ensemble à ce projet.

Je voudrais d’abord vous faire part humblement de ma conviction de ministre mais aussi de citoyen : Gaz de France a un besoin vital de flexibilité et de souplesse dans son capital pour pouvoir nouer des alliances. Patrick Devedjian l’a rappelé. Si nous ne le faisons pas, Gaz de France resterait isolé et Suez connaîtrait une tout autre destinée. Si nous comprenons pourquoi la part de capital détenu par l’État a été fixée à 70 % il y a quelques années, nous comprenons aussi la nécessité de donner des marges de manœuvre à l’entreprise pour la faire avancer. Il nous reste un peu de travail à accomplir ensemble, notamment sur la délicate question des prix aux industriels. Nous allons continuer à l’étudier et nous aurons l’occasion d’en reparler avec vous.

Mme Buffet a fait part de la perception du groupe communiste sur les questions énergétiques et, comme souvent sur ces questions qui engagent l’avenir de notre pays, je peux la rejoindre sur certains constats : la hausse de la demande mondiale, l’enjeu essentiel que représentent les pays en développement.

M. Daniel Paul. C’est un peu court !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mais je m’arrête là car, comme souvent, nous divergeons très profondément sur l’analyse des orientations nécessaires pour donner à notre pays et à ses opérateurs énergétiques toutes leurs chances.

Mme Buffet m’a interrogé sur une fusion éventuelle entre EDF et GDF. J’ai déjà répondu à cette question dans mon propos liminaire et je redis ici que ses effets anticoncurrentiels conduiraient les autorités européennes à exiger des contreparties dramatiques, sur l’ensemble de la chaîne du gaz et de l’électricité. Je vous invite à vous rapporter aux conclusions de la commission Roulet, dont le rapport remarquable, publié en 2004, vous éclairera. J’ajouterais, s’il fallait citer un exemple étranger, que l’échec de la fusion tentée entre EDP et GDP, au Portugal, démontre qu’une telle opération n’est tout simplement pas possible. Nous pouvons le regretter mais c’est comme ça, c’est notre monde.

La hausse des prix de l’électricité n’est pas liée à l’ouverture du capital d’EDF. Je redis très clairement qu’il n’y aucun lien entre le capital et la régulation des tarifs. Ce sont des raisons structurelles qui ont conduit à des tensions en matière de prix, notamment l’absence d’investissement pendant dix ans, alors que ses amis socialistes étaient au pouvoir. Il y a des situations anormales, comme l’a souligné Pierre Méhaignerie, qui appellent réaction mais, en l’occurrence, on ne peut établir aucune relation de ce type.

Monsieur Poignant, je vous remercie pour votre présentation très claire des enjeux qui préoccupent certains députés de la majorité. Vous avez souligné l’action intense menée par le Gouvernement depuis 2002 pour garantir un prix compétitif de l’énergie, pour maîtriser la demande d’énergies, surtout fossiles, pour assurer la cohésion sociale, pour préserver aussi la santé humaine et l’environnement et surtout lutter contre l’effet de serre. Vous avez rappelé, et je vous en remercie, la permanence et la cohérence de ces objectifs, au service de la réussite de nos entreprises dans un environnement qui évolue très rapidement. Vous avez encore souligné l’importance des questions qui nous sont aujourd'hui posées et l’esprit de responsabilité qui doit présider à nos décisions.

Par ailleurs, le projet de loi prévoira une action spécifique qui donnera au Gouvernement le pouvoir de s’opposer à toute décision de Gaz de France portant sur une cession d’activités, susceptible de porter atteinte aux intérêts nationaux dans le secteur de l’énergie.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En outre, le seuil de détention par l’État d’un tiers du capital sera inscrit dans le projet de loi. Je le précise également à l’intention du président Ollier, que je remercie pour la qualité des débats. C’était du reste l’une de vos conditions.

Quant aux tarifs, la possibilité de les maintenir sera inscrite dans la loi tout comme la création d’un tarif social.

Vous posez la question, la plus difficile sur un plan juridique, d’une éventuelle réversibilité pour les entreprises ayant choisi le marché concurrentiel. Comme de nombreux députés, vous vous interrogez, à juste titre, sur la possibilité d’autoriser un retour à un tarif réglementé pour les entreprises industrielles confrontées à des hausses importantes du prix de l’électricité. Pierre Méhaignerie a, à juste titre, longuement développé ce point.

Comme vous, mesdames, messieurs les députés, je considère que nous sommes face à une réelle difficulté. Le Gouvernement, avec François Loos, a déjà commencé à agir vigoureusement. Je le dis cependant clairement, à ce stade du débat : nous serons prêts, le cas échéant, si ces mesures ne sont pas suivies d’effets, à envisager avec vous des mesures législatives.

Pour autant, il nous faut être prudents pour ne pas nous engager dans la voie d’une fausse solution. Veillons à ne pas sombrer dans la démagogie. L’instauration d’une réversibilité des tarifs induirait de nombreuses contraintes potentielles. D’abord, du point de vue de la politique énergétique, les mesures prises doivent favoriser les investissements et non les dissuader. Du point de vue communautaire, ensuite, il convient de maintenir une concurrence dans le domaine de l’électricité alors que la Commission s’interroge déjà sur le maintien des tarifs réglementés. D’un point de vue interne, enfin, il faut éviter de mettre en difficulté économique les acteurs du marché.

Un retour simple aux tarifs pourrait présenter des inconvénients et il ne serait pas pérenne. Il supprimerait par ailleurs toute incitation à l’investissement. Paradoxalement, la réversibilité pure ne répondrait pas à la principale cause de la hausse des prix qu’elle est censée combattre : l’insuffisance des moyens de production. Cependant, je le redis, je suis ouvert à l’examen de toute mesure adoptée, y compris par voie législative, comme le souhaitait Pierre Méhaignerie.

Je me tourne à présent vers M. Brottes, que je remercie d’être resté parmi nous, pour lui dire que j’ai senti un certain malaise dans ses propos.

Monsieur Brottes, vous vous êtes interrogé sur les engagements que Gouvernement a pris en 2004. Patrick Devedjian vous a répondu lui-même. La loi de 2004 a été une avancée majeure et a permis de doter EDF et GDF d’un statut adapté, mais surtout des capitaux nécessaires à leur développement, plus particulièrement EDF, qui a fait l’objet de 40 milliards d’euros d’investissement – chiffre très important que j’avais omis de vous signaler. Depuis, le contexte a changé, et tous ces éléments ont été très bien intégrés.

Vous avez fait un long développement, ponctué par la promesse d’alternatives. Mais, à aucun moment, vous n’en avez vraiment parlé, pour une raison simple : elles n’existent pas, et vous le savez bien.

S’agissant de la remise en cause de la directive, je rappelle, sans vouloir entrer dans un débat stérile sur les responsabilités de chacun, que c’est Lionel Jospin, au sommet de Barcelone en 2002, qui a accepté le principe de l’ouverture totale des marchés du gaz et de l’électricité.

M. François Brottes. Non, pas totale !

M. François-Michel Gonnot. Si !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il n’avait pas, du reste, la possibilité de faire autrement. La France doit respecter les engagements internationaux, même s’ils ont été pris par un autre Premier ministre.

M. Jacques Myard. On peut toujours dénoncer un accord !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Elle ne peut remettre en cause seule, monsieur Myard, le principe de l’ouverture des marchés, d’autant que leur ouverture complète pourrait se faire, même en l’absence de transposition, je me dois de vous le rappeler.

M. Jacques Myard. Non, non et non !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En ce qui concerne les tarifs, le projet de loi permettra justement de les maintenir en toute sécurité, après le 1er juillet.

Quant à la TIPP flottante, sa mise en place est un processus trop lourd et inefficace pour inciter aux économies d’énergie. Il n’est donc repris par aucun pays. Nous parlons souvent de cette question dans le cadre des réunions européennes et des anciens ministres comme M. Strauss-Kahn en sont bien conscients.

Du point de vue de l’intérêt industriel, la fusion donnera une puissance d’achat à Gaz de France, qui lui permettra d’économiser plus de 250 millions d’euros par an sur les achats, au seul bénéfice des consommateurs.

Pour ce qui est des bons de souscription d’action, les BSA, je vous remercie de souligner la mise en place d’un mécanisme de protection des groupes contre les OPA hostiles, mais ne nous trompons d’objectif : il ne s’agit pas d’un instrument anti-OPA. La loi sur les offres publiques d’achat, dont je salue le rapporteur, Hervé Novelli, entendait doter nos entreprises d’instruments leur permettant de se battre à armes égales. C’est un point important de réciprocité.

Enfin, s’agissant de l’avis du Conseil constitutionnel de 2004, j’aurais aimé que vous alliez jusqu’au bout du paragraphe dont vous avez entamé la lecture : « L’abandon de cette participation majoritaire ne pourrait résulter que d’une loi ultérieure. » Cela vous aurait évité de prétendre que la Constitution ne permet pas au législateur de statuer sur l’évolution de Gaz de France, s’il en a décidé autrement.

J’en viens à l’intervention de M. Dionis du Séjour, au nom de l’UDF, dont j’ai apprécié le ton positif et constructif. Il nous a interrogé sur l’action du Gouvernement en matière de politique européenne de l’énergie, ce qui est une très bonne question, sur la planification des investissements, sur le développement de l’énergie renouvelable et a aussi posé sept questions sur le projet de fusion Suez-Gaz de France.

S’agissant de la politique européenne de l’énergie, je précise que le Livre vert reprend une grande partie des propositions du Gouvernement présentées dans le mémorandum, que j’ai défendu devant le Conseil ECOFIN.

En matière de sécurité des approvisionnements, le Gouvernement a ainsi préconisé la réalisation d’un exercice de planification pluriannuelle des investissements. La mise en place d’une telle programmation au niveau européen, associée à la réalisation d’un bilan offre-demande à cette échelle, est l’un des éléments les plus saillants de cette proposition. La France vient, par ailleurs, d’achever des exercices de PPI à l’échelle de la nation et, pour ce qui est de l’électricité, nous disposons aujourd’hui des prévisions de Gaz de France, auxquelles je l’invite à se référer.

S’agissant de la loi de financement pluriannuel de l’énergie, qu’il appelle de ses vœux, je précise que la loi d’orientation est déjà une loi pluriannuelle, qui fournit des orientations à moyen terme sur les objectifs de politique énergétique. Quant au financement, la PPI planifie les investissements, mais ceux-ci sont financés en premier lieu, je le rappelle, par les entreprises concurrentielles.

Parmi les questions relatives à la fusion Suez-Gaz de France, M. Dionis du Séjour a demandé si l’on pouvait laisser le patriotisme économique guider nos choix et pourquoi il y avait une absence de réciprocité à l’égard de l’Italie. En fait, il ne s’agit ni de patriotisme économique ni de protectionnisme puisque le rapprochement concerne une entreprise française et une entreprise franco-belge, pour la majeure partie de ses activités et de ses emplois. C’est donc un projet clairement européen et, à cet égard, il répond à une demande pressante des deux entreprises. Une bonne définition de l’objectif du projet a été donnée par l’un des orateurs : « Faire en sorte que l’une de nos entreprises publiques puisse être forte demain, en conservant l’enracinement de Gaz de France et de Suez en France, c’est être patriote », propos que je reprends volontiers à mon compte.

Pourquoi ne pas fusionner EDF et GDF ? Je le répète, nous sommes dans le cadre de la concertation et nous prenons le temps de répondre à l’ensemble des questions légitimes que se posent les uns et les autres. La mise en œuvre de la fusion entre Gaz de France et Suez nécessite d’abord le vote d’une loi autorisant la privatisation de Gaz de France, et il est important de lui donner de la souplesse, afin qu’il puisse définir sa propre stratégie dans l’intérêt de ses objectifs et dans son intérêt social, puis l’aval des autorités de concurrence, enfin le vote des actionnaires de Gaz de France et de Suez en assemblée générale.

Je tiens à dire devant la représentation nationale que les autorités de concurrence ont été formellement saisies du dossier au mois de mai dernier et qu’elles devraient rendre leurs conclusions d’ici au mois de novembre. En tout état de cause, nous attendons des éléments de réponse dès la semaine prochaine.

S’agissant de la conformité du projet avec le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, le Conseil d’État a indiqué que des adaptations juridiques étaient nécessaires, mais qu’il n’existait pas d’obstacle constitutionnel à la réalisation de la fusion.

M. Dionis du Séjour a demandé quelles contreparties la Commission exigera pour que le nouvel ensemble ainsi créé n’entrave pas le libre jeu de la concurrence. Je rappelle que les activités entre les deux entreprises sont avant tout complémentaires. Il n’y a pas, ou très peu, de redondance géographique.

S’agissant du marché belge, j’espère que la Commission, qui a été saisie, rendra ses conclusions assez rapidement. J’ajoute que l’avis de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz belge n’est pas contraignant.

En ce qui concerne les conséquences statutaires sur le personnel, je le répète, le statut des IEG, qui est un statut de branche, sera maintenu.

Enfin, les tarifs de l’électricité et du gaz seront préservés. Le projet de loi intégrera clairement une disposition permettant de donner le choix à nos concitoyens entre le maintien de leur contrat au tarif réglementé et la libre concurrence. Chacun pourra exprimer ce choix pour chaque site.

Monsieur Ollier, je vous remercie d’avoir souligné avec une grande précision l’ensemble de la problématique dans laquelle s’inscrit notre débat, ainsi que le travail considérable accompli par le Gouvernement pendant quatre ans dans le secteur de l’énergie. Du reste, vous y avez très largement contribué en tant que président de la commission des affaires économiques, et je tiens à vous en rendre hommage.

Vous avez indiqué être favorable au projet à six conditions.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je souhaite obtenir six garanties !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je le dis d’emblée, j’y répondrai de façon positive.

Premièrement, l’identité du groupe Gaz de France sera préservée, notamment grâce à une fusion entre égaux.

Deuxièmement, les missions de service public seront garanties et étendues avec la mise en place d’un tarif social du gaz.

Troisièmement, le statut du personnel des IEG sera maintenu et pérennisé.

Quatrièmement, l’État assurera un contrôle public efficace sur le nouvel ensemble, grâce à une action spécifique et à une part minimale du capital supérieure du tiers qui sera inscrite dans le projet de loi du Gouvernement.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Au-delà de son pouvoir d’actionnaire, l’État conservera évidemment son pouvoir de régulateur, notamment sur le contrôle des prix, je le dis très clairement.

Vous avez souhaité que les tarifs en direction des particuliers soient maintenus après le 1er juillet 2007. Ce sera l’un des aspects essentiels du projet de loi.

Enfin, s’agissant des industriels qui sont sur le marché dérégulé, comme je l’ai dit précédemment le Gouvernement est pleinement conscient des difficultés qu’ils rencontrent et il est prêt à légiférer, si c’est nécessaire, de façon à répondre à votre problématique.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. J’ai bien compris, monsieur le président Ollier, que ces garanties étaient de nature à convaincre les députés de la majorité encore hésitants. J’espère que vous vous ferez l’écho auprès d’eux de ces garanties, que je viens de vous apporter au nom du Gouvernement.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je vous remercie, monsieur le ministre.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président Méhaignerie, vous reconnaissez la pertinence du projet de fusion Suez-GDF, mais vous vous interrogez sur la façon de procéder, notamment sur les délais, compte tenu du contexte international et du prix de l’énergie.

J’entends évidemment le mécontentement de certains industriels, qui voient les prix de leurs contrats augmenter de façon parfois inacceptable, et je partage leur avis.

Le Gouvernement n’est pas resté inactif, contrairement à ce qui a pu être indiqué ici ou là. François Loos a d’abord donné une réponse structurelle permettant d’assurer une capacité de production suffisante à long terme. C’est, du reste, tout le sens de l’action gouvernementale en matière d’investissement en France et en Europe.

Il a agi également par des réponses directes et à court terme. Pour aider à améliorer la situation des entreprises consommatrices d’électricité qui subissent des hausses trop importantes – je veux parler des 650 entreprises qui ont été victimes de trop fortes hausses – le Gouvernement entend prendre des mesures significatives.

Premièrement, un dispositif de consortium a permis aux entreprises électro-intensives d’obtenir des prix avantageux.

Deuxièmement, pour les PME et PMI, des engagements ont été obtenus de la part des fournisseurs sur la réversibilité. Vous vous êtes interrogé, à de nombreuses reprises, sur la possibilité d’autoriser le retour à un tarif réglementé des entreprises industrielles qui sont confrontées à ces hausses de tarifs. Pour offrir une réponse adaptée à ces situations, rien ne doit être exclu, et c’est sans a priori que j’aborde cette question,…

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …même si le champ des contraintes est réel, voire complexe.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous en sommes conscients !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Rien ne serait pire qu’une fausse solution démagogique qui s’effondrerait au bout de quelques mois, après avoir suscité de faux espoirs. Il faut donc vraiment l’éviter, et je sais que vous partagez ce souci. Aussi faut-il examiner avec soin quelles sont ces contraintes.

Du point de vue de la politique énergétique, les mesures prises doivent favoriser l’investissement dans de nouveaux moyens de production, et non pas le dissuader.

Sur le plan communautaire, il faut maintenir une concurrence dans le domaine de l’électricité. La Commission nous interroge déjà sur le maintien des tarifs existants et elle s’opposerait certainement à une fermeture totale du marché de l’électricité en cas de retour généralisé aux tarifs réglementés, qui laisserait EDF seule sur le marché français, tous ses concurrents ayant été évincés par une simple décision de l’État. Du point de vue interne, il faut évidemment éviter de mettre en difficulté les acteurs du marché.

Sur ces trois plans, un retour simple aux tarifs réglementés pour les industriels présenterait des inconvénients graves et il ne serait sans doute pas pérenne. Je souhaite tout particulièrement insister sur le fait qu’il conduirait à la suppression de toute incitation à l’investissement.

Paradoxalement, on aboutirait à une situation où la réversibilité aggraverait les causes de la hausse des prix qu’elle est censée combattre.

Je le dis clairement, monsieur Méhaignerie, nous sommes prêts à rechercher rapidement des solutions intelligentes. Dans le cadre d’un débat législatif, on pourrait envisager, par exemple, d’améliorer la transparence des marchés par une extension des pouvoirs de surveillance de la CRE.

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il faudrait en particulier s’intéresser aux opérations de gré à gré, mais pas uniquement.

M. Claude Gatignol. C’est une bonne chose !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ensuite, il faudrait prolonger le bénéfice des tarifs réglementés pour les nouveaux sites professionnels au-delà du 31 décembre 2007, date limite prévue par la loi de 2005. Enfin, il faudrait soutenir les PME et PMI les plus affectées par le coût de l’électricité, afin de leur permettre d’améliorer leur pouvoir de négociation vis-à-vis des électriciens. Le niveau de soutien législatif à ces entreprises pourrait être calibré.

Nous le savons, le retour pur et simple aux tarifs réglementés est une voie périlleuse sur le plan juridique, industriel et politique, mais je suis prêt à examiner avec vous des mesures fortes permettant de répondre rapidement aux difficultés actuelles de l’industrie française, tout en tenant compte des contraintes que je viens d’exposer, y compris par voie législative si nous estimons ensemble que c’est la seule solution pour y parvenir.

M. Lequiller, vous avez eu raison de souligner, et cela ne me surprend pas venant de vous, la dimension européenne des questions énergétiques, notamment en termes de sécurité d’approvisionnement gazier.

Je le répète, le marché de l’énergie fait l’objet d’évolutions extrêmement rapides dans toute l’Europe, et vous l’avez tous indiqué. L’indépendance énergétique de notre pays est clairement un enjeu stratégique, et je crois que chacun le reconnaît.

Cette indépendance suppose de nous doter de tous les instruments nécessaires, et notamment de nous assurer de l’existence en France et en Europe de groupes industriels suffisamment puissants pour engager des investissements très significatifs, pour être en mesure de négocier dans de bonnes conditions, comme l’a rappelé M. Ollier, les meilleurs coûts d’approvisionnement et la durée des contrats d’approvisionnement. Le projet GDF-Suez s’inscrit dans cette dynamique qui a été, du reste, clairement initiée dans l’esprit du mémorandum français sur l’énergie qui a été proposé aux vingt-cinq États membres. Il permettra de mettre en commun des activités proches et complémentaires. Dans le secteur du gaz naturel, nous devons avoir à l’esprit que nous créerons le numéro 1 mondial, notamment en ce qui concerne le gaz naturel liquéfié. C’est un enjeu absolument essentiel qui nécessitera des investissements très lourds, lesquels ne peuvent être faits que dans le cadre d’un projet de cette ampleur. Un tel projet nous permettra d’assurer une meilleure indépendance énergétique vis-à-vis des clients de Gaz de France et de Suez.

Dans l’électricité, la mise en commun des moyens de production détenus par les deux groupes fera de lui un acteur compétitif doté d’un parc de production diversifié, faiblement émetteur de CO2, et qui aura le contrôle de neuf réacteurs nucléaires – ce n’est pas rien ! Cela exige que l’ensemble soit considéré comme un ensemble stratégique pour l’État français, ce qui justifiera la minorité de blocage et les actions spécifiques.

Je conclurai mon intervention en remerciant Jean-Claude Lenoir pour l’efficacité de la consultation qu’il a menée avec les membres du Conseil supérieur de l’électricité et du gaz en vue de préparer l’ouverture des marchés au 1er juillet 2007. Bien évidemment, son rapport est à la disposition de chacun.

Voici donc de premiers éléments riches en enseignements sur un premier bilan de l’ouverture des marchés professionnels qui figurent dans ce rapport. M. Lenoir a eu raison de souligner que les investissements doivent être encouragés dans un secteur qui en nécessite beaucoup. Ce sont ces investissements qui, à terme, permettront d’assurer la compétitivité de notre énergie. Par ailleurs, je partage son analyse sur les précautions à prendre lors de l’ouverture des marchés aux particuliers. Il est bien prévu, dans le projet de loi, qu’un individu qui déménage aura le droit de bénéficier des tarifs réglementés.

J’ajoute que l’ensemble des recommandations de Jean-Claude Lenoir seront prises en compte dans l’élaboration du projet de loi.

Mesdames, messieurs les députés, François Loos va maintenant répondre aux autres questions qui ont été posées.

Je tiens à remercier tous les orateurs pour la qualité de ce débat digne de l’intérêt que vous portez, à juste titre, à ces sujets. C’est avec cette qualité, monsieur Accoyer, que nous saurons convaincre les cinq ou six orateurs qui souhaitent encore l’être. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous avons tous les arguments pour les convaincre que ce projet va dans le bon sens pour Gaz de France et Suez, mais aussi pour l’ensemble de nos compatriotes et pour la France. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Mon rappel au règlement, fondé sur l’article 58, alinéa 1, concerne le déroulement de nos travaux.

Je remercie M. Thierry Breton d’être resté jusqu’au terme de ce débat, bien qu’il ait entendu nombre de critiques émanant de sa propre majorité. Cela n’a pas dû être facile… Mais il n’a pas modifié son point de vue depuis le début de la séance…

M. Hervé Novelli. Encore heureux !

M. François Brottes. Je n’ai pas compris – d’où mon rappel au règlement – quelle suite sera donnée à cette séance. Le Gouvernement va-t-il déposer un projet de loi, et, si oui, quand sera-t-il discuté au Parlement ?

M. Daniel Paul. Ils n’en savent rien !

M. le président. Je prends acte de votre question, monsieur Brottes.

Reprise du débat

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, à la suite de Thierry Breton, je vais répondre aux intervenants.

M. Dosé nous a demandé de confirmer que ce projet de fusion ne répondait pas uniquement à une logique capitalistique et que les intérêts des consommateurs les plus modestes ne seraient pas sacrifiés. Dans notre esprit, c’est bien l’intérêt des consommateurs et des entreprises consommatrices que visera le texte. Le projet de loi que le Gouvernement propose de soumettre à votre assemblée s’attachera à défendre les intérêts des consommateurs à travers le maintien des tarifs réglementés, et il importe d’agir rapidement sur ce point. Soyez donc rassuré, monsieur Dosé.

Thierry Breton a déjà beaucoup parlé de l’intervention de Patrick Devedjian. Ce dernier a fort bien expliqué en quoi la situation actuelle diffère de celle de 2004. Le prix du baril de pétrole s’élevait alors à 24 dollars, alors qu’il atteint aujourd’hui 75 dollars. Ceci change considérablement la donne, non seulement pour les producteurs de pétrole, mais aussi pour toutes les entreprises du secteur énergétique, qui disposent dès lors d’importantes capacités d’investissement. Celles-ci peuvent les mettre en œuvre soit dans des projets industriels, soit dans l’achat d’entreprises. Gaz de France étant un acteur de taille modeste, il importe qu’il puisse disposer de moyens plus importants pour garantir la maîtrise de son approvisionnement et assurer sa capacité de développement, avec des investissements à la hauteur de ceux de ses compétiteurs. Le rapprochement de Gaz de France et de Suez répond donc, selon nous, à ces ambitions stratégiques pour les projets industriels des deux groupes.

Monsieur Daniel Paul, le service public de l’énergie ne sera pas remis en cause, puisque l’État a signé avec EDF et GDF des contrats qui prévoient des obligations de service public à la charge des entreprises, ainsi que des engagements de modération tarifaire, s’agissant notamment des consommateurs individuels.

Concernant la sécurité gazière, le Gouvernement a pris toutes les mesures réglementaires pour contraindre les opérateurs à la résorption des canalisations en fonte grise.

En matière d’investissements et de visibilité, nous disposons d’un instrument très efficace : la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique. Nous avons demandé à EDF de s’engager à investir 40 milliards les cinq prochaines années dans la production, le transport et la distribution.

Vous voyez, monsieur Paul, qu’en matière d’investissements, de sécurité et de service public, nous répondons à toutes vos préoccupations.

Vous vous êtes également inquiété de l’avenir du personnel de l’opérateur commun entre EDF et GDF, qui compte près de 60 000 agents. Je veux, là aussi, vous rassurer quant à l’avenir de cet opérateur commun qui n’a pas lieu de changer de fonction, mais qui s’intègre aujourd’hui dans cette nouvelle politique, à la suite des directives modifiées par la loi de 2004.

Monsieur Gonnot, vous avez souligné les difficultés soulevées par l’ouverture du marché. Il est clair que ce processus, comme tout changement majeur à l’échelle d’un continent, n’est pas parfait et mérite une attention constante. Vis-à-vis de ses partenaires communautaires, la France s’est engagée dans une démarche forte, largement relayée par d’autres États membres, afin que la programmation des investissements, pierre angulaire de l’équilibre énergétique, soit directement prise en compte à l’échelle européenne, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Pour l’heure, seuls les Pays-Bas et la France se livrent à un tel exercice. Mais nous avons obtenu que nos voisins suivent le mouvement, de manière à mieux programmer les investissements, en tenant compte des autres pays.

Sur le plan national, nous devons préparer l’échéance du 1er juillet 2007 avec la ferme volonté de protéger le consommateur individuel. C’est en suivant les travaux du CSEG, le Conseil supérieur de l’électricité et du gaz, et ses recommandations que nous agirons au mieux. Nous avons traité de façon pragmatique et volontaire les difficultés constatées sur le marché. J’ai travaillé en ce sens avec les producteurs d’électricité qui ont d’ores et déjà pris des engagements importants.

Vous souhaitez savoir s’il existe un « plan B » au projet de fusion entre GDF et Suez. Après une réflexion approfondie des deux entreprises, aucun autre projet n’est apparu aussi intéressant sur le plan industriel. Au-delà de partenariats envisageables sur le papier, il faut également la manifestation d’une volonté. Pour ce qui concerne Suez et Gaz de France, ces conditions sont aujourd’hui réunies. Ces entreprises ont estimé que seule la fusion leur donnerait toutes leurs chances et que, si une autre voie était possible, elle serait examinée. Mais, pour mettre en œuvre un projet, il faut l’accord des parties, et les occasions perdues ne se représentent pas forcément.

Craignant que l’ouverture des marchés n’ait des conséquences dommageables pour les consommateurs domestiques d’électricité et de gaz, vous avez posé la question de leur protection. Sur ce point, vous souhaitez savoir comment le Gouvernement abordera l’échéance de 2007. S’agissant du bilan de l’ouverture des marchés, d’après la CRE, les marchés du gaz et de l’électricité sont ouverts à 70 %, et 15 % de la consommation éligible a changé de fournisseur. Vous avez eu raison de rappeler que la Commission européenne n’avait pas encore publié le rapport sur l’ouverture des marchés, prévu par les directives du 26 juin 2003, et qui devait être initialement publié au 1er janvier 2006. La Commission indique qu’elle n’est pas en mesure de tirer des conclusions définitives à ce stade, qu’elle poursuivra son examen en 2006 et remettra un rapport final d’ici à la fin de l’année.

Quant à la CRE, ses pouvoirs ont été élargis en 2005 dans la loi de programme par le contrôle de la formation des prix sur les marchés organisés du gaz et de l’électricité. Le Gouvernement est prêt à aller au-delà, notamment sur les marchés de gré à gré. Je sais, monsieur le député, combien vous êtes attaché à cette évolution.

Monsieur Masdeu-Arus, comme certains de vos collègues, vous m’avez interrogé sur le maintien des tarifs réglementés, qui permet aux consommateurs de bénéficier de la compétitivité du parc nucléaire national. S’agissant de la réversibilité des tarifs, le Gouvernement est ouvert à toutes les solutions, à condition qu’elles s’inscrivent dans le cadre prévu par les directives européennes.

Monsieur Gaubert, vous demandez si Gaz de France pourrait être la cible d’une OPA. À l’évidence, non. GDF risquerait plutôt la marginalisation. La détention d’un tiers du capital par l’État rend toute tentative d’OPA sur Gaz de France irréaliste. En outre, l’action spécifique proposée par le Gouvernement garantira la continuité de l’approvisionnement. L’opérateur commun entre EDF et GDF sera conforté. L’alliance des deux entreprises dans la distribution ne concernera que les activités régulées pour lesquelles les deux sociétés ne sont pas en concurrence. Les entreprises ont clairement manifesté leur volonté de préserver un service commun qui assure à EDF et à GDF des synergies importantes et dont l’existence sera garantie dans la loi. Les réseaux publics de distribution de gaz appartiennent aux collectivités locales et il n’est bien sûr pas question de remettre en cause cette propriété.

Enfin, sur le point, capital, des prix, le Gouvernement n’est pas resté inactif, comme nous l’avons indiqué en commission des finances et en commission des affaires économiques. Thierry Breton l’a rappelé, nous sommes ouverts à une réflexion plus avancée dans ces domaines, car notre objectif est de préserver la compétitivité de nos entreprises, s’agissant notamment des prix de l’énergie.

Je remercie Mme Kosciusko-Morizet de soutenir le projet industriel présenté par le Gouvernement. Comme je l’ai indiqué à M. Gaubert, le nouvel ensemble ne sera plus opéable.

M. Gilles Carrez. Pas si sûr !

M. le ministre délégué à l’industrie. Les enjeux des changements climatiques liés à l’effet de serre sont un axe fondamental de la politique du Gouvernement, qui a été réaffirmé l’an dernier dans la loi d’orientation sur l’énergie : nous nous sommes engagés à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 3 % par an.

Je vous remercie également, monsieur Mariton, de soutenir le Gouvernement. Vous avez eu raison d’expliquer l’absence de lien entre la hausse des prix et l’ouverture des marchés. Vous avez remarqué, à juste titre, que l’opération entre Gaz de France et Suez permettrait de développer l’offre électrique et d’améliorer les conditions d’approvisionnement gazier. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement soutient ce projet. Vous avez insisté sur la priorité à donner à l’intérêt des consommateurs. L’un des axes forts de toute politique énergétique est à l’évidence d’assurer la compétitivité et la sécurité d’approvisionnement des consommateurs, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises.

Monsieur Novelli, vous avez démontré que l’augmentation des prix de l’énergie n’était pas liée à l’ouverture des marchés.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Assurément !

M. le ministre délégué à l’industrie. Après avoir ouvert le marché aux plus grandes entreprises consommatrices d’énergie, la France a connu, pendant plusieurs années, une baisse des prix de gros de l’électricité. Il n’y a donc pas de corrélation entre l’ouverture des marchés et l’augmentation des prix de l’énergie. Pour autant, vous indiquez que les prix des marchés mériteraient un contrôle plus rigoureux, et vous m’interrogez sur les pouvoirs de la CRE. Cette commission a vu ses pouvoirs étendus en 2005 par le contrôle de la formation des prix sur les marchés organisés du gaz et de l’électricité. Nous sommes prêts à aller au-delà, notamment sur les marchés de gré à gré.

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. Jacques Myard. Dirigisme !

M. le ministre délégué à l’industrie. S’agissant de la fusion proprement dite, je vous remercie pour le soutien que vous apportez au projet industriel présenté par les deux opérateurs, lequel permettra de créer un quatrième opérateur énergétique de taille mondiale aux côtés de EDF, Total et Areva.

Monsieur Habib, après avoir rappelé que vous souteniez certaines de nos décisions dans le domaine énergétique, ce dont je vous remercie, vous affirmez que Gaz de France pourrait se développer sans s’adosser à un partenaire. Je ne partage pas votre analyse sur ce point. GDF doit avoir les moyens de se développer dans un contexte de concentration du secteur énergétique. Or Gaz de France demeure, du point de vue de son positionnement stratégique, trop dépendant du marché gazier français. Un rapprochement avec un opérateur électrique de taille comparable est donc une bonne option pour GDF qui pourra lutter à armes égales avec ses concurrents et imposer sa présence en amont pour assurer la sécurité de l’approvisionnement.

Par ailleurs, la golden share que propose le Gouvernement est bien différente de celle dont disposait l’État dans Elf : elle vise des actifs précis et des motifs directement liés aux intérêts stratégiques nationaux et est en tous points similaire à celle que la Cour de justice des Communautés européennes a déjà validée.

M. Myard souhaite le maintien d’un service public de l’énergie dans le cadre de l’ouverture des marchés. La proposition du Gouvernement est précisément de maintenir les tarifs de vente de l’énergie pour les consommateurs qui n’exercent pas leur éligibilité.

M. Jacques Myard. Pour combien de temps ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Le bénéfice de la compétitivité des coûts de production du parc nucléaire français sera ainsi conservé. On l’ignore souvent mais, si nous ne faisions rien, si nous laissions s’appliquer la directive, il n’y aurait plus de tarifs le 1er juillet 2007. Il faut une loi pour les conserver.

Par ailleurs, le contrat de service public conclu entre Gaz de France et l’État maintient évidemment l’ensemble des obligations de service public de l’entreprise. Il en est de même pour EDF.

Enfin, l’exercice de la concurrence sur le marché de l’énergie doit être suffisamment encadré. Comme je l’ai indiqué précédemment, des dispositions allant dans ce sens pourront être adoptées dans la future loi.

Je vous remercie, monsieur Carrez, d’avoir distingué explicitement ouverture de marché, ouverture de capital et augmentation des prix de l’énergie. Ces notions sont souvent mélangées, bien qu’elles n’aient aucun lien elles.

M. Hervé Novelli. En effet !

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous pâtissons d’une telle confusion. La clarification était donc bienvenue.

Je le répète, le souhait du Gouvernement est de maintenir les tarifs réglementés après le 1er juillet 2007, pour permettre aux consommateurs français de bénéficier d’un approvisionnement en électricité à un prix raisonnable. Les engagements seront tenus mais, pour cela, il faut une loi.

Vous soulignez l’importance de permettre, en France, le développement de deux champions de l’énergie. Telle est bien l’intention du Gouvernement.

Vous avez raison, monsieur Bataille, de rappeler que l’énergie est un secteur aussi stratégique que celui de la défense. Le mot power, en anglais, ne signifie-t-il pas à la fois « puissance » et « énergie » ? Cette association directe du pouvoir et de l’énergie existe également, je crois, dans la langue russe. (Sourires.)

Lorsque les socialistes étaient au pouvoir, ils ont privatisé l’Aérospatiale dans le but de construire un géant européen, faisant ainsi passer l’intérêt industriel avant le dogmatisme.

M. François Brottes. Quand le projet est intelligent, il n’y a aucun problème !

M. le ministre délégué à l’industrie. La situation est aujourd’hui identique. Ce sont nos intérêts industriels et nos emplois que nous essayons de défendre – à court, moyen et long terme. Fort de votre expérience, vous devriez comprendre le sens de notre projet.

Évoquant la hausse des prix de l’électricité, vous avez parlé, monsieur Bataille, d’une véritable « rente » pour EDF. Une telle analyse serait justifiée dans un contexte statique, mais il ne faut pas oublier que l’entreprise doit investir pour renouveler son parc de production.

M. Christian Bataille. Ce n’est pas vrai !

M. le ministre délégué à l’industrie. C’est bien parce que EDF a beaucoup investi dans le passé que la France bénéficie aujourd’hui d’un parc nucléaire compétitif. C’est pourquoi nous lui avons demandé d’investir 40 milliards d’euros pendant les cinq prochaines années. La « rente » dont vous parlez sera donc plutôt productive.

Je salue par ailleurs votre engagement pour une gestion raisonnable de l’énergie nucléaire. Le Gouvernement est très sensible à l’impact de la hausse des prix de l’électricité sur la compétitivité des entreprises. Nous trouverons les moyens d’alléger les contraintes qui pèsent sur elles.

M. Lellouche nous a interrogés sur la pertinence du projet de fusion dans la politique énergétique d’ensemble de la République, soulignant qu’il devait permettre de répondre aux enjeux de l’indépendance énergétique et de la sécurité des approvisionnements en maintenant pour les consommateurs le niveau de prix le plus bas. L’avenir de Gaz de France-Suez ne peut être détaché du contexte international, notamment en matière d’approvisionnement en hydrocarbures. C’est pourquoi M. Lellouche a évoqué la politique d’indépendance énergétique mise en œuvre en 1973.

Or la fusion permettra justement de mettre en œuvre une politique gazière intégrée sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Le nouveau groupe sera le premier opérateur gazier européen en chiffre d’affaires et en volume de gaz acheté ; le premier, également, en matière de terminaux méthaniers. Il pourra dégager ainsi de nombreuses synergies d’approvisionnement par la mutualisation des portefeuilles d’achat.

En outre, le nouveau groupe ne sera pas « opéable ». L’État, faut-il le rappeler, ne se désintéresse pas du gaz. Il jouera tout son rôle dans la sécurité de l’approvisionnement, mais son soutien sera d’autant plus efficace qu’il s’appuiera sur des sociétés de premier ordre. Je peux en parler en connaissance de cause : ce n’est pas l’État qui négocie les contrats, mais il peut appuyer les négociations.

Enfin, la fusion n’est pas un projet élaboré contre Enel. Lorsqu’il existe un intérêt stratégique commun, nous soutenons les projets élaborés avec les Italiens, comme ce fut le cas dans le secteur des satellites et dans celui de l’électricité. EDF et Enel ont ainsi noué des accords substantiels.

Monsieur Birraux, vous appelez de vos vœux, à juste titre, une politique énergétique moins dépendante des énergies fossiles. Le Gouvernement attache une importance de premier rang à la compétitivité du parc nucléaire, qui permet de vendre l’électricité à un prix abordable pour le consommateur. C’est tout l’intérêt du maintien des tarifs dans le projet de loi que le Gouvernement souhaite soumettre au Parlement.

En ce qui concerne le projet de fusion, vous rappelez votre attachement au service public de l’électricité et du gaz. Je le répète, les obligations de service public imposées à Gaz de France par décret – mais figurant aussi dans le contrat de service public – seront maintenues et confortées.

Vous avez raison, monsieur Gatignol, de souligner la nécessité de maîtriser la demande d’énergie. Vous m’interrogez sur la coexistence entre tarifs réglementés et tarifs de marché. Comme l’a proposé le CSEG, nous prévoirons le maintien, pour ceux qui le souhaiteront, des tarifs réglementés. Réaffirmons ce droit – mais, pour cela, il faut une loi. Cela permettra de mettre en œuvre l’ouverture complète des marchés de l’électricité prévue par les directives tout en protégeant les consommateurs. L’ouverture des marchés n’implique pas une disparition des tarifs car l’éligibilité est une faculté, pas une obligation. Certes, les prix de marché sont actuellement plus élevés que les tarifs. La réponse à long terme est dans l’investissement : c’est en encourageant les opérateurs à investir que nous parviendrons à conserver des prix compétitifs pour l’énergie. C’est pour cette raison qu’EDF investira 40 milliards dans les cinq prochaines années.

Je vous remercie de votre soutien au projet de fusion, et vous confirme que la golden share, telle que nous l’envisageons, a déjà été validée par la Cour de justice des Communautés européennes.

Enfin, M. Michel Bouvard a attiré notre attention sur le niveau des prix de marché de l’électricité, notamment à la suite de l’action du Gouvernement en faveur des industries électro-intensives. Permettez-moi de me réjouir de la mise en place de ce dispositif innovant, qui permettra de préserver la compétitivité de ces industries et les emplois qu’elle garantit. Il est indispensable que certains sites à risques en bénéficient.

M. Bouvard nous a également interrogés sur la mise en place d’un tarif de proximité pour le transport d’électricité. Je mesure en effet l’intérêt d’une telle proposition, déjà mise en œuvre en Allemagne. Elle a cependant l’inconvénient de remettre en cause le principe de péréquation des tarifs. Mais le dialogue doit se poursuivre.

Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de votre attention jusqu’à la fin de ces réponses. J’ai pris pour ma part beaucoup d’intérêt à ce débat, et je vous remercie pour la qualité de vos interventions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Le débat est clos.

Ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Jeudi 15 juin, à neuf heures trente, première séance publique :

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 3083, visant à accorder une majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés :

Rapport, n° 3123, de Mme Geneviève Levy au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi de programme, n° 3121, relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs :

Rapport, n° 3154, de M. Claude Birraux au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

Éventuellement, à vingt et une heures trente :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures cinquante-cinq.)