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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du vendredi 30 juin 2006

257e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

droit d’auteur dans
la société de l’information

Transmission et discussion du texte
de la commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre, la lettre suivante :

En conséquence, l’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 3185).

Le Sénat n’ayant pas achevé l’examen du texte, celui-ci n’a pas encore été transmis à l’Assemblée nationale. Je vais donc suspendre la séance jusqu’à ce que nous soyons en mesure de reprendre nos travaux.


Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures trente-cinq, est reprise à onze heures quarante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

nomination d’un député
en mission temporaire

Mme la présidente. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre une lettre l’informant de sa décision de charger M. Vincent Rolland, député de la Savoie, d’une mission temporaire auprès du ministre délégué au tourisme.

droit d’auteur dans
la société de l’information

Discussion du texte
de la commission mixte paritaire

Mme la présidente. Nous abordons la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

La parole est à M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, notre séance d’aujourd’hui constitue l’aboutissement du débat sur le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information. Au regard de la version déposée sur le Bureau de notre assemblée en 2003, le texte a notablement évolué au cours de son examen en première lecture, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

Sur la forme tout d’abord, d’un projet initial comportant vingt-neuf articles, nous sommes en effet passés à un texte qui en contient désormais une soixantaine.

M. Christian Paul. Faut-il s’en réjouir ?

M. Christian Vanneste, rapporteur. Sur le fond ensuite, je soulignerai tout d’abord que l’Assemblée nationale s’est attachée, notamment, à garantir l’exercice de l’exception aux droits exclusifs des auteurs pour copie privée dans un environnement numérique, à permettre une interopérabilité effective des mesures techniques de protection avec les différents supports matériels de lecture des œuvres, à adapter le régime des sanctions appliquées, d’une part, aux internautes se livrant à des téléchargements illicites et, d’autre part, aux éditeurs de logiciels destinés à favoriser de telles pratiques.

L’équilibre qui a été recherché entre la protection de ceux qui participent à la création et à la diffusion des œuvres et de celle des internautes a, je crois, été atteint.

M. Christian Paul. Absolument pas ! C’est tout le contraire !

M. Patrick Bloche. Quelle prétention !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Le Sénat a, quant à lui, adopté cinquante-deux amendements et vingt-sept sous-amendements au projet de loi. Sur la totalité du texte, vingt-trois articles ont été votés conformes et deux suppressions d’articles validées.

Dans bien des cas les deux assemblées ont exprimé des préoccupations convergentes.

M. Patrick Bloche. Divergentes !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Le Sénat n’a en effet rien trouvé à redire aux dispositions adoptées par l’Assemblée nationale s’agissant des sanctions contre les téléchargements illicites,...

M. Patrick Bloche. Hélas !

M. Christian Vanneste, rapporteur. ...de la sécurité vis-à-vis des logiciels permettant le contrôle à distance des fonctionnalités des ordinateurs, du droit des auteurs agents publics, ou encore du rôle de l’institut national de l’audiovisuel en matière de dépôt légal et du centre national du livre pour la réalisation de supports adaptés aux handicapés, pour ne citer que quelques exemples.

Le Sénat s’est en outre contenté d’apporter des améliorations rédactionnelles ou des corrections matérielles à une petite dizaine d’articles.


Restaient donc en discussion, au terme de la première lecture du texte dans chaque assemblée, 33 articles et suppressions d’articles.

La convocation de la commission mixte paritaire a fait l’objet de doutes, voire de critiques, de la part de certains de nos collègues, au motif qu’une seconde lecture aurait été garantie par le Gouvernement.

M. Didier Mathus. Absolument ! Il s’y était engagé.

M. Frédéric Dutoit. Le ministre est là, il le confirmera.

M. Christian Vanneste, rapporteur. En l’espèce, le compte rendu intégral de nos débats fait foi : je vous le dis très clairement, mes chers collègues, à aucun moment le ministre n’a formellement annoncé la tenue d’une seconde lecture.

M. Didier Mathus. On l’a entendu !

M. Christian Paul. Monsieur le rapporteur, quelle soumission !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Qu’il me soit permis de rappeler ici la teneur exacte de votre engagement, monsieur le ministre, lors de notre première séance publique du 9 mars dernier, afin de couper court à toute interprétation de mauvaise foi de vos propos.

M. Patrick Bloche. Quel abaissement du Parlement !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Vous avez déclaré : « Si le Gouvernement constate un décalage important entre les positions de l’Assemblée nationale et du Sénat…

M. Frédéric Dutoit. C’est le cas !

M. Christian Vanneste, rapporteur. …il ne convoquera pas la commission mixte paritaire et il fera en sorte que les positions puissent se rapprocher. »

Or, tel est bien ce qui s’est produit, puisque le Gouvernement avait renoncé à convoquer la commission mixte paritaire avant que mon homologue du Sénat et moi-même ne soyons parvenus à des positions communes.

M. Christian Paul. Au forceps !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Cela s’est fait sans aucune difficulté, au travers de 55 propositions de modifications présentées conjointement par les rapporteurs des deux assemblées.

M. Didier Mathus. C’est une farce !

M. Guy Geoffroy. Non, c’est la vérité !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Certains ont pu prétendre que ce nombre était trop important, alors que la plupart des modifications sont purement rédactionnelles.

M. Patrick Bloche. C’est faux ! Pas l’article 7 !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Deux modifications à peine concernaient des différences substantielles en apparence.

D’abord, l’introduction par le Sénat de l’exception pédagogique, mais l’Assemblée nationale avait soutenu la mise en œuvre de cette exception par la voie conventionnelle ; il n’y a donc pas d’opposition de fond en la matière.

Mme Martine Billard. Oh ! Quelle honte !

M. Didier Mathus. C’est pathétique !

M. Patrick Bloche. Vous êtes en service commandé, monsieur le rapporteur ?

M. Christian Vanneste, rapporteur. Ensuite, la garantie de l’interopérabilité dont l’Assemblée souhaitait qu’elle soit plus ferme qu’elle ne l’était devenue dans le texte du Sénat, puisque, je le rappelle, l’Assemblée souhaitait mieux défendre l’interopérabilité que le Sénat, c’est clair.

M. Guy Geoffroy. Nous y sommes parvenus !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Là encore, il s’agit d’une différence formelle, une différence de degré et non de nature. C’est pourquoi un accord a été trouvé rapidement sur les propositions de l’Assemblée.

La célérité des travaux de la commission mixte paritaire a pleinement démontré la convergence des points de vue…

M. Christian Paul. Parodie ! Simulacre !

M. Christian Vanneste, rapporteur. …tandis que l’opposition préférait ne pas y participer…

M. Guy Geoffroy. Quel courage !

M. Patrick Bloche. Pour ne pas être complice de l’abaissement du Parlement !

M. Christian Vanneste, rapporteur. …plutôt que de laisser apparaître les profondes divergences, les contradictions de l’opposition qui avaient marqué ses positions dans les deux assemblées.

Voici donc l’essentiel des apports de la commission mixte paritaire.

Pour ce qui concerne les exceptions aux droits exclusifs des auteurs et aux droits voisins, aux articles 1er bis à 3, la commission mixte paritaire a choisi d’étendre l’exclusion de ces exceptions aux partitions de musique et aux œuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit. Dans sa logique, l’Assemblée a tenu à protéger, dans le cadre de la loi, les secteurs d’édition les plus menacés.

La commission a ensuite rétabli l’article 4 bis permettant de légaliser la rémunération équitable due par les chaînes télévisées lorsqu’elles diffusent des phonogrammes de programmes audiovisuels en bande-son mais en supprimant la nature directe ou indirecte de la retransmission visée. Elle a aussi rétabli l’article 4 ter, relatif aux exceptions au droit d’auteur pour les travaux parlementaires.

En matière de rémunération pour copie privée, sur proposition de notre collègue Dionis du Séjour, la commission a complété l’article 5 bis pour exclure de l’assiette les actes de copie privée qui ont déjà donné lieu à compensation financière au bénéfice des ayants droit.

Mme Claude Greff. Très bien !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Cette précision nous est en effet apparue légitime et bienvenue, cher collègue.

S’agissant des mesures techniques de protection et de leur interopérabilité avec tout support de lecture des œuvres, préoccupation forte de notre assemblée, la commission a réintroduit le principe de l’interopérabilité et de la fourniture des informations essentielles à cette dernière à l’article 7. Elle a également renforcé, à l’article 7 bis, la mise en œuvre de cette interopérabilité en rendant plus contraignantes les procédures par lesquelles l’autorité de régulation créée par le Sénat pourra imposer, j’insiste sur ce mot, la fourniture des informations essentielles.

Mme Claude Greff. Très bien !

Mme Martine Billard. C’est la preuve par l’absurde !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Sur ce point, qui a occupé une large part de nos débats en première lecture, il me semble que nous sommes parvenus à une solution équilibrée, saluée en tout cas comme telle par les participants aux travaux de la commission mixte paritaire.

En effet, l’Autorité de régulation des mesures techniques s’est vue confier la mission de garantir l’interopérabilité, au besoin par un pouvoir de sanctions financières encadré. Je crois qu’il s’agit là d’une avancée importante par rapport à la version du Sénat, qui insistait davantage sur une interopérabilité contractuelle, résultant de la conciliation des parties.

La commission mixte paritaire a par ailleurs encadré, à l’article 8, l’intervention de l’Autorité de régulation des mesures techniques pour la résolution des différends relatifs à l’interopérabilité dans un délai de deux mois. Comme vous le savez, j’ai toujours insisté sur le caractère court des délais, et, là encore, la position de l’Assemblée s’est imposée.

Affirmation du droit à l’interopérabilité dans le respect du droit d’auteur, injonction, délais courts : ces trois points soulignent qu’au terme de la commission mixte paritaire, les principes posés lors de la lecture à l’Assemblée nationale ont été réaffirmés avec vigueur dans un texte que, par ailleurs, le Sénat avait, j’ose l’affirmer, clarifié.

À l’article 9, des aménagements importants ont été apportés au sujet de la composition de l’Autorité de régulation des mesures techniques. Autorité administrative indépendante qualifiée comme telle, elle comportera désormais six membres : trois magistrats, le président de la commission pour copie privée, dont la voix sera délibérative, un scientifique désigné par le président de l’Académie des technologies et un membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. L’équilibre entre juristes et techniciens se trouvera ainsi garanti, ce qui apparaissait souhaitable dans un domaine aussi complexe, où le droit doit toujours poursuivre l’évolution de la technologie.

La commission a aussi rétabli le champ d’application prévu par l’Assemblée nationale pour la responsabilité pénale et civile des éditeurs et fournisseurs de logiciels de pair à pair, aux articles 12 bis et 14 quater, de manière à conserver son caractère proportionné et à en assurer la mise en œuvre avec discernement.

La commission a également procédé à trois suppressions d’articles introduits par le Sénat : l’article 15 bis A, relatif à la définition des prestations des artistes-interprètes et dont l’adoption aurait engendré de nombreux contentieux, l’article 19 bis, relatif au droit à l’information des associés de sociétés de perception et de répartition des droits, dont l’adoption aurait certainement conduit à de multiples contentieux, et enfin l’article 19 ter, dont les répercussions auraient pu être fatales au financement de plusieurs manifestations culturelles populaires.

La commission a aussi étendu aux droits voisins le dispositif retenu pour l’exonération des syndicats de copropriétaires du versement des droits sur les rediffusions de programmes audiovisuels à partir d’antennes collectives dans des ensembles d’habitations à usage collectif. À des fins non commerciales, cette précision a été, elle aussi, apportée par la commission. Cette mesure d’équité était attendue, vous le savez, mes chers collègues, depuis très longtemps.

De même, la commission a garanti, à l’article 25 ter, la possibilité pour les artistes-interprètes de conclure eux-mêmes, et non par le truchement d’organisations représentatives, des accords d’entreprise avec l’Institut national de l’audiovisuel pour l’exploitation des archives les plus anciennes.

À l’article 31, enfin, elle a apporté quelques précisions sur l’objet du rapport remis par le Gouvernement au Parlement, qui désormais embrassera la mise en œuvre de la loi et également celle d’une plate-forme publique de téléchargement pour les artistes peu connus.

Au total, je crois que chacun en conviendra, la commission mixte paritaire a accompli un travail important et sérieux. À ceux qui, sur les bancs de l’opposition, ont avancé le prétexte que tout était verrouillé d’avance pour ne pas y prendre part, je tiens à dire que leurs arguments ont été démentis par le résultat auquel nous sommes parvenus. En effet, non seulement une modification substantielle proposée par notre collègue Jean Dionis du Séjour, membre suppléant de la commission, a pu être adoptée s’agissant de la rémunération pour copie privée à l’article 5 bis

Mme Claude Greff. Très bon amendement !

M. Christian Vanneste, rapporteur. …mais, de surcroît, notre commission a eu, comme je l’ai évoqué précédemment, un large échange sur le rétablissement de l’article 4 bis, à la suite d’arguments persuasifs de notre collègue Laurent Wauquiez.

M. Patrick Bloche. Justement, où est-il M. Wauquiez, qui est si persuasif ?

M. Christian Vanneste, rapporteur. Il n’est, je crois, de meilleure illustration de la volonté qui n’a cessé d’animer les membres de la commission mixte paritaire d’œuvrer au meilleur équilibre possible entre, d’une part, les droits des auteurs et des artistes-interprètes, d’autre part, la défense de l’accès du plus grand nombre à la culture, sous toutes ses formes.

C’était vos deux objectifs essentiels, monsieur le ministre. Ils sont aujourd’hui atteints et je pense que cela fait de ce texte un exemple pour toute l’Europe.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. En effet !

M. Patrick Bloche. Quelle présomption !

Mme Martine Billard. Un exemple de désastre plutôt !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Pour conclure, je pense que notre commission mixte paritaire a élaboré un texte très satisfaisant, dont l’adoption nous permettra d’achever un débat passionnant, souvent passionné et nécessaire au regard de l’obligation pour notre pays, que certains ont oubliée, de transposer la directive 2001/29. En conséquence, mes chers collègues, je vous invite à voter les conclusions de notre commission mixte paritaire avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins à l’ère numérique a ouvert un véritable débat de société. Un débat riche, complet, argumenté, passionné, et passionnant, qui, au-delà de cet hémicycle, a marqué l’ensemble de la société française.

M. Christian Paul. C’est surtout un fiasco législatif !

Mme Claude Greff. Oh, ça suffit ! Dites des choses intéressantes !

M. Guy Geoffroy. C’est gratuit !

M. Jean-Marie Le Guen. Ce ne peut pas être gratuit puisque tout doit être payant !

Mme la présidente. Mes chers collègues, écoutez M. le ministre.

M. Guy Geoffroy. Ils ne supportent pas la vérité !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce débat approfondi a été longuement et mûrement préparé par les travaux de votre commission des lois, dont je tiens à remercier le président, les vice-présidents, et le rapporteur bien sûr. Pour faire écho à ce travail remarquable de la commission saisie au fond, la préparation du débat en séance publique a aussi donné lieu à des auditions devant la commission des affaires culturelles et devant la commission des affaires économiques. C’était nécessaire et même indispensable, tant les enjeux de ce texte sont aussi bien juridiques, qu’économiques, sociaux, et culturels.

Dois-je rappeler les quelque quatre-vingts heures de débat en séance publique, ici même, les 417 amendements déposés sans compter les motions ni les 285 amendements déposés au Sénat ?

M. Patrick Bloche. Rappelons-les en effet !

M. Christian Paul. Quel calvaire ! Une anthologie !

M. le ministre de la culture et de la communication. Dois-je rappeler que si le Gouvernement ces derniers dix-huit mois a été amené à organiser six fois l’urgence, le gouvernement de Lionel Jospin l’avaient déclarée dix-huit fois pendant les derniers dix-huit mois.

Mme Martine Billard. Ah ! Ça, c’est un argument !

M. le ministre de la culture et de la communication. Alors je demande à ceux qui nous font le reproche de l’urgence d’avoir un peu de mémoire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. Mais il n’y avait pas de ministre parjure dans le gouvernement Jospin !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le Parlement a pleinement exercé, tout au long de la discussion de ce texte, ses prérogatives constitutionnelles.

Le législateur a fait œuvre utile. Concilier la circulation des œuvres et le respect du droit d’auteur avec la technologie d’internet constituait un défi difficile à relever, d’autant plus difficile que vous avez justement refusé de céder aux tentations démagogiques, d’autant plus délicat que vous avez fait le choix de la responsabilité à l’égard de nos concitoyens comme des créateurs. À ceux qui ont voté, à ceux qui vont définitivement voter ce texte, je leur demande tout simplement d’en être fier.

Mme Martine Billard et M. Christian Paul. Oh !

M. le ministre de la culture et de la communication. En effet, ce travail de réconciliation supposait, à la différence de nos prédécesseurs, d’avoir le courage d’expliquer, le courage de faire comprendre les enjeux.

M. Hervé Novelli. Tout à fait !

M. le ministre de la culture et de la communication. Et ce ne sont pas des réalités faciles.

M. Hervé Novelli. C’est vrai !

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Patrick Bloche. Quelle honte !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je le dis d’autant plus que nous avons eu comme objectif de rendre concret la diversité culturelle…

M. Christian Paul. Mais ce texte ne s’appliquera jamais. C’est une loi morte née !

M. le ministre de la culture et de la communication. …parce que si on ne fait rien, alors effectivement, ce seront quelques monopoles mondiaux qui tiendront le haut du pavé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Paul. Mais vous n’avez rien fait !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le texte qui vous est soumis repose sur deux principes fondamentaux.

M. Didier Mathus. Le premier, Vivendi, le second, Vivendi !

M. Patrick Bloche. Le troisième, Microsoft !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le premier de ces principes est le respect du droit d’auteur, droit fondamental et intangible.

M. Jean-Marie Le Guen. Il n’y a plus de droit d’auteur !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le respect du droit d’auteur s’appuie sur un principe simple : chacun doit pouvoir vivre des fruits de son travail. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

À l’initiative de votre assemblée, l’auteur a été remis au centre de la diffusion de la culture.

Mme Martine Billard et M. Patrick Bloche. Oh ! Quelle honte !

M. Frédéric Dutoit. Les auteurs, ils sont écrabouillés !

M. le ministre de la culture et de la communication. Un amendement a en effet rappelé que c’est lui, et lui seul, qui choisit la diffusion de ses œuvres, qui choisit la gratuité s’il le souhaite, qui choisit la rémunération s’il le souhaite. C’est sa liberté.

M. Didier Mathus. C’est la loi du fric !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le deuxième principe fondamental est l’accès le plus large aux œuvres. Il s’agit d’une liberté qui, dans l’univers numérique, doit permettre d’accéder à l’offre la plus diversifiée. Cette liberté exige aussi, bien sûr, le respect de la vie privée des internautes.

L’accès aux œuvres est, bien sûr, l’un des facteurs clefs de motivation de l’accès à internet, et l’un des facteurs décisifs de l’essor des fournisseurs d’accès. C’est pourquoi les acteurs de la distribution des œuvres par internet ou sur d’autres réseaux numériques participeront davantage à l’effort financier de contribution à la création. C’est le sens de l’accord sur la vidéo à la demande qui a été signé en décembre 2005 avec l’ensemble des organisations professionnelles du cinéma.


Le texte qui vous est soumis garantit le respect du droit d’auteur, l’interopérabilité et la copie privée. Mesdames, messieurs les députés qui voterez ce texte, vous aurez la paternité de l’interopérabilité.

M. Patrick Bloche. C’est faux ! C’est honteux !

M. le ministre de la culture et de la communication. Nous sommes le premier pays au monde à le faire. Vous aurez la paternité de la défense de la copie privée …

M. Patrick Bloche. Provocation !

M. le ministre de la culture et de la communication. …au moment où certaines initiatives de la Commission européenne risquent de la menacer. Vous aurez la fierté d’avoir voulu défendre le travail des auteurs, des artistes et des techniciens.

Ce texte affirme un principe nouveau, l’interopérabilité, qui fait de la France un pays pionnier en Europe, entraînant dans son sillage…

M. Patrick Bloche. Dans son naufrage !

M. le ministre de la culture et de la communication. …la Suède, le Danemark, la Norvège et le Royaume-Uni. Toute œuvre acquise légalement doit pouvoir être lue sur n’importe quel support numérique.

M. Christian Paul. Ce n’est pas dans la loi ; c’est bien le problème !

M. le ministre de la culture et de la communication. L’affirmation de ce principe doit rassembler l’ensemble de la représentation nationale.

L’interopérabilité est fondamentale pour les consommateurs comme pour les créateurs, car elle permettra une plus grande circulation des œuvres, dans le respect du droit d’auteur. Le texte de la commission mixte paritaire a défini un cadre opérationnel précis pour mettre en œuvre ce principe. Les mesures techniques de protection ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en œuvre effective de l’interopérabilité. A cet effet, les fabricants de mesures techniques de protection ont l’obligation de fournir les informations essentielles à l’interopérabilité, afin de favoriser l’innovation et la concurrence.

Par ailleurs, le texte garantira la copie privée : chacun a le droit de réaliser, en fonction du type de support, pour son usage personnel ou celui de ses proches, un nombre raisonnable de copies d’œuvres acquises légalement. Cette garantie est essentielle, à l’heure où la copie privée fait l’objet de contestations de la part de la commission européenne.

Le texte garantit pleinement l’avenir du logiciel libre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) – je sais que vous y êtes attachés. La transposition de directive place la France dans un cadre européen harmonisé, mais nous avons utilisé toutes les souplesses possibles en faveur du logiciel libre. Le projet de loi clarifie la définition des mesures techniques. Il préserve clairement l’exception de décompilation, qui est une alternative aux procédures engagées auprès de l’autorité pour obtenir les informations essentielles à l’interopérabilité et il exclut explicitement de l’interdiction de contournement des mesures techniques les actes réalisés à des fins d’interopérabilité.

En créant, l’Autorité de régulation des mesures techniques, nous faisons le choix d’une interopérabilité non pas théorique, mais réelle.

M. Patrick Bloche. C’est faux !

M. Christian Paul. C’est la loi des apparences !

M. le ministre de la culture et de la communication. Les pouvoirs de l’Autorité ont été étendus pour qu’elle puisse infliger des sanctions pécuniaires lourdes et dissuasives. Et, afin d’éviter de figer dans la loi des règles qui pourraient être rendues obsolètes par l’évolution technologique, l’Autorité aura le rôle de déterminer le nombre de copies en fonction du type de support. Le texte qui est soumis à votre vote différencie clairement les responsabilités et instaure une véritable gradation proportionnée des sanctions, adaptée aux fautes commises. Un internaute qui télécharge illégalement de la musique ou un film sur Internet pour son usage personnel ne risquera plus la prison. Mesdames, messieurs les parlementaires, ceux qui vont voter ce texte vont offrir cette avancée considérable à nos plus jeunes concitoyens qui étaient parfois dans l’erreur, faute d’information. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Guy Geoffroy. Il fallait le rappeler !

M. le ministre de la culture et de la communication. La différenciation des sanctions sera le principe même de la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ces sanctions ont été conçues pour être adaptées, proportionnées et elles seront effectives.

Mme Martine Billard. Vous n’avez jamais été capable de nous dire comment cela allait fonctionner !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je comprends que l’opposition soit un peu gênée par cette réalité, mais je vous dis la vérité.

M. Christian Paul. Personne n’y croit !

M. le ministre de la culture et de la communication. Sur ces sujets, il y a une divergence profonde d’analyse…

M. Christian Paul. C’est vrai !

M. le ministre de la culture et de la communication. …entre les tenants de l’immobilisme et ceux de la démagogie la plus extrême, qui me rappellent ce vieux slogan de mai 1968 : « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! ».

Mme Claude Greff. Exactement !

M. le ministre de la culture et de la communication. La majorité présidentielle, elle, a le souci de rappeler certains principes essentiels tout en les rendant compatibles avec la technologie, le progrès scientifique et avec le monde de l’intelligence que nous voulons défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Le projet de loi instaure deux exceptions nouvelles importantes. L’une autorise désormais les associations et certains établissements œuvrant en faveur des personnes handicapées à transcrire et à diffuser les œuvres dans des formats adaptés,…

M. Jean Dionis du Séjour. Ça c’est bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. …y compris en accédant aux sources numériques qui permettront d’élargir considérablement leur accès à la culture. Ce sujet mériterait l’unanimité, ce n’est pas Jean Dionis du Séjour qui me contredira.

L’autre est une exception pédagogique, que la commission mixte paritaire a précisée. Cette exception prendra le relais, début 2009, des accords signés entre les ayants droit et le ministère de l’éducation nationale, afin d’autoriser les utilisations des œuvres à des fins pédagogiques et de recherche en contrepartie d’une rémunération négociée.

Le texte que vous avez élaboré donne un avenir à la diversité culturelle, entrée dans le droit international en octobre 2005, avec l’adoption, à la quasi-unanimité de la communauté internationale, de la convention de l’Unesco.

Grâce au texte voté par la commission mixte paritaire, une réflexion sera engagée pour la mise en place d’une plateforme publique de téléchargement de musique, visant la diffusion notamment des œuvres des jeunes créateurs qui ne sont pas disponibles à la vente sur les plateformes légales de téléchargement.

M. Frédéric Dutoit. C’est le seul point positif et il est issu d’une proposition du groupe communiste !

M. le ministre de la culture et de la communication. Cela ne me gêne en aucune manière ! Certaines causes transcendent les clivages partisans. Ce principe doit rassembler l’ensemble de l’Assemblée nationale.

Le texte qui vous est soumis instaure une autre avancée majeure : le crédit d’impôt pour la musique, qui consolidera la diversité de l’offre en s’adressant aux petites structures indépendantes, souvent fragiles sur le plan économique. Je ne doute pas que cette mesure connaîtra un succès comparable à celui du crédit d’impôt pour le cinéma et l’audiovisuel, qui a permis de relocaliser en France 35 % de tournages supplémentaires en seulement un an. Vous voyez que les chiffres actuels du chômage ont pour origine les mesures audacieuses et novatrices que vous avez votées. Défendre la création française et européenne, c’est savoir prendre des mesures courageuses.

M. Didier Mathus. La création, vous l’avez tuée !

M. le ministre de la culture et de la communication. En votant ce texte, vous allez adopter un nouveau crédit d’impôt qui permettra à toutes les maisons de production indépendantes de soutenir, de détecter et d’encourager les jeunes artistes. L’enjeu central de ce texte est celui de l’insertion de la France dans la société de l’information. Plus de la moitié des Français sont internautes et plus de huit internautes sur dix sont connectés à domicile en haut débit.

Une offre légale et diversifiée répondant au rapide équipement en haut débit des Français est donc très attendue. Le travail réalisé est à la hauteur de cet enjeu et crée les conditions pour que se multiplient les offres de musique et de films qui seront de qualité, sécurisées, diversifiées, à des prix raisonnables et lisibles sur tous les supports. À chacun son rôle : au Gouvernement et au Parlement de définir le cadre juridique nécessaire pour permettre à cette offre de naître, de se développer et d’avoir un public élargi ; aux artistes, aux créateurs, aux auteurs et aux techniciens de s’emparer des possibilités qui leur sont offertes.

Le projet de loi qui vous est soumis garantit le droit d’auteur, la copie privée, l’innovation technologique, les libertés numériques. Il permettra d’assurer le développement des offres légales. La rémunération de la création justifie la mise en place de mesures techniques de protection lorsque ces œuvres sont protégées. C’est l’avenir de la musique et du cinéma français qui est en jeu, et l’avenir, il faut avant tout le rendre possible en agissant. En adoptant ce texte, soyez fiers de votre action de législateur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Paul. C’est un requiem !

Exception d’irrecevabilité

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité,…

Mme Claude Greff. Encore ! Ils ne savent faire que ça !

M. Guy Geoffroy. C’est le chant du cygne !

Mme la présidente. …déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Jean-Marie Le Guen. Enfin la vérité !

M. Patrick Bloche. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment le Gouvernement et sa majorité ont-ils pu ainsi perdre le sens le plus élémentaire de l’intérêt général ? Et, monsieur le ministre, puisque vous avez évoqué mai 1968, comment ne pas vous rappeler deux slogans particulièrement adaptés à la situation que nous vivons : « Il est interdit d’interdire » et « Quand c’est insupportable, on ne supporte plus » ?

M. Jean Dionis du Séjour. Et Mme Royal alors !

M. Patrick Bloche. Depuis six mois, jusqu’à ce dernier jour de session, nous n’avons eu de cesse, sur les bancs de cette assemblée, de dénoncer avec force le scandaleux détournement qui a été fait de la transposition d’une directive communautaire vieille de cinq ans pour servir des intérêts particuliers au premier rang desquels figurent ceux de géants du logiciel à visée monopolistique souhaitant faire main basse sur l’accès à la culture de nos concitoyens.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Vous n’avez manifestement pas lu le texte !

M. Patrick Bloche. Nous en avons eu une ultime illustration avec les cinquante-cinq – pas une de moins ! – propositions de réécriture du texte présenté lors de la réunion de la commission mixte paritaire du 22 juin dernier, réunion dans laquelle nous avons estimé ne pas avoir notre place,…

M. Christian Vanneste, rapporteur. Donc, c’était une réunion sérieuse !

M. Patrick Bloche. …car trop, c’est trop, chers collègues !

Retard de transposition, puis urgence déclarée, improvisation, amateurisme, insincérité, monsieur le ministre, jusqu’à ne pas respecter la parole donnée dans cet hémicycle d’une seconde lecture, les mots ne manquent pas pour qualifier la méthode employée par le Gouvernement tout au long des débats.

Il n’est donc pas étonnant qu’une telle démarche aboutisse finalement à un texte bancal, anachronique, inintelligible, inadapté aux évolutions technologiques, un texte trois fois perdant : perdant pour nos concitoyens, perdant pour nos entrepreneurs, chercheurs et inventeurs, perdant pour nos auteurs et nos artistes.

Mme Claude Greff. Et perdant pour vous !

M. Patrick Bloche. De fait, beaucoup d’incertitudes demeurent quant à l’application de nombre de dispositions de ce projet de loi. Soit elles entraîneront de graves atteintes aux libertés publiques et à des libertés fondamentales à valeur constitutionnelle, soit elles seront inapplicables tant ce texte apparaît déjà obsolète. Dans les deux cas, il appartiendra à une autre majorité de définir enfin une loi d’avenir qui concilie la liberté et la responsabilité.

M. le ministre de la culture et de la communication. La licence globale, comme dirait Mme Royal !

M. Patrick Bloche. Il est vrai qu’historiquement, les questions relatives au droit d’auteur ont souvent été conflictuelles, mais à chaque crise, le droit d’auteur a révélé ses capacités d’adaptation et les pouvoirs publics sont, à chaque fois, intervenus pour préserver le précieux équilibre entre les intérêts des titulaires de droits et ceux du public.

Or, ce point d’équilibre est aujourd’hui clairement battu en brèche faute probablement d’une analyse suffisante et maîtrisée des enjeux du droit d’auteur à l’ère numérique, faute certainement d’une concertation préalable, pourtant essentielle, avec l’ensemble des partenaires de la création ainsi qu’avec les internautes.

Comment ne pas ainsi, et d’abord, relever qu’à l’issue de la réunion de la commission mixte paritaire, le consensus obtenu ici même à l’extrême fin de la discussion en première lecture sur les garanties apportées en matière d’interopérabilité a volé en éclats ?

Si l’interopérabilité est un principe affirmé à l’article 7, sa mise en œuvre devient conditionnelle et est durement encadrée dès l’article suivant. Je ne prendrai qu’un seul exemple et ne poserai, à cet égard, qu’une seule question. En effet, seules des sociétés – éditeurs, fabricants de système technique et exploitants de service – pourront saisir l’Autorité de régulation des mesures techniques. Comment les développeurs bénévoles et les consommateurs feront-ils ?

Par ailleurs, sur plusieurs articles du projet de loi, le passage en force du Gouvernement a contraint le groupe socialiste à présenter cette exception d’irrecevabilité afin de mettre en lumière des dispositions clairement contraires à la Constitution.

M. Frédéric Dutoit. Très bonne initiative !

M. Patrick Bloche. Notons, en l’occurrence, que si le Gouvernement avait mis autant d’ardeur à respecter les règles qui prévalent en matière de transposition de directive communautaire en droit français qu’il en a dépensé pour bâtir tout un nouvel arsenal répressif, nous n’en serions peut-être pas là aujourd’hui.


Comment ainsi ne pas s’étonner que la règle élémentaire qui dispose qu’il appartient au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confère l’article 34 de la Constitution n’ait pas été respectée ? Car, en effectuant un « copier-coller » de la directive, le Parlement s’est, de fait, autolimité dans ses compétences et s’est ainsi privé de ses capacités à légiférer.

En effet, le « test en trois étapes » a été introduit tel quel dans le projet de loi. Des alinéas entiers de la préconisation du point 5 de l’article 5 de la directive concernant le régime des exceptions ont été reproduits dans les articles 1er bis, 2 et 8 du projet de loi, alors même qu’ils n’avaient pour but, à l’origine, que d’être une sorte de mode d’emploi indiquant aux États membres un cadre juridique à mettre en place pour garantir une protection du droit d’auteur. En ne précisant pas les modalités d’application de la règle du « test en trois étapes » – spécialité, intégrité de l’exploitation de l’œuvre, absence de préjudice pour le titulaire des droits – dans ces trois articles, le législateur a méconnu que ces principes ne s’adressaient en réalité qu’aux États, qu’ils ne créaient d’obligations que vis-à-vis des États. Occultant ainsi le travail qui lui revenait – pratique d’ailleurs régulièrement sanctionnée par le Conseil Constitutionnel –, le Gouvernement a contraint le législateur à se détourner des objectifs mêmes fixés par la directive.

Dès lors, s’opère un glissement qui fait peser la responsabilité de pratiquer et de vérifier cette règle du « test en trois étapes » sur les destinataires de la loi – c’est-à-dire sur nos concitoyens – alors même, je le répète, que c’est aux États qu’elle s’adresse. Et il est d’autant plus dommageable que cette responsabilité incombe à nos concitoyens que les termes mêmes contenus dans ces articles contreviennent, par leur manque de clarté, au principe constitutionnel d’intelligibilité de la loi et créent ainsi une insécurité juridique dont les usagers seront les premières victimes.

Atteinte à l’article 34 de la Constitution, atteinte à l’exigence constitutionnelle de transposition en droit interne des directives communautaires, atteinte au principe d’intelligibilité de la loi et, comme si ce n’était pas suffisant, ce projet de loi ignore en plus le principe de légalité des délits et des peines posé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

D’abord parce que les trois articles déjà cités – 1er bis, 2 et 8 – sont devenus de véritables normes de comportement auxquelles nos concitoyens devront se soumettre. Cette volonté du tout répressif, qui a dicté ce projet de loi dès l’origine, amène à ce que ces comportements puissent donc relever de l’infraction pénale. Or, on sait bien que la copie privée et le téléchargement sont aujourd’hui des pratiques complètement banalisées. Mais comment le particulier qui procédera à une copie privée ou à téléchargement pourra-t-il s’y retrouver alors que l’infraction pénale n’est pas qualifiée ? Comment pourra-t-il savoir si sa copie, ou son téléchargement, est illicite alors que les termes employés sont des plus flous ? Qu’est-ce qu’un « cas spécial » ? Qu’est qu’une « exploitation normale de l’œuvre » ? Qu’est-ce qu’un « préjudice injustifié » à « des intérêts légitimes » ? Ce ne sont là que des qualifications juridiques imprécises et subjectives, ce qui constitue un manquement évident aux principes de clarté du droit et, par conséquent, une atteinte au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Ce sera donc le règne de l’arbitraire.

Aucune précision non plus sur les principes mis en œuvre par les autorités chargées de relever les infractions sur Internet. Comment, là aussi, s’assurer que cette police des communications électroniques ne portera pas atteinte à des libertés fondamentales comme la liberté de communication et le droit à la vie privée ?

L’autre manquement évident au principe de légalité des délits et des peines provient de l’article 12 bis. Déjà, l’expression « logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés » pose problème par son manque de clarté. Mais surtout, en faisant porter aux éditeurs et créateurs de logiciels la responsabilité des usages que d’autres pourraient en faire, cet article instaure une présomption de culpabilité, là où, au contraire, il aurait dû, conformément aux décisions du Conseil constitutionnel, « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire ».

M. Frédéric Dutoit. Très bon argument !

M. Patrick Bloche. Criminalise-t-on les fabricants de marteaux sous prétexte que certaines personnes pourraient faire un usage abusif de cet outil de bricolage ? Criminalise-t-on les fabricants de voitures sous prétexte que certaines attitudes au volant sont dangereuses pour autrui ?

De plus, que fait-on des usages dits normaux de ces logiciels ? Interdit-on également les particuliers d’échanger des œuvres libres de droits ? Il s’agit, là encore, d’une atteinte caractérisée à la liberté constitutionnelle de communication.

Que le gouvernement profite ainsi de la transposition d’une directive européenne pour entamer une éradication du logiciel libre est déjà scandaleux, mais que, pour ce faire, il porte atteinte aux principes constitutionnels de présomption d’innocence et de liberté d’entreprendre, ce sont là des procédés que nous ne pouvons accepter.

Enfin, dernière atteinte, et non des moindres, au principe de légalité des délits et des peines, l’article 14 bis, qui instaure une nouvelle contravention dans notre droit pénal. D’abord, parce que selon le préambule et les articles 34 et 66 de la Constitution, toute peine qui ne « comporte pas de mesures privatives de liberté » relève du domaine réglementaire et non de la loi. « La loi détermine les crimes et délits. Le règlement détermine les contraventions », stipule l’article L. 111-2 du code pénal. Ensuite, parce que la contravention n’a pas été totalement définie. Porte-t-elle sur l’ensemble des téléchargements ou bien sur chaque acte de téléchargement, sur chaque morceau téléchargé ? Des questions que nous avons constamment posées et qui auraient au moins mérité une seconde lecture.

Mme Martine Billard. On n’a pas eu la réponse !

M. Patrick Bloche. Pas plus tard que la semaine dernière, lors d’un colloque organisé par un éditeur juridique, une éminente magistrate, spécialiste incontestée de la propriété littéraire et artistique, estimait que pour 1 000 titres téléchargés il en coûterait 38 000 euros.

Comment, encore, détermine-t-on la réalisation d’une faute matérielle, qui constitue le propre d’une contravention, dans le cas d’une « reproduction non autorisée à des fins personnelles » ? Que dire, enfin, des droits de la défense, qui, contrairement à ce qui se passe pour les excès de vitesse souvent cités en référence, ne sont pas garantis dans ce texte ?

Voila, mes chers collègues, sur le fond, les irrégularités constitutionnelles de ce texte et les raisons qui invitent aujourd’hui le groupe socialiste à défendre cette exception d’irrecevabilité. Rien de nouveau d’ailleurs, car dès le mois de décembre et jusqu’à aujourd’hui nous n’avons eu de cesse d’alerter le Gouvernement sur les impasses dans lesquelles le conduisait son aveuglement. Hélas, il a fait le choix de ne pas nous entendre et a préféré poursuivre dans la voie qu’il s’était fixée, celle du tout répressif sur Internet, allant même jusqu’à s’affranchir, et c’est une bien triste habitude de ce Gouvernement, des règles les plus élémentaires qui sont celles du respect de la démocratie parlementaire.

Retrait de l’article 1er, dépôt d’un amendement s’y substituant puis, cerise sur le gâteau, retrait du retrait : on ne peut pas dire que la pitoyable et ridicule valse-hésitation du Gouvernement ait contribué à la sérénité des débats, sur un sujet qui, de par sa complexité technique, appelait pourtant un effort de clarté.

Le Gouvernement s’est ainsi appuyé sur l’article 84 du règlement de notre assemblée pour retirer l’article 1er sur lequel avaient été adoptés, trois mois plus tôt, des amendements. Or, celui-ci stipule que cette faculté ne porte que sur le retrait des projets de loi et non sur le retrait des articles. L’article 84 ouvre seulement la possibilité de retirer l’ensemble d’un texte en discussion et non l’une de ses composantes. Il s’agissait en fait de faire tomber coûte que coûte les deux amendements légalisant le téléchargement en contrepartie d’une rémunération des auteurs.

M. Frédéric Dutoit. Manœuvre politicienne !

M. Patrick Bloche. Comble du casse-tête procédural que le Gouvernement a infligé à notre assemblée, nous avons ensuite discuté d’un amendement 272, censé se substituer à l’article 1er et qui ne se rattachait à aucun article. Comment, mes chers collègues, débattre d’un amendement à l’article 1er se substituant à l’article 1er alors même que ce dernier venait d’être retiré ?

M. Christian Paul. Du jamais vu !

M. Patrick Bloche. Là aussi, la manœuvre était grossière et innovante, il faut bien l’avouer.

M. Christian Paul. C’est bien la seule innovation de ce texte !

M. Patrick Bloche. Elle était naturellement contraire à l’article 98 de notre règlement, qui précise que « les amendements ne sont recevables que s ‘ils portent sur un seul article. Les contre-projets – et l’amendement 272 en était bien un – sont présentés sous forme d’amendements, article par article, au texte en discussion ». D’ailleurs, le Gouvernement l’a lui-même admis en décidant brusquement de revenir sur le retrait de l’article 1er.

Mais ce « retrait du retrait » est lui aussi entaché d’irrégularités. D’abord parce que réintroduire un article est une procédure qui n’est prévue nulle part, et pour cause, puisque le retrait d’un article en discussion n’est autorisé par aucun texte. Ensuite parce que cette réintroduction a bouleversé l’ordre dans lequel les amendements et les sous-amendements devaient être examinés, contrevenant de la sorte à l’article 100 de notre règlement et à la clarté du travail parlementaire.

Certes, le règlement de notre assemblée n’a pas de valeur constitutionnelle. Mais force est de constater que sa violation a non seulement considérablement affecté la qualité de nos débats mais, surtout, qu’elle a fortement remis en cause le droit d’amendement parlementaire. Sur ce point donc, nul doute que la procédure législative suivie pour l’adoption de ce projet de loi a été entachée d’irrégularités. D’autant que le Conseil constitutionnel, s’appuyant sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – « la loi est l’expression de la volonté générale » – et sur l’article 3 de la Constitution – « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants » – a déjà rappelé l’exigence de « la clarté et de la sincérité du débat parlementaire ».

Mais, plus globalement, c’est l’ensemble du titre Ier de cette loi qui risque de se retrouver non conforme à la Constitution, car, en affectant la clarté des débats autour de l’article 1er, article essentiel de ce projet de loi, c’est la clarté de l’ensemble des débats autour des articles qui composent le titre Ier, celui qui concerne la transposition de la directive, qui s’en trouve fortement altérée.

Telles sont donc, sur le contenu comme sur la procédure, les irrégularités constitutionnelles de ce projet de loi. Et, en l’espèce, il s’agit là d’un véritable cas d’école, une pédagogie de l’erreur en quelque sorte, où les irrégularités de procédures ont été sciemment orchestrées par le Gouvernement au profit de dispositions contrevenant à nombre de principes constitutionnels.

Mme Marie-Anne Montchamp. N’est-ce pas un peu excessif ?

M. Patrick Bloche. Puisse donc être adoptée pour toutes ces raisons cette exception d’irrecevabilité. Mesdames et messieurs de la majorité, vous pourrez ainsi aller déjeuner plus tôt au musée du quai Branly !

Mme la présidente. Le Gouvernement souhaite-t-il s’exprimer ? (M. le ministre fait un signe de dénégation.)

M. Christian Paul. Le ministre reste coi !

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Guy Geoffroy, au nom du groupe de l’UMP.

M. Guy Geoffroy. Je serai au moins d’accord sur un point avec M. Bloche : il n’est pas très utile de prolonger nos débats, car beaucoup a été dit. Je me bornerai à souligner tranquillement la très grande performance de ce qui vient d’être réalisé.

M. Christian Paul. Ne soyez pas si tranquille ! Attendez donc la décision du Conseil constitutionnel.

M. Guy Geoffroy. Le Gouvernement, dans le projet de loi qu’il nous propose, nous rappelle que ce texte permet une avancée considérable en matière d’évolution et de clarification du régime des sanctions. Aujourd’hui, le régime des sanctions pour le téléchargement est non seulement impraticable mais aussi injuste. Et ce texte, grâce au travail effectué dans cette assemblée, au Sénat, puis en commission mixte paritaire, permet de mettre en place un régime adapté, mesuré et gradué, lisible, qui rend compte de cette volonté d’équilibre qui a présidé à notre réflexion et à nos travaux.

Il s’agissait en effet de préserver l’équilibre entre le droit d’auteur – droit fondamental –, qu’il fallait réaffirmer et que nous allons défendre en votant le texte, et le droit de l’internaute, droit moderne à ce que vous appelez la démocratie parlementaire appliquée aux technologies nouvelles et qui consiste à pouvoir disposer dans des conditions claires, reconnues par la loi et applicables, des œuvres disponibles sur les nouveaux médias et notamment le média internet.

Je suis très admiratif devant les contorsions de l’opposition et d’un groupe qui n’a eu de cesse de naviguer sur la vague de la démagogie ambiante, essayant de satisfaire à la fois un public et puis l’autre, opérant un grand écart qui, malheureusement pour le parti socialiste, n’est pas passé inaperçu.

Ce grand écart, qui est un véritable déni de vérité et un véritable déni de démocratie, le groupe UMP n’a pas voulu le faire. Il a été très respectueux des différences en son sein, à l’écoute de ceux qui souhaitaient s’exprimer, et il a permis, grâce à un vrai débat démocratique interne, qu’émerge une nouvelle vérité au fur et à mesure que le Gouvernement avançait de son côté sur le texte.


Ce que les socialistes cachent derrière tout cela, ce sont des manœuvres éhontées. On voudrait faire croire que le ministre a trompé l’Assemblée à propos de la procédure d’urgence, alors que nous n’avons eu de cesse de démontrer notre sincérité, notamment en convoquant à trois heures du matin une réunion de la commission des lois, qui nous a permis de gagner la partie de la véritable interopérabilité lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

M. Christian Paul et Mme Martine Billard. Vous l’avez supprimée !

M. Guy Geoffroy. Nous sommes parvenus à un texte équilibré et respectueux de tous les droits fondamentaux, garants des libertés, inscrits dans notre Constitution. ce dernier artifice de procédure, cette ultime manœuvre, qui vise à empêcher l’Assemblée d’adopter ce texte, après nos collègues sénateurs ce matin, est dérisoire et n’est pas à la hauteur de l’enjeu.

Le groupe UMP, qui est fier d’avoir accompagné le Gouvernement, veut voter ce texte. Il rejettera donc l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Madame la présidente, mes chers collègues, vous ne serez pas surpris si je vous annonce que nous voterons l’exception d’irrecevabilité présentée par mon ami Patrick Bloche.

M. Guy Geoffroy. C’est le bloc conservateur !

M. Frédéric Dutoit. Du calme, monsieur Geoffroy !

M. Guy Geoffroy. Je suis très calme !

M. Frédéric Dutoit. Depuis décembre dernier, toute l’opposition réclame le retrait pur et simple de ce texte par trop improvisé qui, ainsi que l’a brillamment démontré M. Bloche, porte atteinte à des droits de valeur constitutionnelle. Alors que nombre de nos concitoyens, en particulier les jeunes, rejettent la politique politicienne et le double langage,…

M. Dominique Richard. Parole d’expert !

M. Frédéric Dutoit. …vous avez fait, une fois de plus ce matin, la démonstration que la démagogie est bien la pire des politiques.

Monsieur le ministre, vous devez admettre que vous avez déguisé du nom de droits d’auteur un texte dont le seul objectif consiste à multiplier les entraves, les contrôles liberticides et la surveillance généralisée de l’Internet, pour garantir aux maisons de disques et aux magnats de l’industrie culturelle le contrôle absolu des modes de diffusion de la culture. Offrir à ces grands groupes les moyens d’exploiter un nouveau marché dont la rentabilité potentielle est au-delà de tout ce que l’on peut imaginer : tel était votre unique objectif.

Pour satisfaire ces exigences démesurées, vous n’avez reculé devant rien, sacrifiant les droits des consommateurs et le respect des libertés publiques, bafouant aussi bien le droit à la copie privée que le droit à l’usage privé et légitime des œuvres. Plus grave encore, vous avez sacrifié le droit de chacun au respect de sa vie privée, en permettant à certains de violer, demain, en toute impunité la confidentialité des données personnelles et d’intercepter des échanges comme on pratique les écoutes téléphoniques. C’est un recul préoccupant des droits et libertés individuels.

Verrouiller l’Internet et criminaliser, comme vous le faites, tous les usages légitimes des produits culturels…

M. Dominique Richard. Contrevérités !

M. Frédéric Dutoit. …au nom des risques de fraude traduit une conception infantile, stérile et dangereuse du lien social,…

M. Yves Censi. C’est du délire !

M. Frédéric Dutoit. …un mépris effarant du sens des responsabilités de nos concitoyens et relève d’un conservatisme d’un autre temps. Vous marchez à contresens de l’histoire !

M. Guy Geoffroy. Qui sont les véritables conservateurs ?

M. Frédéric Dutoit. L’esprit de votre loi n’est pas l’esprit des lois. Rien, dans votre texte, ne mérite le sceau républicain du respect des principes de liberté, d’égalité et de fraternité. C’est pourquoi nous nous honorons de voter cette exception d’irrecevabilité.

M. Patrick Bloche. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. François Bayrou, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. François Bayrou. Cette exception d’irrecevabilité ne sera évidemment pas adoptée. Pourtant, je la voterai, au nom du respect d’un texte fondamental, plus important encore que notre Constitution : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Que dit en effet son article VI ? « Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à [la] formation [de la loi]. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » Il me semble que les conditions dans lesquelles a été examiné ce texte et le texte lui-même ont manqué respectivement à l’un et à l’autre de ces deux principes.

Probablement aucun projet de loi n’a suscité autant de passion au-delà de cet hémicycle, puisque les débats ont été suivis en direct, par des dizaines de milliers d’internautes…

Mme Claude Greff. C’est pour ça que vous êtes là ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. François Bayrou. Bien sûr !

Mme Martine Billard. Intervenez au moins une fois sur le fond, chère collègue !

M. Didier Mathus. Et vous, madame Greff, pour quelle raison êtes-vous là ?

M. Christian Paul. Sans doute regrette-t-elle de manquer son déjeuner quai Branly ! (Sourires.)

Mme la présidente. S’il vous plaît, laissez M. Bayrou s’exprimer.

M. François Bayrou. Ces internautes voulaient comprendre quelle loi nous faisions et comment nous la faisions. La souveraineté nationale n’appartient pas aux représentants du peuple, mais au peuple lui-même. Or, tout au long du débat, on a dissimulé à nos concitoyens les enjeux, que l’on a refusé d’éclairer, et les pressions, que l’on a refusé de nommer.

M. Guy Geoffroy. On ne peut pas dire cela !

Mme Claude Greff. N’importe quoi !

M. Jean-Marie Geveaux. C’est inadmissible ! Demandez aux membres de l’UDF qui ont suivi les travaux de vous éclairer !

M. François Bayrou. Ces enjeux ont du reste été clairement exposés par Michel Rocard et Bernard Carayon dans le texte qu’ils ont cosigné dans Le Figaro.

Pour qu’un texte soit conforme à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme, il faut que le débat soit clair et compréhensible par tous. Or, en retirant l’article 1er et en introduisant un amendement destiné à le remplacer avant de revenir sur le retrait de cet article, le Gouvernement et la représentation nationale ont manqué à l’obligation qu’ils ont envers les citoyens de garantir la nécessaire transparence du débat, même sur un texte aussi difficile d’accès.

Cette absence de transparence justifie le vote de l’exception d’irrecevabilité par ceux qui sont attachés aux principes de notre démocratie. Quant à la saisine du Conseil constitutionnel, elle nous permettra de connaître son appréciation de tels manquements aux principes qui devraient nous réunir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste.)

M. Alain Gest. Cela prouve au moins que le CSA doit revoir sa position !

Mme Claude Greff. Ce n’est pas très beau, ce que vous avez dit, monsieur Bayrou !

Mme Martine Billard. L’important, ce n’est pas que ce soit beau, mais que ce soit juste !

(M. Éric Raoult remplace Mme Hélène Mignon au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Didier Mathus, pour le groupe socialiste.

M. Didier Mathus. Nous voici parvenus au terme d’une aventure parlementaire…

M. Christian Paul. Un fiasco parlementaire !

M. Didier Mathus. …peu commune pour ceux qui, l’ayant suivie de bout en bout – ils ne sont pas nombreux sur ces bancs –, ont assisté aux incroyables palinodies et renversements auxquels a donné lieu l’examen de ce projet de loi,…

M. Yves Censi. C’est ce que l’on appelle un débat !

M. Didier Mathus. …mené avec un amateurisme déconcertant par le ministre de la culture. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Sur le fond, le texte dont nous sommes saisis appelle un certain nombre de réflexions. La révolution numérique actuelle, notamment cet outil extraordinaire qu’est le web, rend possible la grande utopie des Lumières, énoncée dans l’incipit de l’Encyclopédie : « que plus d’hommes soient éclairés et que chacun participe, selon sa portée, à la lumière de son siècle. » L’évolution technologique de ces dernières années permettait en effet un élargissement considérable de l’accès à la culture, et l’on aurait pu espérer que le projet de loi consacre le droit au progrès technologique dû à chaque citoyen. Hélas ! c’est le contraire qui se passe, puisque ce texte absolument inintelligible…

M. Guy Geoffroy. Faites un effort !

M. Didier Mathus. …entérine la fin de la copie privée,...

M. Guy Geoffroy. Mais non !

M. Didier Mathus. …légalise l’usage irraisonné des DRM – ces verrous numériques qui permettent la traçabilité et représentent un danger considérable pour les libertés individuelles et collectives – et interdit de fait l’interopérabilité.

Nous aurons vu, ces derniers mois, des lobbies écrire directement la loi contre l’intérêt général, en trouvant des supplétifs dans une majorité par ailleurs largement divisée. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Censi. Vous insultez la représentation nationale !

M. Guy Geoffroy. Retirez ces propos !

M. Didier Mathus. Où sont d’ailleurs MM. Carayon, Suguenot, Cazenave ? Eux, n’ont vraisemblablement pas été invités quai Branly…

Par ailleurs, en substituant le modèle américain du copyright au modèle français du droit d’auteur, ce texte balaie trois siècles d’histoire et une identité culturelle forte.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Mathus.

M. Didier Mathus. Monsieur le ministre, vous avez souvent répété que ce texte était historique. Sans doute resterez-vous en effet dans l’histoire, mais comme le ministre qui aura tenté de cadenasser le Net au profit de quelques intérêts particuliers (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), inventé la police du Net, pour réprimer les jeunes en particulier (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), et tenté de porter atteinte aux logiciels libres. Surtout, vous resterez dans l’histoire comme le ministre de la culture qui aura pénalisé l’accès à la culture.

Ce projet de loi n’est pas seulement archaïque et ridicule : il est une faute contre l’esprit. C’est pourquoi nous voterons l’exception d’irrecevabilité défendue par M. Bloche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Je mets aux voix l’exception d’irrecevabilité.

(L’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.)

Rappel au règlement

M. Patrick Bloche. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour un rappel au règlement.

Mme Claude Greff. Ah ça, il sait le faire ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Bloche. Madame Greff, intervenez sur le fond du texte, ou alors baissez d’un ton ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le président, mon rappel au règlement porte sur le déroulement de nos travaux. Nous étions convoqués ce matin à dix heures et demie, le Sénat étant censé ne consacrer qu’une heure à l’examen de ce projet de loi.


La séance n’a véritablement commencé qu’il y a une bonne heure, à midi moins vingt. Il est une heure moins le quart. (« Ne perdons pas de temps ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Une motion de procédure, la question préalable, a été déposée et sera défendue par Mme Martine Billard.

M. Thierry Mariani. Notre collègue ne dispose que d’un quart d’heure de parole !

M. Patrick Bloche. Elle terminera sans doute sa démonstration vers treize heures. Viendront ensuite les explications de vote, puis la discussion générale.

Je pense que, pour le bon déroulement de nos travaux, il faudrait lever la séance dès à présent pour nous retrouver à quinze heures. Je rappelle que nous ne sommes pas responsables du large débordement horaire de l’examen de ce projet de loi, qui n’est d’ailleurs pas une première.

M. le président. Monsieur Bloche, nous arrivons à la fin de la session ordinaire, période à laquelle de tels décalages sont habituels. Ma collègue vice-présidente, Mme Mignon, ayant dû rejoindre sa circonscription, je suis revenu de mon département alors que, depuis quelques jours, il connaît une situation particulièrement délicate. Au sujet de la régularisation des titres de séjour, beaucoup d’inquiétudes se sont exprimées, notamment devant la sous-préfecture du Raincy.

M. Christian Paul. On s’inquiète dans toute la France, pas seulement au Raincy !

M. Jean-Marie Le Guen. Il serait plus sage que vous restiez parmi nous, monsieur le président ! (Sourires.)

M. le président. Monsieur Le Guen, ce n’est pas parce que vous crierez que vos arguments l’emporteront.

Quoi qu’il en soit, aucune suspension n’ayant été demandée, la séance se poursuit.

Je vais donner la parole à Mme Martine Billard. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine Billard. Merci, monsieur le président, mais il serait utile de savoir si, après la question préalable, nous continuerons l’examen du texte de la CMP ou si nous ferons une pause.

M. François Bayrou. Répondez, monsieur le président : poursuivrons-nous d’une traite la discussion jusqu’au vote ?

M. le président. Nous verrons où nous en serons, une fois que Mme Billard aura défendu sa motion de procédure, qui sera suivie des explications de vote et du vote.

Mme Claude Greff. Allons jusqu’au bout !

Question préalable

M. le président. J’ai reçu de Mme Martine Billard une question préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

Mme Martine Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après bien des péripéties, et bien que l’urgence ait été déclarée en décembre, il aura fallu six mois pour effectuer une seule navette entre les deux assemblées, ce qui démontre que la procédure d’urgence n’était qu’une facilité retenue par le Gouvernement pour passer en force et, si possible, sans faire de vague, afin de faire adopter ce texte aux conséquences déplorables.

En le présentant pour la première fois à la veille de Noël, vous comptiez, monsieur le ministre, sur la proximité des fêtes pour éviter le débat. Cela avait échoué. Pour achever cette mauvaise action, vous choisissez maintenant le dernier jour de la session parlementaire, prévu pour l’examen de deux autres textes non moins importants, de nouveau à la veille d’une période peu propice à la vigilance citoyenne, du fait de la sortie des classes et de la coupe du monde de football.

M. Alain Gest. Le Parlement devrait-il s’arrêter de travailler à cause du football ?

Mme Martine Billard. Vous aviez promis d’organiser une seconde navette si le texte voté par les deux chambres présentait des divergences notables.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Il n’y en a pas eu !

Mme Martine Billard. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous lire le compte rendu intégral officiel de la deuxième séance du jeudi 9 mai 2006. Vous déclariez alors : « Je prends devant vous l’engagement que, si des divergences fondamentales apparaissaient entre l’Assemblée et le Sénat, le Gouvernement ne convoquerait pas la commission mixte paritaire, mais laisserait se prolonger la discussion entre les deux assemblées », déclaration que vous avez réitérée quelques minutes plus tard. Il y avait bel et bien une promesse de votre part qui, visiblement, n’engageait que ceux qui l’ont crue.

Or, que constatons-nous ? Le texte proposé par le Sénat remet en cause les quelques avancées votées à l’Assemblée nationale sur l’interopérabilité et sur la copie privée.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Absolument pas !

Mme Martine Billard. De même, des divergences importantes sur le statut et la composition de l’Autorité de régulation des mesures techniques sont apparues entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Dès lors, monsieur le ministre, pourquoi ne pas respecter vos engagements sur la tenue d’une seconde lecture ? Une fois de plus, vous fuyez le débat devant les Français.

M. Patrick Bloche. Exactement !

Mme Martine Billard. Il est vrai que la situation du Gouvernement n’est pas des meilleures ces jours-ci et que le Premier ministre ne gouverne plus grand-chose. Mais, en passant aujourd’hui en force, vous nous donnez, une fois de plus, une bien triste image du Gouvernement, dont la parole n’a de toute évidence aucune valeur !

Pourquoi ne pas avoir levé l’urgence, puisqu’il semble qu’une nouvelle directive doive être examinée à l’automne par les instances européennes ?

Il n’y a donc plus aucune urgence à transposer une directive qui sera déjà obsolète dans quelques mois, surtout si l’on tient compte du temps nécessaire pour promulguer les décrets.

Le texte soumis aujourd’hui au vote final, après être passé sous les fourches caudines de la CMP, ne présente guère d’améliorations par rapport au texte initial. L’exception au droit d’auteur pour les personnes handicapées, dans une rédaction moins restrictive que celle du projet initial, et l’exception pour les « bibliothèques, archives et centres de documentation » sont deux réécritures conquises de haute lutte lors de notre première lecture dans cet hémicycle.

Mme Brigitte Le Brethon. N’importe quoi !

Mme Martine Billard. S’y ajoute l’exception pédagogique pour l’enseignement et la recherche, que les enseignants et les chercheurs ont réussi à imposer grâce à leur mobilisation. N’oublions pas ce qui s’est passé dans notre hémicycle. Vous aviez refusé cette exception, arguant d’accords signés sur la question. Mais, malgré vos tentatives, alors, de maintenir le secret sur leur contenu, la lecture de quelques extraits effectuée en séance par mes soins, puis leur circulation sur Internet ont soulevé un tel tollé que vous n’aviez plus le choix. Nos collègues sénateurs ont donc pu introduire cette exception. Les enseignants et les chercheurs se sont ainsi sortis de la mauvaise passe où vous vouliez les conduire en limitant tellement la possibilité d’utiliser des copies numériques d’œuvres culturelles et artistiques, et autres œuvres de l’esprit qu’il leur serait devenu impossible d’étudier des œuvres françaises.

Mais le rejet de cette loi va bien au-delà de telle ou telle facilité accordée aux chercheurs ou aux bibliothèques. C’est un combat politique sur la conception de la culture, sur la défense d’une culture partagée, ancrée dans notre société, et sur la défense du logiciel libre. C’est aussi un combat pour la démocratie, pour les droits du Parlement, contre les dérives du lobbying sans frein des majors qui se sont invités dans nos débats depuis décembre dernier…

M. Frédéric Dutoit. Très juste !

Mme Martine Billard. …et contre le passage en force du Gouvernement au mépris du Parlement.

M. Patrick Bloche. Absolument !

Mme Martine Billard. L’examen de ce projet de loi restera tristement célèbre dans les annales des dénis démocratiques en série et des droits parlementaires bafoués. Ce texte sur le droit d’auteur, touchant à la politique culturelle de notre pays, a été exclusivement soumis à la commission des lois de l’Assemblée, des amendements de dernière minute du Gouvernement et de la commission réécrivant totalement certains articles.

En ce qui concerne la fameuse Autorité de régulation, je rappelle que nous aurons vu bien des rédactions différentes, l’une du Gouvernement, l’autre de l’Assemblée nationale et une troisième du Sénat, avant de découvrir celle de la CMP.

Je ne reviendrai pas sur l’examen de l’article 1er, que M. Patrick Bloche a rappelé. Quel cumul d’incompréhensions et de procédures innovantes ! À tous ces épisodes est venu s’ajouter, la semaine dernière, celui de la commission mixte paritaire. Pressés d’en finir avec ce texte mal bâti, les rapporteurs des deux chambres ont concocté cinquante-cinq amendements, avant même la tenue de la réunion, afin de couper court à toute discussion.

Contrairement à ce que vous avez essayé de faire croire, le débat n’est pas entre les partisans du tout-gratuit et ceux qui seraient favorables à la rémunération des auteurs et des artistes ! Non, ce qui s’oppose ici, ce sont deux conceptions différentes de la culture et deux conceptions différentes de l’informatique.

En effet, rien dans ce texte n’améliore ni ne garantit la rémunération des auteurs et des ayants droit. Face à l’évolution des technologies et l’essor des nouveaux modes d’échange de musique, vous faites le choix de privilégier les majors comme Vivendi, les distributeurs et les fournisseurs d’accès à Internet et les sociétés de téléphonie mobile. Vous avez refusé les propositions faites tant sur les bancs de l’opposition que sur ceux d’une partie de la majorité, sans parler des artistes, des consommateurs ou des associations familiales, qui proposaient la rémunération des auteurs par la licence globale.

M. Frédéric Dutoit. Tout à fait !

Mme Martine Billard. Ensuite, vous avez refusé la mise à contribution des fournisseurs d’accès à Internet haut débit. Vous préférez mettre à bas le principe de l’exception au droit d’auteur pour copie privée et vous menacez, de ce fait, le principe même de la redevance pour copie privée perçue collectivement et redistribuée aux acteurs du monde de la culture.

M. Dominique Richard. Ce texte le garantit, au contraire !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Lisez le texte !

Mme Martine Billard. S’agissant des ayants droit, alors que la question de la transparence dans la répartition des droits collectés est posée par les auteurs eux-mêmes, la CMP a supprimé l’avancée proposée par le Sénat en matière d’information, à l’article 19 bis.

L’objet principal de ce texte n’est plus la défense des auteurs, mais la légalisation des DRM, à partir des articles 7, 7 bis A et 14 ter A, qui, sous le nom fallacieux de « mesures techniques de protection », sont en fait des dispositifs de contrôle des usages.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Avez-vous seulement lu le texte, madame Billard ? J’ai l’impression inverse !

Mme Martine Billard. C’est bien là qu’apparaissent nos deux conceptions radicalement divergentes des cultures numériques. Ce ne sont pas uniquement les échanges sur Internet, mais tous les supports, notamment multimédias, qui sont concernés par les nouveaux dispositifs législatifs.

M. Dominique Richard. C’est faux !

Mme Martine Billard. Les DRM ne visent pas uniquement à empêcher une reproduction illimitée des œuvres, mais à marchandiser chaque utilisation et à limiter le nombre de lectures, en instituant des péages permanents. Ils réduisent les possibilités d’accès gratuit aux œuvres légalement tombées dans le domaine public lors de l’extinction des droits patrimoniaux. Les cultures numériques sont-elles condamnées à n’être qu’une somme de consommations individuelles de biens marchands mis sur le marché par les majors du secteur, et non des pratiques partagées ?

Deux conceptions de l’informatique nous opposent également. La vôtre consiste à se jeter dans les bras de Microsoft pour renforcer son monopole sur les systèmes d’exploitation et de logiciels, ou pour permettre à quelques multinationales de tout verrouiller afin de mieux drainer les flux financiers. Peu vous importe que la position dominante de Microsoft ait été condamnée par la Commission européenne !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Vous n’avez pas lu le texte ! Je crois que je vais être obligé de vous proposer des cours particuliers !

M. Dominique Richard. Bon courage !

M. Christian Vanneste, rapporteur. J’ai une vieille habitude des élèves récalcitrants !

Mme Martine Billard. La conception pour laquelle j’ai plaidé, avec mes collègues de l’opposition et certains de la majorité, défend au contraire l’indépendance et la coopération par l’utilisation des logiciels libres. Or, c’est cette possibilité, même légale, que puissent exister des logiciels libres que vous voulez tuer, en rendant obligatoire, par l’article 14 ter A, l’installation de DRM et en réduisant à rien le droit à l’interopérabilité, qui avait été acté ici en première lecture, au cours d’une nuit que l’on peut qualifier d’historique.

M. Christian Vanneste, rapporteur. N’importe quoi !

Mme Martine Billard. Sur la question de la garantie de l’interopérabilité entre les systèmes, quelle régression ! Alors que l’Assemblée était parvenue après maintes négociations, en première lecture, à introduire des garde-fous d’équilibre à l’article 7, le Sénat les a balayés. Quant à la nouvelle rédaction sortie de la CMP, comment parler d’un texte d’équilibre entre les rapporteurs, alors que la version réécrite n’a plus rien à voir avec le texte adopté et qu’il est même en régression par rapport à la version votée au sénat ?

En effet, si la CMP a réintroduit deux phrases issues de notre Assemblée, toutes les obligations de respect de l’interopérabilité sont supprimées : plus de possibilité de saisir le tribunal de grande instance en référé, plus de droit pour une personne de créer l’interopérabilité nécessaire à son usage personnel. Ainsi se trouve réduit à néant tout le débat qui avait eu lieu ici même sur la nécessité de permettre à un consommateur d’écouter de la musique sur le matériel de son choix et d’en exécuter des copies réservées à son usage privé pour tout type de matériel lui appartenant.

M. Dominique Richard. Au contraire ! Nous sommes au contraire le premier pays à l’autoriser.

Mme Martine Billard. La version de la CMP, encore pire que celle du Sénat, vient de réinstaurer et de légaliser les formats incompatibles, alors que, ces dernières décennies, toutes les découvertes technologiques dans le domaine du son et de l’image tendaient justement vers l’avènement des formats compatibles.

Nous connaissions déjà les abus des fournisseurs d’accès informatique et ceux de la téléphonie mobile ; nous subirons dorénavant ceux du téléchargement. Et les personnes qui, excédées, essaieront de se débrouiller pour lire malgré tout, sur le matériel dont elles disposent, le morceau de musique qu’elles auront téléchargé seront passibles des sanctions pour contournement de DRM, soit plus de 3 000 euros d’amende. La loi ne définit donc plus le contenu des informations essentielles à l’interopérabilité, puisque la CMP l’a supprimé.

M. Dominique Richard. Vous n’avez rien compris au texte !

Mme Martine Billard. Enfin, et ce n’est pas le moins important, la CMP confirme la possibilité d’interdire « la publication du code source et de la documentation technique d’un logiciel indépendant intéropérant pour des usages licites avec une mesure de protection d’une œuvre. »

Elle s’est empressée de remettre les modalités pratiques d’application de cette garantie à l’Autorité de régulation des mesures techniques, introduite par le Sénat à l’article 7 bis A. Cette instance pourra interdire toute publication d’un logiciel libre qui, pour être opérationnel, devrait au préalable accéder à des informations protégées par un DRM. Vous prévoyez même, à l’alinéa 2 de cet article, que le titulaire d’un droit d’auteur puisse expressément refuser l’interopérabilité. Dans ces conditions, comment voulez-vous que le logiciel libre puisse se développer comme le souhaitent les autorités de l’État pour leurs propres services ? C’est en fait la liberté de création dans le domaine informatique qui est remise en cause.

Pour les sanctions, prévues aux articles 12 bis, 14 quater et suivants, vous avez la main lourde. Quel chef d’entreprise prendra le risque de développer un logiciel, si le simple fait de contourner un DRM pour développer son produit l’expose à une sanction pénale de 3 750 euros d’amende ? Et quel entrepreneur osera s’engager dans l’aventure, si le fait de proposer à autrui un tel outil le rend passible de six mois d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ?

M. Dominique Richard. Vous confondez tout !


Mme Martine Billard
. Surtout, les auteurs de logiciels libres publiant des logiciels permettant l’échange de données protégées par le droit d’auteur risqueront trois ans de prison et 300 000 euros d’amende !

Ces dispositions me conduisent à attirer l’attention de la représentation nationale sur la menace que fait peser ce texte sur l’économie de notre pays. Vous mettez en danger une partie de l’industrie française du logiciel, en particulier les PME, nombreuses à avoir manifesté leurs craintes ces derniers mois. C’est aussi une part de la sécurité économique nationale qui pourrait être atteinte.

Quant aux auteurs de logiciels libres, ils se trouveront écartés des segments de marché les plus porteurs – lecteurs multimédias, serveurs vidéo, systèmes embarqués dans les baladeurs numériques, assistants personnels, téléphones portables. De ce fait, tous les petits éditeurs se trouveront soumis à la bonne ou à la mauvaise volonté des grandes firmes. C’est une menace que vous faites peser sur la recherche, qui est pourtant la clef de l’avenir dans ce domaine plus que dans tout autre. Vous bridez la liberté d’innovation – et la liberté tout court – des ingénieurs et des chercheurs.

Notre pays aurait pourtant besoin de plus de recherche et de développement. Alors qu’il avait l’opportunité de se positionner sur un segment informatique très porteur, vous venez de lui fermer cette porte. Ne venez pas ensuite nous parler de « patriotisme économique », car il n’y a franchement pas de quoi être fiers, de livrer ainsi toute notre économie informatique au monopole de Microsoft.

Parce que le texte adopté par la commission mixte paritaire n’est pas un texte de compromis, mais une réécriture totale qui fait fi des droits du Parlement en ce qui concerne les articles 7, 7 bis et 14 ter A sur les mesures techniques de protection et sur l’interopérabilité ; parce que nous en sommes à la troisième version, depuis le dépôt du projet de loi du Gouvernement, des modalités définissant la nouvelle autorité créée par ce texte, ce qui montre le manque de sérieux des conditions de son élaboration ; parce que le Gouvernement a été incapable d’éclairer la représentation nationale sur les conditions d’application des sanctions soi-disant graduées, alors que la tradition veut, pour un texte de cette importance, que le contenu des décrets d’application à venir soit explicité par le ministre en séance ; parce que l’objet du texte, qui devait porter sur la transposition d’une directive européenne sur les droits d’auteur et les droits voisins, porte finalement sur la défense des mesures techniques de protection et l’impossibilité de l’interopérabilité, mais ne renforce en rien les droits d’auteur ; pour toutes ces raisons, je vous demande de refuser de délibérer sur ce texte issu de la commission mixte paritaire en votant cette question préalable, et par là même d’exiger l’ouverture d’une deuxième lecture sur ce texte, afin de pouvoir aboutir sérieusement et de manière constructive à un texte plus conforme à la fois aux besoins des auteurs et des ayants droit, à la liberté sur Internet et au développement des logiciels libres et de l’économie de l’Internet dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission mixte paritaire.

M. Philippe Houillon, président de la commission mixte paritaire. Puisqu’il est maintenant treize heures, monsieur le président, je sollicite, en application de l’article 50, alinéa 5 du règlement de notre assemblée, la poursuite de nos débats. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre de la culture et de la communication. Je donne mon accord.

M. Patrick Bloche. C’est honteux ! Rappel au règlement !

M. le président. L’article 50, alinéa 4 du règlement dispose que : « L’Assemblée se réunit l’après-midi de 15 heures à 20 heures et en soirée de 21 heures 30 à 1 heure le lendemain. Lorsque l’Assemblée tient séance le matin, elle se réunit de 9 heures 30 à 13 heures. »

L’alinéa 5 du même article précise que « L’Assemblée peut toutefois décider de prolonger ses séances soit sur proposition de la conférence des présidents pour un ordre du jour déterminé, soit sur proposition de la commission saisie au fond ou du Gouvernement » – ce qui est le cas – « pour continuer le débat en cours ; dans ce dernier cas, elle est consultée sans débat par le président de séance. »

Vote sur la poursuite du débat

M. le président. Conformément à l’article 50 du règlement, je vais consulter l’Assemblée sur la poursuite du débat.

(L’Assemblée, consultée par un vote à main levée, décide de poursuivre le débat.)

M. Christian Paul. Encore un passage en force !

Rappel au règlement

M. Patrick Bloche. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Bloche. Nous prenons acte du fait que suite à la consultation à laquelle vous avez procédé, monsieur le président, il a été décidé de poursuivre le débat au-delà de treize heures.

Je demande une suspension de séance d’une demi-heure afin de permettre au groupe socialiste de se réunir et de trouver les forces physiques nécessaires à la poursuite de ce débat. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Le respect des travaux de l’Assemblée nationale et des parlementaires est une nouvelle fois bafoué par le Gouvernement qui, ayant envoyé le président de la commission des lois en mission commandée, force sa majorité à délibérer, alors qu’il est treize heures passées et que nous en avons encore pour au moins une heure et demie de débat. Je ne vois là rien d’autre qu’un énième, et inadmissible passage en force du Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue pour cinq minutes.

(La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à treize heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous en venons aux explications de vote sur la question préalable…

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. Pardonnez-moi, monsieur Dutoit, mais je viens d’annoncer les explications de vote.

M. Christian Paul. Ça recommence ! Décidément, rien ne se passe correctement !

Rappel au règlement

M. le président. Avant les explications de vote, la parole est à M. Frédéric Dutoit, pour un rappel au règlement.

M. Frédéric Dutoit. Je voudrais à nouveau protester avec véhémence contre la façon dont la représentation nationale est traitée.

M. Christian Paul. Maltraitée !

M. Frédéric Dutoit. Depuis décembre 2005, nous n’avons cessé de répéter qu’il fallait prendre le temps d’avoir un débat serein, afin de tenter de parvenir, sur ce projet de loi dit « relatif au droit d’auteur », à un accord sur les dispositions à prendre pour préserver le droit d’auteur, garantir les libertés individuelles et le développement de l’Internet, de la numérisation et surtout des logiciels libres.

Pourtant, à aucun moment, ce débat sur lequel l’urgence a été déclarée n’a pu être mené dans la sérénité. À plusieurs reprises, le Gouvernement et une partie – seulement – de la majorité ont utilisé des artifices de procédure – sans parler des retraits et des ajouts d’articles – pour faire passer en force ce texte inacceptable. C’est pourquoi, monsieur le président, je demande une suspension de séance d’au moins une demi-heure afin que je puisse rappeler les parlementaires communistes qui se trouvent actuellement dans leurs circonscriptions.

M. le président. J’aurais aimé vous être agréable. Mais les explications de vote ayant été annoncées, la suspension de séance aura lieu après celles-ci et après le vote sur la question préalable. Je vous rappelle que l’Assemblée a décidé de poursuivre le débat.

Reprise de la discussion

M. le président. Pour les explications de vote, la parole est à M. Dominique Richard.


M. Dominique Richard
. Nous reviendrons dans la discussion générale sur le fond du débat et sur les questions qui ont été soulevées. Pour le moment, je m’en tiendrai aux explications de vote sur cette motion et j’aurais aimé que Mme Billard soit là pour les entendre. Rappelons-le, la question préalable vise à montrer qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Comment, dans ces conditions, notre collègue peut-elle sérieusement présenter cette motion, alors que la directive européenne a été publiée en 2001, il y a donc cinq ans, et que la France fait actuellement l’objet d’une procédure d’avis motivé, laquelle précède les sanctions financières ? Le groupe UMP s’opposera évidemment à cette manœuvre grossière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Monsieur le président, avec tout le respect que nous devons au président de l’Assemblée et à ceux qui se succèdent au perchoir, nous considérons que vous participez à un passage en force. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Car telle est bien la méthode utilisée par le Gouvernement, depuis décembre 2005, pour faire adopter par le Parlement un texte…

Mme Claude Greff. Peut-on parler de passage en force avec un délai de six mois ?

M. Christian Paul. …qui suscite de nombreux débats dans le pays, et une vraie dissidence au sein de l’UMP. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Gest. Occupez-vous donc du groupe socialiste !

M. Yves Censi. Bienvenu dans la réalité, monsieur Paul !

M. Christian Paul. Afin qu’on n’oublie pas les révoltés sincères, absents ce matin…

M. Jean Dionis du Séjour. Où sont-ils donc ?

M. Christian Paul. …mais dont certains ont annoncé qu’ils viendraient voter contre, je veux donner ici écho aux voix muselées d’un certain nombre de nos collègues. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de la culture et de la communication. Jack Lang !

M. Christian Paul. Je citerai donc, par ordre alphabétique, MM Yves Bur, Bernard Carayon, Richard Cazenave, Georges Colombier, Dominique Dord, Patrick Labaune, Pierre Lasbordes, Lionnel Luca, Jean-Pierre Nicolas, Bernard Pousset, Jacques Remiller, Alain Suguenot et, sans doute, beaucoup d’autres qui n’ont pas signé cette lettre de protestation adressée au président du groupe UMP à l’Assemblée nationale.

M. le président. Monsieur Paul, je vous rappelle que vous intervenez au nom du groupe socialiste.

M. Christian Paul. Il n’en reste pas moins que, malgré vous, je conserve toute ma liberté de parole, monsieur le président !

M. le président. Tout à fait ! Ceux que vous nommez ne sont cependant pas là pour donner leur avis. Il est rare qu’un parlementaire parle au nom de collègues d’un autre groupe.

Mme Claude Greff. Laissez-le poursuivre, monsieur le président ! Il n’a jamais autant parlé de l’UMP ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Paul. Il est tout aussi rare qu’un président de séance s’exprime à la place de l’orateur ! On peut donc innover !

M. le président. Respectez la courtoisie qui prévaut depuis ce matin dans cet hémicycle !

M. Christian Paul. Monsieur le président, pour conserver à ces travaux toute la sérénité nécessaire, il aurait fallu s’y prendre autrement, et notamment ne pas participer à ce passage en force. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Hervé Novelli. C’est une attaque contre le président ! C’est grave !

M. Christian Paul. Ce qui se passe est en effet très grave, monsieur Novelli. Nous avons un certain nombre de choses à dire dans ce débat et, avant de voter, nous voulons entendre du Gouvernement les réponses que nous attendons depuis six mois et dont il cherche à nous priver.

Pourquoi allons-nous voter la question préalable défendue par Mme Billard ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Parce que vous êtes socialistes !

M. Christian Paul. Pourquoi ce grand débat sur la culture, et sans doute le plus sensible dans cette législature, qui n’en a d’ailleurs pas vu beaucoup sur ce sujet,…

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. Christian Paul. …est-il truffé d’artifices, d’expérimentations hasardeuses en matière de procédures, de méthodes disciplinaires – nous avons pu le constater à l’occasion de la commission mixte paritaire ? Pourquoi toutes les réécritures de ce texte ont-elles assassiné les quelques compromis que nous avions pu trouver en particulier sur l’interopérabilité au cours de la première lecture ?

Sur l’article 7, nous avions pu, en effet, à l’unanimité, dans la salle de la commission des lois, trouver une rédaction commune – ce n’est pas si fréquent ! Or vous avez piétiné tous nos efforts.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est le bicamérisme !

M. Dominique Richard. Il y a deux chambres au Parlement !

M. Christian Paul. Le bicamérisme n’a jamais empêché de légiférer unanimement sur les grandes lois concernant le droit des auteurs, des artistes et des créateurs. S’il y a une rupture dans la période que nous traversons, c’est bien celle-là !

Monsieur le ministre, le texte que vous nous avez soumis a non seulement ouvert des fractures au sein de la majorité, provoqué des divisions dans la communauté artistique, et opposé les artistes à leur public, mais il est également à l’origine d’une véritable révolte civique. Si vous avez la volonté d’écouter la société, il suffit d’aller voir ce qui se dit sur le net, dans tous ces forums, agora d’aujourd’hui, où se déroule le débat public. La façon opiniâtre avec laquelle vous tentez de préserver l’ordre économique ancien et des intérêts qui ne sont ceux ni des artistes ni du public soulève en effet ce vent de révolte civique.

M. Yves Censi. La propriété est un droit fondamental !

M. Christian Paul. La propriété telle que vous tentez de la définir, c’est le vol ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Vanneste, rapporteur. C’est si gros que vous en souriez vous-même !

M. le président. Monsieur Paul, quelqu’un a fait cette citation avant vous ! (Sourires.)

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. M. Paul est un néotrotskiste !

M. Christian Paul. Je citais, mes chers collègues, un des meilleurs économistes français, M. Daniel Cohen, qui, titrait, dans un excellent article publié dans le journal Le Monde, voilà trois ans environ : « La propriété intellectuelle, c’est le vol. »

M. Yves Censi. Vous êtes démasqué, monsieur Paul !

M. Christian Paul. C’est effectivement vrai lorsqu’elle est confiscatoire du droit des auteurs. C’est précisément ce qui se passe avec la mise en place de systèmes propriétaires qui détiennent la distribution de la culture, avec Apple, ou le contrôle de la culture, avec Microsoft. Lorsque ce système se déploie à l’échelle de la planète tout entière, la propriété intellectuelle, telle que vous la voulez, c’est le vol.

M. le président. Concluez, monsieur Paul ! Vous avez largement dépassé votre temps de parole !

M. Christian Paul. Voilà toutes les raisons pour lesquelles le groupe socialiste, à l’unanimité, votera cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Nous voterons bien évidemment la question préalable de notre collègue Martine Billard qui, je le crois, souligne assez bien les motifs qui devraient nous faire rejeter les conclusions de la commission mixte paritaire. En ce moment de confusion et de passage en force, je veux encore croire en l’honneur de la politique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Quelle emphase ! Faut-il hisser les couleurs, monsieur Dutoit ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Il n’y a pas de passage en force !

M. Frédéric Dutoit. C’est pourquoi j’invite les membres de la majorité, y compris M. Geoffroy, à nous rejoindre dans ce vote.

J’ai lancé, hier, au nom de mon groupe, un appel en direction de l’ensemble des parlementaires, de la majorité comme de l’opposition,…

M. Guy Geoffroy. Tous au foot, demain ! (Sourires.)

M. Frédéric Dutoit. …pour les inviter à rejeter les conclusions de la CMP.

Nous avons été nombreux, sur tous les bancs de cet hémicycle, à protester il y a quelques semaines contre la décision du Gouvernement de convoquer cette commission et de priver le Parlement de la possibilité d’examiner en deuxième lecture le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. Frédéric Dutoit. De nombreuses raisons militent encore en faveur d’une deuxième lecture. Vous étiez d’ailleurs intervenu en ce sens, monsieur Dionis du Séjour. Il faut dénoncer d’abord le comportement déloyal du Gouvernement à l’égard de la représentation nationale, car le ministre avait pris publiquement l’engagement dans l’hémicycle de permettre un examen en seconde lecture dans le cas où des divergences substantielles se feraient jour entre le texte voté par notre Assemblée et celui voté au Sénat.

M. Guy Geoffroy. C’est donc la preuve qu’il n’y en avait pas !

M. Frédéric Dutoit. Or, à l’évidence et comme l’a dit Mme Billard, le texte adopté par le Sénat remet en cause les attendus votés à l’unanimité des députés sur des points essentiels, qui concernent l’exercice des droits et libertés individuels, qu’il s’agisse des dispositions relatives à l’interopérabilité entre supports de lecture des œuvres et mesures techniques de protection ou de celles réprimant, par une contravention, le téléchargement illégal sur Internet. Le texte issu de la CMP, s’il rétablit quelques équilibres, demeure insuffisant, à tous égards.

En tout état de cause, et compte tenu qu’il serait injustifiable que la volonté du Gouvernement d’obtenir au plus vite le vote d’un texte, prime sur le nécessaire approfondissement de la réflexion et du débat parlementaire, s’agissant de questions qui intéressent tant de nos concitoyens, nous demandons solennellement à l’ensemble des députés de rejeter les conclusions de la CMP de façon à ouvrir la possibilité d’un nouvel examen du texte devant l’Assemblée nationale.

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n’est pas adoptée.)

M. Frédéric Dutoit. Quel manque de courage !

M. Jean Dionis du Séjour. Veillez à ne pas parler de « lâcheté ». Ce mot doit être en effet prononcé avec précaution en ce moment ! (Sourires.)

M. le président. Chers collègues, la discussion générale est prévue sur une heure.

M. Christian Paul. Ce sera plus long car nous voulons entendre le ministre ! Nous attendons des réponses du Gouvernement !

M. le président. Devront notamment intervenir, dans cette discussion générale, MM. Dionis du Séjour, Frédéric Dutoit, Dominique Richard, Christian Paul, pour quinze minutes, et Mme Martine Billard, pour cinq minutes. Je vous propose, comme convenu, une suspension de séance de quelques minutes avant de l’aborder.

La séance est suspendue.


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures vingt-cinq, est reprise à treize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous en arrivons au terme d’un long, d’un très long débat, et au moment de rassembler nos réflexions pour fonder notre vote sur ce qui sera le texte de loi définitif, c’est la nouvelle devise de l’UDF – le parti libre – qui traduit le mieux notre cheminement et nos convictions sur ce sujet de société majeur.

En ce qui concerne la conduite des débats, nous avons été les premiers à dire que ce projet de loi n’était pas un texte technique…

M. Dominique Richard. C’est vrai !

M. Jean Dionis du Séjour. …ni une banale transposition d’une directive européenne. Lorsque j’étais rapporteur du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique, j’ai compris que la mobilisation de l’ensemble des acteurs socioprofessionnels sur ce texte annonçait un grand mouvement d’opinion qui se manifesterait lors de l’examen du projet de loi relatif au droit d’auteur. Et honnêtement, ce projet de loi le méritait car ses enjeux sont considérables.

Internet est en train de devenir le vecteur majeur de toute diffusion culturelle, avant même la radio et la télévision. La culture, longtemps privilège d’un petit nombre de nos concitoyens, va devenir accessible à tous, si nous le voulons, grâce à Internet. C’est une formidable nouvelle pour la démocratie. Mais à une seule condition : que l’on invente en même temps le modèle économique qui permettra à l’ensemble des professionnels de la culture de vivre dignement de leur activité, et d’abord de la création.

M. Pierre-Christophe Baguet. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Reconnaissons-le, nos débats ont été douloureux, chaotiques et marqués par beaucoup de maladresses – et si je peux me permettre, cela vaut pour le choix du dernier jour de la session parlementaire pour le vote définitif de ce texte. C’est librement que nous disons, à l’UDF, qu’il était possible et souhaitable de faire mieux, même si l’honnêteté nous oblige à reconnaître que les passions, les incompréhensions et les conflits d’intérêts rendaient ces débats difficiles.

Mais nous avons mal vécu la position du Gouvernement, quelle que soit sa bonne volonté et celle du rapporteur Christian Vanneste. Je veux toutefois saluer l’écoute et la disponibilité dont ont bénéficié les porte-parole de l’UDF – Pierre-Christophe Baguet et moi-même – de la part du rapporteur, de vous-même, monsieur le ministre, et des membres de votre cabinet – avec une mention spéciale pour Laurence Franceschini.

M. Frédéric Dutoit. Arrêtez, vous êtes un parti libre !

M. Jean Dionis du Séjour. Je dis ce que je veux ! Nous avons l’impression que le Gouvernement a vécu ces derniers mois un véritable chemin de croix. Nous, parlementaires, étions très nombreux à vouloir une loi fondatrice, à la fois pour le monde culturel et pour les internautes.

M. Christian Paul. C’est raté !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous reviendrons plus tard sur la position du groupe socialiste !

Monsieur le ministre, vous connaissez bien le monde de la culture. Visiblement, vous le respectez et vous l’aimez. Ce qui vous a peut-être manqué dans ce débat, c’est de connaître et d’aimer les internautes, notamment les plus actifs d’entre eux, pour leur dynamisme et leur créativité, même s’il leur arrive d’être excessifs. Internet est leur espace de liberté, leur far west, et ils y sont viscéralement attachés. Il fallait les convaincre que le droit et la liberté peuvent prospérer ensemble. Reconnaissons que nous avons manqué ce rendez-vous avec les citoyens parmi les plus dynamiques et attachants de la société française.

Quant à nous, à l’UDF, nous n’avons jamais mené, durant ces longues heures de débat, la politique de la démagogie et du double langage, pas plus que celle de la chaise vide.

M. Pierre-Christophe Baguet. Exactement !

M. Frédéric Dutoit. Nous non plus !

M. Jean Dionis du Séjour. Cette position un peu particulière dans l’hémicycle nous autorise à vous faire part calmement de nos divergences sur la conduite du débat. A notre avis, le choix de l’urgence pour ce texte était un mauvais choix, inefficace et non démocratique.

Inefficace, parce que nos travaux ont duré longtemps ; non démocratique, car le Parlement a beaucoup moins bien associé la société civile à ce projet de loi qu’à celui relatif à la confiance dans l’économie numérique. Oui, il fallait du temps et de la sérénité : oui, une deuxième lecture était nécessaire.

Pensez-vous, monsieur le ministre, qu’à l’issue de la première navette parlementaire nous avions atteint la maturité nécessaire pour légiférer ? A l’UDF, nous ne le pensions pas, et nous sommes toujours convaincus du contraire. Nous savions bien que la CMP n’a de sens qu’en fin de processus, lorsque toutes les divergences fondamentales sont levées. Or, elles ne l’étaient pas sur plusieurs concepts de fond, notamment l’interopérabilité. Nous prenons le risque, monsieur le ministre, de légiférer sans avoir défini avec précision ce concept central qu’est l’interopérabilité.

M. Frédéric Dutoit. Eh oui !

M. Jean Dionis du Séjour. Cet oubli ne sera pas sans conséquence. L’absence de définition de l’interopérabilité est une lacune majeure de ce texte, même si l’exercice était difficile. A cause de cela, la jurisprudence sera certainement hésitante, contradictoire et difficile à fixer. Car il ne suffit pas, pour bien légiférer dans ce domaine, de créer une obligation à "la fourniture des éléments nécessaires à l’interopérabilité", même si cela est important.

Nous le réaffirmons, nous sommes convaincus que ce texte aurait été meilleur, c’est-à-dire générateur de plus de justice et de moins de contentieux, s’il avait suivi son cours législatif normal – c’est-à-dire s’il avait fait l’objet d’une deuxième lecture.

La CMP aura-t-elle été inutile ? Non, et nous nous devons de souligner certaines avancées réalisées à cette occasion : l’exception pédagogique ; à l’article 5 b, la clarification sur le non cumul de rémunération pour copie privée et celle perçue lors de l’achat des biens en ligne. Sur cette question, nous souhaitions trouver un équilibre : la CMP nous a entendus et nous en sommes satisfaits. Enfin, à l’article 7, la CMP a réintroduit un amendement que j’avais proposé à l’Assemblée, visant à créer une obligation de fourniture d’informations essentielles à l’interopérabilité. C’est aussi une avancée sur le chemin de la protection du logiciel libre.

M. Pierre-Christophe Baguet. C’était légitime !

M. Jean Dionis du Séjour. Mais la CMP n’a pu changer sur le fond ni les points forts, ni les points faibles de ce texte.

Libres sur la forme, nous le serons aussi pour apprécier ce texte sur le fond. Vous avez, monsieur le ministre, avec un certain courage, osé dire que la licence globale était une fausse bonne idée. Sur cette question centrale, l’UDF vous a apporté son soutien libre et entier. Le 21 décembre, alors que la confusion gagnait toutes les familles politiques, à l’exception de la nôtre…

M. Christian Paul. Et de la nôtre ! quant à vous, vous étiez seul !

M. Jean Dionis du Séjour. …l’UDF, sur la base d’une analyse très approfondie, s’est prononcée sans aucune ambiguïté contre la licence globale, refusant les propositions démagogiques qui consistaient trop souvent à "draguer les internautes" à l’intérieur de l’Assemblée, tout en caressant dans le sens du poil le monde de la culture à l’extérieur de l’Assemblée ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Vanneste, rapporteur. Très juste !

M. Jean Dionis du Séjour. Il faut pouvoir, en fin de débat, se dire quelques vérités !

Sur le sujet de la licence globale, je suis prêt à participer à des débats contradictoires.

M. Christian Paul. C’est avec le Gouvernement que nous voulons débattre !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous, nous n’avons pas changé de position. Mettez de l’ordre dans le parti socialiste, monsieur Paul, et nous en reparlerons !

Pour le reste, notre position n’a pas varié depuis les explications de vote du 21 décembre, et c’est très librement que nous allons la réaffirmer.

Au départ, ce projet de loi était la transposition d’une directive européenne qui confirmait le droit d’auteur exclusif, y compris et surtout sur Internet, et préconisait dans son article 6 des mesures techniques de protection. Nous osons le dire clairement, ces mesures sont légitimes pour répondre au téléchargement illégal, même si elles créent une véritable tension en se heurtant à cet autre droit fondamental qu’est le droit à la copie privée. Dans son article 8, la directive appelait les États membres à prévoir des sanctions "efficaces, proportionnées et dissuasives".

Nous le disons avec force, le groupe UDF, fidèle à son engagement européen, se retrouve dans le contenu de cette directive, et il aurait pu approuver une transposition fidèle et modeste de celle-ci. Mais nous le disions déjà à la fin de la première lecture et cela se confirme après la CMP, le texte de loi qui est soumis à notre approbation s’écarte de la directive sur plusieurs points importants.

D’abord, son article 9 instaure une autorité de régulation, chargée d’arbitrer les litiges entre l’application des mesures de protection et le droit à la copie privée. Monsieur le ministre, nous n’aimons pas cette autorité de régulation que nous jugeons illégitime.

M. Dominique Richard. On vous la fera aimer ! (Sourires.)

M. Jean Dionis du Séjour. Peut-être !

M. Frédéric Dutoit. Commissaire du peuple ! (Sourires.)

M. Jean Dionis du Séjour. En créant une autorité de régulation, vous prenez le risque d’une véritable confusion et de conflits avec la commission portant sur la rémunération pour copie privée. Je ne veux pas, comme dans une publicité célèbre, dire que "cela ne marchera jamais", mais tout de même : à l’autorité de régulation incombera la définition de l’espace de la copie privée, avec le nombre d’exemplaires par type de supports, et à la commission incomberont le type de support éligible, le taux de rémunération et les modalités de versement. Pourtant, qui ne voit le lien entre l’espace de la copie privée, le préjudice porté aux auteurs et le financement ?

Nous sommes aussi opposés à l’article 12, qui prévoit de lourdes sanctions pour les éditeurs de logiciels de pair à pair n’incluant pas la gestion des mesures techniques de protection. C’est un point important, car le logiciel libre est une vraie voie d’avenir et un moteur de croissance. Il est, à côté du logiciel propriétaire, l’autre modèle économique du développement de l’industrie du logiciel et il est heureux, pour l’économie comme pour la société, que ces deux modèles coexistent.

Or, il existe actuellement un vrai débat au sein de la communauté du logiciel libre. Pour le moment, les éditeurs de ces logiciels travaillent surtout sur des…

M. Pierre-Christophe Baguet. Eh oui !

M. Jean Dionis du Séjour. …applications bureautiques, des bases de données et des systèmes d’exploitation. Ils commencent à s’intéresser au peer-to-peer, mais ils se demandent s’ils doivent y aller et comment – en incluant ou non la fonction des DRM. Pour certains d’entre eux, notamment Linus Thorvald, le créateur de Linux, l’ajout de cette fonction non seulement ne pose aucun problème technique, mais elle est légitime. Le débat est donc ouvert chez les éditeurs. Dès lors, fallait-il légiférer ? A notre avis, non, car il est surtout urgent de laisser la communauté du logiciel libre faire ses choix elle-même.


En outre, nous nous interrogeons sur l'efficacité nationale d'une telle disposition.

Sur les articles 13 et 14, à savoir sur le régime des sanctions applicables, nous émettons des doutes sur le caractère efficace, proportionné et dissuasif des sanctions mises en place par la loi, tel que le réclame la directive.

Même si les conditions n'étaient pas satisfaisantes – il était trop tard, nous n'en avions pas débattu –, vous aviez proposé, monsieur le ministre, un concept intéressant : la riposte graduée. Si certains éléments étaient inacceptables, comme la police assurée par des agents assermentés des sociétés de répartition – la fameuse police privée de l'Internet, condamnée dans cette enceinte par François Bayrou –, d'autres méritaient d’être retenus, comme la gradation des sanctions, le principe de la responsabilisation de l'abonné et la prévention par l'envoi de messages d'avertissement avant sanction.

En conclusion, nous avons eu des débats confus, heurtés, pollués par des hésitations politiques du Gouvernement et des principaux groupes de l'Assemblée, mais aussi par des maladresses procédurales. Ce texte, même s’il s'inspire en grande partie d'une directive européenne que nous faisons nôtre, s'en écarte sur des points importants.

Au final, au moment du vote définitif, l'UDF ne retrouve pas dans ce texte la concrétisation législative de deux objectifs politiques majeurs qu'elle s'était fixés au début de son examen : stimuler la création artistique et inventer, pour cela, un nouveau modèle de rémunération compatible avec Internet ; permettre au plus grand nombre l'accès aux trésors de la culture dans des conditions d'accessibilité, d'ergonomie et de modicité de prix jamais atteintes.

Ce texte de loi était une chance pour nous, à l'UDF, qui avions en tête le modèle porté par le législateur européen.

En fin de parcours, prédomine le sentiment d'une occasion gâchée, d'un rendez-vous manqué, même si certains débats fondamentaux ont eu lieu et ont été tranchés. La majorité du groupe UDF, à l’instar de François Bayrou et d’Hervé Morin, votera donc contre ce texte. Certains, dont je suis, sensibles aux choix fondamentaux qu’il incarne – notamment le refus de la licence légale–, tout en en réprouvant la méthode et certaines des dérives, s’abstiendront,

M. Pierre-Christophe Baguet. Très bien ! Moi aussi, je m’abstiens !

M. le président. Chers collègues, afin que le texte sur l’immigration puisse être examiné cet après-midi à une heure raisonnable, une heure seulement sera accordée pour le déjeuner.

Au nom de tous, je remercie les personnels de l’Assemblée nationale…

M. Guy Geoffroy et M. Dominique Richard. Ah oui !

M. le président. …qui ne pourront aller déjeuner qu’après quatorze heures trente.

La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous voici réunis autour des conclusions d'une CMP, alors que le bon sens et le souci d'un vrai débat démocratique n'auraient jamais dû en permettre la tenue. En convoquant cette CMP, monsieur le ministre, votre Gouvernement démontre, une nouvelle fois, qu'il reste un adepte de l'autoritarisme, sans aucune considération pour le rôle du Parlement, sur un sujet qui, pourtant, mérite un examen long et prudent, dans l'intérêt général et celui de la création.

Même réduits à la portion congrue, nos débats dans cet hémicycle ont permis de montrer combien les enjeux de cette loi sont multiples et dépassent largement la question, également essentielle, de la rémunération des artistes à l'ère du numérique. L'intervention du secrétaire d'État au commerce américain, à la suite à l'adoption par les députés français d'un article visant à mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles d'Apple et de Microsoft, le démontre ; l'adoption d'un article instaurant une possibilité de contrôle des « mesures techniques de protection des œuvres » par le secrétariat général de la défense nationale à des fins de prévention de l'espionnage industriel le confirme. On est loin du droit d'auteur. Cela mériterait sans aucun doute qu'on s'y attarde.

Par ailleurs, monsieur le ministre, vous nous aviez donné au nom du Gouvernement votre parole, à plusieurs reprises, de lever l'urgence en cas de divergences fondamentales entre les deux assemblées. Or les positions de l'Assemblée et du Sénat ont été radicalement différentes sur plusieurs dispositions clés. Le Sénat a gravement porté atteinte aux quelques équilibres que les députés avaient su trouver. Plusieurs députés de la majorité, dont certains ont porté ou soutenu nombre de dispositions votées à l'unanimité – contrairement à celles du Sénat, adoptées à une très courte majorité – n'ont eux-mêmes pas hésiter à parler de positions irréconciliables.

M. Dominique Richard. Nous les avons réconciliées !

M. le ministre de la culture et de la communication. Eh oui !

M. Frédéric Dutoit. Le travail mené en CMP a, certes, permis de revenir sur certaines des dispositions les plus choquantes du Sénat – et je suis juste en disant cela. Mais l'organisation de cette CMP n'en demeure pas moins illégitime. Qu’elle tienne lieu de seconde lecture, opérée en catimini, avec l'examen d'amendements divers, est une parodie de démocratie, injustifiable dans la forme et sur le fond, sur un texte qui fait si peu consensus, notamment au sein même de la majorité. Car les positions de l'opposition ont été, je crois, beaucoup plus claires.

J'ajouterai que les motifs ayant déclenché la déclaration d'urgence ont disparu. Le motif avancé de poursuites par la Commission européenne en cas de non-transposition rapide de la directive est caduc : la directive européenne de 2001, que le projet de loi transpose, va être réexaminée dans les prochains mois, tant elle va à l’encontre de ses objectifs d'harmonisation et est préjudiciable aux consommateurs. La Commission a déjà engagé une série d’auditions pour réétudier cette directive.

Face à une directive mal rédigée, les États membres ont transposé avec un grand éclectisme. La plupart des États, dont la France, ont ainsi conservé ou créé des redevances sur les supports vierges pour « copie privée », alors qu'on ne peut plus réaliser de telles copies à cause, justement, des « mesures techniques ». Outre le fait qu'il apparaît incohérent de demander au public de payer pour un acte devenu impossible, je souligne que la Commission européenne, consciente de ce problème, envisage elle-même de supprimer ces redevances, ce qui déclenche des réactions paniquées des organisations d'artistes, mais aussi des élus qui savent que 25 % de la redevance sont utilisés pour financer le spectacle vivant dans leurs communes et régions.

M. le ministre de la culture et de la communication. Alors votez le texte !

M. Frédéric Dutoit. Ces élus et ces artistes, par ailleurs, refusent toute mutualisation de la gestion de leurs droits, telle que le proposait le dispositif – certes, imparfait, mais novateur –…

M. Christian Vanneste, rapporteur. Non, pas novateur !

M. Frédéric Dutoit. …de la licence globale ou de la mutualisation possible des rémunérations. Mais quand il s'agit d'avoir le beurre et l'argent du beurre, certains ne reculent apparemment devant aucune incohérence !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le Parti socialiste, par exemple !

M. Frédéric Dutoit. Cela dit, les craintes qui s'expriment sur le risque d'une disparition, à terme, de la redevance pour copie privée sont révélatrices, à leur manière, des insuffisances de la loi. Ces craintes nous montrent combien les créateurs sont réticents, et on les comprend, à troquer une rémunération sûre – la redevance – contre une chimère sécuritaire, les mesures techniques, rejetées par le public et qui ne garantissent finalement les revenus que de Microsoft, d'Apple ou d’autres.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Vous n’avez pas lu le texte !

M. Frédéric Dutoit. Quel élu informé endosserait la responsabilité de la diminution simultanée des revenus des auteurs, des droits du public et des subventions pour les festivals organisés dans sa circonscription ?

En ne respectant pas la parole donnée, le Gouvernement ne se livre pas seulement à un déni flagrant de démocratie, il oublie également son rôle de gardien de l'intérêt général.

Rien ou presque, dans le texte de loi qui nous est proposé, ne manifeste la recherche d'une position d'équilibre.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Oh !

M. Frédéric Dutoit. Les revendications et les inquiétudes des internautes et des associations de consommateurs…

M. Christian Vanneste, rapporteur. C’était l’essentiel !

M. Frédéric Dutoit. …ont été passées par pertes et profits, au seul bénéfice des quelques lobbies qui ont su recueillir une oreille attentive du Gouvernement.

Les syndicats de musiciens et des sociétés d'artistes, comme l'ADAMI ou la SPEDIDAM, les associations de consommateurs, telles que l'UFC ou la CLCV, familiales, comme l'UNAF, d’internautes, comme EUCD info ou ODEBI, des utilisateurs de logiciels libres ont tous dénoncé les déséquilibres de votre texte. Pas un seul instant, vous n’avez daigné leur accorder quelque crédit ou leur apporter des réponses.

Pour les centaines de milliers de Français qui ont suivi nos débats, l'évidence s'impose que ce texte a été rédigé par et pour les industriels, et que son adoption ne permettra nullement de rémunérer justement les créateurs – aucun des pays ayant adopté des dispositions comparables n'en a tiré un tel bénéfice.

Les atteintes aux droits du public, les pressions exercées pour les obtenir et le ridicule de certaines dispositions au regard de l’état de la technique, présente et à venir, sont, par contre, désormais clairement identifiés, tout comme les risques stratégiques y afférents.

Pour un Gouvernement à bout de souffle, l'adoption de ce projet de loi ne sera qu'une victoire à la Pyrrhus.

Je salue l’arrivée dans l’hémicycle de mon ami Didier Mathus, avec qui je partage nombre de positions, notamment sur ce texte !

M. Christian Vanneste, rapporteur. L’arrivée du socialiste !

M. Frédéric Dutoit. Démonstration sera bientôt faite du caractère inapplicable de ce projet de loi, de sa rédaction médiocre, de l'incompétence et de l'absence de vision de ses promoteurs, d'un mépris hallucinant à l'égard de nos concitoyens et de notre jeunesse – qu'on prétend ainsi responsabiliser à coups de bâton –, mais aussi à l’égard des auteurs eux-mêmes.

Démonstration est faite aujourd’hui que l’objectif du Gouvernement n’a jamais été la défense ou la sauvegarde des droits d’auteur. Cette loi n’apporte aucune solution réaliste et réalisable aux auteurs pour leur garantir une juste et légitime rémunération.

J’accueille cependant avec plaisir l’article 31…

M. le ministre de la culture et de la communication. Ah ! Enfin, la sagesse !

M. Frédéric Dutoit. …qui instaure ce fameux rapport, que j’avais moi-même proposé dans cet hémicycle. « Ce rapport [comportera] un chapitre spécifique sur les conditions de mise en place d’une plate-forme publique de téléchargement permettant à tout créateur vivant, qui se trouve absent de l’offre commerciale en ligne, de mettre ses œuvres ou ses interprétations à la disposition du public et d’en obtenir une juste rémunération. » Je me félicite d’être à l’origine de cet article et je souhaite que la prochaine majorité – de gauche, à laquelle nous serons partie prenante – permettra qu’il devienne réalité.

Au final, le spectacle navrant de ce débat et de son issue m'invite à formuler le vœu – un vœu pieux, sans doute – qu'il reste assez de lucidité à la majorité pour s'opposer, avec nous, à l'adoption des présentes conclusions de la CMP. Ce serait l'honneur de notre assemblée que d'affirmer sa volonté de reconduire le débat, pour y inscrire à nouveau et sans ambiguïté la reconnaissance du droit des auteurs et de nos concitoyens à faire de l'ère numérique une chance pour la diffusion et la diversité de la culture. Ce serait l’honneur de l’Assemblée nationale de prendre, enfin, sa responsabilité pour que l’avenir soit aux auteurs, aux internautes et à la jeunesse de ce pays.

M. Didier Mathus. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Dominique Richard.


M. Dominique Richard
.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement et sa majorité arrivent au terme d’un processus législatif qui donne enfin à la France les bases d’une adaptation du droit d’auteur à l’heure du numérique. Rappelons-en les principales étapes : 22 mai 2001, publication de la directive européenne négociée par le gouvernement de Lionel Jospin ; 12 novembre 2003, dépôt du projet de loi ; 21 mars 2006, vote à l’Assemblée nationale.

Alors que l’on entend parler de « déni de démocratie », de « travail bâclé », de « crainte du débat parlementaire », je veux rappeler que nous avons eu – excusez du peu ! – plus de cinquante-sept heures de débat en séance publique en mars, et quatre-vingts heures au total à l’Assemblée nationale : c’est le cinquième débat le plus long depuis le début de la législature. Depuis le vote du Sénat, nous avons eu, monsieur le ministre, de nombreuses réunions de travail pour aboutir au résultat d’aujourd’hui. Comme sur tous les sujets de société importants, notre groupe n’a pas évité le débat. Et ces débats sont source de richesse !

L’enrichissement du texte, résultat de ces concertations, est en effet patent, grâce aux apports du groupe UMP et du rapporteur, qui a accompli un travail patient et talentueux.

M. Guy Geoffroy. Remarquable !

M. Frédéric Dutoit. N’exagérons rien !

M. Dominique Richard. Certains députés se sont émus de l’absence de deuxième lecture, considérant que les positions exprimées par l’Assemblée et le Sénat étaient tellement divergentes que tout accord en devenait impossible. Eh bien, tout en restant fidèles à nos positions exprimées en mars, nous sommes parvenus à un accord le 22 juin avec tous ceux qui voulaient vraiment aboutir et non se figer dans des postures !

Oui, mes chers collègues du groupe UMP, nous avons eu le courage d’agir ! Jusqu’à présent, l’internaute était perdant car le seul choix qui lui était offert était de télécharger illégalement sur l’Internet, au risque d’être condamné à trois ans de prison. De la même manière, nos créateurs étaient livrés à eux-mêmes et à la loi de la jungle : aucune protection réelle, aucun respect de leur travail, aucune reconnaissance de la rémunération de leurs talents. Telle est la situation que le Parti socialiste voulait voir perdurer et telle est la situation à laquelle cette majorité et ce gouvernement mettent fin !

M. Christian Paul. C’est un film d’horreur que vous nous racontez là !

M. Dominique Richard. Assumant notre diversité, nous avons réuni les internautes et la communauté artistique et fait de l’Internet une double chance : pour le public, c’est une chance supplémentaire d’avoir accès à des offres de musique et de cinéma plus riches, plus nombreuses et à des tarifs plus attractifs ; pour les artistes et les créateurs, c’est une nouvelle opportunité de faire connaître leur travail et leur talent, et de développer de nouvelles stratégies, de nouvelles formes d’exploitation de leurs œuvres. Telles sont, dans leur réalité, les possibilités ouvertes par ce projet de loi. Nous passons à un système gagnant pour l’internaute et gagnant pour le créateur, là où les socialistes ont voulu monter les uns contre les autres.

Nos débats ont permis de transformer un sujet technique en un sujet de société. De ce point de vue, nous avons fait preuve, avec vous, monsieur le ministre, de cohérence dans nos principes et de réalisme dans nos choix. Dans sa diversité, le groupe UMP a posé des principes clairs, inhérents à sa philosophie. Le premier d’entre eux est le respect des droits de l’auteur et de sa juste rémunération. Oui, pour nous, tout travail mérite salaire,…

M. Frédéric Dutoit. Pour nous aussi ! Qu’allez-vous insinuer ?

M. Dominique Richard. …et cela vaut pour nos créateurs comme pour tout un chacun ! Force est de constater, monsieur le ministre, que vous avez défendu ce principe contre vents et marées.

J’invite d’ailleurs l’opposition à faire preuve d’un peu de cohérence. Qui doit-on croire ? Il n’est pas possible d’afficher d’un côté un soutien incantatoire aux artistes et aux techniciens et de permettre, de l’autre côté, de voir leur rémunération bradée dès lors que leurs œuvres seraient sur l’Internet.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Très juste !

M. Dominique Richard. C’est au créateur, et à lui seul, de décider si son œuvre doit être payée ou non. Grâce à une initiative du groupe UMP, le projet de loi garantit que, à l’ère numérique, l’auteur est mis au centre du choix du mode de diffusion et du mode de rémunération. L’article en question permet d’appréhender la diversité des talents. L’auteur qui souhaitera la rémunération de son œuvre sera protégé ; l’auteur qui souhaitera au contraire mettre ses œuvres gratuitement sur l’Internet aura cette possibilité.

Dans le même esprit, une réflexion est engagée pour la mise en place d’une plateforme publique de téléchargement. Celle-ci permettra à tout créateur vivant, absent des plateformes et des circuits commerciaux, de mettre ses œuvres ou ses interprétations à disposition du public et d’en obtenir une juste rémunération.

De même, le vote d’un crédit d’impôt musique, dont bénéficieront essentiellement les petites structures indépendantes, permettra d’aller dans le sens de la diversité de l’offre tout en sécurisant les risques financiers pris par les petits labels. Lorsque l’on voit, monsieur le ministre, que le crédit d’impôt que nous avons voté pour l’audiovisuel et le cinéma a permis une hausse de 35 % des tournages sur notre territoire en un an, on peut mesurer concrètement nos résultats en faveur de l’offre et de l’emploi culturels ! Défense du droit d’auteur, protection de la rémunération et conditions de la diversité, tels sont les principes que la majorité défend à travers ce texte.

J’invite maintenant la communauté artistique à se tourner vers nos collègues socialistes. Que lit-on ? Que propose-t-on ?

M. Christian Paul. Je vais vous le dire dans cinq minutes, si vous voulez bien rester pour m’écouter !

M. Dominique Richard. Hélas pour la défense de la diversité culturelle et de nos créateurs, je ne relève qu’un double langage ! Et ce double langage que dénonçait ici même Bernard Accoyer en mars…

M. Christian Paul. Un spécialiste !

M. Dominique Richard. …perdure aujourd'hui. Alors que le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la culture, le président de l’UMP et notre groupe ont défendu clairement la rémunération de nos artistes en écartant la licence globale, le parti socialiste, lui, continue de mener un double discours. En décembre et en mars, alors que Jack Lang et François Hollande écartaient la licence globale rue de Solferino, les députés socialistes la votaient dans l’hémicycle !

M. Guy Geoffroy. Au fait, où sont passés MM. Lang et Hollande ?

M. Dominique Richard. Depuis, la ratification de la convention pour la diversité culturelle– qui est d’ailleurs à porter à votre actif, monsieur le ministre – a été ratifiée, le festival de Cannes, dont le palmarès a mis en lumière cette diversité, a eu lieu, le vingt-cinquième anniversaire de la fête de la musique a été célébré : autant d’occasions qui auraient dû permettre au parti socialiste d’accorder ses violons. Or il n’en est rien !

Ouvrons ensemble le livre de la cacophonie socialiste.

D’un côté, que lit-on dans la partie de la bible du Parti socialiste, à savoir son « projet », consacrée aux droits d’auteur ? « Nous veillerons à ce que le financement de la création soit préservé et adapté au numérique et à l’Internet. » Eh bien, mes chers collègues socialistes, c’est exactement ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui !

M. Patrick Bloche. Non ! Vous faites tout le contraire ! Vous refusez tout financement supplémentaire à la culture !

M. Christian Paul. Vous étranglez la création !

M. Dominique Richard. Que ne votez-vous donc ce projet de loi ?

Poursuivant la lecture instructive du projet socialiste, nous trouvons plus loin : « Les auteurs et les créateurs doivent être rémunérés pour leur travail. » Nous ne pouvons que nous réjouir de ce que la position officielle que devra défendre le candidat socialiste rejoigne les convictions que nous avons toujours défendues !

Voilà qui devrait être de nature à nous rassurer. Malheureusement, il n’en est rien. D’abord, nous retrouvons la bonne vieille méthode socialiste pour « améliorer » une solution. Il s’agit, nous dit-on, d’accroître le financement de la création. Le projet socialiste indique deux pistes : tout d’abord, retrouver le niveau du budget de 1981 pour la culture. Joli progrès en vérité : il serait en baisse par rapport à votre budget, monsieur le ministre ! Deuxième solution : la création d’une taxe sur les fournisseurs d’accès, les opérateurs de téléphonie et les fabricants de logiciels et de matériel. Bravo, mes chers collègues socialistes ! Vous voulez mettre en place des impôts sur les ordinateurs personnels et les téléphones mobiles : il fallait que les Français le sachent !

Dernier exemple de cette incohérence socialiste dont on pourrait parler encore des heures, les dernières déclarations de Ségolène Royal ne peuvent que faire frémir nos artistes et nos créateurs. Alors que François Hollande et Jack Lang jurent leurs grands dieux qu’ils refusent la licence globale, Mme Royal affirme qu’elle l’envisage comme une alternative sérieuse !

M. Christian Paul. En quoi cela peut-il vous déranger ?

M. Guy Geoffroy. C’est sans doute un cadeau de mariage !

M. Dominique Richard. Il y a mieux : pas plus tard qu’avant-hier, recevant la communauté du logiciel libre, Mme Ségolène Royal a déclaré qu’elle reviendrait sur le projet de loi relatif aux droits d’auteur. Le projet socialiste ne servira qu’à casser ce qui a été fait depuis quatre ans…

M. Christian Paul. Oui, et dès 2007 !

M. Dominique Richard. …car, dit-elle, « en consacrant juridiquement les restrictions numériques – les DRM –, le projet de loi va dans la mauvaise direction ». Qui doit-on croire ?

M. Guy Geoffroy. C’est Ségolène attrape-tout !

M. Christian Paul. Non seulement le projet de loi va dans la mauvaise direction, mais il y va en klaxonnant !

M. Dominique Richard. Je m’occupe de vous dans un instant, monsieur Paul. Vous n’allez pas être déçu !

Je rappelle par ailleurs que ce n’est pas ce projet de loi qui invente les DRM : elles existent déjà ! La directive, négociée et conclue par un gouvernement auquel Mme Royal a appartenu, a justement pour objet d’encadrer leur sanctuarisation juridique.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Absolument !

M. Dominique Richard. Ce n’est plus de la mémoire sélective, c’est de l’amnésie totale !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Je parlerais plutôt de mauvaise foi !

M. Dominique Richard. J’en viens à vous, monsieur Paul. En 2006, vous affirmez à cette tribune que le gouvernement met en place les DRM pour verrouiller les œuvres sur l’Internet au profit présumé de je ne sais quelle multinationale.

M. Christian Paul. Je le maintiens !

M. Dominique Richard. Pourtant, c’est le même Christian Paul qui écrit à propos des DRM, dans le rapport de l’Assemblée n° 1401, présenté au nom de la commission des lois au sujet de la directive que transpose le présent projet de loi : « La crédibilité des outils de protection n’est assurée que s’ils bénéficient eux-mêmes d’une protection juridique adéquate. »

M. Christian Vanneste, rapporteur. Tiens donc ? Voilà qui est étonnant !

M. Dominique Richard. Et, au cas où l’on n’aurait pas compris, M. Christian Paul ajoute qu’il soutient « l’exercice d’harmonisation des droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information dès lors que celui-ci propose un niveau de protection élevé de nature à valoriser les contenus. »

M. Guy Geoffroy. Il ne vous reste plus qu’à voter le texte, monsieur Paul !

M. Dominique Richard. Voilà ce qui caractérise le parti socialiste en matière de droits d’auteur : le double langage, l’amnésie et le manque de constance.

M. Guy Geoffroy. Pas seulement en matière de droits d’auteurs !

M. Dominique Richard. En 1999, Monsieur Christian Paul estimait qu’il fallait laver plus blanc que blanc s’agissant du niveau de protection des œuvres ; en 2006, il n’hésite pas à vous reprocher d’avoir inventé les DRM, monsieur le ministre !

M. Pierre Amouroux. C’est la mère Denis !

M. Guy Geoffroy. La grande lessiveuse !

M. Dominique Richard. Quant à nous, nous pouvons affirmer avec vous, monsieur le ministre, que notre position est juste, équilibrée et constante. Le groupe UMP est resté cohérent. À côté du principe de la défense du droit d’auteur et de la juste rémunération des artistes et créateurs, nous donnons, avec ce projet de loi, de nouvelles garanties aux internautes. Qu’il s’agisse de la construction d’un socle juridique permettant une offre plus riche, de la consolidation de la copie privée ou de la novation qu’introduit le principe de l’interopérabilité, l’internaute voit ses droits raffermis.

Le projet de loi affirme un principe nouveau, l’interopérabilité, qui fait de la France un pays pionnier en Europe.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Absolument !

M. Dominique Richard. Derrière un terme qui peut paraître barbare et technique, c’est une réalité simple que nous offrons aux internautes : toute œuvre acquise légalement doit pouvoir être lue sur n’importe quel support numérique. Il s’agit ainsi de mettre fin aux verrous technologiques entraînant des situations de monopole qui rendent les consommateurs prisonniers, voire otages, d’une technologie ou d’une marque. Depuis le débat français sur le projet de loi, déjà quatre autres pays européens veulent suivre notre exemple. Pour mettre en œuvre concrètement ce principe, le texte de la CMP a défini un cadre opérationnel précis, auquel le groupe UMP était particulièrement attaché. Monsieur le ministre, nos discussions ont été longues, exigeantes et constructives. Désormais, il sera affirmé dans la loi que les mesures techniques de protection ne doivent pas avoir pour effet de nuire à la mise en œuvre effective de l’interopérabilité. À cette fin, les fabricants de mesures techniques de protection ont l’obligation de fournir les informations essentielles à l’interopérabilité. Les manquements seront soumis à une autorité administrative indépendante, dont les pouvoirs ont été renforcés et qui pourra prononcer des sanctions.

Autre point particulièrement important aux yeux de notre groupe : la préservation de l’avenir du logiciel libre. Par rapport à la directive, qui ne contient aucune disposition concernant spécifiquement le secteur du logiciel, de nombreuses dispositions supplémentaires ont été apportées en faveur du logiciel libre, en particulier pour clarifier la définition des mesures techniques afin d’éviter des effets similaires au brevet logiciel, pour préserver clairement l’exception de décompilation, ou encore pour exclure explicitement de l’interdiction de contournement des mesures techniques les actes réalisés à des fins d’interopérabilité.

Une autre garantie est apportée aux internautes avec la consolidation de la copie privée, c’est-à-dire le droit de réaliser, en fonction du type de support, pour son usage personnel ou celui de ses proches, un nombre raisonnable de copies d’œuvres acquises légalement. L’Autorité de régulation des mesures techniques pourra être saisie par les consommateurs pour ordonner de modifier les mesures techniques et préserver le bénéfice de la copie privée en tant que de besoin. Ce principe sera donc préservé, tout comme celui de la rémunération pour copie privée, dont bénéficient les créateurs et qui contribue à l’action culturelle sur le terrain.

J’en arrive à un autre apport essentiel de ce projet de loi, notamment pour les plus jeunes de nos compatriotes : la mise en œuvre de la défense du droit d’auteur dans un esprit de prévention, de justice et d’équité. Les sanctions seront désormais proportionnées à la gravité des actes. Ce projet de loi met fin à une menace juridique qui planait sur l’ensemble des internautes : la prison et les perquisitions pour acte de téléchargement. Un internaute qui télécharge illégalement de la musique ou un film sur l’Internet pour son usage personnel ne risquera plus la prison !

Les internautes étaient passibles de trop lourdes sanctions, alors que l’impunité semblait perdurer à l’égard des intermédiaires qui tiraient profit de la casse du droit d’auteur. C’est pourquoi le texte différencie clairement les responsabilités et instaure une véritable gradation des sanctions.


À l’égard de l’internaute, le texte met en place une politique de prévention : les fournisseurs d’accès à Internet transmettront à leurs abonnés des messages électroniques de sensibilisation aux dangers du piratage. En cas d’échange d’une ou plusieurs œuvres, l’internaute risquera une contravention proportionnée et graduée, dans le total respect de la vie privée.

Les sanctions les plus lourdes sont réservées à ceux qui organisent la violation manifeste du droit d’auteur, notamment ceux qui éditent des logiciels dans l’intention frauduleuse de favoriser la mise à disposition non autorisée d’œuvres protégées.

Enfin, je terminerai en citant les apports nouveaux du texte en faveur des personnes handicapées et en soulignant le maintien de l’exception pédagogique.

Une exception nouvelle autorise désormais les associations et certains établissements œuvrant en faveur des personnes handicapées à transcrire et à diffuser les œuvres dans des formats adaptés, par exemple en braille.

La CMP a par ailleurs maintenu et précisé l’exception pédagogique introduite par le Sénat pour prendre le relais, début 2009, des accords signés entre les ayants droit et le ministère de l’éducation nationale, afin d’autoriser les utilisations des œuvres à des fins pédagogiques et de recherche.

Telles sont, monsieur le ministre, les innovations – dont la majorité et le Gouvernement peuvent être fiers – en faveur des créateurs et des internautes.

Permettez-moi deux dernières remarques.

Ce texte pose des principes et des droits nouveaux. Il fallait avoir le courage de le faire. Sinon, c’était la jungle. Mais ce sera aussi une loi vivante. Face à une matière technologique qui évolue sans cesse, il faut ajuster en permanence. Ce sera la mission de la nouvelle autorité de régulation des mesures techniques.

Ma seconde remarque s’adresse aux professionnels du cinéma et de la musique. Le Gouvernement et la majorité ont pris leurs responsabilités en offrant un cadre juridique équilibré et sécurisant pour le basculement des catalogues sur le numérique. Mais cela ne servira à rien s’ils ne font pas vivre concrètement ce socle en développant une offre réellement diversifiée à des tarifs attractifs.

M. le ministre de la culture et de la communication. Il a raison !

M. Dominique Richard. Concrètement, l’internaute devra voir la différence, sentir la richesse de l’offre et prendre conscience de l’intérêt de télécharger légalement de la musique sur internet. C’est à cette condition aussi que le téléchargement illégal et la violation du droit des créateurs ne seront plus qu’un mauvais souvenir. Les députés UMP resteront vigilants sur ce point, afin que notre diversité culturelle profite à tous.

Monsieur le ministre, au nom de mes collègues UMP, je vous remercie chaleureusement, vous et vos collaborateurs, pour votre écoute constante et votre volonté de concilier plutôt que d’imposer.

Sincèrement, quiconque s’est engagé dans le débat a pu être entendu et il en ressort un texte juste et équilibré. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour le groupe socialiste.

M. Christian Paul. Monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés, les échanges de ce matin nous replongent dans l’ambiance des grands romans d’Alexandre Dumas ou de Ponson du Terrail qui semblent ne jamais devoir se terminer et où, quand on semble s’approcher du dénouement, de nouveaux rebondissements surgissent qui nous entraînent dans de nouveaux épisodes.

M. Guy Geoffroy. L’épilogue est proche !

M. Christian Paul. Le Parlement français clôt aujourd’hui – provisoirement – le premier grand débat qu’il a consacré à la civilisation numérique. Il le fait sur ordre du Gouvernement, dans la douleur des affrontements, en provoquant l’incompréhension du public et sans satisfaire aucunement les artistes, aujourd’hui amers et divisés. II le fait en légiférant contre la société qui, en de telles matières, sait bien qu’il faut sagement rechercher l’équilibre plutôt que le passage en force. Or, ce matin, nous avons encore eu maints exemples de cette tactique du passage en force.

L’on aurait tort de voir dans la controverse entourant ce texte régissant « le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information » une guérilla entre technophiles initiés ou une nouvelle bataille d’Hernani des informaticiens.

Ce n’est en aucune manière une dispute de spécialistes. C’est la société de l’information que vous confisquez alors que nous voulons la construire.

II serait tout aussi réducteur de limiter la portée du projet à l’organisation de la répression contre les internautes qui téléchargent la musique et la partagent en dehors de tout commerce. Bien sûr, cette croisade répressive s’est exprimée ici même. Bien sûr, l’on a vendu avec maladresse et dans l’improvisation aux industries culturelles et à une partie des artistes, une illusion sécuritaire sans lendemain, car cette mauvaise loi sera, sur bien des points, inapplicable.

M. Frédéric Dutoit. Bien sûr !

M. Christian Paul. Mais ce qui se joue plus globalement est apparu clairement au fil des semaines et des réécritures du texte : il s’agit, ni plus ni moins, du contrôle de la distribution des œuvres culturelles, de la musique d’abord, mais déjà aussi des films et, demain, des textes.

La dernière version de la loi baptisée DADVSI, issue d’une commission mixte paritaire transformée par vos soins en bataillon disciplinaire, (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) donne une vision de l’avenir qui, au fond, fait frémir.

Son examen a heureusement révélé, ici même et dans le pays, des convictions fortes, qui traversent les lignes de front habituelles de la politique française, et provoqué une révolte sincère au sein même…

M. Dominique Richard. Du parti socialiste !

M. Christian Paul. …de l’UMP.

Du coup, l’examen de ce texte est devenu le principal débat sur l’avenir de la culture, dans une législature qui, convenez-en, monsieur le ministre, en compta bien peu, et qui a par ailleurs fort mal traité le devenir des professionnels intermittents.

Dans ce qui restera donc comme l’un des fiascos de cette législature finissante, le droit des auteurs, détourné et instrumentalisé, aura été, au fond, utilisé comme une aimable mystification, un habile paravent où les intérêts des artistes cèdent en réalité le pas devant l’appétit des ogres de l’industrie informationnelle.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Prouvez-le !

M. Christian Paul. Je vais le faire !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Vous aurez beaucoup de mal !

M. Dominique Richard. C’est peine perdue !

M. Christian Paul. Derrière la bataille perdue –…

M. Christian Vanneste, rapporteur, et M. Dominique Richard. La vôtre !

M. Christian Paul. …pour l’interopérabilité – bataille provisoirement perdue, je l’affirme –, il faut voir l’influence croissante de puissants opérateurs : ceux qui, comme Microsoft, fabriquent et vendent des verrous technologiques, ces DRM censés gérer les droits des artistes ; mais surtout ceux qui, comme Apple, se sont assurés le contrôle de canaux de diffusion et de vente, en imposant leur format propriétaire.

M. le ministre de la culture et de la communication. Il faudrait que vous lisiez la presse américaine !

M. Christian Paul. En rendant difficiles, voire impossibles la lecture et la copie libres de la musique sur les supports choisis par chacun, le législateur – en l’occurrence, vous, monsieur le ministre, messieurs de la majorité ! – sanctuarise la rente et, demain, peut-être, le monopole du distributeur.

Quand Apple tousse, on sait désormais que Paris éternue.

L’interopérabilité de façade sans garanties sérieuses n’est plus qu’une coquille vide dans la dernière rédaction de ce texte.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Vous ne l’avez pas lu !

M. Christian Paul. En première lecture, nous avions patiemment construit une version de l’article 7 qui pouvait faire l’unanimité : vous avez assassiné cette rédaction équilibrée.

En limitant la communication des codes sources des logiciels pour protéger ces mêmes verrous technologiques, vous renforcez les droits des diffuseurs au détriment de tous les autres. Dès lors, le développement du logiciel libre, qui revêt une importance stratégique pour notre pays, se trouve gravement entravé.

Tout aussi grave, les développeurs de logiciels d’échange peer to peer – utiles non seulement pour le partage des œuvres musicales, mais aussi pour la distribution et le travail collaboratif dans de nombreux domaines –, se voient menacés d’une épée de Damoclès sur injonction de Vivendi : les voici devenus responsables de l’emploi, licite ou illicite, des outils qu’ils ont conçus ! C’est comme si un fabricant de traitement de texte était complice d’un texte diffamatoire rédigé avec le logiciel qu’il diffuse...

Derrière les limites apportées à la copie pour usage privé, il faut voir la volonté opiniâtre d’éviter la naissance d’un modèle où cohabiteraient harmonieusement vente en ligne, partage des « fichiers culturels » à des fins non lucratives et supports traditionnels.

Cet accès plus large et plus libre à la culture pourrait être une conquête majeure permise par la révolution numérique. Il n’est en rien l’apologie de la gratuité, ni le vol à l’étalage, mais l’adaptation nécessaire du droit. Un prélèvement généralisé sur l’accès à l’Internet permettrait une rémunération et donc une répartition équitable et le soutien de la création musicale.

Dans cette économie, des services offrant une réelle valeur ajoutée ont toute leur place. Encore faut-il les aider en levant les blocages et en rendant plus accessible les catalogues et notre patrimoine culturel.

Derrière le refus d’une rémunération prélevée sur Internet, approuvée par les consommateurs et par de nombreux acteurs culturels, mais combattue par les fournisseurs d’accès à Internet – les FAI – et une partie seulement des sociétés de gestion collective de droits, il faut surtout voir une incompréhension d’un mouvement irréversible et d’usages de masse, qui ne sauraient être endigués sans de profondes atteintes à nos libertés.

En attendant, le flou s’installe sur la nature des sanctions réservées aux internautes qui téléchargent chaque jour davantage. Aucune réponse précise et crédible n’a été apportée à l’Assemblé nationale par le Gouvernement sur la qualification, le contenu et la preuve des infractions de téléchargement que vous entendez poursuivre. Je souhaite donc ardemment que, devant une telle indifférence à l’égard de principes fondamentaux de notre droit, le Conseil constitutionnel vous prive, monsieur le ministre, du plaisir de signer un jour les décrets répressifs que vous fourbissez déjà rue de Valois, nouvelle annexe de la place Vendôme et de la place Beauvau. Vite, rendez-nous Malraux !

S’il l’écarte pour Internet, le Gouvernement n’hésite pas à envisager d’étendre de telles rémunérations, lorsqu’elles existent, comme en atteste l’extension de la licence légale radio aux télévisions. Je ne peux m’empêcher d’y voir une ultime amabilité à l’égard de TF1 avant les élections présidentielles. Le Gouvernement affiche, par ailleurs, une conception toute particulière des accords collectifs, en permettant au ministre de la culture de généraliser par simple décret les conventions passées entre un syndicat ou une société de gestion collective et les autres représentants du secteur. La menace de ces accords « super-minoritaires » assombrit encore le futur des auteurs et des artistes.

En usant et abusant d’un seul registre – la préservation du statu quo –, le Gouvernement, une partie de sa majorité et les lobbies installés de la culture affichent, tous ensemble, une grave myopie stratégique.

D’abord, Apple fixe les prix des morceaux de musique diffusés sur Internet par iTunes, à l’achat comme à la vente. Là est la force du marché. Ensuite, la loi française, en négligeant une nouvelle rémunération substantielle, installe un régime de pertes organisées pour les créateurs, les producteurs et les interprètes. Au total, ni les droits des créateurs ni ceux des consommateurs et du public ne sortent renforcés par le texte que vous vous apprêtez à voter.

M. Frédéric Dutoit. Oui ! Tout le monde y perd, sauf Microsoft !

M. Christian Paul. Là où devait naître un nouveau contrat entre les artistes et le public, un nouveau Yalta entre les grands prédateurs de l’industrie et du commerce culturels va être imposé cet après-midi.

Une autre vision émerge néanmoins malgré les conformismes que je viens de rappeler. Nous l’avons défendue et nous la défendrons encore en proposant, dès 2007, une réécriture complète de ce texte.

Nous défendrons cette vision nouvelle de la culture dans la civilisation numérique, en portant ce débat, qui n’est en rien franco-français, mais au contraire mondial, devant les instances européennes.

Cette vision que nous défendons se veut respectueuse des valeurs d’un pays qui a défendu sans relâche les droits d’auteurs et, à chaque étape, trouvé les compromis et les équilibres nécessaires entre tous les droits en présence.

Pour demain, à la place d’une parodie de démocratie, nous voulons un dialogue exemplaire permettant un débat lucide sur le financement de la musique et du film, en respectant tous les acteurs de la création, de la production, de la diffusion, en comprenant leurs métiers et leurs contraintes et sans les bercer d’une illusion sécuritaire qui sied si mal à l’histoire de la culture.

Nous défendrons cette vision en soutenant l’innovation, en tirant positivement et non pas frileusement, les conséquences de la révolution numérique.

Nous redonnerons tout son sens à une « exception culturelle européenne », fondée sur la promotion de la diversité – dans les actes et non seulement dans les discours –, le refus de l’hypermarchandisation et l’acceptation de nouveaux modes de financement pour la musique, à partir de l’accès à l’Internet à haut débit. En effet, nous ne croyons pas que l’on puisse répondre à la révolution numérique en créant simplement un nouveau canal de commercialisation des œuvres culturelles.

Cynisme ou naïveté ? Je ne sais. L’édition du Wall Street Journal du 19 juin permet de lire l’aveu émouvant de Bill Gates, reconnaissant qu’il télécharge des vidéos en les « piratant » et découvrant combien les nouvelles pratiques sont – heureusement – irréversibles… Mais, ajoute-t-il, « voler n’est pas un bon mot. C’est du contenu copyrighté pour lequel le titulaire des droits n’a pas été payé ».

À la veille de sa retraite, il semble que Bill Gates veuille donner au Gouvernement une ultime leçon, imparfaite puisqu’il manque la licence globale, mais terriblement lucide.

Oui, nous affirmerons qu’est désormais possible un accès plus facile à la culture, en évitant le piège de la gratuité totale – autre illusion –, mais aussi en refusant le carcan tendant à transposer mécaniquement des formes de diffusion héritées d’un autre âge.

Dans la civilisation numérique, ce n’est pas le partage qui détruit la valeur, ce sont les communautés en ligne qui dynamisent l’économie, ces millions – et, demain, ces milliards – de femmes et d’hommes qui, non seulement achètent, mais également copient et partagent.


Demain, le principe de neutralité devra fonder les régulations nécessaires et éviter les concentrations meurtrières pour la diversité de l’offre culturelle : neutralité de l’Internet et des réseaux, pour éviter la multiplication des péages ; neutralité des formats informatiques, pour éviter les confiscations – c’est bien l’objectif de l’interopérabilité, objectif majeur, que vous réduisez à une coquille vide.

Oui ! La société de l’information sera libre, ouverte, innovante si les réseaux et les formats conservent sans ambiguïté ce caractère neutre.

Pour conclure, je vous invite à méditer ce qu’écrit ce matin dans Libération un grand journaliste français dont nous sommes orphelins : « Le maelström de la révolution numérique est, en plus intense, en plus violent, en plus rapide, ce que furent toutes les révolutions industrielles, lorsque chaque jour venait bouleverser l’ordre précédent des choses. »

Et Serge July d’ajouter : « Et dans les révolutions, le temps perdu non seulement ne se rattrape jamais mais devient un facteur violemment hostile ».

Monsieur le ministre, vous avez fait perdre cinq années à la France. C’est plus qu’une erreur, c’est une faute. C’est pour cela que le groupe socialiste votera contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Martine Billard. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, je me permettrai, au cours des cinq minutes qui me sont imparties, d’expliquer les raisons pour lesquelles, au nom des députés Verts, je voterai contre ce texte.

D’une loi qui devait transposer une directive européenne sur les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information, nous arrivons à une défense d’intérêts individuels et d’intérêts économiques qui n’ont plus rien à voir avec la culture.

La redevance pour copie privée permet jusqu’à présent le financement d’actions culturelles et la répartition large de droits en direction d’une multitude d’auteurs. Sa disparition programmée par cette loi met donc en danger la rémunération de la majorité des auteurs et interprètes et la possibilité de financement d’actions culturelles autres que celles des grands circuits commerciaux.

Cette disparition n’est pas contrebalancée par de nouveaux revenus tirés des immenses profits que réalisent, et vont encore plus réaliser dans les années à venir, les fournisseurs d’accès Internet et les opérateurs de téléphonie mobile. Les auteurs ne reçoivent, eux, que des miettes microscopiques de ces changements culturels. C’était bien là le débat sur les évolutions. C’est de cela qu’il fallait tirer des propositions.

Or, vous avez systématiquement refusé, préférant le statu quo – oui ! c’est vous qui préférez le statu quo – au détriment de l’immense majorité des auteurs interprètes et ayants droit.

Non ! Contrairement à ce que j’ai entendu sur les bancs de la majorité, ce système n’est pas gagnant pour les auteurs. Il ne l’est pas non plus pour les internautes – c’est même exactement le contraire. Les internautes l’ont d’ailleurs massivement exprimé depuis le début de ce débat, au mois de décembre, et je pense qu’ils sont aujourd’hui encore nombreux à suivre la fin de la discussion de ce texte.

Croyez bien que le vote au forcing, allant jusqu’au bout dans la caricature,…

M. Frédéric Dutoit. Vous pouvez le dire !

Mme Martine Billard. …sur la façon de mener les débats, ne va pas arrêter les protestations contre cette loi.

Votre texte n’ouvre pas la voie de l’interopérabilité. Au contraire, il affirme le règne des DRM.

Oui ! ce texte est un désastre pour les auteurs et ayants droit, un désastre aussi pour les consommateurs, qui n’ont aucune garantie quant à la possibilité de jouir d’une œuvre achetée légalement face au maquis des formats propriétaires, confortés – ce qui est le comble – par cette loi ; un désastre pour l’informatique, livrée pieds et poings liés aux majors que sont Microsoft et Apple ; un désastre pour les libertés individuelles, puisqu’un usager d’Internet n’aura aucunement l’assurance de ne pas voir son ordinateur envahi de logiciels espions par l’intermédiaire de téléchargements tout à fait légaux.

Dans une tribune du journal Libération, le 14 mars 2005, Dominique Barella, président de l’Union syndicale des magistrats,…

M. Philippe Houillon, président de la commission mixte paritaire. Ce n’est pas une référence !

Mme Martine Billard. …disait : « Quand une pratique infractionnelle devient généralisée pour toute une génération, c’est la preuve que l’application d’un texte à un domaine particulier est inepte. La puissance de la jeunesse est immense. Le jour où des milliers de jeunes se retrouveront place de la Bastille pour protester contre le CD téléchargé à un euro, aucun élu ne leur résistera. »

On peut en discuter, mais ce qui est indéniable, monsieur le ministre, c’est que votre loi est déjà totalement dépassée. Il faudra donc remettre l’ouvrage sur le métier, afin de faire mieux pour les auteurs, les interprètes, les ayants droit, les usagers d’Internet, les consommateurs et l’industrie informatique.

Regrettant encore une fois cette occasion manquée, je voterai contre ce texte au nom des députés Verts. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Mesdames, messieurs, je vous ai écoutés et je pense très sincèrement que ceux qui voteront ce projet de loi permettront à une offre nouvelle, légale, diversifiée de voir le jour, de se développer et feront par là même en sorte que tous nos concitoyens, à quelque génération qu’ils appartiennent – parce qu’Internet n’est pas réservé aux plus jeunes de nos concitoyens –, partagent les valeurs de la création.

Reconnaître aujourd’hui cette réconciliation nécessaire entre la vie des auteurs, des créateurs, des artistes, des techniciens, de toutes celles et ceux qui font notre fierté et notre attractivité, leur donner les moyens d’un rayonnement agrandi, grâce à Internet, n’exclut en aucune manière le rappel d’un certain nombre de principes.

Vous avez beau dire que le droit d’auteur est périmé (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste), nous avons raison de rappeler qu’il est une grande conquête et que c’est une chose absolument essentielle pour la diversité culturelle.

M. Frédéric Dutoit. Qu’est-ce que cela veut dire ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Je me tourne vers ceux qui voteront ce texte et qui lui apportent un soutien résolu. Oui ! Il y a eu débat. Oui ! Il y a eu un certain nombre d’interrogations, même au sein de l’UMP. Pourquoi ? Parce que nous avons pris tard ce débat, parce que nos prédécesseurs avaient manqué de courage (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Bloche. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

M. le ministre de la culture et de la communication. …et que l’on avait simplement laissé filer un certain nombre de choses.

M. Patrick Bloche. Depuis 2002, vous avez mis trois ans à transposer. C’est une honte !

M. le ministre de la culture et de la communication. Alors, il est maintenant urgent que, au terme du travail que le législateur et le Gouvernement auront fait ensemble, …

M. Patrick Bloche. C’est pitoyable !

M. le ministre de la culture et de la communication. …le monde de la création s’empare de cette nouvelle possibilité de rayonnement et de diffusion.

Monsieur Paul, prendre comme référence le Wall Street Journal, qui est le journal le plus opposé à toute la philosophie française sur le plan de la politique étrangère et sur celui de la politique économique, est vraiment, je crois, emprunter le contraire de la bonne direction.

M. Christian Paul. Ce n’était qu’une citation !

M. le ministre de la culture et de la communication. Par ce texte comme par l’ensemble de la politique que je mène pour le rayonnement des artistes et des techniciens dans notre pays, je veux faire en sorte que nous restions des pionniers.

Mme Martine Billard. Les pionniers du verrouillage informatique !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est quelque chose d’absolument essentiel.

Il s’agit non de maintenir le statu quo, mais au contraire d’accompagner le progrès technologique et de faire en sorte que des valeurs essentielles soient préservées.

J’ai parfaitement conscience que nous ne franchissons aujourd’hui qu’une étape et que la technologie et la capacité d’intelligence française…

Mme Martine Billard. Vous l’avez tuée !

M. le ministre de la culture et de la communication. …permettront, dans le domaine de la technologie, beaucoup d’avancées qui bouleverseront certains des équilibres que nous instaurons aujourd’hui. Mais cette étape est utile, et j’en suis fier, comme j’ai l’humilité de reconnaître qu’il faudra bien évidemment, au fur et à mesure que le progrès scientifique et technologique continuera à galoper, savoir être au rendez-vous.

Celles et ceux qui vont voter ce texte sont au rendez-vous du principe de la création, du principe de l’évolution scientifique, de la rencontre avec le plus grand nombre de nos concitoyens, avec la défense des auteurs et des artistes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Texte de la commission mixte paritaire

M. le président. Mes chers collègues, nous en venons au texte de la commission mixte paritaire. Conformément à l’article 113, alinéa 3 du règlement, je vais appeler l’Assemblée à statuer d’abord sur les amendements dont je suis saisi.

Je suis saisi d’un amendement n° 2.

La parole est à M. Christian Vanneste, pour le défendre.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Il s’agit de réparer une simple erreur matérielle.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 1.

La parole est à M. le ministre, pour le soutenir.

M. le ministre de la culture et de la communication. Vous, mesdames, messieurs les députés, qui avez voté le crédit d’impôt pour le cinéma et l’audiovisuel – avec les résultats que l’on connaît –, vous avez eu l’excellente idée de faire en sorte qu’il en soit de même pour un crédit d’impôt phonographique.

Le Gouvernement est évidemment favorable à ce crédit d’impôt (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et souhaite que soit levé le gage.

Que tous les musiciens de notre pays, que tous les techniciens qui travaillent dans tous les studios d’enregistrement, que tous ceux qui se produisent dans les petits cafés – qu’il faut savoir soutenir – comme dans les grands festivals, ou sur les scènes du monde, que ce soit diffusé en direct sur Internet, ce qui sera possible, ou que ce soit diffusé d’une autre manière, sachent que ce crédit d’impôt aura été initié par vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Vanneste, rapporteur. La commission a émis un avis favorable, dans la mesure où, comme l’a indiqué M. le ministre, il s’agit d’une mesure très favorable à la défense de l’industrie phonographique, de l’industrie culturelle, car c’est cela qui était en jeu dans notre débat.

Nous défendons aussi des emplois, des hommes et des femmes qui travaillent. Notre combat a consisté à défendre le travail des artistes contre la démagogie, et je pense que, dans quelques instants, nous allons gagner. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Monsieur le ministre, nous prenons acte de l’avancée, qui vous a valu des applaudissements de la part de parlementaires décidément très disciplinés.

M. Guy Geoffroy. Très éclairés !

M. Didier Mathus. Très résignés !

M. Christian Paul. Mais donnez-vous un seul chiffre : quel est le montant estimé par le Gouvernement, pour l’année 2007, du crédit d’impôt que vous entendez faire voter au Parlement en faveur de la production phonographique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.


M. le ministre de la culture et de la communication.
Je constate que M. Paul semble gêné par cette perspective. Pourtant, je rappelle que vous aviez voté cette mesure ! Il s’agit simplement maintenant de lever le gage. Mais je vais vous donner deux chiffres parce que je pressens un mauvais procès.

Un plafond a été fixé pour tous les producteurs indépendants et pas seulement pour les plus grandes entreprises de notre pays afin qu’un maximum de producteurs puissent bénéficier de cette mesure : c’est essentiel.

Mme Martine Billard. Ce n’est pas un chiffre !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce plafond est de 500 000 euros par entreprise et par producteur, c’est-à-dire qu’au-delà de ce chiffre, il n’y a plus de crédit d’impôt possible.

Ensuite, je souligne que c’est ce gouvernement et cette majorité qui ont obtenu, au nom de la diversité culturelle, la reconnaissance par les autorités de Bruxelles de l’ensemble de nos crédits d’impôt, celui pour le cinéma…

M. Patrick Bloche. Ce n’est pas vous qui avez créé le CNC !

M. Christian Paul. Et aussi le cinéma peut-être ?

M. Didier Mathus. M. le ministre est les frères Lumière à lui tout seul !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est la fierté de toute une série d’équipes gouvernementales qui se sont succédé. Mais c’est bien nous qui avons obtenu la reconnaissance par Bruxelles de ce principe de diversité culturelle. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

D’autre part, et je le dis devant le rapporteur général du budget, le ministre de la culture et de la communication est traditionnellement un ministre dépensier. Je veux faire comprendre à chacune et chacun, même si je n’ai pas de leçon à vous donner…

M. Patrick Bloche. Il vaut mieux !

M. le ministre de la culture et de la communication. …que l’activité culturelle de notre pays est une chance pour le rayonnement et l’activité économique de la France. À chaque fois qu’un certain nombre de mesures structurelles sont prises, qu’il s’agisse du mécénat ou des crédits d’impôt, des estimations sont établies. Il n’y a pas aujourd’hui de crédits limitatifs ; il s’agirait aujourd’hui de 10 millions d’euros.

Toutefois, je ne veux pas être prisonnier de ce chiffre. Je souhaite que ces crédits soient utilisés et abondés par des fonds régionaux, qu’il s’agisse du cinéma, de la musique ou de l’audiovisuel, et que cette mesure soit efficace et profite à l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Cet amendement pose des questions de fond. En écoutant le ministre, on a l’impression que c’est ce gouvernement qui aurait inventé le cinéma, que c’est le gouvernement « Lumière » ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je rappelle tout de même, monsieur le ministre, que c’est après 1981 que les principales aides publiques au cinéma ont été mises en place.

Il est évident que le groupe socialiste est favorable à un crédit d’impôt en faveur de l’industrie phonographique.

M. Hervé Novelli. Tout de même !

M. Christian Paul. Mais puisqu’il est beaucoup question de fierté, je voudrais savoir si les députés de l’UMP qui vont dans quelques instants voter ce texte sont fiers et ont bien conscience, au regard des quelques millions d’euros que ce crédit permettra sans doute de gagner, sous réserve que Bercy ne fasse pas de résistance…

M. le ministre de la culture et de la communication. Il y a un Premier ministre !

M. Christian Paul. …d’avoir fait perdre plusieurs centaines de millions d’euros pas an – 200 à 300 – à la filière musicale, ce qui était à nos yeux l’apport minimal que l’on était en droit d’attendre à l’issue d’un débat de cette importance. En refusant le prélèvement sur Internet quelle qu’en soit la forme – et la licence globale n’est qu’une possibilité parmi beaucoup d’autres –, vous êtes en train de faire perdre à la musique, à la chanson, à l’ensemble des auteurs et des ayants droit plusieurs centaines de millions d’euros par an. Il y a en effet de quoi être fiers… !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Au début de l’examen de ce projet de loi, je me suis pris à rêver que les parlementaires que nous sommes, et quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, pourrions débattre sincèrement non des intérêts particuliers mais de l’intérêt général.

Un temps, j’ai cru que nous aurions un débat où les considérations partisanes et politiciennes seraient mises au placard…

M. Yves Censi. Au goulag !

M. Frédéric Dutoit. …afin de nous permettre d’élaborer un texte d’avenir prenant en compte l’intérêt général.

Je suis au regret de constater que nous avons raté cette occasion et je le regrette profondément. Personne n’a voulu mesurer que les nouvelles technologies – Internet et la numérisation – étaient déjà entrées en pratique, portant en elles une possibilité de libération, de diversité culturelle et de démocratisation.

M. Yves Censi. Cela fait cinquante ans qu’on le sait !

M. Frédéric Dutoit. Nous devons nous adapter à ce potentiel considérable.

Ce projet de loi qui n’a pour objectif que d’imposer les fameuses mesures techniques de protection – les DRM – porte atteinte à l’interopérabilité et à la liberté que nous voulons tous défendre, paraît-il.

En fait, ce texte n’a pas – et pour un ministre de la culture c’est un comble – pour objectif de garantir les droits d’auteurs, donc la rémunération juste des auteurs. Son objectif est d’adapter les nouvelles technologies – Internet et la numérisation – au seul bénéfice du marché privé.

Il eût été innovant de trouver de nouveaux dispositifs et de nouvelles pistes de réflexion afin que l’ensemble des auteurs et interprètes puissent être justement rémunérés dans le cadre de la société de l’information qui est devant nous.

M. Yves Censi. Ce n’est pas privé, cela ?

M. Frédéric Dutoit. Malheureusement, et Mme Billard l’a, elle aussi, souligné, ce projet de loi est d’ores et déjà obsolète. Les internautes, jeunes et moins jeunes, continueront de télécharger, de copier de la musique et des images. Quant auteurs, ils verront leur rémunération devenir de moins en moins juste, puisque vous avez refusé de vous engager dans une réflexion en la matière.

Une fois de plus, monsieur le ministre, vous avez cédé aux magnats de l’industrie du disque et aux propriétaires de logiciels. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre ce texte.

Vous marchez à contresens de l’histoire, monsieur le ministre !

M. le président. La parole est à M. Dominique Richard.

M. Dominique Richard. Depuis le mois de décembre, nous avons eu largement le temps de rappeler tous les bienfaits qu’amène ce projet de loi. Il permet de renforcer le droit d’auteur dans notre pays.

Mme Claude Greff. Très bien !

M. Dominique Richard. Il établit le droit à la copie privée ; il dépénalise des pratiques des internautes et il crée – première mondiale – le droit à l’interopérabilité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine Billard. Vous n’y croyez pas vous-même !

M. Dominique Richard. Il sécurise les logiciels libres et comporte des avancées en faveur des personnes handicapées et en faveur des exceptions pédagogiques.

M. Pierre-Louis Fagniez. C’est très important !

Mme Claude Greff. Très bien !

M. Dominique Richard. Ce texte a atteint un point d’équilibre et constituera une référence au-delà de nos frontières.

C’est votre honneur, monsieur le ministre, de l’avoir mené à bien.

Mme Claude Greff. Bravo !

Mme Marie-Anne Montchamp. C’était courageux !

M. Dominique Richard. C’est donc avec enthousiasme que le groupe UMP le votera ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Bayrou.

M. François Bayrou. Ce n’est jamais bon signe lorsque le vote d’un projet de loi est reporté aux dernières heures d’une session parlementaire.

M. Gilles Carrez. Il faut bien qu’il y en ait une !

M. Pierre-Louis Fagniez. On a commencé il y a bien longtemps, il faut bien terminer !

M. François Bayrou. Ce texte nous a été soumis à la veille de Noël et nous devons le voter à la veille des vacances d’été. C’est révélateur des grandes difficultés rencontrées au cours du débat. La compatibilité des droits d’auteur avec Internet était un grand et difficile sujet. De ce grand sujet, le débat a fait naître une immense frustration.

M. Yves Censi. Parole d’expert !

M. François Bayrou. En effet, de la part de quelqu’un qui a examiné de près les réactions des internautes !

Cette frustration tient à des raisons de forme et de fond.

S’agissant de la forme, vous avez choisi d’examiner ce texte en urgence au mépris de toute logique et de toute raison. Quant à la manière dont le débat a été organisé, le conseil constitutionnel pourra en juger.

Nous avons abouti à un texte dont le moins que l’on puisse dire est que son intelligibilité est sujette à caution.

Mme Claude Greff. Non !

M. François Bayrou. Quant aux raisons de fond, j’en retiendrai trois. À l’article 9, l’absence de définition de l’interopérabilité pour laquelle Jean Dionis du Séjour a beaucoup œuvré, manquera, et il reviendra à l’autorité de régulation, inventée à tort et introduite dans le débat pour traiter de la copie privée…

M. Dominique Richard. Mais non ! Ce n’est pas la même !

M. François Bayrou. Oui, il y en a deux. Mais ces autorités ne nous satisfont ni l’une ni l’autre. Nous considérons que l’interopérabilité devrait être de droit…

M. Christian Paul. Absolument !

Mme Marie-Anne Montchamp. Ce n’est pas le sujet !

M. François Bayrou. … et qu’il devrait y avoir des recours dans le cas où elle ne serait pas respectée.

L’article 12 fait peser une menace sur les logiciels pair à pair avec des sanctions floues, et de ce fait peu sécurisantes.

L’article 14 impose un régime des sanctions. Nous nous sommes prononcés de manière vertueuse au cours du débat pour des sanctions efficaces, dissuasives, éducatives et proportionnées. Celles que vous avez retenues ne sont ni efficaces, ni dissuasives, ni proportionnées. Là réside pour nous l’un des grands défauts de ce texte.

Enfin, ce texte consacre l’envahissement de l’espace privé : chacun peut vérifier, en voulant lire un DVD, qu’il lui est impossible d’éviter les publicités. C’est à mes yeux la marque de la marchandisation de l’espace privé que nous n’aurions pas dû accepter, car c’est profondément choquant.

Nous voterons contre ce texte,…

Mme Claude Greff. Comme les socialistes !

M. Dominique Richard. Pourtant, vous vous êtes abstenu en CMP ! C’est incompréhensible !

M. François Bayrou. …car outre qu’il est inapplicable sur de nombreux points, il fait peser des risques sur les logiciels libres et les copies privées. Ces risques vont à l’encontre du pacte de confiance qui fonde le monde de l’Internet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Nicolas Dupont-Aignan. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. À une heure ô combien tardive – quinze heures …

M. Dominique Richard. C’est de la maltraitance !

M. Patrick Bloche. Nous siégeons sans interruption depuis ce matin, sans doute pour ne pas déplaire au ministre d’État, ministre de l’intérieur. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Il n’est pas question de plaire ou de déplaire à quiconque. Il s’agit simplement d’un texte important.

M. Patrick Bloche. Au vu des images de Guyane diffusées sur les écrans de télévision, nous pensions que le ministre de l’intérieur voulait disposer de sa soirée pour des raisons très privées. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Claude Greff. N’importe quoi !


M. Patrick Bloche
. Comment ne pas vous dire, monsieur le ministre, notre étonnement ? Dans vos ultimes interventions, au cours de ce débat parlementaire, vous n’avez même pas essayé d’élever le débat. En fait, vous n’avez pas répondu aux questions des parlementaires que nous sommes, ce qui est bien le moins que vous auriez pu faire. Nos concitoyens internautes ne savent toujours pas à partir de quel moment l’infraction sera constatée : est-ce que ce sera pour chaque acte de téléchargement ou pour chaque titre téléchargé ? Vous n’avez même pas été capable d’apporter des précisions sur ce point alors que vous allez bientôt devoir prendre les décrets d’application puisqu’il vous revient de mettre en place ce régime contraventionnel.

Comment pouvez-vous encore parler de « fierté » alors que la discussion de ce projet de loi a été une succession d’occasions manquées ? Vous avez même raté le rendez-vous de l’adaptation du droit d’auteur aux évolutions technologiques, qui aurait dû se faire à intervalles réguliers.

Nous avions la possibilité d’avoir un grand débat qui aurait permis de prendre en compte des problématiques à la fois culturelles, juridiques et économiques et de mettre en place, collectivement, un système de financement de la culture par l’internet, à l’instar du système de financement du cinéma par la télévision. Et qu’avez-vous fait ? Vous prétendez avoir sauvé le droit d’auteur, mais, avec ce projet de loi, vous l’avez tué !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Mais non !

M. Patrick Bloche. Au pays de l’exception culturelle, vous ouvrez un peu plus la porte au copyright, qui risque malheureusement de trouver toute sa place dans notre pays, à très court terme, par votre faute. Nous vous donnons rendez-vous pour le constater.

Vous nous avez fait de grandes déclarations, ô combien pompeuses, à défaut de répondre à nos questions. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Vanneste, rapporteur. C’est un spécialiste qui parle !

M. Patrick Bloche. Nous arrivons au terme de ce débat en ayant à l’esprit que l’interopérabilité n’est qu’un chiffon de papier : principe affirmé à l’article 7, il est aussitôt démenti à l’article suivant par les restrictions qui lui sont apportées.

De la même façon, vous avez rendu les éditeurs de logiciels responsables pénalement pour faire plaisir aux géants du logiciel, Microsoft et Apple, dont vous avez été les serviles porte-parole dans cet hémicycle. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Censi. À travers nous, c’est la nation que vous insultez !

M. Patrick Bloche. Nous avons vécu pendant six mois une guerre de tranchée, faite de manœuvres de retardement, alors qu’un nouveau modèle économique s’impose. Nous aurions pu créer collectivement le cadre juridique susceptible de le faire émerger tout en préservant le précieux équilibre que le gouvernement de Lionel Jospin (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Jospin : le retour !

M. le président. Chers collègues, quand vous entendez le nom de Lionel Jospin, je vous demande de rester calmes.

M. Patrick Bloche. …avait, lui, obtenu, à Bruxelles, en 2001, entre la copie privée, d’une part, et les mesures techniques de protection, d’autre part.

C’est vraiment la petitesse, monsieur le ministre, qui vous a conduit à attaquer le gouvernement de Lionel Jospin. Vous êtes depuis quatre ans au pouvoir et vous avez mis quatre ans à effectuer la transposition de la directive communautaire, qui plus est, en la détournant de son véritable objet.

Voilà la réalité du travail parlementaire que vous nous avez imposé !

M. Yves Censi. Vous êtes sectaire !

M. Patrick Bloche. Vous avez fait le grand pari que grâce à ce projet de loi, les internautes se dirigeraient massivement vers les plates-formes commerciales légales. La réalité, elle est résumée par un quotidien du matin, le Figaro, pour ne pas le nommer. N’avez-vous pas lu ce titre, monsieur le ministre : « La musique vendue en ligne décroche » ? Au cours des derniers trimestres, les ventes de disques dématérialisés ont accusé un recul inquiétant. Bref, vous avez d’ores et déjà perdu votre pari.

Voilà pourquoi le groupe socialiste votera contre ce projet de loi. Nous vous donnons rendez-vous pour la prochaine étape qu’il aura à franchir : le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi,…

M. Yves Censi. La démocratie va parler !

M. Didier Mathus. Allez, les godillots !

M. le président. …compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements qui viennent d’être adoptés.

(L'ensemble du projet de loi, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Je veux simplement remercier celles et ceux qui ont voté ce projet de loi : ils ont fait œuvre utile. Au-delà de cet hémicycle, il faut en effet penser à ceux pour lesquels il constituera une chance supplémentaire : les internautes qui vont pouvoir, je l’espère, faire le maximum de découvertes, ouvrir leur cœur et leur esprit à toutes les formes de création, mais aussi les artistes, les auteurs, les techniciens, tous ceux pour lesquels la culture est un métier et qui pourront en vivre.

Nous avons de nombreux défis à relever. La majorité présidentielle aura été au rendez-vous de la TNT, elle l’est, aujourd’hui, à celui du droit d’auteur et de la société de l’information et elle le sera à celui de la haute définition et de la télévision numérique personnelle, disponible sur les portables notamment.

Mme Claude Greff. Très bien !

Mme Martine Billard. Non, elle ne sera plus là !

Mme Claude Greff. Nous, nous ne reculons pas !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je vous remercie tout simplement d’avoir, avec passion, exprimé les convictions et les attentes, parfois mêlées de doute, de nos concitoyens. J’ai la fierté, à titre personnel, d’avoir su allier et l’énergie et le sens de l’écoute. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

ordre du jour
de la prochaine séance

M. le président. Cet après-midi, à seize heures quinze, deuxième séance publique :

Projet de loi, n° 2562, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant les transports routiers internationaux de marchandises (ensemble une annexe) :

Rapport, n° 3023, de M. Henri Sicre, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Projet de loi, n° 2559, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention relative au renforcement de la Commission interaméricaine du Thon tropical établi par la Convention de 1949 entre les États-Unis d’Amérique et la République du Costa Rica (ensemble quatre annexes) :

Rapport, n° 3022, de M. Guy Lengagne, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Projet de loi, n° 2755, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et les États-Unis d’Amérique tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur les successions et sur les donations :

Rapport, n° 3129, de Mme Geneviève Colot, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Projet de loi, n° 2756, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune :

Rapport, n° 3129, de Mme Geneviève Colot, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Projet de loi, n° 2802, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la Charte européenne de l’autonomie locale, adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985 :

Rapport, n° 3130, de M. Marc Reymann, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Projet de loi, n° 2827, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Bulgarie relatif à la mise à disposition d’un immeuble à des fins de coopération culturelle :

Rapport, n° 3164, de M. François Rochebloine, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Projet de loi, n° 3120, autorisant l’approbation de l’accord cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République Fédérale d’Allemagne sur la coopération sanitaire transfrontalière :

Rapport, n° 3198, de M. André Schneider, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration :

Rapport, n° 3177, de M. Thierry Mariani ;

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant engagement national pour le logement :

Rapport, n° 3178, de M. Gérard Hamel.

La séance est levée.

(La séance est levée à quinze heures dix.)