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(La séance est ouverte à quinze heures.)
Or vous avez commandé voici quelques mois un rapport sur les relations entre les pouvoirs publics et les religions à une commission présidée par M. Jean-Pierre Machelon et composée, sur mesure, de membres choisis par vous, monsieur le ministre, pour leur attitude critique, voire hostile, à l’égard de la laïcité. Alors que notre assemblée avait réfléchi sur le sujet sous la responsabilité personnelle de son président et déposé des conclusions équilibrées visant à conforter la laïcité, la commission Machelon a remis un rapport déstabilisant. Jamais un texte n’est allé aussi loin dans la remise en question de la laïcité !
Entendez-vous poursuivre la remise en cause de l’équilibre instauré par les lois laïques et quelles suites entendez-vous donner à ce rapport que vous avez vous-même commandé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
La laïcité, c’est la neutralité de l’État et l’égalité entre tous. Or, monsieur Bataille, convenons, en dépit de notre attachement au principe de laïcité, que certains de nos citoyens éprouvent un sentiment d’injustice et se considèrent comme des citoyens de seconde zone, du fait qu’ils ne peuvent pas vivre leur foi comme les autres. Le groupe socialiste devrait être sensible à ce sentiment d’injustice s’il était fidèle à son identité, à ses valeurs et à son histoire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous sommes pour notre part attentifs aux questions ainsi soulevées, et, du reste, de grandes voix, au parti socialiste lui-même, s’en sont également fait l’écho.
Ainsi, devons-nous accepter que des imams, sur le territoire de la République française, ne parlent pas un mot de français ?
Si nous ne l’acceptons pas, la question se pose alors de savoir quelle place nous devons donner aux imams au sein de la société française.
Je suis également de ceux qui pensent que nous ne devons plus accepter l’argent de l’étranger pour financer des lieux de culte sur le territoire de la République française ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Pour faire face à ces questions, monsieur Bataille, il existe deux stratégies : la première – la vôtre – consiste à rester immobile, comme si nous étions tétanisés par la gravité des événements. La seconde – la nôtre – consiste à affirmer que le principe de laïcité, tout en demeurant un principe intangible de la République française, est si fort qu’il doit être adapté au nouveau contexte social et politique…
Monsieur le ministre, pouvez-vous aujourd'hui nous assurer que les moyens permettant de garantir l'égalité des chances seront mis en œuvre ? Que comptez-vous faire en faveur des zones d’éducation prioritaire, alors même que des questions se posent à leur sujet, notamment en Languedoc-Roussillon, ainsi que pour les établissements « ambition réussite » ? Votre réponse est très attendue par les enseignants comme par l'ensemble des parents d'élèves : nous souhaitons en effet – car c’est important à nos yeux – que le Gouvernement confirme son engagement visant à favoriser dans notre pays l'égalité des chances au sein de l’école. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
J’ai alors croisé deux critères : la situation sociale des territoires en cause et l’importance du retard scolaire des élèves fréquentant les écoles et les collèges, en vue de relancer l’éducation prioritaire au travers de la création de 249 collèges « ambition réussite ». Ainsi 1 000 professeurs référents pour des projets spécifiques sont venus conforter les équipes et 3 000 assistants pédagogiques, dont 75 % sont déjà recrutés, sont chargés d’accompagner les études quatre soirs par semaine. C’est un système qui fonctionne, comme vient de le montrer la réunion de tous les chefs d’établissements organisée à la Sorbonne en vue de faire le point sur l’éducation prioritaire en France.
Ce système fonctionne du reste si bien, monsieur Lachaud, que j’ai décidé de labelliser « ambition réussite » quarante lycées à la rentrée prochaine, auxquels nous donnerons les moyens notamment de faire du soutien scolaire fondé sur les technologies de l’information et de la communication. Les quartiers les plus déshérités disposeront ainsi des systèmes les plus modernes afin de rattraper leur retard. C’est aussi cela, la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Comment tolérer une telle hémorragie, alors qu'un rapport récent de l'Éducation nationale constate le poids écrasant des réalités sociales sur la réussite scolaire de milliers d’élèves ? Comment admettre que le recteur de l'académie de Lille – le troisième en trois ans – veuille nous faire prendre des vessies pour des lanternes en expliquant que cette académie a « le taux d'encadrement le plus favorable de France » ?
Comme lui, vous allez probablement vous ranger derrière les froids résultats de la règle à calcul. Toutefois la statistique, chacun le sait, dissimule l'essentiel, en l’occurrence une population scolaire dont l’avenir est brisé. II faut au contraire saisir l'opportunité de la baisse des effectifs scolaires pour renforcer l'encadrement des élèves.
Entendrez-vous, monsieur le ministre, les personnels, les parents, les élèves, et les élus qui exigent la fin de l'hécatombe grâce au déblocage des moyens indispensables pour assurer l’avenir des jeunes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
Tout d’abord, en ce qui concerne l’enseignement secondaire, dans le Nord et en Picardie, plus qu’ailleurs – j’ajouterai hélas ! –, le nombre d’élèves a baissé de façon considérable : nous n’y sommes pour rien, ni les uns ni les autres, mais c’est un fait. Nous en tirons certaines conséquences, mais pas toutes, puisque les diminutions de postes dans le secondaire sont moins importantes qu’elles devraient l’être si nous nous contentions d’appliquer la règle proportionnelle.
Nous voulons ensuite renforcer l’enseignement supérieur parce que, toutes les études que vous avez citées le montrent, il manque de moyens. C’est pourquoi, alors que nous supprimons des postes dans le secondaire en raison de la baisse démographique, nous en créons 2 000 dans le supérieur.
Enfin, s’agissant de l’enseignement primaire, vous le savez, monsieur Bocquet, le nombre de professeurs, d’infirmières et d’assistants pédagogiques augmentera en fonction de celui des élèves.
Au-delà de ces bons résultats, les Français souhaitent naturellement pouvoir acquérir, un jour, leur logement.
Ainsi, une loi de juillet dernier a prévu des mesures concrètes en faveur de l’accession sociale, notamment l’élargissement du prêt à taux zéro, la TVA à 5,5 % dans les zones de rénovation urbaine ou la maison à 100 000 euros. Depuis le 1er janvier 2007, un nouveau dispositif est en place pour faciliter l’achat d’une résidence principale dans le neuf pour les ménages modestes – le « pass foncier ».
Le Gouvernement peut-il détailler les modalités de ce dispositif et nous indiquer à qui il s’adresse et ce qu’il en attend ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Ainsi, avec Marc-Philippe Daubresse, nous avons étendu le prêt à taux zéro à l’acquisition des logements anciens.
Comme vous le rappelez, cet été, grâce à la loi portant engagement national pour le logement, nous avons augmenté les possibilités d’accession à la propriété, notamment dans les quartiers en difficulté. Ainsi, nous pourrons, ensemble, promouvoir la mixité sociale.
Enfin, restait un problème de taille : le prix du foncier. Le Gouvernement, avec les « partenaires du 1 % » et avec la Caisse des dépôts et consignations, a signé une convention, le 20 décembre dernier, permettant à nos concitoyens, dans un premier temps, de ne payer le foncier qu’après avoir remboursé leur crédit logement.
Après avoir réformé l’apprentissage de la lecture, donné des instructions sur celui de l’orthographe et, la semaine dernière, annoncé de nouvelles règles sur la méthodologie de l’enseignement des quatre opérations mathématiques de base – et notamment en matière de calcul mental –, vous prenez aujourd’hui des mesures pour redonner toute sa place à la grammaire dans le quotidien des élèves. Vous avez pour cela chargé MM. Alain Bentolila, Erik Orsenna, Dominique Desmarchelier et Bernard Pivot de vous remettre un rapport sur l’enseignement de la grammaire, qu’ils vous ont remis récemment.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les dispositions contenues dans votre circulaire sur la grammaire et, plus généralement, nous préciser de quelle manière elle s'inscrit dans votre réforme, plus globale, des enseignements fondamentaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Grâce à la loi d’orientation défendue ici par François Fillon et grâce au socle commun de connaissances et de compétences, nous revenons aux fondamentaux. En effet, comme vous, madame, je pense que, sans la maîtrise de la langue française, un jeune n’est pas en mesure de réussir dans la vie. Il n’est même pas à même de s’expliquer avec ses petits camarades. Il ne peut pas défendre son dossier face à un chef d’entreprise. Aussi, sans maîtrise de la langue française, est-il condamné d’avance.
Tout commence par la lecture et l’écriture, et j’ai pris les mesures qui s’imposaient. Il faut notamment que la grammaire soit enseignée systématiquement à l’école primaire. À cet égard, fruit d’un travail très approfondi,…
Par ailleurs, grâce à cette circulaire, c’en sera fini du jargon jargonnant des « pédagogistes ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ainsi, on ne parlera plus d’« organisation réfléchie de la langue », mais, vous l’avez très bien dit, madame la députée, on parlera bien, enfin, de « grammaire ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Il était donc indispensable, après un long travail préparatoire, de réformer ce système afin d’apporter une meilleure protection aux plus fragiles de nos concitoyens. Cependant, l’urgence de la situation appelle une mise en application rapide de ce texte. Vous avez souhaité que ce texte soit adopté avant la fin de la législature. C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, je souhaite que vous puissiez rapidement nous présenter les principes de cette réforme et le calendrier de sa mise en œuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je reviens rapidement sur ses principales dispositions. Au départ, tutelles et curatelles ont été conçues pour quelques milliers de personnes, nombre à ne pas dépasser pour que les juges concernés puissent exercer leur tâche – tout le monde le conçoit. Or, vous l’avez dit, ces personnes sont aujourd’hui 800 000, bientôt un million. Ce n’est plus tenable. Que s’est-il passé ?
Le dispositif a dérivé vers la prise en charge de personnes en situation de précarité sociale, compétence – comme l’ensemble de la politique sociale – des conseils généraux,…
Nous allons rétablir la situation sur ce point, sans pour autant nous en contenter. Jusqu’à présent, la loi concernait le patrimoine des personnes. Désormais, les personnes elles-mêmes seront prises en charge. Nous sommes souvent choqués, dans nos familles, que, à partir d’un certain âge, la précaution ne soit pas toujours prise de demander leur avis à nos aînés au moment de les placer dans une maison de retraite ou de les changer de logement. Nous veillerons donc, autant que faire se peut compte tenu de l’état de ces personnes, à systématiquement leur demander leur avis.
Ensuite, lorsqu’on est sous tutelle ou sous curatelle, c’est à vie. Désormais, tous les cinq ans, la question sera posée de savoir si l’on doit ou non continuer à placer telle ou telle personne sous la protection juridique des majeurs, contrôle qui changera profondément la situation.
Vous m’avez également interrogé sur le calendrier. Le Premier ministre a souhaité que cette loi soit votée avant la fin de la législature. Aussi le Gouvernement a-t-il décrété l’urgence. Nous commençons l’examen du texte ce soir. Ainsi, dès le 1er mars, les familles pourront choisir le mandat de protection futur, et l’ensemble de la loi sera applicable au 1er janvier 2009. Voilà l’engagement du Gouvernement. Je suis donc heureux que ce texte, avec votre aide en tant que rapporteur, monsieur le député, soit examiné en séance dès aujourd’hui. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Nous l’affirmons devant les Français : l'éducation doit rester, et de loin, le premier de nos services publics. La prochaine rentrée verra la suppression de 5 000 postes d'enseignants ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Certes, les décisions de restriction votées ici même en novembre dernier sont maintenant notifiées dans les académies.
Où est la reconnaissance de la République envers des enseignants passionnés par leur métier, mais souvent isolés, peu soutenus, et dont le pouvoir d’achat s’est effrité comme celui de la très grande majorité des Français ? (« Démagogie ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Où est la mobilisation, monsieur le ministre, quand, de par votre gestion autoritaire, parents, élèves et enseignants ne sont jamais écoutés ?
Savez-vous que le budget de l’éducation pour 2007 est en augmentation importante par rapport à celui de 2006, progressant deux fois plus que le taux d’inflation ? Savez-vous que vos réflexions font injure aux 1,3 million de collègues de l’éducation nationale qui assureront la rentrée de 2007 aussi bien qu’ils ont assuré la rentrée 2006 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Savez-vous que vous donnez l’impression de ne pas bien connaître ce qu’est l’art d’apprendre ? Et quand bien même on réduirait, comme vous le faites, l’ensemble de la mission éducative au nombre de postes, l’enseignement dispensé en 2007 serait au moins aussi bon qu’en 2006 !
À M. Bocquet, j’ai affirmé que nous réussirions la rentrée de 2007 aussi bien que celle de 2006, mais il faut aller plus loin : nous la réussirons beaucoup mieux, car nous avons mené des réformes que vous n’avez pas eu le courage d’adopter ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Nous avons par exemple mis en place le socle commun de connaissances et de compétences, sujet sur lequel on ne vous a pas entendu. On ne vous a pas non plus entendu sur les fondamentaux – lecture, grammaire, calcul –, sauf pour les critiquer. Et si nous avons été obligés de réaliser la réforme de la formation des maîtres, c’est parce que vous aviez inventé un système dont tous les enseignants se plaignent. Allez voir les jeunes nouvellement recrutés : « On ne nous a pas appris à enseigner ! », disent-ils. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Désormais, grâce à l’alternance et à l’action de l’IUFM, ils apprendront comment on se tient en classe et comment on transmet le savoir. Cela, vous n’aviez pas su le faire !
Nous aurons par ailleurs, avec François Goulard, restructuré l’enseignement supérieur en mettant en place les PRES, qui redynamisent la recherche en France.
Permettre aux personnes qui connaissent des soucis de santé d’accéder enfin à l’assurance et à l’emprunt, tel est l’objet du projet de loi qui sera voté au Sénat dans quelques jours, après que notre assemblée l’a adopté le 11 décembre dernier dans un large consensus, seul le groupe communiste s’étant abstenu.
La prise de conscience des faiblesses de la convention Belorgey de 2001 et le volontarisme politique du Président de la République Jacques Chirac ont conduit à faire de cette question un objectif national prioritaire. L’implication des pouvoirs publics a été totale. Une nouvelle convention, dite « AERAS », a été signée le 6 juillet 2006 entre les fédérations professionnelles de la banque, de l’assurance et de la mutualité et les associations de malades. De son côté, le Gouvernement s’est engagé à promouvoir cette convention en lui assurant une publicité maximale.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, exposer à la représentation nationale quelles perspectives cette convention AERAS ouvre concrètement depuis son entrée en application le 7 janvier 2007. Comment comptez-vous assurer la diffusion la plus large possible de l’information sur son fonctionnement auprès des bénéficiaires potentiels sur tout le territoire français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Dix à douze millions de Français pouvaient être confrontés à des difficultés de cet ordre au moment de souscrire un crédit. C’était là une injustice aussi méconnue qu’inacceptable, une « double peine » qui voulait qu’après avoir combattu la maladie, on se trouvait obligé d’effectuer démarche sur démarche pour essuyer, bien souvent, un refus d’assurance.
Cette période est révolue. Nous avions franchi une première étape avec la convention Belorgey, mais il fallait aller plus loin. La convention que Thierry Breton et moi avons signée durant l’été et ce texte que l’Assemblée a voté le 11 décembre et que je défendrai au Sénat jeudi prochain permettront aux personnes concernées d’obtenir une réponse dans un délai maximal de cinq semaines.
En outre, notre pays a accompli des progrès médicaux. On y est mieux soigné. Les assureurs et les banquiers doivent en tenir compte pour fixer les primes d’assurance, et nous avons voulu que le dispositif permette de bénéficier non seulement de la couverture décès, mais aussi de la couverture invalidité.
Ces mesures constituent un progrès considérable. Nous devons maintenant nous assurer que le message passe bien sur tout le territoire. Tous les groupes bancaires ont joué le jeu en nommant des référents, mais je souhaite qu’il y ait dans toutes les agences des personnels formés et informés.
La centrale, qui, depuis 1966, joue un rôle important dans l’apprivoisement électrique de la région PACA, rejette chaque année jusqu’à 2,1 milliards de mètres cubes d’eau douce, soit presque trois fois le volume de l’étang. Ces rejets massifs et irréguliers bouleversent l’écosystème. La Commission de Bruxelles a mis en demeure la France, sous peine de lourdes sanctions financières, de mettre fin dans les plus brefs délais à cette pollution.
Vous vous êtes rendue sur place au mois d’octobre pour annoncer le calendrier de la réouverture du tunnel du Rove à la courantologie, ô combien importante pour la réhabilitation de l’étang de Berre. Les élus locaux de gauche reconnaissent eux-mêmes, quelque peu gênés, que M. Barnier, Mme Bachelot et vous-même avez été les seuls à avoir agi en faveur de cet étang. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Toutes ces mesures ont été prises dans le but de réhabiliter l’étang de Berre et de permettre le développement de la faune et de la flore tout en préservant le potentiel hydroélectrique de la centrale.
Le dispositif fera l’objet d’un suivi supplémentaire, notamment en ce qui concerne les poissons. J’ai mis en place un comité d’experts qui rendra un avis sur les résultats de ce suivi.
Aux yeux du Gouvernement, ces mesures permettront de limiter effectivement les impacts des rejets de la centrale EDF sur l’étang. Un tel effort, ajouté à ceux que consentent les collectivités locales et les industries pour améliorer l’assainissement, permettra d’avoir un étang vivant.
L’accord de principe de la Commission sur ces nouvelles conditions d’exploitation semble, au demeurant, conforter notre position.
Il nous faut maintenant orienter nos actions vers d’autres objectifs concrets d’amélioration de l’environnement. C’est ainsi que j’ai sollicité mon collègue Dominique Perben, lui demandant que le port de Marseille dispose des fonds nécessaires pour lancer les travaux du tunnel du Rove. C’est chose faite. Vous le voyez, monsieur le député : les engagements pris ont été tenus. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Nous aurions pu espérer que le Gouvernement allait les traquer. Eh bien non !
En 2007, ces patrons voyous sont encore là, sur notre territoire. Hier, à minuit, deux cent vingt-trois salariés de l’entreprise Sublistatic d’Hénin-Beaumont étaient eux aussi jetés à la rue. Cette entreprise, qui existe depuis trente ans, a acquis un savoir-faire unique au monde. Elle a inventé le procédé d’impression par héliogravure de papier transfert pour la confection textile.
Or cette entreprise florissante a été vendue, revendue, à l’aide d’un mécanisme au nom barbare, le LBO. Des actionnaires pillent l’entreprise, se servent et la liquident. La troisième et dernière opération de vente et de rachat, qui remonte à 2002, a sonné la mise à mort de l’entreprise.
À l’heure actuelle, le conseil régional, qui a consenti une avance de trésorerie d’un million d’euros, et la communauté d’agglomérations, qui a racheté les bâtiments pour 2,8 millions d’euros, essaient de retrouver un repreneur.
Monsieur le ministre, que fait le Gouvernement, ou qu’envisage-t-il de faire ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
À quelques mètres de là, l’entreprise Samsonite s’est mise en liquidation judiciaire et, pour éviter un plan social de 15 à 20 millions d’euros, a trouvé pour tout repreneur une holding luxembourgeoise, Energy Plast, non pas pour continuer l’activité mais pour la liquider et jeter sur le pavé deux cent quatre salariés ! (Interruptions sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Cette holding avait procédé de la même façon pour l’entreprise Delsey de Montdidier, dans la Somme. Mon collègue Maxime Gremetz, député de ce département, m’avait averti des mœurs de ces brigands. Le tribunal de Paris aura à se prononcer le 23 janvier sur la plainte des salariés contestant la cession et demandant que Samsonite assure le plan social.
Monsieur le ministre, trop c’est trop ! Les Françaises et les Français ne comprennent plus. Allez-vous laisser dépouiller notre pays par ces vautours réfugiés dans les paradis fiscaux ?
La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.
Il ne s’agit pas d’opposer les uns aux autres, mais de mener, comme le fait Jean-Paul Garaud à Libourne, des combats,…
Vous connaissez mon engagement depuis toujours en faveur de l'accueil de la vie et d'une politique qui permette à chaque femme de réaliser son désir d'enfant. La politique familiale française est une référence dans de nombreux pays. Monsieur le ministre, vous avez pris récemment un certain nombre de mesures pour permettre aux Françaises de concilier vie familiale et vie professionnelle. Elles l’ont compris. Celles qui se sentent encore délaissées sont les mères au foyer. Il ne faut pas les oublier, elles demandent à être reconnues.
C’est celle que conduit le Gouvernement de Dominique de Villepin. J’ai annoncé, il y a quelques mois, le plan pour la petite enfance qui va permettre de créer 240 000 places de garde dans les cinq ans. Ce plan s’attachera à ce qu’une solution de garde existe désormais pour chaque enfant en cas de nécessité. Une politique familiale ambitieuse doit répondre aux besoins des familles en leur offrant toujours davantage de services. Le financement de cette politique sera assuré grâce à la garantie apportée par l’État aux crédits engagés par les caisses d’allocations familiales.
Monsieur le ministre, pouvez-vous informer la représentation nationale de l’avancée de ces négociations, indiquer le nouveau montant des crédits mobilisés et préciser le nombre de régions disposées à signer ces contrats, ô combien nécessaires au développement harmonieux et durable de nos territoires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Nous avons ouvert très largement les négociations et beaucoup plus de projets que nous n’en attendions sont remontés des régions. Le Premier ministre a donc souhaité que les mandats de négociation initiaux donnés aux préfets de régions au mois de juillet dernier soient complétés de près de 2 milliards d’euros, soit une augmentation de l’enveloppe de près de 20 %. Cela se traduit, monsieur le député, dans votre région Provence-Alpes-Côte d’Azur,…
Nous sommes en outre, Dominique Perben, Nelly Olin et moi-même, profondément attachés au développement durable. Dans notre pays, 27 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent du transport de marchandises par route. Nous avons décidé d’investir 3 milliards d’euros dans les contrats avec les régions pour stimuler le report des transports de marchandises de la route vers les voies fluviales, ferroviaires et maritimes.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt.)
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Depuis les lois constitutionnelles de 1875, …
La tradition constitutionnelle conduit dans le même temps à ce que la responsabilité pénale du chef de l'État ne puisse être mise en jeu qu'en cas de « haute trahison ». La Constitution du 4 octobre 1958 dispose, dans son article 68, que « le Président de la République […] ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice. »
Ainsi rappelées, ces règles posées par le titre IX de notre Constitution semblent simples.
Par sa décision du 22 janvier 1999, relative à la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel a interprété l'article 68 comme instituant un privilège de juridiction. Il a en effet précisé que, pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du Président de la République ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées par le même article. Ainsi, pour le juge constitutionnel, la Haute Cour a compétence pour connaître de l'ensemble de la responsabilité pénale du Président de la République, y compris s'agissant des actes antérieurs ou détachables de l'exercice de ses fonctions. Le chef de l'État bénéficie d'un privilège de juridiction de portée générale.
Par son arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de cassation a confirmé que le Président de la République, hors le cas de haute trahison, ne peut être poursuivi devant aucune juridiction pendant l'exercice de son mandat, et ce y compris à raison de faits antérieurs à son élection ou sans rapport avec l'exercice de ses fonctions. Pour autant, elle a estimé que le chef de l'État ne bénéficiait pas d'un privilège de juridiction. Elle a en effet jugé que « la Haute Cour de Justice n'étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison du Président de la République commis dans l'exercice de ses fonctions, les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l'action publique étant alors suspendue ».
Pour l'autorité judiciaire, le chef de l'État est donc passible, hors le cas de haute trahison, des tribunaux de droit commun, mais il bénéficie d'une inviolabilité temporaire pendant la durée de son mandat, la prescription étant suspendue pendant le même temps.
Ainsi, les deux juridictions s'accordent sur l'essentiel : le Président de la République, hors le cas de haute trahison, ne saurait, pendant son mandat, être mis en cause devant aucune juridiction pénale de droit commun. Mais une divergence d'analyse révèle un doute sur la portée exacte des dispositions de l'article 68 de la Constitution. Par ailleurs, les termes de cet article nécessitent d'être précisés, notamment ceux de « haute trahison ».
Toutes ces considérations ont conduit le Président de la République, conformément à l'engagement exprimé devant l'ensemble de nos concitoyens, à demander à une commission présidée par le professeur Pierre Avril, de « réfléchir et [lui] faire, le cas échéant, des propositions sur le statut pénal du Président de la République ».
Cette commission a proposé une révision complète du titre IX de la Constitution, procédant à une réécriture intégrale des articles 67 et 68. Le chef de l'État et le Gouvernement ont choisi de faire leurs les propositions de la commission, dont les principaux éléments peuvent être résumés ainsi : réaffirmation du principe d'immunité du Président pour les actes accomplis en cette qualité, inviolabilité durant le mandat pour les autres actes et possibilité, en contrepartie, de destitution « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».
L'article unique du projet de loi qui vous est présenté modifie l'intitulé du titre IX actuel de la Constitution, « la Haute Cour de Justice », remplacé par « la Haute Cour ». Ce titre est toujours composé des articles 67 et 68, mais ceux-ci sont totalement réécrits.
L'article 67 nouveau pose les règles de fond applicables à la responsabilité du chef de l'État.
Le premier alinéa réaffirme le principe traditionnel d'immunité du Président de la République pour les actes accomplis en cette qualité. La rédaction ainsi retenue fait disparaître l'ambiguïté de l'expression « dans l'exercice de ses fonctions ». Ainsi, pour tous les actes accomplis par le chef de l'État pendant la durée de son mandat, l'irresponsabilité est la règle. Deux limites sont toutefois posées à ce principe : celle qui résulte de l'instauration, par l'article 68 nouveau, d'une procédure de destitution et celle qui procède de la compétence, déjà reconnue à l'article 53-2 de la Constitution, de la Cour pénale internationale.
Le second alinéa est consacré à tous les autres actes du Président de la République, c'est-à-dire à ceux accomplis pendant la durée de son mandat, mais sans lien avec celui-ci, et ceux commis antérieurement à son élection. Il pose un principe d'inviolabilité de portée générale. Est ainsi exclue durant son mandat toute action à l’encontre du Président, quels qu'en soient l'objet ou la finalité, devant toute juridiction, y compris civile ou administrative. Le Président ne peut notamment pas être requis de témoigner, ce qui ne fait nullement obstacle à un témoignage spontané. De manière générale, aucun acte de procédure ne peut être imposé au chef de l'État, mais il lui est toujours loisible d'y répondre. En effet, le Président de la République garantit la continuité de l'État et doit être protégé contre tout ce qui pourrait abusivement l'atteindre.
Le projet de texte proposé par la commission Avril comportait à cet alinéa un renvoi au législateur organique afin qu'il définisse les conditions dans lesquelles doit se réaliser le retour à l'application du droit commun à l'issue du mandat. Il est toutefois apparu que la détermination de ces conditions constituait un point fondamental de la réforme, qui méritait de figurer dans la Constitution elle-même. C'est la raison pour laquelle ce renvoi a été remplacé par un troisième alinéa, qui fixe à un mois après la cessation des fonctions le délai à l'issue duquel prend fin la suspension des procédures et des prescriptions.
Votre commission a poursuivi cette démarche de clarification en introduisant un alinéa précisant que les délais de prescription et de forclusion sont suspendus pendant le mandat.
L'article 68 est sensiblement plus novateur. Composé de six alinéas, il introduit dans nos institutions une procédure de destitution.
Le caractère unique de cette responsabilité, qui suppose l'appréciation du comportement d'un homme au regard des exigences de ses fonctions, imposait qu'elle fût mise en cause devant un organe non juridictionnel et qui soit doté d'une légitimité démocratique égale à celle du chef de l'État. C'est ce qui a conduit à conférer ce pouvoir au Parlement, siégeant, dans son intégralité, en Haute Cour.
La procédure est aménagée en deux temps, de telle manière qu'elle ne puisse être utilisée à des fins partisanes. La proposition de réunion de la Haute Cour doit d'abord être successivement adoptée par la majorité des membres composant chacune des deux assemblées. La Haute Cour, présidée par le président de l'Assemblée nationale, statue ensuite dans les deux mois à la majorité des membres qui la composent, lesquels votent à bulletins secrets.
Votre commission des lois a souhaité, à juste titre, que le caractère non partisan de la procédure de destitution soit encore plus marqué et a accepté un amendement portant la majorité requise aux deux tiers des membres composant chaque assemblée intervenant dans la procédure.
Une fois adoptée par les deux chambres, la décision de réunir la Haute Cour emporte, à titre conservatoire, empêchement du Président de la République jusqu'à la fin de la procédure. Ses fonctions sont alors exercées par le Président du Sénat, dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l'article 7 de la Constitution.
Votre commission a souhaité supprimer ces dispositions sur l'empêchement provisoire du Président de la République, considérant que cela constituait une forme d'atteinte à sa présomption d'innocence et que cela conduirait à affaiblir durablement un Président dont les actes ne seraient finalement pas considérés comme des manquements incompatibles avec l'exercice de son mandat. Parallèlement, afin de limiter au maximum la période d'incertitudes, le délai imparti à la Haute Cour pour se prononcer sur la destitution du Président a été ramené à un mois.
Le Gouvernement soutiendra ces modifications, qui paraissent de nature à éviter tout détournement à des fins partisanes de cette nouvelle procédure de destitution et à préserver l'autorité du Président de la République, chargé d'assurer la continuité de l'État.
La décision de la Haute Cour de destituer ou non le Président est d'effet immédiat. En cas de destitution, il est ainsi définitivement mis fin au mandat en cours du Président, qui redevient, par le même fait, un justiciable ordinaire.
Enfin, l'article 68 habilite le législateur organique à fixer ses conditions d'application. Celui-ci pourra notamment, et conformément aux propositions de la commission Avril, prévoir des règles relatives à la recevabilité des propositions de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour, imposer des délais, afin d’éviter que ne dure trop longtemps la période de mise en cause du chef de l'État, et mettre en place des mesures permettant au Président d'assurer sa défense.
Le texte ne prévoyant pas de disposition transitoire ou d'application différée, les règles qu'il fixe à l'article 67 trouveront à s'appliquer au mandat en cours. Celles relatives à la Haute Cour deviendront applicables dès l'entrée en vigueur de la loi organique nécessaire à sa mise en œuvre.
Mesdames et messieurs les députés, le projet de loi constitutionnelle qui vous est présenté est inspiré par la volonté de dissocier les logiques judiciaire et politique. Il confie ainsi aux représentants du peuple, et non à une juridiction spéciale, la responsabilité de destituer, le cas échéant, le chef de l'État élu au suffrage universel direct. Il ne s'agit nullement là de changer la nature de notre régime politique, ni même d'en modifier l'équilibre.
Certains parlementaires se sont interrogés sur l'opportunité de présenter une réforme constitutionnelle sur cette question à la fin de la législature.
D'abord, il s'agit là d'un engagement du Président de la République pris lors de la campagne présidentielle. Chacun a à cœur de montrer que les engagements électoraux de notre majorité ont vocation à être respectés.
Ensuite, cette réforme clarifie un point de droit et supprime, dès lors, une polémique politique stérile. Elle permettra donc aux Français de se prononcer, en conscience, sur les vrais enjeux de la campagne présidentielle.
Enfin, ce projet est l'occasion de montrer qu'au-delà de nos clivages, nous partageons un même respect pour la fonction présidentielle et sur la règle du jeu démocratique.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter ce projet de loi constitutionnelle, amélioré par les propositions de votre commission. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
La responsabilité politique du chef de l'État n'est pas, comme certains voudraient le croire ou le faire croire, inexistante.
Sous la IIIe République, cinq Présidents de la République sur quatorze ont démissionné. Dans les quatre cas de Mac Mahon, Jules Grévy, Casimir-Perier et Alexandre Millerand, il n'est guère douteux qu'il s'agissait d'une traduction directe de leur responsabilité politique. Le cas de Deschanel, chacun le sait, était bien particulier.
Sous la IVe République, aucun des deux Présidents de la République n'a été acculé à la démission, mais les moyens, outre la procédure de la Haute Cour de justice, dont le caractère mixte, politique et judiciaire, a toujours été ambigu, ne manquaient cependant pas.
La responsabilité politique du chef de l'État, sous la Ve République, depuis 1962, est exercée directement par l'élection, dont la fréquence a été augmentée, il faut le rappeler, depuis 2002.
C'est précisément de cette question de la responsabilité du chef de l'État que nous sommes saisis, mais dans une mesure à la fois plus large et plus restreinte : plus large parce qu'elle porte sur tout le spectre de la responsabilité – politique, mais aussi pénale, civile, administrative – ; plus restreinte parce qu'elle porte sur la responsabilité personnelle du titulaire de la fonction, et non pas seulement sur la responsabilité attachée à la fonction.
Quelle est la situation aujourd'hui, à la fois du point de vue de la responsabilité politique et du point de vue de la responsabilité judiciaire ?
Il existe déjà une forme de responsabilité politique du Président devant le Parlement. Elle peut être mise en œuvre dans le cas de haute trahison. Mais personne ne pourra dire que cette procédure est satisfaisante. La haute trahison, qu'est-ce que c'est ? Personne ne le sait vraiment. Tout a été mis sous cette expression : la vente de secret à l'ennemi comme le refus de signer des ordonnances. Je dirai que ce n'est finalement pas si grave car la décision finale n'a pas à être motivée. C'est une décision politique s’exprimant uniquement par un vote.
Qui est aujourd’hui chargé de juger le Président dans ces conditions ? C'est la Haute Cour de justice, qui réunit douze députés et douze sénateurs. Elle n'a jamais été réunie pour juger un Président et la procédure n'a même jamais été véritablement amorcée. Mais, si l'on sait qui juge, on ne sait pas quel type de décision la Haute Cour de justice peut rendre. La destitution, le bannissement, l'emprisonnement ? Personne ne le sait. Tout est possible. Rien ne dit que la Haute Cour est tenue par la législation criminelle en vigueur. En revanche, on sait que la décision est acquise à la majorité absolue – simple –, et à bulletins secrets.
À ceux qui craignent la mise en cause incessante du Président de la République, voilà une arme qui est déjà dans la Constitution et qui me paraît bien dangereuse et, en tout état de cause, incertaine dans son fonctionnement. Ce n'est pas satisfaisant.
La deuxième question qui se pose est celle de la responsabilité judiciaire du titulaire de la fonction, c'est-à-dire pour ses actes privés, détachables de ses fonctions qui sont commis avant ou pendant son mandat. Là aussi, nous nous heurtons à l'ambiguïté des textes, voire – je ne sais pas si cela est mieux – à leur silence. Et depuis des années, la doctrine glose ! Ce n'est que récemment que le juge constitutionnel, puis le juge judiciaire, ont apporté quelques précisions utiles.
Le Conseil constitutionnel a cherché à tirer les conclusions concrètes du dispositif combiné de l'article 68, qui définit la responsabilité du chef de l'État – à cet égard, je rappelle aussi que, depuis 1993, le régime de responsabilité des membres du Gouvernement fait l'objet de dispositions spécifiques –, dispositif combiné, dis-je, de l'article 68 et de l'article 67, qui, lui, définit la Haute Cour de justice.
Le Conseil constitutionnel, je vous le rappelle, était contraint de le faire dans sa décision du 22 janvier 1999. Saisi par le Président de la République et le Premier ministre, il devait répondre à la question de savoir si le régime de responsabilité défini par le statut de la Cour pénale internationale était compatible avec celui défini dans notre constitution. Il ne pouvait donc éluder la question et a déduit des dispositions constitutionnelles en vigueur que le chef de l'État ne pouvait être jugé, durant son mandat, que par la Haute Cour de justice.
Ensuite, l'assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 octobre 2001, a apporté une réponse cohérente à l'ensemble du problème en préconisant l'inviolabilité temporaire du chef de l'État pour les actes commis hors de l'exercice de ses fonctions, inviolabilité assortie de l’interruption de toute prescription. Autrement dit, le Président ne peut être poursuivi pendant son mandat, ce qui lui permet d'exercer en toute sérénité ses fonctions. En revanche, quand il redevient un citoyen comme les autres à l'issue de son mandat, les poursuites peuvent être engagées ou reprises dans les conditions de droit commun.
Nous en sommes là aujourd'hui : est-ce satisfaisant ? Malgré l'apport essentiel des juridictions précitées et malgré leur importance dans notre architecture juridique, devant de telles questions, le Constituant ne peut rester muet.
Les réponses données sont juridiquement cohérentes, mais elles n'ont pas été politiquement endossées. C'est la raison pour laquelle Jacques Chirac, lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2002, s'engagea à réunir une commission de juristes indépendants pour proposer une révision de la Constitution. Une fois réélu, il en confia la présidence au professeur Avril, qui lui remit les conclusions de la commission en décembre 2002. C'est le texte de cette commission qui, sous réserve d'une précision minime, nous a été transmis sous la forme d'un projet de loi constitutionnelle.
Que nous propose ce projet de loi ? Il s'agit à la fois de protéger la fonction et de permettre de juger son titulaire dans les conditions les plus proches du droit commun, mais sans pour autant méconnaître les devoirs inhérents à sa charge.
Un principe simple a été retenu : ce qui relève du politique doit être jugé par le politique, ce qui engage la responsabilité personnelle et judiciaire du titulaire de la fonction doit être jugé par le judiciaire.
S’agissant de la responsabilité judiciaire, le principe retenu est simple là aussi. Le Président bénéficie d'une inviolabilité judiciaire pendant son mandat – nous avons tous en tête les mésaventures récentes d’un président des États-Unis, aussi inutiles pour le justiciable que préjudiciables à la fonction. Est-ce à dire que le Président bénéficie d'une immunité ? Pas du tout, puisque, dès qu'il cesse d'être Président, il redevient un citoyen ordinaire, comme l'a jugé la Cour de cassation dans l’arrêt que j’ai cité. Mais, en contrepartie de cette mise entre parenthèses temporaire de sa responsabilité judiciaire, tout délai de prescription et toute forclusion sont suspendus. Un amendement de la commission des lois permet de le faire figurer en toutes lettres dans le texte.
S’agissant de la responsabilité politique ensuite, nous avons dit combien la procédure actuelle de la Haute Cour de justice était incertaine et ouvrait, en réalité, par la règle de la simple majorité absolue, de larges perspectives à ceux qui voudraient l'exploiter. Le schéma qui nous est proposé est clair et simple. Si le Président se rend coupable d'un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », il peut faire l'objet d'une procédure de destitution. La haute trahison n'était pas plus précise et avait une connotation judiciaire qui n'avait rien à faire avec un processus purement politique. L'expression proposée a le double mérite d’exprimer la gravité des manquements et de ne pas interférer avec une quelconque vision judiciaire.
La procédure est engagée devant l'une des assemblées par un vote acquis à la majorité absolue des membres. Dans les quinze jours, elle est transmise à l'autre assemblée, qui doit l'adopter dans les mêmes conditions. Immédiatement, le Président de la République est empêché et remplacé par le Président du Sénat, Président de la République par intérim, et la Haute Cour, qui n'est plus « de justice », est réunie. Elle est composée des membres des deux assemblées, comme le Congrès du Parlement réuni pour l'adoption d'une révision constitutionnelle. Elle doit se prononcer dans les deux mois, toujours à la majorité absolue des membres la composant. Elle prononce ou non la destitution. Si elle ne la prononce pas, le Président revient en fonctions, « blanchi ». Si elle la prononce, le Président redevient un citoyen ordinaire et peut, s'il le souhaite et sous réserve qu'une décision de justice ne l'ait pas déclaré inéligible entre-temps, se présenter à l'élection présidentielle, qui doit avoir lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après la destitution.
Certains imaginent que cette procédure est révolutionnaire – que l'on songe à la procédure actuelle pour haute trahison pour se convaincre du contraire –, qu’elle est dangereuse car soumise aux caprices de la vie politique.
Il est clair pour moi et pour la commission des lois que cette procédure ne doit être acceptée qu’à condition de ne pouvoir être mise en mouvement pour des raisons strictement partisanes.
C'est pourquoi, dans un premier temps, afin que le recours à cette procédure soit indiscutable et ne s’apparente pas à un coup politique, la commission a adopté un amendement faisant passer la majorité requise pour engager la procédure et réunir la Haute Cour de la majorité absolue des membres composant chaque assemblée à la majorité des trois cinquièmes. Et, pour montrer qu'elle tient absolument à ce que la procédure soit incontestable, elle a accepté tout à l’heure, au cours de sa réunion tenue en application de l'article 88 de notre règlement, un amendement de notre excellent collègue Vallini faisant passer la majorité aux deux tiers des membres composant chaque assemblée. Un verrou très sérieux serait ainsi posé. D'éventuellement dangereuse, la procédure deviendrait impartiale.
Et pour renforcer ce caractère, la commission des lois a également adopté deux autres amendements. Le premier interdit toute délégation de vote, selon une idée de notre président, Jean-Louis Debré : la décision de réunir la Haute Cour tout comme la décision de destitution, par leur gravité, requièrent impérativement la présence personnelle des parlementaires. Le second amendement supprime l’empêchement du Président de la République pendant la réunion de la Haute Cour.
À l'instar de la procédure d'impeachment aux États-Unis, il n'est pas nécessaire d'empêcher le Président et de recourir à un Président par intérim aux prérogatives diminuées dans l'intervalle qui sépare la réunion de la Haute Cour de la décision de celle-ci. En effet, imposer l'empêchement pourrait d'abord constituer en soi une incitation forte à détourner la procédure de destitution au détriment de l'équilibre des pouvoirs et de la nécessaire continuité de la vie de la République, incarnés, jusqu'à décision contraire, par le chef de l'État. Ensuite, comprise comme une forme de sanction, cette procédure pourrait conduire à « préjuger » de la décision finale, qui n'appartient qu'à la Haute Cour. Enfin, cela contribuerait à affaiblir a priori un Président dont les actes ne seraient finalement pas reconnus comme des « manquements manifestement incompatibles avec les devoirs de sa charge ». La légitimité d'un Président empêché qui reviendrait en fonctions après une procédure de destitution s'en trouverait assurément amoindrie. En contrepartie, il convient de raccourcir la période qui sépare la réunion de la Haute Cour de sa décision. Ainsi, la période d'incertitude qui ne manquerait pas de résulter de l'ouverture d'une procédure en destitution doit être limitée au maximum. La procédure doit être incontestable. Et je ne citerai qu'un exemple, celui de la destitution du Président du Brésil en 1992 : son comportement privé était tellement indigne – il s'agissait alors de corruption massive – que sa propre majorité n'avait pu que le renvoyer.
En adoptant le présent projet de loi constitutionnelle, la France se rapprocherait de très nombreuses démocraties – on peut citer l'Allemagne,…
Sous réserve des modifications substantielles adoptées ou acceptées par la commission des lois, je vous invite à adopter ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
La question qui nous est posée est simple : si le Président de la République n'est pas un citoyen ordinaire, doit-il être un justiciable ordinaire ?
Dans la plupart des régimes démocratiques, le chef de l'État est, en principe, politiquement irresponsable. Si, dans les monarchies parlementaires, il est considéré comme inviolable pour tous les actes qu'il accomplit – que ceux-ci soient ou non en lien avec ses fonctions –, dans la plupart des républiques, les présidents bénéficient d'une irresponsabilité politique, mais, pour les actes commis en dehors de leurs fonctions, ils sont le plus souvent soumis aux juridictions de droit commun, moyennant, la plupart du temps, une procédure de filtrage.
En France, c'est l'article 68 de la Constitution qui fixe les conditions dans lesquelles la responsabilité du Président de la République peut être engagée. Longtemps, ce dispositif est apparu clair aux observateurs : le chef de l'État ne pouvait être poursuivi dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison, les assemblées le mettant alors en accusation devant la Haute Cour de justice. Presque unanime, la doctrine considérait que le Président était en revanche, pour les actes commis en dehors de ses fonctions, passible des juridictions de droit commun, selon les procédures normales, que ce soit en matière pénale ou en matière civile.
Dans sa décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a estimé que le Président de la République bénéficiait d'un privilège de juridiction pendant son mandat, et ce quelle que soit la nature des actes en cause, qu'ils aient été accomplis avant ou pendant sa présidence, et qu’ils soient en lien ou non avec ses fonctions. En 2001, la Cour de cassation a entériné cette interprétation, conférant au Président de la République une immunité pénale pendant son mandat.
Il s'agit aujourd'hui d'inscrire dans le marbre de la Constitution un dispositif qui assure le juste équilibre entre la protection qu'il faut assurer à la fonction présidentielle et la responsabilité que doit assumer le ou la titulaire de la fonction présidentielle. Moins que jamais il ne saurait y avoir en démocratie une justice variable selon le niveau de la société ou le camp politique auquel on appartient, et nous devons doter la France d'un régime juridique présidentiel conforme à l'exigence démocratique d'un président citoyen qui, dans le cadre de ses fonctions, soit responsable devant les Français et, qui pour le reste, réponde de ses actes devant la justice.
Nous devons donc concilier l'aspiration légitime de nos concitoyens à l'égalité de tous devant la justice avec la protection, évidemment nécessaire, de la fonction présidentielle.
Le projet de loi qui nous est soumis confirme l'irresponsabilité du Président de la République pour tous les actes qu'il accomplit en cette qualité, c'est-à-dire pour tous ceux qui ne sont pas détachables de sa fonction. Pour les autres, il renvoie les poursuites éventuelles à l'expiration de son mandat, suspendant aussi les délais de prescription et de forclusion.
En contrepartie, le chef de l'État devra répondre de tout « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », encourant alors la destitution, prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.
Depuis une loi constitutionnelle de 1875, le Parlement pouvait incriminer le Président en cas de « haute trahison ». Trahison du pays, trahison de la Constitution, trahison des devoirs de sa charge ? La notion restait floue. Dans le texte qui nous est présenté, elle est remplacée par la référence à un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». L'objectif de la destitution sera donc de mettre fin à une situation devenue politiquement insupportable, et, cette procédure étant de nature politique, l'appréciation du manquement grave aux devoirs de sa charge sera, elle aussi, de nature politique.
Cette nouvelle procédure devra évidemment rester exceptionnelle et être utilisée avec la plus extrême prudence, tant les conséquences en seront lourdes puisqu'elle pourra aboutir à destituer un homme ou une femme qui aura été élu au suffrage universel par le peuple souverain.
Et c'est d'ailleurs celui-ci qui aura le dernier mot puisque la destitution entraînera mécaniquement une nouvelle élection présidentielle ou aura été précédée d'une dissolution de l’Assemblée nationale entraînant de nouvelles élections législatives.
Une telle procédure ne saurait donc être déclenchée à la majorité simple, afin d'éviter que des coalitions de circonstance ne puissent faire un usage politicien de cette nouvelle procédure, qui ne devra en aucun cas se transformer en motion de censure politique du Parlement contre le Président de la République et ouvrir la voie à des manœuvres partisanes, notamment en période de cohabitation.
Le projet initial du Gouvernement prévoyait que les décisions de réunir la Haute Cour et de destituer le Président soient prises à la majorité simple. Dans le texte amendé par la commission des lois le 20 décembre dernier, la majorité requise a été portée aux trois cinquièmes des membres composant chaque assemblée, puis composant la Haute Cour.
J’ai proposé tout à l’heure en commission des lois un amendement – qui a été adopté – portant la majorité requise aux deux tiers des députés ou des sénateurs, selon l’assemblée qui prendra l’initiative de la procédure de destitution, et aussi aux deux tiers des parlementaires réunis en Haute Cour. Nous, socialistes, pensons qu’il sera plus que jamais nécessaire, après cette réforme, d’engager celle du mode d'élection des sénateurs. Cette réforme du Sénat fera partie de la réforme profonde et globale de nos institutions que nous devrons entreprendre pour moderniser notre démocratie et rééquilibrer les pouvoirs dans notre République.
Mes chers collègues, contrairement à ce que certains prétendent, ce n'est pas la justice qui déstabilise, mais l'absence de justice, une justice qui n’est pas seulement une machine à punir, mais qui est d'abord la voie par laquelle l'innocence peut être prouvée et l'honneur retrouvé.
La Constitution du 4 octobre 1958, et surtout la révision de 1962, ont fait du Président de la République une sorte de monarque républicain, recevant, non plus l'onction divine, mais l'onction démocratique que lui confère l'élection au suffrage universel. Pour autant, nous ne sommes plus sous l'Ancien Régime, où la personne du roi était inviolable et les régicides punis d'atroces supplices pour édifier le peuple.
En ce temps-là, on disait : « Le roi ne peut mal faire » ; c'était sous la monarchie. Nous allons montrer ce soir que nous sommes en République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Le contexte actuel nous paraît particulièrement mal choisi pour discuter de ce texte. Nous sommes en effet à moins de cent jours de l’élection présidentielle, alors que ce projet de loi a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 3 juillet 2003. Une fois encore sous cette législature, le Gouvernement nous présente un texte important dans la précipitation. Nous aurions dû en débattre beaucoup plus tôt et prendre le temps de la réflexion. Par ailleurs, les trois principaux candidats à l'élection présidentielle, ou du moins de leurs partis – qu’il s’agisse du parti socialiste, de l’UMP ou de l’UDF –, ont tous annoncé dans leur programme qu'ils réviseraient de manière plus ou moins importante la Constitution. Et on imagine que le Président nouvellement élu, dans toute démocratie digne de ce nom, aura forcément un avis sur la question, soit dans le cadre d’une révision en profondeur de la Constitution, soit dans celui de l’établissement d'une nouvelle Constitution.
Au-delà de l'opportunité de débattre de ce texte à un tel moment, c’est-à-dire un mois avant la fin de la législature, faut-il, dans une perspective à plus long terme, réviser le titre IX de la Constitution ?
Pour nous, cela ne fait aucun doute, même si ces articles sont faits pour ne pas être utilisés. C'est un peu comme l'arme atomique : on met en place des procédures dont on sait que l'utilisation est extrêmement improbable. Les articles 67 et 68 ont assurément besoin d'être modifiés, à la fois pour en finir avec des définitions vieillottes ou archaïques comme celle de la haute trahison, mais aussi pour donner un cadre constitutionnel aux jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour de Cassation. Toute jurisprudence pouvant évoluer, il est bon de graver les choses dans le marbre.
Pour l’instant, le Conseil constitutionnel a consacré une véritable immunité pénale pour le Président pour les actes commis dans le cadre de ses fonctions. Pour ceux commis hors de sa fonction ou antérieurement à sa prise de fonction, le Conseil constitutionnel estime que seule la Haute Cour de Justice est compétente.
De son côté, comme le rappelaient à la fois le rapporteur et André Vallini, la Cour de Cassation est allée plus loin le 10 octobre 2001 puisqu'elle a reconnu au Président une véritable immunité temporaire. Cette immunité lui vaut de ne pouvoir être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, ni être cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale. La Cour a motivé sa décision en évoquant la nature particulière de la fonction de chef de l'État, de son élection directe par le peuple et de son rôle de garant des institutions. Mais, parallèlement, elle considère que, de ce fait, la prescription est suspendue jusqu'à la fin du mandat présidentiel.
Le nouvel article 68 dispose que « le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », expression que l’on substitue à celle de « haute trahison ». Pour y voir plus clair, il n'y a rien de mieux que de se référer aux manuels de droit constitutionnel, qui considèrent que la haute trahison, expression que l’on peut juger malheureuse, constitue un délit à caractère politique, et donc à contenu variable, en l’absence de référence aux principes fondamentaux du droit pénal. L’exemple souvent cité dans les cours de droit constitutionnel est celui des pleins pouvoirs demandés en 1940.
La définition de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » apparaît, elle, encore plus approximative. Par exemple, le fait de réviser la Constitution par la procédure de l’article 11 au lieu de l’article 89 relève-t-il ou non de la Haute Cour ? Cette définition est probablement plus moderne que celle de la haute trahison, mais plus floue encore car elle donne toutes les possibilités d’expression et d’analyse possible.
Analysons en détail les autres contradictions de ce projet de loi.
Parmi les actes commis par le Président dans l’exercice de ses fonctions, hormis des cas extrêmes comme l’assassinat de sa femme, la procédure ne pourra pas être déclenchée du fait de l’interdiction de tout acte d’enquête ou d’instruction.
Ainsi, comment engager une procédure au titre des articles 67 et 68 pour des trafics d'influence ou des prises illégales d'intérêts effectués par le Président de la République durant son mandat ? Prenons des faits anciens qui relevaient, selon moi, de la Haute Cour : les écoutes téléphoniques illégales réalisées à une époque à la demande de l’Élysée. Comment peut-on imaginer un seul instant qu’une procédure ait été engagée dès lors qu'aucun moyen d'investigation n'était ouvert ? On voit bien dès lors que les articles 67 et 68 ne peuvent commencer à être appliqués qu'à la suite d'un déferlement médiatique tellement puissant qu'il finisse par emporter la volonté parlementaire.
Imaginons maintenant que les parlementaires décident de réunir la Haute Cour, en estimant que les faits soulevés par les médias imposent une réaction du Parlement. Dans ce cas-là, un nouveau problème se pose, celui de la procédure en deux temps. D'abord, les parlementaires, par leur vote, ouvriront la chasse au Président, qui redevient un justiciable de droit commun, c’est-à-dire éventuellement soumis au droit pénal de tout citoyen.
Cette procédure en deux temps ne condamne-t-elle pas le Président avant même qu’il ne soit jugé ?
Nous aurions tout à fait pu, dans le cadre de cette révision constitutionnelle, établir une distinction entre les actes commis dans l’exercice des fonctions et les actes détachables de l’exercice des fonctions et relevant alors d’une procédure pénale plus classique avec les garde-fous nécessaires.
Soit les actes commis antérieurement à la prise de fonction par le Président entachent tellement l’exercice de sa fonction que le Parlement estime qu’ils relèvent des articles 67 et 68 de la Constitution, soit ils sont totalement détachables de l’exercice de sa fonction et on aurait pu tout à fait imaginer une procédure judiciaire d’exception confiée à des magistrats insoupçonnables et extrêmement expérimentés, tout cela avec des garde-fous.
Rien n’est sans doute parfait dans la mise en œuvre d’une procédure de destitution, mais reconnaissons que la procédure qui nous est proposée comporte autant d’incertitudes que la situation actuelle.
In fine, la responsabilité pénale du Président de la République devient totalement virtuelle dès lors qu’est exigée une majorité des deux tiers des membres composant chacune des assemblées ou la Haute Cour. Et pourquoi cette majorité des deux tiers ? Parce que, vu la composition politique ne variatur du Sénat, on estime qu’un président socialiste doit avoir des protections pour faire en sorte que cette majorité soit impossible à trouver. On révise donc une Constitution sur un arrangement entre le PS et l’UMP pour faire en sorte que la responsabilité pénale du Président de la République relève des discours théoriques.
C’est pourquoi le groupe UDF a décidé de voter contre ce projet de loi.
Il ne s’agit pourtant pas d’un sujet banal, mais de la responsabilité pénale du Président de la République, question ancienne, complexe, qui a d’autant plus divisé les constitutionnalistes et soulevé de querelles doctrinales qu’elle est inséparable de la conception que l’on a de l’État, de la République, de la démocratie et, bien sûr, de la place du Président au sein des institutions. Elle met en jeu les principes cardinaux tels que l’égalité devant la loi.
Dès lors, nous regrettons cette précipitation, sans pour autant ignorer le bien-fondé de la clarification du droit à cet égard. En effet, ce sujet, qui, au cours de la Ve République, n’a été traité, selon Jean Rossetto, que « de manière cursive, comme s’il devait être relégué au musée du droit constitutionnel », a soulevé non seulement des controverses parmi les constitutionnalistes mais également une forte émotion dans l’opinion publique au cours des années 90. Deux événements en étaient la cause : l’instruction des « affaires » de la mairie de Paris à l’époque où M. Chirac en était le maire et la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999.
Le rapporteur l’a rappelé : au détour d’un avis sur la Cour pénale internationale, et sans raison apparente, le Conseil a donné une interprétation fondée sur une lecture dissociée des deux alinéas de l’article 68 de la Constitution. Il a en effet estimé que le Président de la République bénéficiait d’un privilège de juridiction pendant son mandat et que sa responsabilité pénale ne pouvait être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice. À cet égard, je relève que, une nouvelle fois, le juge constitutionnel s’est autorisé un pouvoir exorbitant et qu’il est devenu, grâce à cette pratique, au fil du temps, un véritable organe politique sous une forme juridictionnelle.
Vous le savez, en effet, mes chers collègues, cette lecture dissociée n’allait pas de soi. Bien des constitutionnalistes, et pas des moindres, s’en tiennent à une lecture « à la suite » de l’article 68, pour en tirer la conclusion que le Président de la République bénéficie d’une immunité politique, sauf cas de haute trahison, et d’un privilège de juridiction uniquement pour les actes en lien avec sa fonction. Ainsi, selon le doyen Vedel, « la Haute Cour ne peut être saisie qu’en raison des actes de la fonction ». Quant au président Jean Foyer, qui était étroitement associé à la rédaction de l’article 68, il estime que, pour les actes « détachables de sa fonction », il doit répondre pénalement devant les tribunaux de droit commun et qu’il ne bénéficie d’aucun privilège de juridiction.
De nombreux autres exemples pour étayer ce point de vue figurent dans l’excellent rapport de notre collègue Bernard Roman, présenté devant l’Assemblée en juin 2001 dans le cadre de la discussion de la proposition de loi constitutionnelle présentée par le groupe socialiste tendant à modifier l’article 68 de la Constitution.
Cette proposition de loi correspondait à la position de mon groupe. Selon nous, il ne devrait pas y avoir de privilège de juridiction et, pour les infractions commises antérieurement ou au cours de son mandat et qui sont sans lien avec l’exercice de ses fonctions, le Président est pénalement responsable devant les tribunaux de droit commun. Cela répond à une aspiration des Français à la justice, qui implique que le statut d’un Président de la République ne peut être maintenu coûte que coûte au-dessus des lois. Bien sûr, il faut garantir un système de filtre pour éviter une judiciarisation abusive et excessive. Nous avions d’ailleurs approuvé la création d’une commission des requêtes pour filtrer les accusations et décider des poursuites à engager contre le Président.
Ainsi, nous étions en accord avec le point de vue du grand juriste Léon Duguit, qui remarquait, à propos du privilège de juridiction dont bénéficiait le Président pour les infractions de droit commun sous la IIIe République : « Dans un pays qui se pique de pratiquer l’égalité démocratique, un pareil privilège ne devrait point exister. » Cette position est toujours la nôtre, fondée sur le principe que la justice doit être égale pour tous. Il demeure intolérable que quiconque puisse se dérober à une procédure de jugement selon qu’il sera riche ou misérable. Nul ne saurait être au-dessus des lois.
La proposition du groupe socialiste n’ayant pas été débattue au Sénat, l’article 68 est resté en l’état, avec toutefois une clarification introduite par l’arrêt du 10 octobre 2001 de la Cour de cassation. La Cour admet qu’en vertu du principe de l’égalité des citoyens devant la loi, l’immunité du Président ne s’applique qu’aux actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et que, « pour le surplus, il est placé dans la même situation que tous les citoyens et relève des juridictions pénales de droit commun ». Cependant, prenant en compte la mission de la continuité de l’État et du fonctionnement des pouvoirs publics confiée au chef de l’État, issue du suffrage universel, elle estime qu’il bénéficie d’une inviolabilité temporaire. Ainsi, pendant la durée de son mandat, toute procédure contre lui doit être suspendue, ainsi que la prescription, pour sauvegarder les droits des tiers.
La commission Avril, qui a inspiré l’intégralité du projet qui nous est soumis, fait sienne cette interprétation. Quelle est donc la nouveauté du dispositif en débat ? Pas la question de l’inviolabilité, sur laquelle la jurisprudence de la Cour de cassation est entérinée. On peut d’ailleurs se demander avec Louis Favoreu s’il y avait besoin de légiférer sur ce point.
Nous partageons l’avis du professeur Thomas Clay, qui estime que le projet actuel transforme le Président en « injusticiable » et l’Élysée en « sanctuaire à la porte duquel les juges resteront, y compris pour recueillir un simple témoignage » pour les infractions commises antérieurement à ses fonctions ou sans rapport avec elles. En effet, l’inviolabilité est totale, quoique temporaire, les procédures pouvant reprendre ou être engagées à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation de fonctions. Mais c’est précisément pour ces faits-là que, aux yeux du citoyen ordinaire, la surprotection du Président est incompréhensible, voire insupportable. Pourquoi faudrait-il attendre cinq ans avant que le Président ne réponde des actes sans rapport avec ses fonctions commis au cours de la première année de son mandat, par exemple, question d’autant plus brûlante que cette inviolabilité s’étend au champ civil et administratif, une nouveauté par rapport à la décision de la Cour de cassation ?
S’agissant des actes en lien avec ses fonctions, l’immunité est entière, exception faite des actes traduisibles devant la Cour pénale internationale et pour « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », expression qui remplace les termes de haute trahison, dont il n’y a pas de définition. Convenez, mes chers collègues, que cette expression – deuxième nouveauté – est aussi vague, ne comporte pas de définition et demeure susceptible d’une interprétation plus large même que « haute trahison ».
La véritable innovation de ce texte, et même la seule innovation, est la procédure de destitution que le Parlement, constitué en Haute Cour, qui remplace la Haute Cour de justice, est habilité à lancer. Dans le flou artistique de ce projet, comment l’apprécier ? Ne risque-t-elle pas d’être utilisée à des fins purement politiques, notamment contre un Président de gauche, en cas de cohabitation par exemple, a fortiori en raison de la composition du Sénat ? Passer de la majorité simple à une majorité qualifiée, comme le propose le rapporteur, n’est pas de nature à éliminer ce risque et à garantir que la décision de réunir la Haute Cour et de destituer le Président transcende les clivages partisans.
Il est vrai que cette innovation augmente théoriquement les pouvoirs du Parlement par rapport au Président. Je dis bien théoriquement, car il est difficile, voire impossible, d’imaginer que ce cas de figure puisse se produire, sauf en période de cohabitation contre un Président de gauche, dans le cadre de la Ve République. En effet, celle-ci, qui se caractérise d’emblée par un déséquilibre institutionnel profond en faveur d’un Président tout puissant, ne cesse de dériver vers une monarchie républicaine, tant est patent le renforcement de la logique présidentialiste du système. Le Président Mitterrand, à la fin de 1992, constatait ce déséquilibre dans sa lettre de mission à la commission Vedel. Le Président Chirac lui-même estimait en 1995, alors qu’il était candidat, qu’il était « temps de mettre fin à la dérive monarchique des institutions ».
Pourtant, rien n’a été fait. Depuis, au contraire, la présidentialisation du régime s’est accrue, avec un renforcement des pouvoirs personnels du Président, grâce notamment à l’élargissement du champ référendaire, à l’instauration du quinquennat, à l’inversion du calendrier électoral en 2002 et à la concomitance des élections présidentielles et législatives.
Cette dérive a des conséquences dramatiques pour la vie politique, avec l’accentuation du fait majoritaire et la réduction du Parlement à un rôle de simple chambre d’enregistrement, qui « voit les trains passer ». Elle renforce la dynamique de la bipolarisation de la vie politique, agrandit le fossé entre gouvernants et gouvernés, rompt le lien entre l’expression du suffrage et l’exercice réel du pouvoir.
Comment penser qu’un Parlement « croupion », qui n’a même pas le pouvoir de contrôler l’exécutif, puisse démettre un Président ? D’ailleurs, c’est dans le cadre des systèmes présidentialistes qui s’accompagnent d’un véritable contre-pouvoir du Parlement, comme aux États-Unis, que la procédure de destitution est courante et peut fonctionner. Introduire ce système dans le cadre de la Ve République, n’est-ce pas bancal ? Soit il fallait aller vers un vrai système présidentialiste, que nous récusons, soit il fallait bouleverser l’équilibre institutionnel en faveur du Parlement. Dans les deux cas, il aurait fallu une mise en plat des institutions, et non pas une énième révision constitutionnelle qui ne pourra en rien remédier à la crise de la Ve République que plus personne ne nie désormais.
La situation exige l’avènement d’une nouvelle République fondée sur un régime véritablement parlementaire, où le législatif aurait recouvré sa pleine souveraineté et son rôle de contrôle de l’exécutif, et où le Président de la République serait, non pas le chef de l’exécutif, mais le garant du fonctionnement des institutions.
La question du statut pénal du chef de l’État ne soulèverait dans ce contexte ni le problème d’un privilège de juridiction, ni celui de l’inviolabilité de la personne. Pour les actes sans rapport avec ses fonctions, il serait un justiciable comme n’importe quel autre citoyen, et ne pourrait échapper aux juridictions de droit commun.
C’est la position de fond du groupe communiste et républicain, qui reste fidèle au principe évoqué dans l’article 31 de la constitution républicaine du 24 juin 1793 : « Les délits des mandataires du peuple et de ses agents ne doivent jamais être impunis. Nul n’a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens. »
À l'époque, il y a donc cinquante ans, la question de la responsabilité du chef de l'État n'était pas à l'ordre du jour.
Ce n'est qu'en 1999 que s'ouvre un débat de doctrine, le Conseil constitutionnel statuant sur la conformité à la Constitution du traité portant sur la Cour pénale internationale. Appelé à examiner la possibilité de déférer les titulaires de certaines qualités officielles, dont le Président de la République, devant la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 janvier 1999, estimait que le Président de la République bénéficiait d'une irresponsabilité couvrant les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, hormis, bien sûr, le cas de haute trahison. Le Conseil constitutionnel a donc considéré que l'article 68 disposait que le Président ne pouvait être poursuivi qu'à la suite du vote par les deux assemblées d'une résolution le mettant en accusation, la Haute Cour de justice étant seule compétente pour le juger.
En 2001, le débat est relancé : le 19 juin, le groupe socialiste a inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale une proposition de loi constitutionnelle tendant à modifier l'article 68 de la Constitution. Chacun s’en souvient, cette proposition de loi intervient dans le contexte très particulier de la demande de mise en accusation du chef de l'État en fonction devant la Haute Cour de justice, à l'initiative de plusieurs députés de la majorité de l'époque. L'examen de cette proposition de loi, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, n'a pas été poursuivi.
La même année, l'assemblée plénière de la Cour de cassation, dans son arrêt du 10 octobre, concluait, comme le Conseil constitutionnel, à l'inviolabilité du chef de l'État pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions. Elle ne retenait la compétence de la Haute Cour de justice que dans les cas de haute trahison. S'agissant des autres infractions, elle estimait que le Président de la République bénéficiait d'une immunité absolue, la prescription étant simplement suspendue pendant la durée de son mandat.
Fallait-il en rester là ? L’aboutissement de ce processus, nous le savons tous, ne levait cependant pas toutes les difficultés. Il persistait une interprétation jurisprudentielle différente pour les actes accomplis en dehors de l'exercice des fonctions présidentielles, et ces solutions, chacune juridiquement cohérente, souffraient évidemment d'un manque de légitimité. Chacun sait que la jurisprudence est fluctuante, et il fallait donc que le législateur constituant se saisisse de la question parce que ces solutions n'avaient pas été, selon l'expression pertinente de notre rapporteur, « politiquement endossées ».
C'est pourquoi, en mars 2002, le Président de la République Jacques Chirac avait appelé de ses voeux à une modification de la Constitution, à condition toutefois, avait-il précisé, « que cela se fasse dans la sérénité et le sérieux, et pas dans les couloirs de l’Assemblée nationale ou des partis politiques », insistant sur le fait qu'il s'agissait, bien sûr, « des fondements mêmes de la République ». Conformément à l'engagement qu'il avait pris, le Président de la République a alors confié à une commission présidée par le juriste Pierre Avril le soin de réfléchir au statut pénal du chef de l'État et de formuler, le cas échéant, des propositions. Le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution que nous examinons aujourd'hui est le fruit des réflexions de cette commission, et la marque du respect de l'engagement du chef de l’État vis-à-vis des Français, le débat intervenant, certes, à une période avancée de notre législature,…
Le volet relatif à la responsabilité pénale, qui figure à l'article 67, reprend la jurisprudence de la Cour de cassation en confirmant l'irresponsabilité du Président de la République pour tous les actes qui ne sont pas détachables de ses fonctions, sous réserve d'une action de la Cour pénale internationale.
Parallèlement, le projet de loi confirme son inviolabilité pendant son mandat, les poursuites relevant d'une juridiction pénale pour les actes accomplis antérieurement au mandat ou dépourvus de liens avec celui-ci seront suspendues durant l'exercice des fonctions présidentielles. Mes chers collègues, serait-il raisonnable que le Président, clé de voûte de nos institutions selon l'esprit et la lettre de la Ve République, puisse être pénalement mis en cause dans les conditions du droit commun ? Faire du chef de l'État un citoyen ordinaire contribuerait, à n’en pas douter, à affaiblir considérablement la fonction suprême qu’il assume et à le livrer à toutes les manœuvres individuelles ou partisanes.
J’ai bien entendu tous ceux qui critiquent la validation de la jurisprudence parler de garde-fou, comme M. Morin : ils ont cherché le moyen de protéger le Président de la République sans pour autant créer un système d’exception. Mais il faut bien préciser que cette entorse faite à la règle constitutionnelle d'égalité des citoyens devant la loi ne relève pas d'une forme de privilège octroyé à la personne du Président de la République ; il s'agit bien d'un principe d'intérêt général de la continuité de l'État. Nos voisins européens ont généralement opté pour les mêmes dispositions, estimant que l'exercice serein des plus hautes fonctions de l'État justifiait l'immunité temporaire de son titulaire. La protection est attachée à la fonction présidentielle ; elle ne confère aucune forme d'impunité à l'homme qui l'exerce. Le texte précise en effet que les poursuites pourront reprendre dès le retour à la vie civile du Président, notre rapporteur ayant prévu explicitement la suspension de tout délai de prescription ou de forclusion pour les faits pour lesquels la procédure serait suspendue pendant la durée du mandat présidentiel.
Ce projet de loi constitutionnelle offre donc un dispositif équilibré, respectueux de l'esprit de la Constitution et suffisamment protecteur pour mettre la fonction du Président de la République à l'abri d'éventuelles initiatives individuelles ou organisées prises, sous couvert du respect du droit, à des fins purement politiques.
Pour autant, serait-il concevable que la fonction devienne un bouclier juridique inviolable, c'est-à-dire qu'aucun acte commis par l'homme chargé des plus hautes fonctions de l'État ne puisse être jugé, même s'il s'agissait d'un acte si grave qu'il remettrait en question la continuité de l'État et la stabilité de nos institutions, et serait incompatible avec le maintien du chef de l'État dans ses fonctions ? Olivier Duhamel et Georges Vedel, dans un article du Monde publié en 1999, affirmaient : « on ne peut punir pénalement que devant le juge pénal ; »…
L'article 68 nouveau de la Constitution s'assigne donc un double objectif : clarifier le texte constitutionnel en revoyant la rédaction du motif permettant l'engagement de la responsabilité politique du Président de la République, et prévoir les modalités de mise en œuvre de cette responsabilité. La constitution de 1958 prévoyait que sa responsabilité politique pouvait être engagée en cas de « haute trahison ». Reconnaissons ensemble que cette expression paraît archaïque, évoque le passage à l’ennemi et qu’elle ne semble pas d’actualité : trahison envers quoi ? Envers sa patrie ? Envers la Constitution ? Envers ses engagements ? Lorsque l’on dit que la nouvelle formulation paraît floue, je renvoie bien évidemment au caractère flou de la précédente, qui n’apportait pas plus de précision. Le projet de loi, à mes yeux, modernise considérablement le motif en lui substituant les termes de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». Or, si un manquement grave aux devoirs de sa charge peut rendre nécessaire la mise en cause du mandat du Président, l'appréciation – comme d’ailleurs dans le cas de la haute trahison auparavant – ne peut être que politique ; d’où la mise en œuvre d'une procédure de destitution qui, si l'on s'en tient à l'esprit de nos institutions, doit revenir au peuple, en l'espèce à ses représentants démocratiquement élus.
J’ajoute qu’une faute qui ne relèverait pas ou plus du pénal à cause d’une loi d’amnistie pourrait être cependant incompatible avec les fonctions du chef de l'État.
Pour autant, la procédure doit avoir un caractère exceptionnel, et être encadrée de manière très stricte pour offrir toutes les garanties qu'aucune manœuvre de déstabilisation politicienne ne puisse trouver dans ce dispositif matière à s'exprimer. À cet effet, notre rapporteur a proposé plusieurs amendements qui vont dans ce sens.
En premier lieu, il propose un nombre plus élevé de députés pour que s’enclenche la procédure, ce qui constituerait un garde-fou contre toute utilisation abusive, alors que le texte a prévu le vote à la majorité simple. Je rappelle à l’ensemble de mes collègues qu’une telle majorité permettait de présenter le Président de la République devant la Haute Cour, et donc que la sécurisation du système antérieur était loin d’être parfaite. Le rapporteur a fait adopter un amendement élevant la majorité requise aux trois cinquièmes. M. Vallini a proposé un amendement, à la faveur d’une délibération entrant dans le cadre de l’article 88 du règlement, la fixant aux deux tiers. Il a été voté en commission des lois et j’espère que l’Assemblée l’adoptera avec l’aval du garde des sceaux. Chacun se souvient que, compte tenu de notre mode de scrutin, des majorités importantes peuvent se faire et se défaire. C’est pourquoi une telle procédure ne peut être engagée qu’avec la sécurisation qu’apporte un vote à la majorité des deux tiers.
Par ailleurs, afin de sécuriser encore plus le dispositif, le rapporteur a fait adopter un amendement prévoyant que « toute délégation de vote serait interdite » : en raison de la gravité de la décision que prendra chaque parlementaire, il est légitime que l’engagement personnel de leur responsabilité soit effectif. Je voudrais à ce sujet faire une brève parenthèse : je sais que notre vie politique n’est pas toujours vertueuse, mais j’imagine mal des députés ou des sénateurs, pour des raisons purement politiciennes,…
Enfin, l’empêchement provisoire serait supprimé : Philippe Houillon a proposé de ramener de deux à un mois le délai dans lequel la Haute Cour devra statuer, et de maintenir le Président de la République en fonction pendant la procédure. Comment imaginer qu’un Président empêché mais non destitué pourrait revenir avec les mêmes pouvoirs politiques devant nos concitoyens ? Dans un climat de suspicion et d'instabilité, l'intérim du Président du Sénat contribuerait évidemment à affaiblir un Président qui ne serait finalement pas destitué et reviendrait en fonction avec, je le rappelle, un pouvoir de dissolution.
Le projet de loi constitutionnelle apporte ainsi les garanties nécessaires pour empêcher que le chef de l'État puisse être renversé par des manœuvres qui ne relèveraient pas de l'intérêt général, sans pour autant le soustraire à l'exigence de responsabilité que manifestent nos concitoyens à l'égard de tous leurs gouvernants, et en particulier du Président de la République.
C'est d'ailleurs au nom de cette même exigence de responsabilité, chers collègues de la majorité, que notre mouvement, dans son projet, propose que le Président de la République puisse présenter lui-même sa politique devant le Parlement, afin de rendre nos institutions plus efficaces et de restaurer la confiance dans l'action de nos dirigeants.
Ce n'est faire injure ni au temps, ni à l'histoire, ni à notre Constitution que de considérer que, désormais, le Président de la République, cinquante ans après la Constitution de 1958, n'est plus, ne serait-ce qu'à cause du quinquennat, ce monarque républicain inaccessible, au-dessus des lois et du peuple, et qui ne rendrait de compte à personne. À titre personnel, je crois, comme d’autres, qu'une réforme constitutionnelle vers un régime présidentiel sera un jour nécessaire et que le pouvoir de dissolution du Président de la République doit logiquement être équilibré par sa possible destitution par le Parlement dans des conditions d'extrême gravité.
Dans cet esprit, mes chers collègues, nous ne pouvons qu'approuver la modération et la modernité du projet de loi. Modération parce que cette réforme constitutionnelle ne bouleverse en aucun cas l'équilibre de nos institutions : nous nous inscrivons dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.
Modération parce que la Constitution reconnaîtra désormais explicitement l'immunité du chef de l'État dans l'exercice de ses fonctions, tout en affirmant que le peuple souverain doit disposer des moyens nécessaires pour destituer un Président qui aurait commis des faits de nature extrêmement grave et exceptionnelle.
Modération enfin parce que notre assemblée n'a pas cédé à la tentation de judiciariser la procédure de destitution, ce qui ne correspondrait pas à notre tradition et modifierait de manière significative l'équilibre des pouvoirs.
Par ailleurs, permettez-moi de me féliciter de la modernité de cette réforme : fruit d'un travail d'experts, sensiblement amélioré par les membres de notre commission des lois, toutes tendances confondues, le projet de loi constitutionnelle parvient à trouver un juste équilibre entre protection de la fonction et responsabilité de la personne.
Le Président de la République dans l'exercice de ses fonctions n'est pas un citoyen ordinaire : il doit être temporairement protégé des attaques médiocres dont il pourrait être la cible. Cette immunité de la fonction trouve son juste contrepoids dans la possibilité de destitution politique pour des raisons exceptionnelles : l’immunité, compte tenu de cet équilibre, n’est ni scandaleuse pour la morale, ni dangereuse pour nos institutions.
En votant ce texte qui clarifie la responsabilité pénale et politique du chef de l'État et en l'inscrivant dans notre Constitution, nous respectons nos engagements et nous éliminons le soupçon qui pèse trop souvent sur le pouvoir politique suprême. Nous contribuons ainsi à la réconciliation du citoyen et de la politique. C'est pourquoi, mes chers collègues, le groupe de l’UMP votera, dans sa majorité, le projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
La révision constitutionnelle qui nous est proposée fait suite aux travaux de la commission Avril, qui a remis au chef de l’État un rapport souvent inexact, toujours médiocre, et dont l’exécutif a eu le tort de s’inspirer directement.
En premier lieu, ce projet de loi est inopportun par son contenu. Actuellement, vous le savez, l’article 68 de la Constitution dispose : « Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. » Cela paraît normal. Mais qu’en est-il des actes antérieurs ou extérieurs à ces fonctions ? Un Président qui se verrait reprocher un crime ou un délit commis avant son entrée à l’Élysée pourrait-il être traduit devant une cour d’assises ou un tribunal correctionnel ? La même question se pose pour un Président qui, pendant son mandat, se rendrait coupable d’une infraction étrangère à l’exercice de ses fonctions, c’est-à-dire détachable de celles-ci.
Prenons quelques hypothèses, dont je souhaite évidemment qu’elles restent des hypothèses d’école, à commencer par la suivante : un Président de la République est accusé, à tort ou à raison, d’avoir commis avant son accession à l’Élysée un délit de prise illégale d’intérêt ou de recel d’abus de biens sociaux. Autre hypothèse : pendant son mandat, un Président, alors qu’il conduit sa voiture personnelle, commet un grave excès de vitesse, fauche un piéton et se rend coupable d’un homicide involontaire. Peut-il être traduit en justice, en tout cas devant les juridictions pénales ordinaires ? La doctrine a répondu par l’affirmative sous la IIIe République, sous la IVe et longtemps sous la Ve.
L’article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 disposait, à l’instar de l’article 68 de notre actuelle Constitution : « Le Président n’est responsable que dans le cas de haute trahison. » Léon Duguit, que Jacques Brunhes a cité, écrivait en 1924 : « On s’est demandé quelquefois si cette formule excluait la responsabilité du Président pour les infractions de droit commun. Évidemment non. Dans un pays de démocratie et d’égalité comme le nôtre, il n’y a pas un citoyen quel qu’il soit qui puisse être soustrait à l’application de la loi, échapper à la responsabilité pénale. » Telle est la tradition républicaine.
Au début de la Ve République, Georges Vedel écrivait de même en 1961 : « L’irresponsabilité du Président de la République ne s’applique qu’aux actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions. Pour le surplus, il est un citoyen ordinaire. » François Goguel donnait exactement la même interprétation de l’article 68 de la Constitution dans un cours professé en 1967, ainsi que Jean Foyer en mars 1999, lorsqu’il écrivait : « En tant que personne privée, le Président de la République ne bénéficie d’aucune immunité, ni d’aucun privilège de juridiction. Il est pénalement et civilement responsable, comme tout citoyen, des actes commis avant le début de ses fonctions […]. L’affirmation paraît être remise en question par certains de nos jours. Elle est pourtant juridiquement indiscutable. »
Ce faisant, Jean Foyer, ancien garde des sceaux du général de Gaulle, rejetait l’interprétation de l’article 68 de la Constitution retenue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 janvier 1999, selon laquelle, « pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du Président de la République ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice ».
Dans un communiqué du 10 octobre 2000, le Conseil constitutionnel explicitait en ces termes sa décision de 1999 :
« Le statut pénal du Président de la République, s’agissant d’actes antérieurs à ses fonctions ou détachables de celles-ci, réserve, pendant la durée de son mandat, la possibilité de poursuites devant la seule Haute Cour de justice.
« Le statut pénal du Président de la République ne confère donc pas une “immunité pénale”, mais un privilège de juridiction pendant la durée du mandat. »
Cette décision rendue en 1999 par le Conseil constitutionnel, qui a été largement critiquée par la doctrine, est en effet très contestable. Toutefois, elle se borne à conférer au chef de l’État un privilège de juridiction – être justiciable de la Haute Cour et d’elle seule – mais ne renvoie pas son jugement à plus tard, après la cessation de ses fonctions.
C’est ce que fait en revanche l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2001, qui, à la différence du Conseil constitutionnel, ne retient pas l’idée d’un privilège de juridiction mais celle d’une immunité de procédure temporaire : « Le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun. »
Les juridictions pénales ordinaires seront donc compétentes, mais plus tard. Toute procédure doit être interrompue pendant la durée du mandat présidentiel et les poursuites doivent être suspendues. Toutefois, pour préserver la procédure en l’état, la prescription doit être également suspendue. Une fois que son mandat aura pris fin, le chef de l’État redeviendra alors un justiciable ordinaire mais, pendant son mandat, il est protégé par une immunité de procédure, qui interdit de le mettre en cause.
Cet arrêt de la Cour de cassation me semble particulièrement contestable. En effet, selon cette interprétation, le Président est intouchable pendant toute la durée de son mandat. Or la suspension des poursuites pendant cinq ans comporte de graves inconvénients : en cinq ans, les témoins ont le temps d’oublier et les preuves peuvent disparaître. Bref, cette immunité de procédure risque de conduire à une impunité de fait. C’est pourtant cette solution que retient la commission Avril et, à sa suite, le projet de révision constitutionnelle qui nous est soumis aujourd’hui.
Une telle révision constitutionnelle est donc inutile, car elle ne modifierait en rien l’état actuel du droit : le présent projet se borne à transcrire la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour de cassation de 2001. C’est légiférer inutilement – ce que l’on appellerait en solfège « une mesure pour rien ». Cette révision étant la simple décalcomanie de l’arrêt de la Cour de cassation, elle est tout à fait superflue.
En outre, pour faire prévaloir cette solution très inopportune, la commission Avril se fonde sur une superbe ignorance du droit comparé en prétendant que cette immunité temporaire de procédure existe dans la plupart des pays, dont les États-Unis. C’est tout à fait inexact.
En février 1994, une ancienne employée de l’État de l’Arkansas, Paula Jones, porte plainte contre M. Clinton, qu’elle accuse de harcèlement sexuel, alors que M. Clinton était gouverneur de cet État en mai 1991. Entre-temps, en novembre 1992, M. Clinton a été élu Président des États-Unis. Dès lors, pouvait-il être poursuivi en justice, ou devait-il bénéficier d’une immunité particulière ? Bref, un Président en exercice est-il un citoyen comme les autres et peut-il être poursuivi au pénal pour des faits d’ordre privé antérieurs à sa prise de fonctions, ou bien un tel procès doit-il être différé jusqu’à la fin de son mandat ?
Dans sa décision du 27 mai 1997, la Cour suprême a tranché : le procès intenté par Paula Jones, déclare-t-elle, peut avoir lieu « immédiatement » – c’est-à-dire sans attendre que M. Clinton ait achevé son mandat présidentiel. Même pendant son mandat, le Président américain peut être poursuivi devant une juridiction pénale ordinaire pour des faits antérieurs à son accession à la Maison blanche : il n’est pas au-dessus des lois, même temporairement, s’agissant d’une affaire strictement privée, sans rapport avec ses fonctions.
Cette révision est de surcroît dangereuse par une autre de ses dispositions, qui prévoit la destitution du chef de l’État par le Parlement. D’où la nouvelle rédaction proposée pour l’article 68 de la Constitution : « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. »
Cette nouvelle rédaction est dangereuse pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle introduit une responsabilité politique, et non plus seulement pénale, du Président de la République devant le Parlement.
La création d’une telle responsabilité politique du Président de la République devant le Parlement est tout à fait étrangère à l’esprit et à la lettre de la Constitution de la Ve République, et je comprendrais mal qu’elle soit approuvée par des gaullistes.
(M. Jean-Christophe Lagarde remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)
Prenons deux exemples, qui pourraient aisément s’y appliquer. En 1960, le général de Gaulle refuse de réunir le Parlement en session extraordinaire, comme le demandent la majorité des députés, car il estime que ceux-ci agissent sous la pression des organisations syndicales agricoles. Or, en vertu de l’article 27 de la Constitution, « tout mandat impératif est nul ».
Second exemple : en 1986, François Mitterrand refuse de signer plusieurs ordonnances prises par le gouvernement Chirac. Dans chacun de ces deux cas, l’on aurait pu invoquer un manquement du Président à ses devoirs, manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.
Troisième grief : cette procédure de destitution risque d’être fréquemment mise en œuvre en cas de cohabitation, pour résoudre en fait un différend politique entre l’Élysée et le Parlement, en particulier si une majorité parlementaire de droite cherche à se débarrasser d’un Président de gauche. L’inverse, d’ailleurs, ne pourra pas se produire.
L’amendement, déposé avec sagesse par notre collègue Vallini et voté ce matin par la commission, porte cette majorité qualifiée aux deux tiers des sièges. Certes, il peut arriver qu’une grande tendance politique – c’est arrivé en tout cas à la droite – atteigne et dépasse ce seuil. C’était le cas de l’assemblée législative élue en mars 1993, dans laquelle la droite dépassait largement le seuil des deux tiers de sièges – soit 385 – en comptant 490 députés à elle seule, face à un Président de cohabitation de gauche, François Mitterrand. Même ce butoir des deux tiers n’est donc pas totalement infranchissable.
L’objection des partisans de cette réforme est qu’un président mis en accusation, et donc menacé de destitution, garde toujours la faculté de dissoudre l’Assemblée nationale pour faire appel devant le peuple. Certes, mais l’on entrerait alors dans une crise majeure, dangereuse pour l’État et le pays, confrontés à la fois à un Président menacé de destitution et à une Assemblée nationale dissoute, c'est-à-dire frappés l'un et l’autre de suspicion et de discrédit auprès des Français.
Dernier grief, enfin, contre le projet de loi constitutionnelle qui nous ait soumis : l’actuelle Haute Cour de justice comporte seulement vingt-quatre membres et peut donc effectuer un travail juridictionnel sérieux et serein. En revanche, avec cette réforme, c’est le Parlement tout entier qui sera constitué en Haute Cour ; bref, l’instance chargée de juger le Président de la République compterait neuf cent huit membres, ce qui est parfaitement déraisonnable si l’on veut qu’elle délibère dans les conditions de sérénité nécessaires. Au lieu d’être une Cour, elle sera un vaste forum politique, portée peut-être à une sorte de lynchage politico-judiciaire. Ce n’est pas ainsi qu’on peut rendre la justice !
Mes chers collègues, Montesquieu, je crois, disait : « Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante. » La nôtre devrait trembler davantage devant ce projet de révision. Si vous voulez qu’un Président qui s’est rendu coupable d’une grave infraction de droit commun reste en fonction, alors votez cette réforme ; si vous considérez qu’il importe de réviser la Constitution simplement pour y inscrire l’état actuel du droit fixé par la Cour de cassation, alors votez cette réforme et transformez le Parlement en simple scribe de la Cour de cassation ; si vous, députés de gauche, acceptez qu’un Président de gauche cohabitant avec une majorité parlementaire de droite puisse être aisément destitué pour simple divergence politique, alors votez cette réforme ; enfin, si vous, députés gaullistes, voulez défaire la Ve République en rendant politiquement responsable devant le Parlement le Président élu par le suffrage universel des Français, alors, votez cette réforme !
Je voudrais rappeler en quelques mots comment a commencé le débat politique qui nous a conduits à discuter aujourd’hui – tardivement, mais je n’y reviens pas – de cette question. Lorsqu’il s’est agi, à l’origine, de savoir si le Président de la République était ou non un citoyen comme les autres, pénalement responsable, nos collègues de l’opposition – qui y sont encore – n’ont pas manqué de faire savoir que le Président était responsable, au même titre que n’importe qui, et que son statut contraire était tout à fait anormal.
Quelle n’est donc pas ma surprise aujourd’hui de voir que ceux qui réclamaient que le Président de la République soit un citoyen comme les autres s’apprêtent, comme je vais le démontrer, en votant ce texte, à renforcer son irresponsabilité pénale.
Le paradoxe veut qu’un certain nombre de membres de l’actuelle majorité, qui, pour d’autres raisons, n’étaient pas persuadés alors que ce débat était fondé, sont amenés aujourd’hui à reprendre des critiques formulées à l’époque par l’opposition.
Inutile d’abord, parce que – je le dis clairement de manière qu’il n’y ait pas d’ambiguïté dans l’opinion – la demande qui était exprimée dans les termes que j’ai rappelés aboutit exactement à l’inverse de ce qui était souhaité, c'est-à-dire que non seulement le Président de la République est irresponsable pénalement, mais on réaffirme de surcroît, à plusieurs reprises, que cette irresponsabilité est désormais, pour reprendre le terme de notre collègue Jacques Brunhes, inviolable et sacrée, au sens du droit romain.
Cela est d’abord dit explicitement dans l’article 67. L’irresponsabilité pénale, déjà acceptée par la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de cassation, notamment dans l’affaire de la Cour pénale internationale, est désormais consacrée par la Constitution, acte juridique majeur.
Par ailleurs, on transforme le titre IX, qui ne s’intitule plus « La Haute Cour de justice » mais « La Haute Cour », afin de gommer la dimension judiciaire de l’article 68. Décidément, le droit pénal fait peur !
Il y a enfin la notion de manquement au devoir, dont un professeur émérite à la faculté de droit nous explique avec beaucoup de circonvolutions dans un quotidien du soir qu’elle n’est pas synonyme de responsabilité, et surtout pas de responsabilité pénale. Paradoxalement, ce texte, dont l’objet était de clarifier les choses, fuit la notion de responsabilité pénale tout en faisant accroire qu’il règle définitivement la question.
Ce texte est inutile car il n’aborde même pas la question du témoignage, alors même qu’un effort aurait pu être fait en ce sens, comme cela a été dit en commission des lois.
La responsabilité pénale fait peur. Soit ! Mais il y avait d’autres solutions. Je partage l’avis de Jean Foyer sur les institutions de la Ve République, et il me semble que l’on aurait pu faire preuve d’un peu d’imagination. La commission Avril a jugé nécessaire, au contraire, de ne pas en avoir.
On aurait pu, par exemple, s’inspirer du droit américain, qui sanctionne la responsabilité pénale du Président dans l’exercice de ses fonctions – je vous rappelle qu’en dehors de ces fonctions, elle est pleine et entière – en énumérant dans l’article 2 de la Constitution américaine les cas où elle peut être mise en cause : la trahison déterminée, la corruption, les crimes et délits, entendus assez largement. Mais cela n’est pas conforme à notre tradition, et nous ne l’avons pas fait.
Ce texte ne sert au bout du compte qu’à réaffirmer de manière définitive l’irresponsabilité pénale du Président de la République. On aurait donc pu se dispenser de réaffirmer en fin de législature le contraire de ce que l’on souhaitait à son début !
Mais ce texte est également dangereux. Faisons, si vous le voulez bien, un peu de politique-fiction. Imaginons que nous soyons en 2016, dans une démocratie soumise au règne des médias. Ne rêvons pas, en effet : la montée en puissance des médias qu’ont connue la France et le monde depuis 1958 ne va pas s’arrêter et, dans une quinzaine d’années, notre démocratie sera largement dominée par l’information mondialisée, sous des formes que nous n’imaginons même pas aujourd’hui.
Supposons que des groupes plus ou moins occultes, dotés de moyens qui peuvent provenir de l’étranger, décident soudain de déclencher contre le Président de la République une campagne de presse, qui prend bientôt un tour extrêmement violent. Si, alors, la majorité présidentielle – je ne parle même pas des cas de cohabitation, qui seraient encore pires – se trouve en désamour avec le chef de l’État, ce qui peut arriver (Rires sur divers bancs), et décide qu’elle a pour la magistrature suprême un meilleur candidat que le Président en place, et si, dans le même temps, l’opposition juge, elle aussi, opportun d’anticiper la date de l’élection présidentielle, le Président de la République peut se retrouver menacé, pour un acte qu’il n’a pas commis. Que fait-il dans ce cas ? Il use du pouvoir majeur qu’il possède, à la différence de son collègue américain, et dissout l’Assemblée nationale.
Une simple campagne de presse aura donc suffi pour mettre à terre et l’institution exécutive et le pouvoir législatif. Comme manière de résoudre une question politique majeure, on ne fait pas mieux ! Le scénario de cette crise de régime montre que, loin de régler le problème, l’article 68 nouveau le complique. Vous osez d’ailleurs si peu l’envisager que, à force d’amendements, l’unanimité sera bientôt requise pour que l’article 68 puisse être appliqué.
Je passe sur le fait que, mis en accusation, le Président de la République n’a même pas la possibilité de se défendre, puisque sa responsabilité est globale, notion que nous venons d’inventer. Il ne bénéficie ni de la présomption d’innocence, ni du débat contradictoire, et ne dispose pas d’avocat.
Il est le plus démuni face à l’accusation la plus grave. Quelle inégalité de situation entre le législateur, qui a peut-être décidé de porter un mauvais coup, et le Président de la République, qui n’a pas la possibilité de se défendre ! À tout prendre, mieux vaudrait les magistrats…
Mes chers collègues, nous venons d’inventer une notion formidable : je connaissais la responsabilité politique et la responsabilité pénale, mais pas la responsabilité globale, dont traite l’article 68 ! Ni pénale ni administrative, elle recouvre tout !
Cette question est bien trop importante et nous ne pouvons discuter de l’équilibre de nos institutions en quelques minutes, devant un hémicycle quasiment vide. J’espère que celui de Versailles sera plus peuplé ! Nous ne devons pas désarmer nos institutions au terme d’un débat aussi médiocre.
Enfin, je m’étonne qu’on nous présente, sous la forme d’un article unique, les articles 67 et 68 de la Constitution, dont nous avions pu discuter successivement en commission. Voilà qu’on nous offre subitement les articles 67 et 68 dans un seul et même paquet cadeau !
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement tendant à ce que nous votions, ici comme à Versailles, sereinement et séparément sur les deux articles de la Constitution. La Constitution ne s’élabore pas comme le contenu d’une pochette-surprise : si vous votez pour l’article 67, vous gagnez en même temps l’article 68 ! Soyons sérieux ! J’en appelle à la vigilance de nos collègues de l’UMP et du parti socialiste. Ce texte est contraire à ce que nous souhaitions et je m’interroge sur certains revirements.
Pour ma part, si nous devons nous prononcer sur un article unique, je voterai contre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
L'inscription de cette réforme à l'ordre du jour de l'Assemblée, à la fin du mandat du Président de la République et en fin de législature, ressemble plus à une provocation et à un leurre qu’à une véritable volonté de réforme. Ce texte, promesse du candidat Chirac, était attendu, voire réclamé, après le trouble provoqué par les affaires qui ont émaillé les deux dernières Présidences. Je rappelle l’instruction confiée à un juge d’instruction de Nanterre portant sur les emplois fictifs consentis par la ville de Paris à des cadres du RPR, celle confiée à un juge d’instruction de Créteil relative aux HLM de la ville de Paris et aux révélations posthumes de la cassette de Jean-Claude Méry sur la remise d’importantes sommes en liquide au maire de Paris, et celle, enfin, confiée à trois juges parisiens sur l’attribution des marchés publics des lycées d’Île-de-France, qui aurait permis à M. Chirac de régler en liquide de nombreux voyages.
C’est d’ailleurs à l’occasion d’une de ces procédures, au cours de laquelle le juge d’instruction avait demandé à entendre le Président de la République comme témoin, que la Cour de cassation est intervenue. Ce texte arrive si tard que l'on peut parler – au regard des faits que je viens d’évoquer – de désinvolture et d'hypocrisie, puisqu'il ne règle pas la question de la responsabilité du chef de l'État.
Sur le volet politique, la procédure proposée paraît plus transparente et plus démocratique qu’aujourd’hui, puisque les deux chambres réunies composeront la Haute Cour. Le Parlement verrait ainsi s'affirmer l’une de ses prérogatives : le contrôle de l'exécutif. Mais, comme l’a souligné Roger-Gérard Schwartzenberg, ce n'est qu'une apparence, dans la mesure où le Sénat est structurellement de droite et qu’il empêchera toute destitution d'un Président appartenant à son camp.
De plus, l'abandon de la haute trahison comme motif de destitution au bénéfice d'un « manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l'exercice de son mandat » ne gagne pas véritablement en clarté. Si la procédure actuelle est effectivement inadaptée et surannée, celle que vous nous proposez laisse subsister une difficulté d'interprétation qui contribue à la disqualifier. Avec votre texte, la destitution du Président de la République reste hautement théorique dans la mesure où il bénéficie dans le même temps d'une totale impunité. La question de la responsabilité pénale du chef de l'État ne trouve donc pas dans ce projet de solution républicaine.
Le rapport Avril s'était déjà égaré en reprenant à son compte la décision très contestable de la Cour de cassation qui, tout en reconnaissant la compétence des juridictions judiciaires, l'avait immédiatement assortie d'un régime privilégié : la suspension des poursuites pendant la durée du mandat présidentiel. Pour justifier une telle immunité, elle s'était fondée sur une interprétation de l'article 68 de la Constitution selon laquelle « étant directement élu par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun. »
En maintenant ce privilège de protection, votre projet de loi tourne le dos aux principes républicains d'égalité des citoyens devant la loi. Or, un juriste aussi respectueux de la fonction présidentielle et attaché aux institutions de la Ve République que Jean Foyer avait toujours considéré que le « Président de la République répond pénalement des actes détachables de sa fonction devant les juridictions de droit commun ».
Le Président de la République ne peut pas être au-dessus des lois. Pourtant, la portée générale de la protection proposée peut s'appliquer à des crimes ou délits extrêmement graves, qui pourraient entacher la fonction même de Président. Dans l’hypothèse de crimes ou de délits graves, on imagine mal qu'il puisse invoquer la protection de son statut pour refuser de contribuer à la manifestation de la vérité devant un juge.
Sur le plan politique, il est inadmissible qu'un Président de la République puisse opposer le simple exercice de ses fonctions comme motif valable de suspension des procédures le concernant, pour des faits commis comme simple citoyen ou comme candidat à l'élection. Il n'est pas sérieux de prétendre que le simple fait d'être interrogé par un juge d'instruction empêche le Président d'exercer ses attributions constitutionnelles. Dominique de Villepin a été entendu dans l'affaire Clearstream, de même que Nicolas Sarkozy et Michèle Alliot-Marie ; pour autant, ces trois ministres n'ont pas été dans l'impossibilité d'assumer leur charge.
On a beau parcourir le titre II de la Constitution, qui définit les attributions constitutionnelles présidentielles, on ne trouve aucun article qui s'oppose à l’audition du Président devant un juge. Rien ne l'empêche d'assurer « par son arbitrage » le fonctionnement des pouvoirs publics, de nommer le Premier ministre, de présider le conseil des ministres. Le Président de la République trouve dans ses fonctions une raison supplémentaire de répondre aux questions de la justice, puisqu'il est le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire et qu’il préside le Conseil supérieur de la magistrature. Il est donc inimaginable qu'il faille exercer une mesure de contrainte à son encontre pour assurer sa comparution.
Il existe d'ailleurs une tradition républicaine en la matière, qui résulte de la jurisprudence « Giscard d'Estaing ». En 1974, le candidat écologiste René Dumont avait en effet cité M. Giscard d'Estaing, alors Président de la République, devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits d'affichage illicite commis pendant la campagne électorale. Celui-ci avait accepté de comparaître et le tribunal a constaté, dans sa décision du 3 décembre 1974, que sa compétence « n'a jamais été contestée par Valéry Giscard d'Estaing, malgré son accession à la Présidence de la République. » Cette décision a d'ailleurs été confirmée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt de la 11e chambre, en date du 28 avril 1975. Il s'est bien créé une jurisprudence « Giscard d’Estaing » selon laquelle un Président de la République peut être jugé devant un tribunal correctionnel pour des faits antérieurs à ses fonctions pendant la durée de son mandat.
Dès lors, la proposition de loi que nous discutons apparaît comme une complaisance suspecte, destinée à protéger non pas tant la fonction présidentielle que la personne qui en occupe la charge. Une telle situation est intolérable, car elle risque de détruire la nécessaire confiance des citoyens en nos institutions. Au nom des valeurs démocratiques et républicaines, au nom du respect que nos institutions doivent inspirer, le Président de la République ne peut être mis à l'abri de la justice pendant toute la durée de son mandat.
C'est la raison pour laquelle les députés Verts voteront contre ce texte.
Mes prédécesseurs l’ont dit avec plus ou moins de malice – ou d’engagement –, ces questions sont apparues au grand jour il y a plusieurs années, et notamment celle-ci : dans l’exercice de ses fonctions, le chef de l’État peut-il être mis en cause dans une affaire pénale ? Les plus hautes juridictions de notre pays se sont prononcées sur cette question, parfois de façon incidente, mais leurs décisions, qui ont pourtant établi une jurisprudence, nous laissent dans l’incertitude.
Selon le Conseil constitutionnel, la lecture combinée des articles 67 et 68 de notre Constitution est claire : en cas de haute trahison, le Président de la République peut être traduit devant la Haute Cour de justice. Pour ce qui relève de sa responsabilité pénale, y compris pour des actes commis avant sa prise de fonctions, c’est également la Haute Cour de justice qui est saisie.
La Cour de cassation a – fort heureusement – adopté la même lecture : en cas de haute trahison, le Président de la République relève de la Haute Cour de justice. Mais elle a aussi indiqué que le Président bénéficie d’une immunité absolue en matière pénale, ce qui vaut suspension des poursuites le concernant, sans que le délai de prescription soit pour autant raccourci, de sorte que le Président pourra répondre de ses actes pénalement répréhensibles une fois qu’il aura retrouvé sa qualité de simple citoyen.
Pouvons-nous nous satisfaire d’une telle situation ? Manifestement, non. Quand le Président de la République a pris, devant les Français, l’engagement de faire évoluer le droit positif, en demandant à une autorité morale reconnue de faire des propositions, personne ne s’y est opposé. Nombreux, au contraire, sont ceux qui ont salué cette promesse et qui en attendaient la concrétisation.
Ce n’est pas le moment, affirment certains. Y aurait-il donc un moment idéal pour une révision constitutionnelle ? Au nom de quoi serait-il plus mauvais de légiférer à la fin d’une législature ? (M. Lionnel Luca s’exclame.) On pourrait objecter, au contraire, que l’engouement, voire l’empressement manifesté par les parlementaires au début d’une législature est susceptible de nuire à la sagesse des décisions. On peut donner mille arguments dans un sens ou dans l’autre. Mais ne boudons pas la satisfaction de voir un engagement tenu !
Comme je l’ai rappelé à certains de mes collègues, c’est sous le Président Pompidou que les deux assemblées ont voté, en termes identiques, la réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans. Rien n’empêchait alors ses successeurs, le Président Giscard d’Estaing puis le Président Mitterrand, de soumettre, en application de l’article 89 de la Constitution, ce projet de révision au vote du peuple souverain : ils ne l’ont pas fait. C’est le président Chirac – d’ailleurs poussé en ce sens par ceux-là même qui avaient négligé de le faire auparavant –, qui a finalement pris cette décision, de sorte qu’un texte de 1973 a été adopté en 1997. Et après ? Nos concitoyens l’attendaient. La révision constitutionnelle a été tardive, mais elle a eu lieu.
Certains, aujourd’hui, semblent découvrir l’existence de ce projet de loi. Ils ne pouvaient pourtant ignorer son adoption par le conseil des ministres en 2003. Et s’il n’était à notre ordre du jour, il s’en trouverait sûrement quelques-uns pour en faire le reproche : encore un engagement non tenu ! Encore une commission réunie pour enterrer un problème !
De quoi s’agit-il ? De clarifier le statut pénal du chef de l’État. Incontestablement, ce projet de loi va dans le bon sens. Il privilégie explicitement la jurisprudence de la Cour de cassation par rapport à la décision du Conseil constitutionnel sur la Cour pénale internationale. Ainsi, une fois pour toutes, le statut pénal du chef de l’État sera clairement inscrit dans notre loi fondamentale, ce qui ne peut que nous satisfaire.
Le Président de la République avait demandé à la commission Avril de réfléchir à une modification des articles 67 et 68 de la Constitution. Mais ce qui focalise notre attention aujourd’hui, c’est moins la question d’origine, celle du statut pénal du chef de l’État, que celle de sa responsabilité politique. À cet égard, la reprise presque intégrale des propositions de la commission Avril dans le texte initial était sans doute aventureuse. La mise en jeu de la responsabilité politique du Président de la République à la majorité simple laissait en effet la porte ouverte à des coups politiques inacceptables, et nos institutions n’auraient pu résister à des attaques politiciennes de bas étage.
Bien que nous soyons en fin de législature, nous avons encore suffisamment de ressources intellectuelles pour réfléchir à ces textes.
Il nous est ainsi proposé de permettre la mise en cause politique du chef de l’État par une majorité dont je souhaite qu’elle soit des deux tiers des membres des deux assemblées réunies en Haute Cour – et non pas seulement des parlementaires présents. C’est ainsi que l’on modernisera l’institution présidentielle, tout en fixant certaines limites. Ce n’est d’ailleurs pas incompatible avec le maintien de la notion de haute trahison, incluse dans celle de manquement aux devoirs.
En 1962, le chef de l’État n’était pas encore élu au suffrage universel. S’il était, dès l’origine, favorable à ce que l’institution présidentielle puisse s’appuyer sur la volonté du peuple, le général de Gaulle n’avait pas voulu, dans un premier temps, prêter le flanc à l’accusation de plébiscite dont il a été si souvent accablé par la suite – bien qu’il ait été le seul à tirer les conséquences d’un scrutin qui, pourtant, ne l’obligeait nullement à quitter ses fonctions.
Lors du débat sur l’élection du Président de la République au suffrage universel, une motion de censure a été votée et le Gouvernement a été renversé, pour la première et seule fois dans la Ve République. Rappelez-vous : le président du Sénat, Gaston Monnerville avait accusé le général de Gaulle de forfaiture pour avoir eu le front d’affirmer que c’était aux Français, dans le cadre de leur pouvoir constituant originel, de décider, en application de l’article 11, s’il fallait ou non choisir ce mode d’élection. À l’époque, notre assemblée a utilisé la seule arme dont elle disposait en interpellant le Gouvernement de Georges Pompidou sur la proposition qu’il était réputé avoir faite au Président de soumettre au référendum ce projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics. La motion de censure ayant été adoptée, c’est le peuple qui a dû trancher. Il a ainsi approuvé, par 62 % des suffrages exprimés, la révision constitutionnelle, puis envoyé à l'Assemblée nationale une majorité conforme aux vœux du général de Gaulle.
Grâce aux limites posées par la commission des lois, le Président de la République ne pourra pas être l’objet de basses manœuvres politiciennes. Par contre, en cas de controverse comparable à celle de 1962, c’est le peuple qui trancherait. Nul doute qu’il saurait alors où se trouve l’intérêt du pays.
Ce texte propose une évolution tranquille, non définitive, qui n’abîme pas notre Constitution.
Selon l’expression rappelée fort légitimement par Jean Leonetti à cette tribune, le Président est la clé de voûte de nos institutions.
Pourquoi une telle réforme – dont les conséquences sont si importantes – est-elle prévue aujourd’hui, alors qu’elle a été enregistrée à la présidence de l'Assemblée le 3 juillet 2003 ? Ce projet a en effet été présenté il y a trois ans, alors que Jean-Pierre Raffarin était Premier ministre et Dominique Perben ministre de la justice. On peut s’étonner que le président de l'Assemblée nationale, si prompt à nous engager dans des travaux législatifs, n’ait pu depuis lors obtenir du Gouvernement son inscription à l’ordre du jour si vraiment un tel examen s’imposait, et ce d’autant plus que l’adoption de ce texte par le Parlement n’est qu’un préalable, son insertion définitive dans la Constitution nécessitant, en application de l’article 89, la réunion du Congrès.
Une telle révision déroge à la pratique constitutionnelle de la Ve République. Elle soulève un problème majeur d’équilibre institutionnel et me semble en contradiction avec la révision constitutionnelle de 1962 présentée par le général de Gaulle et introduisant l’élection du Président de la République au suffrage universel. La pratique institutionnelle depuis 1958 est sans équivoque : aucune révision de notre Constitution n’a été engagée ni présentée au vote du Congrès dans les deux dernières années du mandat présidentiel. En 1963, le Congrès entérina une modification de la Constitution, mais le mandat du général de Gaulle prenait fin en décembre 1965. En 1976, la seconde modification constitutionnelle présentée par le Président Giscard d’Estaing eut lieu cinq ans avant l’expiration de son mandat. La première – la plus importante, celle qui a introduit la saisine du Conseil constitutionnel par soixante parlementaires – eut lieu, M. Geoffroy s’en souvient, dès la première année de son mandat.
Le Président Mitterrand convoqua pour la dernière fois le Congrès en 1993, soit deux ans avant la fin de son mandat. Pour son premier mandat, le Président Chirac ne dérogea pas non plus à la règle.
Procéder à une révision constitutionnelle dans les six mois précédant l’expiration du mandat du chef de l’État constitue donc un précédent, une pratique inédite dans la Ve République, et semble contraire au principe de bonne gouvernance institué par le Conseil constitutionnel, selon lequel il ne convient pas de modifier de règles électorales dans l’année précédant tout scrutin.
Depuis dix ans, les modifications de la Constitution se sont accélérées. Le rythme est tel que, si les trois projets prévus avant la clôture de la session parlementaire venaient à être adoptés,…
Il est rare que l'urgence d'une modification constitutionnelle soit telle qu'attendre six mois pour l'adopter entraîne des conséquences dommageables ! Et si un tel délai se révélait véritablement préjudiciable pour les intérêts nationaux, la Constitution nous fournit une procédure permettant de prendre en compte le caractère impérieux d'une situation de fait ou de droit. L'article 16 dispose en effet que « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances… » En dehors de ces hypothèses extrêmes qui y sont formulées, aucune urgence constitutionnelle ne semble de nature à convoquer un Congrès, dans le but d'une modification constitutionnelle, six mois avant l'expiration d'un mandat présidentiel.
Par ailleurs, faut-il le rappeler, le Président de la République, dans les six mois précédant la fin de son mandat, disposerait encore d'une disposition constitutionnelle permettant une révision : le référendum. Si l'amendement que je défendrai tend à également à préserver l’équilibre institutionnel, il contribue aussi à une bonne pratique de nos institutions et permet de se doter d’un nécessaire délai de réflexion et de débat pendant les neuf premiers semestres sur les dix que comporte un quinquennat ou une législature.
Si les modifications initialement proposées à l’article 67 ne soulevaient pas d’objections de principe, dans la mesure où elles s’appuyaient sur les avis du Conseil constitutionnel, sur la décision de la Cour de cassation et sur le rapport de la commission Avril remis au Président de la République le 12 décembre 2002, les propositions de modification de l’article 68, puis, comme l’a relevé précédemment notre collègue Claude Goasguen, leur fusion dans un article unique instituant cette procédure de destitution sur un fondement non pénal, mais purement politique, ne me semblent pas pouvoir être adoptées à ce moment de notre législature. De plus, à en croire notre collègue Jean Leonetti, la mise en œuvre d’une telle procédure serait pratiquement inenvisageable.
(M. Jean-Louis Debré remplace M. Jean-Christophe Lagarde au fauteuil de la présidence.)
Le Président de la République avait confié à une commission présidée par l'éminent constitutionnaliste Pierre Avril le soin de réfléchir au statut pénal du chef de l'État et de formuler, le cas échéant, des propositions de réforme. La commission Avril a confirmé la position de la Cour de cassation, laquelle considère que le Président de la République, sans être au-dessus des lois, n'est pas non plus un citoyen comme les autres. Il bénéficie, à ce titre, d'une immunité durant l'exercice de ses fonctions.
Ce projet de loi constitutionnelle confirme donc l'irresponsabilité pénale du Président de la République pour tous les actes accomplis durant ses fonctions. Parallèlement, et compte tenu du risque d'affaiblissement de la fonction présidentielle qu'entraînerait la mise en cause de la responsabilité pénale du chef de l'État dans les conditions du droit commun, il confirme également son inviolabilité pénale durant son mandat. Les poursuites relevant d'une juridiction pénale pour des actes accomplis antérieurement au mandat ou dépourvus de liens avec celui-ci seront suspendues durant l'exercice des fonctions présidentielles. Toutefois, en contrepartie de cette inviolabilité temporaire, notre président et rapporteur de la commission des lois, Philippe Houillon, a fort opportunément fait adopter un amendement prévoyant explicitement la suspension de tout délai de prescription ou de forclusion.
De plus, pour lever tout risque d'affaiblissement de la fonction présidentielle, notre rapporteur a proposé de supprimer la procédure « d'empêchement » du Président de la République. À l’origine, il était effectivement prévu que la décision de réunir la Haute Cour entraînait « l’empêchement du Président de la République ». Ses fonctions auraient alors été exercées, pendant toute la durée de la procédure, par le président du Sénat. Il y avait là une incitation forte à détourner la procédure de destitution au détriment de l'équilibre des pouvoirs. Celle-ci aurait pu contribuer à créer les conditions d'une certaine instabilité politique, voire d’une confusion des genres entre l'exécutif et le législatif. Il y avait là pour beaucoup d'entre nous, et en particulier pour ceux issus du mouvement gaulliste, une atteinte inacceptable à la fonction présidentielle qui doit demeurer, selon l'expression du général, la clé de voûte de notre architecture constitutionnelle. C'est pourquoi le rapporteur Philippe Houillon a souhaité, à juste titre, réduire à un mois la période d'incertitude qui résulterait de l'ouverture d'une procédure en destitution.
En outre, pour sécuriser et légitimer le vote d'une éventuelle destitution, je me félicite que notre commission des lois ait adopté un amendement portant à trois cinquièmes la majorité nécessaire pour réunir la Haute Cour et décider de la destitution du Président de la République. Peut-être serait-il même souhaitable d'envisager une majorité qualifiée des deux tiers.
Enfin, il devrait aussi nous être proposé d'interdire toute délégation de vote. Devant la gravité et les conséquences d'une telle décision de destitution, il me paraît indispensable de rendre impérative la présence effective des parlementaires. C'est une affaire de dignité et de respect.
Alors, mes chers collègues, arrêtons de nous faire peur ! Loin de remettre en cause les équilibres de la Ve République, comme pouvaient le redouter certains, ce projet de loi constitutionnelle vise bien à réaffirmer le principe de dérogation au droit commun dont bénéficie légitimement le chef de l'État durant la durée de ses fonctions.
En votant ce texte, nous clarifierons incontestablement le régime de responsabilité pénale du Président de la République sans affaiblir un seul instant son pouvoir et son action.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Je rappelle que Jacques Chirac l’avait abordé lors de sa campagne électorale. De plus, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation se sont tous deux prononcés à dix-huit mois d’intervalle. Le Conseil constitutionnel avait été saisi sur la question de savoir si le Président de la République pouvait être déféré devant la Cour pénale internationale. La Cour de cassation avait considéré que le Conseil constitutionnel avait répondu sur cette question, et celle-là seulement. C’était un débat juridique. Le Conseil constitutionnel avait estimé qu’il n’y avait pas de privilèges de juridiction. Il avait toutefois tiré les mêmes conclusions que la Cour de cassation, considérant cependant que, si le Président de la République ne pouvait pas être poursuivi pendant la durée de son mandat, les poursuites pourraient reprendre dès qu’il redeviendrait un citoyen comme les autres. Donc, les deux grandes cours s’étaient accordées sur un point et avaient différé sur un autre.
Une fois réélu, le Président de la République a chargé d’une réflexion sur ce sujet un collège de juristes sous l’autorité du professeur Avril. Cette commission est allée au-delà, puisqu’elle a confirmé la décision de la Cour de cassation et a décidé de combler ce qui m’apparaît comme un vide juridique, puisque notre Constitution ne prévoit pas de moyen de destituer un Président de la République qui serait indigne du mandat que lui ont confié les Français.
Tel est le texte qui vous est proposé.
J’ai beau chercher, réfléchir et imaginer, je ne comprends pas ceux qui considèrent par principe que la Ve République est très largement modifiée par ce projet.
Je serai bref, monsieur le président, tout en tentant de répondre à chaque intervenant.
Monsieur André Vallini, vous avez souhaité que la nouvelle procédure de destitution ne soit pas utilisée de manière partisane, comme une motion de censure. Je partage totalement vos propos. La commission des lois a souhaité porter aux deux tiers la majorité requise. Vous avez raison, monsieur Schwartzenberg, les deux tiers avaient été atteints dans une chambre comme dans l’autre. J’étais, comme vous à l’époque, membre de l’Assemblée. Je n’ai pas envie de faire parler des sénateurs aujourd’hui décédés. J’évoque le Sénat, mais je peux également citer l’Assemblée.
Nous n’aurions pas dû vivre cela. Je le dis clairement pour l’avenir : je souhaite que ce ne soit plus jamais le cas, quel que soit le Président de la République. Il est clair que, si nous modifions la Constitution, ce n’est pas pour donner un nouveau moyen d’expression politique à l’opposition. Tel est du moins le vœu de M. Vallini et je suis heureux d’appuyer sa demande avec toute ma conviction.
Bien entendu, le Gouvernement soutiendra l’amendement déposé par le groupe socialiste, qui propose de porter à deux tiers la majorité requise, dans chaque assemblée, pour la procédure de destitution, ce qui écarte ainsi tout risque d’utilisation politique.
M. Morin, que je ne vois pas à son banc,…
Par ailleurs, la notion de « haute trahison », utilisée actuellement, est par nature peu claire et doit être remplacée, comme le prévoit le projet du Gouvernement. M. Morin propose une autre distinction entre les faits liés aux fonctions et ceux qui leur sont extérieurs. Elle n’est pas satisfaisante : certains comportements privés peuvent, s’ils sont très graves, nécessiter une destitution immédiate, quand ils sont le fait de quelqu’un qui exerce la fonction présidentielle.
Les juristes s’accordent pour considérer que la haute trahison est indéfinissable.
M. Brunhes a parlé de précipitation – à tort, me semble-t-il. J’ai rappelé que l’affaire avait été longuement réfléchie, annoncée par le Président de la République et travaillée par une commission.
Je le répète : il n’y a nulle précipitation, mais une longue réflexion. Or, pour ma part, je ne trouve pas mauvais d’attendre. Comme l’a indiqué M. Schwartzenberg, le problème avait été sanctionné clairement par la Cour de cassation.
Par ailleurs, l’inviolabilité civile résulte, vous le savez, des propositions du rapport Avril. Vous connaissez les tenants du débat : dès lors qu’on veut instrumentaliser la justice pour faire de la politique, c’est évidemment dans le domaine civil, et non dans le domaine pénal, que l’on recherchera le moyen de mettre en cause la responsabilité du chef de l’État. Le pénal, en effet, ne s’invente pas, alors qu’on peut toujours imaginer des tracasseries d’ordre civil. C’est pourquoi la commission Avril a souhaité une double immunité pénale et civile.
Monsieur Schwartzenberg, tout le monde vous connaît pour être un éminent juriste. J’ai été d’autant plus surpris de votre opposition et de votre attachement à ce que je pourrais appeler les lacunes de la Constitution. Celle-ci ne prévoit rien, en effet, en cas d’indignité toujours possible de l’être humain qui se trouve être, à un moment donné, Président de la République. J’ai suivi votre raisonnement, mais il m’étonne de votre part. Jusqu’à présent, j’ai toujours constaté que les juristes aimaient que l’on réponde à toutes les questions. Ce n’est apparemment pas votre cas.
J’ai indiqué ma position sur la majorité des deux tiers. En répondant à M. Vallini, j’ai expliqué qu’il était souhaitable, à mes yeux, de ne jamais utiliser la nouvelle procédure proposée comme un moyen politicien. Il s’agit simplement de combler une lacune de notre Constitution.
M. Goasguen s’est laissé aller à sa facilité,…
Il me semble pour ma part que la modification de la Constitution clarifie effectivement la situation, ainsi que la jurisprudence de deux Cours, qui sont, comme on le sait, partiellement divergentes.
Quant au second point, il n’est pas nécessaire de recourir à la responsabilité pénale, au regard de la situation particulière du chef de l’État. Dès lors, il me semble préférable de substituer à la notion de haute trahison celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice du mandat de chef de l’État ».
Monsieur Mamère, vous avez parlé de « provocation » et de « leurre ». Mais il est vrai que vous avez toujours le verbe haut, ce qui correspond sans doute à un trait de caractère.
M. Geoffroy, avec son talent habituel, qui fait que c’est toujours un plaisir de l’écouter, a souligné que la réforme constituait un engagement du Président de la République et qu’il était heureux qu’il soit tenu. Je partage évidemment cette appréciation, à laquelle il en a joint une autre, fort juste : le projet n’a jamais été critiqué depuis sa présentation en conseil des ministres.
Monsieur Giscard d’Estaing, vous estimez que cette réforme déroge à la pratique constitutionnelle, opinion que je ne comprends pas. Peu importe, d’ailleurs, car on ne comprend jamais tout.
Même si la situation est inédite, on ne peut comparer les modifications que nous proposons d’apporter à la Constitution et le changement du mode de scrutin évoqué par le Conseil constitutionnel. Reconnaissons franchement que les deux problèmes n’ont pas grand-chose à voir !
Tels sont les éléments de réponse que je voulais apporter.
Enfin, le texte qualifie le régime de responsabilité sans remettre en cause l’équilibre des pouvoirs. Vous l’avez souligné, monsieur Quentin : merci d’avoir apporté si opportunément cette réponse aux sceptiques.
La parole est à M. René Dosière, pour soutenir cet amendement.
On sait en effet que la Présidence fait travailler aujourd’hui plusieurs centaines de fonctionnaires mis à disposition, dont les conditions de rémunération sont très diverses. Il serait préférable de prévoir un détachement. Encore faudrait-il l’organiser.
Par ailleurs, aucun texte ne prévoit la manière dont le budget doit être élaboré ou expliqué. Il faudrait, là encore, prévoir un cadre permettant à la future Présidence de la République de prendre les dispositions propres à améliorer son fonctionnement.
J’ajoute que l’amendement reprend exactement les dispositions applicables au Conseil constitutionnel, qui prévoient qu’une loi organique établit les conditions de son fonctionnement.
Par ailleurs, on peut se référer, comme il le propose, aux dispositions relatives au Conseil constitutionnel. Mais si l’on se penche sur le texte auquel renvoie la loi organique – l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel –, on constate que rien n’y est dit de l’organisation des services et du fonctionnement financier et administratif du Conseil.
Vous le savez fort bien, monsieur Dosière, puisque vous vous êtes sûrement reporté à ce texte pour parvenir à la même conclusion que moi.
Il est tout juste prévu que les crédits du Conseil sont inscrits au budget général et que son président en est l’ordonnateur. Cela existe déjà pour ce qui concerne les crédits de la Présidence de la République.
Par ailleurs, cet amendement n’a pas un rapport direct avec le texte qui nous est soumis.
Avis défavorable, donc.
Outre que cet amendement, comme l’a dit le rapporteur, n’a rien à avoir avec le texte, sur le fond, je rappelle que le fonctionnement de la Présidence de la République est assuré depuis 1958 sans la moindre loi organique, et ce pour une raison claire : les organes constitutionnels – la présidence de la République ou l’Assemblée, par exemple – décident eux-mêmes de leur budget. Il ne peut être fixé par d’autres car cela mettrait en péril le principe de séparation des pouvoirs.
Que vous vous interrogiez sur des questions démocratiques, oui, mais faites-le en respectant la Constitution !
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Michel Hunault.
Il met fin à un flou juridique et constitutionnel sur la responsabilité pénale du chef de l’État. Il aura fallu deux décisions de justice pour clarifier la situation : en premier lieu, la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, qui a consacré une véritable immunité pénale du Président de la République pour les actes commis dans le cadre de ses fonctions. En second lieu, la décision de la Cour de Cassation du 10 octobre 2001 qui a reconnu au Président une véritable immunité temporaire qui lui vaut de ne pouvoir être mis en examen. La Cour motive sa décision par la nature particulière de la fonction de chef de l’État, de son élection directe par le peuple et de son rôle de garant des institutions.
Le Président de la République, candidat au renouvellement de son mandat, s’était engagé en 2002, s’il était élu, à mettre en place les conditions pour une réforme du statut pénal du chef de l’État. Et il a institué la commission présidée par M. Avril, dont ce projet de loi reprend quasiment les conclusions.
La fonction de chef de l’État doit être protégée. Cela est d’ailleurs vrai dans toutes les démocraties du monde, et l’histoire constitutionnelle française conduit à la même constatation. Le Président de la République représente la nation, et il doit bénéficier des immunités qui s’attachent à cette qualité. Au-delà, nous pouvons trouver d’autres justifications à travers la continuité de l’État, la séparation des pouvoirs. C’est donc une protection proportionnée aux exigences de la fonction présidentielle qui nous est proposée.
Que stipule l’article 68 nouveau de la Constitution ? Que le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.
Le projet de loi constitutionnelle reprend l’essentiel des conclusions de la commission présidée par le professeur Pierre Avril, tout d’abord quant à la responsabilité du Président de la République. Le projet prévoit que le Président de la République n’est pas un justiciable ordinaire, eu égard aux risques d’affaiblissement qu’entraînerait une mise en cause de la responsabilité du chef de l’État. Une étude de droit comparé nous montre qu’aucun État, dans les grandes démocraties, ne fait exception au principe de protection de la fonction présidentielle.
Il s’agit d’une protection en rapport avec les fonctions, d’une protection temporaire, pour les actes non liés à l’exercice des fonctions, d’une protection fondée sur des principes : le principe de la séparation des pouvoirs et le principe de la continuité, consubstantiel à l’État, qui implique que celui qui l’incarne, en l’occurrence le Président de la République, soit toujours en mesure de le faire !
Comme nous le voyons, les immunités ont pour fondement et pour seul but de permettre au titulaire des fonctions, et au premier chef la fonction présidentielle, de les exercer pleinement.
Mais l’immunité proposée n’est pas totale. Le motif qui permet l’engagement de la responsabilité du Président de la République, est modifié. Aux termes de « haute trahison » inscrits à l’actuel article 68 de la Constitution, sont substitués ceux de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». C’est au Parlement tout entier qu’est attribuée la compétence pour se prononcer sur la destitution éventuelle.
Pour autant des interrogations demeurent. Concernant les actes incompatibles avec la dignité de sa fonction, il nous faut exiger que la procédure soit aménagée de telle manière qu’elle ne puisse être utilisée, sur des critères politiques, pour engager la responsabilité du Président de la République à des fins partisanes. Je me réjouis donc de l’amendement présenté par M. Vallini, instituant une majorité qualifiée des deux tiers des membres composant chacune des assemblées, pour renvoyer le Président devant la Haute cour.
La finalité de cette procédure s’explique par le fait que le Président de la République est élu par le peuple pour assurer notamment le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’État. S’il est juste de protéger le Président de la République pendant la durée de son mandat, sa mission même, si elle devait être mise en péril, doit être protégée y compris contre son titulaire. C’est bien de cela que les parlementaires, constitués en Haute Cour, devraient débattre.
Je considère à titre personnel – et je remercie Hervé Morin, président de mon groupe, de me permettre d’émettre cette opinion quelque peu différente de celle qu’il a exprimée – que ce projet de loi a pour mérite de clarifier le statut du chef de l’État, une clarification que tous demandent. Il reprend des principes qui devraient finalement nous rassembler !
Est-il opportun de procéder à une nouvelle révision à quelques mois de la fin de cette mandature ? Non !
En effet, cette réforme n’est en rien une réforme secondaire puisqu’elle touche au statut du chef de l’État.
On connaît la question : elle a été posée par la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 et l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2001. Il faut reconnaître que ces deux décisions fixent et précisent parfaitement le cadre du statut pénal du chef de l’État. Le Conseil constitutionnel rappelle que seule la Haute Cour de justice peut le juger pendant l’exercice de ses fonctions et la Cour de cassation précise que les poursuites pénales sont suspendues et que les juridictions de droit commun ne peuvent poursuivre le Président pendant ce temps. Tout cela est très clair et il n’est nul besoin d’y changer quoi que ce soit.
Mais vous nous invitez à aller plus loin et vous réécrirez l’article 68. Ainsi « le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. »
Depuis 1962, le Président est élu au suffrage universel direct, ce qui lui donne l’autorité d’un réel chef d’État. Depuis le 2 octobre 2000, par référendum, son mandat a été ramené à cinq ans. À côté de lui, ou en face, il y a le Parlement élu au suffrage universel direct, pour ce qui concerne l’Assemblée nationale, et indirect, pour ce qui concerne le Sénat.
Voilà donc le Parlement qui pourrait engager une procédure de destitution du Président de la République après une procédure de mise en accusation – alors que ce dernier est élu au suffrage universel et de façon bien plus solide que chaque parlementaire, même collectivement – pour « manquement à ses devoirs incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Cette incrimination est une boîte de Pandore, elle ne veut rien dire, et sera totalement politique ! La haute trahison était aussi vague, direz-vous, mais ce n’est pas exact. La haute trahison est parfaitement définie dans l’esprit du législateur et dans celui du constituant. Elle renvoie, que vous le vouliez ou non, à un pacte avec l’ennemi, alors que le « manquement à ses devoirs » est une notion qui peut couvrir toute attitude politique partisane, qu’une majorité différente de celle du Président de la République peut qualifier de manquement, comme par exemple la non-signature des ordonnances. Tout cela n’est pas sérieux !
Cette révision affaiblit grandement le Président de la République, l’institution même. Elle remet radicalement en cause l’économie de la Ve République, qui fait du Président la pierre angulaire, la clé de voûte de nos institutions.
C’est une faute qui procède des idées à la mode qui veulent voir dans le Président de la République un citoyen ordinaire, ce qu’il n’est pas. Le Président de la République n’est pas un petit copain sur l’épaule duquel on frappe en lui demandant comment il va. Il est le chef des institutions, le chef de l’État. Son immunité n’a pas pour objectif de le placer au-dessus des lois, mais au-dessus des attaques partisanes pour le salut du fonctionnement des institutions.
Si le chef de l’État commet un délit ou un crime, il démissionnera. S’il y a conflit politique, il dissoudra, se soumettra ou se démettra. Tout cela est prévu par nos institutions. Il est inutile d’en ajouter.
Point n’est besoin de cette procédure qui est superflue, inutile et dangereuse. C’est non ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Cela étant, le système proposé ne me paraît pas convenir.
D’abord, il aurait été préférable de distinguer entre les actes commis avant son mandat et ceux commis dans l’accomplissement de son mandat. On conviendra que, s’il n’est pas un justiciable comme les autres, c’est parce qu’il n’est pas un citoyen comme autre. Par conséquent, les crimes et délits qu’il serait amené à commettre pendant son mandat n’ont pas la même gravité, ni les mêmes conséquences juridiques, que ceux qui auraient été commis avant que le peuple français ne lui confie le titre de chef de l’État.
Ensuite, il faut considérer ce qui est écrit dans le projet de loi sur la destitution dans le cas où il trahirait sa mission. Ce n’est pas de haute trahison qu’il s’agit, mais d’une trahison de la mission qui est confiée par la Constitution au chef de l’État.
Dans les deux cas, je considère qu’il serait souhaitable que la procédure ne dépende pas d’une initiative parlementaire, mais d’une enquête judiciaire. Même s’il n’est pas un justiciable comme les autres, le Président de la République doit pouvoir se défendre.
Dans le projet de loi qui nous est présenté, quel moyen lui donne-t-on face à une incrimination formulée par la Haute Cour, désormais constituée de l’intégralité du Parlement ?
On devrait plutôt, comme pour un parlementaire, procéder en séance publique et à la majorité – peut-être qualifiée – à une levée d’immunité de sorte que les poursuites puissent être engagées. Et c’est seulement en cas de condamnation judiciaire – que le crime ou le délai ait été commis avant ou après l’entrée en fonctions – que nous pourrions avoir à juger d’une éventuelle destitution.
On objecte qu’il serait aujourd’hui difficile au Président de la République d’exercer ses fonctions s’il devait comparaître devant un juge. Mais en quoi le Premier ministre actuel, qui a dû affronter les juges pendant plusieurs heures, a-t-il été empêché de continuer à diriger le Gouvernement ?
Et si un Président – je ne prends que des cas purement hypothétiques – était soupçonné d’avoir détourné de l’argent public, avant ou après son élection, l’enquête, dans le projet de loi qui nous est proposé, étant impossible, il nous faudrait nous prononcer sur des articles de presse ? Sur la rumeur publique ? Sur les révélations de telle ou telle personne laissant, par exemple, un témoignage posthume ? Cela me paraît tout à fait irréaliste et peu sérieux.
Dans l’hypothèse, tout aussi improbable, où le Président de la République porterait atteinte aux libertés fondamentales, par exemple en organisant depuis l’Élysée des écoutes téléphoniques, nous devrions là encore nous prononcer à partir d’articles de presse, de révélations, du témoignage des victimes de ces écoutes, alors qu’aucune donnée judiciaire ou factuelle ne permet de se prononcer tant qu’une instruction n’est pas terminée. On voit bien que les dispositions du projet de loi seraient inapplicables dans les hypothèses que je viens d’exposer. Or c’est pour parer à de tels cas que les Français attendaient que notre législation évolue conformément à l’engagement pris devant les Français par le Président de la République en 2001 et 2002 de réformer le statut pénal du chef de l’État. Le projet de loi qui nous est proposé ne change donc pas grand-chose de ce point de vue, tout en présentant des risques que je veux rappeler après certains de nos collègues.
Malgré les dénégations de M. Vallini et de M. le garde des sceaux, le premier risque est celui d’un dévoiement de la procédure qui la transformerait en motion de censure contre le chef de l’État : ce texte aurait ainsi permis à la majorité de 1986 d’engager une procédure de destitution du Président Mitterrand à la suite de son refus de signer les ordonnances du gouvernement de M. Chirac.
Par ailleurs – et j’en terminerai là, monsieur le président – étant donné que c’est le Gouvernement qui maîtrise l’ordre du jour du Parlement, je me demande comment la destitution du Président de la République pourrait être inscrite à l’ordre du jour des travaux parlementaires !
En un mot, monsieur le président, ce projet de loi ne rend pas le Président de la République pénalement responsable, mais politiquement responsable devant le Parlement.
Même si le Président de la République n’est pas un justiciable comme les autres, on ne fait pas avancer le débat en proposant une telle usine à gaz – pardonnez-moi de vous le dire comme je le pense – qui n’a pas vocation à fonctionner, sinon comme rideau de fumée tiré devant les yeux des citoyens juste avant les élections.
La parole est à M. Claude Goasguen, pour le soutenir.
Je croyais dans ma naïveté qu’il s’agissait de débattre de la responsabilité pénale du Président de la République, mais je m’aperçois que c’est l’inverse ! Dans ces conditions, je retire bien entendu un amendement qui n’a plus lieu d’être. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je suis saisi d'un amendement n° 7.
La parole est à M. Noël Mamère, pour le soutenir.
J’ai l’avantage, par rapport à certains de mes collègues, de pouvoir affirmer avec force qu’on peut, en arrachant un plant de maïs, par exemple, aller en justice pour obtenir un débat démocratique qui n’a pas lieu dans cette enceinte, parce que votre majorité, monsieur le président, monsieur le ministre, l’a exclu de notre ordre du jour – je pense en l’espèce au débat sur les OGM. Voilà pourquoi je m’estime être plus fondé que d’autres à réclamer que le Président de la République s’explique devant la justice, comme l’ont fait récemment M. le Premier ministre ou Mme la ministre de la défense : cela n’a en rien remis en cause l’exercice de leurs responsabilités exécutives !
Comme je l’ai dit tout à l’heure, on a en réalité tordu le cou à une jurisprudence qui existait déjà en la matière, la jurisprudence Giscard d’Estaing, que je veux rappeler. M. René Dumont, l’un de nos grands prédécesseurs en écologie, avait cité M. Giscard d'Estaing, alors Président de la République, devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits d'affichage illicite commis pendant la campagne électorale. Celui-ci a accepté de comparaître…
Il a fallu les circonstances que l’on sait, un Président de la République qui refuse de déférer à la convocation du juge d’instruction qui souhaitait l’entendre comme témoin, et une certaine complicité du président du Conseil constitutionnel, pour que la Cour de cassation, faisant montre de « souplesse », pour ne pas dire plus, renverse sa jurisprudence. Le droit est souple, il est vrai, au point parfois de courber l’échine devant les nécessités politiques : celle, en l’espèce, de couvrir le premier magistrat de notre pays en lui accordant l’impunité.
Tel est le contexte de l’amendement que nous vous proposons. Il vise à permettre au Président de la République de s’expliquer devant les juges pour des faits commis avant sa prise de fonctions. Afin d’éviter toute dérive, nous proposons qu’une commission des requêtes fasse fonction de filtre, sur le modèle de celle qui statue sur les plaintes portées contre les ministres pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions.
Une telle disposition contribuerait à mettre en terme à une conception monarchique de nos institutions. L’éminent juriste qu’est M. Schwartzenberg vous dirait que nous sommes là en pleine « monarchie constitutionnelle » telle qu’elle a été décrite par un de ses illustres prédécesseurs, le professeur Duverger. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
On peut même dire que, depuis 1995 et les affaires qui ont entaché les mandats du Président de la République, sur la monarchie constitutionnelle se sont greffées les mœurs d’une république bananière. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je vous invite, monsieur Mamère, à réfléchir sur le point suivant : le principe d’égalité ne s’oppose pas à l’application à des situations différentes de traitements différents. Il ne signifie pas que tout le monde doive être traité de la même façon. Une réflexion plus approfondie vous permettrait également de prendre conscience qu’il est totalement impossible d’établir une distinction entre les actes détachables et ceux qui ne le sont pas, même du point de vue juridique.
En réalité, vos propos expriment une approche différente de celle du projet de loi, comme l’a dit le président de la commission des lois, et trahissent que vous voulez un autre texte, ce qui justifie notre avis négatif.
(L'amendement n'est pas adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
(L'amendement est adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
(L'amendement est adopté.)
La parole est à M. Louis Giscard d'Estaing, pour le soutenir.
Le rapport Avril a été remis au Président de la République le 12 décembre 2002, et le projet de loi constitutionnelle a été déposé à la présidence de l’Assemblée nationale le 3 juillet 2003. Vous avez, monsieur le garde des sceaux, expliqué tout à l’heure que le temps qui s’était écoulé depuis ce dépôt était celui de la réflexion. Je veux bien croire que ce délai a été effectivement consacré à la réflexion, mais les conclusions ont été particulièrement tardives. Ainsi, ce n’est que tout récemment que vous avez, monsieur le président de l’Assemblée, invoqué la nécessité d’instituer des « garde-fous » supplémentaires. Si cette proposition avait été formulée en 2003, nous aurions eu le temps de l’amener à maturité : convenons que passer d’une majorité simple à une majorité des trois cinquièmes ou des deux tiers n’est pas une modification mineure dans un tel projet de révision constitutionnelle !
Je veux souligner ensuite combien un tel calendrier de révision constitutionnelle est inédit au regard de la pratique institutionnelle de la Ve République : ni le général de Gaulle, ni le Président Georges Pompidou, ni le Président Valéry Giscard d’Estaing, ni le Président François Mitterrand n’ont engagé de réforme constitutionnelle dans les deux dernières années de leur mandat.
Tenant compte de la réduction de la durée du mandat présidentiel de sept ans à cinq ans, l’amendement qui vous est proposé se limite à retirer cette faculté au Président de la République durant les six mois précédant l’expiration de son mandat. Je souligne qu’une durée de six mois représente 10 % d’un mandat de cinq ans. Les réformes constitutionnelles pourront donc être mises en œuvre pendant les neuf premiers semestres des dix que compte une législature ou un quinquennat : on ne peut pas voir là une restriction de la possibilité de réviser la Constitution. Il s’agit simplement de prendre acte de l’incongruité qu’il y a à engager un processus de révision constitutionnelle à l’approche de l’expiration d’un quinquennat, surtout quand celui-ci modifie l’équilibre même de nos institutions, comme le fait ce projet de loi.
Personne ici ne peut nier le caractère tardif de ce débat, inédit au regard de la pratique institutionnelle de la Ve République. C’est la raison pour laquelle je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement.
Si je vous ai bien entendu, le but est de rendre impossible toute révision constitutionnelle dans les six mois qui précèdent l’expiration du mandat présidentiel. Or l’amendement dit simplement que le Président de la République ne peut pas convoquer le Congrès dans cette période. Cela signifie a contrario qu’il peut choisir la voie du référendum pour réviser la Constitution.
Toute modification constitutionnelle deviendrait ainsi impossible.
Modifier aujourd’hui ce point serait dangereux, car cela reviendrait à obérer les pouvoirs du Président, et ce n’est pas ce que nous souhaitons.
La commission a donc repoussé cet amendement.
Évitez donc de globaliser : il ne s’agit pas d’empêcher le Gouvernement de gouverner, mais de rappeler qu’il existe une pratique coutumière, de réaffirmer la règle du jeu. Telle la signification de cet amendement n° 10, cosigné par plusieurs députés et que je soutiens.
Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement ne s’est pas donné le temps de la réflexion sur le texte, mais celui de sa cryogénisation. C’est un texte « Hibernatus », qu’on a passé au micro-ondes quelques semaines avant l’élection présidentielle pour tenter de nous le servir in extremis. (Sourires.)
Quelle que soit la majorité en place – car je m’adresse à mes collègues de la majorité et à ceux de l’opposition qui espèrent être un jour à nouveau dans la majorité (« Ça ne va pas tarder ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste) – il serait dangereux pour tout le monde, et donc pour la République, qu’une majorité finissante puisse, parce que la règle du jeu ne lui convient pas, en inscrire dans la Constitution une nouvelle. Il n’est pas bon qu’une majorité puisse tripatouiller au dernier moment la loi fondamentale. C’est le sens des propos que vient de tenir M. Goasguen et c’est la raison pour laquelle je soutiens l’amendement n° 10.
Cela est si vrai, mes chers collègues, que nous étions tous choqués voici quelques mois, alors qu’il ne s’agissait même pas de la loi fondamentale, de voir la majorité italienne de l’époque transformer le mode de scrutin quelques jours avant le vote des Italiens, nos amis européens. Il faut savoir sanctuariser certaines choses pour le respect du sens de la République et de notre loi fondamentale. Cela me semble de bon sens.
Enfin, monsieur le rapporteur, il ne s’agit pas d’interdire une modification constitutionnelle si elle s’imposait pour des raisons évidentes et fortes, comme l’adoption d’un traité international ou européen. Dans ce cas, comme le général en a montré l’exemple en recourant à l’article 11 de la Constitution – dont le champ devrait d’ailleurs, selon moi, être élargi –, il conviendrait de convoquer le peuple français : chapeau bas, chers collègues, devant la souveraineté nationale qui s’exprimera, réelle et directe ! La révision n’est donc pas impossible, mais son usage est maintenu dans les limites du raisonnable. Le but de notre Constitution et de nos institutions n’est-il précisément pas de veiller à ce que les élus soient raisonnables et à éviter des initiatives de fin de parcours qui ne seraient pas conformes à l’esprit de nos institutions ?
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 5.
La parole est à M. Claude Goasguen, pour le soutenir.
Il est plus singulier encore que cette méthode s’applique à la Constitution. Peut-on imaginer qu’on nous propose quatre ou cinq articles de l’acte fondamental comme un paquet dont il nous faudra bien nous arranger ? Cela est d’autant plus surprenant que la commission des lois, dans sa première consultation, avait distingué les deux articles. N’est-ce pas mon droit le plus absolu, dans notre démocratie, de pouvoir voter sur l’article 67 et non sur l’article 68, et de souscrire à l’un sans souscrire à l’autre ? Or ce texte m’oblige à voter un paquet global. Non, non et non !
L’amendement n° 5 vise donc à ce que nous puissions voter sur l’article 67, que certains députés souhaiteront voter sans adopter pour autant l’article 68. Si l’on nous obligeait à faire un choix difficile en nous prononçant sur l’ensemble, je voterais contre, car je n’admets ni cette procédure, ni le fond de l’article 68.
Je vous demande donc que nous revenions à la procédure normale, qui est de voter article par article, et non par paquets d’articles. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je comprends encore moins, monsieur Goasguen, que vous reprochiez à la commission des lois d’avoir réduit le texte du projet à un article unique, car ce n’est nullement le cas.
Il est ici question de l’immunité du Président de la République, laquelle, je le rappelle, prévoit l’irresponsabilité pour les actes liés à l’exercice des fonctions présidentielles et l’inviolabilité pour les autres actes.
C’est donc bien un ensemble cohérent que vous propose le Gouvernement, sur la base des travaux de la commission Avril.
S’il s’agit là d’une nouvelle procédure parlementaire que crée devant nous le garde des sceaux, elle est assez contestable sur le fond.
Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement n'est pas adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
(L'amendement est adopté.)
La parole est à M. André Vallini, pour soutenir l’amendement n° 9.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 9 ?
Je ne siégeais pas encore à l’époque dans cette assemblée, mais je me rappelle ce qu’un député – il siège encore puisqu’il s’agit de M. Montebourg – disait du chef de l’État lors de la mandature précédente. Pensez-vous raisonnablement, mes chers collègues, qu’il lui eût fallu 66,66 % des voix des deux assemblées pour déclencher la procédure de destitution et donc un procès politique majeur visant le Président de la République ? Voilà qui est déraisonnable !
Puisqu’il s’agit d’une loi organique, afin de rendre moins préjudiciable le dispositif en ne permettant pas à n’importe lequel d’entre nous de déclencher la procédure et de se faire ainsi de la publicité tout en intentant de façon irresponsable un procès politique au chef de l’État, il conviendrait d’imposer un nombre minimal de députés et de n’autoriser le recours à cette disposition qu’une fois par mandature.
L’esprit de cette procédure se rapproche finalement de l’impeachment américain.
Or, aux États-Unis, lorsqu’il y a eu une majorité pour voter la destitution, le Président a démissionné et, lorsque ce ne fut pas le cas – je pense à l’affaire qui a concerné Bill Clinton –, il n’a pas démissionné, ce qui n’a pas empêché ses opposants de lancer la procédure en vue de lui faire un procès politique sous des prétextes subalternes !
(L'amendement est adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
(L'amendement est adopté.)
(L'article unique, ainsi modifié, est adopté.)
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi constitutionnelle.
(L'ensemble du projet de loi constitutionnelle est adopté.)
Discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, n° 3462 :
Rapport, n° 3557, de M. Émile Blessig, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République,
Avis, n° 3556, de M. Laurent Wauquiez, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton