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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 30 janvier 2007

126e séance de la session ordinaire 2006-2007


PRÉSIDENCE DE M. RENÉ DOSIÈRE,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

modernisation de la diffusion audiovisuelle et télévision du futur

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, après déclaration d’urgence, relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur (nos 3460, 3604).

La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, en examinant et, je l’espère, en votant le projet de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre au nom du Gouvernement, vous préparez dès aujourd’hui l’arrivée en France de la télévision du futur.

Par ce texte, en effet, le Gouvernement vous invite à faire en sorte que la télévision entre totalement dans l’ère numérique et que ce soit une chance pour l’ensemble de nos concitoyens. Ce texte crée le cadre juridique permettant d’assurer dès mars 2008 le basculement de l’analogique vers le numérique, basculement qui s’achèvera au plus tard le 30 novembre 2011. Le projet fixe également les conditions du lancement, dès l’été prochain, de la télévision en haute définition et de la télévision mobile personnelle.

Ce projet répond à l’ambition du Président de la République de faire de la France l’un des pays les plus avancés dans le domaine du numérique, cela au bénéfice de tous. Il s’inscrit dans une série de rendez-vous tenus, qui étaient autant de défis technologiques que nous avons relevés avec grand succès : lancement de la télévision numérique terrestre, numérisation des archives de l’Institut national de l’audiovisuel, accès de celles-ci au plus grand nombre grâce à l’Internet – ina.fr –, mais aussi lancement de France 24, pour ne citer que ces exemples.

Ce texte – c’est très important – garantit que dix-huit chaînes gratuites dont les images et le son de qualité numérique pourront être reçues par 100 % des Français au plus tard le 30 novembre 2011. Il permet aussi de lancer, dès l’été 2007, la télévision mobile personnelle et la télévision haute définition en numérique hertzien terrestre. À partir de 2012, l’offre s’enrichira encore : les téléspectateurs pourront alors regarder au moins vingt chaînes gratuites au lieu de six aujourd’hui. Cette démultiplication de l’offre de chaînes contribue à la diversité des programmes et au pluralisme de la télévision.

Afin d’atteindre cet objectif, le projet de loi s’articule autour de quatre axes fondamentaux.

Tout d’abord, il prévoit que le basculement de l’analogique vers le numérique ne peut avoir lieu que si tous les Français peuvent avoir accès à la TNT et s’ils sont informés des conditions qui permettent ce changement.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le texte prévoit d’ailleurs que les chaînes dites historiques devront couvrir en numérique hertzien terrestre jusqu’à 95 % du territoire. En France, ce vecteur de diffusion n’est pas archaïque ; il est le mode privilégié de diffusion de la télévision, le plus simple et le moins coûteux, pour le plus grand nombre de nos concitoyens.

Ensuite, ce texte contribue au pluralisme de l’information, grâce aux nouvelles chaînes d’information gratuites accessibles aux téléspectateurs.

Troisièmement, le projet permet à la télévision publique de bénéficier des évolutions technologiques pour se développer, et de disposer de sa juste part sur les nouveaux vecteurs de diffusion. Oui, grâce au doublement du nombre de chaînes publiques accessibles gratuitement, l’offre de la télévision publique sera plus importante et plus diversifiée, ce qui la rendra plus forte et plus solide pour l’avenir.

Enfin, alors que la convention de l’UNESCO relative à la diversité des expressions culturelles et artistiques – dans laquelle notre pays a joué le rôle pionnier que vous savez – entrera en vigueur dès le 18 mars prochain, ce projet contribue de façon décisive à la diversité culturelle puisqu’il garantit que l’innovation technologique bénéficiera à la création audiovisuelle et cinématographique, qui est l’un des moteurs de l’emploi culturel et l’une des forces de notre rayonnement culturel dans le monde. L’exprimer ainsi donne tout son sens au fait d’être ministre de la culture et de la communication.

Je sais, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, que votre assemblée, éclairée par les travaux remarquables des deux commissions saisies, l’une au fond, l’autre pour avis – et je vous remercie de votre travail, messieurs les présidents et messieurs les rapporteurs –,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est nous qui vous remercions, monsieur le ministre !

M. le ministre de la culture et de la communication. …est pleinement consciente des enjeux fondamentaux qui se trouvent au cœur du texte. Et je tiens d’emblée à dire combien les propositions de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et celles de la commission des affaires économiques seront autant d’apports déterminants pour permettre à notre pays, à notre télévision, de réussir le passage à l’ère numérique.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci, monsieur le ministre !

M. le ministre de la culture et de la communication. La réussite spectaculaire de la télévision numérique terrestre a été rendue possible par les décisions courageuses du Gouvernement et du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Aussi, je tiens à rendre hommage ici, devant la représentation nationale, au rôle essentiel joué par cette autorité de régulation indépendante, et à la façon exemplaire dont elle remplit, et continuera, bien sûr, de remplir, les missions essentielles – d’intérêt général, donc au service de l’ensemble des auditeurs et des téléspectateurs – que lui a confiées la loi du 17 janvier 1989. Le succès de la TNT, en passe de devenir la « télévision numérique pour tous », témoigne de l’attente forte des Français vis-à-vis des programmes et des services permis par ces nouvelles technologies audiovisuelles.

Depuis le lancement de la TNT en mars 2005, pas moins de sept millions de foyers se sont déjà équipés d’un terminal de réception. La numérisation de la télévision passe aussi de façon massive par le câble, le satellite et l’ADSL. Les Français ne comprendraient pas qu’on ne leur permette pas de bénéficier d’une offre gratuite trois fois plus importante que celle dont ils disposent actuellement.

M. Frédéric Dutoit. La question n’est pas là !

M. le ministre de la culture et de la communication. Grâce à ce texte, notre pays sera ainsi prêt, comme nos principaux partenaires européens, à arrêter la diffusion analogique dès mars 2008, et à basculer en totalité dans l’ère numérique au plus tard en novembre 2011. Ce calendrier volontariste engage l’avenir. Il est aussi réaliste. Je précise que la chronologie proposée s’inscrit pleinement dans la démarche européenne d’extinction de l’analogique. Ainsi, les dates retenues par nos partenaires de l’Union européenne se situent entre 2007 et 2012. La France, qui a toujours su – et c’est toujours sa vocation – jouer un rôle pionnier dans ce domaine, ne saurait être en retard à ce rendez-vous qui est celui de la modernisation technologique.

C’est pourquoi, après un échange approfondi avec les deux assemblées, le Premier ministre a choisi la procédure d’urgence afin que cette nouvelle loi audiovisuelle puisse entrer en vigueur après que vous vous serez prononcés, dès les prochaines semaines. Cela permettra, à l'été 2007, d’offrir aux Français dix-huit chaînes gratuites par satellite, la télévision en haute définition, la télévision mobile personnelle, ainsi que les chaînes locales analogiques existantes par la télévision numérique terrestre. L’honneur du législateur, c’est de légiférer pour l’avenir ; c’est de permettre, sans attendre les choix de demain.

Il y a donc urgence : urgence technologique au profit des Français, qui recevront plus vite et mieux davantage de chaînes de télévision, chez eux comme en mobilité ; urgence technologique au service de la création et de la diversité culturelle ; urgence si l’on compte les emplois ainsi induits.

J’ajoute que, saisi par le Premier ministre des modalités d’extinction de la diffusion analogique par voie hertzienne terrestre, le Conseil d’État a considéré, lors de sa séance du 23 mai 2006, qu’il appartenait au législateur d’autoriser et d’organiser l’extinction anticipée des services de diffusion par voie analogique.

Aussi ce projet a-t-il été, dès le printemps 2006, précédé d’une large consultation qui a permis de recueillir l’avis de tous les professionnels sur le cadre législatif applicable à la télévision du futur. Le texte que je vous présente tient compte des équilibres et du large consensus résultant de cette consultation.

M. Christian Paul. C’est incroyable d’entendre cela !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce texte est donc un texte de modernisation positive de la diffusion télévisuelle. Le Sénat ne s’y est pas trompé en adoptant plusieurs amendements à l’unanimité, ce qui témoigne de la convergence des points de vue pour faire en sorte que ce projet bénéficie à l’ensemble des Français.

Vous me permettrez, au début de ce débat, de souhaiter que, sur ce sujet, nous parvenions vraiment à nous rassembler au-delà de nos divergences, parce qu’il s’agit tout simplement de servir l’intérêt général.

M. Christian Paul. Vous ne faites rien pour cela !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le basculement inéluctable de l’analogique vers le numérique ne peut avoir lieu que si les conditions pour qu’ils reçoivent la télévision numérique, tant en termes de couverture que d’équipement, sont réunies pour tous les Français. J’ai toujours affirmé qu’il s’agissait pour moi d’une priorité. Je me félicite que la commission des affaires culturelles et celle des affaires économiques proposent de renforcer les dispositifs prévus par le projet de loi. Je tiens à redire que la couverture satellitaire constituera un complément indispensable et nécessaire pour garantir à la totalité de la population métropolitaine la réception de la télévision numérique. Nous voulons que ce progrès technologique concerne l’ensemble de nos concitoyens.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je pense en particulier aux zones de montagne et aux zones qui, pour une raison ou pour une autre, sont moins faciles d’accès pour la réception terrestre.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien ! On pense enfin à la montagne !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le projet de loi suit une règle simple : il ne saurait y avoir et il n'y aura pas de laissés-pour-compte de la télévision numérique.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Christian Paul. Vous aviez déjà dit cela pour Internet et la téléphonie mobile ! Et pourtant...

M. le ministre de la culture et de la communication. Il s'agit bien, comme l'affirme à juste titre votre rapporteur pour avis, d'un enjeu d'aménagement du territoire et d’égalité réelle.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est essentiel !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je suis, comme lui, comme vous, sensible aux préoccupations du président de votre délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire sur ce point.

Comme le souligne votre rapporteur dans son rapport écrit, « tous les citoyens doivent pouvoir recevoir la télévision numérique ». Pour les plus démunis, ceux qui n'ont pas les moyens de s'équiper, un fonds d'aide sera créé. Il aura pour objectif une égalité tant sociale que géographique. En effet, l’aide sera modulée aussi en fonction du coût de l'équipement.

Dans certains territoires, comme les zones de montagne, seule l'offre satellitaire gratuite permettra, dans un premier temps, de recevoir la télévision numérique. Le fonds d'aide prendra en compte le fait que le coût d'une parabole est plus élevé que celui d'un simple adaptateur. Oui, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, il s’agit bien d’un texte d'équité, d’un texte juste.

M. Michel Françaix. Avec quel financement ?

M. le ministre de la culture et de la communication. L'information est une clef de la réussite du passage d'une technologie à une autre. Il est essentiel que, dès cette année, nos concitoyens qui achètent un poste de télévision soient systématiquement informés de l'équipement nécessaire à la réception de la TNT.

M. Michel Françaix. Il serait temps !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le projet de loi instaure une obligation légitime pour les industriels et les distributeurs d'équipement électronique grand public d'informer de façon détaillée et visible les consommateurs des capacités des récepteurs de télévision à recevoir la TNT. Une campagne nationale de communication sera lancée, afin que tous les Français soient précisément informés, dès cette année, sur le basculement de la télévision analogique à la télévision numérique. J'approuve la préoccupation de votre rapporteur sur ce point essentiel : nous serons très exigeants quant à ce dispositif d’information, car la loi doit représenter une chance… pour chacune et chacun de nos concitoyens. Il ne sera pas question de tomber sur une sorte de standard automatique sans jamais avoir d’interlocuteur : au bout du fil quelqu’un pourra répondre concrètement aux questions légitimes que pourront se poser nos concitoyens.

Toutes les conditions doivent être réunies pour faciliter la transition entre la télévision analogique et la télévision numérique le plus rapidement possible. Vos commissions des affaires culturelles et des affaires économiques ont proposé que, dès cette année, tous les téléviseurs vendus sur le territoire national intègrent un adaptateur permettant la réception des services de la télévision numérique terrestre. J’y suis attentif,...

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...de même qu’à leur proposition selon laquelle une information sur les modalités de réception de la télévision dans l'immeuble devrait être fournie par le bailleur au moment de la signature ou du renouvellement du contrat de location.

Ces avancées concrètes sont primordiales pour un grand nombre de Français. Elles ont été prises en compte, et c'est un progrès majeur pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Il n’y aura pas de France à deux vitesses : la volonté du Président de la République, du Premier ministre, du Gouvernement et de la majorité présidentielle est de faire en sorte que ces progrès concernent chacun de nos concitoyens, en veillant prioritairement à ceux pour lesquels les évolutions technologiques ne sont pas forcément les plus immédiatement compréhensibles.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Quelle belle ambition ! Voilà un vrai progrès !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le passage au numérique, qu'il s'agisse du basculement complet de la télévision analogique à la télévision numérique ou du lancement de la télévision mobile personnelle, permet de multiplier les sources d'informations et de garantir un meilleur pluralisme. Grâce au basculement complet vers le numérique, l'offre en matière d'information sera plus nombreuse et plus diversifiée.

Au-delà des effets de manche, des effets de tréteaux, en cette période de précampagne électorale,...

M. Didier Mathus. Vous en êtes un spécialiste !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...il serait paradoxal et incohérent de s'opposer au projet de loi au nom du pluralisme.

M. Christian Paul. Nous y voilà !

M. le ministre de la culture et de la communication. En effet, en plus de l'offre d'information des chaînes historiques, les téléspectateurs pourront désormais avoir accès à deux chaînes d'information en continu, ainsi qu'aux chaînes parlementaires, chaînes civiques qui ont pu, grâce à la TNT, multiplier leur audience, pour faire mieux connaître à l'ensemble des Français le travail et le rôle du Parlement. C'est un élément qui renforce notre démocratie. J’ajoute que le Conseil supérieur de l'audiovisuel tiendra compte, pour l'autorisation des services de télévision mobile personnelle, des offres en matière d'information.

M. Christian Paul. Le CSA est contre votre projet de loi !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le respect et le progrès du pluralisme permis par ce texte, c'est aussi, bien sûr – et je sais combien la représentation nationale y est attentive –, la place de la télévision publique. Elle sera confortée dans le nouveau paysage audiovisuel.

M. Frédéric Dutoit. C’est un gag ! De qui se moque-t-on ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Je suis, par mes fonctions et par mes convictions, le garant du service public et de son périmètre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) J'ai contribué à l’élargir, avec notamment la création de France 4 et de France Ô, sans compter la diffusion vingt-quatre heures sur vingt-quatre de France 5 et d'Arte. Tous ceux qui veulent nous donner des leçons sur ces sujets n’en auront jamais fait autant ! Ils n’auront jamais contribué à offrir autant de pluralisme à l’ensemble de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.– Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Christian Paul. Arte, c’est vous, bien sûr !

M. le ministre de la culture et de la communication. L'offre satellitaire gratuite permettra en outre aux Français de recevoir les éditions régionales de France 3,...

M. Jean Dionis du Séjour. C’est bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Un vrai progrès !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...ce qui n'était pas possible jusqu'à présent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous le savez, le service public ne dépend pas du cadre défini par ce projet de loi pour les appels à candidature que le CSA lancera pour la télévision du futur, mais les fréquences qui lui sont nécessaires sont directement préemptées par l'exécutif. J'ai ainsi annoncé que le Gouvernement préemptera pour le service public l'un des deux ou trois canaux qui seront disponibles, dès l'an prochain, pour la diffusion de chaînes gratuites en haute définition sur la TNT, et que cette préemption sera portée à deux canaux, dès qu'il sera possible de diffuser quatre chaînes gratuites en haute définition. Cette responsabilité de l’exécutif, je l’ai voulue et j’en suis fier, car je suis le garant du rayonnement de l’audiovisuel public ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Il importe que toutes les chaînes gratuites de la TNT puissent se développer et que le projet de loi crée les garanties pour leur avenir. À ce propos, le caractère homogène et cohérent de l'offre des chaînes est essentiel pour les téléspectateurs. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé par amendement un nouvel article, qui a été voté par le Sénat, afin de garantir la place des chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre dans l'offre des programmes. Cet article vise à renforcer le rôle du CSA en matière de régulation, en lui confiant le soin de veiller à ce que la numérotation des chaînes dans les offres de programmes soit équitable, transparente, non discriminatoire et homogène. Personne ne sera relégué. Il contribue donc à constituer des blocs cohérents et thématiques de chaînes.

Par ailleurs, je rappelle que l'offre satellitaire gratuite prévoit la numérotation logique des chaînes de la TNT.

Le projet de loi adopté par le Sénat organise également, dès aujourd'hui, le lancement de la télévision du futur.

Il s’agit d'abord de la télévision mobile personnelle, qui s'inscrit pleinement dans la révolution contemporaine des usages que nous sommes en train de vivre. Comme c'est notamment le cas en Corée du Sud et au Japon, la télévision mobile personnelle peut être reçue par des supports dédiés ou par des téléphones. Elle permettra d'offrir à nos concitoyens, par cette nouvelle forme d'accès, une vingtaine de chaînes de télévision. Cette révolution est comparable au passage de la TSF au transistor, qui a fait de la radio un média personnel et portable. Le texte ne préjuge évidemment pas le modèle économique dans ce domaine, puisqu’il y aura certainement de nombreuses évolutions. Cependant, il permet d'offrir aux Français aussi bien les chaînes qu'ils ont l'habitude de regarder, que d'autres programmes plus innovants, induits par ce mode nouveau de consommation nomade.

C'est aussi la télévision en haute définition, dans le contexte de l'équipement rapide des foyers en écrans plats, dont la taille s'accroît, puisque ceux-ci représentent désormais plus de la moitié des ventes de téléviseurs. Il s'agit de multiplier par quatre la définition des images transmises, ce qui sera particulièrement utile pour retransmettre les grands événements sportifs comme les programmes culturels ambitieux, qu'il s'agisse de cinéma ou d'audiovisuel. Là aussi, l'objectif est de pouvoir lancer ces services dès l'été prochain – dès le prochain Tour de France. Le processus de mise en place a déjà été engagé par le Gouvernement et par le CSA pour être prêt dès le vote de la loi.

L'enjeu, au-delà du progrès technologique, qui est un vecteur et non pas une fin en soi, est avant tout culturel. Il est essentiel que l'innovation technologique bénéficie à la création – je suis le ministre de la culture et de la communication !

M. Christian Paul. Quel chemin de Damas !

M. le ministre de la culture et de la communication. En raison du basculement au numérique à compter de 2008, le préjudice subi par les chaînes, dont les autorisations leur confèrent le droit de diffuser en mode analogique, jusqu'à 2012 pour TF1 et M6, et 2010 pour Canal Plus, leur donne droit en compensation à une chaîne supplémentaire à l'arrêt de l'analogique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce choix est un choix réfléchi.

M. Didier Mathus. Et scélérat !

M. Christian Paul. Illusion !

M. Frédéric Dutoit. Un gros cadeau à vos amis !

M. le ministre de la culture et de la communication. Que n'aurait-on dit si l'État avait fait celui d'une indemnisation financière ! Les chaînes compensatoires qui seront diffusées une fois que les chaînes auront éteint leur diffusion analogique seront assujetties, selon l'expression que propose votre commission des affaires culturelles et à laquelle je souscris pleinement, à des «obligations particulières de soutien à la création » audiovisuelle et cinématographique. Mesdames et messieurs les députés de la majorité présidentielle, ce que vous allez décider, la gauche en 2000 ne l’avait pas fait. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Françaix. Heureusement ! Et on défera !

M. le ministre de la culture et de la communication. Les chaînes supplémentaires qui avaient été affectées n’avaient pas donné la moindre contrepartie en termes de création audiovisuelle et cinématographique. Je demande aux donneurs de leçons d’avoir un peu de mémoire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Didier Mathus. Renaud Donnedieu de Vabres : le spécialiste du mieux-disant culturel !

M. le ministre de la culture et de la communication. Au-delà de l’audiovisuel public, je tiens à rappeler que la création audiovisuelle et cinématographique est aujourd'hui intégralement financée par les trois chaînes privées historiques, qui ont investi en 2005 plus de 485 millions d'euros,...

M. Michel Françaix. Avec ce que leur rapporte la publicité, c’est la moindre des choses !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...alors que les nouveaux entrants de la télévision numérique terrestre consacrent, dans leur ensemble, moins de 16 millions d'euros au financement de la production française. J’espère que ce n’est qu’une étape et que, progressivement, la diversité s’enrichira.

L'extinction de la diffusion analogique ne peut se traduire en France par une réduction de la part consacrée à la production. C'est une question de diversité culturelle. C'est aussi une question d'emplois dans ce secteur emblématique de notre rayonnement et de notre créativité culturels et artistiques dans le monde.

Ensuite, le Conseil supérieur de l'audiovisuel tiendra compte, pour l'autorisation des services de télévision mobile personnelle, de leurs engagements en matière de production et de diffusion d'œuvres audiovisuelles et cinématographiques, ainsi que de l'offre de programmes dont les formats sont les plus adaptés à la télévision mobile personnelle. Par ailleurs, la télévision mobile comme la télévision en haute définition participeront au financement de la création audiovisuelle et cinématographique par une majoration de la taxe acquittée par les chaînes de télévision, et affectée au compte de soutien à l'industrie des programmes, le COSIP. Haute définition, télévision mobile personnelle : autant de renforcements du soutien à la création, qui montrent bien le lien entre audiovisuel et création.

Enfin, l'une des clefs de la vitalité de notre production cinématographique et audiovisuelle réside dans le soutien qui lui est apporté par le fonds de soutien du Centre national de la cinématographie. Celui-ci repose sur un principe fondamental : financer la production d'œuvres françaises ou européennes à valeur artistique, culturelle et patrimoniale, grâce à une contribution assise sur une assiette large incluant des programmes de tous genres et de toutes nationalités. En contrepartie de cette contribution à la production, les recettes perçues auprès des spectateurs ou téléspectateurs sont soumises à des taux réduits de TVA.

L'accès à des programmes attractifs, notamment des films ainsi que des dessins animés et des documentaires, constitue et sera de plus en plus un motif essentiel pour souscrire à une offre par satellite, par câble, ou par Internet. C'est l'une des raisons pour lesquelles les distributeurs de services numériques, et notamment les fournisseurs d'accès à Internet, développent fortement leur activité et leur chiffre d'affaires. Or les plates-formes satellitaires, câblo-opérateurs et fournisseurs d'accès à Internet ne sont pas actuellement soumis à une contribution à la production.

La réforme proposée par votre commission des affaires culturelles consiste donc à étendre la contribution au fonds de soutien, qui ne porterait pas sur les activités de réseau, mais uniquement sur la distribution des services de télévision. Les distributeurs pourront donc bénéficier du taux de TVA réduit. Ils aideront ce nouveau secteur porteur d'avenir à se développer, ils assureront son alimentation en œuvres européennes adaptées et ils y prendront part pleinement en bénéficiant du compte de soutien.

Affirmer, mesdames et messieurs les députés, que la réforme serait un nouvel « impôt Internet » qui serait payé par les consommateurs est tout simplement de la désinformation. Il n’est pas question, comme je l’ai souligné cet après-midi lors de la séance des questions au Gouvernement, d’une taxe sur les internautes. Vous allez être assaillis de messages à ce propos, vous pourrez leur répondre cela rapidement. Ceux qui évoquent un impôt oublient par ailleurs de mentionner qu'ils bénéficient d'un taux réduit de TVA. Si la TVA passait d'un taux réduit à un taux plein, le coût serait supporté par les consommateurs, qui auraient à payer un abonnement à Internet beaucoup plus cher. Il est donc essentiel de préserver le taux réduit, en l'assortissant d'une contrepartie légitime en faveur de la création audiovisuelle et cinématographique française à la charge des distributeurs, et non des consommateurs. C’est très important. C'est le sens de la réforme proposée.

J'ajoute que la nouvelle assiette de cette contribution au compte de soutien, car il s'agit bien d'une nouvelle assiette et non d'une nouvelle taxe, respecte totalement le principe d'équité et de non-discrimination entre diffuseur et distributeur de programmes de télévision et je salue particulièrement le travail accompli par votre commission des affaires culturelles sur ce sujet.

M. Dominique Richard. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. La création audiovisuelle et cinématographique française n'existe que grâce à un système de financement spécifique organisé par l'État. Sans cette réglementation appropriée, il n'y aurait purement et simplement plus de création audiovisuelle et cinématographique en France. C'est la raison pour laquelle il est vital d'adapter ce modèle à l'ère numérique, de contribuer au financement des œuvres multimédia notamment. Ne pas agir dès aujourd'hui serait paradoxal, alors que notre modèle est une référence pour tous les pays qui veulent préserver la diversité culturelle, et qu'il vient d'être validé par la Commission européenne pour les supports traditionnels.

La diversité culturelle sera ainsi renforcée par le projet de loi pour les auteurs et pour tous ceux qui contribuent à la création et à la production des œuvres. Ces dispositions s'inscrivent dans le droit fil de l'ensemble de ma politique au service de cette diversité, et je pense notamment aux crédits d'impôt qui ont permis la relocalisation des tournages dans notre pays et un soutien fort à l’emploi.

Je souhaite ainsi que le crédit d'impôt en faveur de la création de jeu vidéo, qui vous est proposé par le président et le rapporteur pour avis de votre commission des affaires économiques, puisse être adopté pour soutenir cette nouvelle forme de création culturelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci, monsieur le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le texte que je vous soumets permettra à 100 % des Français d'avoir accès à la télévision numérique.

M. Michel Herbillon. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il leur apportera une offre d'information plus importante et un plus grand pluralisme. Il apportera enfin de nouvelles ressources pour notre création audiovisuelle et cinématographique à l'heure du numérique.

Je compte sur notre débat, sur vos travaux, sur votre vote, pour nous permettre de tenir ces engagements ; il y va non seulement de la diversité culturelle, ô combien essentielle dans le monde d'aujourd'hui, mais aussi de notre cohésion sociale, d'un meilleur fonctionnement de notre démocratie et de la place de la France au sein de la société de l'information, dans l'ère numérique où nous vivons désormais. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Hamelin, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, déposé le 30 juin 2006 devant le Sénat et examiné par lui du 20 au 22 novembre dernier, crée le cadre juridique pour assurer le basculement complet de l'analogique vers le numérique avant le 30 novembre 2011 et fixe les conditions du développement de la télévision en haute définition et de la télévision mobile personnelle.

Ce projet de loi s'inscrit dans le cadre de l'objectif fixé par le Président de la République : faire de la France un « pays leader » dans le domaine des technologies de la communication – haute définition, ADSL et, demain, très haut débit, téléphonie de troisième génération et télévision mobile personnelle – au bénéfice bien sûr de l'ensemble de nos concitoyens.

Ces problématiques concernent de nombreux acteurs, venant à la fois du secteur de la culture, de l'audiovisuel, des télécommunications ou de l'industrie des nouvelles technologies.

Le projet de loi est, dans l'ensemble de ces secteurs, très attendu et fait globalement consensus. J'ai pu le constater au cours des cinquante-quatre auditions que j'ai conduites conjointement avec le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, M. Frédéric Soulier, et qui ont été ouvertes à l'ensemble des membres des deux commissions. Ces auditions nous ont permis de recevoir plus de cent trente personnes, qui, toutes, ont souligné l'importance de ce projet de loi pour l'avenir de l'audiovisuel et le développement des nouvelles technologies dans notre pays.

Le projet de loi comporte trois enjeux principaux : un enjeu démocratique, lié à l'extension de la télévision numérique terrestre et à l'extinction de la diffusion analogique, un enjeu culturel et, enfin, un enjeu industriel.

L'enjeu démocratique tout d'abord.

Comme l'a rappelé le ministre de la culture et de la communication devant la commission, le basculement inéluctable de l'analogique vers le numérique ne peut avoir lieu que si, pour chacun des Français, les conditions, c'est-à-dire tant la couverture que l'équipement, sont réunies pour qu'il reçoive la télévision numérique terrestre.

Je rappelle que, vingt-deux mois après son lancement, la télévision numérique terrestre est déjà un formidable succès. Il convient de poursuivre sur cette lancée. Entre mars 2005 et janvier 2007, ce sont en effet près de 7 millions de récepteurs TNT qui ont été vendus ou mis à la disposition des foyers français, ce qui porte à près de 20 % les foyers français qui peuvent recevoir les chaînes de la TNT en janvier 2007.

J'insiste sur ce point : tout doit être fait pour qu'il n'y ait pas de fracture numérique entre des citoyens qui n'ont pas les mêmes revenus. Tous les citoyens doivent pouvoir recevoir la télévision numérique. Cette exigence légitime impliquera un soutien financier modulé au bénéfice des téléspectateurs les moins aisés.

L'enjeu culturel ensuite.

Le passage au numérique sous toutes ses formes doit préserver les grands équilibres économiques du monde de l'audiovisuel. La télévision numérique terrestre, la télévision en haute définition et la télévision mobile personnelle doivent en particulier participer au développement de la création audiovisuelle et de la création cinématographique. C'est l'objectif des dispositions prévues initialement par le projet de loi, notamment de la majoration de la taxe affectée au compte de soutien à l'industrie des programmes, acquittée par les chaînes de télévision et assise sur leurs recettes publicitaires pour les services en télévision mobile personnelle et en télévision haute définition.

Ces dispositions ont été largement améliorées par le Sénat et je compte également faire des propositions en ce sens. Je plaide notamment, comme mon collègue Dominique Richard, pour une réforme ambitieuse du compte de soutien qui prenne mieux en compte les nouveaux acteurs du secteur, que sont notamment les fournisseurs d'accès à internet.

M. Dominique Richard. Très bien !

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur. Je rappelle par ailleurs que le développement des offres de programmes produits en haute définition représente l'un des nouveaux terrains de mobilisation pour le maintien de la diversité culturelle. Je suis d’ailleurs frappé de constater que les offres de programmes documentaires en haute définition tendent aujourd'hui uniquement à se concentrer autour des acteurs américains que sont Discovery et National Geographic. La France doit retrouver un rôle moteur dans ce secteur.

Un enjeu industriel enfin : le projet de loi apporte le cadre juridique nécessaire au développement de nouveaux services de télévision en haute définition et de services en télévision mobile personnelle. Cette dernière permettra demain au spectateur, où qu'il se trouve, de regarder la télévision sur son téléphone ou sur tout autre terminal de poche. Les perspectives commerciales et industrielles sont encourageantes : la télévision mobile pourrait générer en Europe un marché de plus d'un milliard d'euros de revenus dès 2010. La France doit pouvoir, elle aussi, développer ses capacités techniques et créatives dans ce secteur.

Parallèlement, dans le domaine de la télévision en haute définition, les industriels européens sont bien positionnés pour profiter du nécessaire renouvellement de la chaîne de fabrication des contenus.

J'en viens maintenant au très bon travail réalisé par le Sénat sur le projet de loi.

Le projet de loi initial comportait dix-huit articles. Au terme de la lecture au Sénat, il en comporte vingt-neuf.

Le Sénat a effectué un premier travail de clarification et d'amélioration du texte.

Il crée une « commission du dividende numérique », comprenant des parlementaires et chargée de veiller à la réaffectation des fréquences libérées par l'arrêt de la diffusion analogique, après transfert des services existants en numérique.

Il ouvre la possibilité d'une diffusion intégrale et simultanée en analogique et en numérique dans des conditions simplifiées pour les télévisions locales, que nous devons aider.

Il augmente la couverture de la TNT à 95 % du territoire.

Il oblige tous les éditeurs de chaînes de la TNT à mettre leur offre en commun à disposition d'un distributeur de services par voie satellitaire.

Il conditionne l'attribution d'un canal compensatoire aux éditeurs historiques à des engagements particuliers en matière de diffusion et de production cinématographique et audiovisuelle d'expression originale française et européenne.

M. Christian Paul. Quelle arnaque !

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur. Il prévoit que ces nouvelles chaînes ne pourront commencer à émettre qu'à compter du 31 novembre 2011.

M. Michel Françaix. Si tout va bien !

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur. Il oblige les industriels et les distributeurs d'équipement électronique grand public à informer de façon détaillée et visible les consommateurs sur les capacités des récepteurs de télévision à recevoir des signaux numériques, notamment en haute définition. Il prévoit également une campagne nationale de communication pour l'information des consommateurs sur les conséquences de l'extinction de la diffusion analogique.

Il supprime la priorité accordée aux chaînes de la TNT en télévision mobile personnelle.

Il prévoit qu'en cas de diffusion d'événements d'importance majeure aucun contrat d'exclusivité ne puisse faire obstacle à la reprise intégrale et simultanée du service sur un autre réseau de communications électroniques.

Il définit dans la loi la notion d'œuvre audiovisuelle, en précisant que la contribution des éditeurs de services au COSIP doit comporter une « part significative » dans la production d'œuvres de fiction, d'animation, de documentaires de création et de captation ou de recréation de spectacles vivants.

Enfin, il confie au CSA un pouvoir de régulation en matière de numérotation des chaînes, et plus largement la mission de veiller au caractère « équitable et homogène » de l'exposition des services de télévision sur les offres des distributeurs.

Avant de faire état des améliorations que notre commission propose de ce texte, je tenais à souligner, comme vous l’avez fait tout à l’heure, monsieur le ministre, le rôle majeur du CSA dans la mise en œuvre, d'une part, de la modernisation de la diffusion audiovisuelle et, d'autre part, de la télévision du futur. Dans ce cadre, je m'inquiète de l'absence de réévaluation des moyens financiers et humains de cette autorité indépendante.

Les missions du CSA sont nombreuses et croissantes depuis quelques années. Notre collègue Patrice Martin-Lalande le souligne très régulièrement dans ses rapports budgétaires sur la mission « Médias ». Il existe un décalage très fort entre les attentes, grandissantes, à l'égard du CSA et la réalité, contrainte, de ses moyens budgétaires. « Cette année encore, des doutes pèsent sur la capacité du CSA à accomplir l'ensemble de ses missions avec les crédits de fonctionnement dont il dispose » rappelait encore cette année M. Martin-Lalande dans son rapport spécial. Ainsi, les dotations du CSA seront passées de 30,38 millions d'euros en 1992 à 33,94 millions d'euros en 2007, soit une progression de 11,7 % en euros courants, ce qui correspond en fait à une baisse de près de 15 % en euros constants !

Ce décalage entre missions croissantes et moyens stagnants risque de s'aggraver à l'occasion de l'adoption du présent projet de loi, qui développe encore le rôle de cette autorité indépendante. Il serait sans doute opportun, monsieur le ministre, d'ajuster en conséquence les moyens humains et financiers dont dispose cette autorité indépendante, afin qu'elle puisse remplir pleinement et efficacement son rôle.

J'en viens aux propositions adoptées par la commission des affaires culturelles.

Les amendements adoptés par notre commission, dont certains l'ont été de façon très unanime, visent principalement à mieux distinguer les décisions que le Premier ministre sera amené à prendre dans le cadre, d'une part, de la réutilisation du dividende numérique, à laquelle sera associée la représentation nationale et, d'autre part, du schéma national d'arrêt de la diffusion analogique, décisions qui répondent à des calendriers distincts.

Un amendement renverra au Conseil supérieur de l'audiovisuel le soin de planifier le calendrier et les modalités selon lesquels les éditeurs de services de télévision analogique nationaux en clair devront couvrir, en numérique, 95 % de la population française.

Je préciserai que c'est bien l'ensemble des programmes de toutes les chaînes de la TNT qui devra être accessible sur une même offre par satellite.

Je tiens par ailleurs à lever une ambiguïté en permettant à tout type d'opérateur satellitaire de mettre en place cette offre, en ne la limitant pas aux seuls distributeurs de services actuellement existants.

Je vous proposerai de clarifier le dispositif qui permettra au bouquet satellitaire d'assurer la réception de l'ensemble des programmes régionaux de France 3.

Un amendement vise également à préciser clairement que les chaînes compensatoires auront des engagements plus importants dans le domaine de la production et de la diffusion d'œuvres que les chaînes actuellement autorisées.

Dans le domaine du « service antenne » assuré par les câblo-opérateurs, la commission a décidé d'instaurer une obligation d'information en assemblée générale de co-propriété, une obligation d'information des propriétaires par les syndics et une obligation pour les propriétaires d'informer leurs locataires sur ce sujet.

Nous avons également tenu à prévoir que tous les téléviseurs commercialisés douze mois après la promulgation de la loi soient compatibles avec la réception de la télévision numérique terrestre.

Je veux aussi encourager, par la création d'une labellisation spécifique, la réception sur les terminaux de la télévision mobile personnelle des services gratuits de radio numérique qui seront diffusés selon une norme différente de celle retenue pour la télévision mobile personnelle.

S'agissant du débat autour des « écrans noirs », un amendement vise à préciser qu'un service de télévision qui est diffusé en télévision hertzienne « classique » ne peut se voir opposer des droits d'exclusivité qui feraient obstacle à sa diffusion simultanée, en intégralité et sans changement, en télévision mobile personnelle, quel que soit l'opérateur du réseau de TMP.

S’agissant de la définition de l’œuvre, la commission a décidé d’intégrer les vidéo-musiques dans le sous-quota des œuvres définies comme patrimoniales par le législateur.

Enfin, sur proposition conjointe de Dominique Richard et de moi-même, la commission a décidé de refondre le calcul de la taxe affectée au COSIP en la répartissant entre éditeurs et distributeurs de services de télévision, ce qui permettra notamment de faire participer les fournisseurs d’accès à Internet au développement de la création dans notre pays.

Ce texte constitue une base solide pour le développement de la télévision et des services audiovisuels dans notre pays. Il est d’une importance capitale pour l’avenir du secteur. La commission des affaires culturelles, familiales et sociales vous invite, en conséquence, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi avec enthousiasme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. C’est un grand plaisir pour moi, monsieur le ministre, de rapporter l’avis de la commission des affaires économiques sur ce projet de loi, car celui-ci est d’une grande importance pour notre pays : d’une part, il concerne une technologie d’avenir, la diffusion hertzienne en mode numérique ; d’autre part, il touche, avec la télévision, à un élément essentiel de la vie quotidienne de nos concitoyens.

Le basculement, d’ici au 30 novembre 2011, vers la télévision numérique terrestre concerne l’ensemble des Français. Conformément au souhait exprimé par le Président de la République lors de l’installation du Comité stratégique pour le numérique, tous les moyens, et notamment une plate-forme satellitaire, doivent être mis en œuvre pour que l’ensemble de la population puisse y accéder.

La télévision à haute définition et la télévision mobile personnelle s’inscrivent dans des perspectives de déploiement moins immédiates, puisqu’elles dépendent notamment de la réutilisation des fréquences analogiques qui seront libérées par l’extinction de la télévision analogique, mais nul doute qu’elles sont appelées, elles aussi, à se développer dans les usages. La découverte par le consommateur du confort visuel procuré par la haute définition rehaussera son degré d’exigence vis-à-vis de la qualité de diffusion et incitera toutes les chaînes à s’aligner sur la haute définition. La télévision mobile personnelle, de son côté, finira par occuper dans la vie quotidienne une place équivalant à celle du transistor pour l’écoute de la radio. Elle permettra de suivre un programme malgré les déplacements et les changements de lieux. Typiquement, une émission dont le début sera regardé à la maison, sur un téléviseur, pourra continuer à être suivie sur les sièges arrière d’une voiture en écran mobile.

Ce projet de loi est donc l’annonciateur de deux vagues d’innovation technologique qui, l’une après l’autre, doivent finir par toucher tous les Français. Mais justement, c’est vis-à-vis de cette généralisation à tout le pays qu’il nous faut être vigilant pour assurer véritablement la réussite de cette révolution technologique.

Toucher tous les Français, cela veut dire d’abord toucher toutes les générations de Français, et je voudrais souligner combien une action de soutien envers les personnes âgées est essentielle au succès de la TNT. En effet, les personnes âgées constituent une population à la fois très consommatrice de services de télévision et peu disposée aux opérations pratiques de mise à niveau de ses équipements.

Il faut absolument que les éléments de langage des structures de pilotage du basculement à la télévision numérique, le schéma national d’arrêt de la diffusion analogique et de basculement vers le numérique, le groupe d’intérêt économique chargé de mettre en œuvre les mesures d’accompagnement et le fonds d’aide pour l’acquisition d’équipements de réception réservent une attention particulière à nos aînés.

Mais je voudrais souligner surtout la nécessité de faire en sorte que ces nouvelles vagues de la révolution technologique ne créent pas, une nouvelle fois, des laissés-pour-compte dans les territoires ruraux.

Dans le passé, les différentes chaînes de la télévision analogique ont mis bien du temps pour atteindre les campagnes. Plus récemment, il a fallu soutenir une bataille volontariste pour que la téléphonie mobile et l’Internet à haut débit puissent être accessibles dans les zones géographiques peu denses. La fracture du haut débit s’est réduite grâce à des initiatives et dispositifs juridiques spécifiques et une mise à contribution des collectivités territoriales. Je saluerai l’exemple réussi du conseil général de la Corrèze pour la couverture de ses zones blanches. (Sourires.)

M. Jean Dionis du Séjour. Excellent !

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. C’est un bel exemple, et il fallait le souligner !

Cette fois-ci, les territoires ruraux doivent être, dès le début, au cœur du projet de déploiement de la télévision numérique terrestre.

M. Christian Paul. C’est raté !

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. C’est pourquoi notre commission, son président Patrick Ollier en tête, défend l’idée qu’un objectif de couverture de la population à 100 % doit être poursuivi,…

M. Christian Paul. Pour la téléphonie mobile peut-être !

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. …et a souhaité l’inscrire dans un article de la loi du 30 septembre 1986.

Pour cette couverture à 100 %, tous les moyens disponibles doivent être utilisés. La diffusion hertzienne terrestre restera le moyen principal. À cet égard, le Sénat a assigné aux chaînes historiques en clair un objectif de couverture nationale d’au moins 95 %. La voie satellitaire assurera un complément utile dans toutes les zones où les habitants sont déjà équipés de parabole.

Mais il serait dommage de ne pas recourir à toutes les autres solutions techniques disponibles, et notamment à la distribution par voie filaire. C’est pourquoi notre commission a voulu tenir compte de l’expérience menée par certaines collectivités territoriales, pour compenser l’absence d’offres de raccordement à l’Internet à haut débit sur leur territoire, grâce aux conditions définies par l’article L.1425-1 du code général des collectivités territoriales, en créant un service public local de communications électroniques.

L’initiative de la commission repose donc sur la reconnaissance de ce canal pour diffuser la TNT en complément des voies hertziennes et satellitaires. Il est tout à fait souhaitable que, dans ce cadre juridique bien circonscrit, la technologie dite du triple way, qui permet de fournir un service de télévision sur la base d’une connexion à débit suffisant, puisse être utilisée, si elle est disponible, pour fournir un accès aux chaînes en clair de la TNT.

La levée de tout obstacle juridique à ce mode de distribution paraît d’autant plus nécessaire que les zones enclavées vis-à-vis du raccordement à l’Internet à haut débit sont souvent aussi, du fait des obstacles géographiques, des zones difficiles à desservir par voie hertzienne terrestre. Il importe donc que les opérateurs amenés à desservir les populations dans le cadre des services publics locaux de communications électroniques ne puissent se voir opposer un refus de reprise de leurs services par les chaînes hertziennes en clair.

Dans sa volonté de veiller à ce que la révolution de la télévision numérique profite pleinement aux populations des territoires ruraux, notre commission a pris également position sur le terrain de la reprise des déclinaisons régionales de France 3. Les informations régionales contribuent en effet fortement à la consolidation des solidarités locales et à la vie du territoire, en servant notamment de repère fort. C’est une forme de service public local qui doit profiter de tout progrès technologique lorsque c’est possible.

La plate-forme satellitaire, spécialement mise en place pour assurer un complément de couverture à la TNT, doit donc être utilisée pour assurer une diffusion sur toute la France de l’ensemble des vingt-quatre déclinaisons régionales de France 3.

De ce point de vue, notre ambition nous porte plus loin que ce qu’a permis le dispositif adopté par le Sénat à l’article 5 ter, qui garantit la mise en œuvre de moyens techniques et financiers nécessaires pour une diffusion uniquement dans « chaque zone concernée ».

Par ailleurs, l’importance des émissions régionales pour les populations rurales justifie que l’on étende les possibilités d’accès aux déclinaisons régionales de France 3 en élargissant à leur profit les diverses possibilités de reprise sur les plates-formes disponibles.

À cet égard, notre commission a adopté un amendement ouvrant la voie à une négociation avec les différents distributeurs, et notamment avec CanalSat. Ce dispositif complète le mécanisme de transport obligatoire – must carry – institué dans la loi de 1986, qui restera réservé aux huit chaînes publiques nationales.

La révolution technologique portée par ce projet de loi profite effectivement au monde des campagnes et milite enfin pour que soit réservée une place aux télévisions locales.

M. Michel Françaix. Il y a du boulot !

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. À la différence de nos voisins européens, notre pays connaît en effet, en matière de télévisions locales, un retard important.

M. Michel Françaix. On ne va quand même pas s’en vanter !

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. En France, vingt-cinq chaînes locales hertziennes sont aujourd’hui autorisées, contre près d’un millier en Espagne, 600 en Grande-Bretagne ou en Italie. Or, si l’article 5 du projet de loi prévoit, pour les chaînes locales hertziennes analogiques, la possibilité d’exercer un droit de diffusion intégrale et simultanée en mode numérique, il ne garantit aucune reprise en réception mobile. Permettre aux services de télévision locaux d’être présents sur ce nouveau mode de réception, c’est pourtant offrir à la télévision de proximité une nouvelle possibilité de combler une partie de son retard.

M. Michel Françaix. Alors, il faut voter contre le texte !

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. Le recours à une diffusion en TMP des services de télévision locaux permet de mettre en place des services de proximité susceptibles de répondre à de nombreuses attentes.

En effet, la mobilité va de pair avec la proximité et l’association des deux peut donner naissance à des services novateurs pour l’information pratique et le service, la production d’émissions concourant au renforcement du lien social ou au désenclavement de certaines zones rurales.

Cela peut être aussi un outil d’alerte en cas de risque – alertes météo, catastrophes naturelles, plan d’urgence de santé publique, disparition de personnes –, particulièrement utile dans les territoires faiblement peuplés où l’information circule moins aisément qu’en zone urbaine dense.

Dans le rôle du renforcement du lien social ou du désenclavement des zones rurales, souvent dévolu d’ailleurs aux collectivités territoriales, celles-ci peuvent porter des expérimentations de chaîne de télévision de proximité dont l’un des vecteurs de diffusion est justement la télévision mobile personnelle.

En conclusion, monsieur le ministre, je voudrais souligner combien ce projet de loi marque le besoin d’un rapprochement des deux mondes de l’audiovisuel et des télécommunications. À la faveur des progrès des technologies numériques, ces deux mondes, qui autrefois fonctionnaient chacun dans leur sphère propre, découvrent en effet qu’ils doivent travailler ensemble. Les opérateurs de communications électroniques ont besoin des contenus audiovisuels pour valoriser leur offre. Les producteurs de l’audiovisuel ont besoin des supports nouveaux de communications électroniques pour élargir leurs perspectives commerciales. Ce projet de loi est l’occasion, pour la première fois, d’approfondir cette découverte réciproque qui les touche simultanément dans leurs intérêts respectifs.

Le dialogue s’est effectué dans un climat serein. De ce point de vue, il convient de saluer le travail des deux rapporteurs du Sénat, Louis de Broissia et Bruno Retailleau, qui ont su désamorcer toutes les tensions que pouvait susciter ce projet de loi, notamment autour de l’article 10 relatif au « multiplex » de la télévision mobile personnelle.

M. Christian Paul. Il n’y a donc plus de problèmes !

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. À notre tour, avec Emmanuel Hamelin, nous nous sommes retrouvés sur des points clefs, comme l’absolue nécessité de donner une impulsion forte à la norme MPEG4. Il est important, à mes yeux, que cette norme soit promue par les pouvoirs publics pour que tous les téléspectateurs puissent progressivement recevoir tous les programmes de la TNT, y compris en haute définition.

L’examen de ce projet de loi est donc, prenons-en conscience, l’occasion d’une double réconciliation : non seulement celle des territoires ruraux avec les nouvelles technologies, mais aussi celle des professionnels des télécommunications avec ceux de l’audiovisuel.

Je reste convaincu, après une quarantaine d’heures d’audition, que cette double occasion de progrès permet de convertir en succès, en ce début de XXIe siècle, la mise des technologies numériques au service de tous les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Christian Paul, pour une durée ne pouvant excéder trente minutes.

M. Christian Paul. Organiser la télévision du futur, c’était l’ambition de ce texte.

M. Christian Kert. Ça l’est toujours !

M. Christian Paul. Je cite rarement Bill Gates dans cet hémicycle,…

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. C’est un grand ami de Gérard Collomb, le maire de Lyon !

M. Christian Paul. …mais, puisque Nicolas Sarkozy cite Jaurès, je peux pratiquer le contre-pied, pour ne pas dire le contre-emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Herbillon. Vous citez Bill Gates parce que vous n’osez plus citer Jaurès !

M. Christian Paul. « La télévision que nous connaissons aujourd’hui nous fera bien rire dans cinq ans » a déclaré, à Davos, le prophète de Microsoft, augurant ainsi de la formidable mutation en cours dans l’audiovisuel. Et cette fois, il n’avait pas tort !

Dans ce projet, comme dans d’autres avant celui-ci, le Gouvernement, lui, démontre que le lyrisme technologique que vous revendiquez si fort, monsieur le ministre, peut se doubler d’une vision politique archaïque et contestable.

Accompagner le passage de la France aux technologies numériques aurait pu constituer une très belle aventure industrielle et culturelle. Mais les choix qui nous sont proposés recèlent de telles erreurs d’appréciation et, disons-le tout net, un tel déficit d’avenir qu’il nous sera difficile de ne pas exprimer une opposition déterminée à ce texte. En effet, sous le vernis de la technique, se dissimulent les choix très politiques de la télévision du passé.

Loin de donner le signal d’une nouvelle diversité audiovisuelle, loin de pérenniser sérieusement le financement de la création et de tracer les contours de ce que pourrait être la télévision du futur – télévision qui sera à la demande, bien moins verticale et linéaire, et beaucoup plus déconcentrée – votre texte promeut au contraire des avancées purement technologiques. Il manque ici à nouveau au premier devoir du politique : éclairer l’avenir.

La télévision du futur doit être comprise, anticipée et préparée. La télé que vous défendez doit être zappée dès le générique d’ouverture. C’est bien le but de l’exception d’irrecevabilité que je défends ce soir au nom du groupe socialiste.

Il serait aisé de faire porter la critique sur la procédure d’urgence. Plusieurs des sujets que nous allons aborder auraient mérité – je le dis sincèrement – d’être évoqués bien plus tôt au cours de la législature. Souvent, quand des choix de société à mûrir longuement s’additionnent à des débats techniques complexes, vous faites le choix de l’urgence. Chacun ici a en mémoire un redoutable précédent : la discussion du projet de loi sur les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information. Vous aviez alors décrété, avec votre majorité, que les plates-formes de vente en ligne de musique verrouillées allaient sauver la musique. Un an plus tard, nous savons que la réalité a dépassé une conception aussi étroite de l’accès à la culture. Le modèle unique et la pensée unique mènent toujours à la même impasse.

À ne regarder que la défense à court terme des modèles dominants, vous faites l’impasse sur les usages qui émergent dans le domaine de l’image, en particulier sur l’Internet, et vous accordez aux chaînes de télévision traditionnelles une sécurité bien illusoire, fussent-elles passées au numérique.

M. Frédéric Dutoit. C’est dépassé !

M. Christian Paul. Au fond, la méthode est la même et les résultats ne seront pas différents. En refusant d’écouter et de regarder la société telle qu’elle change, en cédant à quelques lobbies qui, seuls, ont droit de cité, le Gouvernement emprunte une nouvelle fois de mauvaises voies.

Quelle vision de la télévision révèle votre texte ? Favoriser le passage au numérique, à la TNT comme à la TMP, cet objectif n’est en rien condamnable, bien au contraire. Mais, à vous lire et à vous entendre, ce soir encore, il semble que la télévision reste pour vous un média unidirectionnel, contrôlé par quelques grands groupes, où le service public est invité à faire de la figuration intelligente.

M. Frédéric Dutoit. Très juste !

M. Christian Paul. La convergence à l’âge numérique n’est pas seulement une réalité technique, mais une mutation sociétale et culturelle. Ce n’est pas seulement affaire de standards et de normes qui s’uniformisent. Les canaux de diffusion et surtout les terminaux se multiplient.

Jusqu’ici, c’est vrai, le standard analogique protégeait la télévision. Mais, peu à peu, les contenus audiovisuels migrent vers les réseaux de l’Internet et, si j’en crois le rapporteur du texte au Sénat, 36 % des adaptateurs de TNT sont intégrés aux ordinateurs et aux boîtiers des fournisseurs d’accès pour leurs offres triple play. La convergence entre le monde de l’Internet et celui de la télévision est en train de se produire sous nos yeux à toute vitesse.

M. Dominique Richard. Vous confondez les contenus et les contenants !

M. Christian Paul. Il vous appartient, ou plutôt il vous appartenait, monsieur le ministre, de rendre ce mariage technologique heureux et durable, profitable à tous, en particulier aux industries du cinéma et de l’audiovisuel, qui sont les fers de lance de l’exception culturelle. Tout comme hier pour le monde de la musique, avec le projet de loi sur les droits d’auteur, nous sommes bien loin du compte, même si quelques amendements au Sénat ont permis de donner un peu de relief à une copie initialement bien aseptisée.

Ce que la musique a vécu depuis cinq ans, l’image, l’audiovisuel, la télévision vont le vivre au cours des cinq ou dix prochaines années, pendant lesquelles Internet deviendra le média de référence. Or nous savons le potentiel de déstabilisation des modèles économiques qu’un tel changement provoquera. Il suffit de voir les chiffres publiés ce matin : en 2006, la publicité sur Internet a augmenté de 48 %, quand la hausse de la publicité sur les chaînes de télévision n’a progressé que de 9 %.

Le rapprochement technologique entre la télévision traditionnelle et l’Internet n’est qu’une apparence. La nature des réseaux impliqués est fondamentalement différente. La télévision, telle que nous la connaissons tous depuis notre plus tendre enfance, est en effet linéaire, concentrée pour des raisons économiques et physiques – dues à la rareté du spectre des fréquences – entre les mains de quelques opérateurs et suivie passivement par des millions de récepteurs. Au contraire, l’Internet est, par essence, de pair à pair : chaque nœud est, au moins théoriquement, égal, à la fois émetteur et récepteur.

Nous avons vu ces derniers mois, avec YouTube et Dailymotion, les prémices de la télévision du futur : des millions d’individus produisent, avec des moyens réduits, certes, mais parfois avec beaucoup de talent, des courts métrages qu’ils diffusent ensuite à moindre coût en ligne sur ce type de plateforme. C’est déjà un formidable moyen d’expression, que tous les partis politiques utilisent intensément pour les campagnes présidentielles et législatives. Mais ce n’est qu’un début.

L’étape suivante se profile avec Joost, qui introduit, pour résumer, la télévision en peer to peer. Joost comporte encore, en effet, des serveurs centraux de diffusion du contenu. Mais nul doute que l’on verra rapidement apparaître des systèmes totalement peer to peer de diffusion des flux audiovisuels. Ce système, ou un autre de même nature, créera, au cours des prochaines années, une onde de choc de la même magnitude que celles que Skype et KaZaA ont fait subir, en d’autres temps qui ne sont pas anciens, aux opérateurs historiques de télécommunication et au monde de la musique.

Nous ne pouvons pas endiguer ce phénomène, pas plus d’ailleurs que les autres utilisations du peer to peer, mais nous pouvons, en revanche, le canaliser, notamment en définissant de nouvelles rémunérations prélevées sur les nouveaux acteurs. C’est dans ce sens que vont les positions que nous avons adoptées depuis longtemps et que nous avions défendues lors de l’examen du projet de loi sur les droits d’auteur. Comme tous les autres distributeurs de télévision, les fournisseurs d’accès à Internet doivent verser une contribution pour alimenter les comptes de soutien à la création.

M. Frédéric Dutoit. Bien sûr !

M. Christian Paul. Encore faut-il – je vous le dis, monsieur le ministre, comme à votre majorité – de la concertation et de la pédagogie.

M. le ministre de la culture et de la communication. Certes !

M. Dominique Richard. La concertation a eu lieu ! Elle a même duré six mois !

M. Christian Paul. Or, en brûlant toutes les étapes, vous avez réussi l’exploit de faire entendre, et presque de faire croire aux internautes qu’ils allaient devoir acquitter en direct une nouvelle taxe.

M. le ministre de la culture et de la communication. Vous savez bien que c’est faux !

M. Christian Paul. Nous attendions du Gouvernement qu’il règle les problèmes du court terme, mais aussi qu’il anticipe sur les mutations déjà amorcées. Nous ne pouvons pas, en tout état de cause, faire le pari d’un contrôle éternel des éditeurs de service de télévision, parce qu’ils ne seront plus forcément sur le territoire national, et parce qu’ils seront innombrables et formeront un nuage au contour mal défini, même si quelques grands canaux de masse surnageront probablement.

Nous pouvons, en revanche, faire le pari du soutien à la production française et européenne de qualité dans tous les nouveaux formats. Il est urgent de rendre les aides à la production accessibles au plus grand nombre, que les œuvres soient créées en vue d’une diffusion en salle, à la télévision ou sur l’Internet. C’est d’ailleurs ce que vous proposera le groupe socialiste.

Une telle politique constituerait par ailleurs un formidable soutien à la diversité culturelle et à la création de chaînes locales. Diffuser localement une chaîne de télévision traditionnelle est un processus long et coûteux. Lui préférer une Web TV permet de réduire les coûts de manière drastique. Au Parlement d’adapter le cadre réglementaire ! Il y a de nouveau urgence à saisir toutes les opportunités dont nous disposons pour offrir davantage de diversité, au regard du bilan contrasté de la TNT en matière de nouvelles productions françaises et européennes. Les sénateurs l’ont d’ailleurs remarqué.

Bref, il vous appartenait, en tant que ministre de la culture, disposant des moyens de l’État, de voir plus grand, plus global, de présenter un agenda de stimulation de la diversité culturelle et de l’évolution progressive des points de contrôle des éditeurs vers les distributeurs. Vous avez choisi au contraire d’octroyer, avec les chaînes bonus, une prime exorbitante à quelques grandes chaînes commerciales historiques.

M. Dominique Richard. Nous en reparlerons !

M. Christian Paul. Oui, j’en viens maintenant à un point très grave, qui concerne l’inconstitutionnalité de ce texte.

L’attribution des chaînes bonus menace en effet nos principes constitutionnels. Vous ne proposez au Parlement rien de moins que d’accorder aux trois grandes chaînes commerciales trois canaux supplémentaires lorsqu’elles auront basculé de la diffusion analogique à la diffusion numérique. C’est une décision d’opportunité, dont le Gouvernement est le seul responsable, avec la majorité – s’il en est une pour la voter.

Notez bien d’ailleurs qu’il n’y a, sur ce point, aucun consensus avec l’opposition, ni à l’Assemblée ni au Sénat. En outre, le CSA lui-même a émis des doutes sur « la proportionnalité des avantages prévus en faveur des chaînes nationales analogiques et le respect des principes constitutionnels de pluralisme et d’égalité ». Est-ce là ce que vous appelez un consensus, monsieur le ministre ?

L’ARCEP s’est fermement manifestée contre votre libéralité en déclarant : « offrir une chaîne bonus aux chaînes existantes a pour effet de préempter encore un peu plus le dividende numérique au profit de ces seuls éditeurs ». Elle a demandé en conséquence la suppression de cet avantage « aucunement justifié ». Est-ce vraiment ce que vous appelez un consensus ? Le Conseil d’État a pudiquement fermé les yeux, mais rien n’indique qu’il ait conseillé impérieusement au Gouvernement d’allouer ces trois chaînes bonus.

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur. C’est faux ! Il a donné un avis favorable aux compensations.

M. Christian Paul. Certes, il a parlé des compensations – peut-être rendrez-vous public son avis à ce sujet – , mais il n’a pas indiqué qu’il était nécessaire à l’équilibre du texte de donner à ces trois chaînes les trois chaînes bonus.

D’ailleurs, le rapporteur du texte au Sénat, Louis de Broissia, a pointé que le passage au numérique fera passer les coûts annuels de diffusion d’une chaîne d’environ 52 à 8 millions d’euros. La corbeille des mariées est donc déjà bien pleine. Ajoutons que ces chaînes historiques disposent de moyens considérablement supérieurs à ceux des nouvelles chaînes de la TNT.

J’appelle donc nos collègues de la majorité à se révolter contre une décision hautement critiquable et entachée du soupçon de complaisance. En agissant ainsi, monsieur le ministre, vous nous proposez d’aller contre le principe d’égalité et contre le pluralisme.

On parle beaucoup ces temps-ci – c’était encore le cas cet après-midi dans l’hémicycle – de « République irréprochable ». Que le Gouvernement se contente d’être impartial et équitable ! À défaut, à la veille d’élections nationales, il lui sera fait justement reproche de distribuer des canaux de télévision comme on distribue des caramels, pour s’attirer des faveurs.

Vous innovez en inventant le soutien à position dominante.

M. Michel Françaix. Exact !

M. Christian Paul. Nous voyons là une rupture flagrante du principe d’égalité et je voudrais l’instruire.

Vous évoquez la compensation du coût de l’extinction de la diffusion analogique et des investissements nécessaires. La thèse est réfutable. Ces chaînes reçoivent déjà une prorogation de cinq ans des autorisations numériques, après avoir reçu en 2005 une chaîne bonus, lors du lancement de la TNT.

M. Michel Françaix. Eh oui !

M. Christian Paul. Ces chaînes, qui dominent l’audiovisuel français depuis des années, sont mieux armées que personne, et d’abord financièrement, pour migrer vers le numérique.

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. Elles sont historiques !

M. Christian Paul. Le principe d’égalité s’apprécie à situation identique, et non à partir de je ne sais quelle historicité de tel ou tel des acteurs du marché. De surcroît, la surcompensation que vous avez instaurée, au moins dans le texte initial, laissait de côté l’opérateur public.

Le Conseil constitutionnel en décidera, le moment venu. Mais il appartiendra aussi aux autorités européennes d’apprécier la distorsion de concurrence que vous introduisez, de façon aventureuse, au profit des opérateurs les plus puissants du marché. Tout indique qu’il y a là, de manière intentionnelle, un avantage disproportionné et un privilège discriminatoire.

Tout citoyen de bonne foi observera également, comme le Conseil constitutionnel l’a rappelé à maintes reprises, que « la délivrance des autorisations de diffusion reste subordonnée à l’exigence de pluralisme ». C’est au nom de ce principe que le groupe socialiste a déposé des amendements anti-concentration et un amendement pour l’indépendance des chaînes à l’égard des groupes dont le chiffre d’affaires se nourrit abondamment de la commande publique.

Le fait du prince n’a pas sa place devant l’Assemblée nationale. Ce que nous reprochons avant tout au Gouvernement, c’est de disposer du bien commun, de façon discrétionnaire et pour satisfaire des intérêts particuliers.

Il s’agit d’une véritable expropriation du bien public. En effet, le projet de loi a révélé ou rappelé une autre question, dont le législateur devra certainement traiter régulièrement à l’avenir. Dans le patrimoine immatériel de notre pays figurent les fréquences hertziennes. Leur répartition a souvent fait débat. On n’a pas oublié, dans cet hémicycle, la bataille pour les radios libres, que nous avons menée au début des années quatre-vingt.

Ce patrimoine s’enrichit aujourd’hui d’un nouveau domaine. Le passage à la diffusion numérique libère les fréquences en nombre et, bien sûr, les appétits s’aiguisent. Il est devenu habituel de parler de « dividende numérique ». Mais l’expression n’est pas innocente. Je veux rappeler que, s’il y a dividende, les actionnaires sont tous les Français.

La gestion du dividende numérique doit lui reconnaître la qualité de bien commun, immatériel et rare. Les fréquences ainsi libérées auraient mérité dès maintenant un véritable débat national avant que des décisions irréversibles ne soient prises, et avant la discussion de ce texte. D’ailleurs, un certain nombre de nos collègues de la majorité l’avaient souhaité.

Quel est l’enjeu ? Que peut-on faire de ces fréquences ? De la télévision numérique, bien sûr, de la téléphonie mobile de troisième ou quatrième génération, mais aussi – songez-y, monsieur le rapporteur, puisque vous avez évoqué les territoires ruraux – de la télévision mobile ou du WiMax urbain ou rural.

Le « dividende numérique », ces bandes de fréquences libérées par le passage au numérique, a ceci de particulièrement précieux qu’il comprend exclusivement des fréquences dites « en or », offrant les meilleures conditions de propagation.

Alors que de grandes parties du territoire national sont encore des zones de téléphonie mobile « blanches » – c’est-à-dire couvertes par aucun opérateur – ou « grises » – couvertes par un seul opérateur – et que l'Internet haut débit est loin d'être une réalité pour l'ensemble de nos concitoyens, il est inconcevable de gaspiller la précieuse ressource spectrale pour des chaînes bonus, dans le cadre d’un échange de bons procédés en pleine campagne présidentielle. Ces fréquences seraient bien mieux utilisées pour assurer la couverture universelle du territoire par au moins un réseau de téléphonie mobile et un réseau de communication électronique haut débit. Je vous proposerai donc, avec les députés socialistes, de graver cet objectif dans la loi – même si je sais bien que nous devrons le faire plus tard, et probablement sans vous.

La fracture télévisuelle frappe également certaines régions frontalières, pourtant densément peuplées et bien desservies par les réseaux de communication fixes. Afin de tirer parti de tous les réseaux à notre disposition pour acheminer la télévision et, notamment, de permettre aux fournisseurs d'accès Internet d'intégrer les chaînes hertziennes gratuites à leur offre sans en passer par des années de négociations, nous proposerons d'inscrire dans la loi l’interdiction pour les services de télévision à accès libre diffusés en clair de s'opposer à la reprise intégrale et simultanée de leur offre de programmes. Cette mesure permettra à tous les internautes des zones où le spectre est encore trop encombré de recevoir la télévision dans de bonnes conditions.

Réduire les fractures numériques, assurer l'égalité des citoyens devant l'accès à l'Internet haut débit devrait être l’une des premières priorités du Gouvernement de la France. Alors qu'une incroyable effervescence créatrice se déploie sur l'Internet, il est particulièrement choquant que les territoires les plus isolés, et souvent aussi les moins bien dotés financièrement, aient à financer eux-mêmes le développement des réseaux haut débit. Encore une fois, le dividende numérique permettrait d’accélérer et de faciliter ce déploiement.

Certes, la proposition de créer un fonds d'aide à l'achat d'équipements de réception par les plus modestes est louable, mais vous ne garantissez aucunement son abondement par l'État – à moins que vous ne nous réserviez une agréable surprise. Une fois de plus, monsieur le ministre, le Gouvernement se défausse sur les collectivités, dont les plus isolées, notamment en montagne, auront à assumer de très lourdes charges pour subventionner l'achat massif d'équipements de réception satellitaire. Il est facile – le Gouvernement est coutumier du fait – d'être généreux avec l'argent des autres.

L’évocation des terminaux de réception m'amène tout naturellement à poser la question de leur interopérabilité, un principe fondateur de la civilisation numérique. Vous nous aviez déjà amplement démontré la conception quelque peu réductrice que vous en avez lors de l'examen du projet de loi sur les droits d'auteur. Vous faites aujourd'hui un pas de plus, mais en arrière, en proposant de supprimer purement et simplement l’interopérabilité pour la télévision payante et la télévision mobile personnelle. Elle garantit pourtant que les données sont représentées d'une manière connue de tous et que le développement d'outils de lecture et d'écriture est accessible à tout un chacun. L'interopérabilité est, dans notre monde d'images et de médias, essentielle à l'exercice des libertés. La défendre, c'est défendre de manière générale le droit de lire, de s'exprimer et de proposer de nouveaux produits innovants et compatibles. Dans le contexte de convergence que je vous ai exposé au début de mon intervention, où chacun peut devenir à son tour émetteur et créateur, il est essentiel de renforcer cette exigence d'interopérabilité, plutôt que de l'affaiblir.

La loi de 1986, plutôt novatrice sur ce point, n'impose que l'utilisation de technologies accessibles dans des conditions dites « raisonnables et non discriminatoires », ce qui empêche en pratique les développeurs de logiciels libres de proposer des produits compatibles. De telles conditions impliquent en effet le plus souvent un paiement de licence ou le respect d'un engagement incompatible avec la nature du logiciel libre. Nous ne voulons pas que la télévision permette l'instauration de nouveaux monopoles abusifs. Pour garantir l'interopérabilité, nous proposerons donc que des standards ouverts soient dorénavant utilisés en matière de télévision.

Je ne partage pas toutes les conclusions du rapport Lévy sur l'économie immatérielle, mais il a le mérite d'alerter sur le risque d’affecter les fréquences et le dividende numérique aux services télévisuels sans fonder cette répartition sur une analyse objective des différents usages. La régulation du spectre des fréquences réclame enfin une vraie stratégie nationale, à l'instar de ce qu'ont déjà entrepris les grands États industrialisés.

Voilà donc un projet de loi focalisé sur des enjeux techniques là où il y a des enjeux sociétaux majeurs, et qui détourne au passage une ressource rare, les fréquences. Non seulement ce texte pèche par un déficit d'avenir, mais il porte également atteinte à des principes essentiels de notre Constitution et renonce à des objectifs fondateurs de la civilisation numérique. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande, au nom du groupe socialiste, de voter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Quel talent !

M. le président. Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les propos de M. Paul, car le respect de la Constitution est pour moi essentiel et jamais je n’aurais présenté un projet de loi dont certaines dispositions n’y seraient pas conformes.

M. Jean-Pierre Brard. Certaines expériences nous ont montré que vous étiez parfois « limite » !

M. le ministre de la culture et de la communication. M. Paul a fait de la politique – et c’est son droit –, pas du droit. En effet, je n’ai pas entendu une seule raison qui justifie que soit adoptée l’exception d’irrecevabilité.

Je prends acte que l’opposition a renoncé à défendre les métiers culturels et artistiques et, plus grave, les sociétés de télévision, qu’elles soient publiques ou privées, considérant que les métiers d’éditeurs de programmes n’ont plus d’avenir. Cette position n’est pas la mienne. J’essaie, pour ma part, de faire en sorte que le dividende numérique permette non seulement de diffuser de nouveaux services et de développer de nouveaux opérateurs, mais aussi de conforter le rôle de l’audiovisuel privé et public tout en favorisant la plus forte contribution possible à la création.

M. Christian Paul. Autant de lignes Maginot !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je vous rappelle en outre – et vous avez été obligé de le mentionner – que, au Sénat, un certain nombre de dispositions soutenant la création cinématographique et audiovisuelle ont fait l’objet d’un consensus, puisqu’elles ont été votées notamment par les groupes socialiste et communiste.

M. Jean-Pierre Brard. Vous les avez circonvenus !

M. le ministre de la culture et de la communication. Vous mettez en avant de fausses raisons juridiques. Je demande donc à la majorité de rejeter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité, la parole est à M. Dominique Richard, pour le groupe UMP.

M. Dominique Richard. Alors que, dans sa grande diversité, toute la profession – des distributeurs aux éditeurs, des producteurs aux réalisateurs – demande l’adoption rapide de ce texte indispensable…

M. Patrick Bloche. C’est faux !

M. Dominique Richard. …le groupe socialiste, lui, voudrait, en défendant cette exception d’irrecevabilité, priver tout simplement nos concitoyens d’un accès généralisé et rapide à la haute définition et à la télévision mobile personnelle. En effet, déclarer ce texte irrecevable, c’est renvoyer son examen aux calendes grecques…

M. Jean Bardet. Quelle exégèse !

M. Christian Paul. Répondez-moi sur les chaînes bonus !

M. Dominique Richard. …et faire prendre ainsi à nos professionnels un retard qu’ils ne pourront rattraper, notamment par rapport aux grands groupes européens. Parce que nous ne voulons pas en prendre la responsabilité, il était indispensable de déclarer l’urgence. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous reviendrons point par point sur les contrevérités assenées par M. Paul. Le groupe UMP, qui n’attend qu’une chose, en venir rapidement au fond,…

M. Jean-Pierre Brard. D’où vous ne remonterez pas !

M. Dominique Richard. …votera contre l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Mes chers collègues, le groupe UDF aurait souhaité un projet consensuel sur un tel sujet de société. Si l’exception d’irrecevabilité est souvent invoquée à tort, pour exposer des considérations d’ordre politique, force est de constater que, en l’espèce, la question du respect de notre Constitution se pose vraiment.

Le problème du « canal bonus », qui fait l’objet d’une plainte des nouveaux entrants devant le Conseil de la concurrence depuis le 10 janvier,…

M. Christian Paul. Voilà le consensus dont parle le ministre !

M. Jean Dionis du Séjour. …revêt en effet une dimension constitutionnelle, notamment en raison de la disproportion entre le préjudice subi par les chaînes historiques diffusées en analogique et sa compensation telle qu’elle est prévue par le texte. François Bayrou se chargera lui-même de préciser la position de l’UDF sur ce point central. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. C’est une intervention désintéressée !

M. Jean Dionis du Séjour. Quel est le préjudice ? L’arrêt de la diffusion en analogique est prévu le 30 novembre 2011, alors que les licences de diffusion des chaînes historiques courent jusqu’au 30 avril 2012. Le bon sens voudrait donc que l’on fasse coïncider ces deux dates, et le préjudice disparaîtrait.

Qu’est-ce qui nous en empêche ? La Commission européenne ? Que nenni, puisqu’elle évoque le début de 2012. La maturité technique de l’offre ? Que nenni, car les problèmes à régler sont très nombreux, a fortiori si l’on veut que 100 % des foyers reçoivent correctement la TNT. Alors qui ou quoi ? Rien ni personne !

M. Christian Paul. « Qui » ? On le sait !

M. Jean Dionis du Séjour. Le groupe UDF vous propose donc de faire l’économie de ce débat en supprimant le préjudice subi par les chaînes historiques grâce à l’adoption de la date du 30 avril 2012.

Si, par hasard, monsieur le ministre, vous maintenez la date du 30 novembre 2011, il faudra, comme l’exige le Conseil d’État, que le préjudice subi soit compensé, mais la Constitution ne permet pas une utilisation exorbitante de l’argent public en la matière. Une compensation équitable consisterait, par exemple, à autoriser les chaînes historiques à diffuser en numérique pour une durée plus longue, mais certainement pas à accorder trois chaînes bonus. Cette mesure bouleverserait en effet le paysage de la publicité audiovisuelle sur la TNT et préempterait des ressources rares – ainsi que l’a dit Christian Paul – dont tout le monde aura besoin, que ce soit la TMP, les services locaux ou la radio numérique.

L’échange proposé est dépourvu de toute rationalité et de toute mesure. François Bayrou nous donnera quelques pistes intéressantes pour expliquer une telle disproportion entre le préjudice créé par la volonté de retenir la date du 30 novembre 2011 et sa compensation par l’État.

Au recours dont est saisi le Conseil de la concurrence s’ajoutent deux autres risques de contentieux,…

M. Christian Paul. Cela va exploser !

M. Jean Dionis du Séjour. …l’un devant le Conseil constitutionnel, l’autre devant la Cour de justice européenne pour non-respect de la directive. Compte tenu de ces risques, le groupe UDF votera l’exception d’irrecevabilité.

M. Christian Paul. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Le groupe communiste votera l’exception d’irrecevabilité pour toutes les raisons qui ont été exposées par M. Christian Paul dans son excellente intervention. Je n’en retiendrai que deux.

Tout d’abord, cette nouvelle loi sur la télévision dite du futur est déjà en retard sur l’évolution probable des technologies. Ensuite, le Gouvernement veut à nouveau faire à des chaînes privées – TF1, Canal Plus et M6 – des cadeaux royaux qui rompent le principe d’égalité garanti par la Constitution, puisque ces chaînes bénéficieraient non seulement de chaînes bonus, mais aussi des mannes financières considérables issues des recettes publicitaires supplémentaires.

Je trouve pour le moins paradoxal que le groupe communiste en vienne à défendre le principe d’une concurrence libre et non faussée, un principe qui, en l’occurrence, n’est pas respecté.

M. Jean Dionis du Séjour. Excellent ! Le groupe communiste est touché par la grâce !

M. le président. La parole est à M. Didier Mathus, pour le groupe socialiste.

M. Didier Mathus. Monsieur le président, je ne pensais pas prendre la parole, tant l’exposé de notre collègue Christian Paul était méthodique et argumenté et se justifiait par lui-même. Mais comment ne pas être surpris, pour ne pas dire interloqué, par le grand silence du ministre et du représentant de l’UMP ? Tout se passe comme si, au fond, le ministre avait un peu honte de devoir porter ce texte. Il est vrai qu’à bien des égards ce qui constitue le cœur du dispositif, à savoir l’attribution de chaînes bonus à quelques amis, s’apparente davantage à un méfait qu’à un projet de loi. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. C’est intolérable !

M. Didier Mathus. Un tel dispositif est inconstitutionnel, comme l’a démontré Christian Paul.

On dit parfois que, pour prévoir l’avenir, le mieux est de l’inventer. Or, ce texte n’invente rien. Il propose de se recroqueviller sur des dispositions patrimoniales, sur une vision archaïque de la télévision…

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Quelle démagogie préélectorale !

M. Didier Mathus. …comme si celle-ci n’était qu’un gros gâteau à partager entre professionnels de la profession.

Pour notre part, nous sommes convaincus qu’il nous appartient, dans cet hémicycle, de penser d’abord aux citoyens. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à voter l’exception d’irrecevabilité.

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin, précédemment annoncé, sur l’exception d’irrecevabilité.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

L’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.

Question préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Didier Mathus, pour une durée qui ne pourra excéder trente minutes.

M. Didier Mathus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais en effet défendre la question préalable, c’est-à-dire vous exposer les raisons pour lesquelles nous considérons que ce texte doit être retiré, son examen étant prématuré.

La première singularité de ce texte réside dans le fait que le Gouvernement ait souhaité son examen en urgence, en fin de législature, alors que se bousculent à l’ordre du jour nombre de projets de loi portant sur des sujets hautement sensibles tels que le logement, et au moment où l’on apprend que le Gouvernement retire le projet de loi sur la consommation, qui intéressait directement des millions de consommateurs dans notre pays.

M. Christian Paul. Scandaleux !

M. Didier Mathus. On nous explique qu’il est plus urgent de légiférer pour attribuer quelques chaînes bonus aux amis de la famille.

Or rien ne justifiait l’urgence – rien ne justifiait, en fait, de légiférer dès maintenant. L’arrêt de l’analogique, encadré par les recommandations européennes, pouvait sans conteste attendre quelques mois et la mise en place d’une véritable concertation et d’études plus précises. De même, la TVHD, actuellement émergente, et le déploiement de la télévision mobile personnelle pouvaient débuter avec les lois existantes. L’urgence ne prend tout son sens que lorsqu’on la rapproche de l’attribution inattendue et sans raison convaincante d’une chaîne bonus aux opérateurs historiques. On comprend alors qu’il ne s’agit pas d’autre chose que d’un cadeau de départ de la majorité UMP aux opérateurs privés, envers lesquels cette majorité semble avoir de sérieuses dettes.

M. Jean-Pierre Brard. Une dette morale !

M. Didier Mathus. Qu’un gouvernement puisse simplement envisager une telle opération en dit long sur les liens qui l’unissent à certains opérateurs.

La deuxième singularité de ce projet de loi est son nom : « télévision du futur ». Un nom bien mal choisi pour un projet de loi qui, au contraire, ignore délibérément la fantastique révolution des modes de consommation de la télévision en limitant sa conception à la diffusion hertzienne. La révolution numérique apporte de nouveaux outils qui permettent justement de rompre ce lien univoque entre l’opérateur et le téléspectateur. On sait bien que le grand bouleversement à venir est là : c’est la fin de la consommation passive qu’impliquait la diffusion hertzienne. Grâce aux podcasts, aux liens RSS, à la VOD, aux magnétoscopes à disque dur, aux contenus agrégatifs et à bien d’autres techniques numériques, chacun pourra demain fabriquer sa propre télévision. De tout cela, il n’est pas question dans votre projet de loi. Pourtant, c’est sûrement là qu’est l’urgence pour la société.

Dans ce contexte, quelles seront les missions du CSA, aujourd’hui de plus en plus déphasé face aux nouvelles pratiques ? Quelles évaluations de l’information, quelles règles déontologiques s’imposeront demain ? Ces questions ne seront pas posées. Tout ce qui intéresse le Gouvernement, c’est le Meccano financier des petits et des gros intérêts d’une télévision considérée comme une rente à partager entre les différents acteurs du business.

On a bien compris que la chaîne bonus constituait le cœur de votre texte, et que tout le reste n’était là que pour meubler. La seule raison d’être de ce projet de loi, c’est ce cadeau invraisemblable fait aux opérateurs dits historiques, que rien ne justifie. Il ne faut pas manquer de culot pour proposer l’idée saugrenue d’une compensation en raison du passage de l’analogique au numérique ! Alors que ce processus est en cours dans tous les pays développés – il se fera d’ici à 2012 partout en Europe –, il n’y a qu’en France, où l’UMP « sarkozysée » semble être devenue le parti de la rente, qu’on a pu songer à une pareille idée.

Car enfin, les opérateurs historiques ont déjà obtenu cette fameuse compensation avec la loi d’août 2000. Ils avaient alors hérité – légitimement, sans doute – d’un canal supplémentaire et d’une prolongation automatique de leur autorisation d’émettre. Cela n’avait pas suffi à les entraîner sur la voie du progrès numérique, puisqu’ils ont multiplié les obstacles et les manœuvres juridiques afin de faire échouer le lancement de la télévision numérique pour tous, qui mettait en péril leur position dominante sur le marché publicitaire. Rappelons en effet qu’à eux seuls TF1 et M6 captent 75 % des recettes du marché publicitaire. Aujourd’hui, alors même que le passage à la diffusion numérique leur fera gagner des dizaines de millions, vous proposez de les récompenser d’avoir tenté de faire obstacle à la loi ! Vous tentez de vous prévaloir du Conseil d’État mais, comme l’a souligné Christian Paul, le Conseil d’État n’a rien proposé : il n’a fait qu’indiquer qu’une compensation pouvait s’envisager, sans en préciser la forme. Surtout, il n’a jamais dit que cette forme pourrait être celle d’un canal bonus.

Quant aux obligations complémentaires dont vous vous targuez, monsieur le ministre, force est de reconnaître que nous avons affaire à des spécialistes et que nous devrions sans doute faire confiance à ceux qui ont été les architectes de la loi de 1986 et que l’on retrouve aujourd’hui au ministère de la culture ou à la présidence du CSA ! Il suffit d’allumer son poste de télévision pour voir ce qu’il est advenu du « mieux-disant culturel » qui devait accompagner le projet de privatisation de la première chaîne publique en 1986.

Cela pose une question de fond, celle de la concentration dans un domaine aussi sensible pour les enjeux démocratiques. Certes, nous avons besoin de groupes puissants pour stimuler la création et la production. Mais nous avons à la fois les situations dominantes les plus marquées dans le monde démocratique et les performances les plus médiocres en matière de production de fictions ou de documentaires.

M. Frédéric Dutoit. Très juste !

M. Didier Mathus. En dépit de l’idée dominante selon laquelle seuls les gros opérateurs peuvent alimenter la production et la création, on peut y voir, au contraire, un lien de cause à effet : l’asphyxie du système par des mastodontes appuyés sur des conglomérats financiers aux intérêts tentaculaires a appauvri la création audiovisuelle dans notre pays.

Comment se présente aujourd’hui le paysage audiovisuel français ? Une chaîne commerciale issue de la privatisation de la première chaîne publique – un cas unique au monde – alors placée sous l’égide du mieux-disant culturel, absorbe aujourd’hui 55 % du marché publicitaire à elle seule et dicte la loi audiovisuelle dans ce pays. Une autre chaîne est désormais en situation de monopole pour toute la télévision payante. Et les principaux groupes dans ce secteur sont les géants du BTP et de l’armement, qui vivent pour une bonne part de la commande publique. Face à cette situation, tout gouvernement un tant soit peu soucieux de l’intérêt général devrait s’employer à préserver le pluralisme, donc à élargir l’offre. Même les pays les plus libéraux ont été intransigeants sur ces questions face aux intérêts privés.

C’est ce qui avait guidé la précédente majorité lors de l’élaboration de la loi d’août 2000. Le projet de télévision numérique pour tous nourrissait de grandes ambitions que vous n’avez pas su ou pas voulu défendre.

M. Patrice Martin-Lalande. Ce n’est même pas le Gouvernement qui avait déposé les amendements sur la TNT !

M. Didier Mathus. Il s’agissait alors d’accroître le nombre d’éditeurs de contenu pour favoriser le pluralisme et la diversité culturelle, de soutenir le service public, d’accueillir les télévisions locales et associatives, de créer en somme un cercle vertueux qui, en favorisant l’arrivée de nouveaux entrants, aurait soutenu la création audiovisuelle.

Enfin, il s’agissait de démocratiser l’accès à une multiplicité de contenus par la gratuité du dispositif, puisqu’il suffisait de s’équiper d’un simple décodeur pour en recevoir les chaînes. Force est de constater que le résultat est aujourd’hui bien loin de ce que préconisait la loi d’août 2000, qui aurait dû permettre de ramener la France dans la configuration des grandes démocraties audiovisuelles.

Le Gouvernement et les opérateurs existants auront tout tenté pour différer l’avènement de la télévision numérique et en minimiser les conséquences sur le système audiovisuel. Mais le succès populaire a été au rendez-vous et, aujourd’hui, au lieu de consolider l’émergence de nouveaux opérateurs pour garantir un pluralisme équilibré, votre seul souci est de venir à la rescousse de ceux qui sont en position dominante. Singulière conception de l’intérêt général !

Nous devons reconnaître à ce gouvernement le mérite de la constance puisque, dès juin 2002, le ministre de la culture de l’époque, Jean-Jacques Aillagon, exprimait clairement ses intentions dans ce domaine. Depuis lors, votre action aura été marquée par deux positions constantes : affaiblir le service public et protéger les oligopoles dominants.

M. Dominique Richard. C’est tout le contraire !

M. Didier Mathus. Dès 2002, vous avez torpillé le projet numérique en supprimant le milliard destiné au développement numérique de France Télévisions, interdit la chaîne publique d’information en continu, et instauré un climat de défiance en multipliant les commandes de rapports accusateurs pour la télévision publique. Dans le même temps, tout était fait pour prêter main forte aux manœuvres dilatoires des opposants à la télévision numérique terrestre. Dans l’affaire de la chaîne à vocation internationale, vous êtes allés jusqu’à piétiner les conclusions unanimes de la mission d’information parlementaire, qui prévoyait un regroupement de tous les acteurs de l’audiovisuel extérieur autour de France Télévisions, préférant donner les clés du dispositif au groupe Bouygues dans des conditions extravagantes. Tant d’efforts méritent sûrement récompense. Il est vrai que l’on connaît les liens qui unissent M. Sarkozy, le ministre candidat président de l’UMP, et le patron du groupe Bouygues. Nous comprenons donc parfaitement le véritable sens de ce projet de loi.

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. C’est une caricature !

M. Didier Mathus. En développant une vision portant exclusivement sur les flux financiers de la télévision, vous avez fait l’impasse sur l’enjeu démocratique que représente la télévision du futur. Nous avons pour notre part une tout autre conception : la télévision n’est pas qu’un marché, elle fabrique aussi du lien social, elle met en jeu des questions centrales pour la société, touchant à l’information, à l’éducation, à la culture, à la perception démocratique. C’est pourquoi nous proposerons plusieurs amendements visant à redonner à nos concitoyens un minimum de garanties sur la démocratie audiovisuelle.

Tout d’abord, comment accepter que le CSA puisse se retrouver, comme c’est le cas depuis la semaine dernière, aux mains d’un seul parti, d’une seule sensibilité politique, alors qu’il est chargé de veiller au pluralisme ? Des choix singuliers, et même provocants, ont été faits, notamment celui consistant à nommer l’ancien directeur de cabinet du Premier ministre pour le présider. Cela revient à choisir un pyromane pour diriger la caserne des pompiers ! Il faut donc réformer le mode de désignation du CSA…

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur. C’est vous qui l’avez défini !

M. Didier Mathus. …afin d’éviter de telles caricatures et de garantir qu’il soit le reflet du pluralisme démocratique de la société française. Les instances de régulation de tous les grands pays avancés ont su régler la question de façon satisfaisante. Nous proposerons donc un amendement en ce sens.

En second lieu, la France se singularise par une concentration excessive, malsaine et dangereuse par nature pour la démocratie, quels que soient le professionnalisme, la personnalité et la qualité des opérateurs. Nous proposerons donc un amendement inspiré des recommandations de la commission Lancelot, mise en place par le Président de la République, qui s’était lui-même ému de cette concentration anormale des médias les plus influents en si peu de mains.

Les conclusions de cette commission ont pourtant été magistralement ignorées par l’exécutif qui n’en a tiré aucun précepte pour son action.

Nous vous soumettrons donc un amendement qui prendra en compte les propositions Lancelot et qui limitera la concentration par les seuils d’audience, comme l’ont fait nombre de pays pourtant libéraux, à commencer par l’Allemagne. Compte tenu de la puissance de trois grands groupes audiovisuels, le danger existe en effet de ne jamais pouvoir consolider une offre médiatique plus équilibrée, plus ouverte, plus variée, laissant par exemple une part à l’initiative citoyenne à travers des télévisions non marchandes et associatives.

Hormis ce projet de loi, n’oublions pas que nous avons assisté depuis quelques mois au franchissement du degré supplémentaire dans ces mouvements de concentration, avec la fusion CanalSat-TPS et le rachat du groupe AB par TF1. Je salue, à cet égard, les efforts méritoires du CSA pour garder la tête dans le sable et ne pas exercer ses prérogatives pour ne surtout pas voir qu’il y a une modification substantielle des conditions de l’autorisation d’émettre. C’est une façon de contourner l’esprit de la loi d’août 2000.

Troisième amendement de fond : les marchés publics et la confusion des genres. Là encore, la singularité française n’est guère glorieuse : la France est bien le seul pays qui ait accepté de jouer avec le feu en consolidant la position de groupes médiatiques qui financent une part importante de leurs autres activités – armement et BTP, essentiellement – par des soumissions aux marchés publics. Qui peut nier que cette situation n’est pas saine et qu’elle mériterait une clarification énergique ?

Lorsque le patron de Paris Match est licencié par M. Lagardère pour avoir publié une couverture désagréable pour le ministre de l’intérieur, dans quelle démocratie sommes-nous ?

M. Patrice Martin-Lalande. Cela n’a rien à voir avec le texte ! C’est de la polémique politicienne !

M. Didier Mathus. Chacun connaît pourtant l’ardeur qu’a déployée le même ministre, alors en poste à Bercy, pour régler les problèmes de succession dudit M. Lagardère.

M. Christian Paul. Eh oui !

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. Amalgame scandaleux !

M. Didier Mathus. De telles pratiques ne sont pas respectables et il faut y mettre bon ordre.

Nous proposerons donc un amendement visant à limiter strictement cette confusion des genres en interdisant à une société détenant plus de 10 % d’un opérateur de télévision de se porter candidate à un marché public. J’observe que, récemment, une majorité de droite, dans un pays se réclamant très explicitement du libéralisme, la Grèce, a pris la même initiative, avec une formulation beaucoup plus restrictive encore.

M. Christian Paul. Bon exemple !

M. Didier Mathus. Si nous opposons cette question préalable, c’est que nous avons le sentiment que le texte est bâclé, précipité. Trop de points importants n’ont pas été examinés, en effet. Ce passage en force, par une petite porte, en fin de législature, n’est pas à la hauteur des problèmes soulevés.

M. Michel Françaix. Eh oui !

M. Didier Mathus. Prenons la question de l’arrêt de la diffusion analogique. Il y a aujourd’hui, souvent, deux, trois télévisions par foyer : les téléspectateurs devront donc acheter deux ou trois adaptateurs. Et, bien sûr, ceux sont les plus modestes d’entre eux, qui possèdent aussi les téléviseurs les plus anciens, qui devront faire l’effort le plus important. Comment réagiront-ils, alors qu’ils seront mis dans l’obligation immédiate – dès l’été 2007 pour certains – de rénover leur équipement ? Vous mettez en avant la création du fonds d’aide. Mais devant l’imprécision qui préside à la constitution de ce fonds, on comprend que c’est aux collectivités locales qu’il reviendra de payer l’addition !

M. le ministre de la culture et de la communication. Non !

M. Didier Mathus. S’agissant de la télévision mobile, comment trouver le juste équilibre entre les nouveaux usages, qu’on entrevoit à peine aujourd’hui, et la diffusion de programmes hertziens classiques ? Quelle part de ces rares fréquences attribuer aux opérateurs traditionnels, aux chaînes de la TNT, et aux chaînes thématiques ou indépendantes ? Comment arbitrer la concurrence naissante entre les diffuseurs et les éditeurs ? Comment favoriser la création ? Où est l’intérêt des créateurs, des téléspectateurs ? Il n’y a pas de réponse à ces questions parce qu’il n’y a pas eu de grande concertation pour préparer ce texte.

De fait, ce n’est pas dans un texte adopté en urgence, à quinze jours de la fin de la législature qu’on répondra correctement à ces questions. Attribuer par avance, à l’aveuglette, en fonction de l’énergie dépensée par les différents lobbies les canaux de la TMP sans avoir eu auparavant cette vaste concertation, ce n’est pas travailler utilement pour le Parlement et pour le Gouvernement.

Prenons également la question de la numérotation logique Je rappelle que, derrière cette appellation, il y a l’idée assez simple que le téléspectateur retrouve les mêmes numéros de chaînes sur tous les supports, télé hertzienne, câble, satellite, TMP ou bouquet ADSL.

M. Dominique Richard. Et les chaînes conventionnées ? Doivent-elles donc passer à la trappe ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Et les chaînes indépendantes ?

M. Didier Mathus. Cela pourrait valoir au minimum pour les chaînes bénéficiant d’une autorisation d’émettre du CSA, c’est-à-dire qui bénéficient d’une fréquence hertzienne – bien public qui leur est concédé. La question mériterait d’être plus sérieusement débattue (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) car c’est aussi l’accessibilité et la simplicité d’usage de tous ces nouveaux supports qui est en jeu. Pourtant, la question n’a même pas été examinée.

Le problème des chaînes indépendantes n’a pas été soulevé non plus.

M. Dominique Richard. J’ai déposé un amendement en commission !

M. Didier Mathus. Tout cela n’a pas été traité sérieusement.

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est faux !

M. Didier Mathus. On pourrait ainsi énumérer les non-réponses de ce projet de loi à toutes les questions posées. Est-il seulement concevable de parler de la télévision du futur sans même évoquer les télévisions associatives et locales, délibérément sacrifiées au culte du marché ?

Enfin, et nous ne cesserons de le répéter, il est illégitime de présenter à cette période du calendrier politique un projet consistant à renforcer les oligopoles médiatiques.

M. Christian Paul. Très juste !

M. Didier Mathus. Monsieur le ministre, c’est un véritable abus de pouvoir (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), qui nous rappelle la fâcheuse République des copains et des coquins. L’examen de ce texte doit être repoussé. C’est la raison pour laquelle je vous demande d’adopter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, vous nous dites qu’il n’y a pas lieu de débattre sur un texte que vous jugez archaïque. Je ne reviendrai ici pas sur les questions de fond, que j’ai déjà évoquées dans mon intervention. Mais je souhaiterais vous interroger sur la définition du terme « archaïque ».

Est-il archaïque de vouloir proposer aux Français une offre de télévision gratuite avec dix-huit chaînes au lieu de six, et même vingt à partir de 2012 ? Est-il archaïque de faire bénéficier de ce progrès tous nos concitoyens, y compris dans les zones rurales, les zones de montagne, et celles où, traditionnellement, la réception de la télévision n’était pas facile ? Est-il archaïque de permettre aux programmes régionaux du service public d’être diffusés dans toutes les régions ? Est-il archaïque de mettre tous les développements technologiques au service de la création audiovisuelle en lui permettant plus de financement pour plus de programmes français et de tournages dans nos territoires ?

Si tout cela est archaïque, j’assume de l’être, moi aussi. Mais, et vous le savez bien, il n’en est rien : l’archaïsme, c’est la réduction de tout, c’est le refus de tout mouvement. À vous entendre, il faudrait tout différer. Et la France, au lieu d’être dans la moyenne des pays européens pour ce rendez-vous avec le numérique, devrait refuser ce qui peut être un progrès considérable en termes de diversité culturelle pour l’ensemble de nos concitoyens.

En fait, vous renoncez à défendre l’univers des contenus, l’univers de celles et ceux qui travaillent à la réalisation et à l’édition de programmes. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) C’est pour le moins singulier.

M. Christian Paul. C’est grossier !

M. Patrick Bloche. Procès d’intention !

M. le ministre de la culture et de la communication. Vous vous préoccupez par ailleurs des 3,5% de Français qui possèdent quatre postes de télévision ou davantage : c’est tout à votre honneur. Je m’inquiète pour ma part, avant tout, des 60 % de foyers qui n’ont qu’un seul poste de télévision et des 85 % de téléspectateurs qui ne regardent encore que six chaînes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous avons le souci de l’équipement concret de nos concitoyens. Je ne comprends donc pas, à cet égard, la confusion que vous cherchez à instaurer : il est évident que le fonds d’aide à l’équipement des ménages sera alimenté par le budget l’État et non par celui des collectivités territoriales.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Par la redevance !

M. le ministre de la culture et de la communication. Non ! Si tel était le cas, ce serait une politique de Gribouille puisque cela reviendrait à prendre de l’argent destiné à l’audiovisuel public.

M. Christian Paul. C’est ce que vous faites pour la culture et le téléphone mobile !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce sera financé sur le budget de l’État. Cette révolution technologique doit profiter à chacun. Comme je l’ai dit, il importe de ne pas créer une France à deux vitesses. L’objectif du Gouvernement et de la majorité est de faire en sorte que cette diversité soit accessible à 100 % de nos concitoyens sur 100 % du territoire.

Monsieur le député, vous avez par ailleurs évoqué certains points en des termes qui ne vous ressemblent pas. S’agissant du Conseil supérieur de l’audiovisuel, vous êtes injuste. Au-delà de cette institution qui a fait ses preuves et dont la structure de la composition remonte à 1989 – François Mitterrand était alors Président de la République et Michel Rocard, Premier ministre –…

M. Michel Françaix. On revenait de loin !

M. le ministre de la culture et de la communication. …ce qui compte, c’est la déontologie de chacun de ses membres, qui exercent leur mission dans la plus totale indépendance et impartialité. Je trouve donc très choquant que, par principe, vous accusiez de partialité un conseiller d’État, haut fonctionnaire de l’État, …

M. Didier Mathus. Et alors ?

M. le ministre de la culture et de la communication. … un magistrat qui, en plus, a une grande expérience professionnelle personnelle des questions de droit et d’audiovisuel. Je rappelle en effet qu’il a été un des concepteurs du rapport sur la télévision numérique terrestre.

M. Michel Françaix. Et de la loi de 1986 aussi !

M. le ministre de la culture et de la communication. Contester, par principe, l’impartialité de quelqu’un qui a occupé de très grandes fonctions républicaines est très choquant. Il en va de même pour les rédactions. Penser que la composition du capital induit, par définition, le comportement des journalistes est tout aussi choquant, en effet. Les journalistes sont eux-mêmes, et par leur déontologie personnelle, les garants du pluralisme. Nous devrions tous ensemble le rappeler pour le célébrer.

Par ailleurs, vous avez fait allusion aux concentrations. Je suis extrêmement mobilisé sur cette question du pluralisme.

M. Christian Paul. Pour le détruire !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est cette majorité qui, dans le débat budgétaire, a pris un certain nombre d’initiatives visant précisément à maintenir le pluralisme dans la presse écrite. Les mesures de crédit d’impôt et celles visant à permettre le financement de la diversité par les lecteurs eux-mêmes, ont été prises par ce gouvernement et cette majorité. Que la réalité soit extrêmement difficile et qu’il faille se préoccuper des évolutions est une vérité.

M. Michel Françaix. Un peu de modestie !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est la raison pour laquelle j’ai confié une mission de réflexion à Marc Tessier.

M. Michel Françaix. Encore une !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il s’agit de voir comment la presse écrite, le support papier pourront survivre à l’ère du numérique, et comment les journalistes pourront continuer à exercer leurs fonctions.

Vous évoquez les risques de la concentration. Il est évident qu’un certain nombre de règles restent applicables et ne sauraient être remises en cause. Vous avez oublié de mentionner qu’à l’occasion de la fusion de TPS et de Canal +, nous avons veillé à prendre des dispositions pour faire en sorte que le pluralisme reste la réalité. Je vous trouve donc très injuste. Nous devrions tous avoir à cœur d’expliquer à nos concitoyens que le pluralisme a besoin d’investisseurs, d’un certain nombre d’opérateurs pour financer la radio, la télévision et la presse écrite dans toutes ses dimensions.

Je rappelle d’ailleurs que le gouvernement de Lionel Jospin, dont Ségolène Royal était ministre, n’avait, lors de l’attribution des chaînes en 2000, prévu aucune contrepartie pour ces opérateurs privés que vous pointez aujourd’hui du doigt. Or, dans le cadre d’un basculement complet de l’analogique au numérique, l’État a l’obligation juridique de donner une compensation aux opérateurs dont l’autorisation de diffusion, qui crée des droits, a été raccourcie du fait du passage au numérique. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, que n’auriez-vous dit si nous avions envisagé une compensation financière ? Cette solution n’était pas acceptable, selon moi, et, en tout cas, nous ne l’avons pas proposée. Nous lui avons préféré un dispositif équilibré, qui renforce le soutien à la création cinématographique et audiovisuelle tout en diversifiant l’offre accessible à nos concitoyens. Je demande donc à l’Assemblée de ne pas voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Christian Kert, pour le groupe UMP.

M. Christian Kert. Monsieur le président, le porte-parole de notre groupe et moi-même considérons que, si l’exposé de M. Mathus est sympathique, il est totalement archéosocialiste ! Il nous dit que nous sommes face à une véritable révolution numérique, mais que nous allons trop vite et qu’il n’y a pas lieu de se presser. C’est bien la première fois qu’il n’est pas nécessaire de répondre à une révolution, fût-elle numérique !

Monsieur Mathus, à vous entendre, nous avons le sentiment que vous regardez la télévision non sur un téléviseur mais dans le rétroviseur… (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) On lit rarement l’avenir dans un rétroviseur !

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis. Excellent !

M. Christian Kert. Vous vous en prenez à ce que vous appelez le cadeau des chaînes bonus. Je vous rappelle qu’en juin 2000, Mme Trautmann, alors ministre de la culture et de la communication, préconisait dans son projet de loi un bonus d’un canal supplémentaire pour tout éditeur d’un service national autorisé pour une diffusion analogique. Vous étiez rapporteur de ce texte, monsieur Mathus, et vous n’y étiez aucunement opposé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Antoine Herth. Il est bon de le rappeler !

M. Christian Kert. Curieusement, il n’y avait aucune contrepartie !

M. Antoine Herth. Voilà !

M. Didier Mathus. Ils l’avaient déjà obtenue !

M. Christian Kert. Voilà un véritable cadeau ! Il faut donc relativiser votre propos, monsieur Mathus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Antoine Herth. Quelle leçon !

M. Christian Paul. Ils n’ont rien compris !

M. Christian Kert. Vous nous accusez aussi d’affaiblir le service public. Quelle mauvaise foi ! Au contraire, nous confortons le service public en assurant la réception de l’ensemble des programmes régionaux de France 3 – ce à quoi vous n’aviez pas songé – et en veillant à maintenir la qualité de l’offre des programmes. Nous sommes les défenseurs du service public, pas ses censeurs !

Vous dites que nous mettons en cause la démocratie. En assurant l’accès aux informations de France 3 sur tout le territoire, nous défendons la démocratie locale !

Pour parler des marchés publics et de la télévision du futur, vous faites référence à la une de Paris Match. Cela n’a strictement rien à voir avec la télévision du futur, qui est un tout autre enjeu !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. C’est triste !

M. Christian Kert. Enfin, vous nous accusez d’être archaïques. Je vous rappelle que votre excellente ministre Mme Trautmann a découvert la télévision numérique dans son projet de loi, à la faveur d’un amendement que nous avions déposé ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Paul. C’est très élégant !

M. Christian Kert. L’archaïsme, monsieur Mathus, est donc de votre côté ! Voilà pourquoi nous ne voterons pas cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques.Quelle leçon, monsieur Mathus !

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Le titre de ce texte, « télévision du futur », a fait naître des espoirs que ce débat décevra forcément. La télévision du futur sera bien celle qu’annonce Bill Gates, avec des réservoirs de contenus et des moteurs de recherche performants qui permettront aux spectateurs de composer leur sélection audiovisuelle. Mais son horizon est encore à moyen terme.

Ce projet de loi aurait gagné à un peu plus de prosaïsme et d’humilité. Il concerne – et ce n’est pas rien – la mise en œuvre de la télévision numérique terrestre et de la télévision mobile personnelle. C’est un débat honorable, attendu par les Français, qu’ils soient acteurs socio-économiques ou spectateurs,…

M. le ministre de la culture et de la communication. Ou créateurs !

M. Jean Dionis du Séjour. …et l’UDF donne acte au Gouvernement de sa volonté de traiter le problème au cours de son mandat.

Reste le malaise créé par le canal bonus. Nous, au groupe UDF, pouvons en parler librement car nous n’étions au gouvernement ni en 2000 ni en 2007. La TNT mérite en effet une action forte et immédiate, mais l’avancée technologique qu’elle représente est un peu brouillée parce qu’il faut bien appeler l’affaire du canal bonus. Pour cette raison, l’UDF s’abstiendra de voter cette question préalable.

M. le président. La parole est à M. Michel Françaix, pour le groupe socialiste.

M. Michel Françaix. J’ai connu Christian Kert plus méthodique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Il a été parfait !

M. Michel Françaix. Vous dites, monsieur, que nous n’avons pas le mot juste, mais le vôtre n’est pas toujours des plus élégants… Votre intervention a eu le mérite de rappeler que la TNT a été initiée lorsque nous étions dans la majorité. Vous nous reprochez d’avoir été maladroits, d’avoir échoué. Du moins le ministre de la culture ne pourra-t-il plus répéter qu’il est à l’origine de la TNT. Il n’a rien inventé, puisque les trois quarts du dossier avaient été bouclés par nous, et son action a plus contribué au gel de ce projet qu’à son avancement.

M. le ministre de la culture et de la communication. Tiens donc !

M. Michel Françaix. M. Kert a également rappelé que le bonus avait été créé par la gauche. Certes, mais comme le disait une publicité il y a quelques années : un bonus, ça va, deux bonus, bonjour les dégâts ! Le premier bonus avait un sens, une logique, une cohérence. Le second, lui, relève d’une relation amicale avec certains médias, ce qui ne correspond pas du tout à notre vision de la démocratie et à ce que nous voulons pour notre République.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Vous nous avez habitués à moins de platitude !

M. Michel Françaix. Avec vous, plus il y a de chaînes de télévision, moins il y a de choix. Elles appartiennent toujours aux mêmes, et elles débitent toutes les mêmes choses. Nous ne pouvons accepter cela et c’est pourquoi nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la loi du 30 septembre 1986, qui a succédé à une cascade de textes éphémères, apparaît comme un point d'ancrage durable de notre droit de la communication audiovisuelle dans la mesure où elle donne à ce secteur une armature juridique. Nous sommes amenés aujourd'hui à en modifier quelques articles, et avant d'entrer dans le vif du sujet je voudrais rappeler quelques principes qui me tiennent à cœur.

Le second alinéa de l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986 définit ainsi la communication audiovisuelle : « Toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, écrits, images, sons ou messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ».

La définition de la communication audiovisuelle se fonde donc sur la destination des contenus. Une circulaire du 17 février 1988 a tenté de la préciser en se basant sur trois critères : le message délivré est destiné indifféremment au public en général ou à des catégories de publics ; son contenu n'est pas fonction de considérations fondées sur la personne destinataire ; enfin, le message est mis à la disposition de tous les usagers du service, gratuitement ou non.

La ressource numérique étant un bien public, donc commun, aucune décision ne saurait être prise que dans l'intérêt général, c’est-à-dire avec le souci de la diversité des contenus, de l'exception culturelle, de l'accessibilité pour tous et du pluralisme.

M. le ministre de la culture et de la communication. Eh oui !

M. Frédéric Dutoit. Parce que l'image occupe une place toujours grandissante dans notre quotidien, ce projet de loi se révèle aura indiscutablement des effets sur la vie de tous les jours de nos concitoyens. Certes, les nouvelles technologies sont un atout historique incontestable dans le domaine audiovisuel : les dénigrer, les sous-estimer serait une grave erreur. Mais tout dépend de ceux qui les possèdent et des finalités qu’elles servent. Autrement dit, la technologie ne doit pas masquer les conséquences considérables – culturelles, industrielles, éthiques, politiques, économiques – qu’a son utilisation, conséquences dont le législateur doit impérativement tenir compte.

Ce projet de loi prévoit un basculement complet de la télévision analogique vers la télévision numérique, débutant progressivement en mars 2008 pour s’achever le 30 novembre 2011. Si, après une première lecture un peu rapide, on a l’impression d’un certain bon sens,…

M. le ministre de la culture et de la communication. Merci !

M. Frédéric Dutoit. …on s'aperçoit qu'il conforte immensément le poids des puissants. De rachats en fusions, le secteur des médias et des industries culturelles connaît un phénomène croissant et accéléré de concentration. Le texte lui fait de nombreux cadeaux : canal supplémentaire émettant sur tout le territoire, gratuitement ou non, pour les trois opérateurs privés historiques – TF1, Canal Plus et M6 ; accès automatique au futur réseau de télévision mobile personnelle pour les nouveaux entrants de la TNT, dont les chaînes des groupes Bolloré, Bertelsmann-RTL, Lagardère-Hachette et Canal Plus-TPS ; marché de la haute définition offert aux industries de l'électronique grand public et aux installateurs – un marché réservé de plusieurs millions de personnes ! – marché de la télévision mobile personnelle offert aux trois grands opérateurs de télécommunications que sont Orange, filiale de France Télécom, SFR, filiale de Vivendi et donc liée à Canal Plus, et Bouygues Télécom, filiale du groupe du même nom, intimement liée à TF1.

Pourtant, et alors que chacun sait que le monopole, dans le domaine des médias, constitue un réel danger pour la démocratie, le texte est quasiment dénué de verrous anti-concentration. Ceux-ci devraient au contraire être renforcés. Les pouvoirs publics doivent garantir le droit des citoyens d'informer et d'être informés indépendamment d’audiences moyennes calculées en fonction de critères strictement marchands, au mépris de la diversité des publics, de la déontologie des journalistes et de la qualité de l'information. Or, ces cadeaux plus que discutables se font sans aucune contrepartie réelle quant au contenu de l'offre de programmes, qui va se transformer en profondeur, surtout avec l’arrivée de la télévision mobile personnelle – mais je vous rassure, monsieur le ministre, je vous ai entendu sur cette question…

La multiplication même des canaux de diffusion pose pourtant avec acuité la question fondamentale des contenus, tant en ce qui concerne leur qualité que leur diversité. Celle-ci n'apparaît pas comme un enjeu central, alors qu’elle devrait être au cœur de toute politique audiovisuelle digne de ce nom.

Ensuite, ce projet de loi ignore totalement le service public, dont on sait pourtant la fragilité. On aurait pu imaginer, alors que se construit un nouveau paysage audiovisuel, que l'État y apporte une vraie contribution. Or, non seulement il ne donne rien, mais le projet va jusqu'à ne rien prévoir de public sur les futurs canaux de la télévision mobile personnelle. Nous ne le répéterons pourtant jamais assez : le droit à l'information est intimement lié au pluralisme dans les médias. En conséquence, la première urgence est d'empêcher la mainmise de quelques groupes financiers sur l'ensemble du paysage audiovisuel européen. Il faut stopper le mouvement de concentration verticale dont je viens de parler.

Cette prise de position signifie, dans mon esprit, encourager l'audiovisuel public et la prise en compte de missions spécifiques. Le secteur public de l'audiovisuel doit être en mesure de remplir ses fonctions de service public. Son animation et sa gestion doivent être largement démocratisées. Sa créativité doit être libérée des enjeux commerciaux qui l'incitent à se battre avec les mêmes armes, les mêmes programmes que les médias privés.

La télévision de service public n'est pas prête à affronter les nombreux défis liés à la modernisation des modes de diffusion. Comment imaginer une télévision du futur sans un service public fort, offensif, capable de rivaliser avec les moyens de plus en plus colossaux des grands groupes privés et des opérateurs de télécommunications ?

M. Dominique Richard. Il y a huit chaînes publiques !

M. Frédéric Dutoit. Sans volonté politique résolue, nous assisterons à la marginalisation du groupe France Télévisions. Le groupe France Télévisions possède, à cet égard, de réels atouts : d'abord, l'attachement d'une majorité de citoyens au service public audiovisuel, ensuite, un inestimable savoir-faire dans la production de contenus à haute valeur ajoutée culturelle et artistique.

Pourtant, une autre caractéristique de ce projet de loi est l'oubli des télévisions de proximité et des télévisions associatives. Celles-ci n'ont été jusqu'ici que fort peu aidées, mais leurs potentialités de développement, avec le passage au numérique, sont évidentes. On sait leur importance pour une vitalité démocratique, décentralisée et plurielle de l'espace public.

Alors que l'on n'a jamais autant parlé de décentralisation, le développement des télévisions de proximité indépendantes, associatives, locales devrait être une priorité. Leur essor doit être accompagné de la création d'un fonds de soutien permettant de renforcer leur place dans le paysage audiovisuel français. C'est un gage de diversité culturelle, mais aussi de diversité des modèles économiques. À cet égard, je vous rappelle que les « Rencontres de Marseille des médias associatifs et indépendants » ont réuni près de 150 médias français, du 5 au 8 mai 2006, en présence d'une vingtaine de représentants de médias européens et internationaux de même nature, qui se développent dans le monde entier, et de représentants des « Rencontres de Grenoble des médias alternatifs de la région Rhône-Alpes » du 22 avril 2006.

Ces rencontres ont permis de dresser le constat suivant : à côté des secteurs privé et public, il existe un vaste tiers secteur des médias constitué d'une multitude de médias non alignés. Les médias du tiers secteur partagent les mêmes valeurs essentielles : ils sont indépendants, laïques, pluriels, à but non lucratif et respectueux de la déontologie du journalisme, ainsi que des droits des créateurs. La diversité assumée de leurs objectifs, de leurs contenus, de leur fonctionnement, de leur mode et de leur zone de diffusion, de leurs approches du local et de la proximité en résonance avec le niveau planétaire, et de leur rapport à leur public participe de la richesse même de ce tiers secteur des médias.

Enfin, ce qu'il faut déplorer dans ce projet, c'est l'absence de la radio, dont je veux croire qu'un texte spécifique précisera rapidement le passage au numérique. Pourtant, nous regrettons cette segmentation de l'ensemble radio-télévision et soulignons la légitime inquiétude des radios libres, indépendantes et de proximité.

Ce que nous demanderons avec force à travers nos amendements, c'est un monde numérique établissant des droits d'accès au numérique, une solidarité numérique, une éthique du numérique, une responsabilité numérique, un projet éducatif au numérique, une charte qui fera largement place aux créations originales envisageant la diversité des outils désormais disponibles.

Et puis, disons-le, votre texte n’anticipe en rien sur les évolutions technologiques futures concernant, notamment, la diffusion par Internet. Pourtant, celle-ci offre et offrira des possibilités considérables. Elle introduit l’interopérabilité et donc la participation active et consciente des citoyens. Gageons que votre texte sera obsolète d’ici peu. Peut-être dès 2011. Mais peut-être, aussi, l’utilisation de la procédure d’urgence ne vous a-t-elle pas permis de prendre le temps d’une véritable réflexion de fond capable d’anticiper sur l’avenir. Il faut reconnaître que vous êtes habitué en la matière : souvenons-nous de la fameuse loi DADVSI, relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, qui est déjà obsolète.

Bref, en traitant de la télévision du futur, c'est aussi à la qualité et aux conditions de création du patrimoine audiovisuel de demain que nous devons veiller. C'est un enjeu de société, mais aussi un défi majeur, afin que l'exception culturelle de notre pays, toujours plus menacée par les lois du marché, en sorte consolidée.

Vous devez vous en douter : ce projet de loi est bien loin de répondre à nos attentes. En conséquence, il y a de très fortes chances que nous votions contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Richard.

M. Dominique Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vingt ans après la loi fondatrice du 30 septembre 1986, adoptée à une époque où l'offre se limitait à cinq chaînes gratuites et une payante, le paysage audiovisuel français a profondément changé et se trouve à la veille de nouveaux bouleversements. La multiplication de l'offre de chaînes, l'arrivée du numérique hertzien, la diffusion via Internet ou la téléphonie ont transformé la place de ce média qui est au cœur de la vie de nos concitoyens : trois heures et demie par jour pour ceux qui ont une offre limitée ; près de quatre heures pour ceux qui disposent d'une offre élargie.

Face à la prégnance de ce phénomène audiovisuel, la législature qui s'achève aura été particulièrement féconde et aura permis, sous votre autorité, monsieur le ministre, de mettre en place les dispositifs de la télévision du troisième millénaire. Qu'il me soit donc permis de rappeler les étapes que nous avons franchies ensemble ces derniers mois.

Tout d'abord, la réforme de la perception de la redevance audiovisuelle, dont je salue l'inspirateur, Patrice Martin-Lalande, qui a permis de la moderniser et donc d'en optimiser la recette.

M. Patrice Martin-Lalande. Nous étions plusieurs !

M. Dominique Richard. Cette réforme est une réelle avancée au service d'une gestion toujours plus rigoureuse de nos ressources publiques. Pour autant, nous savons que le financement de l'audiovisuel public, au regard de l'exigence d'offre de programme, d'avancées technologiques et de soutien à la création, demeure une question qu'il nous faudra revoir lors de la prochaine législature.

Cette législature qui s'achève aura également été marquée par de nombreuses avancées dans le domaine du soutien à la création cinématographique et audiovisuelle. D'abord, par l’abondement de la taxe alimentant le compte de soutien à l'industrie de programmes par la prise en compte des recettes générées par les SMS et le parrainage et, surtout, dans le cadre du présent projet de loi, par la contribution des distributeurs de chaînes, qui consacre à la fois le principe de neutralité technologique et rappelle que, pour nous, le contenu l'emportera toujours sur le contenant.

M. Michel Françaix. Pas toujours !

M. Dominique Richard. Cet amendement a fait l'objet d'une concertation sans précédent et bénéficie d'un large consensus, aussi bien des professionnels de la télévision que du monde de la culture. Ce n'est pas par hasard qu'il a été adopté à l'unanimité en commission des affaires culturelles, mardi dernier.

Au-delà du COSIP, c'est également au cours de cette législature que les dispositifs d'incitation à la re-localisation et au tournage en région ont été adoptés. Avec les trois crédits d'impôts cinéma, audiovisuel, distribution, ainsi que la facilitation de l'accès aux tournages dans les monuments historiques, ce sont des progrès considérables qui ont été accomplis pour donner du travail à nos artistes et techniciens.

Les premiers effets s'en font déjà sentir pour toute la filière de la production, puisque d'un peu plus de 6 600 jours de tournages d'œuvres audiovisuelles en 2004, nous sommes passés à 9 500 en 2006 ! Les effets bénéfiques sont reconnus dans tous les genres : fiction, animation et documentaire. La France a ainsi pu passer de la cinquième à la troisième place des producteurs européens de fiction et conforter sa première place dans le cinéma.

Cette législature, ne l'oublions pas, aura aussi été celle qui, grâce à la loi du 11 février 2005, a engagé de façon irrémédiable notre télévision à être totalement accessible aux malentendants d'ici à 2010 par la généralisation du sous-titrage.

Elle a également été celle de l'affirmation de notre audiovisuel extérieur avec les progrès considérables de TV5 Monde, qui est devenue la deuxième chaîne la mieux distribuée au monde, et avec l'avènement de France 24, qui, seulement quelques semaines après son lancement, est accessible dans plus de quatre-vingt-dix pays.

Mais de toutes les avancées de cette législature, celle qui aura le plus profondément bouleversé l'offre des trois quarts de nos concitoyens, qui ne disposaient en février 2005 que du même nombre de chaînes qu'en 1986, c'est la réussite, au-delà de tous les espoirs, du lancement de la TNT avec ses dix-huit chaînes gratuites, soit une offre multipliée par trois. Face à l'arrivée de cette nouvelle offre variée, alliant chaînes mini-généralistes, tout info, jeunesse, civiques ou musique, le succès que leur réservent nos concitoyens est la meilleure des réponses au mauvais procès de concentration des médias.

Aujourd'hui, le texte qui est soumis à notre examen va nous permettre de franchir une nouvelle étape, une étape décisive, pour que la France soit à la fois à l'avant-garde technologique et le pays qui permet à la diversité culturelle d'exister par un soutien à toute la filière de création.

L'examen du projet au Sénat et les modifications apportées en commission à l'Assemblée ont permis, pour l'essentiel, de dégager un large consensus et d'arriver à un texte équilibré qui devrait satisfaire l'écrasante majorité de la filière. Qu'il me soit simplement permis de signaler quelques points importants sur lesquels nous reviendrons lors de l'examen des articles.

Les missions de service public de France Télévisions doivent être garanties et, ainsi, tous les téléspectateurs doivent pouvoir avoir accès à leur programme régional. C'est le but que poursuivent les amendements adoptés en commission et je souhaite que vous nous confirmiez, monsieur le ministre, que l'État s'y engagera au moyen d'une compensation financière car il serait déraisonnable d'imposer une obligation supplémentaire de transport.

M. Patrice Martin-Lalande. Très bien ! Il faudra y veiller !

M. Dominique Richard. Si ce texte ne concerne que la télévision numérique, il est indispensable, monsieur le ministre, que vous donniez les assurances que la radio numérique aura accès à la TMP, et ce dans la diversité des stations de radio, qu'elles soient nationales, associatives, indépendantes, locales ou thématiques.

L'évolution du paysage et l'avènement de nombreuses chaînes d'information, généralistes ou sportives, pose la question du droit à l'information au regard de la multidiffusion, sans nier pour autant la question des détenteurs de droits.

L'histoire récente nous invite également à aller plus loin que le Sénat, en s'opposant, par le vote de l'amendement voté en commission, à la pratique inacceptable des écrans noirs.

De la même façon, nous ne pourrons plus éluder longtemps la question de la fluidité des droits. C'est une question essentielle au développement d'un second marché permettant à la fois de mieux amortir les productions et de diffuser davantage des œuvres françaises et européennes. C'est également une question essentielle pour les chaînes conventionnées, qui, plus que toutes autres, sont garantes de la diversité culturelle.

Ces dernières ont d'ailleurs besoin, comme les entrants de la TNT, d'un minimum de sécurité quant au canal où elles sont proposées au téléspectateur. Si je partage votre analyse quant à leur positionnement, sur l'offre payante, dans des blocs thématiques, il me semble que le législateur leur doit certaines garanties et notamment de ne pouvoir, comme cela a pu être observé par le passé, être déplacées sans leur accord d'un bloc à un autre.

Enfin, parmi les mesures que notre texte s’apprête à intégrer, je suis particulièrement fier de la disposition qui va mettre sur un pied d’égalité les distributeurs de chaînes au regard de leur contribution au compte de soutien à l’industrie de programmes. En contrepartie d’un taux sécurisé de TVA à 5,5 % sur les services audiovisuels, les distributeurs pourront proposer une offre attractive et bénéficier du COSIP, instrument de référence de soutien à la création. En le modernisant, nous nous assurons qu’il continuera de remplir sa mission au service de la production et, à travers elle, de la création française.

L’amendement, adopté par le Sénat, sur l’œuvre audiovisuelle, dans laquelle nous souhaitons englober les vidéo-musiques, reprend le combat qui a débouché sur la victoire de la France avec l’adoption de la convention pour la diversité culturelle à l’UNESCO. Cette avancée notoire devrait se concrétiser grâce à un décret d’application permettant aux chaînes de télévision de faire croître progressivement leurs quotas de diffusion en fonction de leurs conventions propres et, d’autre part, éviter les effets collatéraux qui pourraient se traduire par une fâcheuse banalisation de l’offre de programmes, en entraînant notamment de facto la disparition de certains magazines de référence.

L’octroi d’un canal compensatoire aux chaînes privées préexistantes à la TNT − qui sont, avec les chaînes publiques, les premiers financeurs de programmes − a fort justement été conditionné, contrairement à la loi d’août 2000, à la souscription d’engagements qualitatifs en la matière.

M. Patrice Martin-Lalande. C’est toute la différence !

M. Dominique Richard. Monsieur le ministre, chers collègues, nous avons devant nous un projet de loi fondateur pour la télévision du xxie siècle en France.

M. Michel Françaix. C’est un peu osé !

M. Dominique Richard. Il doit permettre à chaque Français, quels que soient sa condition, son lieu d’habitation et ses goûts, d’avoir accès, dans les meilleures conditions technologiques, à une offre culturellement riche, variée et correspondant à ses aspirations.

Le groupe UMP vous soutiendra avec enthousiasme, monsieur le ministre…

M. Michel Françaix. Avec enthousiasme ? Je croyais que c’était avec résignation !

M. Patrice Martin-Lalande. Avec enthousiasme, c’est vrai !

M. Dominique Richard. …car nous sommes convaincus que notre majorité aura, au cours de cette législature, permis à l’audiovisuel français de franchir des étapes décisives sur la voie d’une offre de qualité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gouriou.

M. Alain Gouriou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le passage de nombreuses technologies à l’ère numérique invite le législateur à réfléchir et à mettre en œuvre les adaptations nécessaires à l’évolution du paysage audiovisuel.

Cependant, on peut une fois de plus s’étonner que le Gouvernement ait déclaré l’urgence sur ce texte. Elle est, nous semble-t-il, d’autant moins nécessaire que la renégociation de la directive européenne Télévision sans frontières est engagée et que le Parlement européen vient de débattre sur ce point. N’aurait-il pas été plus pertinent d’attendre le résultat de cette négociation avant de proposer ce projet de loi au Parlement français ? Nous aurions ainsi pu transposer dans la loi les nouvelles dispositions européennes. Il est plus que probable qu’il faudra bientôt revenir sur ce texte.

En raison du calendrier électoral, le Président de la République et le Gouvernement ont été fortement tentés de précipiter l’adoption d’un texte dont la finalité essentielle apparaît clairement : favoriser et conforter les positions de quelques groupes amis de la majorité actuelle.

M. le ministre de la culture et de la communication. Mais non ! Vingt chaînes gratuites pour tous les Français !

M. Alain Gouriou. Nul ne doute qu’il soit nécessaire d’inscrire la diffusion audiovisuelle dans ce nouveau cadre. La TNT et la télévision haute définition constituent des avancées remarquables et apportent une amélioration considérable de la qualité de réception pour les téléspectateurs. Grâce aux efforts et aux talents des chercheurs se dessinent, mois après mois, d’autres perspectives. Les réseaux de fibre optique rendent possible l’ouverture prochaine de nouveaux services. Je n’en veux pour preuve que le nombre et la qualité des projets instruits dans le cadre du pôle de compétitivité Images et réseaux installé en Bretagne, associant laboratoires, grandes, petites et moyennes entreprises, porteurs d’activité et créateurs d’emplois.

Dans le champ de compétence de la commission des affaires économiques, la priorité qui doit requérir vigilance et attention concerne la télédiffusion sur l’ensemble du territoire. Il ne nous paraît pas envisageable d’opérer un basculement définitif et irréversible vers le numérique, tant que n’est pas assurée la garantie de la couverture intégrale pour 100 % de la population.

Nous sommes néanmoins quelque peu sceptiques quant à la possibilité d’atteindre un taux de couverture pour 95 % de la population française par voie hertzienne en mode numérique. Nous connaissons la situation actuelle de la diffusion en mode analogique. Sur de nombreux points du territoire, la réception des chaînes historiques gratuites est médiocre, souvent limitée à trois ou quatre chaînes. Nous incluons bien évidemment l’outre-mer et l’ensemble des zones non couvertes par la TNT. Nous connaissons des précédents : en ce qui concerne la norme GSM pour la téléphonie mobile ou l’équipement internet haut débit, subsistent toujours de nombreuses zones blanches et zones grises. Pour pallier cette fracture numérique, nombreuses sont les collectivités locales − notamment les départements − qui ont dû financer des infrastructures et des équipements importants, indispensables à l’utilisation des communications électroniques et à l’essor économique des territoires. Malgré les dispositions contenues dans les précédents textes législatifs, zones blanches et zones grises ne sont pas éliminées, loin s’en faut.

Sans doute, l’ambition d’une couverture à 100 % par voie hertzienne ne semble pas réaliste. Aucun pays européen n’y prétend : le Royaume Uni et l’Espagne se sont fixé un objectif de 98 %. Dans nombre de zones géographiques, pour atteindre le taux de 95 % inscrit dans le projet de loi, il faudra des installations complémentaires : modification des émetteurs, réémetteurs, relais. Ces financements sont-ils prévus ? Par qui et comment seront-ils assurés ? Les collectivités locales seront-elles sollicitées ?

Enfin, là où la voie hertzienne s’avérera impraticable, force sera de recourir au mode de diffusion satellitaire ou à la diffusion par ADSL. Pour assurer la réception par voie satellitaire, le coût des adaptations techniques pour passer de l’analogique au numérique est estimé à environ 535 euros par foyer ; le même organisme l’estime à 115 euros pour l’adaptation à la TNT. Votre projet prévoit que nos concitoyens aux revenus modestes pourront bénéficier d’une aide pour financer les modifications nécessaires. Il est évidemment hautement souhaitable que ce service satellitaire de substitution puisse assurer gratuitement la diffusion des dix-huit chaînes gratuites sur un même satellite. Une présentation plus détaillée de ce fonds d’aide serait aussi souhaitable.

Par ailleurs, en raison des risques d’obsolescence rapide de certains récepteurs, de nombreuses associations de consommateurs expriment le souhait de voir organiser une large information et sensibilisation sur cette question.

Ces points sont essentiels, on ne peut imaginer qu’une partie de nos concitoyens se trouvent face à un écran noir au moment du basculement vers le numérique.

La gestion du dividende numérique apparaît comme le second point important du projet de loi. Il nous semblait que la réaffectation des fréquences était l’occasion de favoriser le développement des télévisions locales et des télévisions associatives, ou de doper le service public. Or, de manière tout à fait injustifiée, le projet offre aux opérateurs historiques − TF1, Canal Plus et M6 − une prorogation automatique de cinq ans de l’autorisation de diffusion, et leur attribue une chaîne bonus à partir de 2011, au moment où cessera la diffusion en analogique. Lorsqu’on sait que les opérateurs historiques ont déjà bénéficié d’une chaîne bonus lors du lancement de la TNT, en mars 2005, que ces grandes chaînes historiques, publiques ou non, réaliseront d’importantes économies, les coûts de diffusion en numérique étant sept ou huit fois inférieurs à ceux de l’analogique, quand on sait encore que ces mêmes chaînes perçoivent l’essentiel des recettes publicitaires, on comprend mal quel préjudice justifie de telles compensations.

Consultés sur le projet de loi, le CSA et l’ARCEP ont tous deux émis les plus grandes réserves quant à l’octroi d’une nouvelle chaîne bonus, soulignant en particulier le risque de déséquilibre de l’offre TNT et de mise en péril du pluralisme. Il est aussi intéressant de noter que, à la fin de juillet 2006, la Commission de Bruxelles a envoyé au gouvernement italien une lettre de mise en demeure pour avoir accordé aux opérateurs analogiques passant au numérique des avantages injustifiés au regard, notamment, des règles européennes en matière de concurrence. Pour éviter des sanctions, le gouvernement italien s’est engagé à revoir sa législation sur ce point.

Les nouveaux entrants de la TNT expriment aussi leur inquiétude quant à la possibilité qui leur sera laissée de se développer dans ces conditions, d’autant plus que ces chaînes sont éparpillées sur les plans de service de certains opérateurs du câble et du satellite, qu’elles sont numérotées entre 30 et 220, alors que les chaînes historiques sont toutes diffusées sur les canaux de 1 à 10. Pour que les téléspectateurs ne soient pas perdus dans une offre aussi élargie, il paraît en effet important que les chaînes gratuites gardent le même numéro, quel que soit le mode de diffusion choisi, TNT, câble, satellite ou ADSL.

La télévision mobile personnelle, enfin, est sans aucun doute promise à un succès et à un développement comparables à ceux que rencontrent les téléphones portables depuis quelques années. La TMP a toutes les chances de devenir un média de masse si l’on observe ce qui se passe dans divers pays et dès lors que certains obstacles techniques auront été levés. Quant à ses conséquences en matière de culture, d’éducation et de lien social, c’est une autre histoire. On peut craindre aussi que ce nouveau marché ne soit à son tour accaparé par quelques grands groupes.

Je souhaiterais enfin savoir dans quelles conditions les deux autorités de régulation compétentes dans ce domaine, le CSA et l’ARCEP, exerceront leurs rôles respectifs.

Monsieur le ministre, sur ces différents points, notre groupe a déposé un certain nombre d’amendements qui vont dans le sens d’une plus grande justice et d’une meilleure qualité de notre paysage audiovisuel. Car, en l’état, nous ne pouvons voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, avant de donner la parole à l’orateur suivant, et compte tenu de l’heure et du nouveau jour qui commence, je me permets de souhaiter en votre nom un très bon anniversaire à notre collègue Bernard Mazouaud. (Applaudissements.)

M. Bernard Mazouaud. Merci, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. François Bayrou.

M. François Bayrou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au fond, la question à laquelle nous devons répondre est très simple : les avantages que le projet de loi consent à des opérateurs de télévision dominants sont-ils justes ou injustes ? Les deux avantages principaux qui leur seront concédés, si ce texte est adopté, correspondent-ils à ce que devrait être une décision équitable dans une République impartiale ? Notre réponse – qui n’est pas seulement la nôtre, mais celle de tous ceux qui ont regardé le texte de près, comme je tâcherai de vous en donner des preuves − est que votre décision est partiale, que les avantages que vous accordez le sont injustement, qu’il y a un déséquilibre et que tout cela ne correspond pas aux principes que la République devrait défendre.

Il y a là quelque chose qui heurte à la fois le bon sens et l’équité. Tel est, succinctement posé, le cadre de notre intervention.

Une fois encore, le Gouvernement a déclaré l’urgence sur ce texte, comme il l’avait fait pour le projet de loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information. Quelle personne douée de bon sens pourrait soutenir que l’urgence est fondée, s’agissant d’un tel dossier ? Rappelons que votre propre projet fixe pour terme le 30 novembre 2011 et que la directive européenne renvoie à 2015. En cet hiver 2007, il aurait pu sembler normal qu’un gouvernement respectant les droits du Parlement et un parlement respectant ses principes n’acceptent pas de délibérer dans l’urgence sur un sujet qui ne concerne ni les mois ni même les années qui viennent,…

M. Dominique Richard. Mais si !

M. François Bayrou. …mais une échéance très lointaine. Bref, il y a là un abus d’urgence (Approbations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française) dont le Gouvernement est coutumier et dont la dérive de la République nous a fourni, hélas ! très de nombreux exemples. Ce n’est rien d’autre qu’un manquement aux droits que le Parlement devrait faire valoir et que le Gouvernement devrait respecter.

M. Philippe Folliot. Très juste !

M. François Bayrou. Le problème, tout le monde le connaît : vous avez décidé d’accorder des avantages à des opérateurs dominants, aux acteurs les plus puissants, et cette initiative a été très cruellement condamnée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans son avis du 11 juillet 2006. Je n’ai pas souvenir d’avis plus dur que celui que l’on peut lire sur le site du CSA.

M. François Sauvadet. Il fallait le rappeler !

M. Christian Paul. Quel scandale en effet !

M. François Bayrou. Le Conseil souligne tout simplement que, selon lui, il n’y a pas de proportionnalité dans les avantages que l’on compte accorder aux chaînes nationales analogiques, et que ces avantages sont par ailleurs sans commune mesure avec ceux qui sont prévus en faveur des télévisions locales analogiques existantes.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

M. Charles de Courson. Et c’est grave !

M. François Bayrou. Il rappelle en somme ce que nous n’aurions jamais dû perdre de vue : la procédure d’appels à candidatures pour l’attribution des fréquences est un des principes fondamentaux du droit de l’audiovisuel. La loi de 1986, que vous avez quelques raisons de connaître personnellement, monsieur le ministre,…

M. Jean-Christophe Lagarde. Ah bon ? (Sourires sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. François Bayrou. …précisait que, après l’attribution des fréquences, une autorisation était accordée pour une durée limitée à dix ans. Or cette autorisation a été constamment prorogée par tous les gouvernements – de quelque bord qu’ils soient, je vous l’accorde – depuis cette époque. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Dionis du Séjour. Et cela continue !

M. François Bayrou. En 1994, la loi Toubon avait déjà posé le principe d’une reconduction simplifiée sans appel à candidatures dans la limite de deux fois cinq ans.

M. Yves Bur. Cette loi, vous l’avez soutenue ! Vous avez la mémoire sélective, monsieur Bayrou.

M. François Bayrou. En septembre 1996, TF1 – puisque c’est principalement de cette grande chaîne qu’il s’agit – a bénéficié d’une première reconduction simplifiée de cinq ans applicable au 1er janvier 1997.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ça ne s’arrête jamais !

M. François Bayrou. La loi Tasca d’août 2000 précise que les chaînes ayant bénéficié d’une première reconduction de cinq ans verront leur seconde reconduction passer de cinq à dix ans en contrepartie d’un engagement de diffusion sur la TNT.

M. Philippe Folliot. C’est ce qu’on appelle un contrat en béton !

M. François Bayrou. En application de cette loi, TF1 bénéficie en novembre 2001 d’une deuxième reconduction de dix ans valable à compter du 1er janvier 2002. Cette autorisation viendra donc à échéance en 2012, et voilà que vous proposez deux nouvelles reconductions simplifiées de cinq ans, ce qui nous mène à 2022 ! On aura ainsi accordé trente-cinq ans d’autorisation d’émission, de 1987 à 2022, sans appel à candidatures !

M. François Sauvadet. CQFD !

M. François Bayrou. Monsieur le ministre, cela correspond-il aux engagements que devrait prendre le Gouvernement de la République, qui est censé fixer un certain nombre de principes et vérifier à intervalles réguliers que ceux-ci sont respectés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Yves Bur. Lors du renouvellement de 1996, vous étiez au Gouvernement !

M. François Bayrou. Sans doute, monsieur Bur.

La procédure retenue dans ce texte n’est pas conforme à ce que nous sommes en droit d’attendre des défenseurs des principes républicains.

J’en viens à une deuxième anomalie : il est notoire que certaines de ces grandes chaînes, et en particulier celle que j’ai citée, ont compté parmi les plus farouches adversaires de la TNT avant que celle-ci ne soit adoptée.

M. Alain Gouriou. Absolument !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est pourtant ce Gouvernement qui a décidé d’imposer la TNT !

M. François Bayrou. Les responsables de cette chaîne expliquaient en toute occasion, notamment devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel, que c’était un mauvais projet, une décision mal orientée et mal inspirée. Aujourd'hui, nous nous retrouvons pour ainsi dire à front renversé. Pourquoi vouloir accorder à nouveau des avantages indus ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Bonne question !

M. Yves Bur. Malgré cela, c’est nous qui avons décidé la TNT !

M. François Bayrou. Il y a là un manquement, sinon aux principes, du moins à la logique. On voit bien le degré d’incohérence que l’on a atteint : on veut aujourd'hui accorder des avantages supplémentaires à ceux qui ont essayé – ce que l’on ne peut leur contester, du reste – de faire échouer la TNT dans notre pays.

M. le ministre de la culture et de la communication. Ils n’ont pas réussi !

M. François Bayrou. La troisième anomalie, et sans doute la plus grave, est l’attribution de chaînes « bonus ».

M. Charles de Courson. Les bien nommées, en effet !

M. François Bayrou. On va attribuer des avantages, sous forme de chaînes supplémentaires, alors que l’extinction de l’analogique ne précédera que de quelques semaines la date limite prévue par la convention antérieure.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Dominique Richard. Mais non !

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur. La date qui compte est 2008, pas 2012 !

M. François Bayrou. Rappelons les dates exactes : vous avez fixé la date d’extinction de l’analogique au 30 novembre 2011.

M. Dominique Richard. C’est une date limite !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le processus commencera en 2008, et se fera région par région.

M. François Bayrou. J’entends bien : au 30 novembre 2011 au plus tard. (Interruptions sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Or le terme actuellement prévu pour les autorisations est fixé au 15 avril 2012, ce qui laisse un intervalle de quatre mois et demi entre les deux dates. En bon sens élémentaire, monsieur le ministre, cet intervalle justifie-t-il que vous accordiez des chaînes bonus à ces grandes chaînes, et notamment à celle qui est la plus importante du paysage audiovisuel français – et l’on s’en félicite – et même du paysage audiovisuel européen ?

M. Dominique Richard. Ce n’est pas la première chaîne en Europe !

M. François Bayrou. Tout le monde dénonce ce manquement au principe d’équité, qui devrait pourtant être respecté par le Parlement et le Gouvernement français. (Approbations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Yves Bur. Je n’ai jamais vu autant de députés UDF dans l’hémicycle !

M. François Bayrou. Permettez-moi de vous citer un extrait de l’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel : « Le renforcement de la position des acteurs historiques de l'analogique pourrait fragiliser la situation économique des nouveaux entrants et provoquer ainsi des effets induits de concentration sur le marché de la télévision gratuite. »

M. Charles de Courson et M. François Sauvadet. Bien sûr !

M. François Bayrou. Le pluralisme, que nous avons jadis défendu ensemble, voudrait plutôt que l’on consolide la situation économique des nouveaux entrants et que l’on privilégie la diversité des opérateurs. Il ne peut s’accommoder des effets de concentration dont nous avons considéré ensemble et pendant longtemps – je parle là plus à Renaud Donnedieu de Vabres qu’à l’actuel ministre de la culture – qu’ils étaient de ces inconvénients à combattre pour que le paysage audiovisuel français et européen soit conforme aux principes que nous défendions.

M. Jean-Christophe Lagarde et M. François Rochebloine. M. Donnedieu de Vabres a bien changé !

M. Jean Dionis du Séjour. Mais où sont passés les libéraux ?

M. François Bayrou. Votre projet ne correspond pas à notre conception des libertés et de l’équilibre du secteur audiovisuel.

En outre, les manquements signalés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel exposent votre texte à diverses censures. Le Conseil de la concurrence est déjà saisi de l’attribution indue de chaînes bonus. La Cour de justice des communautés européennes pourra l’être également, elle qui s’oppose à l’octroi de droits exclusifs en matière de services de communication. Il est enfin un sujet sur lequel le Conseil constitutionnel devra se prononcer : la disproportion entre les préjudices subis et les avantages que vous consentez dans ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Il y a quelque chose de dérisoire dans l’habillage que vous nous avez présenté : bien entendu, les préjudices subis par les chaînes ne sauraient justifier de tels avantages. Il ne s’agit pas de compensations, mais de cadeaux ! Et l’on voit bien dans quel contexte ils sont faits : il existe désormais des opérateurs audiovisuels puissants qui exercent sur le Gouvernement une influence à laquelle celui-ci n’est pas capable de résister.

M. Yves Bur. C’est un procès d’intention !

M. François Bayrou. Pour notre part, nous voudrions que le Parlement de la République fasse respecter les principes que j’ai invoqués et auxquels nous regrettons que le Gouvernement ait manqué. Nous voudrions que se dégage dans cette assemblée une majorité capable de dire non quand le Gouvernement manque à ses obligations d’impartialité et à son devoir de faire respecter le pluralisme et le cahier des charges qu’il a lui-même imposé.

Monsieur le ministre, vous manquez à ces obligations. Pour ce qui nous concerne, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Yves Bur. Quel donneur de leçons !

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Monsieur le ministre, j’espère que mon accent du Sud-Est sera plus doux à vos oreilles que celui du Sud-Ouest (Sourires),…

M. Jean-Christophe Lagarde. Mais il sera moins sincère !

M. Christian Kert. …même si le fan-club qui entoure ce soir M. Bayrou présente, il est vrai, une grande diversité d’accents régionaux.

La télévision du futur frappe donc à notre porte ; si nous sommes tous très attentifs à ce texte de nature technique, c'est parce que nous devons faire en sorte qu’elle arrive dans chaque foyer français dans les meilleures conditions possibles. C'est à cette préoccupation démocratique que le législateur doit répondre, car le téléspectateur est bien au cœur de ce texte, même si nous ne le mentionnons guère directement dans nos débats.

M. Didier Mathus. Dites plutôt qu’il est oublié !

M. Christian Kert. Sur quelque banc que l’on débatte, monsieur Mathus…

Depuis quelques années, le paysage audiovisuel connaît des bouleversements sans précédent, parfois qualifiés de révolution numérique, liés à la fois à la multiplication sur le marché de nouveaux entrants privés commerciaux puissants et aux avancées technologiques majeures multipliant les supports et les modes de diffusion. Le projet de loi tient compte de cette nouvelle donne, mais il est essentiel que le service public ait la place qu’il mérite dans cet espace, aux côtés des opérateurs commerciaux privés, ces derniers ayant permis l'élargissement du nombre de chaînes d’abord sur le réseau hertzien analogique puis numérique.

Nous devions décider d’une date d'arrêt pour l'analogique. En la fixant à novembre 2011, nous laissons suffisamment de temps aux uns et aux autres pour se préparer au basculement dans le numérique.

M. Jean-Christophe Lagarde. M. Kert, lui, donne la véritable date !

M. Christian Kert. Les dispositions prévues dans le projet de loi, dont certaines ont été précisées par le Sénat et seront complétées par des amendements de l’Assemblée, devraient permettre de garantir à toutes les chaînes, celles du service public comme les autres, un traitement non discriminatoire. Elles constituent une réponse aux attaques selon lesquelles nous abandonnerions le service public.

L'exigence démocratique implique également que l'information de nos concitoyens soit la plus complète possible. Notre rapporteur de la commission des affaires culturelles, Emmanuel Hamelin, dont je tiens à saluer le travail, a intégré cette notion dans la nouvelle rédaction de l'article 7 bis, qui dispose que le consommateur devra obligatoirement savoir si son récepteur est équipé ou non pour recevoir des signaux numériques. Il est quand même étonnant qu'aujourd'hui l'offre TNT intégrée ne soit pas encore systématique, et nous approuvons totalement l’obligation nouvelle selon laquelle, six mois maximum après la promulgation de la loi, seuls les téléviseurs intégrant un adaptateur numérique pourront être vendus en France.

Une autre exigence pour les défenseurs d'un service public de qualité que nous sommes est l'accès de tous les Français aux programmes régionaux de France 3. En clarifiant le dispositif qui permet au bouquet satellitaire d'assurer la réception de l'ensemble des programmes régionaux de France 3, notre majorité entend affirmer le principe d'une démocratie locale.

L'exception culturelle française a toujours fait partie de nos préoccupations et nous tenons ici à rappeler que notre service public a été un acteur décisif dans la préservation de cette exception. Le maintien d'une offre de programmes riche et variée demeure primordial. France Télévisions a toujours respecté cette exigence et continuera à le faire bien que nous n'ayons pas donné suite à la demande d'une modification de ses règles publicitaires.

Certains critiquent l’octroi d'un canal supplémentaire aux chaînes historiques.

M. Michel Françaix. Ils sont d’ailleurs assez nombreux !

M. Christian Kert. Nous venons de vous entendre, cher François Bayrou. (Sourires.)

M. François Bayrou. C’est la fin de la législature !

M. Christian Kert. Cette mesure, que vous avez indûment – car il ne s’agit absolument pas de cela – qualifiée de cadeau (Rires sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française),

M. François Bayrou. C’est tout le contraire, bien sûr ! (Sourires.)

M. Jean-Christophe Lagarde. Une offrande, peut-être ? (Sourires.)

M. Christian Kert. …est assortie de contraintes encore plus grandes dans le domaine de la production et de la diffusion des œuvres.

M. Jean Dionis du Séjour. N’en faites pas trop !

M. Christian Kert. Cette disposition, que certains condamnaient, bénéficiera d’ailleurs à l'ensemble de la création française grâce aux obligations en termes de contenu, dont le CSA devra apprécier la teneur et la portée.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est sympathique pour le service public !

M. Michel Françaix. Il y avait mille autres façons de favoriser la création !

M. Charles de Courson. Vous auriez pu faire une adjudication !

M. Christian Kert. Dois-je rappeler qu'en 2000, le gouvernement de Lionel Jospin n'avait exigé aucune contrepartie à l'attribution de chaînes aux mêmes opérateurs privés que ceux visés par les critiques aujourd'hui ?

M. François Bayrou. C’est vrai ! Les mêmes causes produisent les mêmes effets !

M. Christian Kert. L'attribution de ces fréquences n’étant pas automatique, comment peut-on critiquer aussi véhémentement cette amélioration des aides à la création ?

J’approuve, enfin, le cadre juridique mis en place pour accompagner le développement des nouveaux services de télévision en haute définition et de la TMP. Comme d’autres, j’étais soucieux d’éviter la multiplication des écrans noirs et l’opposabilité des droits exclusifs, surtout dans le domaine des événements sportifs. Voilà qui justifie que nous votions ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Françaix.

M. Michel Françaix. Monsieur le président, monsieur le ministre, il faut rendre à César ce qui appartient à César. Même si je partage bien des propos de M. Bayrou, il y a bien eu un appel à candidatures en 1987,…

M. Jean-Christophe Lagarde. Pour La Cinq ?

M. Michel Françaix. …alors que les socialistes étaient au pouvoir, même si certains l’ont trouvé simplifié.

M. Jean-Christophe Lagarde. Réduit à la portion congrue, oui !

M. Michel Françaix. Mais il a été bien réel. Demandez donc à M. Bayrou de vérifier s’il n’a pas été ministre d’un gouvernement qui a prolongé les délais de TF1 !

M. Hervé Morin. Ce n’est pas faux !

M. Michel Françaix. Personne n’est parfait !

M. Jean-Christophe Lagarde. Pour La Cinq de Berlusconi, qui était-ce ?

M. Michel Françaix. Quels étaient les objectifs essentiels de la TNT ? Je pensais naïvement qu’il s’agissait d’élargir le nombre des acteurs pour assurer plus de pluralisme et plus de diversité ;…

M. Michel Herbillon. C’est fait !

M. Michel Françaix. …de laisser un rôle majeur au service public, qui devait être le fer de lance de cette mutation ;…

M. Dominique Richard. C’est fait !

M. Michel Françaix. …de favoriser le développement des télévisions locales et associatives. Ça, ce n’est pas fait !

M. Dominique Richard. Ce sera fait !

M. Michel Françaix. Un défi colossal nous était lancé : comment anticiper, gérer et accompagner les évolutions de toutes les technologies de l'environnement de l'image pour aider nos concitoyens à évoluer dans cet univers ? N'était-il pas dans notre rôle de contribuer à éclairer le téléspectateur et montrer les enjeux qui, au-delà de la technique, influenceront son quotidien ? Ne le nions pas, l'écran, tous supports visuels confondus, conditionne de plus en plus notre vie. Tout événement passe par le filtre de la télévision, où germent souvent les thèmes des débats de notre société.

À l'heure où les citoyens souhaitent s'impliquer dans des débats concernant leur futur, vous avez, monsieur le ministre, pour ce texte qui aurait dû être fondateur, choisi une procédure à la va-vite, celle du pas-vu-pas-pris, en déclarant l’urgence. Nous avons vu, lors du projet de loi DAVDSI, combien les internautes se sont impliqués et comment, grâce à leur participation, le débat s'était ouvert et enrichi d'un savoir pragmatique.

M. le ministre de la culture et de la communication. D’ailleurs, les auteurs ne vous ont pas oublié !

M. Michel Françaix. Cet enjeu majeur de la société que nous voulons au travers des images, nécessitait une réflexion approfondie, l’ouverture d’un dialogue. Ce texte sur l'avenir de la télévision et, au-delà, des nouveaux outils de communication, aurait mérité un grand débat national, qui ne se serait pas réduit à l'intervention de quelques technocrates et des lobbies économiques, mais dont se seraient saisis sociologues, philosophes, acteurs du monde culturel, citoyens, tous ceux dont la France est si riche et qui n'ont pas une vision monolithique et uniquement économique de ce que doit être demain. Ceux-ci interviennent peu, il est vrai, dans les cénacles où se décide l'attribution des chaînes bonus !

Quelques mois supplémentaires n'auraient pas non plus été inutiles pour affiner normes et dispositifs techniques sur des secteurs encore en devenir et que nous maîtrisons de façon imparfaite. D’ailleurs, face à de tels bouleversements, le service public de l'audiovisuel est-il prêt ? Hélas, le maintien de sa qualité, pour lequel nous nous battons sans répit, risque une fois de plus d’être marginalisé. Face à des opérateurs privés de plus en plus puissants, il eût été fondamental de donner à France Télévisions et à ARTE les moyens de lutter : plus nous porterons haut notre exigence de qualité, plus nous tirerons l'ensemble du paysage audiovisuel vers cette exigence.

L'engouement pour la TNT montre le besoin de nouveaux espaces de liberté, mais ce développement s'est fait à votre insu, monsieur le ministre. Les Cassandre étaient nombreuses, mais le bouche-à-oreille s’est révélé très efficace lorsque nos concitoyens ont pu juger de la qualité de réception des images. Comment, dans ces circonstances, allez-vous pouvoir justifier que ceux qui se sont le plus battus pour que la TNT ne voie pas le jour en soient aujourd'hui très largement récompensés par l'attribution de chaînes dites supplémentaires ? Favoriser une fois de plus les opérateurs privés les plus puissants, est-ce surprenant sachant que les patrons propriétaires de deux des groupes hégémoniques dans les médias se targuent d'être les meilleurs amis de votre candidat à la présidentielle ?

Où sont les espaces de liberté que nous appelions de nos vœux en 1981 ? Où sont les notions de pluralisme, d'égalité ? Le CSA lui-même s'est interrogé sur « la proportionnalité des avantages prévus en faveur des chaînes nationales analogiques ». L'ARCEP a renchéri en estimant qu' « offrir une chaîne bonus aux chaînes existantes a pour effet de préempter encore un peu plus le dividende numérique au profit de ces seuls éditeurs ». Et vous, monsieur le ministre, vous restez droit dans vos bottes – ce qui ne réussit pas toujours – pour défendre cet avantage totalement disproportionné.

M. le ministre de la culture et de la communication. Vingt chaînes gratuites pour tous les Français !

M. Michel Françaix. Chacun sait comment certains groupes, à la veille des élections de 2002, ont joué sur les peurs des Français et combien ce monopole sur les médias d'une pensée dominante constitue un réel danger pour la démocratie.

M. Dominique Richard. Respectez les journalistes !

M. Michel Françaix. Je ne parle pas des journalistes. Ne nous leurrons pas, la télévision joue un rôle majeur dans les désordres démocratiques que connaissent nos sociétés et nous en sommes aussi responsables quand nous travaillons sur des projets de loi bâclés, d'où toute réflexion sur la finalité des nouvelles technologies est absente.

À l'inverse, quels atouts donnons-nous aux nouveaux entrants de la TNT et aux chaînes indépendantes pour se développer et surtout pour survivre dans un environnement publicitaire féroce ? Lorsque vous évoquez les 465 millions d'euros dépensés pour la création…

M. le ministre de la culture et de la communication. 485 millions !

M. Michel Françaix. …par les opérateurs historiques contre 16 millions pour les nouveaux entrants, que ne mettez-vous en parallèle les recettes publicitaires et autres revenus des uns et des autres, que ne rappelez-vous la part hégémonique des chaînes historiques qui captent plus de 75 % de la manne publicitaire ?

Quels avantages pour les nouveaux entrants ? Comment soutenons-nous leur politique de créativité ?

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est nous qui les avons fait entrer !

M. Michel Françaix. Dans la course à l'audimat, donc aux miettes de budgets publicitaires, ils partent avec un handicap qui ne les incite pas à investir lourdement dans des productions créatives. Qu'en sera-t-il avec la TMP ? La multiplication des canaux et des supports n'engendre pas automatiquement la qualité et la diversité des contenus.

Nos collègues sénateurs ont renforcé les engagements des futurs candidats en matière de production et de diffusion sur ces nouveaux supports.

M. le ministre de la culture et de la communication. En effet !

M. Michel Françaix. Il est d'ailleurs regrettable que leur travail ne puisse pas s'enrichir d'un dialogue entre nos deux assemblées, ce qui aurait permis une réflexion plus approfondie. Les sollicitations dont nous avons été la cible ces dernières semaines montrent à quel point ce texte dépasse les simples enjeux technologiques : le vrai débat se situe sur le plan culturel, économique, éthique et sociétal. En tout cas, c’est un enjeu politique majeur.

M. le ministre de la culture et de la communication. Tous les auteurs, tous les créateurs sont avec nous !

M. Michel Françaix. Nous ne rencontrons pas les mêmes !

Les télévisions locales, thème qui me tient à cœur, sont les grandes oubliées de la première vague de la TNT, qui devait en être un vecteur. Il n'en est rien à ce jour, nous attendons toujours que le CSA lance les appels aux candidatures supplémentaires pour les services locaux. Il y a quelques années, je préconisais dans un rapport le financement de ces télévisions par la publicité de la grande distribution. Or la manne, estimée à 250 millions d'euros, de ce nouveau marché publicitaire ira pour 80 % à TF1. Quelle déception ! Comme le souligne notre rapporteur, les télévisions locales en France connaissent un retard important. Pourquoi ? Elles répondent pourtant à une attente des citoyens, aussi bien en milieu rural qu'urbain, et l'offre numérique est le vecteur adapté à leur émergence. Il me semble fondamental que la TNT soit au service de leur développement. Dans cette optique, il faut créer un fonds de soutien semblable à celui existant pour l'expression radiophonique.

Les télévisions associatives auraient fait entrer dans le monde médiatique de nouveaux acteurs qui en sont souvent absents, animateurs associatifs et décideurs. Accessibles au plus grand nombre, les télévisions de proximité touchent tous les publics, en particulier les jeunes. Elles devraient être le lieu d'autres modes de créativité, de participation, d'insolence de l’esprit – mais peut-être cela vous fait-il peur ? –…

M. le ministre de la culture et de la communication. Oh non !

M. Michel Françaix. …qui, en se dégageant du modèle télévisuel dominant, apportent un sentiment d'appartenance locale.

L'un des avantages de l'extinction de l'analogique était de libérer des fréquences, occasion rêvée, pensais-je, d'y faire entrer de nouveaux venus, de renforcer le service public, de laisser enfin une place aux télévisions locales. Où avais-je la tête ? Comme vous aviez ratiboisé les chaînes du service public sur la TNT en arrivant au pouvoir, vous favorisez de nouveau TF1, M6 et Canal + en leur donnant un canal supplémentaire !

M. Dominique Richard. Vous confondez ! C’est autre chose !

M. Michel Françaix. En clair, on favorise les riches et les puissants, peut-être en espérant un renvoi d'ascenseur.

M. Michel Herbillon. Quelle caricature !

M. Michel Françaix. Tant pis si l’on fragilise la situation économique des nouveaux entrants et si l'on provoque des effets induits de concentration sur le marché de la télévision gratuite !

Un texte qui élargit immensément le poids des puissants, qui oublie superbement le service public, qui ignore les télévisions locales ou associatives. Ce n'est décidément pas, comme il aurait été souhaitable une loi de régulation, mais une loi de régularisation et d'intensification des droits des affaires.

Il est inquiétant de s'apercevoir que les quelques groupes qui ont bénéficié pour se développer d'une ressource publique rare et gratuite, à savoir le hertzien de terre, peuvent penser que leur position est un droit acquis de manière irréversible.

Décidément, comme télévision du futur, c'est un peu court. La télévision du futur, c'est bien plus une question de contenus que de tuyaux.

Votre projet de loi s'enferme tour à tour dans des considérations d'intérêts financiers ou dans une utopie techniciste !

Je ne vous suivrai pas, monsieur le rapporteur, dans votre ébriété technologique. Puisque M. le ministre parlait tout à l’heure d’archaïsme, …

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est vous qui l’êtes !

M. Michel Françaix. …je rêvais, comme vous peut-être, d'un audiovisuel qui ne gomme pas, d’un audiovisuel qui n'uniformise pas. Mais vous avez préféré, une fois de plus, monsieur le ministre, laisser la prédominance du marché sur la culture, de la technique sur le contenu, du commerce sur la pensée. Cette hâte, cette bouillie législative ressemblent aux soldes d'un gouvernement avant fermeture.

Décidément, avec Apollinaire, il est grand temps de rallumer les étoiles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Gouriou. Caricature !

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur. Les producteurs soutiennent ce texte !

M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon.

M. le ministre de la culture et de la communication. Rallumez les étoiles, monsieur Herbillon ! (Sourires.)

M. Michel Herbillon. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur qui nous est présenté ce soir fera date.

Je ne sais si l'on peut parler d'une réforme historique, tant la rapidité croissante des mutations technologiques dans le secteur audiovisuel nous contraint à adapter constamment notre cadre législatif. D'autres réformes audiovisuelles suivront bien évidemment celle-ci.

Néanmoins, ce texte marquera une étape décisive dans l'évolution de notre paysage audiovisuel. En particulier, parce que cette réforme porte la marque d'une véritable ambition, cette ambition qui consiste à faire de la France un pays leader en matière de technologies de la communication et de l'information, à la hisser au tout premier rang des « nations les plus avancées dans les technologies numériques ».

Le basculement complet vers le numérique dans un délai court et le développement de la télévision du futur dès 2007, qu'il s'agisse de la télévision mobile personnelle ou de la télévision en haute définition, aura des conséquences considérables et très positives en matière industrielle, mais également pour la promotion de la diversité culturelle.

Une évolution aussi importante suppose cependant de prendre des garanties – garanties en matière de pluralisme et garanties quant à l'égalité de traitement entre nos compatriotes et entre nos territoires.

Ce texte va dans la bonne direction, parce que, justement, il prend en compte l'ensemble de ces problématiques. La large consultation que vous avez organisée, monsieur le ministre, au printemps, auprès de tous les professionnels du secteur y a sans doute grandement contribué.

Le point le plus emblématique et positif de cette réforme est sans conteste d'offrir à tous nos compatriotes l'accès à la télévision numérique d'ici à 2011. Tous pourront en effet accéder gratuitement aux dix-huit chaînes de la TNT. Il faut, à ce titre, saluer la mise en place, en complément, d'une couverture satellitaire regroupant l'ensemble des chaînes en clair dès l'été prochain. Ceci permettra d'assurer une diffusion sur la totalité du territoire, y compris dans les zones les plus difficiles, notamment celles de montagne. En permettant que la TNT devienne ainsi la télévision numérique pour tous, ce texte contribuera à réduire la fracture numérique entre nos compatriotes.

Mais pour que le passage au numérique soit un succès, il est indispensable, comme le texte le prévoit, d'engager une politique active d'information auprès des consommateurs. Les pouvoirs publics mais aussi les industriels et distributeurs d'équipements électroniques doivent s'engager pleinement dans cette démarche dès l'adoption de la loi.

Veiller à ce que les plus démunis puissent accéder à cette technologie est également un impératif. Le fonds d'aide prévu dans le texte, qui a été consolidé par le Sénat, sera un instrument décisif pour que la télévision numérique pour tous ne reste pas un slogan mais devienne une réalité.

Le second point positif de cette réforme de notre paysage audiovisuel que je tiens à mettre en exergue, c'est que l'innovation technologique profitera au service public audiovisuel et au pluralisme de l'information.

A contrario de ce que l'on entend parfois, le service public n'est pas pénalisé par le passage au numérique. Sa place est même confortée. D'ores et déjà, il compte sur le numérique deux fois plus de canaux qu'auparavant. Un septième canal lui sera prochainement affecté sur la TNT. Nous avons aussi l'assurance de la diffusion de toutes les éditions régionales de France 3 par l'offre satellitaire gratuite.

Enfin, le Gouvernement a, par votre voix, monsieur le ministre, pris l'engagement de préempter au bénéfice du service public une chaîne sur les deux ou trois canaux qui seront libérés en 2008 pour la diffusion de chaînes gratuites en haute définition. Un second canal sera attribué ensuite à France Télévisions dès qu'il sera possible de diffuser quatre chaînes gratuites en HD.

Le pluralisme sera de même renforcé par cette réforme, et non affaibli comme veulent le faire croire certains. L'accès gratuit à dix-huit chaînes au lieu de six, mais aussi à deux chaînes d'information en continu et aux chaînes parlementaires, le développement de la télévision mobile personnelle sont autant d'éléments qui concourent naturellement à diversifier les vecteurs d'information des Français.

Ce projet de loi a enfin l'avantage d'offrir des moyens supplémentaires à la création audiovisuelle et cinématographique.

À ce titre, je considère que le Sénat a eu raison de renforcer les obligations faites en la matière aux chaînes de compensation attribuées aux opérateurs historiques. Tout comme je me félicite que les autorisations de service de télévision mobile personnelle qui seront accordées par le CSA tiennent compte des engagements en matière de production et de diffusion d'œuvres audiovisuelles et cinématographiques.

Il est enfin heureux que la télévision mobile personnelle comme la télévision en haute définition contribuent au financement de la création audiovisuelle et cinématographique, via une taxe qui viendra abonder le compte de soutien à l'industrie des programmes.

Mes chers collègues, tous ces éléments concourent à faire de ce projet de loi une avancée décisive. Cette réforme crée les conditions permettant de faire du passage au numérique un succès populaire et va permettre de dynamiser l'innovation technologique et la création dans notre pays.

Alors, de grâce, ne sombrons pas en cette période de campagne électorale dans la démagogie et la caricature. Regardons l'essentiel, c'est-à-dire l'enjeu de la réforme, et soutenons-la, car elle va dans le sens d'un progrès partagé pour l'ensemble de nos compatriotes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Ce matin, mercredi 31 janvier, à neuf heures trente, première séance publique :

Discussion du projet de loi, n° 3195, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, pour lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte à leurs intérêts financiers :

Rapport, n° 3606, de M. Jacques Remiller, au nom de la commission des affaires étrangères.

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 3156, autorisant l’approbation du protocole à la convention de 1979 sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance relatif à la réduction de l’acidification, de l’eutrophisation et de l’ozone troposphérique (ensemble neuf annexes) :

Rapport, n° 3605, de M. Jean-Jacques Guillet, au nom de la commission des affaires étrangères.

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 3352, autorisant l’approbation des accords sous forme d’échange de lettres relatifs à la fiscalité des revenus de l’épargne entre le Gouvernement de la République française et les territoires dépendants et associés du Royaume-Uni et des Pays-Bas :

Rapport, n° 3616, de M. Philippe Cochet, au nom de la commission des affaires étrangères.

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 3551, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg portant rectification de la frontière franco-luxembourgeois suite, d’une part, à la convention-cadre instituant la coopération relative au développement transfrontalier liée au projet Esch-Belval, et, d’autre part, à la convention relative à la réalisation d’infrastructures liées au site de Belval-Ouest :

Rapport, n° 3617, de M. François Guillaume, au nom de la commission des affaires étrangères.

(Procédure d’examen simplifiée – Article 107 du règlement)

Suite de la discussion du projet de loi, n° 3460, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur :

Rapport, n° 3604, de M. Emmanuel Hamelin, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ;

Avis, n° 3613, de M. Frédéric Soulier, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi, n° 3460, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur :

Rapport, n° 3604, de M. Emmanuel Hamelin, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ;

Avis, n° 3613, de M. Frédéric Soulier, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 31 janvier, à zéro heure cinquante-cinq.)