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No  1265
ASSEMBLÉE  NATIONALE
CONSTITUTION  DU  4  OCTOBRE  1958
DOUZIÈME  LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2003.
DÉCLARATION
DU GOUVERNEMENT
sur les rapatriés,


            Santé et protection sociale.

 

                    Monsieur le président,
                    Madame la ministre de la défense,
                    Mesdames et messieurs les députés,
        Le débat qui nous réunit atteste de l’attention que le Gouvernement, la représentation nationale, et, partant, la nation, portent à la situation des rapatriés.
        Voilà quarante ans, ces hommes, ces femmes, ces enfants, quittaient leur terre natale dans des conditions ô combien dramatiques. Beaucoup d’entre nous ont pour toujours en mémoire des images insoutenables. Beaucoup d’entre nous ne peuvent évoquer leurs derniers moments sur la terre algérienne sans ressentir une émotion profonde, sans penser aux heures heureuses qui se sont achevées - hélas ! - en tragédie, sans revoir les visages disparus dans des conditions parfois indicibles. Beaucoup d’entre nous portent encore au fond du cœur cette épreuve qui a marqué radicalement leur vie, celle de leur famille et celle de leur pays natal.
        Aujourd’hui, le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin souhaite apporter des réponses fortes aux questions qui, plus de quarante ans après la séparation douloureuse de la France et de l’Algérie, demeurent. Après avoir renoué le dialogue avec les rapatriés et pris la mesure de leurs attentes, et avant de mettre en œuvre des moyens nouveaux, il nous  semble, mesdames et messieurs  les députés, légitime et  utile  d’associer le Parlement au processus. Nous respectons ainsi les engagements du Président de la République. Et je ne vous cacherai pas l’émotion que je ressens en parlant aujourd’hui au nom du Gouvernement sur un sujet majeur, qui nous tient tant à cœur.
        Pour des centaines de milliers de nos compatriotes, le temps n’a pas effacé totalement les conséquences de leur départ précipité d’Algérie et de leur arrivée improvisée en métropole. Au fil des ans, de nouvelles difficultés économiques, sociales ou morales se sont ajoutées à un déracinement atrocement ressenti.
        Aujourd’hui, le moment est venu d’entendre le message des rapatriés, de tous les rapatriés, en abordant une nouvelle étape, qui permettra de leur apporter les réponses qui s’imposent.
        D’emblée, le Gouvernement s’est donné les moyens de prendre la mesure de la situation et d’établir des relations de confiance avec les rapatriés d’origine européenne, comme avec les harkis. La création de la mission interministérielle aux rapatriés, directement placée auprès du Premier ministre, a donné aux rapatriés un interlocuteur direct et servi de catalyseur à l’action des pouvoirs publics. Celle du Haut Conseil aux rapatriés a été le deuxième signe très fort de notre volonté d’établir le dialogue et de disposer pour ce faire d’une instance de débat, de réflexion et de proposition. Le Haut Conseil a su très vite, il faut le reconnaître, s’imposer comme un partenaire indispensable.
        Est venu ensuite le temps de l’état des lieux. Nous avons voulu qu’il soit mené de façon approfondie et externe à l’administration. Je remercie très sincèrement votre collègue Michel Diefenbacher, député de Lot-et-Garonne,  qui  a bien voulu accepter, mesdames et messieurs les députés, la délicate mission que lui a confiée le Premier ministre. Grâce à son travail d’une très remarquable qualité, nous disposons aujourd’hui de toutes les données nécessaires pour établir un diagnostic juste et définir des pistes concrètes d’action. Ce n’était plus le cas depuis bien longtemps. Son rapport n’est pas, exhaustif, certes, mais il correspond à l’un des objectif que nous voulions atteindre avant de prendre des décisions.
        Dans le même temps, nous avons pris les premières mesures importantes que l’urgence imposait.
        C’est ainsi que, dès janvier 2003, a été mise en place l’allocation de reconnaissance aux harkis. Je rappelle qu’il s’agissait d’assurer à cette population, souvent en difficulté, un complément de retraite de 343 euros. Non imposable et indexée, cette allocation est accordée à tous les harkis ou à leurs veuves, de plus de soixante ans, sans conditions de ressources, contrairement, je me plais à le signaler, à ce qui existait précédemment. Cette solidarité se renforcera encore puisque le Gouvernement vous propose, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, de réévaluer son montant de 30 % dès le 1er janvier 2004. De plus, les pensions de veuves de guerre, d’invalides et de grands invalides augmenteront de quinze points d’indice en vertu du projet de loi de finances pour 2004.
        Le contexte économique difficile que nous traversons aujourd’hui n’épargne évidemment pas les familles de harkis. Pour remédier, autant que possible, à ces difficultés nouvelles, la mission interministérielle aux rapatriés a mobilisé l’ensemble des préfets.
        Dans le cadre de la politique en faveur des jeunes, le Premier ministre va demander aux grands employeurs publics, comme les ministères de la défense, de l’intérieur ou de la santé, de porter une attention particulière aux candidatures des jeunes issus de familles harkies. Ces administrations sont également invitées à accompagner les préparations aux examens et aux concours ou les formations aux différents métiers qu’elles proposent. Il s’agit là d’opérations concrètes et de portée immédiate.
        Par ailleurs, le devoir de mémoire devient chaque jour davantage une préoccupation majeure. Comme vous le savez tous, le Président de la République a pris, dans ce domaine, deux décisions hautement symboliques.
        Il a, tout d’abord, institué la journée nationale d’hommage aux harkis et aux membres des formations supplétives et assimilés. Désormais, le 25 septembre, la nation salue la mémoire de ces combattants valeureux et fidèles. Elle se souvient de leurs sacrifices et de leurs terribles souffrances.
        L’institution d’une journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie est également une décision dont la communauté rapatriée a mesuré l’importance et elle a su nous l’exprimer. Vendredi prochain, à Paris et dans tout le pays, nous nous souviendrons de ceux qui sont, hélas, tombés au champ d’honneur pendant ces sombres années.
        Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, les moyens nouveaux qui sont dégagés et les premières mesures prises prouvent bien notre volonté affirmée de traiter les difficultés rencontrées par les harkis et tous les rapatriés. L’action engagée, que je vais vous exposer dans un instant, et la détermination qui l’accompagne ne doivent pas faire oublier les efforts consentis dans le passé par la nation.
        Le rapport de votre collègue Diefenbacher fait à juste titre la chronologie des décisions qui ont été prises. Il est, en effet, indispensable d’appréhender globalement ce qui a été fait pour mieux réussir ce que nous allons entreprendre ensemble. Passée l’urgence de la réinstallation à laquelle, je le rappelle, la France a consacré en 1963 plus de 4,5 milliards d’euros - soit tout de même 5 % du budget total de l’Etat de l’époque -, il est vrai que les politiques envers les rapatriés ont tardé à se concrétiser, avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui.
        Les premières mesures effectives d’indemnisation ne seront prises qu’en 1970 - c’est-à-dire plus de huit ans après -, avec une contribution nationale à l’indemnisation des Français rapatriés du Maroc, de Tunisie et d’Algérie. Des compléments d’indemnisation furent décidés essentiellement avec les lois de 1978 et 1987.
        Pourtant, les rapatriés éprouvent toujours des difficultés liées à leur retrour en métropole. Parmi eux, une catégorie a été trop longtemps oubliée par l’histoire. Il s’agit, vous l’avez compris, de nos compatriotes anciens membres des formations  supplétives et assimilés, les « harkis ». Leur engagement total au service de la France, la tragédie immense qu’ils ont vécue, leur abandon et leur détresse morale ont été longtemps ignorés de la communauté nationale. Les familles ont souffert de l’isolement et des conditions de vie qui leur ont été réservées à leur arrivée sur leur nouvelle terre d’accueil. Leur insertion dans le tissu économique et social n’en a été que plus difficile.
        Les harkis bénéficieront d’une première mesure spécifique d’indemnisation avec la loi de 1987 déposée par le gouvernement de Jacques Chirac, vingt-cinq ans après leur arrivée en métropole ! La loi Romani enfin, du 11 juin 1994, votée à l’unanimité par votre assemblée, mesdames et messieurs les députés, exprimera enfin officiellement la reconnaissance de la République française à leur égard pour les sacrifices qu’ils ont consentis -  avec désintéressement, il me plaît de le dire. C’est d’ailleurs l’article 1er de cette loi qui a été gravé sur la plaque apposée, à la demande du Président de la République, lors de la première journée d’hommage aux harkis, le 25 septembre 2001, aux Invalides comme dans vingt-sept sites emblématiques à travers le territoire.
        Je vous assure que cette reconnaissance a rendu de la fierté à nos compatriotes harkis, ainsi qu’à un grand nombre de leurs enfants et petits-enfants : elle a parfois permis de resserrer des liens familiaux distendus entre des pères et des enfants qu’une histoire méconnue risquait de séparer. Ce geste officiel a été prolongé par des mesures spécifiques d’indemnisation et de solidarité prises en faveur de leurs familles. Le plan de cinq ans prévu dans la loi de 1994 s’est traduit par un effort financier de 2,6 milliards de francs. Depuis cette date, plus de 20 000 enfants issus de familles de harkis ont pu trouver ou retrouver le chemin de l’emploi. C’est dans ce sens que l’effort aurait dû être poursuivi, et non pas interrompu.
        L’ensemble de la politique en leur faveur a fortement contribué à resserrer les liens entre la nation et les harkis. Et c’est donc dans ce sens que nous devons continuer d’agir.
        Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le débat qui nous réunit aujourd’hui est une nouvelle étape importante pour les rapatriés. Il n’est pas fréquent que leurs aspirations, leurs souffrances, leur situation soient évoquées aussi solennellement.
        Ce débat est également important parce qu’à l’issue de la réflexion que nous allons conduire en commun aujourd’hui, le Gouvernement entend prendre les mesures concrètes encore nécessaires pour que nous soyons en paix avec notre conscience.
        Il me semble donc légitime de vous préciser maintenant dans quel esprit et vers quelles directions nous souhaitons orienter notre politique en faveur des rapatriés et principalement des harkis. Avant d’évoquer les aspects matériels de notre action, je souhaite commencer par le vaste champ de la mémoire. En effet, le temps est venu - c’est d’ailleurs une attente unanimement exprimée par les rapatriés de toutes origines - d’aborder de manière apaisée les aspects de la mémoire, de la culture, de l’histoire et de la reconnaissance de l’œuvre accomplie au-delà des mers par notre pays.
        Notre pays peut et doit être fier de ses pionniers, de ses combattants, de ses hommes et de ses femmes. Sur les terres d’Asie ou d’Afrique, ils ont grandement contribué au développement agricole et économique d’immenses territoires. Ils ont grandement contribué à ancrer les valeurs républicaines d’égalité et de démocratie. Cet héritage demeure encore bien vivant dans la plupart de ces territoires. Ce patrimoine, cette histoire, cette culture et ces traditions, que portent les rapatriés, doivent être mieux connus, notamment par les jeunes générations, car l’avenir est entre leurs mains. L’Etat a donc décidé de s’associer étroitement au projet de Mémorial national de l’outre-mer, conçu à l’initiative du maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin.
        Ce Mémorial national devrait ouvrir en 2006. Il aura vocation à présenter de manière permanente et vivante l’œuvre de la France dans tous ses territoires aujourd’hui indépendants. Il encouragera la recherche et la conservation de la mémoire sous toutes ses formes, ainsi que les richesses culturelles léguées par nos concitoyens rapatriés.
        Il nous faut aussi avancer sur d’autres chantiers engagés depuis quelques mois. Je pense à l’ouverture des archives de la guerre d’Algérie ainsi qu’au traitement et à la place de cette histoire dans l’enseignement. L’Etat doit faciliter et encourager les recherches des spécialistes de l’histoire, afin qu’ils puissent établir avec l’objectivité et la sérénité nécessaires la vérité sur les événements qui ont marqué cette période controversée. Je sais que beaucoup de rapatriés attendent encore toute la vérité sur certains des faits les plus dramatiques de ces années de sang. Il est temps de rappeler la mémoire de tant de victimes innocentes de cette guerre fratricide. Je pense plus particulièrement à toutes les victimes civiles d’avant et d’après le conflit.
        Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement entend également compléter concrètement l’œuvre de reconnaissance et de solidarité nationale. Pour nos anciens combattants harkis ou pour leurs veuves, nous pensons qu’un geste supplémentaire de reconnaissance - et non d’assistance - reste encore à faire. Il doit s’appuyer de manière privilégiée sur l’actuelle allocation de reconnaissance que nous avons mise en place et qui leur assure des revenus complémentaires et réguliers, sans lendemains sombres.
        Il faut aussi parfaire les dispositifs des différentes lois d’indemnisation, et en particulier, réparer certaines injustices qui subsistent.
        Par ailleurs, il convient de clore avec équité le traitement des dossiers de surendettement des rapatriés.
        Nous pensons nécessaire d’améliorer certaines dispositions applicables aux régimes de retraite.
        Nous voulons, enfin, régler la situation du petit nombre d’entre eux qui n’ont pas pleinement bénéficié des lois d’amnistie de l’époque.
        Pour que ces dispositions aient la portée nécessaire, je vous annonce que le Gouvernement déposera devant le Parlement un projet de loi dans les tout premiers mois de 2004.
        Ce dispositif ne serait pas complet si je n’évoquais pas les jeunes générations issues de familles rapatriées. Elles méritent toute notre attention. Il ne s’agit évidemment pas de les inscrire dans une logique d’assistance - ce serait absurde. Il s’agit, au contraire, d’assurer l’égalité des chances par tous les moyens.
        Ces jeunes, quelles que soient leurs origines, doivent être fiers de l’histoire et de l’œuvre de leurs parents. Mais nous devons aussi les aider à trouver toute leur place au sein de la communauté nationale en favorisant leur insertion économique et sociale. Comme je l’ai indiqué précédemment, le Gouvernement s’est déjà mobilisé pour leur emploi. Nous nous sommes également assurés qu’ils puissent bénéficier pleinement des dispositifs particuliers destinés à favoriser l’accès à l’éducation, à privilégier l’accès à l’emploi et à agir contre les discriminations.
        Le parrainage, l’aide à la préparation aux concours, l’aide à la création d’entreprise sont aussi des solutions qu’il faut mettre en œuvre. Toutes ces différentes actions seront poursuivies avec pragmatisme. Pour l’emploi, nous savons bien que c’est en étant au plus près du terrain que nous trouverons la clef de la réussite.
        Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement entend donc agir résolument sur toutes les questions, à la fois matérielles et symboliques, qui concernent nos compatriotes rapatriés. Ces orientations, le Gouvernement les précisera après vous avoir entendus. Je m’efforcerai en effet, dans mes réponses à vos déclarations, de détailler autant que faire se peut certains des points que je n’ai pu évoquer que trop brièvement.
        Je ne saurais conclure sans évoquer les perspectives nées du voyage historique effectué récemment par le Président de la République en Algérie. Ces relations apaisées et constructives que nous voulons établir, le Gouvernement a la conviction qu’elles bénéficieront aux rapatriés de toutes origines. Ils en seront les acteurs à part entière.

N° 1265 – Déclaration du Gouvernement sur les rapatriés