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No  1547
ASSEMBLÉE  NATIONALE
CONSTITUTION  DU  4  OCTOBRE  1958
DOUZIÈME  LÉGISLATURE

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Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 avril 2004.
 

 

D É C L A R A T I O N  D U    G O U V E R N E M E N T
relative à l’énergie.


Par M. Nicolas Sarkozy,
Ministre d’Etat, ministre de l’économie,
des finances et de l’industrie.

_________

            

                    Monsieur le président,
                    Mesdames et messieurs les députés,

        Avec Patrick Devedjian, nous engageons, avec ce débat sur l’énergie, un débat essentiel.
        L’énergie est en effet un sujet qui devrait - je dis bien qu’il « devrait » - concerner tous les Français : sans elle, pas de production de richesses, pas de confort, pas de progrès économique. Sans énergie, plus rien n’existerait de cette vie quotidienne à laquelle nous sommes habitués au point de ne plus nous étonner de rien.

        La question de l’énergie est très loin d’être seulement technique, et c’est tout l’enjeu de ce débat. Il s’agit à n’en point douter d’un véritable débat de société. Songeons un instant à cette réalité paradoxale et choquante : un quart des hommes et des femmes dans le monde n’ont pas accès à l’électricité. A tous les autres cependant, dont nous, habitants des pays développés, faisons partie, l’énergie apparaît comme un dû : j’en veux pour preuve un sondage effectué avant le débat national organisé par le Gouvernement au cours de l’année passée, selon lequel 70 % des Français interrogés disaient ne rien connaître de cette question. De fait, si les Français ne participent pas à ce débat, c’est parce que, pour la plupart d’entre nous, l’énergie n’est, hélas ! pas encore un sujet de préoccupation : l’électricité est là, à portée de main, elle permet tous les progrès. Alors pourquoi s’en soucier ?

        D’autant que les termes du débat paraissent abscons : sécurité nucléaire, énergie renouvelable, ouverture des marchés européens, tout cela semble relever de discussions de spécialistes. Pourtant les enjeux qui sont derrière tous ces débats ne doivent pas être réservés à l’examen des seuls spécialistes. Mais comment s’étonner que les Français ne s’intéressent pas à un sujet qui reste si complexe, alors même qu’il est essentiel ? Comment s’en étonner, si nous n’affirmons pas aujourd’hui une forte volonté politique ? Pour la plupart des Français, d’ailleurs, la question de l’énergie se limite encore au seul débat autour du nucléaire, qui met en jeu des arguments souvent plus idéologiques que pragmatiques.

        Quant aux économies d’énergie, nombreux, hélas ! sont ceux qui se demandent si elles sont encore utiles aujourd’hui. Ne parlons pas de la nécessité de recourir aux énergies renouvelables, dont beaucoup se demandent s’il ne s’agit pas d’une utopie plutôt que d’une véritable opportunité. Prenons l’exemple des éoliennes. L’opinion pensait que c’était une solution écologique, jusqu’à ce qu’on voie des associations de protection de l’environnement se mobiliser contre nombre de projets d’implantation. Alors beaucoup ne savent plus que penser ; beaucoup - ayons la franchise de le reconnaître - ne sont plus ni pour, ni contre : ils s’interrogent. C’est l’exemple même de débats publics aux enjeux mal compris, au point que le citoyen finit par se détourner de ce qui devrait le concerner au plus haut point. C’est le contraire de la démocratie.

        Voila pourquoi Patrick Devedjian et moi-même souhaitons que, grâce à ce débat, les Français s’approprient ces enjeux ; qu’ils les approuvent ou qu’ils les contestent, mais qu’ils se passionnent pour cette question. Voilà pourquoi présenter, comme je souhaite le faire, de la manière la plus claire et la plus transparente les priorités de notre politique de l’énergie est déjà en soi un enjeu.

        Je veux d’abord vous rappeler quelques faits. Incontestablement l’histoire de l’énergie en France s’articule autour de deux dates clés : La première est 1946, année où le général de Gaulle a pris la décision historique de créer, dans un secteur exsangue, deux entreprises nationales, Electricité de France et Gaz de France, chargées à l’époque d’accompagner le développement économique de notre pays. Grâce à cette décision, nous disposons aujourd’hui de deux champions nationaux. Près de soixante ans ont passé depuis cette date ; la France s’est ouverte sur l’Europe et l’Europe sur le monde. La question que nous devons nous poser est celle de savoir comment poursuivre l’œuvre du général de Gaulle : comment donner à EDF et GDF les moyens de devenir pour l’Europe ce qu’elles sont pour la France depuis soixante ans ? La question n’est pas mince.

        La seconde date marquante c’est 1973, date du premier choc pétrolier et de la découverte brutale de notre totale dépendance à l’égard du pétrole. C’est à cette date que se prennent deux décisions fondamentales : celle d’abord de lancer un programme nucléaire sans précédent, grâce auquel la France dispose aujourd’hui de trois atouts majeurs et que je crois incontestables. Le premier est un taux d’indépendance énergétique de 50 %, à comparer à celui de l’Italie, 16 %, et alors que nous n’avons pas de gisements de pétrole ni de gaz, à l’inverse des Anglais ou des Néerlandais, et que nous n’exploitons plus le charbon comme les Allemands. Malgré cela, grâce à cette décision du début des années soixante-dix, notre pays peut compter sur un taux d’indépendance énergétique de 50 %.

        Deuxième atout, que l’on connaît moins, et qu’avec Patrick Devedjian nous avons voulu souligner : un prix de l’électricité compétitif puisqu’elle est pour les ménages 10 % moins chère que la moyenne européenne. Troisième avantage, dont j’aimerais aussi qu’on parle davantage : les émissions de CO2 de la France sont inférieures de 40 et de 35 % à celles respectivement de l’Allemagne et de l’Angleterre.

        Une plus grande indépendance, pour un coût moindre et un plus grand respect de l’environnement, je crois que c’est là un bilan qui peut rassembler très largement sur l’ensemble des bancs de cette assemblée. J’en veux pour preuve le fait que, alors que nous avons, chacun à notre tour, assumé l’alternance, nul n’est revenu sur les choix de 1946 et de 1973. Mais nous sommes aujourd’hui à un tournant.

        La seconde décision majeure du début des années soixante-dix est le lancement d’une campagne d’économies d’énergie, résumée par cette expression entrée dans le langage courant, celle de « chasse au gaspi ». Peu de campagnes de communication ont imprégné aussi profondément le sentiment des Français. Cette « chasse au gaspi » n’a malheureusement pas survécu au contre-choc pétrolier de 1986, à savoir une forte augmentation de la production pétrolière, décidée par l’OPEP, et l’effondrement du prix du baril, qui est passé de trente à dix dollars. Les bonnes habitudes des années soixante-dix se perdent alors, et, reconnaissons-le, jamais aucun gouvernement, aussi forte soit la volonté politique, n’aura pu reprendre la main sur ce thème des économies d’énergie.

        Nous sommes tous, quelle que soit notre appartenance politique, les héritiers de cette histoire, et notamment de ces deux dates incontournables pour l’histoire économique de notre pays.

        Le problème, c’est que notre parc nucléaire a vieilli. La première centrale, celle de Fessenheim, aura trente ans en 2007. Il s’agit dès lors de savoir comment préparer la relève. Voilà une autre question qu’avec Patrick Devedjian nous souhaitons poser à la représentation nationale, car elle est fondamentale et, à l’évidence, on ne peut pas s’y dérober.

        Quant aux économies d’énergie, que nous avons remisées avec une certaine imprudence, le simple bon sens nous indique qu’elles seront indispensables : il nous faudra bien partager demain avec le reste du monde une énergie dont chacun conviendra qu’au regard de l’histoire mondiale elle est appelée à devenir rare, voire de plus en plus rare. Comment relancer une grande politique dans ce domaine ? Voilà une autre question.

        Nul ne doute de la nécessité de faire des choix, mais je souhaite maintenant rappeler en quelques mots les contraintes qui pèseront sur ces choix.

        La première n’est pas nouvelle, puisqu’il s’agit de l’absence de gisements de pétrole et de gaz sur notre territoire. Le problème est que les conséquences négatives de cette situation pèsent d’un poids croissant. Aujourd’hui que la Chine est devenue le deuxième consommateur de pétrole au monde, avec un taux de croissance de 10 % par an ; que la production de pétrole des pays de l’OCDE stagne ; que l’OPEP détient 80 % des réserves de pétrole, et alors que la Russie sera le principal fournisseur de gaz de l’Europe dans vingt ans, il est clair que la question de la sécurité d’approvisionnement énergétique de notre pays et de l’Europe en général est une question géostratégique absolument incontournable.

        La seconde contrainte, plus récente, nous est imposée par le réchauffement climatique. La situation est la suivante : aujourd’hui sept milliards de tonnes de carbone sont rejetés dans l’atmosphère. Il en est résulté une augmentation de la température de la planète de 0,6 oC en un siècle. Et ce n’est pas fini, puisqu’on prévoit un réchauffement compris entre 1,5 et 6 oC d’ici à 2100. Quelques degrés de plus, c’est peu nominalement, mais cela suffit pour entraîner des conséquences majeures : atteintes à la santé, avec notamment une recrudescence des maladies tropicales, dommages causés à l’environnement, multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes. Il est ainsi à craindre que l’épisode de canicule que nous avons connu l’été dernier ne soit que le premier d’une longue série.

        Les rapports sont nombreux sur la question, mais nous nous en tiendrons aux informations qui font consensus : pour stabiliser la température de la planète, l’humanité ne devrait émettre que trois milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit deux fois moins qu’aujourd’hui. Cela signifie pour nous, pays riches, qui sommes naturellement les plus gros producteurs de CO2, diviser par quatre nos émissions, soit une réduction de 3 % par an durant cinquante ans si on lisse l’effort. Voilà quels sont les enjeux du débat.

        Face à ces questions et devant ces contraintes, il s’agit de déterminer une politique nationale cohérente et ambitieuse. C’est l’exercice auquel, avec Patrick Devedjian, nous nous trouvons confrontés.

        Le Gouvernement vous propose quatre axes prioritaires.

        Le premier - et nous souhaitons vivement qu’il puisse faire l’objet d’un consensus politique très large - est l’affirmation de la nécessité de renouer avec le dynamisme de 1974 en matière de maîtrise de l’énergie. Dans dix ans la France doit produire 25 % de richesses en plus avec seulement 9 % d’énergie supplémentaire. Dans trente ans il nous faudra produire deux fois plus de richesses avec la consommation d’énergie de 2015. Pour y arriver, nous devrons mobiliser toutes les politiques publiques. J’en donnerai six exemples, mais il y en a bien d’autres.

        Nous devrons travailler avec les constructeurs automobiles pour qu’ils affichent, à côté du prix des voitures, le coût annuel de leur consommation d’essence. Plutôt que sur l’interdiction, nous misons sur l’information pour obtenir des Français qu’ils modifient leurs comportements, et nous pensons que la possibilité de choisir en toute connaissance de cause constitue la clé d’un changement des mentalités.

        Deuxième exemple, nous voulons abaisser d’au moins 10 % les seuils de la réglementation thermique - c’est-à-dire le degré d’isolation, la qualité du chauffage, etc. - définie en 2000 pour les bâtiments neufs avec l’objectif de les diviser par trois à l’horizon 2050. Nous imposerons également à l’industrie du bâtiment, quand elle rénove des logements anciens, de respecter des normes d’efficacité énergétique aussi proches que possible de celles de 2000 pour le logement neuf. Le secteur du bâtiment est en effet celui qui recèle les opportunités d’économies d’énergie les plus facilement accessibles.

        Troisième exemple, dans le domaine des transports, il faut poursuivre nos efforts en matière de respect des limitations de vitesse. Cela est essentiel non seulement pour réduire le nombre de morts de la route, mais aussi pour l’environnement. Un chiffre : grâce à notre politique de sécurité routière, les consommations d’énergie des voitures et des transports en commun ont - tenez-vous bien ! - baissé pour la première fois depuis 1973 ! Moins 1,8 % en 2003, alors que, jusqu’à présent, ce chiffre n’avait cessé d’augmenter les années précédentes.

        Quatrième exemple, il faut sans aucun doute affecter la majeure partie de nos ressources financières d’investissement dans les infrastructures ferroviaires, fluviales et maritimes.

        Cinquième exemple, nous imposerons par la loi aux fournisseurs d’électricité, de gaz et de fioul domestique d’aider financièrement leurs clients, c’est-à-dire les Français, à investir dans la maîtrise de l’énergie afin d’améliorer l’isolation de leur logement ou l’efficacité de leur chauffage.

        Dernier exemple, en tant que ministre de finances, je vous proposerai de faire évoluer la fiscalité énergétique d’ici à la fin de l’année pour qu’elle avantage les Français qui participent, au travers de leur consommation d’énergie, à une meilleure protection de l’environnement. Là encore, je crois davantage à l’incitation et à la conviction qu’à la contrainte et à l’interdiction, celles-ci n’aboutissant qu’à la prohibition.

        Deuxième axe prioritaire, il nous faut développer les énergies renouvelables. Ces énergies sont encore marginales - 6 % de la consommation française -, mais elles croissent rapidement en Europe, et la France doit rester dans la compétition. C’est bien pour l’environnement, c’est bien pour l’emploi. C’est aussi une assurance pour demain si les prix du pétrole ou du gaz devaient augmenter.

        Nous vous proposons deux objectifs.

        Le premier doit nous permettre d’accroître de 50 % d’ici à 2015 les énergies renouvelables qui produisent de la chaleur, c’est-à-dire le bois, les déchets - se pose à ce sujet le question des usines d’incinération - et le solaire. C’est possible car ces énergies ont crû de 8 % pour la seule année 2003. Comment faire ? En améliorant avant la fin de l’année le système des aides financières. En permettant par exemple aux collectivités locales de conditionner, si elles le souhaitent, l’octroi d’un permis de construire à l’obligation de recourir en partie aux énergies renouvelables - comme c’est le cas aujourd’hui dans une ville aussi moderne et prospère que Barcelone.

        Le second objectif doit nous permettre de porter la production d’électricité d’origine renouvelable de 15 % à 21 % d’ici à 2010. La priorité dans ce domaine est la préservation du potentiel hydraulique actuel et le développement de l’éolien, qui pose quand même moins de problèmes que l’éolien terrestre, même s’il y aurait beaucoup à dire sur le sujet.

        Les filières industrielles concernées ont besoin de visibilité pour se développer en France, mais ce développement ne doit pas donner lieu à des excès en créant des rentes excessives ou des rejets par les populations concernées. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé des appels d’offres en matière d’éolien et souhaité que la plus grande attention soit accordée à la concertation locale. Le Gouvernement est contre tous les intégrismes, y compris lorsqu’il s’agit de l’intégrisme prétendument écologiste. Là encore, c’est une question d’équilibre.

        Enfin, le Gouvernement continuera d’encourager le développement des biocarburants, comme il le fait actuellement à travers la défiscalisation mise en place dans la dernière loi de finances. La meilleure manière d’aider au développement de cette filière fera certainement l’objet d’une discussion approfondie devant cette assemblée.

        Sur les énergies renouvelables, il faut toutefois avoir l’honnêteté de reconnaître que, quelle que soit notre volonté politique, elles resteront un appoint aux énergies classiques et non un substitut, ce qui pose - de façon incontournable, si on veut bien être raisonnable - la question du nucléaire.

        Dans le domaine nucléaire, quelles sont nos certitudes et quelles sont nos interrogations ? Je pense d’ailleurs qu’on n’affaiblit pas ses certitudes en ayant le courage de revendiquer des interrogations.

        La moitié de notre parc nucléaire aura une moyenne d’âge de trente ans en 2011. Trente ans étaient, je vous le rappelle, la durée de vie initialement prévue d’une centrale. Nous avons de bonnes raisons de penser que cette durée pourra être prolongée de dix ans. Certains prédisent plus ; ils n’en savent d’ailleurs rien. Disons qu’il est raisonnable d’affirmer que ce qui était prévu pour trente ans pourra vraisemblablement l’être pour quarante ans. Mais c’est une probabilité, ce n’est pas une certitude. Et en tout état de cause, qui pourrait affirmer sérieusement que notre parc de cinquante-huit centrales durera cinquante ans sans problème ?

        Même avec la plus grande volonté possible en matière de maîtrise d’énergie et le plus fort volontarisme en faveur du développement des énergies renouvelables, il est certain que nous aurons à choisir pour renouveler notre parc nucléaire entre le nucléaire, le gaz et le charbon, c’est-à-dire entre les risques - et il en existe sans doute - associés au nucléaire et les émissions de gaz à effet de serre ! Mais que certains ne nous disent pas que nous ne luttons pas assez contre celles-ci tout en manifestant par ailleurs contre le nucléaire ! On peut manifester contre les émissions de gaz à effet de serre ou contre le nucléaire, mais le faire contre les deux à la fois, c’est tout simplement irresponsable. Je respecte toutes les opinions. Il n’y a pas, de ce point de vue, de délit d’opinion, mais, je le répète, cette attitude est irresponsable. Je persiste et je signe ! D’autant plus que notre responsabilité est de mettre notre pays en capacité de lancer une nouvelle génération de centrales entre 2015 et 2020 en remplacement de l’actuelle. Autrement dit, les conséquences de notre débat d’aujourd’hui seront visibles entre 2015 et 2020. Le risque, c’est que notre pays se retrouve dans une impasse, dont nous serions les seuls responsables.

        Pour cela - entrons maintenant dans le vif du débat -, une seule technologie est actuellement disponible : le réacteur européen à eau pressurisée, EPR. Ce réacteur est dix fois plus sûr, 10 % moins cher et produit, selon les techniques, entre 15 à 30 % de déchets en moins. Son déploiement industriel est possible dès 2020, et, à cet égard, nous voyons toute la difficulté puisque l’effet de latence est considérable entre les décisions que nous devons prendre maintenant et la réalisation : le délai est extraordinairement long. Le déploiement industriel de l’EPR est possible dès 2020, alors même que de l’avis de tous les scientifiques sur le sujet, les réacteurs, dits de quatrième génération, ne seraient - j’emploie le conditionnel, le futur serait sans doute trop affirmatif - au mieux disponibles qu’à l’horizon de 2045.

        Vos collègues, Christian Bataille et Claude Birraux n’ont d’ailleurs pas dit autre chose dans leur excellent rapport réalisé au nom de l’Office des choix scientifiques et technologiques en mai 2003. Je ne pense pas caricaturer leur position en déclarant cela, avec prudence, bien sûr, compte tenu de la difficulté du sujet.

        C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, conformément à l’annonce du Premier ministre, est en faveur de la construction prochaine d’un EPR. C’est le troisième axe prioritaire de notre politique énergétique. Il faut tout de même noter qu’entre la décision que l’on prendrait et l’expérimentation, il s’écoulerait au moins sept ans. On comprend, là encore, la difficulté du sujet.

        Mais le Gouvernement souhaite préciser à la représentation nationale qu’il n’est pas question de signer un chèque en blanc à la filière nucléaire.
        Le nucléaire a des incidences sur notre vie économique et peut en avoir sur notre vie quotidienne. Il doit donc impérativement accroître sa transparence et assumer un devoir d’information du public. C’est l’objectif de la loi sur l’information et la transparence nucléaires que le Sénat devra examiner avant l’été.
        Je veux aussi préciser que le nucléaire n’a pas non plus vocation à produire toute notre électricité et que la France devra également veiller à garder un parc de production thermique, c’est-à-dire utilisant le gaz, le fioul ou même le charbon, en quantité suffisante.
        Quatrième axe de notre politique d’énergie : développer la recherche dans le domaine de l’énergie. La recherche est un enjeu majeur. Nous ne vaincrons pas le réchauffement climatique sans ruptures avec nos habitudes, pas plus que nous le ferons sans découverte de nouvelles technologies. Les nouvelles technologies de l’énergie doivent devenir une des priorités de notre recherche.

        Je proposerai que soit élaboré un programme d’actions précis et qu’y soient alloués les moyens financiers nécessaires pour préparer l’avenir en la matière.

        L’avenir nous permettra de savoir capturer et stocker, par exemple dans un champ de gaz, le CO2 émis dans l’atmosphère. L’avenir, c’est faire fonctionner nos véhicules avec des biocarburants, de l’hydrogène et des piles à combustibles. L’avenir, c’est peut-être savoir s’éclairer avec la technologie du photovoltaïque. Enfin, l’avenir, c’est consommer de l’électricité et du gaz sans les gaspiller.

        Telles sont les grandes orientations de notre politique énergétique.

        Avant de terminer, je voudrais - c’est un point auquel M. Devedjian et moi-même tenons beaucoup - inscrire cette politique nationale ambitieuse et cohérente dans un cadre nouveau : le cadre européen.

        Le temps où la France pouvait définir sa politique énergétique sans tenir compte de celles de ses voisins est révolu, et je vais essayer de le démontrer. L’Europe de l’énergie doit devenir une réalité.

        Cela nous permettra de faire gagner nos entreprises et, en même temps, de favoriser l’indépendance énergétique de l’Europe.

        Pour cela, nous devons concevoir un véritable projet industriel pour EDF et GDF. A partir du moment où la concurrence s’ouvre sur le marché français, si EDF et GDF ne gagnent pas des parts de marché sur le marché européen, un gigantesque problème d’emploi se posera. Il faut donc donner les moyens à ces deux grandes entreprises d’un projet industriel qui leur permettra de gagner en Europe ce qu’elles risquent de perdre en France avec l’ouverture du marché à la concurrence.

        Reconnaissons qu’EDF et GDF - formidables entreprises - présentent des fragilités.

        Première fragilité, le principe de spécialité. Ce principe, lié à leur statut actuel, les empêche de faire une proposition commune de gaz et d’électricité. Or à la fin de cette année, leurs concurrents pourront proposer une offre commune, couplée. Pas EDF et GDF si nous ne faisons rien.

        Deuxième fragilité, le statut d’établissement public. Il constitue aujourd’hui le premier frein au développement d’EDF et de GDF à l’extérieur de nos frontières. Souvenez-vous de ce qui s’est passé en Italie et en Espagne !

        Dernière fragilité, EDF comme GDF sont face à des difficultés : EDF est trop endettée et doit renforcer ses fonds propres. Moi, je veux bien que le statut actuel soit merveilleux, mais je pose une question : pourquoi pas un seul gouvernement n’a donné un centime à EDF et à GDF depuis vingt-deux ans ? Voilà la réalité des choses ! Et durant ces vingt-deux années, la gauche a été plus longtemps au pouvoir que la droite ! Nous sommes donc coresponsables !

        EDF a 26 milliards d’euros de dettes et 19 milliards d’euros de fonds propres, et si l’on n’a rien fait pour renforcer ceux-ci, il ne faut pas verser des larmes de crocodile sur la fragilité d’EDF. Dans un marché de concurrence, l’Etat, qui a bien d’autres choses à faire, n’est pas le meilleur actionnaire pour accompagner un développement. Ce n’est d’ailleurs pas une découverte : il l’a déjà prouvé en ne donnant pas à EDF et à GDF les moyens de leur développement.

        Agir, cela signifie donc donner à EDF et à GDF les moyens juridiques et financiers de devenir des champions européens. M. Devedjian et moi-même pensons en effet qu’il y a consensus sur ce sujet : chacun, ici, souhaite qu’EDF et GDF restent des champions, et nul ne peut prétendre aimer EDF et GDF plus qu’un autre. Toutefois, on peut, comme il est normal en démocratie, débattre des modalités pratiques qui permettraient à ces grandes entreprises de progresser et de se développer.

        Nous pensons, quant à nous, qu’il faut leur donner une nouvelle forme juridique, celle de société, et en même temps leur offrir les moyens d’augmenter leurs ressources, et donc leur capital. EDF et GDF ne seront jamais des entreprises comme les autres. On invoque souvent l’argument de France Télécom. Oserai-je affirmer qu’il n’est pas pertinent ? Un central téléphonique n’a rien de commun avec une centrale nucléaire. Aussi le gouvernement français a-t-il proclamé solennellement qu’il ne privatiserait pas EDF et GDF. Les centrales nucléaires ne peuvent être comparées à aucun autre équipement technologique. Il y a, en la matière, une mission de service public.

        Cela signifie que l’Etat restera largement majoritaire dans le capital de ces entreprises nous aurons l’occasion de discuter du niveau de sa participation et que ces entreprises resteront publiques.

        Quant aux agents d’EDF et de GDF, ils représentent la première richesse de ces entreprises, non seulement en raison de leur compétence, mais pour leur attachement à leurs entreprises.

        Au nom de quoi serait-il blâmable de vouloir leur permettre de devenir actionnaires d’entreprises dont ils ont fait la prospérité ?

        Il y aurait, me semble-t-il, quelque incohérence à dire que les électriciens et les gaziers aiment EDF et GDF, et d’en conclure qu’il convient donc de leur interdire de devenir les propriétaires d’entreprises dont ils sont, au premier chef, responsables du développement, de la prospérité et de l’avenir.

        M. Devedjian et moi-même l’avons dit lorsque nous avons reçu les organisations syndicales, et nous le confirmons ici : le statut des agents d’EDF et de GDF ne sera pas modifié, la garantie de l’emploi dont ils disposent ne sera pas touchée, leurs prestations sociales ne seront pas changées, et leur régime de retraite restera toujours un régime spécial, même si son mode de financement doit être modifié pour en assurer la pérennité, la garantie de l’Etat ne pouvant être conservée du fait des règles européennes.

        Nous devons nous adapter à l’Europe, mais nous devons aussi redevenir une force de proposition pour l’Europe. La France doit proposer à l’Europe des règles communes. Partager un marché unique, c’est bien sûr bénéficier d’un marché plus efficace, profiter d’une solidarité accrue, mais c’est aussi minimiser ensemble les risques : celui qu’une coupure généralisée n’affecte une partie de l’Europe, celui que la politique insuffisamment prévoyante d’un pays en matière de production ne se traduise par des hausses de prix chez ses voisins. On voit bien que, en la matière, nous sommes solidaires les uns des autres. Nous ne voulons pas faire en Europe ce qu’a fait la Californie. Nous voulons maîtriser collectivement ces risques. C’est pourquoi la France déposera un mémorandum sur l’Europe de l’énergie. Nous voulons que le parc de production électrique européen soit suffisant, que chaque pays dispose d’un niveau minimum de production par rapport à sa consommation, que tout l’approvisionnement ne repose pas sur les exportations : le black-out italien de l’été dernier est là pour nous rappeler cette nécessité. Avec les incertitudes stratégiques actuelles, tous les pays doivent se poser la question de la production.

        Nous voulons permettre à nos entreprises gazières de conserver des contrats d’approvisionnement à long terme avec les pays producteurs pour les inciter à investir dans les réseaux de transport dont nous aurons besoin. La concurrence, c’est bien, mais de tels contrats assureront notre sécurité énergétique.

        Nous voulons trouver les moyens de préserver la compétitivité de nos industries fortement consommatrices d’électricité, en leur garantissant des tarifs bas. M. Devedjian a évoqué la question de l’acier. Prenons garde à ne pas nous retrouver avec un problème de prix dans quelques mois ou dans quelques années.

        Nous voulons faire converger les politiques énergétiques européennes vers un modèle commun, avec trois priorités. A quoi servirait que la France se consacre à la relance de la maîtrise de l’énergie, si ses voisins n’en font pas autant ? Chaque pays européen doit être placé devant ses responsabilités en matière d’énergie nucléaire. Cette énergie, qui produit 34 % de l’électricité européenne, évite un accroissement des émissions de gaz à effet de serre quasiment équivalent à celui de l’ensemble du parc automobile européen. Sans le nucléaire français, c’est l’équivalent des rejets du parc automobile européen qui se retrouveraient dans l’atmosphère. Il faut que ce débat ait lieu dans toutes nos démocraties. Nous, qui produisons moins de gaz à effet de serre, nous n’avons pas à recevoir de leçons de ceux qui en parlent beaucoup et qui en produisent bien davantage que nous.

        Enfin, nous pensons c’est un point important que l’Europe doit se doter d’une véritable diplomatie de l’énergie. La sécurité d’approvisionnement de l’Europe dépend évidemment de la qualité du dialogue qu’elle saura instaurer avec les pays producteurs, mais aussi avec les pays en voie de développement, pour leur permettre d’améliorer leur efficacité énergétique. En fédérant les intérêts nationaux, l’Europe a assurément, aux côtés de chaque pays, un important rôle à jouer dans ce domaine. Convenons pourtant que, pas plus dans ce domaine que dans tant d’autres, elle ne joue pas son rôle, en tout cas pas à la hauteur de l’ambition qu’on pourrait avoir pour elle.

        En conclusion, mesdames et messieurs les députés, en matière d’énergie, la France a la chance exceptionnelle d’être en avance sur ses concurrents sur le plan de la technologie, de l’effet de serre, de la compétitivité, de la protection des consommateurs, y compris des plus démunis.

        Nous n’avons pas le droit de gâcher par immobilisme ce que nos prédécesseurs nous ont légué. L’histoire a donné à la France des hommes d’Etat qui ont su relever les défis qu’ils ont rencontrés. Serons-nous à la hauteur des bâtisseurs, de ceux qui ont construit notre indépendance ? Nous sommes à un tournant. Ferons-nous aussi bien, mieux ou moins bien ? Ce qui est sûr, c’est que l’immobilisme est la certitude de l’échec. Vous l’avez compris, ce n’est pas la politique du Gouvernement.

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N° 1547 – Déclaration du Gouvernement relative à l’énergie