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mis en distribution
le 12 juillet 2004
No  1702
ASSEMBLÉE  NATIONALE
CONSTITUTION  DU  4  OCTOBRE  1958
DOUZIÈME  LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2004.
D É C L A R A T I O N
D U G O U V E R N E M E N T
débat d’orientation budgétaire pour 2005,
par M. Nicolas Sarkozy,
ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

                    Madame la présidente,
                    Mesdames, messieurs les députés,
        Ce débat d’orientation budgétaire est l’occasion de faire avec vous un point approfondi de la situation, particulièrement bienvenu à l’heure où l’on se met à reparler de croissance, dans le monde, en Europe et en France.
        Je voudrais vous livrer les données essentielles de la situation telles qu’elles se présentent à nous aujourd’hui, en juin 2004. Comment faire la part des bonnes et des mauvaises nouvelles ? L’une des caractéristiques de l’économie moderne, en effet, c’est que les informations sont parfois contradictoires. Sommes-nous trop ou encore pas assez rigoureux avec nos finances publiques ? Comment devons nous agir ? Il ne s’agit pas d’aligner des chiffres, même si les chiffres sont utiles. Il s’agit de mesurer ensemble nos contraintes, mais aussi notre capacité à agir, qui est la raison d’être d’un gouvernement. Je vais essayer pour cela de limiter les données chiffrées à l’essentiel, pour insister sur leur signification, en suivant un raisonnement simple : quel est l’état des lieux, pourquoi faut-il agir et comment devons-nous agir ?
        Nous devons composer avec une conjoncture internationale qui s’améliore et une situation budgétaire très difficile.
        Nous sortons d’un ralentissement de croissance sans précédent depuis la récession de 1993 que le gouvernement d’Edouard Balladur avait trouvée. C’est grâce à la consommation que la France a résisté à la récession de 2003 qui atteignait d’autres pays européens, en maintenant un taux de croissance positif, même s’il a été très faible : 0,5 %, soit un peu plus que la zone euro. Les dépenses de consommation des ménages représentent à elles seules plus de la moitié du PIB, c’est dire leur importance capitale dans la croissance française. Ce sursaut de l’an passé, nous le devons donc à une consommation des ménages qui a bénéficié des réductions d’impôts et de l’augmentation du SMIC, et cela alors même que l’investissement des entreprises diminuait de 1,5 % et que les exportations reculaient de 2,7 %.
        En résumé, si l’économie n’est pas rentrée en récession en 2003, c’est grâce à la consommation des ménages.
        Cela nous a permis de saisir le redressement de la mi-2003 dans la zone euro avec un peu d’avance sur nos voisins. Qu’en est-il aujourd’hui ?
        Je crois qu’on peut dire que les nouvelles générales de l’économie française sont meilleures qu’il y a trois mois : la croissance mondiale pourrait dépasser les 4,5 % cette année, grâce aux Etats-Unis, mais aussi grâce à la Chine dont la croissance devrait être de 8 %, et grâce au Japon qui, après dix ans de crise, est sur un rythme de croissance annuelle de 3 %. D’après l’OCDE, la zone euro pourrait connaître une croissance moyenne de 1,6 %.
        Autre bonne nouvelle : la France va mieux qu’on ne le pensait, avec une croissance de 0,8 % au premier trimestre, grâce encore à la consommation des ménages, mais aussi à l’investissement des entreprises. L’INSEE nous dit aujourd’hui que la croissance dépasserait 2 % en moyenne annuelle cette année, c’est-à-dire sensiblement plus que la croissance dans la zone euro, que cet institut situe à 1,7 ou 1,8 %.
        Toutefois, le volontarisme reste plus que jamais de mise. D’abord parce que la croissance, pour l’Europe et pour la France, est encore convalescente. La demande reste faible dans la zone euro. Il n’est que de voir ce qui se passe en Allemagne et en Italie, ce qui est préoccupant parce que ces deux pays sont d’importants partenaires pour l’économie française.
        Ensuite, le volontarisme reste plus que jamais de mise à cause des prix du pétrole - encore qu’en la matière la vérité du lendemain ne soit pas celle de la veille - qui, après une période continue d’augmentation, entrent dans une période de baisse. Combien de temps cela va-t-il durer ? Personne ne le sait. Les spécialistes estiment que c’est la prime de risques, et non l’inadéquation entre l’offre et la demande, qui a justifié l’augmentation du prix du baril, en dépit de la situation de croissance au niveau mondial.
        Il y a aussi la question des déséquilibres américains. Ce n’est pas faire injure à nos amis américains que de dire que leur croissance nous aide beaucoup, mais que les déficits jumeaux sont un problème pour nous tous, car ils laissent présager une augmentation des taux aux Etats-Unis, ce qui aura des conséquences sur les taux en Europe et, compte tenu du poids de la dette française, sur la charge de la dette.
        Enfin, dans tous les cas, nous ne pouvons nous satisfaire d’un taux de chômage de 9,8 % en 2004, qui a augmenté d’un point depuis décembre 2001. Notre politique budgétaire doit être au service de la croissance et de l’emploi, et ne peut pas être passive. Nous ne pouvons attendre que les choses s’arrangent.
        Car s’il est sans doute un point de consensus entre nous, c’est que la croissance spontanée ne suffira pas à nous tirer d’affaire, en particulier parce que nos finances publiques sont très dégradées et hypothèquent le retour de la croissance. Nous ne pouvons pas utiliser les marges de manœuvre des fruits de la croissance pour soutenir l’activité car nous devons les consacrer à la réduction du déficit et de l’endettement.
        A elle seule, cette réduction des déficits justifie une action volontariste. Il nous faut bien réaliser qu’avec une croissance supérieure à 2 % cette année, et encore de 2,5 % l’an prochain, notre déficit public resterait spontanément, si nous n’agissions pas, au-dessus de 3 %. Pour revenir en dessous des 3 % du PIB, sans avoir à agir, il faudrait en réalité que la croissance revienne très vite à 3 %. Qui ici pourrait affirmer que ce sera le cas ? En tout cas, la politique que le Gouvernement vous propose n’est pas une politique d’inaction.
        La première conclusion, c’est donc qu’il nous faut agir et vite, si nous voulons tirer parti de cette croissance convalescente qui revient. C’est pour nous l’occasion, non de desserrer des contraintes, mais d’enclencher des mécanismes vertueux qui amélioreront la conjoncture.
        Quelle est la situation de nos finances publiques ? Nous sommes arrivés au taquet de la dégradation budgétaire. Personne ici ne peut penser qu’il y ait la moindre marge de manœuvre de dégradation ou d’endettement supplémentaire.
        Le déficit public de la France a dépassé les 3 % depuis 2002, c’est-à-dire dès que la croissance s’est dérobée. En 2003, les déficits publics ont atteint 4,1 % du PIB et la dette, près de 64 %. Nous ne respectons plus les critères de Maastricht qui s’imposent à nous, et cela quelle que soit notre opinion sur eux. Et rappelons-nous, ce qui n’est pas un détail, que seul un vote à l’unanimité des Etats pourrait les modifier. Et quand bien même on les modifierait, le problème resterait pendant, car ce n’est pas tant une question d’Europe qu’une question de bon sens.
        La France, comme l’Allemagne - ce qui n’est pas une consolation -, a fait l’objet à l’automne dernier d’une procédure européenne de déficit excessif, suspendue après l’intervention du Conseil, mais non sans mal.
        Le 15 décembre 2003, la France a pris des engagements, et j’ai bien l’intention de tout faire pour qu’ils soient respectés. Ces engagements sont les suivants : revenir à un déficit public inférieur à 3 % dès 2005 ; stabiliser les dépenses de l’Etat en volume, chaque année, de 2004 à 2007 ; conduire une réforme structurelle de l’assurance maladie, qui ait des effets massifs dès 2005 ; affecter tout surplus de recettes liées à une croissance plus forte à la réduction du déficit ; financer toute nouvelle baisse d’impôts soit par une diminution des dépenses publiques, soit par la suppression d’autres impôts. Ce n’est pas moi qui ai pris ces engagements, c’est la France, mais je les partage et je les défendrai. Ces engagements, c’est la parole de la France, mais aussi sa crédibilité. Il était nécessaire, dans ce débat d’orientation, de les rappeler. Ceux qui ne seraient pas d’accord avec ces engagements doivent dire lesquels ils contestent et en assumer la responsabilité.
        Nous pourrions contester la rigueur des règles européennes, en objectant que nous ne sommes pas les seuls à être en difficulté. Mais nous avons, je crois, plutôt intérêt à réfléchir en priorité sur notre responsabilité collective dans cette dégradation. Car, et c’est un point capital, il ne s’agit pas seulement d’une dégradation conjoncturelle, qui pourrait s’améliorer d’elle-même. Notre déficit est structurel. Il s’est creusé, la France et elle seule en est responsable.
        Je ne ferai aucun procès : nul n’a le monopole de la bonne ou de la mauvaise gestion. Cela fait vingt-trois ans que les déficits sont apparus et se répètent, inexorablement, année après année. Notre situation des finances publiques est structurellement déficiente. Mais le fait est qu’elle s’est nettement dégradée ces dernières années.
        Des dépenses ou des baisses d’impôts importantes ont été engagées avant 2002, alors que les recettes de la croissance rentraient. Les recettes sont reparties avec la croissance en 2002, mais les charges demeurent.
        Je vais m’en tenir à des constats irréfutables, sans porter aucun jugement de valeur car ce ne serait pas à la hauteur de la gravité des enjeux. Nous sortons, comme nos partenaires européens, d’une période de deux ans de ralentissement fort. Clairement, les recettes fiscales rentrent beaucoup moins bien depuis 2002, après un cycle de croissance de cinq ans qui avait même mené à l’épisode désastreux de la « cagnotte fiscale ». Clairement aussi, des engagements ont été pris par nos prédécesseurs, en connaissance de cause - ils revendiquent par exemple les 35 heures - sur lesquels je ne veux pas me prononcer à ce stade, mais dont je constate qu’ils coûtent au total, à eux seuls, 14 milliards d’euros alors que les recettes de la croissance ont disparu.
        Le budget de l’Etat supporte 14 milliards d’euros de dépenses pour empêcher les Français de travailler !
        Il n’y a pas un seul pays au monde qui puisse se payer un luxe pareil !
        Imaginez ce que la France pourrait faire avec cette somme : elle pourrait ainsi financer des investissements dans les territoires, engager l’avenir avec la recherche ou être porteur de la modernisation de notre pays ! Et ces 14 milliards d’euros qui nous ont été légués comme dépenses sont récurrents. Chaque année, la France devra les assumer.
        Autre constat, la dérive de l’assurance maladie, qui est repartie à la hausse depuis l’année 2000, pour dépasser les 2 milliards d’euros dès 2001 et qui cette année est sur une tendance de 13 milliards d’euros.
        Le résultat, c’est un déficit public qui s’est remis à augmenter dès que la croissance s’en est allée.
        La gestion de Francis Mer et Alain Lambert a permis de limiter la dérive. Ils ont eu raison de stabiliser rigoureusement la dépense en volume en 2003. Mais malgré ces efforts, le déficit public a atteint 4,1 points de PIB en 2003, essentiellement sous l’effet des rentrées fiscales désastreuses car, cette année-là, les moins values on atteint plus de 11 milliards d’euros. Voilà tout le drame budgétaire de la France : 14 milliards d’euros de dépenses en plus, 11 milliards d’euros de recettes en moins ! Cela s’appelle un déficit structurel.
        L’endettement public, qui avait longtemps été contenu aux alentours de 55 %, atteint en 2004 le taux moyen d’endettement public de l’Union européenne, soit 64 %. Cette comparaison est tout sauf satisfaisante. Regardons la situation telle qu’elle est et non telle que nous voudrions qu’elle soit : on s’aperçoit que nos partenaires européens ont progressé ces dernières années, alors qu’ils étaient nettement plus endettés que nous. En période de bonne conjoncture, entre 1999 et 2001, ils ont réussi à alléger leur endettement de 4,4 points de PIB, trois points de plus que nous pour ces mêmes années fastes. La vérité, c’est que nos partenaires européens ont profité des fruits de la croissance pour désendetter leur pays, alors que ces mêmes fruits de la croissance vous ont servi, mesdames, messieurs de l’opposition, à financer, en pure perte, des dépenses nouvelles ! Voilà pourquoi notre situation est moins bonne. Ce constat n’est nullement polémique, il est irréfutable !
        On a accumulé les dépenses, là où nos partenaires profitaient des recettes de la croissance pour désendetter et réduire le déficit.
        Même si la vérité blesse, on ne peut pas la changer.
        La vérité c’est que le déficit public français est maintenant supérieur à la moyenne de celui la zone euro.
        Ces chiffres nous interpellent tous. Il nous faut en tirer certaines conséquences, notamment mesurer les méfaits durables de l’endettement sur notre économie.
        Le premier de ces effets est un blocage des marges de manœuvre budgétaires pour l’Etat. La France consacre 40 milliards d’euros par an au service de la dette - c’est-à-dire au payement des intérêts, et non au remboursement proprement dit ! 40 milliards d’euros en pure perte, cela représente 80 % des recettes de l’impôt sur le revenu et 14 % des dépenses du budget général.
        C’est plus que l’ensemble des crédits consacrés à l’emploi. Qui pourrait sérieusement prétendre continuer de la sorte ? On ne peut pas non plus jouer sans fin à se renvoyer la responsabilité, car c’est notre responsabilité collective. Essayons donc de montrer à la nation le visage de gens responsables, de droite comme de gauche, qui tirent les conséquences qui s’imposent d’une situation qui ne peut plus durer.
        Le deuxième effet, c’est une perte de confiance diffuse des Français, qui ne peuvent pas se décider à consommer et à investir alors qu’ils ont le sentiment que l’Etat est aux limites de sa crédibilité budgétaire, quand l’endettement atteint près de 16 000 euros par habitant.
        Il faut donc agir, et tout de suite, car, à défaut, la situation, loin de se stabiliser, va encore s’aggraver. Actuellement, tout se passe comme si nous engagions chaque année quinze mois de dépenses avec douze mois de recettes. Chacun peut comprendre les limites de cet exercice : en continuant ainsi, nous allons droit dans le mur !
        Par quoi devons-nous commencer ?
        Pour réduire nos déficits, je suis persuadé que le recours à de nouveaux prélèvements obligatoires n’est pas envisageable.
        Il ne s’agit pas là d’idéologie ou d’un théorème économique, mais de bon sens : la France est au taquet pour ce qui est de sa dégradation budgétaire, et elle l’est aussi en matière de prélèvements obligatoires, avec un taux de 43,78 %. Les Français attendent des raisons d’avoir confiance pour se remettre à consommer et à investir. Un supplément d’impôt serait dissuasif, et le but du Gouvernement n’est pas que le malade meure guéri !
        J’irai plus loin : nous devons, dès que la situation budgétaire nous le permettra, alléger les prélèvements obligatoires qui entravent notre activité. Un exemple, parmi beaucoup d’autres : d’après les calculs récents de la Commission européenne, le taux de taxation du travail - au sens fiscal et social - était en France de 41,8 % en 2002, contre 36,3 % en moyenne pour l’Union européenne. Dans un pays qui compte 9,8 % de chômeurs, comment ne pas voir que le seul espoir est de réduire progressivement les prélèvements ? Nous luttons autant que nous le pouvons contre les délocalisations industrielles, mais la pression fiscale joue contre nous ! Au sein même de nos frontières, nous luttons pour réhabiliter la valeur du travail par rapport à l’assistance, mais, là encore, la pression fiscale joue contre nous, en décourageant le travail !
        Aujourd’hui, pour réduire nos déficits, c’est sur la dépense que nous devons agir. Pour cela, nous avons décidé d’appliquer en 2004 la même règle qu’en 2003 : pas plus de dépenses que l’autorisation parlementaire que vous avez votée en loi de finances initiale. Car, avec le jeu des reports de crédits et des décisions prises en cours d’année, ce montant pourrait être bien supérieur, comme cela a été le cas certaines années précédentes, ce qui est une vraie dérive. C’est pour cela que la régulation budgétaire que j’ai décidée le 20 avril dernier a conduit à constituer une réserve de précaution de 7 milliards d’euros. Il n’est pas question que M. Bussereau ni moi-même revenions sur cette décision.
        Cette stabilité en volume que nous visons ne nous permet au demeurant, toutes choses égales par ailleurs, que de réduire de 0,4 point de PIB le déficit de l’Etat, ce qui est un minimum quand il avoisine les 4 %.
        Comment maintenir cette stabilité en volume l’année prochaine ? Certaines charges, telles que celle de la fonction publique ou celle de la dette, augmentent automatiquement, de 4 milliards d’euros. Les mesures de revalorisation du point de la fonction publique ou des minima sociaux coûtent 1,2 milliard d’euros. Les lois de programmation - défense, justice, sécurité - représentent 3 milliards d’euros et la nouvelle tranche annuelle des allégements de charges sur l’emploi 2,4 milliards. Tout cela, c’est déjà une progression de 2,5 % en volume ! Cela donne une idée de l’effort à réaliser : il nous faut trouver 11 milliards d’euros d’économies pour revenir à la stabilité !
        Les lettres cibles adressées le 3 juin à tous les ministres par Dominique Bussereau et moi-même tiennent compte de cette équation : notre objectif de plafonnement du déficit à 3 % du PIB en 2005 implique un volume de dépenses qui progressera de façon différenciée entre les ministères pour ne pas augmenter globalement.
        J’insiste sur ce point : tout ne peut pas être prioritaire. Pendant des décennies, à force de ne pas choisir, nous avons progressivement additionné les priorités - la plupart des dépenses de l’Etat étant, certes, hautement justifiables ! L’éducation, l’emploi, la recherche, la justice, la sécurité sont évidemment des priorités dans l’absolu. Mais aujourd’hui, la contrainte de l’endettement, qui se resserre autour de nous, nous oblige à choisir. Nous devons cibler les dépenses à privilégier, en préservant en premier lieu celles qui engagent l’avenir.
        Un budget sérieux n’est pas un budget de récession. Il est possible d’assainir la situation des finances publiques, tout en faisant en sorte que la croissance et l’emploi soient soutenus. Cela implique que nous parvenions à maîtriser certains postes de dépenses. Je pense évidemment, à cet égard, aux effectifs de la fonction publique. Les pensions et les effectifs de la fonction publique représentent, en effet, 44 % du budget de la nation. En y ajoutant les 15 % consacrés à la dette, on parvient au chiffre de 60 % ! Ne pas poser la question des effectifs serait donc s’interdire de réduire le déficit et de maîtriser l’endettement. Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux qui partent à la retraite, dans les ministères et dans les fonctions où c’est possible grâce à des réorganisations, n’est évidemment pas une mesure dirigée contre les fonctionnaires - auxquels de meilleures conditions de travail doivent être assurées -, mais c’est une mesure dont il nous faut débattre. Il faut aussi envisager la vente d’immeubles situés en centre-ville, trop chers, au profit d’implantations plus rationnelles, car l’Etat doit être exemplaire.
        Au-delà, je compte aussi beaucoup sur la nouvelle culture introduite par la LOLF à partir de l’an prochain. On ne raisonnera plus en termes de moyens, mais d’objectifs et de résultats, ce qui est un formidable levier de rationalisation et d’économies. De la sorte, la représentation nationale pourra voter en fonction d’objectifs déterminés, et juger si les moyens alloués y suffisent. Enfin, les responsables administratifs pourront redéployer librement des crédits au cours de l’année pour les gérer au mieux.
        Nous allons donc agir vigoureusement pour maîtriser le déficit de l’Etat. C’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Il faut donner à notre politique budgétaire de la cohérence et de la visibilité. Il faut que la France se fixe des règles qui survivent aux clivages politiques. Les Français ont, certes, le goût de l’alternance, mais le paquebot budgétaire ne peut pas naviguer sans dommages en changeant de cap tous les deux ou trois ans.
        Il nous faut donc introduire de la cohérence là où, trop longtemps, nous avons navigué à vue. Nous avons cru pendant des années que les difficultés n’étaient que conjoncturelles ; nous savons maintenant qu’elles sont structurelles.
        La cohérence, c’est trois choses : une maîtrise de tous les comptes publics par tous les acteurs, une visibilité dans le temps et une concertation avec nos partenaires
        Elle suppose tout d’abord, au sein de l’Etat, une concertation interministérielle beaucoup plus forte. Bercy ne doit pas seulement dire non, mais être une force qui propose des économies et des réformes. Là encore, dans le débat naturel entre Bercy et les autres ministères, il faut maintenant faire comprendre à chacun qu’il n’y a pas un budget par ministre, mais un seul budget, celui de la nation. C’est une condition indispensable pour réussir.
        La cohérence exige aussi que soient maîtrisés les autres soldes publics, sociaux et locaux. Le budget de l’Etat représente en effet, je le rappelle, moins de 40 % du total des budgets publics.
        Pour ce qui est du déficit des comptes sociaux, tout d’abord, la réforme des retraites réalisée en 2003 permet d’alléger, à elle seule, un tiers du déficit de ces régimes à l’horizon de 2020, et la réforme en cours de l’assurance maladie doit changer les comportements et permettre un retour à l’équilibre en 2007, alors que le déficit pourrait atteindre 13 milliards d’euros cette année.
        Vous qui n’avez voté ni la réforme des retraites, ni celle de l’assurance maladie, le moins que l’on puisse dire, c’est que toutes les économies réalisées ne vous devront que très peu !
        Les collectivités locales, dans le respect de leur autonomie, devraient être, elles aussi, mieux associées à la stratégie d’ensemble des finances publiques. Nous pourrions ainsi associer, au moment du débat d’orientation budgétaire national, le Gouvernement, les commissions des finances des deux assemblées et les principales instances de représentation des collectivités locales dans une conférence annuelle de concertation, qui aurait un rôle pédagogique important devant le tribunal de l’opinion publique.
        La cohérence, c’est aussi la durée. Une politique budgétaire n’a pas de sens à l’horizon d’une année, qui est l’horizon de la gestion et non celui de la vision. Nous devons mettre en place les instruments d’une stratégie budgétaire sur dix ou vingt ans, qui ne serait évidemment pas une prévision, mais un cadre auquel nous pourrions nous référer. Ce serait la concrétisation de cette fameuse « soutenabilité » des finances publiques - terme quelque peu obscur et abstrait, auquel on se réfère toujours sans savoir exactement ce qu’il représente. Cela devient nécessaire car le vieillissement de la population et les questions de santé et d’emploi exigent que nous anticipions.
        Nous pouvons fixer des règles pour l’avenir, en tirant des leçons du passé. Nous ne devons pas fluctuer au gré de la conjoncture, en allant dans son sens puis en la contrariant, faute de vision de long terme. Ainsi, nous avons pu constater que les baisses d’impôts décidées lorsque les recettes fiscales sont fortes amènent à une dégradation proportionnellement plus forte quand la conjoncture se retourne, comme cela a été le cas à la fin des années quatre-vingt-dix. Nous vous proposons de fixer à l’avance, par une loi organique, une règle de gestion en cas de recettes supérieures aux prévisions. On pourrait ainsi - mais cela doit, bien évidemment, être débattu - donner la priorité à la réduction du déficit, en y affectant au moins les deux tiers des excédents de recettes, le solde étant affecté à des dépenses d’investissement, de recherche ou à des allégements d’impôts ciblés, évalués et temporaires. Ce serait un signal de vertu budgétaire, qui éviterait le débat sur la cagnotte. Un pays qui a plus de 1 000 milliards d’euros de dettes doit consacrer le surplus des recettes de la croissance au désendettement et à la réduction du déficit.
        Enfin, la cohérence, c’est la concertation avec nos partenaires. Si nous obéissons à des règles communes européennes, c’est le moins que nous puissions faire, plutôt que de tirer chacun dans son sens.
        Il ne faut pas attendre, pour nous concerter, les procédures de déficit excessif. Un gouvernement économique de l’Europe, nécessaire dans le domaine monétaire, serait aussi précieux dans le domaine budgétaire, pas pour se substituer aux gouvernements des Etats membres, mais pour harmoniser leurs initiatives. D’ores et déjà, nous transmettons chaque année un programme pluriannuel sur trois ans à la Commission.
        Mais ces obligations sont encore trop souvent formelles. C’est pourquoi je suis certain qu’un aménagement du pacte de stabilité est nécessaire pour prendre davantage en compte la situation conjoncturelle et le taux d’endettement de chaque pays. En effet, l’objectif de déficit à moyen terme n’est pas forcément le même pour un pays dont l’endettement est lourd et le système de retraites déséquilibré que pour un pays qui, comme l’Angleterre, a une dette de 40 % et un déficit de 3,2 %. Il est moins grave d’avoir un tel déficit avec une dette de 40 %, qu’avec une dette de 106 % du PIB. Ce n’est pas vouloir s’extraire des règles du pacte de stabilité que d’en demander une lecture adaptée aux cycles économiques. Avoir 3 % de déficit avec 3 % de croissance, c’est beaucoup trop et c’est très préoccupant, mais avec - 1 % de récession, cela n’a en vérité aucune espèce d’importance.
        Oui, il faut un pacte de stabilité. Mais, ce qui compte, ce n’est pas tant les 3 % de déficit ou les 60 % d’endettement que la lecture et l’interprétation que l’on fait de ce pacte.
        J’ai proposé à mon collègue allemand de cosigner, avant la prochaine loi de finances, une déclaration commune pour mettre nos deux politiques économiques en perspective, y compris dans leur composante budgétaire. Cette initiative ne vise pas à aligner un Etat sur l’autre, ce qui n’aurait aucun sens, mais elle nous oblige à nous comparer, à réfléchir ensemble, à vérifier que nous allons dans le même sens. Elle pourrait tout à fait servir de socle à un pacte plus large, retraçant les principales initiatives des membres de l’Eurogroupe. Nous avons une monnaie commune, un marché commun, une banque centrale indépendante ; nous devons maintenant nous doter d’une stratégie économique commune.
        Telles sont, mesdames, messieurs les députés, les réflexions que le Gouvernement voulait vous livrer. Le rapport écrit qui vous est distribué comporte toutes les informations disponibles, notamment en matière de prévisions de recettes et de dépenses. Nous vous avons fait parvenir avant-hier le guide partagé de la performance, qui est le mode d’emploi de la LOLF.
        J’espère que cette collaboration va se poursuivre durant ce débat d’orientation. Je sais que la situation n’est pas facile. Mais il y a au moins une bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a guère de doute sur la direction que nous devons retenir : nous devons prendre des décisions tout de suite et les assumer. Après tout, c’est moins difficile quand on pense, à juste titre, travailler pour l’avenir.

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N° 1702 – Déclaration du Gouvernement : débat d’orientation budgétaire pour 2005