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No  2373
ASSEMBLÉE  NATIONALE
CONSTITUTION  DU  4  OCTOBRE  1958
DOUZIÈME  LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juin 2005.
D É C L A R A T I O N
D U G O U V E R N E M E N T
sur le Conseil européen,
par M. Dominique de VILLEPIN,
Premier ministre.
Déclaration du Gouvernement
sur le Conseil européen

                        Monsieur le Président,
                        Mesdames et messieurs les députés,
        Les crises ne sont pas nouvelles en Europe. Elles ont rythmé la vie des institutions européennes depuis leur création.
    C’est naturel : un projet politique de cette envergure ne peut grandir qu’en franchissant une à une des étapes difficiles. Le succès est à ce prix : la mise en place de la monnaie unique ou notre capacité à garantir la paix dans les Balkans en sont deux témoignages exemplaires.
    L’Europe n’est jamais donnée : c’est le fruit d’un compromis entre des États liés par l’histoire et par la volonté, mais qui ne partagent pas toujours les mêmes intérêts ni la même vision. Elle se construit sur la base d’accords et de traités qui engagent chacun de ses États membres. Elle est un destin négocié et voulu.
    Au cours des dernières années, nous avons tenté de franchir trois étapes : l’étape de l’élargissement, l’étape de la réforme des institutions et l’étape des valeurs de l’Europe.
    Au regard des bouleversements historiques qu’a connus le continent européen depuis la chute du mur de Berlin, l’ambition était légitime. Au début des années quatre-vingt-dix, les peuples décidaient de leur destin. Ils affirmaient leur volonté de vivre ensemble dans un continent unifié, démocratique et en paix. Il était de notre devoir de répondre à leurs attentes en repoussant les frontières vers l’Est.
    Cette réalité exigeait de doter l’Union européenne de nouvelles règles de fonctionnement : à vingt-cinq, nous ne pouvions continuer à travailler sur la base des mêmes textes. Nous avions besoin de dégager plus facilement des majorités et de prévoir des dispositifs appropriés pour permettre aux États qui l’auraient souhaité d’aller plus loin.
    Enfin, chacun mesurait que le nouvel ensemble européen devait entrer dans l’âge politique en définissant un corps de valeurs cohérent : la charte des droits fondamentaux.
    Toutes ces étapes ont trouvé leur aboutissement dans le projet de traité constitutionnel soumis le 29 mai dernier à référendum. Ce projet a été rejeté, ce qui doit nous conduire à répondre rapidement aux interrogations des Français, en veillant à préserver l’unité européenne.
    Le Conseil européen est le premier rendez-vous. Deux questions sont à l’ordre du jour : les perspectives financières et l’avenir du processus de ratification du traité. Sur chacun de ces sujets, je voudrais vous faire part de la position qui sera défendue par la France.
    Aux difficultés politiques, nous ne devons pas ajouter une crise financière. Nous soutenons donc tous les efforts de la présidence luxembourgeoise en vue d’un accord sur les perspectives financières lors du Conseil européen tout en estimant que pour parvenir à un accord raisonnable et équitable, chacun doit faire une part du chemin.
    Dans cette négociation, comme l’a rappelé le Président de la République, nous défendons quatre principes.
    Premier principe : le respect de la discipline budgétaire, qui s’impose à tous.
    Deuxième principe : la solidarité, qui doit permettre de financer la modernisation et le décollage économique des nouveaux membres dans l’intérêt de chacun.
    Troisième principe : le respect des engagements. En octobre 2002, nous avons adopté une décision qui garantit le financement de la politique agricole commune jusqu’en 2013. C’est un acquis majeur pour nos agriculteurs, sur lequel personne ne saurait revenir.
    Quatrième principe : l’équité. Chacun doit contribuer à l’effort européen à hauteur de ses moyens. Le Royaume-Uni, notamment, doit prendre toute sa part au financement de l’Europe élargie.
    Sur la base de ces principes, je souhaite que nous parvenions à un accord satisfaisant pour tous.
    La deuxième question qui sera abordée à partir de demain à Bruxelles est l’avenir du projet de traité constitutionnel.
    Douze pays se sont déjà prononcés, dont trois par référendum. L’Espagne a largement dit oui, la France et les Pays-Bas ont dit non. Treize pays doivent encore rendre leur décision, dont certains ont déjà annoncé le report ou la suspension de leur procédure.
    Partant de ce constat, le premier choix porte sur la procédure à suivre : faut-il interrompre le processus de ratification ou le poursuivre ? La France s’est déjà prononcée. Il appartient désormais à chaque État de s’exprimer à son tour suivant les modalités qu’il aura choisies. C’est le respect de la démocratie. C’est aussi le signe le plus clair de notre volonté de préserver l’unité européenne et l’expression de chacun.
    Au-delà du Conseil européen, des questions importantes se posent auxquelles nous ne pouvons pas aujourd’hui apporter toutes les réponses. Devant la représentation nationale, je ne veux cependant rien éluder des difficultés et des choix qui se présenteront à nous dans un avenir proche. Nous, Français, qui avons répondu non au projet de texte, nous portons une exigence particulière de vérité et de lucidité. Aujourd’hui, j’ouvre le débat avec vous.
    La première question est celle des institutions. À vingt-cinq, nous devons inventer de nouvelles règles de fonctionnement. En rester au compromis de Nice ne peut pas être une solution durable. Très vite, nous nous heurterons à des difficultés majeures dans la prise de décision et dans la définition des grandes orientations de l’Union. J’ajoute que ce n’est pas l’intérêt de notre pays.
    Un travail considérable a été accompli sur ce sujet au cours de ces dernières années. Il doit contribuer à éclairer notre réflexion.
    La deuxième question est celle du modèle économique et social européen. La Charte des droits fondamentaux fixe un certain nombre de principes essentiels auxquels la France est particulièrement attachée : je pense à la défense des services publics, au respect de l’égalité hommes-femmes, à la reconnaissance de la diversité culturelle ou au rejet de toute forme de discrimination. Mais les Françaises et les Français n’y ont pas trouvé les réponses suffisantes à leurs interrogations sur le modèle de développement économique et social que nous leur proposons. L’Europe est-elle d’inspiration purement libérale, comme le craignent certains ? Doit-elle renforcer sa dimension sociale ? En France comme en Europe, je crois que la vérité est plutôt dans le dépassement de ce clivage, dans la fidélité à un héritage universaliste et humaniste. L’exigence d’initiative n’est pas contradictoire avec le besoin de solidarité. Elle est même complémentaire.
    L’insatisfaction qui s’est exprimée dans le non européen ne porte donc pas la marque d’une résignation.
    Elle exprime au contraire une certaine ambition européenne. Pour y répondre, il faudra rapidement avancer des propositions concrètes. Nous le ferons en étroite concertation avec nos partenaires, en particulier avec l’Allemagne, car nos deux pays doivent continuer à coopérer étroitement au service du projet européen.
    Renforcer la politique sociale, c’est un premier défi à la hauteur des enjeux. La mise en ½uvre sans délai de la clause sociale horizontale sera un moyen d’affirmer notre volonté d’avancer dans cette voie : aucun texte ne pourra être adopté sans que ses incidences dans le domaine social n’aient été évaluées et publiquement présentées.
    Coordonner les politiques budgétaires et économiques au sein de l’Eurogroupe constitue un autre défi majeur : nous devons être plus forts, plus confiants dans nos capacités à fixer de grandes orientations économiques pour notre continent.
    Revenir à la préférence européenne, qui a toujours été au c½ur de notre projet commun, est une troisième orientation fondamentale. Pourquoi abandonnerions-nous aujourd’hui un principe fondateur qui est plus utile que jamais et que nos concurrents américains ou asiatiques appliquent largement ? Pourquoi hésiterions-nous à défendre nos intérêts dans le respect de nos engagements internationaux ?
    Développer les outils de l’innovation et de la connaissance grâce à des budgets de recherche conformes à la stratégie de Lisbonne et à de grands projets industriels communs, c’est enfin une voie d’avenir qui touche à l’essence même du génie européen : génie de savoir, génie de curiosité, génie d’ouverture au bénéfice de tous.
    La troisième question est celle de l’élargissement. Nous savons tous que la rapidité de l’élargissement, si elle a répondu à un véritable impératif historique, n’en a pas moins heurté beaucoup de nos concitoyens. Ce sentiment s’est exprimé le 29 mai  : nous devons en tenir compte.
    Les Françaises et les Français veulent savoir dans quelle Europe ils construiront leur avenir et quelles seront ses frontières.
    Pour répondre à leurs questions, nous devons en priorité apprendre à mieux nous connaître et approfondir les relations avec les nouveaux États membres. Les engagements pris à l’égard de la Bulgarie et de la Roumanie seront tenus, en veillant avec une attention particulière au respect des critères fixés. Mais, au-delà, nous devons certainement ouvrir une réflexion avec nos partenaires, dans le respect de nos engagements, sur les modalités des élargissements futurs.
    En l’absence d’institutions adaptées pour faire fonctionner une Europe élargie, la question du lien entre élargissement et approfondissement est désormais posée. Il appartiendra aux Européens d’en tirer ensemble les leçons au cours des prochains mois.
    Les progrès de la construction européenne seront d’autant mieux acceptés qu’ils auront été compris par tous nos concitoyens et qu’ils se les seront appropriés.
    L’association plus étroite des parlements nationaux à la prise de décision européenne me semble donc une priorité. Vous savez que l’article 88-4 de la Constitution fait obligation au Gouvernement de transmettre au Parlement toute proposition d’acte qui relèverait du domaine de la loi au sens national du terme. À l’entrée en vigueur du traité constitutionnel, il était prévu que ce dispositif soit élargi à toute proposition d’acte relevant du domaine de la loi au sens européen du terme. Je prendrai les dispositions nécessaires pour que cette clause soit appliquée dans les meilleurs délais.
    Au-delà, toutes les Françaises et tous les Français doivent être mieux associés aux décisions européennes et à leur préparation. Je m’y emploierai.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le vote du 29 mai a fixé une double exigence : défendre les intérêts de notre pays en prenant en compte les inquiétudes et les aspirations des Françaises et des Français, défendre l’unité et le rassemblement des Européens. J’en tiendrai le plus grand compte.
    Le débat référendaire a été un premier pas dans la voie d’une réappropriation de l’Europe par chacun de nos compatriotes. Il doit être poursuivi à l’échelle européenne pour tenir compte des attentes de tous les peuples. La France veut faire entendre sa voix et défendre une vision exigeante de l’Europe. Le Président de la République le fera bien sûr au prochain Conseil européen, mais aussi à l’occasion de tous les rendez-vous qui permettront la réconciliation de l’Europe et du citoyen.