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No  2751
ASSEMBLÉE  NATIONALE
CONSTITUTION  DU  4  OCTOBRE  1958
DOUZIÈME  LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 décembre 2005.
D É C L A R A T I O N
D U G O U V E R N E M E N T
préalable au
Conseil européen
des
15 et 16 décembre 2005,
par M. Dominique de VILLEPIN,
Premier ministre.

Déclaration du Gouvernement préalable
au Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005

                    Monsieur le président,
                    Mesdames et messieurs les députés,
        Je suis heureux de me retrouver devant vous à deux jours du Conseil européen.
        Au lendemain du vote du 29 mai, j'avais tenu à ce qu'un débat soit organisé afin que chaque groupe puisse s'exprimer sur les leçons à tirer du référendum. Je me réjouis donc de voir que ce rendez-vous est devenu l'un des moments forts des relations entre le Gouvernement et le Parlement, et j'en remercie tout particulièrement votre président, Jean-Louis Debré.
        Le Président de la République m'avait demandé de lui présenter des propositions pour que le Parlement soit mieux associé au processus de décision européen. Lors du dernier comité interministériel sur l'Europe, nous avons pris un certain nombre de décisions allant dans ce sens.
        Le champ des propositions d'actes européens sur lesquels vous pourrez faire part de votre avis en application de l'article 88-4 de la Constitution a été élargi.
        Les ministres devront rendre compte devant les commissions parlementaires compétentes des enjeux et des résultats des conseils des ministres de l'Union européenne auxquels ils participent.
        Enfin, j'ai décidé qu'un débat aurait lieu désormais avant chaque Conseil européen, comme l'ont demandé le président de la commission des affaires étrangères, Édouard Balladur, le président de la Délégation pour l'Union européenne, Pierre Lequiller, ainsi que Michel Herbillon.
        Ce débat est d'autant plus important qu'il intervient à la veille d'un Conseil européen décisif pour l'Union européenne.
        Il y a à peine six mois, une majorité de Français a rejeté le projet de Constitution. Comme vous l'aviez souligné vous-mêmes lors de notre débat, ils n'ont pas dit non à l'Union européenne, mais à l'évolution du projet européen.
        Où en sommes-nous aujourd'hui ?
        L'Europe continue à fonctionner, comme en témoigne le nombre de textes qui sont adoptés par Bruxelles et qui vous sont ensuite soumis pour être transposés dans le droit français. Mais l'Europe semble en retrait de notre horizon collectif. Malgré des réussites importantes telles Galileo, et que je veux saluer parce qu'elles sont la marque du talent français, elle ne semble plus en mesure d'incarner un destin commun pour l'ensemble des nations européennes.
        Voilà l'enjeu qui doit nous réunir aujourd'hui, quelle que soit la place que vous occupiez sur les bancs de l'Assemblée nationale : offrir une nouvelle perspective à l'Europe, une perspective ambitieuse, conforme aux attentes des citoyens ; donner à l'Europe les meilleures armes pour affronter la mondialisation et protéger ses citoyens.
        Pour cela, la France est déterminée à jouer tout son rôle. Nous allons poursuivre le dialogue et le travail avec nos partenaires. À nous de leur proposer une Europe dynamique, qui renoue avec la croissance et l'emploi ; à nous de leur proposer une Europe capable de défendre son modèle social fondé sur la solidarité et sur l'esprit de justice ; à nous de leur proposer une Europe à la pointe de l'innovation et de la recherche.
        Pour répondre à ces attentes, la France entend promouvoir une grande Europe des projets, une Europe qui avance sur la base de décisions et de résultats concrets. Prouvons aux Français ainsi qu'à l'ensemble des Européens que l'Europe les protège et qu'elle garantit leur avenir.
        Pour avancer, l'Europe a besoin de perspectives financières claires. C'est la question essentielle sur laquelle portera le Conseil des 15 et 16 décembre.
        Nous devons décider quels moyens nous entendons donner à l'Union pour assurer le fonctionnement des politiques communautaires entre 2007 et 2013. La France aborde ce rendez-vous dans un esprit de responsabilité.
        C'est le premier budget pluriannuel de l'Union depuis l'élargissement de 2004 : il est dans l'intérêt de chaque pays, en particulier des nouveaux États membres, de connaître le plus vite possible le montant des fonds structurels qui lui seront alloués. Nous pourrons ainsi plus facilement programmer les projets qui devront être mis en œuvre dès 2007.
        Après l'échec du Conseil européen de juin dernier, il est d'autant plus important que nous trouvions un accord dès cette semaine.
        Comme cela avait été le cas lors du Conseil européen du 17 juin, la France est prête à négocier, ce qui ne signifie pas pour autant que nous sommes prêts à accepter n'importe quel accord. Notre conviction, celle que nous défendrons cette semaine à Bruxelles, c'est que le budget de l'Union doit respecter trois principes.
        Premier principe : la solidarité.
        Elle est au cœur de l'idée européenne et doit être plus que jamais au cœur du budget, afin de permettre l'intégration économique et sociale des nouveaux États membres de l'Europe. La présidence britannique a proposé une réduction de 8 % des fonds structurels à destination de ces membres : ce n'est pas conforme à l'esprit européen.
        Deuxième principe : l'équité.
        La France a démontré en juin dernier qu'elle était prête à augmenter sa part afin de participer pleinement au financement de l'Union élargie. Nous avions accepté une augmentation de 11 milliards d'euros de notre contribution au budget communautaire sur la période 2007-2013, ainsi qu'une réduction substantielle de nos retours sur les fonds européens, car nous sommes convaincus que la solidarité à l'égard des nouveaux pays membres est à la fois notre devoir et notre intérêt : rappelons que la France, outre ses liens historiques et culturels avec ces pays, en particulier la Pologne, y occupe maintenant une place économique déterminante.
        Il est normal que l'ensemble des pays riches de l'Union participe de la même façon à cet effort. De ce point de vue, la proposition britannique n'est pas non plus acceptable. Elle prévoit, par rapport à la proposition faite en juin dernier par la présidence luxembourgeoise, une réduction du budget global de l'Union de 1,06 % à 1,03 % du produit intérieur brut, en particulier à destination des nouveaux membres, alors que nous devons faire un effort particulier à leur égard.
        Elle prévoit en outre l'augmentation du montant du chèque britannique. Or le Royaume-Uni n'est plus aujourd'hui dans la situation économique et sociale difficile à laquelle il était confronté il y a vingt ans. Le chèque britannique est devenu une anomalie historique : il n'y a donc aucune raison pour que le Royaume-Uni ne participe pas comme chacun d'entre nous à l'élargissement de l'Union !
        Sur ce sujet, je compte sur votre soutien. Vous êtes appelés à voter chaque année dans le cadre de la loi de finances le montant de notre contribution au budget de l'Union européenne.
        Par ailleurs, toute modification des modalités de financement de l'Union européenne nécessitera votre accord : la décision « ressources propres » doit en effet être ratifiée par les États membres. Plus nous serons unis pour défendre nos positions, plus nous pourrons convaincre nos partenaires.
        Troisième principe que nous défendrons à Bruxelles : la cohésion de notre action.
        Nous avons un double impératif : la fidélité à la parole donnée d'abord ; l'exigence d'un accord juste et équilibré ensuite, en particulier sur la question de la politique agricole commune, à laquelle je sais que vous êtes tous, les uns et les autres, attachés.
        Le financement de la PAC a fait l'objet d'un accord à l'unanimité en 2002. Cet accord vaut jusqu'en 2013 et engage tous les États qui y ont souscrit, y compris le Royaume-Uni.
        Aujourd'hui, pourtant, cet accord est doublement menacé. La proposition britannique prévoit une réduction complémentaire des dépenses de marché de la PAC de 2 milliards d'euros par rapport à la proposition luxembourgeoise que nous avions acceptée en juin dernier. Par ailleurs, nous le voyons bien, certains sont tentés de faire de l'agriculture la variable d'ajustement des négociations du cycle de l'OMC qui se déroulent cette semaine à Hong Kong. Je l'ai dit au commissaire Mandelson ainsi qu'au président Barroso : nous nous opposerons à tout accord partiel sur l'agriculture. Nous souhaitons un accord global et équilibré, qui prenne en compte les intérêts de l'Europe dans l'industrie et les services et qui soit bénéfique aux pays en voie de développement.
        La position défendue par la France sera la même à Bruxelles et à Hong Kong : nous n'accepterons pas d'accord qui obligerait l'Europe à engager une nouvelle réforme de la PAC, alors même que celle de 2003 commence tout juste à être mise en œuvre.
        Les agriculteurs français ont consenti des efforts importants, qu'il faut reconnaître. Aucune réforme nouvelle ne peut être envisagée avant 2013. Le budget de l'Union pour la période 2007-2013 devra par conséquent préserver la PAC. Il devra garantir le maintien du montant des aides directes versées à nos agriculteurs jusqu'en 2013.
        Une clause de rendez-vous pourra être envisagée, à condition qu'elle concerne la préparation du budget après 2013 et qu'elle ne se limite pas aux dépenses agricoles, mais couvre l'ensemble des dépenses et des ressources de l'Union européenne.
        Au-delà du budget, le Conseil européen doit prendre des mesures sur trois autres sujets importants.
        Le statut de l'ancienne République yougoslave de Macédoine, d'abord. La Commission européenne a recommandé le 9 novembre dernier que l'ancienne République yougoslave de Macédoine reçoive le statut de candidat à l'Union.
        La France abordera cette question avec une double exigence.
        La première est la stabilité des Balkans.
        L'Europe a envers cette région une mission historique. Cette mission est née avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale à Sarajevo, elle s'est réaffirmée lors du conflit qui a embrasé l'ex-Yougoslavie il y a tout juste quinze ans.
        La clé de la stabilité pour les Balkans, c'est la perspective européenne. Cette perspective comporte trois étapes.
        D'abord, la signature d'accords de stabilisation et d'association. Tous les pays de la région en ont signé ou ont entamé les négociations pour y parvenir.
        Ensuite, l'octroi du statut de candidat, que demande aujourd'hui l'ancienne République yougoslave de Macédoine.
        Enfin, l'ouverture de négociations d'adhésion, comme cela a été décidé le 3 octobre dernier pour la Croatie.
        À travers ces différentes étapes, l'Union européenne dispose de formidables instruments pour ancrer la paix dans cette région et y garantir le respect des droits de l'homme et des minorités.
        Notre seconde exigence, c'est de préserver le soutien des citoyens européens à l'Union.
        Nous savons que les derniers élargissements n'ont pas toujours été compris : les Français ont trop souvent le sentiment d'être entrés dans un processus irréversible d'élargissement continu. Nous devons entendre cette inquiétude.
        Pour l'ancienne République yougoslave de Macédoine, comme pour l'ensemble des pays candidats à l'entrée dans l'Union, nous disposons de plusieurs garanties.
        La Commission a rappelé que l'octroi du statut de candidat à ce pays ne signifie en rien l'ouverture de négociations. Elle ne constitue pas l'amorce d'un nouvel élargissement.
        Par ailleurs, les critères d'adhésion ont été complétés : la capacité d'absorption par l'Union sera désormais un critère essentiel pour l'ouverture et la conduite des négociations d'adhésion.
        Les Français auront le dernier mot sur toutes les questions relatives aux frontières de l'Europe : c'est l'exigence que le Président de la République a voulu inscrire dans notre Constitution.
        En définitive, la France fait le choix de la responsabilité et de la clarté : l'Union européenne n'a aujourd'hui ni les institutions adaptées à un nombre accru d'États membres ni les règles de fonctionnement nécessaires pour avancer rapidement sur les sujets les plus importants. Dans ces conditions, la priorité doit aller à la définition de ces règles et de ces institutions et non à l'ouverture à de nouveaux pays. Une candidature de l'ancienne République yougoslave de Macédoine n'est donc envisageable que dans le cadre d'un processus maîtrisé et conditionné.
        Le Conseil européen doit également prendre des mesures sur la question de la TVA à taux réduit. Je n'ignore pas combien cette question est sensible aux yeux de nos concitoyens.
        Comme vous le savez, conformément aux conclusions du 6 décembre du conseil des ministres chargés de l'économie et des finances, le Conseil européen examinera la question de la TVA à taux réduit. La France est déterminée à obtenir un résultat concret.
        Nous voulons pérenniser la TVA à taux réduit qui s'applique aujourd'hui aux services d'aide à la personne et aux travaux à domicile dans le secteur du bâtiment.
        Dans ces secteurs, la TVA à 5,5 % a créé plus de 40 000 emplois et a permis de faire reculer le travail illégal. Nous voulons assurer aux professionnels de ces secteurs la visibilité dont ils ont besoin au-delà du 1er janvier 2006 pour établir leurs devis et assurer leurs commandes. Nous voulons également étendre la TVA à taux réduit à la restauration.
        Un engagement politique a été pris : nous ferons tout pour qu'il soit tenu, car c'est un choix pour l'emploi, lequel, vous savez, est la priorité du Gouvernement. C'est également un choix pour la croissance : la restauration est un secteur économique essentiel dans notre pays. Il mérite d'être défendu et ses efforts appuyés.
        Ce sujet doit naturellement être traité indépendamment des autres thèmes à l'ordre du jour du Conseil et ne doit pas interférer avec le reste de la négociation.
        Je remercie Bernard Accoyer et les parlementaires qui nous soutiennent dans cette négociation et je salue l'initiative de Michel Bouvard qui défendra demain un projet de résolution en ce sens devant votre assemblée.
        Enfin, le Conseil européen pourrait évoquer également la révision de la directive « Temps de travail ».
        Le conseil des ministres de l'Union européenne en charge de l'emploi du 8 décembre dernier n'est pas parvenu à trouver un accord sur la révision de cette directive de 1993. Nous souhaitons la disparition progressive de la clause d'exemption de la directive de 1993, qui permet aux États membres de s'exonérer de la durée du travail hebdomadaire maximale autorisée dans l'Union.
        Bien entendu, cette norme européenne ne pourra pas être appliquée uniformément dans tous les secteurs ou dans tous les États. C'est pourquoi nous avons besoin d'une approche flexible et progressive.
        Je rappelle que, en tout état de cause, la directive n'empêche pas les États qui le souhaitent d'appliquer une législation plus protectrice pour les salariés : la législation française n'est ni menacée ni modifiée par le contenu de la directive.
        Nous souhaitons enfin sécuriser notre système de décompte forfaitaire du temps de garde, notamment dans les hôpitaux et le secteur médico-social.
        Il est essentiel que, sur une question qui préoccupe particulièrement nos compatriotes, nous puissions parvenir à un accord.
        Pour finir, je souhaite évoquer brièvement deux autres sujets inscrits à l'ordre du jour du Conseil européen.
        Il s'agit tout d'abord de la lutte contre l'immigration clandestine, qui est l'un des grands défis qu'il nous faut relever.
        Il concerne l'ensemble des pays membres de l'Union. Chacun a en mémoire les événements dramatiques survenus à Ceuta et Melilla il y a quelques mois. À l'initiative de la France et de l'Espagne, l'Union européenne se mobilise. La Commission européenne proposera les premières lignes d'un partenariat européen, qui comporte trois volets.
        Le premier visera à assurer un meilleur contrôle des frontières de l'Europe : c'est la vocation de l'Agence européenne qui se constitue à Varsovie. Notre objectif est de parvenir à une police européenne des frontières.
        Le deuxième volet tendra à améliorer la mise en œuvre des accords de réadmission avec les pays tiers.
        Le troisième volet aura pour objet la mise en œuvre d'une politique de co-développement plus ambitieuse pour tarir les sources de l'immigration.
        A ce titre, la France rappellera l'importance d'une relance du processus euroméditerranéen et de l'intensification des relations entre l'Europe et l'Afrique.
        Enfin, le Conseil européen doit adopter une « Stratégie de l'Union européenne à l'égard de l'Afrique ».
        Cette stratégie préfigure le sommet Europe-Afrique qui aura lieu en 2006. Elle constitue une nouvelle étape dans les relations avec l'Afrique après les engagements pris par le Conseil européen de juin dernier d'augmenter collectivement l'aide publique au développement à hauteur de 0,7 % du revenu national brut d'ici à 2015. La moitié de cette augmentation sera réservée à l'Afrique, soit l'équivalent de 23 milliards d'euros supplémentaires par an d'ici à 2015.
        Mesdames et messieurs, il y a six mois, la présidence britannique s'engageait à redonner un nouveau souffle au projet européen.
        Chacun ici se le rappelle. Elle s'engageait également à répondre aux attentes concrètes des citoyens européens et à jeter les bases d'une Europe de l'innovation et de la croissance. À l'époque, elle l'a dit et répété.
        Elle a désormais une responsabilité historique : donner à l'Europe les moyens de fonctionner grâce à l'adoption d'un budget équilibré et ouvrir des perspectives nouvelles au service des Européens.
        L'Europe porte un espoir de croissance, de protection et d'innovation. Elle affirme une ambition de justice et de paix. La France continuera sans relâche à défendre cet idéal, en prenant en compte les exigences légitimes des nouveaux États membres, qui ont besoin de notre solidarité pour saisir à leur tour la chance que l'Union a donnée à chacun d'entre nous.
        La France avance, elle se modernise.
        Elle veut renouer avec une croissance dynamique qui récompense les efforts de tous nos concitoyens.
        Elle est en train, chacun le sait, de marquer des points : le chômage baisse, l'investissement repart, la consommation se maintient. Nous pouvons retrouver confiance en nous-mêmes et apporter nos forces à l'Europe. C'est mon engagement personnel et c'est la volonté de tout le Gouvernement.

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N° 2751 Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005