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05/01/2004 - Voeux au Président de la République

Monsieur le Président de la République,

Je suis heureux de vous souhaiter, au nom des députés, mes voeux les plus sincères et les plus chaleureux pour 2004.

Que l'année qui s'ouvre soit, pour vous-même et pour votre famille, une chaleureuse année. Qu'elle soit, pour notre pays, dont vous avez la charge, une période féconde qui lui donne la possibilité de renforcer son influence sur la scène mondiale et de conforter, sur le plan intérieur, sa cohésion.

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L'influence d'un pays ne dépend pas exclusivement de ses richesses naturelles, du nombre de ses habitants ou même du poids de son produit national brut ; elle est, d'abord et avant tout, le résultat de la pertinence de ses analyses, de la justesse des valeurs qu'il défend, et de sa volonté de les faire partager. Ainsi, vous avez montré, par l'action de notre diplomatie, que la France avait la capacité de modifier des situations acquises, dès lors qu'elle savait ce qu'elle voulait et où elle allait.

Dans un contexte international qui demeure incertain, l'affirmation par la France d'une voix libre et d'une politique propre, conformes à sa grande tradition historique, suscite, à l'intérieur de nos frontières comme à l'extérieur, bien des espérances. Elle nous impose aussi des exigences. La première d'entre elles consiste à poursuivre, sans aucun relâchement, la modernisation du pays. Pour continuer de peser dans le concert des Nations, la France doit s'adapter à la mondialisation. Elle doit accepter la nécessité de la réforme. Et, pour cela, elle doit en comprendre le sens.

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A cet égard, le Parlement est appelé à jouer un rôle essentiel. Il lui revient, dans une démocratie comme la nôtre, soumise à l'accélération du calendrier politique, à la tyrannie de l'instantané et pressée par la montée des forces protestataires, de s'imposer comme l'Institution où se déroule la confrontation pacifique des idées et des projets, où s'établit, se noue, se poursuit le dialogue direct et sans concession entre majorité et opposition, où se forge la légitimité de l'action réformatrice du Gouvernement.

La réalisation de cette ambition nécessite une évolution profonde de nos mentalités, de nos comportements quotidiens, de nos méthodes de travail. Le Parlement doit se réformer. Nous avons entamé à l'Assemblée nationale une réforme profonde des règles de fonctionnement de notre administration. Elle passe aussi, Monsieur le Président, par un concours actif du Gouvernement qui doit voir dans la nécessaire refondation de ses relations avec le Parlement un élément clé de la réforme de l'Etat et de la restauration de la primauté du politique.

Je ne cesserai de plaider -et je sais que cela rejoint vos préoccupations- pour que nous légiférions moins et, surtout que nous, députés et sénateurs, nous légiférions mieux. Pourquoi n'aurions-nous pas plus souvent à l'esprit cet avertissement de Montesquieu selon lequel « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Les régimes politiques se succèdent, les gouvernements passent, les majorités parlementaires changent et l'avertissement de Montesquieu demeure d'une accablante pertinence. Ne faut-il pas commencer tous à tenter de l'entendre, cet avertissement ? Le volume des lois a quadruplé en 40 ans et augmenté de 50 % lors des dix dernières années. Le recueil des lois est passé de 380 pages en 1964, à 560 pages en 1978, à 1020 en 1989, à 1300 pages 10 ans plus tard et 1600 pages en 2002. Ces chiffres montrent à l'évidence qu'il y a une inflation législative. Elle ne date pas d'aujourd'hui naturellement.

Est-il concevable en ce début d'année, au moment des vœux, d'espérer que tous, députés, sénateurs, ministres et pourquoi pas aussi les membres du Conseil constitutionnel, nous nous en tenions à une interprétation raisonnable des domaines respectifs de la loi et du règlement ?

Est-il complètement utopique aujourd'hui d'attendre des auteurs des propositions de lois ou des projets de lois qu'ils précisent les dispositions législatives à abroger, avant d'en proposer de nouvelles ? Qu'ils préfèrent la substitution des textes à leur superposition ? Est-il enfin naïf d'attendre des membres du Gouvernement que l'application des lois fasse l'objet du même soin, de la même attention que leur élaboration ? Sur ce point, je sais que ce vœu je le partage avec vous et avec le Premier ministre.

Nous aurons bientôt l'occasion de l'exaucer puisqu'à mon initiative, l'Assemblée nationale examinera le mois prochain une proposition de résolution modifiant son règlement intérieur dans le but de permettre au rapporteur d'un projet de loi de poursuivre sa tâche six mois au-delà du vote du texte, afin de veiller, notamment, à la parution rapide des décrets d'application.

Monsieur le Président de la République,

Je souhaite également que, dans les mois à venir, le rôle de contrôle et d'évaluation de l'Assemblée nationale soit mieux compris et plus accepté. Si nous voulons améliorer l'efficacité des politiques publiques, pointer les lacunes et les dysfonctionnements de l'Etat, trouver les moyens d'y remédier, il n'est d'autre voie que de donner aux députés la possibilité d'interroger, d'enquêter et d'informer. Il faut les encourager à multiplier les initiatives à cet effet. Loin de gêner l'exécutif, il s'agit de lui fournir autant de pistes de réflexion et d'action pour l'avenir.

Les missions d'information sur le port des signes distinctifs à l'école, sur l'accompagnement de la fin de vie, sur le droit des sociétés, la commission d'enquête sur les conséquences de la canicule viennent à point nommé pour illustrer que le Parlement est utile à l'élaboration d'un diagnostic et de propositions sur les grands sujets qui agitent la société française.

Rien ne serait pire, en effet, pour la démocratie représentative dont les députés sont un des maillons essentiels, que l'Assemblée nationale apparaisse comme déconnectée des grands enjeux du moment.

C'est, au contraire, en s'emparant sans crainte ni tabou des questions politiques majeures que les députés rempliront le mandat qu'ils ont reçu du peuple et qu'ils feront œuvre de cette pédagogie républicaine dont l'opinion ressent à l'évidence le besoin. Je me félicite, dans cette perspective, que vous ayez compris ma volonté de ne pas voir le débat parlementaire sur les retraites escamoté, tant il est vrai qu'une large discussion constituait une condition de la légitimité de la réforme.

Sans doute faut-il débattre plus efficacement, avec le souci de mieux faire apparaître, dans les joutes parlementaires, les visions différentes de l'avenir de la société française qui s'expriment. Sans doute faut-il moderniser la discussion budgétaire pour que nos concitoyens aient le sentiment qu'un contrôle réel sur l'emploi des fonds publics s'exerce. Sans doute faut-il enfin trouver les moyens d'intégrer davantage la dimension européenne dans nos débats. C'est pourquoi, dans la lignée des initiatives que j'ai déjà prises, je compte inviter le Président de la Commission européenne à venir dialoguer avec les députés, dans le cadre d'une séance de questions adaptée à la circonstance.

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Voilà, Monsieur le Président, les grands chantiers qui nous occuperont en cette année 2004 pour laquelle je vous renouvelle les vœux de l'Assemblée nationale.

Et vous me permettrez, pour conclure, de souhaiter qu'en dépit des interruptions de session et des turbulences diverses que nous vaudra inéluctablement la tenue d'élections locales et européennes, la Nation ne passe pas au second plan ; que le Parlement continue de travailler au service du mandat reçu des Français ; que les députés n'oublient pas, au seul profit de leur rôle local, leur responsabilité dans l'élaboration d'une volonté générale. C'est le souhait, modeste, du Président de l'Assemblée nationale.

Je sais que c'est aussi le vôtre.