DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 6

Réunion du jeudi 25 juillet 2002 à 9 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Communication sur les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe

Le Président Pierre Lequiller, membre titulaire de la Convention, a souligné l'importance des travaux de la Convention à un moment clé de l'avenir de l'Europe, marqué en particulier par la perspective prochaine de l'élargissement et par le contexte de la mondialisation et de l'influence prédominante des Etats-Unis. Il faut que l'Europe soit capable d'être une force dans le monde au service de ses valeurs. Les citoyens européens souhaitent une réforme des institutions européennes qui prenne en compte leurs aspirations à une Europe plus généreuse, plus proche et plus efficace. La Convention constitue la dernière chance de l'Europe unie, ou le risque d'un rendez-vous manqué.

Au-delà des quatre sujets mentionnés par la déclaration adoptée à Nice
- délimitation des compétences, statut de la Charte des droits fondamentaux, simplification des traités, rôle des parlements nationaux - le mandat de la Convention fixé par la déclaration de Laeken couvre très largement l'ensemble des questions institutionnelles, en perspective d'une meilleure répartition et définition des compétences, de la simplification des instruments de l'Union, d'un progrès vers davantage de démocratie, de transparence et d'efficacité et d'une éventuelle constitution pour l'Europe.

Le Président a également évoqué la composition pluraliste de la Convention, estimant que celle-ci constituait un gage d'ouverture, à travers en particulier une forte participation parlementaire et celle des représentants des pays candidats. Il a d'autre part souligné l'importance de l'organisation du débat public autour de la Convention, et en particulier celle de la participation des jeunes, qui s'est notamment concrétisée à travers l'organisation de la « Convention des jeunes ». Cet effort d'ouverture du débat public européen devra se poursuivre.

Abordant l'organisation des travaux de la Convention, le Président Lequiller a évoqué le déroulement de la « phase d'écoute », qui s'est achevée fin juin, et a estimé qu'il était essentiel de prendre le temps de cette réflexion approfondie - qu'il a jugé de grande qualité - avant d'en venir à l'examen des propositions. Il a considéré qu'il était par conséquent trop tôt pour essayer de tirer sur le fond quelles que conclusions que ce soient du déroulement des débats de la Convention.

Six groupes de travail ont été mis en place afin d'approfondir certaines problématiques en discussion : Subsidiarité, Charte, Personnalité juridique, Parlements nationaux, Compétences « complémentaires », Gouvernance économique. Ces groupes termineront leurs travaux en septembre-octobre. Quatre nouveaux groupes ont été décidés lors de la session des 11 et 12 juillet, qui débuteront courant septembre : Espace de liberté, Sécurité et justice, Simplification des procédures législatives et des instruments, Relations extérieures, Défense. Le Président Pierre Lequiller s'est inscrit au groupe « Relations extérieures » et M. Jacques Floch au groupe « Liberté, sécurité, justice ». Une troisième vague de groupes de travail, relative aux questions proprement institutionnelles, est prévue pour la fin de l'automne.

S'agissant des discussions sur le rôle des parlements nationaux, le Président a annoncé que Mme Gisèla Stuart, parlementaire britannique, présidente du groupe de travail mis en place à ce sujet, serait entendue par la Délégation au début du mois d'octobre. Evoquant l'état actuel des débats de la Convention dans ce domaine, il a noté qu'une tendance forte se dégageait en faveur d'un renforcement du contrôle exercé par les parlements nationaux sur leurs gouvernements respectifs en matière européenne.

Le Président a indiqué à ce propos à la Délégation que le Président Jean-Louis Debré, avec lequel il s'est entretenu, était tout à fait d'accord pour développer l'information de l'Assemblée sur les questions européennes.

En ce qui concerne l'idée d'une seconde chambre, le Président Lequiller a indiqué que cette proposition ne paraissait pas, à ce stade, rallier beaucoup de partisans au sein de la Convention.

Il a précisé que le président Valéry Giscard d'Estaing avait pour sa part, récemment proposé de créer un « congrès des peuples d'Europe », qui rassemblerait périodiquement l'ensemble des parlementaires européens, et un nombre proportionnel de parlementaires nationaux. Ce congrès serait en particulier consulté sur l'évolution éventuelle des compétences de l'Union et sur les élargissements à venir.

Le Président Pierre Lequiller a également noté, s'agissant des orientations que l'on pouvait d'ores et déjà voir s'esquisser, une certaine convergence sur la nécessité d'une plus grande coordination des politiques économiques des Etats membres et sur le renforcement de la politique commune dans le domaine des relations extérieures.

Il a estimé que, globalement, il était concevable d'envisager que les propositions de la Convention puissent aboutir à concilier les points de vue, d'une part, de ceux qui se réclament plutôt d'une approche communautaire et, d'autre part, des partisans de l'intergouvernemental, et a évoqué à ce propos la proposition faite par le Président Jacques Chirac, ainsi que par le Premier ministre britannique et le chef du gouvernement espagnol, d'instituer un président de l'Union, personnalité désignée par le Conseil européen et exerçant ses fonctions à temps plein.

En conclusion, le Président a souligné que les travaux de la Convention se poursuivaient d'une façon satisfaisante, que rien n'était encore décidé à ce stade et que les débats allaient devenir de plus en plus denses et discutés lorsqu'il s'agira d'examiner des propositions de textes, notamment dans le cours de la phase de synthèse. Il a annoncé qu'il rendrait compte très régulièrement à la Délégation, avec M. Jacques Floch, des travaux de la Convention et qu'un débat en séance publique serait organisé à ce sujet à l'automne.

M. Jacques Floch, membre suppléant de la Convention, a également fait part de ses premières impressions. Il a notamment insisté sur la présidence, très active, de M. Giscard d'Estaing. Il a souligné que les débats organisés au sein de certains groupes de travail avaient d'ores et déjà permis d'avancer dans la préparation des textes à présenter au Præsidium puis à l'assemblée plénière de la Convention.

Il a estimé que le Præsidium jouerait un rôle essentiel dans la rédaction de textes de consensus. Un premier cadrage sera présenté en octobre, et soumis à l'assemblée plénière.

Il a toutefois souhaité que la Convention évite d'accumuler les propositions. Ses participants éprouvent aujourd'hui un sentiment d'euphorie et sentent le poids de leur responsabilité. Le Président Giscard d'Estaing contribue à favoriser cette impression. Mais, lors du passage à une phase plus active des travaux de la Convention, consacrée à la rédaction des propositions, des divisions fortes vont apparaître et des décisions devront être prises.

M. Jacques Floch a jugé que l'intention du Président Giscard d'Estaing était d'élaborer un texte fort et audacieux. Il a senti qu'une majorité de membres de la Convention étaient disposés à aller dans le même sens que leur président. Néanmoins, plusieurs questions fondamentales demeurent en suspens :

- le texte élaboré par la Convention sera-t-il un nouveau traité ?

- la France organisera-t-elle un référendum à l'occasion de sa ratification ?

- la Constitution sera-t-elle modifiée, par exemple pour transformer la Délégation pour l'Union européenne en commission des affaires européennes ?

Evoquant le traitement des questions européennes par le Parlement français, M. Jacques Floch a considéré qu'un débat en séance publique sur les travaux de la Convention était indispensable.

Il a indiqué qu'il était prématuré de tirer des conclusions sur la qualité et l'intérêt des travaux de la Convention. Par ailleurs, les travaux de la « Convention jeunes » ont été quelque peu décevants et n'ont abouti à aucune avancée notable. Par contre, les contributions de la société civile semblent devoir enrichir significativement les propositions de la Convention.

Soulignant la qualité de la participation d'Alain Barrau et d'Anne-Marie Idrac
- propos auxquels s'est associé le Président Pierre Lequiller -, il a conclu en faisant part de son intention de contribuer activement aux travaux de la Convention.

II. Audition de M. Alain Lamassoure, député européen et rapporteur de la résolution adoptée par le Parlement européen le 16 mai 2002 sur la délimitation des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres

M. Alain Lamassoure, exprimant son accord avec le souhait formulé par le Président Pierre Lequiller de renforcer les liens entre l'Assemblée nationale et le Parlement européen, a estimé qu'un contact permanent entre les deux assemblées était nécessaire non seulement pour les travaux de la Convention, mais aussi pour les travaux législatifs des uns et des autres.

Avant d'aborder le sujet de la répartition des compétences, M. Alain Lamassoure a souhaité évoquer le contexte général dans lequel le Parlement européen a présenté sa contribution.

Après avoir observé que les travaux de la Convention n'avaient pas encore vraiment commencé, il a considéré que le débat entre fédéralistes et souverainistes avait profondément évolué depuis dix ans en raison de trois grands phénomènes.

En premier lieu, la construction européenne est confrontée à un véritable changement de perspective historique. Depuis l'origine, l'Europe a été bâtie sur du provisoire. Les approfondissements et les élargissements successifs ont en effet conduit l'Europe à se doter périodiquement d'un nouveau traité. Or, le contexte géopolitique actuel, caractérisé par la fin de la guerre froide et la perspective de l'élargissement, donne à l'Europe la possibilité de sortir du provisoire pour élaborer un texte durable. L'Union européenne bénéficie aussi pour ce projet de l'expérience qu'elle a acquise en matière d'exercice des compétences, car elle a fait le tour de ce qui peut être fait à plusieurs Etats membres.

En deuxième lieu, l'Europe doit relever le défi de la révolution du nombre. L'Europe à trente ne pourra pas fonctionner comme l'Europe des Six ou celle des Quinze, qui connaît déjà d'importants dysfonctionnements. A titre d'exemple, une Commission composée d'un commissaire par Etat membre dans une Union européenne de trente Etats membres ferait double emploi avec le Conseil, ce qui serait absurde. De l'autre côté, un Conseil à trente comprendrait plus de membres que la première assemblée générale de la Société des Nations. Dans ces conditions, le débat entre partisans d'un renforcement de la Commission et ceux d'un renforcement du Conseil devient obsolète.

Enfin, l'Europe est confrontée à une troisième révolution, celle du peuple. De fait, il n'est pas pensable que le texte issu de la Convention ne fasse pas l'objet d'une ratification par référendum dans la plupart des Etats membres. Ce texte devra donc être clair, pour être compris par tous les citoyens.

M. Alain Lamassoure a ensuite évoqué les trois problèmes auxquels était confrontée la Convention.

D'abord, la Convention doit parvenir à adopter un texte par consensus, c'est-à-dire dans les faits, par une « majorité significative » selon les propos du Président de la Convention, M. Valéry Giscard d'Estaing. Il est donc impératif que l'adoption du texte ne crée pas de minorités résolument hostiles au projet ou se fasse contre l'avis de minorités « caractérisées », c'est-à-dire constituées sur la base de la nationalité des conventionnels ou du statut de ceux-ci, représentants des gouvernements ou des parlements par exemple. M. Alain Lamassoure s'est déclaré optimiste sur l'issue des travaux de la Convention, compte tenu de la qualité des débats actuels et de l'état d'esprit des conventionnels.

Le deuxième problème est celui du calendrier. Celui retenu par le Conseil européen est intenable, car il risque de se télescoper avec toutes les échéances suivantes : achèvement du processus de ratification du traité de Nice et entrée en vigueur de ce dernier, signature et entrée en vigueur du traité de l'élargissement, qui se heurtera à une difficulté politique majeure, la question chypriote, et élection du Parlement européen en 2004.

Le dernier problème est un sujet tabou, qui est peu évoqué : le sort du futur traité, si celui-ci ne devait pas être ratifié par tous les Etats membres, et le statut de ces pays dans l'Union. Sur les 28 pays concernés par les travaux à venir de la construction européenne, certains d'entre eux ne voudront pas du nouveau traité. Or, à l'heure actuelle, le système de révision des traités permet à un seul pays de bloquer l'entrée en vigueur d'un nouveau traité. Il est donc indispensable que le prochain traité ne se heurte pas à un tel obstacle juridique.

Puis, M. Alain Lamassoure a présenté les travaux du Parlement européen sur la délimitation des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres.

Il a rappelé que le Parlement européen avait souhaité, au lendemain du Conseil européen de Nice, apporter sa contribution au débat sur l'avenir de l'Union européenne ouvert à cette occasion.

Il a souligné que les institutions européennes n'avaient jamais procédé auparavant à un tel examen des compétences de l'Union. Le Parlement européen a pourtant fait une première tentative dans ce sens en 1990, en confiant ce travail à M. Valéry Giscard d'Estaing, alors député européen. Ces travaux n'ont pas abouti, M. Valéry Giscard d'Estaing ayant souligné que ce travail impliquait préalablement de définir un principe légitimant l'action de l'Union européenne aux yeux des citoyens. Cette remarque a constitué le point de départ de la réflexion ayant abouti au principe de subsidiarité, qui figure dans le traité.

M. Alain Lamassoure a indiqué que la résolution adoptée par le Parlement européen sur la délimitation des compétences était le fruit de dix-huit mois de travaux, qui ont conduit à entendre le point de vue des parlements nationaux et du Comité des régions. Les régions ont d'ailleurs été à l'origine de cette demande de mise à jour de la délimitation des compétences. La résolution du Parlement européen a été adoptée par une large majorité, constituée du Parti populaire européen, du Parti socialiste européen, des Verts et des Libéraux, après avoir fait l'objet d'environ cent cinquante amendements. Observant que ce texte n'a pas été débattu au sein des parlements nationaux ni au sein des pays candidats, il a souhaité que la réflexion engagée sur ce document soit prolongée.

Puis, il a précisé que la résolution ne se présentait pas sous la forme d'un traité en bonne et due forme. Elle vise plutôt à dégager des lignes directrices, qui doivent permettre de réécrire les traités.

M. Alain Lamassoure a présenté les considérations concrètes ayant présidé à l'élaboration de la résolution.

D'abord, la mise à jour des traités européens est devenue indispensable pour trois raisons.

Premièrement, cette mise à jour est rendue nécessaire par l'empilement des compétences auquel ont procédé les traités depuis cinquante ans. Les auteurs des traités successifs estimaient qu'il n'était pas envisageable d'instituer rapidement une union de type fédéral en raison des profondes divisions ayant opposé les pays européens et notamment la France et l'Allemagne. C'est la raison pour laquelle ils ont choisi de construire l'Europe en commençant par la mise en commun de sujets politiquement importants mais non sensibles tels que le charbon, le marché intérieur ou l'agriculture. Depuis lors, la mise en place de la monnaie unique a apporté un premier élément fédéral à la construction européenne. Les attentes des pays candidats, qui ne sont pas les mêmes que celles des Etats membres, rendent également nécessaire une telle mise à jour. Celle-ci est enfin devenue indispensable en raison du trop fort décalage vécu par les opinions publiques entre les sujets actuellement traités par l'Europe et ceux pour lesquels les citoyens estiment qu'il n'y a pas assez d'Europe comme la PESC.

La deuxième considération est celle de la lisibilité du prochain texte, qui doit être égale à celle d'une constitution.

Les traités actuels ne peuvent être compris par les citoyens, car ils ont été conçus comme « des automobiles destinées à être pilotées par des ingénieurs » : ils sont véritablement le fruit de l'œuvre de diplomates et de juristes. Ce défaut de lisibilité est en outre aggravé par le fait que les traités portent sur les compétences et la manière d'exercer ces compétences. De fait, ils mélangent ce qui, dans l'ordre juridique interne, relève de la Constitution, de la loi organique et de la loi ordinaire. Le traité de Nice rendra le droit primaire de l'Union encore plus incompréhensible.

Le Parlement européen a donc souhaité définir les compétences de l'Union de manière simple et claire, en n'utilisant qu'une ou deux phrases par secteur.

S'agissant des articles relatifs aux modalités d'exercice des compétences, il a souhaité les conserver tout en donnant à ceux-ci une valeur « organique », inférieure à celle du droit primaire mais supérieure à celle du droit dérivé.

Les dispositions des traités ont donc été distinguées en deux grandes catégories : les dispositions de caractère constitutionnel définissant les compétences de l'Union, et les autres qui doivent pouvoir être révisées plus facilement.

Concernant la répartition des compétences, les travaux du Parlement européen ont abouti aux conclusions suivantes :

- la compétence de droit commun devrait appartenir aux Etats, sans qu'il soit nécessaire d'en préciser le contenu ;

- l'Union européenne aurait des compétences d'attribution, qui seraient réparties en deux catégories principales. D'abord, des compétences propres, dans lesquelles l'Union aurait le pouvoir de légiférer, les Etats ne pouvant intervenir que dans le cadre fixé par elle. A cet égard, le Parlement a souhaité écarter l'expression de « compétences exclusives », car si certaines de ces compétences propres sont effectivement exclusives (comme la politique monétaire), la plupart sont des compétences principales (comme celles relatives au marché intérieur). La deuxième catégorie correspondrait aux compétences partagées. Celles-ci, qui seraient les plus nombreuses, comprendraient notamment deux sous-catégories : des compétences complémentaires (dans des domaines tels que l'éducation, la culture, la santé, le tourisme ou le sport) et des compétences relevant entièrement des Etats - comme la politique de l'emploi, la politique budgétaire ou la politique fiscale - mais imposant politiquement ou juridiquement à ceux-ci de coordonner leur action ;

- la politique étrangère et de défense ne serait plus une compétence partagée
- compte tenu des résultats décevants qu'elle a enregistrés jusqu'ici - mais une compétence propre de l'Union, les Etats n'intervenant que dans le cadre général fixé par elle ;

- le principe, cher à la France, de hiérarchie des normes serait retenu, même s'il n'est pas dans la tradition du droit communautaire ni de plusieurs pays européens, en particulier la Grande-Bretagne. Ainsi, seraient clairement distinguées les normes de valeur constitutionnelle, celles relevant de la loi organique ou de la loi ordinaire, et les autres ;

- si des normes techniques communes sont nécessaires dans de multiples domaines, comme par exemple en matière de navigation aérienne, elles devraient être édictées par des autorités administratives ou techniques soumises à un contrôle politique, et non directement par des instances politiques, qui ne sont pas compétentes pour cela ;

- l'idée selon laquelle définir une répartition des compétences figerait le système devrait être écartée, car, en réalité, c'est le dispositif actuel qui est une source de paralysie ; en revanche, un texte constitutionnel court permettrait davantage de souplesse, selon l'interprétation qu'on en ferait. En outre, l'article 308 du traité instituant la Communauté européenne - qui permet au Conseil, en cas de nécessité, de légiférer dans un domaine non communautaire - pourrait être modifié afin de fonctionner aussi dans le sens inverse. Les parlements nationaux pourraient d'ailleurs être associés à ce mécanisme ;

- pour assurer le contrôle de la répartition des compétences, il est proposé une procédure ad hoc inspirée du contrôle français de constitutionnalité des lois. Cette procédure, peu familière aux autres Etats européens - et donc difficile au départ à accepter pour eux - permettrait au Conseil, à la Commission, au Parlement européen, aux parlements nationaux, voire au Comité des régions, dans le mois suivant l'adoption définitive d'un texte par le Conseil, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes pour vérifier le respect de la répartition des compétences et du principe de subsidiarité. La Cour devrait rendre sa décision dans un délai rapide (quatre à six semaines) ;

- l'autorité chargée de se prononcer sur ces recours devrait être, au sein de la Cour, une instance combinant à la fois compétence juridique et compétence politique, à la façon du Conseil constitutionnel en France. Cela ne devrait cependant pas conduire à créer une nouvelle institution, afin d'éviter d'avoir deux cours suprêmes.

Tout en marquant son approbation à la démarche de M. Lamassoure sur la répartition des compétences, M. Jacques Myard a déclaré que la construction européenne avait effacé le chauvinisme né des excès du nationalisme et fait revenir des économies de guerre sclérosées à la liberté des échanges pratiquée par l'Europe avant 1914, mais qu'elle était entrée désormais dans une phase de banalisation justifiant sa remise à plat. Or, on ne peut le faire sans la situer dans une perspective historique : pour certains, l'Europe est une finalité en soi alors que pour les peuples, elle est un moyen et c'est la raison pour laquelle ils lui ont attribué une simple délégation de compétences et non une délégation de souveraineté. Il faut donc « faire avec » l'Europe mais pas de manière exclusive et, à cet égard, transférer la politique étrangère et de sécurité commune dans les compétences exclusives de l'Union européenne relève d'une totale utopie. La réalité du monde l'a amplement démontré, les affaires sérieuses se traitent toujours entre puissances militaires, c'est-à-dire pour ce qui concerne l'Union européenne, entre le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, ainsi que, sur certains points, l'Espagne et l'Italie. La finalité d'une Europe-puissance n'est pas une tendance forte de civilisation parce que la mondialisation a transcendé l'Union européenne et provoqué ainsi sa crise actuelle.

Après avoir jugé séduisante la répartition des compétences proposée par M. Lamassoure, M. Daniel Garrigue a marqué sa préférence pour un nouveau traité souple et révisable après dix années d'application plutôt que pour une constitution plus difficilement adaptable.

Par ailleurs, le contrôle de la répartition des compétences comporterait une incohérence s'il reposait sur l'affirmation de la compétence de principe des Etats tout en étant confié à une instance purement communautaire, la Cour de justice. Ce contrôle doit s'appuyer sur un meilleur équilibre entre la représentation des Etats et celle de l'Union, en associant la Cour de justice et les représentants des Etats, et il pourrait constituer l'une des missions d'une deuxième chambre émanant des parlements nationaux.

Enfin, le débat sur l'avenir de l'Europe doit définir la place qui sera assignée aux Etats qui diront non à la nouvelle Union et prévoir la possibilité de construire deux Europe au lieu d'une.

Mme Elisabeth Guigou a jugé extrêmement intéressants l'exposé de M. Lamassoure et les travaux du Parlement européen sur la manière de désengorger l'Union européenne d'un fatras de textes, parfois de niveau réglementaire, qui ont entraîné une dilution de l'impulsion politique. Ces classifications sont fécondes et la Délégation aurait intérêt à les prendre comme point de départ de sa réflexion.

On ne peut pas tout concilier et il va falloir faire des choix, en particulier sur l'articulation entre la constitution et le traité ainsi que sur le mode de révision des traités, si l'on veut refonder les politiques communes de manière démocratique. Il faut éviter l'écueil d'une Union européenne où la politique serait déterminée par le juge. Tant que l'Union européenne reste une construction de droit, il est cohérent de soumettre la répartition des compétences à un contrôle juridictionnel. Mais l'élaboration d'une constitution devrait conduire à soumettre cette répartition à un système de contrôle politique intégré réunissant des représentants du Parlement européen et des parlements nationaux. Il convient de traiter à la fois du cadre juridique et, ce qui intéresse davantage l'opinion, du fond des politiques, mais il est compréhensible de commencer par l'architecture et le juridique pour chasser le mauvais souvenir de Nice, même si le calendrier imposera d'accélérer mais aussi de prolonger les travaux de la Convention.

Le Président Pierre Lequiller a déclaré que le Président Giscard d'Estaing ne se laisserait pas limiter par le calendrier, et que l'institutionnel, au cœur du sujet, n'avait pas encore été abordé, en particulier la répartition des pouvoirs entre le Conseil et la Commission ainsi que la création d'un Président de l'Europe.

M. Patrick Hoguet, évoquant la réforme de l'article 308 du traité instituant la Communauté européenne proposée par M. Lamassoure, s'est interrogé sur la nature de l'organe qui sera compétent en la matière et a craint qu'une telle suggestion ne débouche sur un retour à un mécanisme intergouvernemental. Il a souligné la nécessité de prévenir la judiciarisation du contrôle des compétences, estimant que cette matière devrait relever des organes politiques et notamment des parlements nationaux, auxquels il conviendra de conférer un rôle qui ne soit pas simplement consultatif.

M. François Guillaume, déclarant que l'élargissement allait renforcer la distinction entre les petits Etats, qui souhaitent une intégration totale, et les grands Etats, dont l'autorité dans les domaines politique, diplomatique et militaire, risque d'être amputée, a regretté que l'on n'ait pas mesuré les difficultés qui pourraient en résulter, alors que comme l'a observé M. Alain Lamassoure, les institutions communautaires actuelles étaient menacées de paralysie.

Quant à la question de la répartition des compétences, il a constaté que, jusqu'à présent, elle était réglée à l'aide de la notion de subsidiarité, à laquelle il a reproché son imprécision et son caractère subjectif. Tout en notant que les propositions présentées s'inspiraient du système en vigueur en France - dans lequel les grands principes sont fixés par la loi et les modalités d'application par les décrets - il a toutefois douté qu'une telle démarche permette à elle seule au futur traité de répondre aux exigences de clarté et de lisibilité, à l'exemple du traité de Rome initial.

Enfin, il a estimé souhaitable que le peuple puisse se prononcer en connaissance de cause sur le futur traité par voie de référendum.

M. Christian Philip, évoquant la proposition de chambre ad hoc, a considéré qu'il serait erroné d'y inclure des juges, car ces derniers seraient ainsi appelés à intervenir dans un domaine qui relève d'un contrôle de nature politique.

Ayant fait part de sa conviction que les peuples devraient être consultés par voie référendaire, il a estimé nécessaire de ne pas attendre les résultats de la Convention pour que les Etats entreprennent une campagne d'explication auprès des citoyens, afin d'éviter que ceux-ci n'aient l'impression d'être consultés sur un texte élaboré sans leur participation. Il a par ailleurs demandé à M. Lamassoure s'il avait des propositions pour inciter tous les Etats membres à recourir au référendum, puisque certains d'entre eux pourraient l'écarter.

M. René André s'est élevé contre l'idée que la Cour de justice des Communautés européennes puisse intervenir dans des affaires de nature politique, cette dérive risquant à ses yeux d'accroître le déficit démocratique qui est reproché par le peuple à la construction européenne, comme le montrent les problèmes posés par l'application de la réglementation communautaire en matière de chasse. Il serait plus opportun d'instituer une deuxième chambre composée par les Etats à qui il incombera de contrôler l'application du principe de subsidiarité et de pouvoir modifier les blocs de compétence.

En réponse aux différents intervenants, M. Alain Lamassoure a apporté les précisions suivantes :

S'agissant du contrôle de la répartition des compétences, il paraît difficile d'affirmer que ce n'est pas l'affaire des juges. Dans tout système fédéral, c'est un organe juridictionnel qui est compétent. En France, où la décentralisation va être relancée prochainement, c'est également un juge qui tranche les conflits de compétences entre l'Etat et les collectivités locales. Quant au caractère a priori ou a posteriori de ce contrôle, le Parlement européen a pris ces deux options en considération. Un contrôle exclusivement a priori ne serait en effet pas suffisant : la version initiale d'un texte peut respecter le principe de subsidiarité, et des « débordements » apparaître après son adoption. Il faut donc un contrôle qui soit à la fois a priori et a posteriori. Avant, un commissaire spécialisé rend un avis non contraignant, mais public ; puis un contrôle a posteriori intervient. Ce deuxième contrôle ne devrait pas être confié à un organe exclusivement politique. Si tel était le cas, sa composition poserait problème. Il ne pourrait être composé exclusivement de parlementaires nationaux, qui seraient à la fois juges et parties. Il faudrait donc également des parlementaires européens. Mais les parlementaires nationaux seraient dans une situation inconfortable à l'égard de leurs gouvernements, qui siègent au conseil des ministres et qui sont responsables, le plus souvent, de ces extensions de compétences au profit de l'Union. L'article 308 du traité instituant la Communauté européenne a d'ailleurs été utilisé sept cents fois par le conseil des ministres, à l'unanimité. Un arbitre de nature juridictionnelle est donc préférable, avec des personnalités ayant une expérience politique. Cet organe ne serait pas par essence communautaire, puisque ses membres seraient nommés par les gouvernements des Etats membres.

A M. Jacques Myard qui a souhaité savoir pourquoi il n'a pas été envisagé de confier ce contrôle au Conseil européen, composé de membres élus, M. Alain Lamassoure a répondu que les membres du Conseil européen ont bien été élus, mais pas pour diriger l'Europe. Ils ont été élus, chacun dans leur pays, pour gouverner celui-ci et le représenter dans les instances communautaires. Un système juridictionnel, qui introduirait des critères politiques tout en étant un arbitre extérieur, paraît donc préférable.

En matière de politique étrangère, la Convention est confrontée à une réelle difficulté, parce que la quasi-totalité des Etats membres n'ont, en réalité, pas une réelle présence internationale, et ne souhaitent pas que l'Union en ait une. Ils se satisfont du rôle important joué par les Etats-Unis. Pour compter, il faut des moyens militaires, et les Etats membres qui en ont - principalement le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne - sont rarement d'accord entre eux. Ainsi, pour simplifier, le Royaume-Uni considère généralement que les Etats-Unis ont raison avant même qu'ils aient pris une décision, la France juge qu'ils ont tort avant même d'avoir décidé quoi que ce soit, et l'Allemagne attend qu'ils aient pris leur décision pour marquer son approbation. Dans ce domaine, il faudrait adopter la même démarche que pour l'Union économique et monétaire, avec un calendrier, de dix ou douze ans, et des étapes fixant des objectifs précis. M. Alain Lamassoure a rappelé que sa contribution écrite aux travaux de la Convention repose sur cette idée.

La nature du document à venir - Constitution ou traité - ne fait pas de doute. Juridiquement, ce sera un traité, même s'il est qualifié de constitutionnel, parce qu'il aura été adopté par des Etats souverains. Quant à son adaptation, il faudrait distinguer ce qui sera « gravé dans le marbre », et difficilement révisé, de ce qui pourra être modifié plus souplement. Un bilan pourrait être fait dans une dizaine d'années, par exemple, pour procéder à des mises à jour, auxquelles les Parlements nationaux seraient associés.

L'article 308 constitue une question technique, que le Parlement européen a développé dans son rapport sur la répartition des compétences.

Il faut, en tout état de cause, sensibiliser l'opinion publique sur la Convention. C'est un défi fantastique, parce que moins d'un Français sur mille sait que la Convention existe, et que ceux qui le savent pensent que le Président Valéry Giscard d'Estaing va rédiger le texte seul. Il ne faut pas que la Convention produise, à l'issue d'une procédure, certes transparente et publique, mais d'initiés, un texte « à prendre ou à laisser ». Ce ne serait pas une situation idéale pour un référendum. Il faut une interaction entre la Convention et les citoyens, allant au-delà de la consultation réalisée dans le cadre du forum, où les associations présentes regroupent, pour l'essentiel, des spécialistes.

Quant aux pays qui diraient « non », il conviendra, peut-être, de proposer deux textes : un texte de base, susceptible d'être accepté par tous, et un autre texte pour ceux qui désirent aller plus loin. Il existe également une difficulté à l'égard des pays dont on ne sait pas s'ils entreront dans le système, comme la Turquie, l'Ukraine, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord.

M. le Président Pierre Lequiller a, pour conclure, rappelé sa volonté d'inviter régulièrement des parlementaires européens et de développer les relations de la Délégation avec les organes spécialisés dans les affaires communautaires des autres Parlements nationaux.

III. Informations relatives à la Délégation

La Délégation a désigné deux rapporteurs d'information :

M. Pierre Lellouche, sur la fiscalité du marché de l'art et des biens culturels en Europe ;

M. Didier Quentin, sur la réforme de la politique commune de la pêche.