DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 9

Réunion du mardi 1er octobre 2002 à 16 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition de M. Michel Barnier, commissaire européen et membre de la Convention sur l'avenir de l'Europe, sur la communication de la Commission « un projet pour l'Union européenne »

Le Président Pierre Lequiller a souhaité la bienvenue à M. Michel Barnier, commissaire européen, en soulignant qu'il s'agissait de la première audition ouverte à la presse organisée par la Délégation depuis le début de la législature. Il a évoqué le développement des travaux de la Convention et, en particulier, la mise en place d'une nouvelle vague de groupes de travail, dont le groupe sur la défense présidé par M. Michel Barnier.

Le Président a souligné que la Commission avait d'ores et déjà joué un rôle particulièrement actif dans le cadre de la Convention, à travers sa proposition d'ensemble de mai dernier - « un projet pour l'Union européenne » - plaidant pour un approfondissement et une cohérence renforcée des politiques de l'Union, au moyen d'une réforme institutionnelle ambitieuse. Il a évoqué les contributions déposées par M. Michel Barnier, conjointement avec le commissaire Antonio Vitorino, à propos, d'une part, du « droit d'initiative de la Commission » et, d'autre part, de la « méthode communautaire ».

Il a rappelé que la Délégation débattait régulièrement des points à l'ordre du jour de la Convention, et qu'un cycle d'auditions avait été engagé, associant en particulier le Parlement européen, afin d'ouvrir la réflexion en cours. Il a enfin indiqué qu'un débat serait prochainement organisé en séance publique sur les travaux de la Convention.

M. Michel Barnier, commissaire européen, a déploré la distance qui sépare les citoyens de la construction européenne et a estimé que chacun devait s'efforcer de contribuer à réduire cette distance, au nom de l'intérêt général. Il a souligné que la Convention sur l'avenir de l'Europe constituait un grand rendez-vous européen, tranchant heureusement sur la méthode de la confidentialité diplomatique, et dont l'importance égalait potentiellement celle du traité de Rome. Il a rendu hommage au travail mené dans le cadre de la Convention par M. Alain Barrau et par Mme Anne-Marie Idrac, représentants de l'Assemblée nationale au cours de la précédente législature. Il a considéré que la Convention avait à présent trouvé son rythme de croisière et que chacun prenait pleinement au sérieux l'enjeu que représentent les futures propositions de la Convention, sur lesquelles la Conférence intergouvernementale devra décider. Il a estimé qu'il fallait que la Convention trouve un chemin d'équilibre, à la fois audacieux et réaliste, entre une approche qui risquerait d'être trop académique et idéale et, à l'inverse, un projet qui serait trop prudent.

Evoquant l'idée d'une constitution européenne, il a estimé que c'était d'abord le contenu même du texte qui sera proposé qui importait, et que celui-ci devait s'inspirer du courage et de la lucidité des hommes politiques qui avaient su, il y a cinquante ans, trouver ensemble les voies permettant à l'Europe de devenir durablement un pôle de paix, de stabilité et de prospérité. Il a jugé que la promesse initiale avait été tenue et que le projet avait réussi, grâce en particulier à trois audaces institutionnelles fondamentales : l'équilibre entre les « grands » et les « petits » Etats, la place grandissante faite à la procédure de la majorité qualifiée, et la méthode communautaire, basée notamment sur l'indépendance de la Commission dont le pouvoir d'initiative permet à la décision communautaire de s'élaborer à partir d'un projet exprimant une vision de l'intérêt général de l'Union.

M. Michel Barnier a ensuite souligné que si les raisons initiales ayant présidé à la naissance et au développement de l'Europe restaient valables, de nouveaux défis devaient être pris en compte, parmi lesquels la mondialisation, l'émergence de nouvelles menaces pour la sécurité des citoyens européens, la nécessité de trouver les voies d'une gouvernance économique européenne, l'augmentation très sensible du nombre des Etats membres. Il a jugé que la méthode communautaire restait plus que jamais nécessaire pour relever ces nouveaux défis, quitte à ce que des modalités particulières soient instaurées pour certains domaines spécifiques. Il a considéré que la méthode intergouvernementale avait fait la preuve de ses limites, le droit de veto constituant un facteur de blocage important.

Faisant référence à la contribution relative aux questions institutionnelles que la Commission projette de déposer prochainement dans le cadre des travaux de la Convention, le commissaire a estimé qu'il convenait que les trois principales institutions soient fortes, et qu'il fallait progresser vers plus de légitimité, plus de transparence, et une amélioration de l'application du principe de subsidiarité.

Abordant enfin le déroulement à venir des travaux de la Convention, M. Michel Barnier a souligné que les conclusions des groupes de travail auront une influence déterminante sur le résultat final de la Convention. Il a indiqué que celle-ci devrait terminer ses travaux au printemps prochain, afin qu'un nouveau « traité de Rome » puisse être conclu avant la fin 2003.

M. Patrick Hoguet, après avoir souhaité que cette audition d'un commissaire européen soit suivie de beaucoup d'autres, a interrogé M. Michel Barnier sur le débat actuel relatif au contrôle du principe de subsidiarité : ce contrôle doit-il être confié à des juges ou relever plutôt, comme il le pense, d'un arbitrage politique après avis du Parlement européen et des parlements nationaux ? Il a, par ailleurs, demandé au commissaire ce qu'il pensait de l'idée d'extraire les dépenses de défense du calcul des dépenses prises en compte dans le pacte de stabilité.

Rappelant que le principe de subsidiarité avait fait l'objet d'un protocole additionnel dans le traité d'Amsterdam, M. Michel Barnier a indiqué qu'il fallait que des mécanismes assurent le respect de ce principe. Il a observé qu'au sein de la Convention, la réflexion avait progressé sur ce sujet : on s'est rendu compte qu'on ne pouvait pas toujours établir une répartition claire entre les compétences de l'Union et celles des Etats, en raison de l'existence d'une zone « grise », correspondant aux compétences partagées. Le contrôle de ce principe est d'abord du devoir de la Commission, qui doit être plus vigilante à cet égard ; c'est ensuite celui du Conseil des ministres et du Parlement européen, qui peuvent avoir tendance à ajouter des précisions limitant la marge de manœuvre des Etats ; c'est enfin celui des administrations nationales, qui veulent parfois imposer leurs vues, comme on a pu l'observer notamment pour l'adoption des normes environnementales. Au-delà de la Commission, il appartient au Conseil des ministres, puis au Parlement européen, d'assurer ce contrôle. En outre, on a imaginé un système d'alerte précoce permettant à un tiers des parlements nationaux d'interpeller la Commission afin qu'elle justifie le bien-fondé d'un texte en discussion. A côté de ce contrôle ex ante, on peut concevoir un contrôle ex post associant davantage les parlements nationaux. Cependant, cela ne doit pas bloquer le processus législatif, mais plutôt l'expliquer.

S'agissant de l'application du pacte de stabilité, le commissaire a rappelé la récente décision de la Commission, consistant à repousser l'échéance de 2004 à 2006. Elle traduit la volonté d'utiliser les marges de manœuvre offertes par le traité sans remettre en cause le contenu même du pacte. Certes, la France entend accroître ses efforts de défense, mais d'autres pays, notamment les pays neutres, préfèrent défendre d'autres priorités. Extraire les dépenses de défense de celles prises en compte dans le pacte reviendrait en réalité à remettre en cause celui-ci, et cela n'est pas souhaitable. Les responsables politiques doivent expliquer aux citoyens que ce pacte est la contrepartie d'un système monétaire où les crises, les dévaluations, les plans d'austérité qu'elles entraînent, ont disparu au profit d'une mutualisation des risques. Certes, il se traduit pour les Etats par une perte de souveraineté nationale, mais la souveraineté monétaire de ceux-ci avant l'euro était en pratique très limitée.

M. François Guillaume a interrogé le commissaire sur la distance existant entre le projet européen et les citoyens. Ce problème soulève, selon lui, deux questions clés : à cause de qui et pourquoi ? Si la fonctionnarisation du système répond à la première question, l'explication tient à l'élaboration d'un certain nombre de règles qui ont rompu avec l'esprit du pacte d'origine et provoqué un désenchantement. Ainsi, pour la PAC, l'introduction en 1992 du système des primes - aux dépens d'une politique des prix - n'a plus permis que les agriculteurs européens soient traités de manière équitable et a conduit à une approche comptable par Etat. De même, le développement du pilier environnemental conduit aujourd'hui à un repli national.

Puis, il a abordé la question du compromis de Luxembourg - qu'il ne considère pas comme un veto, mais comme un moyen permettant de remettre en cause un projet pouvant porter un grave préjudice à un Etat. Or, avec le traité de Nice, plusieurs petits pays peuvent contraindre des grands à des contributions financières excessives. Aussi, ne faut-il pas considérer que ce compromis est tombé en désuétude.

M. Michel Barnier a indiqué que plusieurs réponses différentes peuvent être apportées au sujet de la fracture entre l'Union européenne et les citoyens, mais il a jugé qu'une part importante de responsabilité incombe aux gouvernements des Etats membres, qui vont négocier et adopter les textes communautaires à Bruxelles, sans les expliquer ensuite à leurs concitoyens. Ce silence entretient la peur, et la peur nourrit toutes les démagogies. Le Général de Gaulle recommandait de « combattre la démagogie par la démocratie ». Ainsi, il convient de rapprocher les députés européens du territoire et des parlements nationaux, et de créer davantage de Maisons de l'Europe et de points d'information, non pour faire de la propagande, mais pour informer les citoyens sur l'Europe.

Il faut aussi renforcer la popularité des politiques que l'Union conduit, qu'il s'agisse de la politique agricole commune ou de la politique régionale. La politique régionale, qui représente pour la France environ quinze milliards et demi d'euros sur la période 2000-2006, soit presque autant que les contrats de plan conclus avec les régions pour la même période, n'est pas de la réglementation : ce sont des aides concrètes et positives. Quant à la politique agricole commune, préservée et réorientée à Berlin, elle doit être rénovée et adaptée aux exigences nouvelles des consommateurs.

Le compromis de Luxembourg, non écrit, constitue une « arme atomique », de dissuasion, qui permet à chaque pays de dire non s'il estime l'un de ses intérêts nationaux essentiels menacé. Mais le droit de veto qui continue d'exister dans de nombreux domaines
- celui de la fiscalité des entreprises, par exemple - est devenu une source excessive de blocage à quinze, qui deviendra ingérable après l'élargissement.

M. Marc Laffineur a déclaré partager la crainte de M. Michel Barnier devant la montée du sentiment anti-européen, alors que l'Europe a tant apporté. Il a souligné que la responsabilité n'en incombe pas qu'aux seuls responsables politiques, mais à l'ensemble de la société : les syndicats, les responsables économiques ont, eux aussi, tendance à « blâmer Bruxelles ». Les institutions communautaires ont également leur part ; leur gestion du dossier des fonds structurels, par exemple, n'a pas clarifié la situation. En ce qui concerne la Convention, la nécessité de développer une véritable politique extérieure et de défense devrait, selon M. Laffineur, s'imposer, mais il s'est interrogé sur la volonté des pays neutres de l'accepter, et sur la nature de l'organe qui sera appelé à mettre en œuvre cette politique.

Le Président Pierre Lequiller, réagissant à la réponse du commissaire européen, a souligné que la Délégation contribue au rapprochement des députés européens et des parlementaires nationaux, rappelant l'audition de M. Alain Lamassoure, sur la répartition des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres. Les parlementaires européens seront d'ailleurs invités régulièrement à certaines réunions de la Délégation, et les échanges avec les autres parlements des Etats membres se développeront également, comme en témoigne la rencontre prévue le 23 octobre prochain avec des parlementaires espagnols.

M. Michel Barnier, se félicitant de ces initiatives, a confirmé, en réponse à M. Marc Laffineur, que la responsabilité de cette fracture entre l'Europe et les citoyens n'est évidemment pas seulement celle des responsables politiques. Il y a en effet une tendance générale à considérer, parce que tout cela est complexe, qu'il y a à Bruxelles un pouvoir extérieur qui impose sa loi, alors que la Commission, en dehors du domaine de la concurrence, n'a qu'un pouvoir de proposition et d'exécution. Ce sont les dirigeants des Etats membres qui décident, ensemble, et non la Commission. S'agissant du rôle des parlements nationaux, M. Barnier a rappelé que de nombreux parlementaires rencontrent, eux aussi, des députés européens régulièrement, et que dans certains Etats membres les ministres reçoivent, avant chaque négociation communautaire, des instructions de leur parlement. Il a indiqué que Mme Gisela Stuart présenterait, en tant que présidente du groupe de travail de la Convention sur les Parlements nationaux, un recensement de toutes les « bonnes pratiques » en la matière.

En ce qui concerne la défense, le commissaire européen s'est déclaré convaincu qu'il faut aller plus loin que les dispositions actuelles des traités. Il a souligné que les quatre pays neutres souhaitent se limiter aux « tâches de Petersberg », de maintien de la paix et de prévention des crises, introduites dans les traités à leur demande et mises en œuvre en Bosnie et au Kosovo, notamment. Il faudra peut-être laisser ceux qui le veulent aller plus loin dans le sens d'une défense collective, avec des clauses d'opting in. Mais ce débat n'est pas tranché, pas plus que celui sur les fonds européens de recherche, la préférence communautaire ou les programmes d'armement. Le groupe de travail devra également évaluer ce qui existe déjà, notamment la manière dont la force d'intervention européenne, avec près de 60 000 hommes, se met en place.

En matière de politique extérieure, des progrès ont été faits depuis le traité d'Amsterdam, avec la création du Haut représentant. Celui-ci a prouvé son utilité, même si ses moyens restent limités. M. Javier Solana réalise un travail important, avec M. le commissaire Chris Patten, responsable des relations extérieures, et des résultats très positifs ont été obtenus au Kosovo et en Macédoine, par exemple, qui marquent un net progrès par rapport au conflit en Bosnie. La guerre de Bosnie ne serait sans doute plus possible aujourd'hui, avec les institutions actuelles.

Il importe néanmoins d'aller plus loin en harmonisant les moyens et, surtout, en consolidant le poste du Haut Représentant de l'Union européenne. Il pourrait être envisagé notamment de faire de ce dernier un vice-président de la Commission responsable devant le Conseil.

M. Michel Herbillon s'est félicité de la mise en perspective des défis auxquels l'Union européenne doit faire face, en particulier le passage de quinze à vingt-cinq Etats membres qui n'est pas seulement un problème arithmétique. Il a souhaité connaître le sentiment du commissaire sur le couple franco-allemand et sur son rôle dans la construction européenne. La nécessité de refonder ce couple est reconnue par tous et deux opportunités se présentent : le quarantième anniversaire du traité de l'Elysée de janvier 1963 et la fin de longues périodes électorales dans les deux pays.

M. Michel Barnier a estimé qu'il s'agissait effectivement d'une question majeure, puisque le projet européen a besoin d'une entente, voire d'une complicité franco-allemande. Cette relation ne doit pas être exclusive ou arrogante. En outre, si elle est nécessaire, dans la mesure où sans le couple franco-allemand l'Europe ne peut pas avancer, elle ne peut être suffisante. Il convient de noter d'ailleurs que cette relation est singulière car les deux pays ne se ressemblent pas et c'est d'ailleurs ce qui donne du poids à cette entente, qui est loin d'être évidente. Il y a urgence à relancer le couple franco-allemand mais il faut tenir compte du nouveau contexte géopolitique. En effet, si le vingtième siècle a été franco-allemand, avec une première phase marquée par les guerres puis une seconde phase de reconstruction politique, le vingt-et-unième siècle sera européen. La vraie question est de savoir si dans les différents axes qui vont apparaître dans le cadre européen, les français et les allemands souhaiteront être ensemble ou face à face. Il a considéré que la réponse à cette question appartenait aux deux chefs d'Etat et de gouvernement, mais qu'elle constituait la clé de la poursuite du projet européen.

M. Jacques Myard a contesté la présentation laissant entendre que l'Europe n'apportait que des avantages. Le pacte de stabilité, par exemple, entraîne une perte de croissance que l'on peut estimer à 0,5 point par an. De même, le problème de la dévaluation compétitive en Italie était en réalité essentiellement explicable par la politique du franc fort menée par la France. Il a regretté qu'en matière de fonds structurels, tous les dossiers doivent être étudiés par la Commission à Bruxelles, ce qui illustre le postulat principal de cette institution, à savoir la nécessité d'un système unique ne respectant pas la diversité de chacun des Etats membres. Cette critique peut également être faite dans le domaine de la fiscalité, où l'on refuse de concevoir un modèle de concurrence fiscale à l'image de celui en vigueur aux Etats-Unis. Il a dénoncé la méthode irréaliste poursuivie par la Communauté européenne en matière de défense et de diplomatie et il a affirmé que l'Europe pourrait mourir de son intégrisme. Il a souhaité savoir s'il était envisagé de remettre en cause l'acquis communautaire.

M. Michel Barnier a regretté que ses propos puissent être mal interprétés. Le cadre institutionnel unique ne doit pas effacer le cadre national mais il importe de ne plus s'en tenir à la règle de l'unanimité, qui conduirait inéluctablement au blocage. Il est également très important qu'une personne ou une institution située dans une position mixte dispose d'une capacité d'initiative.

Pour sa part, il a avancé l'idée que ce qui avait fait ses preuves dans le domaine du commerce pourrait aussi fonctionner dans d'autres domaines. Il a précisé à cet égard que, lorsqu'il proposait de rénover l'acquis communautaire, il n'entendait certainement pas le démanteler. Il était plutôt d'avis d'y apporter des améliorations, comme de rendre publiques les réunions du Conseil des ministres, voire d'y faire accompagner les ministres par deux parlementaires nationaux, le ministre restant le chef de la délégation nationale.

Il a exprimé sa conviction que de grands progrès pouvaient être réalisés pour améliorer la transparence et la légitimité de l'Union, sans mettre en cause l'acquis communautaire.

M. Daniel Garrigue a évoqué la question du processus de décision. Après avoir rappelé qu'il devait exister une voie moyenne entre, d'une part, l'unanimité qui implique le veto et entraîne la paralysie, et d'autre part la frilosité européenne qui résulte parfois du mécanisme de vote à la majorité qualifiée, il s'est étonné qu'on n'ait pas encore exploré la politique des coopérations renforcées telles qu'elles sont prévues par le traité d'Amsterdam. Il a abordé la question de la subsidiarité, pour déplorer que le dispositif d'alerte en discussion à la Convention ne laisse un rôle qu'à la Cour de justice des Communautés européennes, alors que sa jurisprudence va toujours dans le sens de l'Union.

M. Michel Barnier a assuré que les coopérations renforcées prévues par le traité d'Amsterdam, mais aussi actualisées par le traité de Nice, seraient bientôt opérationnelles, ce dernier traité n'attendant plus que le vote irlandais pour entrer en vigueur : les pays qui le désireraient pourraient alors former un groupe prêt à aller de l'avant. Pour la défense, une autre formule lui paraît devoir s'imposer, à savoir une coopération qu'on pourrait qualifier de très renforcée et qui comporterait une clause d'opting in à l'intention des pays voulant aller plus loin. Quant au contrôle de la subsidiarité, il convient de voir que le contrôle dit ex ante, de nature politique, n'exclut pas un contrôle ex post, de nature juridictionnelle. Il a estimé qu'il était parfois difficile de porter sur les travaux de la Cour de justice des Communautés européennes un regard objectif. Il a cependant précisé que certains avaient imaginé que le contrôle ex post soit assuré par une chambre spéciale au sein de la Cour de Justice.

M. Jacques Floch a abordé le sujet du divorce de plus en plus prononcé entre la politique européenne et les citoyens. Il a concédé qu'il avait pu être tentant parfois d'exploiter cette image négative pour la tourner à son avantage. Il a ajouté qu'en ce domaine un mea culpa général serait sans doute bienvenu. Il a mis en cause le mode d'élection des députés européens, réduits à ne faire campagne qu'à l'intérieur de leur parti. Selon lui, ce mode d'élection expliquerait pourquoi les parlementaires européens seraient si peu nombreux à rendre compte à leurs électeurs. Il a rappelé qu'il ne pouvait exister de défense viable sans une industrie nationale qui soit autonome dans le secteur. Or, a-t-il ajouté, la France ne peut aujourd'hui construire seule un avion de chasse. Il s'est demandé ce qu'il adviendrait si les Etats-Unis cessaient un jour de livrer les composants indispensables utilisés dans la construction de nos avions de chasse à hauteur de quinze pour cent. Il en a tiré la conclusion que la coopération européenne en ce domaine se révélait un passage obligé. Abordant la question du modèle économique et social européen, il s'est inquiété des situations de concurrence qui peuvent naître aujourd'hui au sein de l'Union, l'opinion ne comprenant pas qu'on puisse fermer des entreprises pour les délocaliser vers un autre pays de l'Union ou vers l'un des pays candidats.

M. René André a souligné l'opposition entre la conception d'une Europe limitée à une zone de libre échange et celle, plus ambitieuse, de l'Europe politique qui ne pourra se réaliser que par la voie des coopérations renforcées. S'associant aux propos de M. Jacques Floch sur la distance qui existe entre l'Union européenne et les citoyens, il a regretté certaines maladresses de la Commission qui ne sait pas toujours bien expliquer ses propositions. Il a également estimé que les divergences de vues entre les pays européens sur certains sujets, comme la politique sociale, ne facilitaient pas la compréhension du projet européen. Enfin, et alors que s'ouvre en France le procès des attentats de 1995, M. René André a souligné les enjeux de la construction de l'Europe judiciaire et policière (Europol et Eurojust), apportant son plein soutien au projet de procureur européen.

M. Christian Philip a demandé au commissaire si la Commission entendait prendre des initiatives pour que s'engage enfin un véritable débat public sur les enjeux de la Convention, rappelant que la majorité des citoyens européens devraient être appelés à se prononcer par référendum sur le futur traité constitutionnel européen. En ce qui concerne le calendrier de l'élargissement, il s'est déclaré préoccupé par l'idée d'organiser, à quelques mois d'écart, deux consultations distinctes dans les pays candidats (l'une sur les traités d'adhésion puis l'autre sur le futur cadre institutionnel de l'Union) et a plaidé pour une ratification commune.

M. Bernard Deflesselles a souligné l'urgence de proposer des remèdes à la fracture qui existe entre l'Europe et les citoyens, estimant nécessaire de dépasser le stade du diagnostic que chacun s'accorde à établir.

M. Pierre Forgues a demandé au commissaire de préciser les orientations du groupe de travail sur la défense européenne qu'il préside au sein de la Convention et sur les moyens de faire avancer l'idée d'une politique commune de défense. Il a ainsi regretté que la France ait décidé seule de la construction d'un second porte avion.

M. André Schneider a souhaité recueillir le sentiment du commissaire sur l'avenir européen de la ville de Strasbourg.

M. Guy Lengagne a abordé la question de l'avenir institutionnel de l'UEO et de l'existence de l'Assemblée parlementaire de l'UEO. Il a plaidé pour son maintien afin de ne pas transférer au seul Parlement européen un contrôle auquel les Parlements nationaux doivent rester étroitement associés.

Le Président Pierre Lequiller a interrogé le commissaire Michel Barnier sur les conséquences pour l'Union d'un nouveau « Non » irlandais au traité de Nice.

Le commissaire a apporté les réponses suivantes :

- l'élargissement a besoin du traité de Nice et une hypothèse négative pour le deuxième référendum irlandais est inimaginable dans la mesure où, après un premier vote, d'autant plus inquiétant qu'il ne portait pas réellement sur un traité mal présenté à la population mais plutôt sur toute la question européenne, les autorités irlandaises ont bien expliqué le contenu et la portée du traité de Nice et le Conseil européen de Séville a donné des assurances supplémentaires à ce pays sur le respect de sa neutralité en matière de défense ;

- le mode d'élection des députés européens devra être modifié pour qu'ils aient des comptes à rendre à leurs électeurs et puissent le faire. Sa proposition de fonder les élections au Parlement européen sur une base territoriale plus proche des citoyens avait été reprise par le Gouvernement de M. Lionel Jospin, mais elle s'est heurtée aux conservatismes de droite comme de gauche, alors qu'elle s'appuyait sur l'expérience du travail en commun entre plusieurs régions, notamment dans le domaine des transports. Il faudrait réaliser le grand projet de rapprocher les citoyens de leurs élus européens lors des prochaines élections au Parlement européen en 2004 ;

- même si la Convention en est assez vite venue au débat institutionnel, le modèle européen est la réponse à la question qu'elle doit d'abord se poser sur ce que nous voulons faire ensemble. En mettant l'accent notamment sur les missions de service public, la protection sociale, les nouvelles politiques et la gouvernance économique, ce modèle marque nos différences par rapport aux modèles américain et asiatique ;

- la création d'un procureur européen est dans l'intérêt de l'Union européenne et des Etats membres, dans la mesure où, sans empiéter sur la compétence des juges nationaux qui trancheront, il instruira les affaires par-dessus les frontières intérieures de l'Union afin que les délinquants ne puissent exploiter les différences entre les procédures nationales pour échapper à la sanction ;

- la décision du Royaume-Uni de ne pas extrader un terroriste en prison depuis plusieurs années est une situation qui ne devrait plus se reproduire lorsqu'entrera en vigueur, le 31 décembre 2002, la procédure harmonisée de remise immédiate entre six pays de l'Union, dont la France et le Royaume-Uni ;

- il ne faut pas être injuste avec le commissaire Franz Fischler qui est favorable au maintien de la politique agricole commune mais plaide pour son évolution, et dialoguer avec lui en abordant ce dossier de manière positive et non pas défensive ;

- il est très inquiétant que le moment stratégique de la réunification de l'Europe soit pour demain sans que personne n'en parle ou alors qu'il devienne sujet de polémique et de démagogie. M. Barnier s'est déclaré très choqué, en tant que commissaire européen, par l'article de deux députés qui énumérait toutes les raisons de retarder l'élargissement alors que la France s'est totalement engagée dans ce processus. Non seulement il augmente le doute dans les pays candidats sur la réalité de l'engagement de la France, mais il aggrave les peurs. Tout le monde sait que l'élargissement a un coût et comporte des risques, mais il faut sans cesse redire qu'il va instaurer le plus grand marché organisé du monde et assurer la paix, la stabilité et la prospérité en Europe, tout en évitant la concurrence sauvage et en permettant la maîtrise de tous les trafics et du terrorisme qui se nourrissent de la misère. Or, ce rendez-vous capital arrive sans que les Français y soient préparés et ce débat serait trop tardif s'il avait lieu dans deux ans. Il est indispensable que le Président de la République et tous les responsables politiques, qui sont parfaitement conscients de l'importance cruciale de cette échéance, en expliquent davantage les enjeux aux Français ;

- les pays candidats qui sont déjà associés à la Convention, et avec lesquels les négociations vont se conclure, se prononceront sur leur adhésion en 2003 et devront voter une deuxième fois en 2004 sur la réforme de l'Union européenne ;

- la fracture entre l'Europe et les citoyens sera réduite lorsque les responsables politiques ne considéreront plus, comme un de ses anciens collègues ministres, qu'il gaspillait son temps ministériel à consacrer vingt-huit journées complètes à parler de l'Europe dans les régions parce que « l'Europe, c'est trop compliqué pour qu'on en parle avec les gens » ;

- le groupe de travail sur la défense au sein de la Convention n'élude aucune question, notamment pas la création d'une agence commune au moins pour la recherche militaire, et ce n'est pas un secret que M. Javier Solana défend l'idée que la crédibilité de la PESC est liée au renforcement de son volet défense constitué par la P.E.S.D. ;

- le siège du Parlement européen est fixé à Strasbourg par le traité d'Amsterdam, mais cette question exige une vigilance « proactive » dans la mesure où le Parlement européen dispose d'une forte autonomie pour organiser ses travaux et où il faut répondre d'urgence aux critiques relatives aux transports qui vont se multiplier avec l'arrivée de nouveaux Etats membres ;

- le sort de l'UEO est scellé depuis l'intégration de la plupart de ses attributions et de ses structures dans l'Union européenne, mais il faudra mieux associer les parlements nationaux et le Parlement européen sur ces questions de défense et de sécurité pour qu'ils puissent en débattre ensemble, et même envisager une extension de cette formule à d'autres domaines essentiels, comme les questions économiques et monétaires.