DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 23

Réunion du mercredi 18 décembre 2002 à 9 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président,

I. Audition de M. Pascal Lamy, Commissaire européen, sur les négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce et sur les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe (audition ouverte à la presse)

Le Président Pierre Lequiller s'est déclaré très heureux d'accueillir M. Pascal Lamy, Commissaire européen en charge du commerce extérieur, le suivi des négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) constituant un sujet d'intérêt majeur pour les parlementaires. Après avoir salué l'arrivée de M. Gérard Voisin comme membre de la Délégation et la présence de M. Gérard Bapt, il a rappelé que le premier cycle de négociations commerciales multilatérales organisé dans l'enceinte de l'OMC a été ouvert par la Conférence ministérielle de Doha de novembre 2001.

Ce cycle doit s'achever au plus tard le 1er janvier 2005, mais l'Europe devra d'ici là faire face à deux grandes échéances : en premier lieu, la présentation des offres de libéralisation dans le secteur des services et la définition des modalités des négociations agricoles en mars 2003, et en second lieu, l'élaboration des modalités des négociations concernant la concurrence, l'investissement, la transparence dans les marchés publics et la facilitation du commerce en septembre 2003, lors de la Conférence ministérielle de Cancun.

Le Président Pierre Lequiller a souligné l'importance de cet exercice multilatéral pour l'Union européenne, qui se déroule en parallèle à deux grands chantiers internes : l'élargissement, qui a franchi une étape décisive avec la décision prise par le Conseil européen de Copenhague, et les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe.

M. Pascal Lamy, Commissaire européen en charge du commerce extérieur, a indiqué qu'il évoquerait d'abord les négociations à l'OMC, puis le caractère exemplaire de la politique commerciale commune, dont la réussite justifie, à ses yeux, l'extension de sa méthode à d'autres domaines des relations extérieures.

Abordant le premier thème de son exposé, M. Pascal Lamy a souligné que les négociations à l'OMC constituent le sujet central de la politique commerciale commune de l'Union. Les volets bilatéraux et régionaux de cette politique sont essentiels, mais c'est à l'OMC que l'Union européenne défend sa vision globale des relations commerciales. Celle-ci consiste à énoncer que la libéralisation du commerce international doit s'accompagner d'une régulation. Bref, si l'Europe souhaite augmenter la vitesse de circulation sur l'autoroute des échanges commerciaux, elle milite aussi en faveur de l'élaboration d'un code de la route étoffé, qui garantisse une bonne application des règles du jeu. L'Union européenne défend certes aussi ses intérêts commerciaux, mais sa stratégie de négociation ne se limite pas à une conception étroite ou mercantiliste du commerce multilatéral, comme celle défendue par les Etats-Unis. Ces derniers ne veulent, le plus souvent, que libéraliser les échanges, dans les secteurs qui les intéressent.

La vision de l'Union européenne permet de concilier son statut de grand marché ouvert avec son souhait que l'OMC prenne en compte les intérêts sociétaux concernant, par exemple, l'environnement, la santé, la protection des consommateurs et ceux de ses partenaires en développement.

Le Commissaire européen a ensuite évoqué le calendrier des négociations, avant d'aborder deux négociations sensibles, celles relatives à l'agriculture et aux services.

S'agissant du calendrier général des négociations et du déroulement de celles-ci, le Commissaire européen a rappelé que la Conférence de Doha de 2001 a lancé un processus en quatre phases. D'abord, l'objectif de Doha consistait à choisir le menu des négociations : cette Conférence a ainsi marqué l'accord politique des membres de l'OMC sur la liste des ingrédients devant composer le compromis final. L'année 2002 a été celle des préparatifs, l'année 2003 sera celle des travaux en cuisine, avant qu'un plat ne soit servi pour accord final au plus tard avant la fin de l'année 2004.

Le Commissaire européen a estimé que l'Union européenne a été très active pendant la phase des préparatifs, en soumettant des propositions substantielles dans tous les domaines de la négociation.

Ainsi, en matière de tarifs industriels, l'Europe a proposé une formule visant à réduire les pics tarifaires, qui permettra par exemple de diminuer ceux des Etats-Unis dans le secteur textile. Par ailleurs, l'Europe a fait part de ses demandes de libéralisation de secteurs dans le domaine des services, ainsi que de ses propositions concernant les règles de base à établir pour les sujets dits de régulation - investissement, concurrence, facilitation des échanges. Sur ce dernier point, le Commissaire européen a souligné l'importance que revêt l'élaboration de ces cadres juridiques, en observant que les procédures douanières et de vérification peuvent représenter jusqu'à 5 à 10 % du coût des échanges, un chiffre à comparer avec celui, devenu réduit, des tarifs industriels.

En ce qui concerne l'accès des pays en développement aux médicaments brevetés, l'Union européenne a joué un rôle de pont entre le Nord et le Sud. Le président du groupe de travail à l'OMC vient de mettre sur la table des négociations un compromis qui obtient l'accord de tous les membres de l'OMC, à l'exception d'un seul, les Etats-Unis. Enfin, l'Europe est très active dans la question de l'articulation des dispositions des accords OMC avec celles des accords multilatéraux sur l'environnement qui peuvent restreindre les échanges. Elle se propose de bâtir dans ce domaine une construction juridique qui permette de concilier ces deux catégories de règles.

S'agissant des négociations sensibles, l'agriculture et les services constituent deux sujets majeurs pour l'Europe, aussi bien du point de vue des intérêts à défendre que de celui des citoyens, inquiets quant aux menaces de privatisation des services publics à l'OMC actuellement propagées par certaines ONG.

Le Commissaire européen a d'abord évoqué la question des négociations agricoles. L'Europe devait respecter une échéance importante avant la fin de l'année 2002, car elle devait transmettre sa proposition concernant les « modalités » de la négociation agricole, c'est-à-dire les engagements chiffrés à atteindre en matière d'accès aux marchés et de réduction des soutiens internes et des subventions aux exportations.

La Commission européenne a éprouvé quelques difficultés à présenter à temps un document au Conseil pour transmission à l'OMC, car elle souhaitait élaborer une proposition de modalités à partir des réformes devant être engagées dans le cadre de la révision à mi-parcours de la politique agricole commune (PAC). Cet élément de flexibilité supplémentaire pour les marges de négociation de l'Europe à l'OMC n'a pu être obtenu en raison des décisions intervenues au niveau du Conseil européen qui s'est tenu à Bruxelles en octobre dernier. La Commission a donc soumis aux Etats membres une proposition de négociation s'appuyant sur le « crédit de négociation » acquis lors des réformes de la PAC de 1992 et de 1999.

Sur ce dernier point, le Commissaire européen a précisé que ce crédit de négociation est égal à la différence entre les engagements mis en œuvre par l'Europe à partir de 1995 en matière de réduction des droits de douane et des soutiens à l'agriculture et la marge de négociation dégagée par les réformes précédentes de la PAC. L'Europe a largement respecté ses obligations, car ces réformes lui ont permis de rester en dessous des plafonds d'engagement issus du précédent cycle de négociations.

Le Commissaire européen a regretté que la révision à mi-parcours de la PAC marque le pas, car elle aurait permis à l'Europe de se donner davantage de flexibilité à l'OMC. Il a jugé que le retard pris dans la révision à mi-parcours est préjudiciable pour la position de négociation de l'Europe à l'OMC : comme celle-ci s'appuie sur les réformes antérieures de la PAC, toute évolution ultérieure de cette politique peut conduire les membres de l'OMC à demander à l'Europe de fournir davantage d'efforts dans la négociation, ce qui risque de faire payer deux fois la PAC à l'OMC.

Le Commissaire européen a détaillé les propositions faites sur la base du crédit de négociation actuel, soit une baisse de 55 % des soutiens liés à la production, de 45 % des subventions aux exportations et de 35 % de la moyenne pondérée des droits de douane sur les produits agricoles. Il a indiqué que ces engagements pourraient être tenus sans nouvelle réforme de la PAC, avant d'insister à nouveau sur le fait que toute nouvelle réforme ne pourrait qu'abonder le « compte en banque » de l'Europe à l'OMC.

Après avoir remarqué la forte hétérogénéité des intérêts de négociation en présence, ceux des pays libéraux tels l'Australie et la Nouvelle-Zélande coexistant avec ceux des Etats-Unis, dont le volume de soutien est comparable à celui de l'Union européenne, et ceux des pays d'Afrique à déficit alimentaire, il a estimé que la proposition européenne permet d'établir une libéralisation des échanges agricoles discriminatoire en faveur des pays en développement. Le document proposé par la Commission européenne prévoit de généraliser l'accès à droit zéro de toutes les exportations des 49 pays les moins avancés accordé par le marché communautaire à l'ensemble des pays développés et d'octroyer un accès à droit zéro à 50 % des exportations agricoles des pays en développement.

Le Commissaire européen a néanmoins jugé difficile la position de négociation de l'Union européenne, malgré sa solidité, en raison des attaques de mauvaise foi dont la PAC fait l'objet à l'OMC. L'Union européenne est souvent présentée comme une forteresse agricole, fermée au monde et dont la politique n'a pas évolué depuis cinquante ans. Or, tout ce discours, relayé au niveau de la presse par des intérêts clairement identifiables, est démenti par les faits. En premier lieu, l'Europe est le premier importateur de produits agricoles en provenance de l'ensemble des pays en développement, ainsi que des plus pauvres d'entre eux. Elle importe de ces pays davantage que les Etats-Unis, le Canada, le Japon et l'Australie pris ensemble. En second lieu, la PAC n'a cessé de se réformer ces derniers temps en particulier dans ses aspects les plus contestables. Ainsi, ses subventions aux exportations ont diminué considérablement pour ne plus représenter que 8 % du budget agricole.

L'Union européenne a non seulement des intérêts défensifs, mais aussi offensifs, dans des domaines comme la protection des indications géographiques, la sécurité des consommateurs, le droit à l'information et le bien-être des animaux.

Les services sont également un secteur politiquement sensible. En tant que premier importateur et exportateur de services du monde, l'Union européenne a en effet beaucoup à gagner à la libéralisation du commerce international des services qui représentent 60 % du PIB de la Communauté européenne et le premier secteur d'emploi de sa population active. Les Européens ont acquis un savoir-faire et des avantages comparatifs certains dans les services et ont intérêt à réduire les barrières à leur entrée, notamment sur les marchés des télécommunications, des services aux entreprises, des services financiers, des transports, de l'énergie et du tourisme.

Les négociations sur les services sont un peu particulières dans la mesure où elles reposent sur la libre volonté des parties par rapport à un jeu d'échanges d'offres et de demandes et où personne ne peut obliger personne. Chacun indique ses souhaits à l'ouverture des négociations et réagit à ceux des autres et le cycle recommence jusqu'à l'accord.

Parmi les points sensibles figure le débat sur la libéralisation des services. Les négociations portent sur les échanges de services (par exemple les transports, le conseil, les services aux entreprises, l'électricité ou le gaz...) et non sur leur déréglementation ou privatisation. Elles ne visent pas à remettre en cause le droit des gouvernements à réglementer le secteur des services. Le Commissaire européen a pris l'initiative de fournir une argumentation adressée par courrier en date du 9 décembre à tous les parlementaires français ainsi qu'aux autres parlements nationaux des Etats membres, pour confirmer qu'aucune obligation ne figure dans l'Accord général sur le commerce et les services (AGCS) susceptible de réduire la souveraineté des Etats en la matière. De toute façon, le mandat de négociation fixé par le Conseil et le Parlement européen interdit de prendre des engagements qui auraient pour conséquence soit de déréglementer, soit de privatiser les services publics en Europe. Les inquiétudes qui s'expriment ici ou là résultent de la confusion entre ce que l'Union européenne fait en interne et ce qu'elle fait en externe en prenant en compte les volontés et positions des autres partenaires commerciaux.

L'Union européenne vient de faire l'Histoire avec l'élargissement et elle va refaire l'Histoire avec la Convention sur l'avenir de l'Europe qui est une échéance essentielle pour 2003. Elle aboutira à la refondation de l'Union européenne si cela réussit, mais sinon l'échec sera aussi historique, car l'Union a absolument besoin d'une réforme du fonctionnement de son système institutionnel en 2004. Les débats de la Convention sont de bon augure, même s'ils sont restés jusqu'à présent dans la stratosphère bruxello-strasbourgeoise. Ils devraient entrer rapidement dans l'atmosphère politique pour atterrir dans les mains des citoyens qui se prononceront lors des référendums. Le processus se passera bien ou mal selon que les autorités politiques se chargeront ou non d'expliquer les réformes aux citoyens et les parlementaires doivent être les précurseurs de l'introduction des débats dans la politique française.

Tout en tenant compte de ce qui a été fait depuis cinquante ans, il faut redessiner les institutions européennes pour renforcer leur efficacité et leur légitimité. L'efficacité est un objectif essentiel, qui a été atteint largement dans la grande majorité des domaines, à l'exception de la PESC et de la gouvernance économique. La légitimité d'un pouvoir, davantage à distance des citoyens que le pouvoir national, exige de renforcer l'obligation d'expliquer les politiques aux citoyens, avec un souci de transparence et de visibilité des institutions. La Convention s'est beaucoup occupée jusqu'à présent de l'architecture institutionnelle sous l'autorité du Président Giscard d'Estaing, mais la Commission insiste pour qu'elle débatte davantage de ce que les Européens veulent faire ou non ensemble pour que ce point capital soit clair dans leur esprit.

En matière de politique commerciale, la clairvoyance des pères fondateurs les a conduits à bâtir un mécanisme de décision efficace qui a donné de l'influence à la Communauté européenne dans un monde d'« éléphants ». Il existe aujourd'hui un consensus idéologique central au Conseil et au Parlement européen sur ce que doit être une bonne politique commerciale de l'Union européenne, respectueuse notamment des aspects sociaux et environnementaux, résultat d'un compromis après les débats et les éclats de jadis.

La machinerie créée dès l'origine marche, avec une Commission qui propose une politique et un mandat de négociation du Conseil qui décide à la majorité qualifiée. Le pouvoir seulement consultatif du Parlement européen est certes un travers, mais la Commission peut le corriger en tenant davantage compte de ses avis. Ensuite la Commission négocie et exécute. Tout le monde sait qui fait quoi.

Ce système simple, facile à comprendre, qui fonctionne en particulier grâce à la Commission jouant le rôle de catalyseur de confiance ou de réducteur de méfiance au nom de l'intérêt général de l'Union européenne, s'appelle la méthode communautaire. Avant d'inventer un système qui marchera au vingt-deuxième siècle, il faudrait s'interroger sur les raisons pour lesquelles l'Union européenne n'appliquerait pas ce modèle dans les domaines où le processus de décision ne fonctionne pas, à savoir la PESC et la gouvernance économique.

Le Président Pierre Lequiller a noté que l'Union européenne avait toujours défendu une approche large des négociations, qui englobe à la fois la libéralisation des échanges et leur régulation. Il a interrogé le Commissaire sur le point de savoir si ces deux volets progressaient de concert ou si, au contraire, le renforcement des règles marquait le pas par rapport aux négociations visant à ouvrir des marchés. Dans le même esprit, l'Europe peut-elle rallier d'autres membres de l'OMC, notamment les pays en développement, à sa conception du nouveau cycle de négociations ?

Il a souhaité connaître l'état des lieux des discussions actuellement en cours à propos de l'accès des pays en développement aux médicaments protégés par les règles de brevetabilité de l'OMC.

S'agissant du domaine de l'agriculture, il s'est interrogé sur l'inconvénient qu'aurait présenté une réforme de la politique agricole commune anticipant l'ouverture des négociations commerciales multilatérales, alors que les Etats-Unis avaient adopté une attitude inverse.

Il a évoqué les travaux de la Convention en indiquant que le groupe sur l'action extérieure n'avait pas retenu sa proposition d'introduire l'encouragement à la diversité culturelle dans les principes et objectifs de l'action extérieure de l'Union. Il a noté qu'en revanche, le groupe recommandait d'étendre le vote à la majorité qualifiée aux services et à la propriété intellectuelle pour la conclusion d'accords internationaux. Il a estimé que le passage à la majorité qualifiée dans ces domaines devait être contrebalancé par des garde-fous au niveau des principes et des objectifs de l'action extérieure, afin d'éviter les dérives d'une mondialisation mal maîtrisée, au moins dans le domaine culturel.

M. Patrick Hoguet a remercié le Commissaire européen pour la clarté de son exposé et a salué la force de son engagement. Relevant le consensus prévalant au sein de l'Union sur les bases de la position européenne dans le domaine des négociations commerciales multilatérales - ouverture des marchés, mais régulation - il a estimé que l'opinion publique n'était pas sur cette ligne. Il a souhaité savoir si la Commission avait effectué un bilan des effets de la libéralisation des échanges induite par les accords de Marrakech et a considéré qu'il conviendrait d'informer nos concitoyens de ces effets, en mettant notamment en lumière les facteurs de dynamisation de l'économie européenne. Dans le même esprit, il a estimé nécessaire de porter à la connaissance de l'opinion la réalité du fonctionnement de l'OMC, notamment le fait que celle-ci a maintenant intégré un ensemble de préoccupations qualitatives, relatives en particulier au domaine de la santé - comme elle l'a montré en ce qui concerne la question de l'amiante. Il a souligné que les règles de l'OMC permettraient la prise en compte des intérêts des plus faibles vis-à-vis des plus forts. Il a ainsi souhaité que la Commission puisse fournir un argumentaire précis et simple relatif aux avantages qu'apporte l'OMC dans les relations commerciales multilatérales.

Il a ensuite fait référence à l'article récemment publié dans le journal « Le Monde » par le Président du groupe de Cairns, M. Mark Vaile, qui accuse l'Europe d'étrangler les pays pauvres à travers la politique agricole commune. Il a souligné les risques que la libéralisation des échanges agricoles, promue par les Etats-Unis et le groupe de Cairns, comporte pour les agriculteurs des pays en développement. Il s'est demandé s'il ne convenait pas que l'Europe incite à la création d'ensembles régionaux au sein desquels les pays en développement pourraient mettre en œuvre leurs propres politiques agricoles et ainsi réduire leur dépendance alimentaire. Il a estimé que, dans le cadre des négociations commerciales, l'Europe pourrait sans doute davantage mettre en lumière auprès des pays en développement les objectifs qu'elle poursuit en faveur des économies de ces pays, afin de dissocier ceux-ci du groupe Cairns.

Sur ce point, M. François Guillaume a rejoint l'opinion émise par M. Patrick Hoguet et a considéré, dans le même esprit, que les différentiels liés aux bas niveaux de salaires ne constituaient pas un avantage relatif suffisant pour les pays en développement dans le cadre des échanges internationaux de produits agricoles. Il a estimé que sans les protections que comportait, dès le début du marché commun, la politique agricole commune vis-à-vis des importations américaines, l'agriculture européenne aurait été écrasée. Il s'est par ailleurs félicité que la réforme de la politique agricole commune n'ait pas été engagée avant l'ouverture des négociations commerciales multilatérales, en évitant ainsi l'erreur qui avait été commise en 1992, alors qu'en 1986 un accord avait pu être trouvé à Punta del Este, prévoyant une réduction équilibrée des soutiens à l'agriculture, tant du côté américain que du côté européen. Evoquant la réduction de 55 % des aides directes mentionnée par le Commissaire européen, il a estimé qu'une telle mesure entraînerait, pour le secteur céréalier, une perte d'au moins 50 euros par hectare, ce qui ne pourrait que signifier un arrêt de la production. Il a indiqué que la réduction des aides directes avait déjà eu pour conséquence de diminuer très sensiblement la production française d'oléoprotéagineux, alors même que notre balance commerciale accuse un déficit dans ce secteur.

Il a souhaité savoir si les projets de négociation intégraient l'élargissement de l'Union à de nouveaux membres, considérant que les élargissements précédents n'avaient pas été suffisamment intégrés. Rappelant par ailleurs que les Etats-Unis avaient, pour leur part, décidé d'augmenter de 75 milliards de dollars les soutiens à leur agriculture, il a jugé l'attitude de l'Europe trop passive dans ce domaine.

En conclusion, il a considéré que la question consistait finalement à savoir si l'Europe est désireuse d'avoir une agriculture productive, conquérante, capable de répondre aux besoins, solvables ou non, ou si elle opte au contraire pour une agriculture environnementale, assortie d'un revenu agricole minimum.

En réponse, le Commissaire Pascal Lamy a apporté les précisions suivantes :

- l'Union européenne retient une conception large en matière d'ouverture des échanges, au regard d'une part des Etats-Unis et d'autre part des pays en voie de développement. Cela place l'Europe dans une position tactique qui peut se révéler incommode, mais qui est cependant pleinement assumée. A Doha, un point important a été marqué par l'Union quant à l'étendue du domaine de négociation : un accord séparé sur chaque sujet est désormais nécessaire pour aboutir à un accord général. Il convient d'être ferme à l'approche de Cancun : l'Union ne sera attentive aux revendications de ses partenaires que dans la mesure où ceux-ci seront ouverts aux préoccupations européennes ;

- s'agissant de l'accès aux médicaments, il faut rappeler les difficultés liées à la capacité des pays en développement à accéder à des systèmes individuels de licence obligatoire leur donnant droit à des prix différenciés. Il convient d'établir une distinction entre les pays en développement disposant d'une capacité de production pharmaceutique (pour lesquels la question a été réglée à Doha) et les autres ; la recherche médicamenteuse étant financée par des capitaux privés, cela rend légitime une protection juridique de la propriété intellectuelle qui apparaît comme la condition nécessaire à la poursuite de la recherche. Mais la contrepartie de cette protection touche aux difficultés qu'ont les pays en développement à accéder aux médicaments pour les maladies (sida, malaria, tuberculose). Un compromis vient d'être présenté, et l'Union européenne se joint aux 143 pays qui le soutiennent. Si les Américains sont pour le moment réservés, c'est pour des raisons de rédaction juridique qui leur font craindre - à tort - que le système proposé pourrait être étendu à des médicaments traitant des maladies non infectieuses ;

- sur le dossier agricole, il faut distinguer deux aspects. Le premier concerne les réformes successives de la PAC, engagées par l'Union européenne pour des raisons qui lui sont propres et parce qu'elle estime que cela va dans le sens de ses intérêts. Le second est lié à ce que l'Union accepte de mettre dans le champ de la négociation internationale, à l'OMC. Un effet de cliquet se produit dès lors qu'une question est intégrée dans la négociation internationale. Le Conseil européen a gelé, pour une durée de dix ans, l'enveloppe des paiements directs à l'agriculture. Or au même moment, les Etats-Unis annoncent une augmentation sensible de leurs dépenses publiques dans le secteur agricole, ce qui rend particulièrement difficile la négociation transatlantique. On aurait dû faire la réforme en interne avant car la situation actuelle permet à nos partenaires de connaître notre jeu, ce qui n'est pas souhaitable ;

- le principe de la diversité culturelle doit être inscrit dans le futur Traité constitutionnel, parmi les principes généraux de l'Union. Ce concept, d'origine française, a beaucoup progressé depuis une dizaine d'années, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières de l'Union. Il existe aujourd'hui un consensus dans ce domaine, qui s'inscrit dans le sens de la position défendue par la France ;

- une extension du vote à la majorité qualifiée est indispensable du fait de l'élargissement à dix nouveaux pays en matière de politique commerciale. En paralysant le processus décisionnel, la règle de l'unanimité condamne en effet l'Europe à cautionner la logique dominante, alors même qu'elle prétend vouloir l'infléchir. Plutôt que l'unanimité, une protection par le traité est préférable et il y a lieu de refuser - conformément au principe de subsidiarité - toute harmonisation européenne dans les domaines de la culture, de l'éducation et de la santé. Il faudrait ainsi parvenir à une homothétie juridique et constitutionnelle entre les compétences internes et externes d'une part, et les procédures de décision internes et externes, d'autre part ;

- les effets des accords de Marrakech se sont avérés positifs pour l'Union européenne - comme le montre son solde commercial en expansion - et pour de nombreux pays en développement, dont les exportations de textiles vers l'Union ont augmenté de plus de 50 % depuis 1995. Il est toutefois vrai que certains de ces pays n'en ont pas tiré profit en raison de problèmes de gouvernance ;

- comme s'y emploie la Commission, il est nécessaire d'expliquer aux citoyens les avantages et les inconvénients de la mondialisation des échanges. Les problèmes d'asymétrie de la politique commerciale, liés à la diversité des niveaux de développement, ne facilitent toutefois pas une telle démarche pédagogique, même si l'on peut observer que l'idée progresse de favoriser les échanges commerciaux des pays en voie de développement ;

- s'agissant du bilan de l'Organe de règlement des différents (ORD), ce dernier est un mécanisme juridictionnel qui a permis d'accomplir de réels progrès, en ce qu'il repose sur des règles dont la violation est sanctionnée. Certes, il existe une propension à en juger l'efficacité au travers des contentieux commerciaux transatlantiques qui en sont la partie visible. Mais, ce mécanisme exerce aussi un important effet préventif, qui amène, par exemple, les membres de l'OMC à renoncer à certaines interdictions à l'importation, au motif qu'elles pourraient être jugées illicites et donner lieu à un contentieux devant l'ORD ;

- il est conforme aux textes que l'OMC se penche sur les aspects qualitatifs du commerce international, en particulier dans les domaines sanitaire et phytosanitaire. L'Union européenne dispose également du même droit, ce qui a été confirmé par l'ORD dans les contentieux concernant l'amiante et les crevettes ;

- l'article de M. Mark Vaile est une présentation caricaturale de la PAC et des propositions de l'Union en matière agricole et industrielle. L'Union a, en effet, préconisé la mise en place d'une boîte de sécurité alimentaire, qui prévoit notamment le recours par les pays en voie de développement à un mécanisme de sauvegarde qui leur permet de se prémunir contre les hausses du prix à l'importation de produits agricoles. Il est important, en tout état de cause, de souligner que les intérêts de l'Australie, des Etats-Unis, de la Nouvelle-Zélande et des autres acteurs du groupe de Cairns sont profondément divergents de ceux des pays en voie de développement ;

- il n'est pas exact d'affirmer que, depuis une dizaine d'années, l'évolution de la PAC se soit réduite à l'octroi de concessions aux Etats-Unis et à une politique d'aveuglement permanent. S'il existe un accord sur l'objectif de la PAC qui est de permettre le maintien des activités agricoles, en revanche des divergences apparaissent quant à ses modalités de mise en œuvre. L'Union européenne a tenté, au cours des années quatre vingt et quatre vingt dix, de porter remède aux défauts du modèle original de la PAC - en particulier ceux liés à la surproduction - en compensant les différentiels de productivité à l'aide de mécanismes dérogeant aux règles classiques de l'économie de marché. Sauf à mettre la PAC en péril, il est impossible d'appliquer ces dernières à toutes les exploitations quelle que soit leur taille ;

- à PAC constante, l'Union européenne est en mesure de faire valoir dans les négociations qu'elle a déjà procédé notamment à une réduction de 55 % des soutiens à la production. Il ne s'agit toutefois pas d'une anticipation des décisions qui pourront être prises dans l'avenir ;

- les conséquences de l'élargissement ont été déjà prises en compte dans l'établissement des propositions de l'Union, hormis celle de la candidature de la Turquie, en l'absence de négociations avec cet Etat ;

- les règles de l'OMC impartissent aux Etats-Unis, comme aux autres Etats, l'obligation de respecter les disciplines qu'elles instaurent. C'est pourquoi l'Union s'attachera à demander avec fermeté la suppression des aides d'un montant de 20 milliards de dollars que le Gouvernement américain envisage d'accorder aux agriculteurs.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que si, comme c'est probable, un référendum est organisé sur la future constitution européenne, le débat qu'il suscitera abordera inévitablement des sujets connexes. A cet égard, il est essentiel que l'on fasse mieux connaître aux opinions publiques les actions positives conduites par l'Union européenne : si l'on sait convaincre les citoyens sur ce que l'Europe a réussi jusqu'ici à faire, on parviendra d'autant plus aisément à les convaincre sur ce qu'elle a l'intention de faire demain. Après avoir rappelé que le Premier ministre avait décidé de lancer une campagne d'information en France sur le sujet, il a demandé au Commissaire européen ce que la Commission comptait faire pour favoriser cette prise de conscience.

M. Daniel Garrigue a souhaité connaître la position de la Commission au sujet des organismes génétiquement modifiés (OGM), qu'il s'agisse de la recherche - dans un contexte marqué, d'un côté, par les efforts considérables engagés par les Etats-Unis et la Chine et, de l'autre, une Europe en retrait, en raison du principe de précaution - ou des relations avec les pays en développement - notamment les pays africains - qui, s'ils utilisent les OGM, risquent de se voir fermer nos marchés. Il a souhaité savoir quelle était la position de la Commission s'agissant des indications géographiques. Il a demandé au Commissaire européen sur quel fondement juridique la Commission s'appuyait pour envisager des sanctions, sous forme de suspension de versement des fonds structurels, à l'égard des pays n'ayant pas transmis la liste des zones sensibles « Natura 2000 ».

Rappelant qu'un compromis a été obtenu avec 143 Etats sur les médicaments, M. Jacques Floch a indiqué que les Etats-Unis et la Suisse cherchaient à limiter l'importation de médicaments chez eux, notamment de médicaments moins chers provenant de pays en développement. Il a demandé quelles étaient les grandes lignes de la politique internationale en la matière. Il a estimé que si la Convention sur l'avenir de l'Europe avait un rôle majeur, celui d'élaborer la nécessaire réforme des institutions communautaires, ses travaux étaient malheureusement marqués par des attitudes assez corporatistes de la part de certains parlementaires européens et de certains représentants du Conseil et de la Commission. Qu'entend faire la Commission pour y remédier ? D'autre part, faut-il étendre - et si oui comment - le droit de regard des parlements nationaux sur l'action de l'Union européenne ?

M. Michel Delebarre a souhaité savoir si l'entrée dans l'Union de dix nouveaux Etats allait modifier le mandat de négociation international de la Commission et, si c'était le cas, sur quels points. Rappelant par ailleurs les propos du Commissaire européen sur l'élaboration d'une « plate-forme idéologique partagée » et sur la nécessité de plaider pour des règles environnementales et sociales, il s'est demandé si les règles sociales n'allaient pas faire l'objet d'un veto - notamment des Etats-Unis - ou, en tous cas, servir de variable d'ajustement dans les négociations alors qu'elles devraient être considérées comme une priorité. Il a souhaité savoir, s'agissant des travaux de la Convention, s'il n'existait pas une contradiction entre la conception pragmatique consistant à conserver et à étendre progressivement ce qui fonctionne bien et la conception d'organisation idéale que semble rechercher la Convention. Il a estimé que si un référendum était organisé en France sur la future constitution européenne, il n'est pas certain, compte tenu des craintes que suscitent notamment l'élargissement, la politique agricole commune et la remise en cause des fonds structurels, et quelle que soit la campagne d'information menée en la matière, que le peuple lui apporte une réponse positive.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué à ce sujet que s'il partageait la même inquiétude, il estimait qu'il n'était plus possible de faire avancer l'Europe sans l'accord des citoyens. A cet égard, la Convention pourrait être une date charnière dans l'histoire de l'Europe.

M. Pascal Lamy a apporté les précisions suivantes :

- les avis de l'Union européenne et des Etats-Unis sur les OGM divergent. Les Américains sont favorables aux OGM tant que leur nocivité n'est pas prouvée. Les Européens pensent au contraire qu'il convient de s'abstenir de les utiliser dans la mesure où leur caractère inoffensif n'est pas absolument certain. Ce sujet n'est pas à l'ordre du jour des négociations menées dans le cadre de l'OMC. Les dispositions actuellement en vigueur à l'OMC permettent de prendre des mesures d'autorisation au cas par cas en fonction des avis scientifiques. Les décisions prises par l'Union européenne sont compatibles avec cette approche. Il convient toutefois de souligner que certains Etats membres étaient favorables à un moratoire sur les autorisations, ce qui a entraîné le gel des procédures. L'Union européenne est en train de mettre fin à ce moratoire. La procédure du moratoire aurait pu faire l'objet d'une contestation au sein de l'OMC, qui pourrait considérer que l'attitude de l'Europe à l'égard des OGM est avant tout motivée par une volonté protectionniste. Or, ce n'est pas le cas. Si les mesures mises en œuvre dans le cadre de l'Union européenne lui semblent disproportionnées avec l'objectif d'une meilleure protection de la santé publique, il appartiendra à l'OMC de se prononcer ;

- il n'est possible d'autoriser les OGM qu'au cas par cas. Le problème est particulièrement délicat en matière d'aide aux pays en voie de développement. En effet, l'aide alimentaire américaine est constituée de stocks de produits contenant des OGM. Par contre, les Européens achètent 90 % de leur aide alimentaire dans les régions qui en sont bénéficiaires sans se soucier de l'origine des produits. Ils conseillent toutefois aux bénéficiaires de cette aide de transformer en farines les produits d'OGM. L'Union européenne n'a pas apprécié que les Etats-Unis mettent en avant l'insuffisance alimentaire de certaines populations pour lui reprocher une attitude trop stricte à l'égard des OGM ;

- les indications géographiques constituent un sujet essentiel pour l'Union européenne dans les négociations menées au sein de l'OMC, par exemple en ce qui concerne le secteur des vins et les spiritueux. Sur ce sujet, l'Europe a des alliés, notamment en Chine, et dans le sous-continent indien, qui défend par exemple le dossier du riz basmati. Toutefois, l'Europe ne pourra pas défendre l'ensemble des indications géographiques. Il faudra définir des priorités dans la négociation ;

- l'Union européenne s'est dotée d'une politique ambitieuse de protection de l'environnement, et de mise en œuvre d'un programme de zones naturelles. Il y a toujours eu un lien entre cette politique et la politique des fonds structurels, qui doit respecter les engagements pris en matière de protection des zones d'habitat naturel ;

- la Commission a proposé au Conseil et au Parlement européen une législation communautaire interdisant les réimportations parallèles de médicaments. L'objectif est de s'assurer que les médicaments vendus à bas prix par les industries pharmaceutiques arrivent dans les pays qui en ont besoin. Il convient d'identifier les exportateurs et les importateurs potentiels, ainsi que les maladies concernées. L'Union européenne considère que tous les pays doivent pouvoir être exportateurs mais que seuls les pays en voie de développement ont vocation à être importateurs ;

- le triangle formé par le Conseil, la Commission et le Parlement européen constitue une mécanique délicate où chacun cherche à préserver son pré carré, ce qui est d'ailleurs normal et que l'on observe aussi au niveau national. Cela peut même constituer un indice montrant que l'Europe est parvenue au stade adulte. L'important réside, en fait, dans le fonctionnement efficace des institutions et non pas dans leur structure. Malheureusement, les Français ont trop tendance à privilégier les architectes, au détriment des ingénieurs ;

- s'agissant du rôle des parlements nationaux au niveau communautaire, il faut renforcer l'implication des parlements et, de façon générale, de l'ensemble des corps intermédiaires, afin de combler l'espace subsistant entre l'Europe et les citoyens. Il y a lieu de noter, néanmoins, que la plupart des parlementaires intervenant auprès de la Commission proviennent des pays du Nord de l'Europe. On peut donc en déduire que le contrôle des institutions communautaires par les parlements est, en premier lieu, une affaire relevant des autorités nationales et de leur volonté d'associer les parlements à ce contrôle, comme le prouve l'exemple du Danemark. Dès lors, la COSAC ou le Congrès ne sont que des réponses abstraites à un problème insuffisamment traité au niveau national.

M. Guy Lengagne a jugé, à cet égard, que le SGCI n'informait pas suffisamment les parlementaires français des activités du Conseil.

Le Président Pierre Lequiller a observé que la Délégation recevait, au préalable, les ordres du jour des différents Conseils et l'ensemble des documents communautaires dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.

M. Pascal Lamy a souligné que les autorités françaises ont invoqué à plusieurs reprises le maintien de réserves d'examen parlementaire.

Le Président Pierre Lequiller a tenu à nuancer les propos du Commissaire européen relatifs à l'insuffisante implication des autorités nationales, notamment françaises. Depuis le début de la législature, les initiatives européennes de l'Assemblée nationale se sont multipliées. A titre d'exemple, des débats en commission et en séance publique ont été organisés avec le Président Valéry Giscard d'Estaing ; le Président de l'Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, a annoncé la création de séances de questions consacrées spécifiquement à l'Europe ; une réunion va bientôt être organisée avec les parlementaires du Bundestag à l'occasion du quarantième anniversaire du Traité de l'Elysée, et la Délégation a tenu de nombreuses auditions communes avec les commissions de l'Assemblée nationale.

Il a également dénoncé l'accentuation des luttes de pouvoir entre les trois institutions européennes, qui ne prennent pas assez en compte les intérêts essentiels de l'Europe et qui n'ont pas le souci de la visibilité des institutions par les citoyens. Cela est flagrant dans les réunions publiques qu'il a pu organiser, où aucun participant n'est en mesure de citer le nom du Président du Conseil, le nom du Président de la Commission ou encore cinq noms de parlementaires européens français. Il faut espérer que la Convention européenne pourra formuler des propositions fortes, sinon on s'achemine vers des lendemains difficiles.

M. Pascal Lamy a apporté aux différents intervenants les éléments de réponse suivants :

- en ce qui concerne les implications de l'élargissement sur la politique commerciale de l'Union, il est certain que l'on ne va pas assister à un bouleversement car les pays candidats on déjà aligné leur politique commerciale sur l'acquis communautaire. D'autre part, même s'il existe des différences d'intérêts entre ces pays, il ne faut pas oublier que des divergences existent déjà à l'heure actuelle. Enfin et surtout, l'ensemble des pays candidats ne représente qu'entre 5 et 10 % du produit national brut de l'Union européenne, ce qui écarte tout risque de déstabilisation ;

- dans le domaine social, il faut distinguer entre deux types d'effets. D'abord, alors que l'ouverture des échanges retentit sur la division internationale du travail, il n'existe pas d'instance internationale qui traite le sujet. Certes, l'Organisation Internationale du Travail a posé des normes sociales fondamentales, comme des droits syndicaux minimaux ou l'exigence de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Mais l'application de ces règles conventionnelles n'est pas abordée dans les discussions de l'OMC. Lorsqu'on y considère la situation commerciale d'un des membres, il n'est pas possible d'examiner s'il ne tolère pas le travail forcé. Car les Etats-Unis et les pays en développement ont été particulièrement hostiles à la création d'un lien formel entre les questions commerciales et les questions sociales. Sur ce point, il conviendrait de se livrer à un travail d'explication.

Deuxièmement, l'ouverture des échanges produit aussi ses effets chez nous et il nous appartient de les prévenir, en menant des restructurations et des reconversions adéquates. Même si l'Europe peut apporter son aide par le biais des fonds structurels, cela relève principalement de politiques nationales. Aux Etats-Unis, il existe ainsi un programme fédéral d'ajustement à la politique commerciale extérieure ;

- quant à la Convention, la démarche résolument ambitieuse du Président Giscard d'Estaing doit être saluée. Le point essentiel est d'allier légitimité et visibilité. C'est dans ces termes que se pose le problème de la présidence européenne : si elle est bicéphale, elle manquera de visibilité ; si elle est unique, ce sera une institution neuve dont la légitimité restera à asseoir. Il apparaît cependant que c'est une idée dont l'heure viendra un jour. A cet égard, il faut remarquer que les Français sont cependant peut-être plus attachés à la fonction présidentielle que d'autres Européens ;

- au sujet du référendum qui pourrait suivre l'élargissement, de gros efforts de communication sont à faire. Ce travail incombe tant à la Commission qu'aux Etats membres, ce qui ne le rend pas plus aisé : en parlant à plusieurs voix, le message passe plus difficilement. Au moins, l'attitude messianique des années 1990 a disparu ; il n'est plus question que la vérité descende d'elle-même sur des citoyens qui n'auraient pas encore compris. Il faut désormais discuter, expliquer et convaincre. La tâche n'est pas facile, vu les anxiétés et les craintes qui nourrissent parfois la tentation du populisme, notamment à l'Est. De ce point de vue, le Président de la Convention a eu raison de placer d'emblée le débat sur le terrain des questions de fond. Il ne s'agit pas à la Convention d'une énième modification des traités, mais d'un départ sur de nouvelles bases.

M. Pierre Forgues s'est interrogé sur le respect des règles censées accompagner l'ouverture des marchés. Il a regretté que les négociateurs européens semblent faire porter leurs efforts plutôt sur l'ouverture que sur la régulation qui doit l'encadrer. Est-il aujourd'hui possible d'arrêter un produit à la frontière, par exemple un produit textile ? Sur le marché des petites villes, des articles de belle qualité sont vendus à des prix si bas qu'ils posent la question de la rémunération du producteur. Sans aller jusqu'à parler de travail forcé, peut-on contrôler qu'un produit n'a pas été fabriqué par des enfants ? Tous les jouets achetés en France sont, rappelons-le, fabriqués en Chine.

Quant à la distinction ou au distinguo entre commerce mondial et commerce intra-communautaire, que recouvre-t-il ? On peut se demander si les institutions communautaires fonctionnent si bien. Comment justifier alors que les directives peinent à être transposées ? Les députés français sont déjà considérés comme responsables de ce qui se passe à l'échelon communautaire. Qu'ils puissent être mieux associés au processus de décision européen paraît donc une bonne chose.

Au sujet de l'agriculture, ou plutôt des agricultures, l'expérience personnelle et locale prouve qu'un exploitant peut faire mieux que survivre avec vingt hectares. Certes, la politique de la montagne y est pour une part, mais l'Europe n'apporte pas autrement de subventions significatives. Que faut-il entendre par une baisse des subventions agricoles de 55 % ? Si pareille baisse est possible, c'est qu'on donnerait trop aujourd'hui aux exploitants. Mais si c'est juste assez, que faut-il en penser ? Il n'y pas de raison apparente à ce qu'un prix agricole doive être le même en Argentine et dans l'Eure. Certes, l'Europe importe déjà beaucoup de produits d'Amérique latine, mais elle y reste très critiquée parce qu'elle continuerait à mettre des obstacles aux échanges. Là encore, du chemin reste à faire et l'OMC doit être à la hauteur des ambitions initiales.

M. Nicolas Dupont-Aignan s'est associé à l'inquiétude de M. François Guillaume au sujet de la politique agricole commune. Il s'est demandé comment on pouvait affirmer qu'une baisse de 55 % des subventions était impliquée par les décisions déjà prises. Le malaise agricole est profond dans le pays et il faut s'attendre à des mouvements de protestation. Il ne paraît pas possible de conserver après 2007 un même budget agricole pour vingt-cinq membres que pour quinze.

Se déclarant favorable au libre-échange, il a insisté sur la nécessité de tirer d'abord un bilan du passé avant d'entamer de nouvelles négociations. La désindustrialisation touche désormais jusqu'aux entreprises les plus sophistiquées. Les effets bénéfiques du libre-échange se font sentir dans la longue durée, mais il conviendrait de dresser un bilan des conséquences immédiates des dernières négociations multilatérales, où les Etats-Unis sont largement perçus comme ayant imposé leurs exigences aux autres partenaires.

Il a enfin demandé des précisions sur les contours de la clause de sauvegarde alimentaire qui pourrait être négociée au profit des pays en développement.

M. Edouard Landrain a souhaité savoir si la Commission estime que les recommandations et normes européennes ont été bien appliquées par les Etats membres en matière de sécurité maritime. Il a également regretté que le siège de l'Agence européenne de sécurité maritime ait été, même provisoirement, fixé à Bruxelles alors qu'il aurait dû légitimement se situer à Nantes. Il a interrogé le Commissaire sur sa position en ce qui concerne la réforme de la politique commune de la pêche et la conservation des ressources halieutiques.

M. Gérard Voisin a souligné que les députés européens français, auxquels revient un rôle essentiel d'information des parlementaires et surtout des citoyens français, ne remplissent pas bien cette mission. Il a estimé que la Délégation pour l'Union européenne devrait favoriser leur implication au niveau national, en particulier dans le contexte de l'échéance de 2004.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la Délégation pour l'Union européenne a déjà invité des parlementaires européens, et qu'ils ne sont effectivement pas toujours assez disponibles. La réforme du mode de scrutin devrait améliorer sensiblement la situation sur ce point.

En réponse aux intervenants, M. Pascal Lamy a apporté les précisions suivantes :

- il n'y a pas de dispositif permettant, à l'heure actuelle, d'empêcher l'importation et la libre circulation d'un produit fabriqué par des enfants. Il n'y a en effet pas de consensus international sur ce point. L'Organisation internationale du travail (OIT) peut cependant recommander à ses membres, face à une telle situation, de cesser leurs relations commerciales avec un Etat - ce qu'elle a fait dans le cas birman, et les Etats membres de l'Union européenne ont mis en œuvre cette recommandation.

En revanche, si un produit importé apparaît vendu à perte, l'Union européenne dispose d'une législation anti-dumping très élaborée et efficace. Elle permet de sanctionner les prix arbitrairement bas et les subventions illégales, par l'imposition de droits de douane. C'est un instrument important de défense commerciale ;

- en ce qui concerne les produits alimentaires comportant des OGM, l'Union européenne dispose d'une norme commune dans ce domaine, qui soumet leur importation à des contrôles importants. Son effectivité est, certes, tributaire de l'existence de capacités de détection réelles ;

- sur la diminution des aides agricoles, l'Union européenne a accepté la fixation de plafonds en 1995. Des réformes ont été réalisées, au terme desquelles on n'aide pas moins, mais différemment. Le transfert d'une proportion importante des aides de la « boîte jaune » à la « boîte verte » relève de cette logique. Quant à la notion de « prix mondial agricole », elle est effectivement d'une fiabilité douteuse ;

- sur la proximité de l'Europe pour les citoyens, il y a encore beaucoup à faire pour expliquer ce que l'Europe fait et ne fait pas. L'idée selon laquelle l'ouverture des échanges est positive pour tous, par exemple, n'est pas encore passée, alors qu'elle a permis de créer des centaines de milliers d'emplois. Il faut faire valoir ces arguments ;

- s'agissant des zones régionales, l'Union européenne incite les pays africains, notamment, à se regrouper au sein de tels groupements régionaux, mais cela prend du temps ;

- le contrôle démocratique de l'Union doit être renforcé, mais il est excessif de dire que la Commission ne fait pas l'objet d'un tel contrôle : la démission de la Commission présidée par Jacques Santer, en 1999, à la suite d'une commission d'enquête du Parlement européen et sous la menace d'une motion de censure, en est l'illustration. La nécessité d'obtenir l'approbation unanime du Conseil en est un autre exemple. Mais il est vrai que la visibilité de ces contrôles peut être renforcée ;

- en matière de sécurité du transport maritime, les Etats membres, après le naufrage de l'Erika, n'ont accepté, à tort, qu'une partie de ce qui leur était proposé par la Commission. Ils n'ont également mis en œuvre, à tort également, qu'une partie de ce qu'ils avaient accepté. La Commission a d'ailleurs engagé plusieurs procédures d'infractions à ce sujet, y compris contre la France. Cette question ne peut, en état de cause, être réglée qu'au niveau européen, afin notamment de rendre l'Union européenne plus forte au sein de l'Organisation maritime internationale (OMI) ;

- la réforme de la politique commune de la pêche ne relève pas de la politique commerciale commune. Sur cette question, il existe encore un décalage très fort entre ce qui est nécessaire, mettre un terme à l'épuisement des ressources et baisser les prises, d'une part, et les préoccupations des professionnels du secteur, d'autre part. Il faudra trouver un équilibre entre ces deux exigences. Quant au siège de l'Agence européenne de sécurité maritime, il était prévu qu'à défaut d'accord unanime des Etats membres sur la fixation de ce siège, celle-ci serait installée provisoirement à Bruxelles à compter du 1er janvier 2003. Cette solution transitoire était nécessaire pour ne pas entraver sa mise en place ;

- les parlementaires européens ne sont effectivement pas très visibles. Les contraintes auxquelles ils sont soumis en termes d'emploi du temps l'expliquent largement. Il faut effectivement changer le mode de scrutin. L'organisation du travail du Parlement européen, trop complexe et pas toujours rationnelle, devrait également être améliorée, afin de laisser aux députés européens davantage de temps pour assumer leur rôle d'information au niveau national.

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Point A

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur les cinq textes suivants :

¬ PESC et relations extérieures

- proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un protocole d'adaptation des aspects commerciaux de l'accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la Roumanie, d'autre part, pour tenir compte des résultats des négociations entre les parties concernant l'établissement de nouvelles concessions agricoles réciproques (document E 2134) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un protocole d'adaptation des aspects commerciaux de l'accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République d'Estonie, d'autre part, pour tenir compte des résultats des négociations entre les parties concernant l'établissement de nouvelles concessions agricoles réciproques (document E 2135) ;

- proposition de décision du Conseil sur le commerce de certains produits sidérurgiques entre la Communauté européenne et l'Ukraine (document E 2143) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de la Communauté, d'un protocole additionnel à l'accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République slovaque, d'autre part, sur l'évaluation de la conformité et l'acceptation des produits industriels. Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un protocole additionnel à l'accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République slovaque, d'autre part, sur l'évaluation de la conformité et l'acceptation des produits industriels - PECA (document E 2147) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de la Communauté, d'un protocole additionnel à l'accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République d'Estonie, d'autre part, sur l'évaluation de la conformité et l'acceptation des produits industriels. Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un protocole additionnel à l'accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République d'Estonie, d'autre part, sur l'évaluation de la conformité et l'acceptation des produits industriels - PECA (document E 2152).

Point B

¬ Espace de liberté, de sécurité et de justice

- accord complémentaire entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Office européen de police relatif à l'échange de données à caractère personnel et d'informations y afférentes (document E 2141) ;

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que ce projet d'accord, qui vient compléter celui conclu en 2001 entre les Etats-Unis et Europol, vise à favoriser les échanges de données personnelles entre Europol et les autorités américaines. Cet aspect a en effet dû faire l'objet d'un accord distinct, en raison des différences des régimes européen et américain en matière de protection des données personnelles. Il a rappelé le contenu du projet, et les précisions apportées par l'échange de lettres qui le complète.

Le Président a ensuite souligné les difficultés soulevées par l'Autorité de contrôle commune d'Europol, présidée par M. le sénateur Alex Türk, dans les deux avis qu'elle a rendus sur le projet d'accord et sur l'échange de lettres. L'autorité de contrôle commune s'est notamment inquiétée de l'absence de référence précise au cadre juridique d'Europol et de la possibilité pour les Etats-Unis de pouvoir transmettre des informations à des pays tiers sans obtenir l'accord de l'Etat ayant fourni l'information. Elle a également insisté pour qu'un mécanisme spécifique de surveillance des données soit mis en place, afin de suivre la mise en œuvre de l'accord.

Les modifications apportées au texte à la demande, notamment, de la délégation française, ont été rappelées. Une « clause de rendez-vous », prévoyant une évaluation de l'accord dans les deux ans suivant sa mise en œuvre, a ainsi été incluse dans le projet, et la valeur juridique de l'échange de lettres a été renforcée.

M. Jacques Floch a estimé que ce texte démontre, à nouveau, la nécessité de renforcer le contrôle, non seulement parlementaire, mais juridictionnel, d'Europol, en créant un parquet européen. Il convient d'être vigilant sur ce point, les Etats-Unis n'offrant effectivement pas les mêmes protections que les Etats membres en matière de protection des données.

La Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« Considérant que le développement des activités d'Europol doit s'accompagner d'un renforcement du contrôle démocratique de l'Office européen de police,

Considérant que le renforcement de la coopération entre les Etats-Unis et Europol dans le cadre de la lutte contre la grande criminalité, en particulier contre le terrorisme, est nécessaire, mais doit se faire dans le respect des règles relatives à la protection des données personnelles et faire l'objet d'un mécanisme de surveillance adéquat,

1. Souhaite que les accords négociés par Europol avec des pays tiers fassent l'objet d'une publication systématique au Journal officiel des Communautés européennes,

2. Estime que l'obtention d'une « clause de rendez-vous » prévoyant une évaluation de la mise en œuvre de l'accord dans un délai de deux ans constitue une garantie satisfaisante, sous réserve que l'Autorité de contrôle commune d'Europol et les parlements nationaux soient associés à cette évaluation,

3. Demande que les Etats-Unis fournissent la liste précise des autorités de contrôle visées par l'échange de lettre, avant la signature de l'accord,

4. Recommande la création d'une commission mixte, composée de membres des commissions des parlements nationaux et du Parlement européen compétentes en matière policière, et chargée du contrôle parlementaire d'Europol ».

Puis elle a levé la réserve d'examen parlementaire sur les textes suivants :

¬ PESC et relations extérieures

- projet de position commune 2002/.../PESC relative à la levée des mesures restrictives à l'encontre de la « União nacional para a independência total de Angola » (UNITA) et à l'approbation des positions communes 97/759/PESC et 98/425/PESC (document E 2159) ;

- projet de position commune 2002/.../PESC du Conseil du ... concernant l'interdiction des importations de diamants bruts de la Sierra Leone (document E 2160) ;

- proposition de règlement du Conseil concernant l'importation dans la Communauté de diamants bruts de la Sierra Leone (document E 2161).