DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 28

Réunion du mercredi 5 février 2003 à 9 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen du rapport d'information de M. François Guillaume sur le volet agricole des négociations à l'Organisation mondiale du commerce

M. François Guillaume a souhaité rendre hommage au travail réalisé par M. Patrick Hoguet, qui a examiné de manière approfondie un sujet très complexe. Ce dernier s'est notamment attaché à rappeler l'entrée progressive de l'agriculture dans les négociations commerciales multilatérales et à analyser les subtilités des différents textes encadrant le champ des négociations.

M. François Guillaume a estimé que ce travail devait déboucher sur une réflexion plus large sur l'agriculture et les problèmes des pays en développement. Il s'agit d'explorer les solutions concrètes que l'Union européenne pourrait proposer aux pays du Sud, afin que ces derniers puissent bénéficier de dérogations au sein des règles commerciales multilatérales leur permettant de développer leur agriculture. Ce secteur emploie en effet une partie importante de la population des pays pauvres et constitue pour ces derniers une source de devises non négligeable. La Délégation devrait donc étudier ce thème majeur de près.

Le rapporteur a ensuite rappelé le contexte général des négociations agricoles. Celles-ci se caractérisent par une grande agressivité bien qu'elles portent sur des produits qui ne représentent que 9 % du commerce mondial. Le soutien public à ce secteur mobilise toutefois des sommes considérables, soit plus de 300 milliards de dollars au sein des pays de l'OCDE.

L'agriculture a d'abord bénéficié d'un statut dérogatoire au sein du GATT, résultant d'un compromis entre les Etats-Unis, d'une part, qui ont obtenu l'autorisation d'appliquer des restrictions quantitatives à leurs importations agricoles, et l'Union européenne, d'autre part, qui a pu instituer des prélèvements variables à ses frontières pour que ses produits bénéficient d'une préférence communautaire. Puis, les Etats-Unis, avec l'appui des Pays-Bas, ont obtenu le droit de faire entrer leurs protéagineux sur le marché communautaire à un droit de douane égal à zéro. Depuis lors, l'Europe souffre d'un déficit en matière de production des protéines, dont elle a pâti en 1973, lors de l'embargo américain sur les tourteaux de soja.

Le développement de la capacité exportatrice de l'Europe, devenue excédentaire sur certaines productions comme les céréales et compétitive grâce aux restitutions aux exportations, combiné au rétrécissement des débouchés sur les marchés mondiaux à la suite de la crise de 1979, a créé les conditions d'une guerre commerciale entre les Etats-Unis et l'Europe.

C'est ainsi que le GATT a décidé, en 1982, de faire entrer l'agriculture dans le prochain cycle de négociation, décision confirmée en 1985. Lancé à Punta del Este en 1986, le cycle d'Uruguay a commencé par une déclaration de guerre américaine contre les restitutions aux exportations. L'Europe a pu obtenir que soit négocié l'ensemble des aides directes, indirectes et des autres mesures pouvant affecter le commerce des produits agricoles. Cette approche permettait d'encadrer toutes les aides américaines, en particulier leurs paiements compensateurs à forte capacité de distorsion sur les marchés.

Les négociations n'ont pas avancé jusqu'à ce qu'un document préparé en 1990 par le directeur du GATT propose d'axer la négociation agricole sur trois volets : l'ouverture des marchés, la baisse des soutiens internes et la réduction des subventions aux exportations.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne a choisi de réformer précipitamment la PAC en 1992, afin de faciliter l'élaboration d'un accord sur le dossier agricole. Cette réforme a mis en place une PAC située à mi chemin entre l'ancien modèle agricole européen et la politique agricole des Etats-Unis, qui repose principalement sur un système de garantie des prix. L'Union européenne a opté de fait pour une voie médiane, qui s'appuie sur une baisse des prix agricoles, partiellement compensée par des versements directs. L'Union européenne aurait peut-être dû saisir cette occasion pour reprendre à son compte le modèle américain de garantie de prix, ce qui aurait conforté sa position de négociations face aux Etats-Unis.

Un accord conclu en décembre 1993 à Genève a permis aux membres du GATT de conclure l'ensemble des négociations multilatérales et a abouti à la signature des accords de Marrakech de 1994 instituant l'OMC. Auparavant, les Etats-Unis ont imposé à l'Europe par l'accord de Blair House un engagement de limitation de la production de protéines végétales dans la Communauté.

L'Accord sur l'agriculture de Marrakech transforme les prélèvements variables en droits de douane fixes et institue trois « boîtes » dans lesquelles sont classées les aides agricoles en fonction de leur degré de « découplage » avec la production : la « boîte orange » regroupe les aides liées aux volumes et aux prix et est soumise à un engagement de réduction ; la « boîte bleue » comprend les aides liées à un programme de maîtrise de la production, dont les aides directes de la PAC créées en 1992. Enfin, la « boîte verte » comprend les aides entièrement déconnectées de la production, notamment celles consacrées au développement rural. Les Etats-Unis ont cependant abusivement classé certaines de leurs aides à forte capacité de distorsion dans cette boîte : c'est le fait du prince. Enfin, l'accord agricole prévoit une diminution du volume et des dépenses des subventions aux exportations.

Face à ces nouvelles obligations, l'Europe a clairement respecté ses engagements, ce qui a parfois porté préjudice à ses parts de marché, pour certains produits comme le lait et le beurre. Ses aides classées en boîte bleue ont augmenté à la suite des réformes de la PAC, mais celles classées en boîte orange vont diminuer de moitié.

Au même moment, tandis que l'Europe plafonnait ses dépenses agricoles et versait en moyenne 5.000 dollars d'aides à chaque agriculteur pendant les cinq dernières années, la dépense américaine par agriculteur a bondi de 2.500 dollars en 1996 à presque 15.000 dollars en 2001. Les Etats-Unis utilisent par ailleurs des subventions aux exportations peu transparentes et tendent à instrumentaliser l'aide alimentaire pour conquérir des parts de marché.

Le Groupe de Cairns, constitué en 1986, avant le lancement du cycle d'Uruguay, défend, quant à lui, une vision ultralibérale des échanges agricoles, qui est contredite par certaines de leurs pratiques. Des pays, comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada, utilisent des sociétés commerciales d'Etat ou des organismes qui disposent d'un monopole à l'exportation et/ou qui fixent des prix différenciés entre le marché intérieur et le marché mondial pour stimuler leurs exportations.

Les pays en développement sont les laissés pour compte du système mis en place à Marrakech. C'est particulièrement évident pour les pays ACP, qui bénéficient pourtant du régime commercial préférentiel avec l'Union européenne prévu par les Conventions de Lomé et de Cotonou. La Convention de Cotonou a néanmoins affaibli les mécanismes de stabilisation des recettes d'exportation de ces pays. D'autre part, si elle a reconduit le protocole sur le sucre, qui permet à ces pays de vendre sur le marché communautaire au prix d'intervention leurs productions de sucre dans le cadre d'un quota, ce système est attaqué par le Brésil devant l'OMC. Enfin, le protocole sur la banane qui avantage les productions des ACP a été mis à mal par les condamnations successives de l'OMC, obtenues à la suite à des plaintes déposées par les Etats-Unis. Ces condamnations leur ont d'ailleurs permis d'imposer des sanctions commerciales à l'Union européenne dans le but d'accroître le volume du quota d'importations attribué aux « bananes dollars ».

Les membres de l'OMC ont lancé un nouveau cycle de négociations dont l'ordre du jour a été fixé par la Déclaration ministérielle adoptée à la Conférence de Doha de novembre 2001.

Le volet agricole de ce document est défavorable à l'Europe puisqu'il prévoit le retrait progressif de toutes les formes de subventions aux exportations, mais « sans préjuger du résultat des négociations ». Ces derniers mots ont été interprétés par l'Union européenne comme signifiant qu'aucun engagement n'a été pris en vue de l'élimination des subventions aux exportations, une interprétation contestée par les Etats-Unis.

En ce qui concerne le calendrier des négociations, les membres de l'OMC doivent fixer les « modalités » ou engagements chiffrés de celles-ci avant le 31 mars 2003, puis présenter leurs offres globales de négociation en septembre 2003, lors de la Conférence ministérielle de Cancun.

Le rapporteur a alors abordé la position de négociation de l'Union européenne. Celle-ci a été établie par un mandat du Conseil des ministres et consiste à s'appuyer sur la réforme de la PAC de 1999. Le rapporteur a d'abord rappelé les grandes lignes de la réforme décidée par le Conseil européen de Berlin, qui reposent sur de nouvelles baisses de prix, un alignement de l'aide aux oléagineux sur celle versée aux producteurs de céréales et une complexité accrue des primes versées au secteur de la viande bovine.

Puis il a indiqué que la Commission européenne a élaboré une proposition de négociation qui épuise d'entrée de jeu tout le crédit de négociation acquis par l'Europe grâce à cette réforme. Certes, l'Europe demande aussi aux Etats-Unis de s'aligner sur les efforts qu'elle a fournis, mais cette attitude reflète une grande naïveté de la part de la Commission européenne.

L'Union européenne veut se présenter comme étant « vertueuse » dans la négociation alors même que les Etats-Unis augmentent sans état d'âme leurs soutiens à l'agriculture de 70 %. En effet, la nouvelle loi agricole de mai 2002 accroît les aides de marketing loans et met en place des aides contracycliques, qui rendent en fait permanents les versements exceptionnels aux agriculteurs américains accordés depuis 1998.

Ces soutiens constituent de fait des aides couplées et permettent aux Etats-Unis de défendre à l'OMC par les biais d'artifices juridiques un niveau de soutien qui a augmenté considérablement. A l'inverse, l'Union européenne s'est lancée dans un débat sur la révision à mi-parcours de la PAC, qui repose sur l'idée d'un découplage des aides directes. Ce dernier est présenté par la Commission européenne comme la solution miracle permettant de sanctuariser les soutiens européens à l'agriculture dans la « boîte verte ». Cette proposition de réforme anticipée vient au mauvais moment, quand l'Europe doit défendre son modèle agricole et démontrer sa capacité à défendre ses acquis.

S'agissant des pays en développement, ceux-ci n'apparaissent pas comme nos alliés alors que nous sommes leur premier importateur et que nous leur exportons beaucoup moins de produits que les Etats-Unis. Ce mauvais procès fait à l'Europe est très inquiétant, car l'Europe ne pourra pas atteindre ses objectifs en restant isolée.

En ce qui concerne la multifonctionnalité de l'agriculture, ce concept est actuellement très prisé. Mais il ne doit pas conduire l'Europe à abandonner sa capacité productive et exportatrice, car cela reviendrait à laisser tout le marché agricole international aux Etats-Unis.

Enfin, l'Union européenne souhaite obtenir une meilleure prise en compte du principe de précaution, un combat difficile à mener en raison de l'hostilité américaine à la conception européenne de la sécurité alimentaire. Cette divergence de vues nous vaut d'être sanctionnés chaque année pour le maintien de l'interdiction des importations de bœuf aux hormones et risque de conduire à une demande de panel à l'OMC sur le moratoire appliqué à la commercialisation des OGM.

En conclusion, M. François Guillaume a établi un parallèle entre la « mauvaise foi » des Etats-Unis, qui constitue une arme de négociations, et la naïveté coupable de la Commission européenne qui veut toujours donner plus avant même de négocier. Le véritable objectif de ces négociations doit être la reconnaissance de la spécificité du secteur agricole, qui ne peut être soumis au droit commun des règles de l'OMC. Le grand défi de ce siècle est celui du défi alimentaire, qui doit trouver une réponse rapide.

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. François Guillaume d'avoir accepté de reprendre un rapport préparé par M. Patrick Hoguet et il a indiqué que la Délégation aurait encore l'occasion de discuter de ces différentes questions lors d'une audition, commune avec la commission des affaires économiques, du ministre de l'agriculture, M. Hervé Gaymard. En outre, dans le cadre des grands débats de la Délégation pour l'Union européenne, organisés salle Lamartine en présence de la presse et du public, un débat entre MM. Franz Fischler et Hervé Gaymard, présidé par M. Jean-Louis Debré, pourrait être organisé début mai. A cet égard, il a indiqué que le débat entre MM. Joschka Fischer et Dominique de Villepin, qui devait avoir lieu le 12 février prochain, a dû être annulé en raison d'un sommet germano-espagnol fixé à la même date.

M. Christian Paul a fait part de son intérêt pour l'intervention de M. François Guillaume, tout en regrettant que la position qu'il défend n'anticipe pas les évolutions probables et soit trop statique. Il serait souhaitable que la proposition de résolution puisse faire passer deux messages. En premier lieu, il faudrait enregistrer le fait que la logique des aides compensatoires est progressivement dépassée, notamment par les dispositions de la dernière loi d'orientation agricole, et qu'il faut accepter une évolution vers des aides contractualisées. Il serait donc opportun d'approfondir les questions relatives à la multifonctionnalité pour ne pas subir l'approche de la Commission européenne concernant le découplage. En second lieu, la question des restitutions mériterait d'être travaillée pour sortir des idées reçues. On pourrait alors avancer l'idée qu'en contrepartie de concessions sur les restitutions aux exportations, certaines préférences communautaires pourraient être maintenues.

Le Président Pierre Lequiller a observé que ce dossier soulevait effectivement un problème tactique. Il est évident que des évolutions de la position française auront lieu, même s'il est intéressant de constater que les réserves de la France sur le découplage intégral sont partagées actuellement par douze Etats membres, mais il ne faut pas esquisser de façon prématurée nos concessions futures, ce qui est malheureusement la position adoptée par M. Franz Fischler.

M. Christian Paul a jugé que « la ficelle pourrait apparaître trop grosse » puisque tout le monde sait qu'il faudra bien parvenir à un compromis.

M. Jean-Marie Sermier, après avoir observé que les logiques régissant l'OMC et la PAC étaient opposées, a estimé qu'un consensus devrait être difficile à trouver lors du prochain sommet de Cancun en septembre 2003, car les conditions seront très différentes de celles du sommet de Doha, réuni deux mois après les attentats du 11 septembre 2001. La France ne doit donc pas hésiter à défendre une position très ferme, d'autant que son agriculture représente le quart de l'agriculture européenne. Dans le même ordre d'idées, l'Europe ne doit pas céder lors des négociations sur le lait en avril prochain car elle perdrait les moyens financiers nécessaires pour les années suivantes dans ce secteur.

M. François Guillaume a jugé que la position de M. Christian Paul constituerait une maladresse, dans la mesure où il n'est pas habile, dans le cadre d'une négociation, de dévoiler son jeu à l'avance. C'est malheureusement ce qu'a déjà fait la Commission européenne en révélant son projet de modification de la PAC, permettant ainsi aux Américains d'entamer les discussions à partir de ces nouvelles propositions. Il a également considéré que les autorités françaises n'ont aucun intérêt à prendre position pour des aides pouvant être assimilées par les agriculteurs à des aides de type social dont ils ne veulent pas.

A cet égard, il faut rappeler qu'il y a moitié moins d'installations de jeunes agriculteurs que ce que l'on escomptait, à savoir seulement 6.000 par an. Ceux qui s'engagent dans la vie professionnelle aujourd'hui veulent devenir chefs d'entreprise et non partir dans une voie où ils seront tributaires d'aides, non seulement pour réaliser leurs marges, mais aussi pour couvrir leurs charges. Aussi les jeunes exploitants potentiels, forts de leurs qualifications, préfèrent-ils souvent s'orienter vers d'autres secteurs.

Le Président Pierre Lequiller a avancé l'idée de trouver, d'une manière générale, une formule qui n'exclue pas des évolutions, mais sans dévoiler aujourd'hui les points sur lesquels négocier, jugeant préférable que l'Assemblée nationale adopte une position particulièrement ferme.

M. Jérôme Lambert s'est interrogé sur ce qu'il fallait entendre par « rémunération normale », la norme étant difficile en ce domaine à définir. En adoptant un raisonnement économique pur, la rémunération des agriculteurs n'apparaît plus aujourd'hui comme suffisante. Pour ce qui est de l'installation, il a observé qu'en Charente, la pression foncière empêchait les jeunes agriculteurs d'acheter des terres. Lorsqu'un terrain attire dix acquéreurs, ce ne sont pas toujours les plus jeunes qui sont retenus. Les SAFER doivent remplir tout leur rôle.

M. François Guillaume a renchéri, en expliquant que le dispositif réglementaire actuel encourageait la course aux surfaces toujours plus grandes.

A la suite des observations de M. Christian Paul, qui s'inquiétait de ce que le cadre budgétaire ait été arrêté avant même toute décision sur la réorientation de la politique agricole, le Président Pierre Lequiller a rappelé que, dans l'accord obtenu au Conseil européen de Bruxelles du 25 octobre 2002, la préservation de l'enveloppe budgétaire jusqu'en 2006 n'excluait pas des évolutions par la suite, la position française n'étant pas figée.

M. François Guillaume a complété ce propos en signifiant que les décisions de Bruxelles dressaient un garde-fou à la baisse sans qu'elles soient pourtant un obstacle à la hausse.

Au cours de l'examen de la proposition de résolution, M. François Guillaume a souhaité insérer, à la fin du point 4, la mention suivante : « demande en particulier un encadrement strict des sociétés commerciales d'Etat », précisant qu'il visait ainsi les boards en place dans les Etats du groupe de Cairns.

Le Président Pierre Lequiller a ensuite souligné l'importance des points 10 et 11. Les discussions engagées sont un débat idéologique où l'Europe se trouve mise en accusation alors que son action ne porte pas préjudice aux pays en voie de développement. Il s'est d'autre part demandé s'il était opportun d'insérer dans la proposition de résolution une formule plus ouverte.

MM. Marc Laffineur et Daniel Garrigue ont répondu par la négative en soulignant que la représentation nationale devait apporter aux ministres un appui solide dans la négociation.

Reprenant la question de la tactique à adopter au cours des négociations, M. François Guillaume a souligné que l'Europe avait déjà fait mouvement en consentant des concessions pour lesquelles il reste encore à obtenir aujourd'hui des contreparties. S'il reste un geste à faire, c'est en faveur des pays en voie de développement. Une proposition en leur faveur devrait leur permettre de bénéficier d'une exception agricole et alimentaire grâce à laquelle ils puissent se développer, ce qui n'est pas possible avec les règles actuelles imposées par l'OMC. Pareille proposition recueillerait à n'en pas douter l'assentiment général.

Le Président Pierre Lequiller a annoncé que la Délégation suivrait le cours des négociations jusqu'à Cancun et même au-delà, car il apparaît déjà que tout n'y sera pas réglé. Il a de nouveau remercié M. François Guillaume d'avoir su reprendre si vite un travail si important.

La Délégation a adopté la proposition de résolution ainsi modifiée :

« L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen du 8 juillet 1999 relative à l'approche de l'Union européenne en vue du cycle du millénaire de l'Organisation mondiale du commerce (COM [1999] 331 final/n° E 1285),

- Vu l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), auquel sont annexés les différents accords concluant les négociations commerciales du cycle d'Uruguay, notamment l'Accord sur l'agriculture, signé le 15 avril 1994, dont la ratification a été autorisée par la loi n° 94-1137 du 27 décembre 1994, et entré en vigueur le 1er janvier 1995,

- Vu la Déclaration adoptée le 14 novembre 2001 à Doha par la Conférence ministérielle de l'OMC, qui fixe l'ordre du jour du nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales,

- Vu la proposition de la Communauté européenne relative aux modalités des négociations agricoles adoptée le 27 janvier 2003 par le Conseil,

Considérant que les membres de l'OMC doivent déterminer, d'ici le 31 mars 2003, les modalités des négociations agricoles, c'est-à-dire les objectifs chiffrés de baisse des droits de douane et des soutiens à l'agriculture, pour élaborer ensuite leurs projets d'engagements globaux ou offres de négociation, qui seront discutés lors de la Conférence ministérielle de l'OMC de Cancun des 10-14 septembre 2004 ;

Considérant que la politique agricole commune (PAC) fait l'objet, dans le cadre de ces négociations, d'attaques inacceptables de la part des Etats-Unis et d'autres membres de l'OMC, notamment les pays du groupe de Cairns, qui rendent difficile la position de négociation de l'Union européenne, alors même que celle-ci s'est largement acquittée, de manière responsable et transparente, des obligations souscrites à Marrakech, à l'inverse des Etats-Unis, qui n'ont cessé d'augmenter leurs aides agricoles, et qu'elle est le premier importateur de produits agricoles en provenance des pays en développement ;

Considérant que les discussions concernant la révision à mi-parcours de la PAC risquent d'interférer dangereusement avec les négociations à l'OMC, en conduisant nos partenaires à durcir leurs exigences, et de fragiliser la capacité de l'Union européenne à défendre ses intérêts ;

Considérant que l'enjeu central des négociations en cours est d'obtenir la reconnaissance de la diversité des modèles agricoles régionaux à l'OMC.

Sur la proposition de modalités des négociations agricoles de la Communauté européenne :

1. Demande à la Commission européenne de respecter le mandat de négociation arrêté par le Conseil du 25 octobre 1999 qui s'appuie sur la réforme de l'Agenda 2000, laquelle a marqué un effort important pour adapter la PAC aux exigences de la société et au contexte international, alors que certains des partenaires, notamment les Etats-Unis, empruntaient à l'OMC la voie inverse en accroissant leurs engagements budgétaires en faveur de l'agriculture, en supprimant toute maîtrise de la production et en mettant en œuvre des mécanismes notamment les aides de « marketing loans » perturbant le marché mondial par une aide indirecte à la baisse des prix ;

2. Déplore que les offres d'engagement chiffrées utilisent de manière imprudente tout le crédit de négociation dont dispose l'Union européenne suite à la réforme de l'Agenda 2000, au point de ne plus lui laisser aucune marge de négociation si ses partenaires durcissent leurs exigences ; demande donc que ces propositions constituent non un point de départ mais fixent les objectifs à atteindre pour que l'Union européenne obtienne autant de concessions de la part de ses partenaires et notamment des Etats-Unis, ces derniers devant prendre des engagements sur la base du volume des aides antérieur à celui prévu par la nouvelle loi agricole américaine ; juge enfin que toute concession qui irait au-delà de ces propositions serait inacceptable, car elle obligerait l'Union européenne à réformer la PAC dans le seul but de respecter les contraintes issues du nouveau Cycle ;

3. Estime que les propositions concernant la réduction de la protection tarifaire (baisse moyenne des droits de 36 % et de 15 % par ligne tarifaire) sont susceptibles de remettre en cause la préférence communautaire pour les organisations communes de marché agricoles non réformées dans le cadre de l'Agenda 2000 comme pour les autres et qu'il est nécessaire que l'Union européenne conserve une certaine marge de flexibilité dans la diminution des tarifs douaniers, en particulier dans les secteurs non réformés de la PAC ;

4. Se félicite que le Conseil des ministres de l'Union européenne ait supprimé dans le texte de la proposition de négociation la référence à l'élimination de certaines subventions aux exportations pour retenir une formule sur le retrait progressif de celles-ci par toutes les parties à la négociation conforme au texte de la Déclaration ministérielle adoptée par la Conférence de Doha ; rappelle que l'Union européenne ne saurait renoncer à cet instrument sans une discipline équivalente de la part de nos partenaires ; demande en particulier un encadrement strict des sociétés commerciales d'Etat de certains pays et de leurs privilèges à l'exportation ;

5. Constate qu'en matière de soutiens internes les aides de « marketing loans » des Etats-Unis sont, suite aux délibérations du Conseil, directement visées par la proposition de négociation  ; regrette néanmoins que la proposition de négociation ne prévoie pas de soumettre ces aides aux disciplines applicables aux subventions aux exportations ; exige donc que l'Union européenne demande l'institution de telles disciplines aux « marketing loans », afin d'obtenir un traitement équitable à l'OMC entre la PAC et la politique agricole des Etats-Unis ;

6. Se félicite que la proposition de négociation prévoie le maintien de la boîte bleue, qui regroupe les aides liées à un programme de maîtrise de la production, celles-ci jouant un rôle désormais fondamental dans les mécanismes de la PAC et ayant des effets de distorsion sur la production nettement inférieurs à certains soutiens américains, ainsi que la prorogation de la « clause de paix », qui protège ces aides de toute contestation devant l'Organe de règlement des différends de l'OMC ;

Sur les objectifs de long terme des négociations agricoles :

7. Estime que la mission de l'OMC doit se limiter à réguler exclusivement les effets des politiques agricoles sur le commerce international sans poser une interdiction de principe de ces dernières ;

8. Juge nécessaire de réviser l'article 20 de l'Accord sur l'agriculture, relatif à la poursuite du processus de réforme des politiques agricoles, afin que soit consacrée une exception agricole au sein des règles commerciales multilatérales, fondée sur le caractère spécifique de cette activité et l'impérieuse nécessité d'assurer à tout pays sa sécurité alimentaire ; estime que la reconnaissance de l'exception agricole exige la mise en place d'un mécanisme international de régulation des marchés agricoles tout en permettant à tout membre de l'OMC, ainsi qu'à tout groupement régional, de développer son propre modèle agricole ;

9. Considère que cette exception agricole doit aussi prendre la forme d'une protection tarifaire adaptée de chaque modèle d'agriculture, reflétant le surcoût qu'impose aux agriculteurs les exigences de qualité et de sécurité alimentaires de la société ;

10. Demande à l'Union européenne de conduire le combat en faveur de la préservation de la diversité des agricultures en vue de préparer la Conférence ministérielle de Cancun et de nouer dans ce but une alliance avec les pays en développement à faibles revenus et à déficit alimentaire souhaitant protéger leurs agricultures vivrières dans un cadre national ou régional ;

11.  Demande à la Commission européenne d'encourager les pays en développement à se regrouper au sein d'ensembles régionaux favorisant leur sécurité alimentaire ; estime nécessaire que, dans ce but, les pays en développement soient autorisés par l'OMC à mettre en place des préférences agricoles régionales spécifiques ; considère néanmoins que ce traitement doit être exclusivement réservé aux pays ayant besoin d'assurer leur autosuffisance alimentaire, ces derniers devant être identifiés sur la base de critères objectifs et internationalement reconnus. »

II. Communication sur la modification du mode de scrutin applicable aux élections européennes

Le Président Pierre Lequiller a présenté une communication sur le projet de réforme du mode de scrutin applicable à l'élection des représentants français au Parlement européen. Après avoir rappelé que depuis de nombreuses années, les principales formations politiques s'accordent à reconnaître les inconvénients du mode de scrutin actuel, il a indiqué les raisons qui motivent le projet de réforme visant à régionaliser le scrutin européen :

- une absence totale de proximité entre les députés européens et les citoyens, en raison de la prime accordée aux états majors des partis politiques dans l'élaboration de la liste nationale. La régionalisation, en assurant un ancrage territorial, devra ainsi permettre de rapprocher l'élu de ses électeurs ;

- une dérive qui conduit à déplacer l'enjeu des élections européennes vers des sujets de politique intérieure, sans montrer aux citoyens la dimension quotidienne des questions européennes ;

- une diminution de l'influence de la France à Strasbourg, en raison de la répartition de ses représentants au sein des huit groupes politiques constitués au Parlement européen. Le Président Lequiller a déploré cette dispersion - singulière au regard des autres pays membres - qui conduit à un affaiblissement de la position française au cours du processus législatif.

Puis le Président Pierre Lequiller a brièvement exposé le dispositif du projet de loi présenté par le gouvernement, qui prévoit la création de huit circonscriptions interrégionales, elles-mêmes divisées en sections régionales afin de garantir une représentation équilibrée de l'ensemble du territoire. Après avoir évoqué la diversité des modalités de régionalisation qui résulte des différents projets et propositions de lois déposés au cours des dernières années, il a considéré que le projet de réforme du gouvernement parvenait à un équilibre en assurant une représentation équitable des différents courants politiques, le choix du mode de scrutin proportionnel n'étant pas remis en cause.

En conclusion, le Président Lequiller a souhaité que la réforme proposée renforce la légitimité démocratique des députés européens, contribuant ainsi à enrayer l'augmentation continue du taux d'abstention constaté lors des élections européennes.

M. Jérôme Lambert a rejoint l'opinion exprimée par le Président Pierre Lequiller quant à l'existence d'un immense fossé entre les institutions européennes et les citoyens. Il a considéré que c'était d'abord par un approfondissement de la démocratie représentative que l'on pouvait s'efforcer de réduire ce fossé. Il a estimé que, dans cet esprit, il aurait été préférable de créer autant de circonscriptions électorales que notre pays a de représentants au sein du Parlement européen.

Le Président Pierre Lequiller a précisé qu'il partageait à ce sujet le point de vue de M. Jérôme Lambert, mais que l'Acte portant élection des députés au Parlement européen, modifié par une décision du 23 septembre 2002 du Conseil des ministres de l'Union européenne, imposait un système de scrutin proportionnel dans l'ensemble des Etats membres et que le Royaume Uni, dernier pays à appliquer le mode de scrutin majoritaire aux élections européennes, a finalement adopté le scrutin proportionnel en 1999.

M. Bernard Deflesselles a considéré que la règle prévoyant un scrutin à la proportionnelle visait à permettre la représentation de toutes les sensibilités politiques.

M. Jérôme Lambert a indiqué qu'au total il était dubitatif quant au texte proposé par le Gouvernement. Il a jugé en particulier regrettable que le projet ait prévu la suppression de la règle actuelle de l'interdiction du cumul entre un mandat de parlementaire européen et un mandat exécutif local. Il a considéré qu'il serait concrètement difficile pour un élu de répondre convenablement à ses obligations à Bruxelles ou à Strasbourg et, dans le même temps, d'exercer, par exemple, un mandat de maire. Il a noté que l'opinion publique n'était pas favorable au principe du cumul et a estimé qu'un mandat de parlementaire comportait, par lui-même, une proximité réelle avec la réalité du terrain et avec les préoccupations des citoyens. Il a ensuite considéré que le mode de scrutin proposé par le projet de loi était difficilement compréhensible et s'est interrogé en particulier sur la façon dont s'articulerait le principe de l'élection dans le cadre de circonscriptions interrégionales avec le mécanisme d'attribution des sièges à des sections régionales. Il a exprimé la crainte que le dispositif du projet n'aboutisse en fait à l'élimination des petits partis.

Le Président Pierre Lequiller, tout en reconnaissant une certaine complexité au système proposé, a souligné qu'il n'aboutissait nullement à l'élimination des petits partis, l'attribution des sièges aux listes candidates, au scrutin proportionnel à la plus forte moyenne, se faisant en tout état de cause au niveau des circonscriptions interrégionales. Le rattachement d'un élu à une section régionale, destiné à assurer un nécessaire équilibre géographique, se fera, dans un second temps, en fonction de l'importance des résultats obtenus par chaque liste au sein des différentes sections régionales. Il a cependant admis que le système de répartition des sièges proposé par le projet de loi présente l'inconvénient que dans certains cas, les listes les moins bien placées n'obtiennent pas de sièges dans les sections où elles ont obtenu le plus de voix. Le Président Pierre Lequiller a alors indiqué que la Commission des lois devait présenter un amendement destiné à corriger cette imperfection.

En réponse à M. Jérôme Lambert, il a par ailleurs expliqué, que lorsque les sièges d'une section sont intégralement pourvus, la répartition des sièges suivants s'opère dans les sections disposant de sièges à pourvoir.

M. Jérôme Lambert a constaté que ce projet de réforme est difficile à expliquer aux électeurs car le mode de scrutin proposé est plus complexe que l'élection à la représentation proportionnelle sur des listes nationales.

Le Président Pierre Lequiller a confirmé que la réforme avait un objectif incontestable mais que les dispositions visant à assurer un équilibre entre les sections présentent certaines imperfections, qui feront l'objet d'un amendement de la commission des lois.

En conclusion de ce débat, les membres de la Délégation ont approuvé la réforme proposée, à l'exception de M. Jérôme Lambert, qui s'y est opposé.

III. Examen d'un texte soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné, en point A, un texte soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur la proposition de règlement du Conseil mettant en œuvre, pour la Communauté, les dispositions tarifaires fixées dans l'accord d'association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République du Chili, d'autre part (document E 2194).

IV. Information relative à la Délégation

M. Thierry Mariani a été nommé rapporteur d'information sur le processus d'adhésion de la Slovénie à l'Union européenne, en remplacement de M. Patrick Hoguet.