Version PDF

DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 90

Réunion du jeudi 1er juillet 2004 à 9 heures 30

Présidence de M. François Guillaume, Secrétaire

I. Examen du rapport d'information de M. Christian Philip sur la transposition des directives européennes

M. Christian Philip, rapporteur, a précisé qu'il s'agissait du second rapport d'information sur cette question, le premier ayant été publié en juillet 2003. Il apparaît qu'une action forte est indispensable car l'état des lieux est négatif. Malgré la volonté affichée par le Gouvernement de rattrapage des retards de la France, et malgré une amélioration constatée entre octobre 2002 et mars 2003, le stock des directives en retard de transposition s'est accru. La France demeure très éloignée des deux objectifs communautaires visant, d'une part, à un déficit maximum de transposition de 1,5 % et, d'autre part, à une « tolérance zéro » en ce qui concerne les directives ayant un retard de plus de deux ans. Le prochain tableau de bord que la Commission européenne devrait bientôt publier montrera que, fin mai 2004, soixante-deux directives relatives au marché intérieur étaient en retard de transposition contre cinquante, un an plus tôt. Dès lors, notre déficit de transposition s'élève à 4,1 % au lieu de 3,3 % en mai 2003. De la même façon, le stock des directives accusant un retard supérieur à deux ans ne diminue pas, car, comme l'année dernière, neuf directives sont dans cette situation.

Si, parmi les quinze Etats membres pris comme référence, le déficit moyen de transposition est de 2,5 %, trois pays seulement - l'Espagne, le Danemark et le Royaume-Uni - ont atteint l'objectif de 1,5 % et quatre Etats n'ont aucune directive de plus de deux ans à transposer (Danemark, Espagne, Irlande et Royaume-Uni). Le Danemark et l'Espagne sont donc les deux seuls pays à respecter les objectifs communautaires. La France est située en dernière position, quels que soient les indicateurs pris en considération. Seule l'Italie comptabilise plus de procédures d'infraction que notre pays, nous « privant » ainsi du « grand chelem » du plus mauvais élève européen.

Les retards français sont concentrés principalement sur le ministères de l'économie, des finances et de l'industrie et sur le ministère en charge de l'équipement, ce qui n'est pas illogique, puisque ces deux administrations travaillent dans des secteurs fortement régis par le droit communautaire.

L'argument, souvent avancé, consistant à imputer les retards à l'encombrement du calendrier parlementaire et à la difficulté de trouver des vecteurs législatifs n'est pas, et de loin, la principale explication de nos mauvaises performances, puisqu'une dizaine de textes seulement, sur un total d'une centaine de directives en retard, sont actuellement en attente d'une intervention législative. Les dysfonctionnements sont surtout à rechercher dans notre organisation administrative et, plus particulièrement, dans la multiplicité des intervenants, la consultation de nombreux organismes et un certain perfectionnisme juridique, conduisant à l'adaptation du vocabulaire juridique employé par la directive et à l'ajout, dans le texte de transposition, de dispositions visant à faire aboutir des réformes souhaitées par le ministère. On constate également un manque de vigilance, qui se traduit notamment par l'absence fréquente de fiches d'impact au début de la phase de négociation et par l'engagement tardif de la phase de transposition.

Devant ce constat peu brillant, il a semblé opportun d'étudier les pratiques suivies dans les autres Etats membres. Trois groupes peuvent être distingués. Le tableau d'honneur se compose de l'Espagne, du Royaume-Uni, de l'Irlande, du Danemark et de la Finlande. L'Espagne, qui est le meilleur élève européen dans ce domaine, met en œuvre un suivi politique et administratif régulier, comportant des réunions hebdomadaires de la commission générale des secrétaires d'Etat et sous-secrétaires et des réunions, toutes les deux à trois semaines, de la commission interministérielle des affaires de l'Union européenne, présidée par le secrétaire d'Etat aux affaires européennes. Ce pays a également mis en place des dispositifs d'alerte et des procédures d'urgence et l'intervention des Communautés autonomes ne constitue pas une source de retard, grâce à la conférence sectorielle pour les affaires européennes, qui regroupe des représentants des ministères et des dix-sept Communautés autonomes. S'agissant du Danemark, l'intervention du Parlement dans la phase de négociation est bien connue, mais il faut aussi souligner l'existence d'une coordination interministérielle très structurée. Le Royaume-Uni prouve, dans ce domaine également, l'efficacité du pragmatisme, grâce à un dispositif plus souple que celui mis en place dans les deux pays précités, articulé autour du Cabinet office. L'Irlande constitue un cas intéressant pour la France, car ce pays a longtemps réalisé de mauvaises performances et seule la perspective de la présidence de l'Union européenne au premier semestre 2004 a conduit à une forte mobilisation politique, permettant de ramener le déficit de transposition de 3,5 % en mai 2003 à 1,4 % en novembre suivant.

Le second groupe d'Etats, composé de la Suède, du Portugal et de l'Autriche, rassemble les pays qui enregistrent des résultats peu éloignés des objectifs communautaires.

Le dernier groupe se caractérise par la présence de l'ensemble des six Etats fondateurs, rejoints par la Grèce, dont on ne sait trop si leurs mauvais résultats doivent être imputés à un assoupissement lié à l'habitude ou à l'inadaptation de leur organisation à l'accroissement du nombre des directives.

La Commission européenne publiera la semaine prochaine une recommandation sur les bonnes pratiques, qui devrait suggérer de faire des transpositions une priorité politique, d'assurer une coordination permanente, de débuter au plus tôt la phase de transposition, d'associer le Parlement et, enfin, d'agir rapidement et efficacement lorsqu'un retard est constaté.

Le rapporteur a ensuite fait part de ses propositions pour améliorer les performances françaises. Il est évident qu'un effort particulier doit être accompli, d'autant que la récente décision du Conseil constitutionnel sur la loi pour la confiance dans l'économie numérique vient de rappeler que la transposition des directives constitue une exigence constitutionnelle.

Il semble nécessaire que le Premier ministre fixe un objectif de 1,5 % de déficit de transposition à atteindre dans les deux ans, en prévoyant des paliers intermédiaires. Une meilleure coordination interministérielle doit être mise en œuvre sous la responsabilité d'un membre du Gouvernement, qui pourrait être la ministre déléguée aux affaires européennes, dont l'autorité serait renforcée par une lettre de mission du Premier ministre. La ministre précitée pourrait présider chaque trimestre un groupe de haut niveau composé de représentants du SGCI, mais aussi du Secrétariat général du Gouvernement, du cabinet du Premier ministre et de responsables des différents ministères.

Il importe, par ailleurs, de développer la prise de conscience des ministères à l'égard de l'importance du droit communautaire. Le ministère de l'agriculture a déjà montré l'exemple en parvenant à réduire par cinq son stock de directives en retard de transposition, grâce à une organisation spécifique accordant un rôle central à la direction des affaires juridiques. Il convient également de responsabiliser les cabinets ministériels et les directeurs d'administrations centrales. Il faut enfin insister sur l'importance des fiches d'impact et sur la nécessaire collaboration avec la Commission européenne, qui depuis peu a mis en œuvre des « réunions paquet », permettant de faire le point sur les directives donnant lieu à un contentieux communautaire.

Un dernier groupe de propositions a trait à l'aménagement des conditions d'examen parlementaire. Il pourrait être utile que des représentants des deux délégations européennes participent, en tant qu'observateurs, aux réunions trimestrielles présidées par la ministre déléguée aux affaires européennes, ainsi qu'aux « réunions paquet ». En outre, si un « rendez-vous mensuel » semble peu réaliste, il serait opportun que le Gouvernement inscrive à l'ordre du jour des assemblées, deux fois par an, l'examen de projets de lois portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire (DDAC). Le dépôt de ces projets pourrait être précédé d'une consultation préalable des présidents des commissions permanentes et des délégations pour l'Union européenne, afin d'en écarter les textes sensibles à caractère politique. Par ailleurs, il serait indispensable que l'examen de ces textes en séance publique soit réalisé en présence du ministre compétent sur le fond du dossier, comme cela a déjà été effectué au Sénat lors des débats sur la loi du 18 mars 2004 habilitant le Gouvernement à transposer par ordonnances. Une telle procédure serait plus aisée à mettre en œuvre si les DDAC regroupaient des textes ayant une même thématique.

Parallèlement, il conviendrait de poursuivre les réflexions sur des procédures d'examen simplifié, semblables à celles existant en matière de conventions internationales, ou encore en organisant le débat sur la transposition seulement dans le cadre de la commission permanente compétente.

Le rapporteur a enfin indiqué que le rapport d'information recensera l'ensemble des directives en retard de transposition et qu'une communication de la ministre déléguée aux affaires européennes sur les retards de transposition sera présentée devant le Conseil des ministres le 15 juillet prochain. La France, qui est un élément moteur de la construction européenne, ne peut rester durablement à la dernière place du classement des transpositions. Une amélioration sensible est possible, mais elle implique une forte mobilisation du Gouvernement, de l'administration et du Parlement.

M. Jacques Floch a estimé que les retards dans la transposition des directives n'étaient pas nouveaux, mais qu'il était important de faire le point régulièrement. Il a jugé que l'ensemble des gouvernements, quelle que soit leur tendance politique, étaient responsables de cette situation. Dans certains cas, les ministres ne sont pas capables de se faire obéir par leur administration. Dans d'autres cas, ils ne souhaitent pas volontairement faciliter la transposition d'une directive pour des raisons de politique intérieure.

L'organisation du ministère de l'agriculture, qui dispose d'un important service chargé des affaires communautaires, devrait servir d'exemple. Par contre, on observe des retards inadmissibles au ministère des finances, malgré l'importance de ses services. En matière de transports, les retards de transposition sont souvent dus à la pression des lobbies.

Il convient de mieux associer le Parlement au suivi de la transposition des directives, afin d'informer les parlementaires, et de faciliter la tâche du Gouvernement. Les propositions du rapporteur semblent de nature à permettre d'améliorer la situation.

En règle générale, on ne peut que déplorer l'absence de culture européenne du Gouvernement et de l'administration. C'est ce que confirme le positionnement marginal du ministère des affaires européennes dans l'organisation gouvernementale. Il est souhaitable que la Délégation élabore une note de synthèse tous les six mois sur l'état d'avancement des transpositions et que le Parlement soit en règle générale beaucoup plus étroitement associé au processus de transposition.

M. Michel Delebarre a considéré que la situation était préoccupante. Il a estimé que le Premier ministre dispose, s'il le souhaite, d'instruments d'action suffisants, en raison de l'autorité que la Constitution lui confère sur l'ensemble des ministres, et du précieux concours du SGG et du SGCI. Il semble malheureusement que, depuis de nombreuses années, les Premiers ministres n'aient pas eu de réelle volonté politique dans ce domaine. Or, les administrations freinent la transposition de certaines directives, tout en étant elles-mêmes à l'origine d'autres directives qui les intéressent directement.

Il a exprimé des doutes sur la possibilité de prendre en compte les performances réalisées en matière de transposition dans le calcul des primes des directeurs.

Il a proposé que tous les six mois, la presse puisse publier le classement des Etats et des départements ministériels en matière de transposition.

M. Jérôme Lambert a souhaité que les ministres, qui sont à la tête de leur administration, soient placés devant leurs responsabilités. Il a également proposé que les ministres s'impliquent davantage dans les travaux préparatoires des directives et dans les négociations européennes, ce qui ne pourrait que faciliter la transposition des textes. Or, le rapport de M. Jacques Floch sur la présence française dans l'Union européenne a mis en évidence l'absentéisme de nombreux ministres aux réunions des Conseils des ministres de l'Union européenne.

Il a craint que la présence de représentants des Délégations de l'Assemblée nationale et du Sénat aux réunions trimestrielles de coordination interministérielle ne se heurte au principe de séparation des pouvoirs. Il a également fait part de ses réserves vis-à-vis des projets de lois portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire, qui traitent de très nombreux domaines à la fois, ce qui ne facilite pas le contrôle parlementaire. De même, la mise en œuvre de procédures d'examen simplifiées pour les projets de lois de transposition ne devrait pas être un prétexte pour permettre à des textes sensibles d'échapper à la vigilance des parlementaires.

M. Pierre Forgues a estimé qu'un déficit de transposition des directives de 4,1 % ne pouvait être jugé scandaleux, car cela signifie que 96 % des directives sont transposées par la France. Evoquant les difficultés d'application de la directive Natura 2000, il s'est interrogé sur la portée exacte en droit interne des directives et a souhaité obtenir des précisions sur les obligations qui s'imposent réellement aux Etats membres. Pour régler ce problème, il a estimé que le Parlement devait être mieux associé en amont à la phase de négociation des propositions de directives.

Enfin, abordant le rôle de la ministre déléguée aux affaires européennes, il a considéré qu'il lui appartenait de veiller à la transposition des directives par les départements ministériels intéressés.

Le rapporteur a apporté les éléments de réponses suivants :

- plusieurs faits devraient concourir la semaine prochaine à accroître la publicité sur cette question de la transposition : publication du rapport d'information de la Délégation ; publication par la Commission du tableau de bord du marché intérieur et du guide des bonnes pratiques, étant précisé que le tableau de bord ne fera désormais l'objet que d'une publication annuelle et non plus semestrielle. Quant à la ministre déléguée aux affaires européennes, elle pourrait proposer au Conseil des ministres du 15 juillet 2004 qu'un rapport trimestriel sur la transposition des directives soit adressé aux Délégations pour l'Union européenne des deux Assemblées ;

- l'objectif étant d'atteindre 98,5 %, le taux de 96 % de transposition ne doit pas être jugé satisfaisant, car, en réalité, le pourcentage est calculé sur l'ensemble des directives adoptées depuis l'institution de la Communauté européenne, il y a près de cinquante ans. En ce qui concerne les dernières directives, le taux de transposition est plutôt de l'ordre de 50 %. La volonté politique de transposer les directives existe en France, le problème principal étant celui des moyens, qui doit lui permettre d'être concrétisée dans les faits ;

- le principe de séparation des pouvoirs s'oppose certes à la participation des Assemblées à toutes les réunions ministérielles consacrées à la transposition des directives. Mais pour ce qui est de celles qui touchent au domaine législatif, la participation des représentants des Délégations pour l'Union européenne des deux Assemblées paraît justifiée ;

- en ce qui concerne la marge de manœuvre laissée aux Etats membres dans la transposition des directives, il importe de rappeler que - en raison de la primauté du droit communautaire -, la Cour de justice des Communautés européennes a déjà prononcé des condamnations à l'encontre d'Etats membres - dont la France ou l'Italie - qui avaient invoqué des circonstances de nature politique, administrative ou juridictionnelle internes pour justifier la non-transposition ou la transposition tardive des directives. En tout état de cause, le Parlement français ne pourrait rediscuter les dispositions d'une directive à l'occasion de sa transposition. L'objectif qui doit être poursuivi réside dans une meilleure association en amont du Parlement à la négociation des propositions de directives.

II. Communication de M. Marc Laffineur sur les négociations entre l'Union européenne et le Mercosur

M. Marc Laffineur, rapporteur, a rappelé que les négociations de l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur, une union douanière qui regroupe l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay, furent lancées à Rio en 1999 lors du premier Sommet Union européenne - Amérique latine. Elles ont pour ambition d'établir un partenariat stratégique, fondé sur trois piliers : le dialogue politique, la coopération en matière de développement et des échanges commerciaux renforcés. Sur ce dernier point, le mandat adopté par le Conseil prévoit « l'instauration du libre-échange, compte tenu de la sensibilité de certains produits et secteurs de services ». C'est à l'aune de ce mandat que les discussions en cours, très critiquées par les organisations professionnelles agricoles, doivent être appréciées.

Le rapporteur a considéré que ces négociations, qui servent les intérêts de l'Europe, doivent aboutir, mais à la condition qu'elles trouvent les trois équilibres permettant de signer un accord réellement satisfaisant.

Ainsi, il a d'abord souligné que ces négociations sont politiquement importantes et économiquement utiles.

Sur le plan politique, l'accord d'association permettra d'amorcer un rapprochement fructueux entre deux grands ensembles régionaux, qui partagent une communauté de projet et de vues.

En effet, cette négociation permet à l'Europe de s'engager, pour la première fois, dans un exercice de diplomatie bilatérale avec une construction juridique qui lui ressemble et qui forme, avec ses 222 millions d'habitants et son PIB de 607 milliards de dollars, la quatrième puissance économique mondiale, derrière l'ALENA, l'Union européenne et le Japon.

Mais si le Mercosur est un projet prometteur, il est aussi un projet fragile, associant des pays aux niveaux de développement hétérogènes, régulièrement soumis à la tentation du protectionnisme pour protéger leurs industries naissantes en cas de choc économique et exposés aux crises financières internationales.

Il reste que cette association en devenir doit être soutenue, car il existe entre le Mercosur et l'Europe une réelle convergence de vues et d'intérêts en matière de promotion des valeurs universelles et du multilatéralisme, qui permettra aux deux partenaires, une fois l'accord d'association conclu, de mieux faire valoir leurs points de vue dans les enceintes internationales.

Aussi les deux ensembles ont-ils un réel intérêt géopolitique à conforter leurs relations : que ce soit pour le Mercosur, afin de rééquilibrer sa relation avec les Etats-Unis, qui souhaitent aspirer dans leur orbite économique tout le continent américain avec le projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) dont les négociations doivent théoriquement aboutir en 2005, et pour l'Europe, qui doit épauler un « projet frère », exemplaire pour tous les pays en développement et contribuant à l'émergence d'un ordre international plus équilibré.

Par ailleurs, sur le plan commercial, la création d'une vaste zone de libre-échange avec le Mercosur permettra de satisfaire les nombreux intérêts offensifs de l'Europe.

L'Union européenne est le premier partenaire commercial du Mercosur, juste devant les Etats-Unis et est le premier investisseur au Brésil et en Argentine, la France arrivant à elle seule troisième, derrière l'Union et les Etats-Unis.

Cependant, le Mercosur, malgré l'importance de son marché, ne représente, en raison de ses pratiques protectionnistes, qu'une faible part des échanges communautaires (soit en 2002, 2,4 % des importations et 1,8 % des exportations des Quinze) ; c'est pourquoi l'Europe a tout intérêt à ouvrir davantage ce marché à ses exportations. Parallèlement, elle doit impérativement unifier ce marché, en obtenant du Mercosur la libre circulation des produits qu'elle y exporte : elle peut ainsi utiliser la négociation bilatérale pour stimuler, à son avantage et à celui de son partenaire, l'intégration régionale.

En outre, le précédent du Mexique, où la part de marché de l'Union avait chuté de 17 % en 1994, date d'entrée de ce pays dans l'ALENA, à 9 % en 1999, souligne l'intérêt de ne pas se faire devancer par les Etats-Unis, même si la construction difficile de la Zone de libre-échange des Amériques ne fait pas peser encore de contrainte forte sur le rythme des négociations avec le Mercosur.

Sur le plan industriel, l'Europe possède des intérêts offensifs dans de nombreux domaines, dont dix sont jugés prioritaires par les négociateurs communautaires : l'automobile, la chimie, la pharmacie, le textile, la chaussure, les métaux non ferreux, les technologies de l'information, l'acier, le bois et le papier.

S'agissant des services commerciaux et des marchés publics, les intérêts offensifs de l'Europe, notamment dans les services financiers, les services environnementaux, les télécommunications, la distribution et la construction, se heurtent à de nombreux obstacles réglementaires ou sont victimes de l'absence d'un environnement juridique stable.

S'agissant de la protection juridique de l'investissement, qui est aujourd'hui insuffisante, l'Union européenne demande son renforcement, ce qui répond aux attentes de la France : le Brésil n'a en effet toujours pas ratifié l'accord de protection signé avec notre pays et l'Argentine a adopté des mesures contraires à son accord bilatéral, en dénonçant des contrats de gestion déléguée de services publics avec des entreprises françaises. Enfin, la protection de la propriété intellectuelle constitue un point dur pour l'Europe, les préjudices subis par cette dernière au Mercosur étant considérables : le Brésil est le deuxième marché au monde du piratage (principalement pour les disques et les vidéocassettes) ; d'autre part, les nombreuses usurpations d'appellations d'origine en Argentine pénalisent les producteurs européens, le marché de la fraude sur les seuls produits français étant estimé à 150 millions de dollars.

Quant aux intérêts défensifs de l'Union, ils concernent quelques produits agricoles sensibles, pour deux raisons principales. En premier lieu, la préférence communautaire fait que les droits de douane de la Communauté pour ces produits sont élevés, notamment dans les secteurs de l'élevage (droit moyen de 96 %), du lait et du sucre (droit moyen de 67 %). En second lieu, le Brésil et l'Argentine, qui bénéficient de coûts de production très compétitifs, figurent parmi les premiers producteurs mondiaux de produits couverts en Europe par une OCM. Le Brésil est ainsi le premier producteur et exportateur mondial de sucre, avec les coûts de production les plus bas au monde En ce qui concerne la viande bovine, le coût de production en Europe est 3,5 fois plus élevé qu'en Argentine. Ces deux facteurs expliquent que l'Union européenne soit le plus grand client agricole du Mercosur : en 2002, les importations communautaires de produits agricoles représentaient plus de la moitié des importations totales de l'Europe en provenance du Mercosur.

Le rapporteur a alors estimé que ces observations conduisent à souligner que pour être satisfaisantes, les négociations avec le Mercosur doivent impérativement trouver trois équilibres.

Le premier équilibre concerne la réciprocité de l'engagement des partenaires dans les différents domaines de la négociation, qui fait aujourd'hui défaut.

En effet, l'Europe, en cohérence avec l'ordre du jour des négociations, a déposé des offres substantielles sur l'ensemble des sujets retenus, tandis que le Mercosur fait preuve d'une « timidité » très tactique. Or, si l'Europe est prête à accepter d'un partenaire en développement un degré moindre de libéralisation, elle ne peut, en revanche, se satisfaire d'une position qui consiste à demander beaucoup dans le domaine agricole et à n'offrir rien ou très peu dans les autres domaines.

S'agissant des tarifs industriels, les offres du Mercosur qui prévoient une libéralisation qu'au bout de dix ans, y compris pour l'ensemble des secteurs pour lesquels la France a des intérêts offensifs (automobile, chimie, textile-habillement, etc) sont très décevantes. Quant aux propositions sur les barrières non tarifaires, dont l'impact est estimé à 25 % de la valeur des importations du Mercosur, elles ne répondent pas à nos attentes, car elles se contentent de reprendre les engagements souscrits à l'OMC.

S'agissant des services et des marchés publics, alors que l'Europe veut obtenir, dans le jargon communautaire, un accord « GATS plus », c'est-à-dire qui aille au-delà des engagements souscrits par le Mercosur à l'OMC, l'offre qui lui a été transmise contient très peu d'avancées : elle ne répond ni à nos demandes concernant nos intérêts offensifs ni à celles concernant la suppression des exceptions à l'application de la clause de la nation la plus favorisée. Dans certains cas, comme les secteurs de la construction au Brésil ou les services financiers pour l'Uruguay ou le Paraguay, la Commission constate même des reculs par rapport aux engagements du Mercosur à l'OMC. Enfin, les marchés publics constituent un point dur des négociations, avec un Mercosur, qui en définitive ne souhaite pas aller au-delà d'un vague renforcement de la transparence de ses procédures.

Le deuxième équilibre concerne la conciliation des intérêts agricoles des partenaires dans ce qui constitue le domaine de négociation le plus sensible pour l'Europe.

Face au potentiel de production du Mercosur, l'Europe doit se montrer prudente dans ses offres pour éviter de dilapider son patrimoine agricole. En effet, la préservation de celui-ci impose le maintien d'une protection douanière adaptée, qui ne doit pas être remise en cause par les négociations bilatérales et multilatérales. C'est tout le sens de l'engagement pris par la Commission et le Conseil à l'occasion de la réforme de la PAC décidée à Luxembourg en juin 2003 : les concessions commerciales à venir ne doivent pas aller au-delà des marges de manœuvre dégagées par cette réforme, afin de ne pas faire payer la PAC une deuxième fois, c'est-à-dire à la fin des négociations.

La Commission estime avoir respecté ce contrat en transmettant une offre comportant, en ce qui concerne les produits sensibles comme l'éthanol, la viande de haute qualité, le maïs, le blé et la volaille, trois garde-fous. Premièrement, la Commission propose d'ouvrir des contingents tarifaires, dont les montants ont été calculés en fonction des courants d'échange actuels. Deuxièmement, la Commission conditionne l'ouverture de ces contingents au respect du mécanisme dit de « la poche unique », destiné à limiter les concessions cumulées de l'Europe au titre de l'accord bilatéral, puis à l'OMC. Ce mécanisme ouvrirait à cet effet les contingents en deux étapes : premièrement, des contingents initiaux à faible volume, qui seraient ouverts dès la signature de l'accord bilatéral, deuxièmement, des contingents supplémentaires, complétant les premiers, après la fin du cycle de l'OMC, et dont le niveau dépendra du résultat du cycle. Comme ce niveau sera d'autant plus faible que les résultats du cycle seront importants, le Mercosur sera incité à ne pas pratiquer la surenchère lors des négociations à l'OMC. Enfin, la Commission rappelle que tout accord en la matière est subordonné à la reconnaissance et à la protection, par le Mercosur, des indications géographiques de l'Union.

Cependant, si la Commission estime avoir présenté une offre agricole « responsable », celle-ci suscite trois réserves. D'abord, les quotas proposés, une fois remplis, risquent de s'ajouter, et non de se substituer, aux importations actuelles de l'Europe, ce qui pourrait perturber les prix et la production communautaires. A titre d'illustration, en ce qui concerne la viande bovine, l'Europe est devenue l'an dernier un importateur net, tandis que pour le maïs l'Union à 25 sera vraisemblablement excédentaire. Ensuite, sur le plan tactique, l'Europe ne peut plus retirer son offre agricole de la table des négociations, alors qu'elle n'a pas encore obtenu de contreparties satisfaisantes sur les autres volets de l'accès au marché, ce qui ressemble fort à un désarmement unilatéral, toujours risqué en matière de négociation commerciale. A cet égard, il semblerait que la démarche de M. Pascal Lamy ait été fortement discutée au sein de la Commission, le Commissaire à l'agriculture ayant initialement défendu une approche « dure » de la négociation, qui consistait à ajuster, y compris à la baisse, le montant de l'offre agricole en fonction des propositions faites par le Mercosur dans les autres domaines de négociation. Enfin, le mécanisme de la poche unique, en établissant un lien entre les résultats du cycle et le niveau des contingents bilatéraux, peut dévoiler d'emblée les concessions maximales que l'Europe pense accorder en matière de contingents tarifaires, ce qui peut inciter les autres membres de l'OMC à durcir leurs demandes pour obtenir le même niveau de concession envisagé dans les discussions avec le Mercosur.

Le dossier de l'éthanol mérite, quant à lui, un commentaire particulier. Si la Commission n'offre pas de quota au Mercosur pour le sucre, elle propose en revanche, afin de satisfaire une revendication du Brésil, d'ouvrir un contingent d'un million de tonnes d'éthanol, qui risque, selon les professionnels, de tuer la filière communautaire. Actuellement, la production d'éthanol dans l'Union s'élève à 1,36 million de tonnes, dont seulement 0,32 million sont destinés à la carburation. Or, l'objectif d'un taux d'incorporation de 5,75 % d'éthanol dans l'essence d'ici 2010 fixé par la directive sur les biocarburants nécessiterait une production comprise entre 7 et 8 millions de tonnes, qu'il sera très difficile, selon les producteurs communautaires, de développer dans un contexte d'afflux d'éthanol brésilien à bas prix. La Commission justifie son offre en recourant à l'argument de la rentabilité future de la filière : les entreprises européennes n'accepteront d'investir dans ce secteur que si le marché atteint une taille critique, ce qui impose de l'ouvrir de manière contrôlée. Cependant, cette approche dynamique du développement de la filière ne peut réussir que si l'ouverture du marché se double d'une politique communautaire ambitieuse de soutien à la production d'éthanol, ce qui n'est pas encore le cas.

Au total, sur le volet agricole, la seule stratégie de négociation acceptable pour la France consiste à ne plus « bouger », même en fin de discussions, afin d'obtenir une proportionnalité stricte entre le niveau de son offre dans ce domaine et celui des concessions du Mercosur sur les autres sujets.

Le troisième équilibre doit être construit entre le calendrier bilatéral et le calendrier multilatéral des négociations.

S'agissant du lien entre les deux niveaux de négociation, le mandat initial donné à la Commission prévoyait que les négociations avec le Mercosur devaient être conclues après la fin du cycle de l'OMC. Puis, le Sommet UE/Amérique latine de Madrid de mai 2002 ayant spécifié que l'accord devait être conclu « aussi vite que possible », la Commission a alors fait part de son intention de boucler les négociations d'ici octobre 2004, une initiative très critiquée par la France lors du troisième sommet Europe/ Amérique latine de Guadalajara, réuni en mai dernier à Guadalajara.

Cette volonté d'aboutir rapidement sur le plan bilatéral est à mettre en parallèle avec les démarches entreprises par M. Pascal Lamy à l'OMC pour parvenir à un accord cadre sur les objectifs des négociations multilatérales d'ici fin juillet 2004. Elle témoigne du souhait du Commissaire européen en charge du commerce extérieur de quitter Bruxelles sur des résultats positifs, en mettant, semble-t-il, les « bouchées doubles », au point de compromettre l'intérêt général communautaire.

Toutefois, la Commission a été obligée de « recadrer », dès le mois de juin, sa stratégie de négociation bilatérale, en raison de la très grande faiblesse des contreparties offertes par le Mercosur : elle défend, depuis lors, une approche réaliste et rigoureuse de la négociation, centrée non pas sur le respect d'un calendrier, mais sur la substance des résultats à obtenir.

Ce « recadrage » est le bienvenu, car le risque que la Commission présente au Conseil un accord de libre-échange déséquilibré, car négocié trop rapidement, paraît ainsi définitivement écarté. Est-il pour autant suffisant et ne faut-il pas réaffirmer, comme le ministre français de l'agriculture, le principe selon lequel la négociation bilatérale doit être subordonnée aux négociations multilatérales ? Si le Conseil doit veiller effectivement à ce que la PAC ne soit pas mise à contribution pour boucler deux négociations différentes, l'Europe ne doit pas pour autant se lier les mains en cas d'enlisement prolongé du cycle de Doha et/ou d'accélération des négociations de la ZLEA, mais envisager, dans ces conditions, d'avancer sur le plan bilatéral.

En conclusion, le rapporteur a jugé que les désillusions actuellement constatées ne doivent pas masquer l'importance des enjeux : l'Europe doit impérativement compléter son réseau d'accords de libre-échange à l'heure où les Etats-Unis tentent de renforcer, avec le même type d'instruments, leur présence dans les régions émergentes et celles traditionnellement liées à l'Europe, comme le pourtour Sud de la Méditerranée et l'Afrique. L'objectif final de l'Europe n'est pas de partager la planète, mais de contribuer l'émergence d'une mondialisation maîtrisée, qui préserve, pour les pays du Nord et du Sud, un accès ouvert et équilibré à chaque grande zone.

Le rapporteur a émis le vœu que les précisions apportées permettront de rassurer les parlementaires sur la stratégie de négociation de la Commission : cette dernière ne semble plus vouloir conclure à tout prix un accord et accorde désormais à la qualité des résultats l'importance qui lui est due.

Le Président François Guillaume a souligné le caractère rassurant des derniers propos du rapporteur, mais s'est inquiété des intentions initiales de la Commission, surtout lorsqu'on les rapproche de sa proposition de réforme de l'organisation commune de marché du sucre.

M. Pierre Forgues a rappelé que la Commission n'agit que dans le cadre du mandat de négociation que lui a confié le Conseil des ministres, et qu'il ne faut donc pas lui renvoyer la responsabilité de la définition de ce mandat. Il a estimé que l'Europe devrait se stabiliser et mesurer les conséquences de l'élargissement, notamment en matière agricole, avant de conclure de nouveaux accords avec des pays tiers. L'accord projeté semble très asymétrique, et il faut être très prudent avant d'ouvrir davantage le marché européen à des denrées, comme le sucre et la viande, pour lesquelles l'Union européenne est excédentaire et les prix de production sensiblement moins élevés dans les pays du Mercosur. Dans le domaine industriel, les risques de délocalisation d'entreprises (des équipementiers automobiles, par exemple) devront également être pris en compte. Il a souhaité que les parlementaires bénéficient d'une information complète et régulière sur cette négociation.

M. Jacques Floch a également rappelé que le commissaire chargé de la négociation, M. Pascal Lamy, négocie dans le cadre de la feuille de route définie par le Conseil de l'Union. Il a souligné la concurrence que se livrent l'Europe et les Etats-Unis en vue d'accroître leurs parts de marché dans les pays du Mercosur, compte tenu du potentiel de développement de ce marché qui devrait, selon les estimations, décoller vers 2015-2020. L'Europe doit être prudente, certes, mais pas pour autant absente. La mise en place d'une filière Ethanol européenne compétitive a été entravée par l'opposition des compagnies pétrolières. Ce retard est préjudiciable, et l'ouverture du marché mondial à l'éthanol brésilien, dont ce pays a fait une priorité, entraînera une baisse importante des prix qui ne favorisera pas le développement de cette filière en Europe. Il faudrait donc d'importantes contreparties dans les domaines industriel et tertiaire. L'Union européenne n'a pas à être systématiquement mise en position de « fautive » dans ces négociations, et elle doit aussi prendre en compte l'intérêt de ses producteurs agricoles et de ses consommateurs.

Le Président François Guillaume a souligné la convergence des positions des différents intervenants, et précisé que les négociations devaient d'abord aboutir à l'Organisation mondiale du commerce, puis éventuellement aller au-delà avec le Mercosur, et non l'inverse. En ce qui concerne l'éthanol, il a estimé indispensable de conditionner l'ouverture du marché à l'obligation d'introduction d'éthanol dans l'essence. Cette introduction ne saurait être laissée à la discrétion des pétroliers, s'il l'on souhaite disposer d'un carburant moins polluant et que les objectifs fixés soient atteints.

M. Marc Laffineur, rapporteur, a apporté les éléments de réponse suivants :

- la Commission estime que l'absence d'avancées au sein de l'Organisation mondiale du commerce justifie que l'on progresse avec le Mercosur. La concurrence des Etats-Unis pour la conquête de ce marché est en effet réelle, et les négociateurs américains se sont fixés pour objectif de parvenir à un accord en 2005. L'Union doit éviter de se retrouver dans la même situation qu'avec le Mexique, sans accepter pour autant un accord déséquilibré ;

- les décisions sur le volet commercial de l'accord se prennent au niveau du Conseil, à la majorité qualifiée ;

- le caractère actuellement déséquilibré des propositions exige une grande prudence dans l'approche du calendrier des négociations avec le Mercosur ;

- d'une manière générale, les commissaires européens n'ont pas un mandat impératif, mais retiennent toutefois une conception assez large des facultés d'appréciation qui leur sont reconnues. Leur responsabilité ne peut d'ailleurs être mise en cause que dans le cadre de la procédure particulièrement lourde du vote de défiance envers la Commission ;

- s'agissant de l'éthanol, sa production à partir de la canne à sucre est moins onéreuse qu'à partir de la betterave, entre autres. Elle est également présentée comme moins polluante. Les syndicats agricoles ne sont pas hostiles à un quota d'importation d'éthanol du Brésil, dès lors qu'une filière de production est également organisée en Europe. Les craintes demeurent cependant qu'un tel mouvement commercial n'empêche sa mise en route effective.

Le Président François Guillaume a insisté sur l'importance, lors des grandes négociations commerciales internationales, d'une présence sur place des ministres concernés et de leur liaison constante avec les commissaires européens compétents.

III. Information relative à la Délégation

Le Président François Guillaume a indiqué que la Délégation publiera, sur le rapport du Président Pierre Lequiller, un rapport d'information sur la Constitution européenne adoptée le 18 juin 2004 par les chefs d'Etat et de gouvernement, précisant les principales modifications apportées par la Conférence intergouvernementale au texte de la Convention.