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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 106

Réunion du mardi 14 décembre 2004 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères

Après avoir remercié le ministre des affaires étrangères d'intervenir devant la Délégation entre la réunion d'hier du Conseil « Affaires générales - Relations extérieures » et celle du Conseil européen, les 16 et 17 décembre, le Président Pierre Lequiller a souhaité l'informer des propositions du rapport de MM. Didier Quentin et Jérôme Lambert sur la mise en œuvre du contrôle de la subsidiarité défini par le futur Traité constitutionnel.

Pour le contrôle ex ante, à effectuer dans un délai de six semaines à compter de la transmission du projet d'acte législatif européen, la Délégation désignerait deux rapporteurs, émanant de la majorité et de l'opposition, pour effectuer un tri entre les documents et lui permettre de donner un avis motivé sur certains d'entre eux. L'avis motivé serait adopté si la commission permanente compétente l'approuvait de manière expresse ou tacite. Si elle prenait une position contraire, un Président de groupe pourrait demander un débat en séance publique ou en saisir la Conférence des Présidents, hors session. Ces propositions s'efforcent d'instaurer un processus assez rapide d'examen et sont actuellement en discussion. En ce qui concerne le contrôle juridictionnel ex post de la subsidiarité, la demande de soixante députés au moins devrait être inscrite pour un vote en séance publique, aux fins de demander au Gouvernement de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'un recours en annulation d'un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité.

Au ministre demandant si une concertation était prévue avec le Sénat pour faciliter un examen précoce par les deux assemblées, M. Didier Quentin a indiqué que le Président de la Délégation du Sénat, M. Hubert Haenel, avait présenté un rapport sur les parlements nationaux dans la Constitution européenne et qu'un contact permanent entre les deux assemblées serait sans doute nécessaire pour exercer cette nouvelle mission de contrôle. Le Bureau de l'Assemblée nationale a déjà évoqué cette question. Par ailleurs, le Président de l'Assemblée nationale a exprimé son souhait de renforcer la présence administrative du Parlement français à Bruxelles.

Le ministre a jugé très important pour le Parlement français d'avoir une présence administrative permanente à Bruxelles et s'est déclaré prêt à faciliter les contacts pour que des membres de la Délégation puissent aller périodiquement à Bruxelles rencontrer les Commissaires et les services de la Commission ainsi que les députés européens ou les commissions du Parlement européen.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, a ensuite rendu compte des résultats du Conseil des ministres d'hier à Bruxelles, auquel il a participé avec Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes. Ce Conseil a examiné un certain nombre de sujets relatifs aux relations extérieures, en particulier la nouvelle donne au Proche-Orient, les relations transatlantiques et la situation au Darfour, mais son objet principal était de préparer les délibérations du prochain Conseil européen.

Le Conseil européen doit prendre des décisions très importantes sur l'élargissement de l'Union européenne. Elles seront de nature différente pour les quatre pays concernés : pour la Roumanie et la Bulgarie, il s'agit de conclure définitivement les négociations d'adhésion déjà ouvertes, de prévoir la signature d'un Traité d'adhésion et de définir les modalités du suivi des efforts d'adaptation requis de ces pays jusqu'à leur entrée effective dans l'Union ; pour la Croatie et la Turquie, il s'agit de prendre une décision sur l'ouverture de négociations d'adhésion et d'en fixer les modalités.

La Roumanie et la Bulgarie font partie du processus d'élargissement initié en 1997 et l'objectif de l'Union européenne est de les accueillir comme membres le 1er janvier 2007 « s'ils sont prêts ».

Le Conseil européen prendra acte que la Bulgarie a terminé ses négociations d'adhésion avec l'Union européenne et considérera que ce pays sera prêt à adhérer au 1er janvier 2007. La fin de la négociation avec la Roumanie, ces derniers jours, des deux chapitres « Justice et Affaires intérieures » et « Concurrence » permet de clore les négociations. Il faudra cependant s'assurer que le résultat de la négociation n'est pas remis en question par le nouveau président roumain, M. Basescu, dont l'élection dimanche dernier entraîne une alternance à la tête de l'Etat roumain. S'il ne rouvre pas le processus, le Conseil européen constatera que la Roumanie pourra adhérer le 1er janvier 2007. Dès lors, la Roumanie et la Bulgarie signeront un Traité d'adhésion commun.

Un suivi précis des obligations de la Bulgarie et de la Roumanie au titre de l'adhésion devrait être décidé, notamment :

- pour la Bulgarie, dans le domaine « Justice et Affaires intérieures », car beaucoup reste à faire pour améliorer l'administration et la procédure judiciaire ;

- pour la Roumanie, dans le domaine de la « Justice et Affaires intérieures », compte tenu des problèmes de corruption et de crime organisé dans le domaine de la concurrence pour le contrôle des aides d'Etat et dans le domaine de l'environnement où la transposition, mais surtout la mise en œuvre de la législation européenne, laissent encore à désirer.

Pour les deux pays, des « clauses de sauvegarde » s'appliqueront, en cas de difficulté persistante, et pourraient aboutir à reporter d'un an l'adhésion. La Roumanie et la Bulgarie sont donc « sous surveillance ».

La Croatie est le dernier arrivé auquel le Conseil européen de juin dernier a reconnu le statut de pays candidat et avec lequel il a décidé d'ouvrir les négociations au début de l'année 2005. Le Conseil européen de décembre doit préciser cet engagement. Les négociations d'adhésion devraient débuter au mois de mars ou d'avril 2005. La nécessaire coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie est un point dur qui sera souligné et exigera des efforts notamment pour livrer à la justice internationale le général Gotovina, criminel de guerre.

La Croatie est un cas intéressant. En effet, mise à part la Slovénie, c'est l'un des protagonistes du conflit en ex-Yougoslavie qui a désormais choisi la voie du dialogue avec ses voisins. L'apaisement de toute l'instabilité dans la zone est un test de la crédibilité de l'Union européenne. La France a une vraie parole et une vraie écoute dans cette région. La Croatie a basculé définitivement du bon côté. Son exemple constitue un signe pour les autres pays des Balkans occidentaux. La Serbie-et-Monténégro est un pays-clé de la région ; il est sur le fil du rasoir et doit tomber du bon côté. Il faut par ailleurs porter une extrême attention au Kosovo. Mais il est certain que l'évolution positive de la Croatie peut être un stimulant pour le processus de stabilisation de toute la région.

L'intégration de la Turquie dans le projet européen représente un défi dont la Délégation a pu mesurer la réalité lors de sa mission du 13 au 17 septembre. Le Conseil européen prendra cette semaine la décision cruciale d'ouvrir, ou non, les négociations d'adhésion avec la Turquie, après un processus historique qu'il n'est pas inutile de rappeler.

Le dialogue politique avec la Turquie et la reconnaissance de la vocation européenne de ce pays ont débuté en 1963, sous l'impulsion du Général de Gaulle et du Chancelier Adenauer, avec la conclusion d'un accord d'association entre la CEE et la Turquie, dans lequel il est fait référence à une perspective d'adhésion. Jamais, ensuite, ce dialogue n'a été interrompu et il s'est renforcé, au contraire, par la conclusion d'une Union douanière, en 1995.

En décembre 1999, le Conseil européen d'Helsinki a reconnu à la Turquie le statut de pays candidat à l'adhésion. En décembre 2002, le Conseil européen de Copenhague a décidé que « si en décembre 2004, le Conseil européen décide, sur la base d'un rapport et d'une recommandation de la Commission, que la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague, l'Union européenne ouvrira sans délai des négociations d'adhésion avec ce pays ».

En octobre dernier, la Commission a souligné dans son rapport que la Turquie satisfaisait suffisamment aux critères politiques et a recommandé l'ouverture de négociations d'adhésion. Elle a également suggéré un certain nombre d'orientations pour encadrer les négociations :

- caractère singulier de l'adhésion turque, compte tenu des effets conjugués de la superficie, de la population, de sa situation géographique, de son potentiel militaire et économique ;

- nécessité que la Turquie se transforme encore profondément avant de pouvoir adhérer à l'Union européenne ;

- par conséquent, les négociations dureront « beaucoup de temps » et leur clôture n'interviendra pas avant 2014 ; leur issue est un processus ouvert dont les résultats ne peuvent être garantis à l'avance ;

- ces négociations se tiendront dans le cadre d'une conférence intergouvernementale où les décisions requièrent l'unanimité, c'est-à-dire impliquent un droit de veto pour chacun des vingt-cinq Etats membres ;

- des « clauses de sauvegarde » et des périodes de transition longues seront proposées. Pour certains domaines, comme la libre-circulation des personnes, les « clauses de sauvegarde » pourraient être permanentes ;

- la négociation des chapitres se fera l'un après l'autre, en s'assurant que chaque chapitre est bien intégré avant de démarrer la négociation d'un nouveau chapitre, conférant au processus une progressivité qui n'existait pas lors des précédentes négociations.

Il revient maintenant aux Etats membres de prendre la décision d'ouvrir ou non les négociations lors du Conseil européen du 17 décembre. Cette décision sera l'aboutissement du processus de dialogue entamé voici 40 ans avec Ankara. Ce sera aussi un commencement, car ouvrir les négociations d'adhésion n'est pas aller inéluctablement à l'adhésion, contrairement à ce qu'on entend beaucoup. Le processus sera ouvert et rien ne garantit que les discussions pourront aller jusqu'à leur terme.

Le projet de conclusions qui sera soumis au Conseil européen indiquera d'abord si le Conseil européen décide d'ouvrir les négociations d'adhésion. Pour la France, le Président de la République et le Gouvernement, la réponse à cette question sera positive. Nous voulons entamer des négociations d'adhésion, parce que nous faisons de cette adhésion notre objectif. Cette décision sera directement soumise aux chefs d'Etat et de gouvernement et rien n'a été acté lors du Conseil d'hier.

Il précisera une date pour l'ouverture des négociations. La France souhaite que cette date soit fin 2005 ou début 2006 , en tout cas pas avant le deuxième semestre 2005. Là aussi, les chefs d'Etat seront directement saisis.

Le Conseil européen donnera un cadre général aux négociations, en s'inspirant largement des recommandations de la Commission, pour : l'ouverture et la fermeture des chapitres ; des périodes de transition qui seront « longues » ; des « clauses de sauvegarde » temporaires ou permanentes qui « pourront être envisagées » ; la possibilité pour l'Union européenne ou la Turquie d'interrompre ou de suspendre les négociations tout au long du processus. Ce ne serait pas la première fois qu'on prévoirait cette possibilité, qui a été utilisée lors des négociations d'adhésion avec le Royaume-Uni, interrompues par la Commission le lendemain de la demande du Général de Gaulle, puis reprises pour aboutir à l'adhésion de ce pays, approuvée en France par référendum.

Le Conseil européen sera également directement saisi de la question de l'issue des négociations, en s'inspirant de la formulation de la Commission selon laquelle l'issue de la négociation est un processus ouvert dont les résultats ne peuvent être garantis à l'avance.

La possibilité d'une mention d'autre chose que l'adhésion, que nous souhaitons, peut faire partie de cette réflexion : elle n'est pas, aujourd'hui, acceptable par tous. Pourtant, elle constitue une réalité : on ne peut pas exclure que les négociations n'aboutissent pas, et ceci peut se produire à tout moment de la négociation.

En particulier, il faut garder présent à l'esprit l'hypothèse où la Turquie elle-même ne pourrait ou ne voudrait pas remplir toutes les obligations imposées par les Traités. Il serait donc utile de le mentionner ; la France le souhaite, en soulignant sa volonté, dans ce cas, de maintenir des liens forts entre l'Union européenne et la Turquie. Ce lien ne serait pas qualifié. Le souhait de la France et du Président de la République est qu'on réussisse cette adhésion utile aux deux parties. Mais, pour beaucoup de nos partenaires, ce traitement singularise trop la Turquie par rapport à d'autres candidats. La France est néanmoins très active avec la ferme volonté d'obtenir une phrase sur ce point.

Enfin, le Conseil européen précisera dans ses conclusions que la Turquie doit améliorer ses relations avec ses voisins, c'est-à-dire les pays de l'Union européenne comme les autres.

Chypre est la première concernée, puisque la Turquie ne reconnaît pas cet Etat membre. Juridiquement, il est possible d'ouvrir la négociation avec la Turquie sans avoir cette reconnaissance et Chypre, comme la Grèce, n'en font pas une condition préalable ; mais politiquement et moralement, cette situation ne saurait perdurer. Une normalisation devra intervenir durant les négociations.

Cette phrase s'applique aussi, dans notre esprit, à l'Arménie, voisin de la Turquie avec laquelle la frontière est fermée. Dans le cadre du processus à venir, il faudra que la Turquie opère un travail de mémoire et de réconciliation avec elle-même et ses voisins, qui doit l'amener, le moment venu, à reconnaître la tragédie subie en 1915 par les Arméniens. Cette reconnaissance importe beaucoup à notre pays et à d'autres également, comme l'a souligné la présidence néerlandaise de l'Union lors du Conseil. Ce n'est pas une condition préalable parce que ce n'est pas juridiquement possible, mais c'est une question.

Au total, sur la Turquie, des jalons importants ont été posés sur les aspects techniques des négociations : chaque étape devrait être étroitement encadrée comme le propose la Commission et comme le veut notre pays. Ont été aussi clairement posés les termes du débat que tranchera le Conseil européen. Il y a fondamentalement un consensus pour ouvrir les négociations, mais :

- la France attend beaucoup de ces négociations en termes d'évolution de la Turquie et de réconciliation avec son histoire et ses voisins ;

- ces négociations seront longues, elles seront à chaque étape régies par l'unanimité et notre pays conservera donc sa liberté d'action tout au long de la négociation ;

- certains aspects déterminants restent à décider, comme la date de début des négociations et l'issue de ce processus. L'adhésion est l'objectif, mais, selon nous, il faut prévoir tous les cas de figure.

Enfin, et dans tous les cas, le peuple français sera le juge ultime de l'adhésion turque. Si les négociations se concluent, le traité d'adhésion sera soumis au référendum, comme cela a été le cas pour le Royaume-Uni en 1972. Ce sont donc les Français qui décideront au terme du processus de l'adhésion, ou non, de la Turquie.

A ceux qui s'opposent à l'ouverture des négociations, il faut également dire que l'Union européenne n'obtiendra pas de réponses aux questions qui se posent et qu'elle ne fera pas bouger les lignes si elle n'ouvre pas les négociations, alors que la force du projet européen est de fabriquer ensemble du progrès et de la stabilité plutôt que d'entretenir les haines.

Le Conseil d'hier à Bruxelles a également préparé les conclusions du Conseil européen sur les perspectives financières. Elles fixeront quelques principes pour la négociation, notamment sur la partie dépenses, en particulier le maintien du plafond de ressources à 1,24 % du PNB communautaire et une bonne discipline budgétaire.

Ces conclusions conviennent à la France, qui a signé avec les Pays-Bas la lettre des six, et qui rappelle à chaque occasion l'accord d'octobre 2002 concernant la PAC, qui doit être intégralement repris dans les futures perspectives financières. Il faut noter également que les pays de la cohésion ont demandé que des références à cette politique soient ajoutées aux conclusions du Conseil européen.

Enfin, la présidence souhaite que le Conseil européen prenne note des propositions de la Commission sur la partie « ressources » du budget, y compris la proposition d'un mécanisme de correction généralisée des soldes nets, que la France, comme de très nombreux Etats membres, récuse. Nous avons donc demandé qu'une telle mention, qui n'est de toute façon pas engageante pour le Conseil européen, soit assortie d'une formule faisant état des fortes réticences de nombreux Etats sur ce mécanisme. Il faudra de toute façon poser la question du chèque britannique qui est de plus en plus anachronique.

Enfin, les conclusions demanderont à la future présidence luxembourgeoise de parvenir à un accord politique sur les perspectives financières à la fin du premier semestre 2005. Ce défi est très ambitieux.

Au Conseil « Affaires générales », s'agissant de la relation entre l'Union européenne et la Chine, la France plaide depuis plusieurs mois pour une levée de l'embargo sur les armes à destination de la Chine qui ne correspond pas à la volonté d'instaurer un partenariat politique et stratégique entre l'Europe et cette grande puissance en devenir.

Le Conseil a fait des progrès dans le sens d'une levée de l'embargo, qui doit se faire dans un contexte très encadré et s'accompagner de la mise en œuvre des contrôles qui existent déjà au sein de l'Union, sur les exportations de matériels sensibles et d'armes. Il est possible de prévoir des mesures spécifiques pour limiter les ventes d'armes dans les premiers temps de la levée de l'embargo. La France est favorable à ces mesures car son objectif, dans cette levée d'embargo, est stratégique et non commercial. Elle plaidera de nouveau au Conseil européen pour un engagement précis en matière de levée de cet embargo.

L'Ukraine est à nouveau sur les rails de la démocratie, avec le nouveau second tour de l'élection présidentielle, le 26 décembre. Ce qui était en jeu depuis le début était que la voix du peuple ukrainien soit respectée. Le sens des responsabilités des Ukrainiens a permis d'éviter toute forme de violence et tout risque de division du pays. Les institutions ukrainiennes elles-mêmes ont trouvé la solution grâce à un accord non imposé, mais choisi. La médiation de l'Union européenne a permis de rétablir la confiance entre les parties pour faciliter cet accord et représente un succès pour la diplomatie européenne.

La France apportera sa contribution financière (300 000 euros) à l'observation de ce nouveau tour des présidentielles, et enverra une centaine d'observateurs au sein de la mission de l'OSCE. Elle donnera son appui à un dialogue constructif de l'Union européenne avec les futures autorités ukrainiennes.

Le dialogue doit viser à poursuivre et, si nécessaire, renforcer le partenariat existant avec l'Ukraine, dans le cadre de la « politique de voisinage » souhaitée par l'Union.

Il faut tenir compte de la Russie dans cette zone et de ses intérêts.

Enfin, une réunion sur l'Iran a eu lieu hier, en marge du Conseil « Affaires générales » entre les trois Européens, M. Javier Solana et le Docteur Rohani, Secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale. Sur ce dossier, lourd d'une crise particulièrement majeure, c'est l'Europe qui agit. Personne ne peut dire où pourrait aller un tel processus et l'Europe a choisi le dialogue politique plutôt que la dramatisation ou même la guerre. Cette rencontre faisait suite à l'accord de Paris du 15 novembre. L'Iran a désormais suspendu l'ensemble de ses activités liées à l'enrichissement et au retraitement. L'AIEA a confirmé cette suspension. Une première étape-clé a donc été franchie.

L'accord est cependant encore très fragile et il faudra vérifier que les Iraniens acceptent de renoncer définitivement à ces activités. Il doit donc être consolidé par un arrangement plus général offrant des contreparties en échange de cette renonciation définitive contrôlée par l'AIEA.

La réunion d'hier a eu pour objet de lancer les négociations d'un arrangement de long terme, comportant un volet nucléaire, un volet économique et de coopération et un volet politique et de sécurité. Cet arrangement devra donner les garanties objectives de la finalité exclusivement civile du programme nucléaire iranien. Il est essentiel d'engager ce pays dans une démarche constructive et responsable.

A l'issue de l'exposé du ministre, un débat s'est engagé.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le ministre pour la qualité de son propos, au cours duquel il a évoqué, avec sa vision européenne, l'ensemble des sujets à l'ordre du jour du prochain Conseil européen. S'agissant plus particulièrement des négociations d'adhésion avec la Roumanie, il a rappelé que la position émise en mars 2004 par la Délégation pour l'Union européenne avait pris la forme d'un accord conditionnel, en raison de lacunes persistantes. En ce qui concerne la Turquie, il a souligné l'importance de prévoir une seconde option - celle d'un partenariat privilégié - afin de déconnecter ce débat de celui sur la ratification du traité constitutionnel.

Mme Elisabeth Guigou a rappelé les conditions posées par la Commission pour l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie et a estimé qu'il ne fallait pas s'opposer à leur ouverture, ni préjuger de leur résultat. Ces négociations seront longues - au moins dix ans - et cette durée doit être mise à profit pour désamorcer un sentiment d'anxiété et de peur aujourd'hui bien compréhensible au regard des problèmes liés à la torture, aux droits des femmes et à la situation économique, même si sur ce dernier point, les difficultés se résorberont probablement avec le temps. S'exprimant ensuite sur la situation en Ukraine, elle a déclaré que M. Javier Solana avait porté la présence de l'Europe, même si la politique étrangère de l'Union est encore loin d'être une réalité. Elle a alors interrogé le ministre sur les perspectives politiques de ce pays après l'élection présidentielle du 26 décembre, et plus précisément sur l'éventualité et l'opportunité, à terme, d'une adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.

M. Christian Philip a souhaité que les conclusions du prochain Conseil européen prévoient que la Turquie s'engage à normaliser ses relations avec Chypre, tant il est inconcevable qu'un pays candidat puisse ne pas reconnaître un pays membre d'une Union à laquelle il souhaite appartenir. Cette question ne doit pas être laissée à la fin des négociations d'adhésion, mais au contraire en constituer la première étape. Puis il a évoqué le rôle de l'Union européenne au Proche-Orient, alors qu'il existe une fenêtre d'opportunité avec la constitution d'un nouveau gouvernement en Israël et l'organisation d'élections le 9 janvier prochain en Palestine. L'Europe peut contribuer au processus de paix et doit mettre à profit ses bonnes relations nouées au fil du temps avec les Palestiniens pour œuvrer à l'édification d'un Etat de droit, condition préalable posée par les Israéliens à toute relance des négociations.

Mme Anne-Marie Comparini a souligné l'enjeu pour l'Europe de définir une véritable de stratégie de voisinage face aux conflits, réels ou potentiels, qui existent à ses frontières. Elle a ensuite interrogé le ministre sur les conséquences budgétaires de l'élargissement, alors que le soutien à la croissance nécessite de mener des politiques ambitieuses notamment dans le secteur de la recherche. Elle a ainsi demandé au ministre comment la France entendait concilier le respect des priorités fixées dans le cadre de la stratégie de Lisbonne (et récemment rappelées par le rapport Kok, d'une façon parfois excessive) avec le plafonnement du budget de l'Union à 1 % du revenu national brut.

M. Jérôme Lambert a déclaré à propos de l'Ukraine que si la Russie ne devait pas « perdre la face », cela ne devait en aucun cas se faire au détriment de la démocratie. S'exprimant sur la Turquie, il a noté que le Président de la République souhaitait personnellement l'aboutissement du processus d'adhésion, mais que la France - soutenue par l'Autriche - défendait aussi la perspective d'un partenariat privilégié en cas d'échec des négociations d'adhésion. Il a souhaité savoir si la position française était isolée au sein du Conseil européen et si le traité constitutionnel prévoyait un régime juridique pour un tel partenariat. Evoquant ensuite le projet d'inscrire dans la Constitution française l'obligation de soumettre tout futur élargissement à référendum, il a fait état de déclarations diverses selon lesquelles la Bulgarie et la Roumanie ne seraient pas concernées par cette disposition. Il a alors demandé au ministre quel artifice juridique pouvait rendre possible une telle dérogation.

M. Marc Laffineur a souhaité connaître le sentiment du ministre sur la vision européenne du nouveau Président de la République de Roumanie. S'agissant des perspectives financières, il a considéré que les propositions de la Commission se traduisent par un volume de crédits excessif, car celle-ci a choisi d'empiler les politiques, ajoutant des nouvelles aux anciennes.

Il a jugé, dans ces conditions, que la France a eu raison de remettre en cause les orientations de la Commission. Il a estimé, à cet égard, que les discussions sur les perspectives financières déboucheront sur un plafond de ressources propres proche des 1 % du RNB communautaire proposé par la France.

M. Marc Laffineur a alors interrogé le ministre sur les pistes qui permettraient de dégager des économies budgétaires, tout en accroissant l'efficacité des politiques communautaires. En ce qui concerne le domaine de la recherche, certains Etats membres restent encore trop attachés à une conception nationale des politiques à mener, alors que la mise en commun des efforts des uns et des autres est nécessaire. Par ailleurs, il serait opportun d'inclure dans la politique régionale le financement des actions de recherche et développement, en s'appuyant sur des appels à projets.

M. Didier Quentin a d'abord évoqué les perspectives d'évolution des fonds structurels dans le contexte de la maîtrise budgétaire. Rappelant que son articulation avec l'élargissement n'était pas toujours bien comprise, il s'est interrogé sur le contenu d'une politique régionale idéale qui préserverait l'attractivité de l'Europe, avant de demander des précisions sur le projet des autoroutes de la mer et sur l'état du débat quant à un éventuel lien entre le volume des fonds structurels dévolu à un Etat membre et ses efforts en matières fiscale et sociale.

Il a ensuite souhaité connaître les développements des relations avec la Chine ainsi que, par ailleurs, les dispositions prévues pour la libre circulation des travailleurs avec la Roumanie, notamment les tsiganes. En ce qui concerne la Turquie également, cette question soulève de nombreux fantasmes.

Après avoir relevé que la plupart des exigences posées par le projet de conclusions du Conseil européen sur l'ouverture des négociations avec la Turquie correspondaient aux préoccupations de l'opinion publique, M. Daniel Garrigue a souligné l'intérêt pour chaque Etat membre de disposer d'un droit de veto. D'une part, cette mesure rejoint l'idée du Président de la République de soumettre à référendum, dans le futur, l'adhésion de cet Etat à l'Union. D'autre part, la position de certains autres Etats membres pourrait évoluer à l'avenir, notamment en cas de changement de majorité politique.

Il s'est toutefois interrogé sur la faculté d'user en pratique de ce droit, compte tenu du risque de crise politique entre l'Etat membre concerné et ses partenaires. Il aurait été ainsi opportun de se poser dès maintenant la question des frontières de l'Europe, laquelle a malheureusement été laissée à l'écart. Un débat préalable aurait été souhaitable.

Evoquant enfin le Proche-Orient, M. Daniel Garrigue a demandé des précisions sur les perspectives d'évolution de la Cisjordanie, après le retrait israélien de la bande de Gaza.

M. Jean-Pierre Abelin a indiqué ne pas partager l'optimisme ambiant et craindre les effets d'un télescopage entre la question de l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie et le référendum constitutionnel. Tant le référendum de 1972 que celui sur le traité de Maastricht, où une courte majorité s'est dégagée alors que les perspectives d'adoption étaient excellentes quelques mois auparavant, constituent des précédents qui invitent à la réflexion. L'opinion ne fait peut-être pas la distinction entre l'ouverture des négociations et l'adhésion. Le Royaume-Uni, avec lequel les négociations ont été interrompues, est entré, en définitive, dans la Communauté européenne. Il n'y a aucun exemple en sens contraire. La date d'ouverture des négociations est donc un élément essentiel du calendrier. De même, il est décisif, pour séparer les deux questions, de préciser explicitement les autres possibilités offertes à la Turquie en cas d'échec des négociations.

L'un des arguments généralement opposés à l'entrée de la Turquie est son impact budgétaire, puisque le PIB et le revenu moyen par tête y sont très faibles. Il est donc paradoxal que les Etats membres les plus favorables à cette adhésion souhaitent un plafonnement du budget à 1 % du PIB. Les volontés affichées de maintenir la politique agricole et la politique régionale, de développer une politique technologique et d'intégrer la Turquie ne manquent-elles pas de cohérence ?

M. Guy Lengagne s'est félicité de ce que les engagements de la France soient tenus, avant de rappeler que dans un récent article, un ancien ministre des finances de la Turquie, M. Kemal Dervis, avait indiqué que son pays ne s'attendait pas à bénéficier des mêmes enveloppes que celles qui ont été attribuées aux autres Etats. Il a ensuite estimé qu'un partenariat privilégié devait être envisagé, mais uniquement dans l'hypothèse d'un échec des négociations, et qu'il convenait de rester ferme sur ce point. En ce qui concerne le génocide arménien, reconnu par la France, il s'est demandé si les réticences de la Turquie ne provenaient pas de la crainte d'ouvrir « une boîte de Pandore », après quatre générations, ainsi que d'éventuelles demandes d'indemnisation, toujours difficiles.

M. Pierre Forgues a souhaité connaître les secteurs pour lesquels les crédits communautaires pourraient faire l'objet, à l'avenir, d'une utilisation plus efficace, estimant que pour les fonds structurels, les trois objectifs et la poursuite des actions transfrontalières semblaient aller dans le sens de la continuité des actions actuelles.

En ce qui concerne la Turquie, il s'est associé aux observations de M. Guy Lengagne, jugeant que la France devait honorer ses engagements, annoncés depuis quarante ans, en l'absence d'élément nouveau conduisant à les reconsidérer.

Le ministre a apporté les éléments de réponse suivants :

- en ce qui concerne la date effective d'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie, la France souhaite que celle-ci soit fixée à la fin 2005 ou au début 2006. Outre les raisons politiques qui le justifient, un tel délai a, de plus, une réelle utilité pour la Commission, qui doit, en effet, disposer de suffisamment de temps pour commencer un « screening », c'est-à-dire un balayage, des différents chapitres de négociation. Quant aux motifs politiques, ce délai permet d'éviter un télescopage de la question turque avec le référendum sur le Traité constitutionnel ;

- en ce qui concerne la situation en Ukraine, l'organisation d'un nouveau deuxième tour des élections présidentielles doit être saluée. Tous les Etats européens, au travers de l'OSCE, apportent une contribution à l'organisation de cette échéance, la France ayant décidé, de son côté, d'affecter 300 000 euros à la surveillance des opérations. Une surveillance internationale sérieuse des consultations électorales constitue une vraie garantie de transparence ;

- s'agissant de l'avenir européen de l'Ukraine, le chef de l'opposition a déclaré qu'en cas de victoire, son pays envisagerait la perspective d'une adhésion. Les autorités françaises considèrent, pour leur part, qu'il faut avancer de manière progressive dans ce domaine, même si le Président de la Russie semble ouvert à une telle éventualité. Toute fuite en avant, qui empêcherait de stabiliser les frontières de l'Union, serait en effet dangereuse. L'Union doit se féliciter que la démocratie n'ait pas perdu la face en Ukraine, mais sa réponse à cette nouvelle espérance doit s'appuyer sur la future politique de voisinage. La Commission réfléchit en ce moment même aux contours de cette approche, qui comportera sans doute un dialogue politique, une coopération économique et le versement d'aides ;

- en ce qui concerne la question chypriote, chaque Etat membre de l'Union, y compris Chypre, pourra exercer un droit de veto dans les négociations d'adhésion avec la Turquie. On peut donc considérer que ce processus exercera une réelle pression sur la Turquie, qui sera ainsi amenée à accomplir, progressivement, un effort de normalisation de ses relations avec Chypre. Ce dernier pourra d'ailleurs revêtir des formes variées, par exemple un début de retrait des troupes turques de la partie Nord. Par ailleurs, le règlement de la partition de cette île passe par le développement économique de la zone Nord, plus pauvre que la partie sud. Chypre a demandé d'être reconnue par la Turquie d'ici la fin de l'année 2005 ;

- le Conseil européen abordera la nouvelle donne au Proche-Orient. La relance du de processus de paix israélo-palestinien constituera le test majeur de la nouvelle relation transatlantique qu'appellent de leurs vœux Américains et Européens. La France est prête à faire preuve de bonne volonté dans ce domaine, mais à la condition que l'alliance avec les Etats-Unis, qui doit prendre un nouveau départ, ne signifie pas simplement une allégeance à Washington. Par ailleurs, le redémarrage du processus de paix ne pourra se faire que si les Etats-Unis et l'Union européenne rapprochent leurs positions, afin qu'en pesant de tout leur poids, ils fassent pression sur les deux parties, en vue de la négociation d'un compromis final. Mais pour cela, l'Union doit parler d'une seule voix : c'est à cette condition qu'elle sera respectée par les Palestiniens et les Israéliens et qu'elle pourra jouer un rôle actif dans le processus de paix. S'agissant du retrait de la bande de Gaza, M. Javier Solana réfléchit à la définition d'un plan d'accompagnement de ce retrait, comprenant plusieurs volets, comme l'ouverture de l'aéroport de Gaza et le traitement des frontières dites de « Philadelphie » avec l'Egypte. Enfin, l'Union européenne est prête à apporter sa contribution à la tenue des élections palestiniennes. L'organisation prochaine des élections générales, puis municipales, constitue également une étape importante de la démocratisation des structures politiques de la Palestine. Au total, tous ces éléments concourent à l'ouverture d'une nouvelle fenêtre d'opportunité pour la relance du processus de paix, sur la base de la feuille de route, qui reste le seul document accepté par toutes les parties intéressées ;

- en ce qui concerne la stratégie de Lisbonne, celle-ci est un outil au service de la croissance et de l'innovation, tout comme le budget européen. Il est vrai que la stratégie de Lisbonne est restée, à bien des égards, à l'état de vœu pieux, mais le nouveau Président de la Commission européenne a souhaité lui donner un second souffle. Quant au budget, la France propose de limiter les dépenses à 1 % du RNB communautaire, tandis que la Commission propose 1,11 %. Le volume du budget est un sujet de débat important, mais la réflexion qui s'engage sur les perspectives financières doit aussi s'attacher à définir les objectifs ultimes des crédits européens. A cet égard, la Commission a proposé de conférer plus de qualité et de valeur ajoutée aux différentes politiques : il s'agit « de faire plus d'Internet et moins d'autoroutes ». Ce doit être l'ambition des Européens pour l'après 2006 ;

- en ce qui concerne le partenariat privilégié avec la Turquie, la France adoptera une attitude responsable au Conseil européen, qui consiste à ne pas provoquer de crise. Sa démarche, toutefois, ne doit pas être considérée comme étant celle d'un acteur isolé dans l'Union. Quant au contenu de cette option, il convient de rappeler que le Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe a été le premier à avancer une solution alternative dans le projet de Traité constitutionnel. De son côté, la Commission devra faire des propositions pour définir, de manière précise, ce qu'implique un partenariat privilégié. Cet exercice est le bienvenu, car si la Turquie adhère en fin de compte à l'Union, d'autres pays proches, comme le Maroc, pourraient bénéficier de la formule du partenariat ;

- s'agissant des référendums relatifs aux nouvelles adhésions prévus par le projet de révision constitutionnelle, ce dernier précise qu'ils n'auront lieu que pour les adhésions intervenant après celles pour lesquelles une décision d'ouverture des négociations a déjà été prise au 1er juillet 2004. Cela signifie que la Bulgarie, la Roumanie, ainsi que la Croatie, ne seront pas concernées par cette disposition ;

- le Président de la République de Roumanie, M. Traian Basescu, est un nouveau venu sur la scène internationale, mais il apparaît déjà comme un Européen convaincu qui saura accepter les conclusions du Conseil européen. Il conviendra d'étudier les raisons qui le conduisent à demander que certains chapitres des négociations d'entrée dans l'Union européenne soient réouverts, notamment le chapitre de l'énergie. La situation politique sur place est au demeurant loin d'être stabilisée, puisque le centre gauche conserve la majorité au Parlement et que la constitution du nouveau gouvernement s'annonce difficile. Les difficultés internes comme la remarquable diffusion du français dans le pays sont autant de raisons de lui apporter le soutien nécessaire. L'adhésion à l'Union européenne trace pour lui la voie du changement, parce qu'elle l'amènera à se réformer, ne serait-ce que pour gérer les fonds européens ;

- les discussions budgétaires s'annoncent difficiles, du fait que la politique agricole commune et les fonds structurels représentent deux masses considérables qui laissent peu de marge de manœuvre pour les autres politiques. L'accord de Bruxelles, obtenu à la suite de négociations difficiles, garantit que les dépenses agricoles seront maintenues jusqu'en 2013. Elles représenteront donc toujours environ 45 % du budget européen, ce à quoi la France, mais aussi l'Espagne ou l'Italie sont très attachées. Les fonds structurels pourraient d'autre part représenter près de 40 % du budget européen : quatre cinquièmes iraient à l'objectif de cohésion, dont ne bénéficient en France que les départements d'outre-mer, le reste allant au soutien de la compétitivité régionale et à la coopération transfrontalière. Cette clef de répartition est conçue pour pouvoir être conservée même si les fonds structurels sont globalement réduits, ce que la garantie des dépenses agricoles pourrait rendre nécessaire ;

- l'argent européen peut être encore mieux dépensé dans tous les secteurs. La politique agricole commune en donne l'exemple, puisqu'elle s'est redéployée au cours des années pour évoluer du soutien à la production vers la protection des sols, de l'environnement, du bien-être animal et de l'équilibre des territoires. Alors que les aides directes à l'exportation sont à peu près toutes supprimées, il n'est plus possible de laisser dire que la politique agricole, prétendument archaïque, ne serait maintenue que pour servir des intérêts français égoïstes. Elle trace tout au contraire la voie de l'avenir et de la modernité, en luttant contre l'afflux de la population dans les villes, et en permettant l'entretien des paysages, outre notre indépendance alimentaire ;

- la politique régionale peut également être améliorée. Selon les propositions de la Commission, ce nouvel Objectif 1 mettrait davantage l'accent sur la santé et sur l'éducation que sur les autoroutes et la construction d'infrastructures lourdes ; l'objectif 2 serait tout entier consacré à cet effort de qualité et permettra par exemple de multiplier les échanges universitaires de part et d'autre des Pyrénées. Les fonds structurels pourraient également servir à financer le projet des autoroutes de la mer, voies écologiques par excellence, qui peuvent recevoir au demeurant un soutien budgétaire propre en tant que réseau transeuropéen ;

- des « clauses de sauvegarde » permettent déjà de limiter de manière temporaire la libre-circulation des travailleurs au sein de l'Europe élargie ; en cas d'entrée de la Turquie, les mêmes instruments pourraient encore servir à réguler les flux. En face de cette question, l'Union européenne doit avoir pour ambition de supprimer les causes d'une émigration qui arrache les individus à leur terre d'origine. L'exemple de l'Espagne et de l'Italie prouve que cette solution saura s'imposer avec le temps ;

- pour les Roms, des crédits de préadhésion ont servi à améliorer leur niveau d'instruction et leur intégration à la société où ils se trouvent, mais il reste sans aucun doute beaucoup de chemin à parcourir ;

- l'ancien Ministre d'Etat, ministre des Finances avait proposé que les Etats ne puissent pas recevoir de fonds structurels s'ils n'imposent pas un minimum de fiscalité aux entreprises. Les fonds européens ne faisant que compléter les subventions nationales, ils ne peuvent cependant être versés que si une fiscalité minimale existe. Cela étant, il faut veiller à ne pas encourager une concurrence fiscale déloyale au sein de l'Union européenne, car les fonds structurels ne peuvent servir indirectement à fermer des usines. Si la Commission devait ne pas être assez vigilante sur le sujet, le Conseil réparerait cet oubli ;

- l'adhésion éventuelle de la Turquie pose la question de l'identité du projet européen, projet sans doute essentiellement continental, par rapport auquel la Turquie constitue précisément un cas particulier. Toute la question est de savoir si cet Etat, placé à la frontière de l'Union, en sera la frontière interne ou externe. Or il apparaît risqué de le laisser à l'extérieur parce que, n'étant pas un pays arabe, il constitue une catégorie à lui seul dans la région. Sans arrimage à l'Union européenne, il resterait exposé au danger de l'islamisme et pourrait devenir un jour un élément très instable aux frontières ;

- en Palestine, les efforts d'Ariel Sharon pour évacuer Gaza doivent être soutenus, même si la feuille de route implique que les Israéliens aillent plus loin et se retirent également de Cisjordanie ;

- il n'est pas raisonnable de mêler l'adhésion de la Turquie aux discussions budgétaires actuelles, puisqu'elle ne pourra entrer au plus tôt qu'en 2014 et que les politiques et le budget de l'Union ne seront plus à cette date les mêmes qu'aujourd'hui. On peut espérer que l'Union aura en effet absorbé d'ici là le choc de l'élargissement actuel, grâce au niveau d'instruction particulièrement élevé dans les nouveaux Etats membres.