Version PDF

DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 193

Réunion du mercredi 20 décembre 2006 à 16 h 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006

Le Président Pierre Lequiller a remercié la ministre déléguée aux affaires européennes de présenter à la Délégation les conclusions du dernier Conseil européen et marqué sa satisfaction devant la réorientation de la stratégie d'élargissement vers une plus grande importance accordée à la capacité d'intégration institutionnelle, financière et politique de l'Union européenne à accueillir de futurs nouveaux membres. Il a regretté que la mise en œuvre de la clause-passerelle proposée par la France dans le domaine Justice et Affaires intérieures n'ait pas pu aboutir et interrogé la ministre sur les mesures qui pourraient être prises dans les prochains mois dans le domaine de l'immigration qui fait l'objet de sept pages de conclusions sur dix-neuf.

Il a ensuite demandé quelles perspectives s'ouvraient avec la Présidence allemande pour la relance du Traité constitutionnel, compte tenu de la réunion prévue à Madrid le 26 janvier 2007 à l'initiative de l'Espagne et du Luxembourg entre les dix-huit Etats qui ont ratifié le Traité constitutionnel, puis de la deuxième réunion à Luxembourg avec ceux qui ne se sont pas encore prononcés ou qui l'ont rejeté, et enfin après les récentes déclarations très fortes à la presse du ministre allemand des affaires étrangères, M. Frank-Walter Steinmeier. Il a souhaité également avoir des informations sur la préparation de la déclaration que doivent adopter les chefs d'Etat ou de Gouvernement pour la Commémoration du Traité de Rome.

Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, a indiqué qu'elle rendrait compte des conclusions du Conseil européen de décembre et examinerait les prochaines échéances à la lumière des priorités de la Présidence allemande de l'Union européenne présentées par la Chancelière, Mme Angela Merkel, le 14 décembre dernier, ainsi que des rendez-vous prévus au début de l'année 2007.

Le Conseil européen de décembre 2006 n'a pas donné lieu à des discussions difficiles, dans la mesure où les vingt-cinq Etats membres avaient déjà pris des décisions à propos de la Turquie quelques jours auparavant lors du Conseil « Affaires générales - Relations extérieures ». Ce Conseil européen a été dans la continuité des Conseils précédents, un Conseil de transition tout en définissant quelques orientations et en posant des jalons importants sur la manière de poursuivre la politique d'élargissement, les migrations et le développement d'une politique européenne de l'énergie. En particulier, il a exprimé un accord unanime sur une conduite différente de l'élargissement, avec un plus grand contrôle politique, sans que cette orientation donne lieu à des divisions ou des difficultés particulières.

La Présidence finlandaise a traité tout d'abord, comme la France l'y avait encouragée, l'amélioration des mécanismes de décision dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Chacun reconnaît la nécessité d'agir dans un domaine où les citoyens attendent davantage de réponse européenne pour lutter contre les grands trafics (trafic d'êtres humains, lutte contre la criminalité ..) mais où l'unanimité est un frein à la prise de décision. Et chacun admet que le processus actuel de décision est trop lent et trop complexe. C'est d'ailleurs ce que les ministres de la justice et de l'intérieur ont relevé lors du Conseil JAI des 4 et 5 décembre, sans parvenir pour autant à en tirer des conclusions opérationnelles. Pourtant, les discussions ont à nouveau montré que les Etats membres étaient partagés et que nombre d'entre eux n'étaient pas prêts à franchir le pas pour utiliser les clauses-passerelles qui existent dans les Traités actuels et permettraient de rendre plus efficace la prise de décisions, par le passage à la majorité qualifiée et la codécision avec le Parlement européen.

La France n'est pas isolée et certains, comme le Premier ministre luxembourgeois, ont relevé le paradoxe de ne pas vouloir avancer dans un domaine tout en proclamant la nécessité de bâtir l'Europe des citoyens.

Certains pays, comme l'Allemagne, considèrent que seul le Traité constitutionnel permettrait d'améliorer véritablement le fonctionnement des institutions et l'invoquent pour refuser les clauses-passerelles de l'article 42 du traité sur l'Union européenne. Plusieurs Etats, comme les Pays-Bas et la République tchèque, ont toutefois contesté ce lien entre le Traité constitutionnel et les mécanismes de décision JAI. La France a rappelé que les clauses-passerelles n'ont pas de lien avec le Traité constitutionnel puisqu'elles sont prévues depuis le traité d'Amsterdam. D'autres Etats, comme le Royaume-Uni, l'Irlande, la Lituanie, le Danemark et la Hongrie, refusent l'utilisation de ces clauses car ils restent attachés à la souveraineté dont l'unanimité est garante.

La France maintient, pour sa part, les propositions faites dès avril sur ce sujet et estime que le débat doit se poursuivre. La Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas ont rappelé qu'ils partageaient cette analyse, en soulignant qu'une utilisation partielle des clauses-passerelles était possible, en distinguant les domaines où l'unanimité reste requise. Dans ses conclusions, le Conseil réaffirme les principes consacrés dans le cadre du processus de réforme de l'Union, qui forment la base la plus équilibrée pour les travaux futurs dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice. Il n'a pas pu progresser autant qu'il aurait été souhaitable, mais il a ménagé la possibilité d'avancer à l'avenir.

Le Conseil européen a ensuite abordé les questions migratoires et les Etats membres ont montré leur unité sur l'importance du sujet et la nécessité de lui apporter des réponses communes. Les idées-forces portent sur :

l'importance de l'approche globale, fondée sur l'intensification du dialogue entre tous les pays concernés d'origine, de transit et d'accueil et le renforcement du contrôle et des instruments de développement et de codéveloppement ;

le besoin d'une « politique européenne de migration complète », qui doit conduire notamment à une politique commune de l'asile en 2010 ;

le lien fort entre politiques migratoires et d'aide au développement. Le Président de la République a rappelé que la lutte contre l'immigration illégale était avant tout une lutte contre la pauvreté, à l'origine de la grande majorité des mouvements migratoires en provenance d'Afrique et cette conclusion est désormais partagée par l'unanimité des Etats membres, même de ceux qui avaient habituellement une autre approche ;

l'importance d'une approche pays par pays, fondée sur le partenariat, intégrant la question des migrations temporaires et les actions de co-développement, notamment la participation des migrants au développement des pays d'origine par des dispositifs fiscaux ;

la nécessité du renforcement des moyens humains, financiers et matériels trop faibles de l'agence Frontex. Le budget 2007 prévoit de tripler le budget de l'Agence de 11 à 30 millions d'euros et de doubler le nombre de personnels de 17 à 34 en emplois budgétaires.

Ont également été soulignés le besoin de bâtir avec l'Afrique une véritable stratégie commune et l'importance du sommet UE/Afrique de 2007, sous Présidence portugaise. La France le souhaite, mais il y a encore quelques difficultés concernant l'invitation ou non du Zimbabwe et ses conséquences sur la participation d'autres Etats africains.

L'élargissement a fait l'objet d'une véritable réorientation de la politique européenne sous l'impulsion de la France depuis un an et demi. La France, et de nombreux Etats membres, considéraient que, dans le respect des engagements pris, il était essentiel de se préoccuper de l'impact des élargissements à venir sur l'Union, ses politiques communes et leur financement, son fonctionnement, son projet politique et de s'assurer du plein soutien des citoyens. C'est à cette condition que les élargissements envisagés, notamment aux Balkans, pourront être réussis.

Après ce Conseil européen, l'élargissement aura désormais deux faces : le rythme de l'élargissement, à l'avenir, doit dépendre de la « capacité d'intégration » de l'Union mais également de la préparation des pays candidats et des réformes qu'ils auront effectivement accomplies. Le Conseil européen a confirmé cette approche par écrit.

Sur la Turquie, les chefs d'Etat ou de Gouvernement ont confirmé la décision à laquelle les ministres étaient parvenus lors du Conseil « Affaires générales » du 11 décembre : 8 des 35 chapitres de négociation seront gelés, et les autres peuvent être ouverts mais ne pourront être fermés, tant que la Turquie ne respecte pas ses engagements au titre du Protocole d'Ankara. Cette réponse équilibrée garde le processus de négociation ouvert mais marque aussi la déception que certaines actions n'aient pas été menées par la Turquie.

Enfin, sur la Serbie, où l'Italie plaidait pour une reprise des négociations de l'accord de stabilisation et d'association, le Conseil européen a rappelé qu'elle était la bienvenue dans l'Union européenne mais qu'il lui fallait accélérer ses efforts pour satisfaire aux conditions nécessaires au nombre desquelles figure une coopération pleine et entière avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. C'est une nécessité pour l'Union européenne mais aussi une obligation internationale imposée par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le Conseil européen n'a pas modifié sa position. Ce point important a été souligné par le Président de la République, qui a souhaité une coopération « sans réserve ». Ce n'est malheureusement pas le cas actuellement. La Serbie a adopté un plan d'action mais ne l'a pas mis en œuvre. La Procureure du TPIY a souligné cette non-coopération de la Serbie.

S'agissant de l'énergie, le rendez-vous européen le plus important à venir est celui du mois de mars, au cours duquel l'Union doit adopter son plan d'action dans ce domaine. Les conclusions du Conseil européen abordent notamment la question des ressources énergétiques, celle des interconnexions, du volet extérieur de la politique européenne de l'énergie et du développement des énergies renouvelables. Elles insistent, comme le souhaite la France, sur l'importance du lien entre politique de l'énergie et lutte contre le changement climatique. Aucune politique ambitieuse n'est en effet possible dans ce domaine sans la prise en compte de ce défi majeur pour l'avenir de la planète.

En matière de relations extérieures, plusieurs déclarations ont été adoptées, dont celle relative au Liban, qui a permis de réaffirmer le soutien unanime des 25 au gouvernement légitime du Liban.

En ce qui concerne les institutions, la Présidence allemande ouvre une séquence définie au mois de juin 2006 et qui devra s'achever fin 2008, dans la perspective des élections européennes de la mi-2009. Au cours du Conseil, la Présidence finlandaise a présenté brièvement le résultat de ses consultations bilatérales. Cette intervention constituait avant tout un passage de témoin à la Présidence allemande, conformément aux décisions prises en juin dernier. Par ailleurs, l'Espagne et le Luxembourg ont proposé aux 16 pays ayant ratifié le traité de se réunir en janvier, en préalable à une seconde réunion qui aurait lieu en février avec l'ensemble des Etats membres, dont la France et les Pays-Bas. Le Président de la République a assuré qu'il ne voyait aucun inconvénient à la tenue de la première réunion. S'agissant de la seconde, il a indiqué que l'organisation des travaux des 27 Etats membres relevait exclusivement de la Présidence allemande.

La ministre a ensuite évoqué les perspectives de la Présidence allemande et ses grandes priorités.

Le Sommet informel des Chefs d'Etat et de gouvernement du 25 mars prochain à Berlin devra adopter, à l'occasion du 50ème anniversaire du Traité de Rome, une déclaration politique, courte et claire, compréhensible pour les citoyens énonçant les valeurs et les ambitions de l'Europe, soulignant les succès obtenus et confirmant la volonté des Etats de poursuivre leur action commune pour faire face aux défis auxquels l'Europe est confrontée. Seule une Europe forte permettra à nos nations de relever les défis de l'avenir. L'Union européenne doit devenir une puissance dans la mondialisation. En effet, lorsque l'on examine les grandes questions qui se présentent à nous, il est certain que nous ne pouvons pas agir efficacement de manière isolée, qu'il s'agisse de la recherche, de l'énergie, des migrations, de la démographie, du changement climatique, etc. L'action collective est plus que jamais nécessaire. C'est le message que devrait donner cette déclaration. La Présidence allemande doit rédiger un projet de déclaration et écrira au début de l'an prochain à tous les Etats membres pour préciser les modalités des consultations à venir sur ce sujet ; les Etats membres devant désigner des points de contact. La date du 25 mars doit être considérée comme une opportunité de relance européenne.

Par ailleurs, les questions institutionnelles seront à l'évidence un sujet majeur de la prochaine Présidence allemande. Elle a été chargée en juin dernier de mener des consultations et de faire des propositions en fin de présidence sur les évolutions futures possibles en matière institutionnelle. 16 Etats membres ont ratifié, ils seront 18 à l'avoir fait au 1er janvier avec la Bulgarie et la Roumanie. Deux Etats membres l'ont refusé et 7 ne se sont pas prononcés. Il y a un besoin d'institutions rénovées. Il y a des pistes de réponses qui ont été tracées par le traité. Il faudra progresser de façon pragmatique et s'abstenir de jugements a priori sur ce qu'il conviendrait de faire. Il ne sera pas facile de recréer à 27 le consensus qui a pu être obtenu à 15. Le temps a passé et la situation s'est peu améliorée sur le plan du fonctionnement de l'Europe. Cela a sans doute l'avantage d'avoir rendu chacun conscient de la nécessité d'avancer. Il y aura nécessairement un décalage entre le souhaitable et le possible, mais il faut nécessairement que le processus soit achevé fin 2008 pour être prêt en 2009.

S'agissant du domaine économique et social, la future Présidence allemande mettra, en premier lieu, l'accent sur la poursuite de l'achèvement du marché intérieur : la future présidence allemande évoquera les dossiers de télécommunications, du secteur postal, des marchés publics, mais aussi de la fiscalité des société. La deuxième priorité sera la compétitivité des entreprises, en particulier celle des PME. Sont aussi concernées les questions de recherche et d'innovation, de l'accès des PME aux marchés publics, mais aussi des brevets. La troisième priorité dans ce domaine sera l'amélioration de la législation, avec le programme « mieux légiférer », qui est bon pour réduire les coûts administratifs de la bureaucratie inutile, à condition de ne pas moins légiférer, car il faut conserver l'objectif de l'harmonisation quand c'est nécessaire. La quatrième priorité prévue est l'énergie, et notamment le plan d'action européen qui sera adopté en mars 2007. Enfin, la nécessité de développer un modèle social européen : la présidence évoque ainsi les travaux sur la « flexicurité », la démographie et les questions de développement durable.

Après l'exposé de la ministre, M. Didier Quentin s'est félicité que la question des migrations ait figuré parmi les priorités du Conseil européen. Il a souhaité avoir des précisions sur le contenu des débats qui se sont déroulés à propos de la notion de « co-développement » et sur les conclusions qui ont été adoptées à ce sujet.

Mme Elisabeth Guigou a salué le programme, qu'elle a jugé substantiel, de la Présidence allemande. Elle a souhaité avoir des précisions supplémentaires quant à la façon selon laquelle pourrait s'organiser ce programme de travail, compte tenu notamment des trois réunions importantes qui ont été évoquées : celle du 50ème anniversaire du Traité de Rome le 25 mars prochain, la réunion des pays qui ont ratifié la Constitution et celle de tous les Etats membres, également à propos de la Constitution. Comment la France aborde-t-elle l'initiative conjointe de l'Espagne et du Luxembourg ? La Présidence allemande va-t-elle accepter l'organisation des réunions proposées ? Où se dérouleront-elles ?

M. Jacques Floch a considéré que l'intervention de la ministre était marquée d'une tonalité pessimiste. Il a souligné que ce pessimisme semblait justifié lorsque l'on examinait les résultats du Conseil européen. L'Europe est en panne. On continue à chercher les moyens d'avancer, mais cela ne bouge pas. S'agissant de la question des migrations, même si le sujet du co-développement a été débattu, il semble que la priorité soit bien de fermer les frontières. Les conclusions sur l'élargissement sont également pessimistes sur ce qui a été réalisé.

Il s'est déclaré également dubitatif quant à la capacité réelle de la Présidence allemande à déboucher sur un redémarrage de l'Europe. La coalition au pouvoir risque d'être paralysée dans son action du fait des oppositions internes au gouvernement. La Présidence allemande a un programme de réunions très chargé, mais les conclusions qui en sortiront risquent d'être décevantes.

Il a enfin souhaité savoir comment Mme Catherine Colonna jugeait la décision de l'Iran de convertir ses réserves monétaires en euros.

La ministre a apporté les réponses suivantes :

- il est important qu'en matière de co-développement l'Union européenne et les Etats membres agissent conjointement avec leurs propres instruments. Il peut être utile de mettre en place des mécanismes fiscaux nationaux destinés à encourager le retour des immigrés dans leur pays d'origine. Pour ce qui est de l'Union européenne, il faut souligner l'enveloppe de plus de 22,5 milliards d'euros du Fonds européen de développement, négociée l'an dernier au moment de la discussion sur les perspectives financières. L'Union européenne et ses Etats membres ont tenu l'engagement pris au sommet de Monterrey de 2002 d'accroître le montant de l'aide publique au développement. Dans le cas de la France, son effort a été particulièrement volontariste, puisque l'aide publique au développement atteindra 0,5 % du PIB en 2007 contre 0,37 % en 2002. Pour l'ensemble des Etats membres, les conclusions du Conseil européen ont réaffirmé l'objectif de parvenir au taux de 0,7 % en 2015. Enfin, à côté de ces moyens d'aide au développement et des accords ACP, on doit signaler l'initiative française prise avec douze autres Etats de la communauté internationale d'ajouter des financements nouveaux aux financements budgétaires, en année pleine ce sont 300 millions d'euros affectés à un fonds particulier destiné à l'achat de médicaments ;

- s'agissant des initiatives prises en vue de relancer le processus de ratification du Traité constitutionnel, celle conjointement prise par les Espagnols et les Luxembourgeois émane de lettres signées par les ministres des Affaires étrangères de ces deux pays, lesquels ont ratifié le Traité constitutionnel par référendum. La France est ouverte à cette démarche qu'elle juge positive et n'émet aucun jugement défavorable à son encontre. En tout état de cause, il n'y a pas lieu d'estimer que ces Etats membres aient pour objectif d'occulter les difficultés apparues en France et aux Pays-Bas, mais plutôt de considérer qu'ils peuvent contribuer positivement à la réflexion commune. En revanche, sur le projet d'une réunion entre tous les Etats membres - qu'ils aient ou non ratifié le projet de Traité constitutionnel - une telle décision relève de la Présidence allemande ;

- il n'est ni juste ni exact d'affirmer que l'Union européenne est immobile. Elle ne bouge pas assez vite, certes, mais elle continue de prendre des décisions importantes, comme cela a été le cas cette année, avec l'adoption de la directive de libéralisation des services, répondant aux exigences de l'Europe sociale et à celles de l'achèvement du marché intérieur. De même, la directive REACH offrira une protection inégalée aux citoyens européens contre les risques d'atteintes à la santé, tout en respectant les besoins des industries chimiques. Constituent également d'autres décisions importantes celles qui touchent à la création de l'Institut européen de technologie ou encore à l'accroissement des dépenses en matière de recherche. De façon plus générale, il convient de reconnaître que l'Europe a une faculté à s'adapter, même si elle ne le fait pas assez rapidement, comme l'illustre l'exemple de l'énergie. En ce domaine, où une politique ne se décidera pas en un jour, il importe de remarquer que la décision a été prise d'élaborer une politique européenne, alors que depuis la création du Marché commun, il n'en avait jamais été question. En matière d'immigration, jusqu'à présent la France était un des seuls pays à plaider pour l'Afrique. Aujourd'hui d'autres Etats rejoignent cette préoccupation. En ce qui concerne la démographie, domaine dans lequel on constate un déclin quasi général, l'Europe prend conscience de la nécessité d'y faire face. Il s'agit là de sujets inconnus à la création du Marché commun, mais qui répondent aujourd'hui à des demandes nouvelles des citoyens ;

- l'élargissement est un succès. Il faut y voir une réussite et un accomplissement de la construction européenne, sans alternative. Il est clair qu'à défaut d'élargissement, la maison commune européenne aurait été fragilisée ;

- la décision de l'Iran de libeller en euros ses réserves n'est pas un hommage rendu à la monnaie européenne. Il y a sûrement davantage de considérations politiques. De nombreux autres Etats, notamment asiatiques, ont déjà pris une décision analogue.

M. Daniel Garrigue, évoquant la déclaration de M. Franck-Walter Steinmeier, ministre allemand des affaires étrangères, s'est demandé si le sentiment d'attentisme qu'elle révèle quant à la relance de la procédure de ratification du Traité constitutionnel ne s'expliquerait pas au regard des élections françaises à venir et ne reflèteraient pas les divisions qui traversent la Grande Coalition. Il a souhaité savoir quelle interprétation la ministre pourrait donner à ce sentiment d'attentisme.

Evoquant l'opposition établie par M. Steinmeier entre l'harmonisation en matière sociale et l'attachement des citoyens européens à leurs modèles nationaux, M. Daniel Garrigue s'est demandé pour quelle raison le ministre allemand des affaires étrangères ne formulait aucune proposition en la matière pour surmonter les contradictions qu'il a constatées.

En ce qui concerne les Balkans, il a souhaité savoir si la question des droits de vote avait été évoquée au Conseil dans l'hypothèse où des Etats de cette région adhéreraient à l'Union européenne.

Pour ce qui est du Proche-Orient, M. Daniel Garrigue s'est déclaré pessimiste quant à la portée de l'approbation par le Conseil européen d'une nouvelle prorogation de trois mois du mécanisme international temporaire jusqu'en mars 2007, compte tenu de la situation qui prévaut actuellement à Gaza.

Le Président Pierre Lequiller, tout en convenant des difficultés qu'aurait la Présidence allemande à achever une réforme institutionnelle d'ici le mois de juin 2007, a néanmoins estimé opportun qu'elle puisse proposer quelques options qui pourraient être transmises à la Conférence intergouvernementale.

Mme Anne-Marie Comparini, constatant les conclusions du Conseil européen déclarant que la Serbie est bienvenue dans l'Union européenne, s'est demandée si les leçons des précédents élargissements avaient été tirées. Les négociations avec la Serbie sur l'accord de stabilisation et d'association sont certes arrêtées, mais il convient d'être vigilant sur le respect par ce pays des conditions sur la coopération avec le TPIY.

Evoquant la politique en matière d'immigration et de co-développement, elle a considéré que les conclusions du Conseil constituaient une bonne feuille de route mais a souhaité savoir si les difficultés rencontrées pour élaborer une politique commune s'étaient atténuées.

Enfin elle a demandé à la ministre si l'Agence Frontex disposerait de moyens suffisants.

M. Pierre Forgues a relevé que les conclusions de ce Conseil européen comportent de nombreuses formules selon lesquelles l'Union européenne « appelle », « demande », « exhorte »... par exemple s'agissant d'Israël auquel il est demandé de ne pas violer l'espace aérien libanais, ou de l'Afrique au sujet de laquelle « il faut » lier immigration et développement, ou bien encore des frontières extérieures qu' « il faut » gérer ensemble. Il est très facile de se mettre d'accord sur ce genre de formules, et à cet égard on peut donc effectivement dire que le Conseil européen s'est bien déroulé. Mais quelles initiatives a-t-il prises ? Quelles sont les décisions de l'Union européenne, sur Israël, sur le Liban, sur la gestion des frontières extérieures ? Ces conclusions ne révèlent en réalité que l'impuissance absolue de l'Union européenne sur tous ces sujets.

La ministre a apporté les réponses suivantes :

- s'agissant de la Présidence allemande, il est évident que les élections françaises de 2007 sont un élément à prendre en compte. Néanmoins, les élections sont la vie des démocraties, et au cours des dix-huit derniers mois, nous avons vu se dérouler une douzaine de scrutins, présidentiels ou législatifs, dans les différents Etats membres. Par ailleurs, la politique européenne de la France se caractérise depuis cinquante ans par des éléments de consensus et de continuité au-delà des alternances politiques, et il n'y a pas de raison pour que cela change en 2007. Enfin, l'Allemagne connaît suffisamment les réalités françaises pour prendre les contacts nécessaires et faire la distinction entre ce qui doit être traité avant et après les élections ;

- l'objectif de l'Allemagne n'est pas de « boucler la boucle » en juin 2007 à la fin de sa présidence mais uniquement d'essayer d'engager le processus qui conduira à l'élaboration d'un nouveau texte. L'objectif est de pouvoir aboutir en juin 2007 à des propositions non pas seulement de méthode et de calendrier, mais aussi de fond. On ignore encore si ces propositions prendront la forme d'options ou une autre forme ;

- s'agissant des questions sociales et de l'harmonisation en la matière, les déclarations des autorités allemandes traduisent tout naturellement l'attachement traditionnel de l'Allemagne à la subsidiarité et, sans surprise, à la cogestion, qui est importante dans le modèle social allemand ;

- s'agissant des négociations avec les pays des Balkans, la question des droits de vote futurs et de la répartition des sièges n'a pas encore été évoquée, car les négociations n'en sont pas encore là. Seule la Macédoine a le statut de pays candidat, les autres pays n'en sont qu'à un stade préliminaire ;

- en ce qui concerne le Proche-Orient, le Conseil « Affaires générales » du 11 décembre 2006 a reconduit pour trois mois le mécanisme temporaire. Il faut souligner que les difficultés actuelles que traverse l'Union européenne ne l'ont pas empêchée d'augmenter son aide au peuple palestinien, puisque son montant a été plus élevé dans le budget 2006 qu'en 2005. Il n'est donc pas pertinent de dire qu'il faudrait reprendre le versement de cette aide financière puisqu'en réalité elle n'a jamais cessé, elle a seulement été suspendue pendant quelques semaines. Toutefois, il faut également souligner que l'Union européenne ne pourra pas répondre seule aux besoins de cette région ;

-  les débats actuels sur l'élargissement traduisent les préoccupations de nos concitoyens. Il faut tirer des enseignements des élargissements antérieurs, et les conclusions du Conseil européen indiquent que le rythme des futurs élargissements dépendra de la capacité d'intégration de l'Union et pas seulement de la capacité des pays candidats à respecter les critères. Ainsi ces conclusions apportent-elles plus de clarté. Cela correspond à ce que nous disons sur la nécessité d'un pilotage politique de l'élargissement ;

- s'agissant de la question des migrations, les évolutions sont plutôt positives, il y a des avancées, liées à une meilleure prise de conscience du fait que les réponses doivent être communes et globales. Certes, la question des moyens se pose, mais l'Union européenne n'est pas démunie ; chacun doit cependant faire plus, car l'Europe n'est pas aussi efficace qu'il le faudrait ;

- concernant l'avenir de Frontex, il faut évidemment que l'Europe se dote d'une véritable Agence de contrôle des frontières, et elle a commencé à le faire. Il faut souligner que la France a participé aux deux opérations Frontex menées en 2006, ce qui n'est pas le cas de tous nos partenaires ;

- enfin, répondant à M. Pierre Forgues, la ministre a rejoint la tonalité générale de son propos, en se déclarant également insatisfaite de la marche actuelle de l'Europe mais en insistant sur le fait que dans le domaine de la politique étrangère, l'Europe ne saurait décider pour les autres Etats. Quant aux autres domaines tels que l'énergie, les migrations, la recherche-développement, l'Europe prend des décisions. Il faut le reconnaître et ne pas sous-estimer celles-ci, même si elle prend ces décisions trop lentement, et il faut veiller à ce qu'elle continue à en prendre. On peut souhaiter qu'après l'année 2005, année difficile pour l'Europe, et l'année 2006, année de consolidation, 2007 soit l'année de la relance de l'Europe. Les conditions existent pour que ce soit le cas.

M. Pierre Forgues a précisé qu'il n'avait pas demandé que l'Europe décide pour les autres pays mais quelles initiatives elle avait prises : la Présidence allemande va-t-elle rencontrer les autorités libanaises, les autorités israéliennes ? Et qu'en est-il des décisions à prendre au plan interne ? M. Pierre Forgues a illustré son propos en évoquant, dans le domaine de l'interconnexion énergétique, le projet lancé depuis plus de vingt ans d'une ligne électrique à très haute tension traversant les Pyrénées, et qui n'est toujours pas accompli.

La ministre a fait observer que M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, a signé avec son homologue espagnol une lettre en date de ce jour pour avancer sur ce projet ancien, afin de procéder à la désignation d'un coordinateur. La ministre a indiqué qu'elle évoquera elle-même ce projet le 21 décembre à Barcelone. Elle a conclu en rappelant que l'Europe ne se faisait pas en un jour, comme l'avait affirmé en son temps Jean Monnet.

Mme Arlette Franco s'est déclarée optimiste au sujet de l'avenir de l'Europe et, en particulier, de la Présidence allemande. Elle a indiqué avoir rencontré plusieurs responsables allemands au cours de ses missions pour la Délégation, qui lui ont indiqué que les questions sociales, qui figurent en tête des préoccupations des Français et de leur attentes à l'égard de l'Europe, feraient partie des priorités de la Présidence allemande. La démographie, l'éducation et le sport seront, entre autres, abordés. En ce qui concerne le sport, l'accent devrait être mis sur la lutte contre le « trafic » d'athlètes en provenance d'Afrique ou d'Europe de l'Est et la lutte contre le dopage.

Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, a souligné qu'une conjonction plus favorable se dessine effectivement pour 2007, grâce à la Présidence allemande. Cette Présidence constitue une occasion qu'il faudra saisir pour relancer l'Europe.