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N° 445

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 novembre 2002

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur la création d'un procureur européen,

ET PRÉSENTÉ

par MM. Rene andre et jacques floch,

Députés.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Union européenne.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. Pierre Goldberg, François Guillaume, secrétaires ; MM. Alfred Almont, Bernard Bosson, Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, François Grosdidier, Michel Herbillon, Patrick Hoguet, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, M. René-Paul Victoria.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

I. UNE CREATION NECESSAIRE 11

A. Une garantie plus effective des droits fondamentaux 11

1) Les insuffisances du contrôle exercé sur l'Office de lutte anti-fraude 11

a) Des pouvoirs d'investigation importants 12

b) Des risques d'atteinte aux droits individuels 12

c) Un contrôle juridictionnel insuffisant 13

2) La perspective d'une « police criminelle européenne » 14

a) Des compétences actuellement limitées 14

b) Un renforcement opérationnel prévisible 15

c) Un contrôle juridictionnel indispensable 16

B. Une lutte plus efficace contre la criminalité portant atteinte aux intérêts européens 16

1) La nécessité d'une répression effective de la fraude aux intérêts financiers communautaires 17

a) L'importance des montants de la fraude 17

b) Un lien avéré avec la criminalité organisée 17

2) Les obstacles rencontrés dans la lutte contre la fraude 18

a) Le « morcellement de l'espace pénal européen » 19

b) La diversité des modes de preuve 20

c) L'inadaptation des méthodes classiques de coopération judiciaire 22

3) Quelles compétences pour le procureur européen ? 23

a) Les réactions suscitées par le projet 23

(1) Au niveau européen 24

(2) Au niveau national 27

b) Le débat au sein de la Convention européenne 28

c) Un champ de compétence circonscrit à la criminalité contre l'Europe 30

II. UNE INSTITUTION CONFORME AUX EXIGENCES DEMOCRATIQUES ET COMPATIBLE AVEC LA DIVERSITE DES TRADITIONS JURIDIQUES NATIONALES 33

A. Un projet conforme aux exigences de l'Etat de droit et de la démocratie 33

1) De fortes garanties d'indépendance 33

a) Un statut identique à celui des juges de la Cour de justice 33

b) Le statut des procureurs européens délégués 34

2) Un contrôle juridictionnel et politique efficace 35

a) La responsabilité disciplinaire du procureur européen 35

b) La création d'une Chambre préliminaire européenne 36

c) Un contrôle politique renforcé 36

B. Une institution compatible avec la diversité des traditions juridiques nationales et les structures existantes 37

1) Une articulation harmonieuse avec les systèmes pénaux nationaux 37

a) Les traditions juridiques des Etats membres se sont considérablement rapprochées 37

(1) Traditions accusatoire et inquisitoire 38

(2) Opportunité et légalité des poursuites 38

b) Une organisation déconcentrée, respectueuse des spécificités de chaque système judiciaire 38

(1) Le respect du principe de subsidiarité 39

(2) Un principe de légalité tempéré 40

(3) La nécessité d'une révision constitutionnelle 41

2) Une institution compatible avec les structures existantes 42

a) Eurojust et le procureur européen : deux institutions complémentaires, mais non substituables 42

b) La perspective d'une fusion de l'OLAF et d'Europol 43

CONCLUSION 45

TRAVAUX DE LA DELEGATION 47

1) Audition de Mme Michaele Schreyer, commissaire européen chargé du budget, et de Mme Diemut Theato, présidente de la commission du contrôle budgétaire au Parlement européen, en présence de M. Giorgos Dimitrakopoulos, vice-président du Parlement européen et rapporteur pour avis de la commission des affaires constitutionnelles, sur la création d'un procureur européen, le jeudi 28 novembre 2002 47

2) Examen du rapport d'information de MM. René André et Jacques Floch sur le procureur européen, le 28 novembre 2002 60

PROPOSITION DE RESOLUTION 63

ANNEXES 67

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnées 69

Annexe 2 : Contribution de M. Jacques Floch, du 28 octobre 2002, au groupe de travail « Liberté, sécurité et justice » de la Convention européenne : Une justice pour l'Europe 71

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 1er juillet 2002, le statut de la Cour pénale internationale, signé à Rome le 17 juillet 1998, est entré en vigueur. Tous les Etats membres de l'Union européenne ont accepté la compétence de la Cour, et la possibilité, pour son procureur, de recueillir des dépositions de témoins ou d'inspecter des sites publics. Cette avancée considérable, unanimement saluée, peu d'entre eux sont pourtant disposés à l'admettre au niveau européen.

Ce paradoxe n'est pas le seul. Les frontières se sont ouvertes pour les criminels, mais elles restent fermées pour les policiers et magistrats qui les combattent. La plupart des Etats membres ont renoncé à leur monnaie, mais l'attachement à leur souveraineté nationale contribue à faire de l'Europe un paradis pénal. Il est temps de mettre un terme à ce déséquilibre de la construction européenne.

La proposition de créer un procureur européen n'est pas nouvelle.

Elle est la conséquence logique de la proposition, avancée par M. Valéry Giscard d'Estaing, alors qu'il était président de la République, de créer un « espace judiciaire européen », lors du Conseil européen de Bruxelles des 5 et 6 décembre 1977.

Le projet précis en a été formulé, pour la première fois, par M. Klaus Hänsch, en 1996, alors qu'il était président du Parlement européen. C'est à la demande du Parlement européen que la Commission a, ensuite, réuni un groupe de spécialistes de la matière pénale, représentant toutes les traditions juridiques nationales et s'appuyant sur un réseau de points de contact nationaux, experts de leurs systèmes juridiques. Les travaux de cette équipe ont conduit à l'adoption, en 1997, d'un Corpus juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, composé de trente-cinq articles(1), qui a été révisé en 2000, afin de mieux tenir compte de la diversité des régimes juridiques nationaux(2).

La Commission en a repris l'idée lors de la Conférence intergouvernementale de Nice, mais sa contribution(3) n'a pas été suivie par les gouvernements des Etats membres, qui ont préféré inscrire dans le traité l'existence d'Eurojust, un organe de coopération judiciaire, dont la logique est tout à fait différente et qui ne saurait être assimilé à un parquet européen. La Commission a également présenté, plus récemment, un Livre vert, présenté le 11 décembre 2001(4) par le commissaire européen responsable du budget, Mme Michaele Schreyer, « sur la protection pénale des intérêts financiers et la création d'un procureur européen », que la Délégation pour l'Union européenne a examiné sous la précédente législature(5).

Le sujet est, à nouveau, à l'ordre du jour, cette fois de la Convention sur l'avenir de l'Europe, dont l'un de vos rapporteurs est membre suppléant. Celle-ci constitue, pour reprendre les termes du Président Giscard d'Estaing, la « dernière chance de l'Europe unie » et, sans doute, du procureur européen. Il sera en effet beaucoup plus difficile, pour ne pas dire impossible, de réaliser un tel « saut qualitatif » à vingt-cinq, alors qu'il apparaît déjà si difficile - du moins aux yeux de certains - à quinze. Une telle institution sera pourtant d'autant plus nécessaire pour assurer la protection des intérêts européens communs dans une Europe élargie.

« Que de temps perdu », en tout état de cause, « ... sauf pour les fraudeurs »(6), comme l'a souligné Mme Diemut Theato, présidente de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, qui est à l'origine de plusieurs résolutions parlementaires préconisant la création du procureur européen. Dans le même sens, le sénateur Pierre Fauchon, rapporteur pour la Commission des lois du Sénat sur la question, notait avec humour « qu'il est permis de penser que les choses ne seraient pas différentes si l'on avait confié aux délinquants internationaux le soin d'organiser la défense de la société face à leurs actions » !

C'est à l'étude des grandes orientations présentées par la Commission dans ce Livre vert (Cf. encadré) que vos rapporteurs se sont attachés.

Le présent rapport a pour objet, plus précisément, de déterminer quelle serait la valeur ajoutée d'un tel procureur européen, et pourquoi sa création apparaît indispensable. Il s'interroge également sur sa légitimité au regard des exigences démocratiques et de l'Etat de droit, ainsi que sur sa compatibilité avec la diversité des traditions juridiques des Etats membres et les structures existantes.

Le contenu du Livre vert

Le Livre vert précise la contribution que la Commission a soumise à la Conférence intergouvernementale de Nice, dans laquelle elle proposait de prévoir dans le traité CE (sous la forme d'un nouvel article 280 bis) l'institution d'un procureur européen chargé de la protection pénale des intérêts financiers communautaires.

1. Ses missions seraient les suivantes :

- Le procureur européen devrait rassembler les preuves, à charge et à décharge, afin de permettre, le cas échéant, d'engager des poursuites à l'encontre des auteurs des infractions définies en commun pour protéger les intérêts financiers des communautés. Il devrait ainsi être chargé de la direction et de la coordination des poursuites sur l'ensemble du territoire européen.

- Recourant aux autorités de police existantes pour l'exécution des investigations, le procureur européen exercerait la direction des activités de recherche dans les affaires qui le concernent. Il permettrait de renforcer davantage la garantie judiciaire sur les enquêtes menées à l'intérieur des institutions européennes.

- Il aurait compétence, sous le contrôle du juge, pour renvoyer en jugement les auteurs des faits poursuivis, devant les juridictions nationales.

- Le procureur devrait, lors du procès lui-même, exercer l'action publique devant les juridictions nationales afin de défendre les intérêts financiers communautaires.

2. Son statut garantirait son indépendance. Le Livre vert propose qu'il soit nommé par le Conseil de l'Union européenne à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission et après avis conforme du Parlement européen, parmi des personnalités qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles. Son mandat serait d'une durée de six ans, et non renouvelable.

3. Son organisation devrait être fortement déconcentrée. Le ministère public européen, dirigé par le procureur européen, reposerait sur des procureurs européens délégués, désignés par chaque Etat membre parmi les fonctionnaires nationaux chargés, dans leur pays respectif, des fonctions de poursuites pénales.
4. Les actes accomplis sous son autorité devraient être soumis au contrôle du juge national exerçant la fonction de juge des libertés. A l'issue de la phase préparatoire au jugement, un juge national exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement confirmerait les charges sur les bases desquelles le procureur européen entend requérir et la validité de la saisine de la juridiction de renvoi.

*

* *

I. UNE CREATION NECESSAIRE

La création d'un parquet européen n'est envisageable, en application du principe de subsidiarité, qu'à condition que sa valeur ajoutée par rapport à l'action des Etats membres soit clairement démontrée. Les interlocuteurs rencontrés, praticiens du droit pénal ou universitaires, ont souligné cette nécessité, à un double titre : la protection des droits individuels des justiciables, d'une part, et le renforcement de l'efficacité de la lutte contre la criminalité portant atteinte aux intérêts financiers communautaires, d'autre part.

A. Une garantie plus effective des droits fondamentaux

L'Europe est une « Communauté de droit »(7). Or, il n'est pas d'Etat de droit sans que l'activité policière ne soit soumise à un contrôle judiciaire, seul à même d'assurer la garantie des droits individuels. L'activité policière s'est pourtant développée, au sein de l'Union européenne, sans qu'un contrôle juridictionnel efficace ne s'exerce sur elle.

1) Les insuffisances du contrôle exercé sur l'Office de lutte anti-fraude

Dans le cadre du premier pilier, l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) - qui a succédé à l'Unité de coordination anti-fraude en 1999 - constitue une véritable « police financière », dont une partie significative de l'activité opérationnelle est transmise aux autorités judiciaires, tout en restant doté du statut d'un service administratif. Le contrôle exercé sur l'OLAF est en effet sans commune mesure avec l'importance des pouvoirs d'investigation qui lui ont été confiés.

a) Des pouvoirs d'investigation importants

L'OLAF peut effectuer des enquêtes administratives externes, dans les Etats membres et dans certains pays tiers avec lesquels la Communauté a conclu des accords de coopération, d'une part, et internes, au sein des institutions et organes communautaires, d'autre part.

Dans le cadre des enquêtes externes, l'OLAF peut procéder à des contrôles sur place, conformément aux règlements n° 1073/99 et n° 1074/99 du 25 mai 1999(8).

En ce qui concerne les enquêtes internes, l'Office peut accéder immédiatement et sans préavis à toute information écrite détenue par les institutions, organes ou organismes communautaires, ainsi qu'à leurs locaux. Il peut également prendre copie de tout document que ces institutions détiennent, demander des informations orales à toute personne concernée et effectuer des contrôles sur place auprès des opérateurs économiques concernés.

Ces investigations administratives ont, en outre, vocation à connaître une suite judiciaire, lorsque les irrégularités qu'elles ont détectées sont caractérisées par un élément d'intentionnalité. Les garanties apportées ne correspondent pourtant pas toujours à cette finalité pénale.

b) Des risques d'atteinte aux droits individuels

L'exercice de ces pouvoirs peut porter atteinte aux droits individuels (présomption d'innocence, respect de la vie privée et des droits de la défense, notamment). Des dérives ont été constatées, que le Comité de surveillance de l'OLAF a mises en évidence dans ses rapports d'activité successifs. Elles portent essentiellement sur le droit des justiciables « à être informés et à pouvoir s'exprimer, ainsi que sur le droit à l'impartialité de l'enquête »(9). D'une manière générale, le Comité de surveillance de l'OLAF relève que « les garanties de l'objectivité des enquêtes et du respect des droits individuels sont insuffisantes »(10). Le Médiateur européen, par une décision rendue le 26 avril 2002, a également considéré, dans une affaire visant un agent de la Commission, que l'OLAF n'a pas respecté le droit de la personne concernée d'être informée, alors qu'il s'agit « d'un élément normal de toute procédure d'enquête efficace et équitable »(11).

c) Un contrôle juridictionnel insuffisant

Le contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal de première instance et par la Cour de justice ne constitue pas une réponse appropriée face à ces risques. Ce contrôle intervient a posteriori, et non pendant le déroulement de l'enquête, et se limite aux investigations internes.

Quant au contrôle exercé par le Comité de surveillance de l'OLAF, actuellement présidé par M. Raymond Kendall, il ne saurait, en dépit de la vigilance dont ses membres ont fait preuve, garantir une protection satisfaisante en matière de protection des droits individuels, dans la mesure où il ne s'agit pas d'un organe juridictionnel. Le Comité s'est d'ailleurs clairement déclaré incompétent pour examiner les plaintes individuelles, et a appelé à plusieurs reprises à la création d'un ministère public. Les difficultés rencontrées à l'occasion du renouvellement de ses membres illustrent, en outre, la fragilité d'un tel dispositif et ses insuffisances en termes d'indépendance organique(12).

L'unité de magistrats récemment créée au sein de l'OLAF, destinée à assurer une fonction de conseil judiciaire et d'expertise pénale, ne saurait non plus pallier l'absence d'un réel contrôle juridictionnel des enquêtes.

L'indépendance de l'OLAF à l'égard de la Commission est, de plus, loin d'être acquise, l'Office assurant également une mission de conception et de préparation des initiatives législatives et réglementaires de la Commission en matière de protection des intérêts communautaires et de lutte anti-fraude. Dans l'exercice de cette mission, « les relations entre la Commission et l'OLAF [...] ont tendance à être très proches de celles qu'entretient la Commission avec n'importe quelle direction générale, à qui elle communique et impose ses orientations politiques »(13), en dépit des progrès réalisés dans le sens d'une indépendance opérationnelle accrue.

Une telle situation n'est, sur le long terme, plus acceptable. Comme Mme Diemut Theato, présidente de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, l'a souligné, « l'action de l'OLAF, privée d'un encadrement judiciaire, risquerait de rester inefficace et d'engendrer des doutes à l'égard de cette police quasi criminelle qui agit sans la surveillance du pouvoir judiciaire »(14).

2) La perspective d'une « police criminelle européenne »

Au sein du « troisième pilier » (Titre VI TUE), Europol a vu ses pouvoirs s'accroître progressivement, depuis l'adoption de la convention créant et organisant l'Office européen de police, le 26 juillet 1995, et son entrée en vigueur le 1er octobre 1998. Ses compétences actuelles, encore très limitées, devraient être renforcées par le futur Traité constitutionnel.

a) Des compétences actuellement limitées

Europol a été conçu, à l'origine, comme une agence d'information au service des polices des Etats membres, et n'a pas été doté de compétences opérationnelles. Son activité principale consiste à gérer un système d'informations informatisé, alimenté directement par les Etats membres et directement accessible, en consultation, aux unités nationales, aux officiers de liaison et aux agents d'Europol habilités. Dirigé par M. Jürgen Storbeck, il est installé à La Haye, aux Pays-Bas, et regroupe actuellement près de 300 personnes, avec un budget d'environ 55 millions d'euros pour 2003.

En dépit du succès de certaines opérations menées par les Etats membres avec son soutien, l'efficacité d'Europol est contestée(15). L'alimentation insuffisante de son système d'information par les autorités policières des Etats membres, et son absence de compétences opérationnelles sont les causes les plus fréquemment invoquées par les praticiens pour expliquer ce bilan décevant(16).

b) Un renforcement opérationnel prévisible

Ces faiblesses conduiront inévitablement à renforcer les capacités opérationnelles de l'Office européen de police. La possibilité que les agents d'Europol participent aux équipes communes d'enquêtes mises en place par la décision-cadre du 13 juin 2002(17), ou qu'Europol puisse demander aux Etats membres de mener ou de coordonner des enquêtes dans des affaires précises, prévue par un projet de protocole modifiant la Convention Europol(18), va déjà dans ce sens.

Un « saut qualitatif » devrait vraisemblablement être franchi sur ce point à l'issue de la prochaine Conférence intergouvernementale. Plusieurs chefs d'Etat ou de gouvernement ont en effet appelé à la constitution d'une « police criminelle européenne ». Le chancelier allemand Gerhard Schröder souhaite que « soit renforcé Europol dans l'esprit d'une police européenne opérationnelle »(19), et la déclaration de Nantes, adoptée à l'issue du 78ème sommet franco-allemand du 23 novembre 2001, évoque « le renforcement d'Europol, dans la perspective de la création d'une police intégrée chargée de la lutte contre le terrorisme international et la criminalité organisée ».

Au sein du groupe de travail de la Convention européenne consacré à l'espace de liberté, sécurité et justice, un consensus s'est également dégagé en ce sens. La contribution franco-allemande déposée par MM. Dominique de Villepin et Joschka Fischer, ministres des Affaires étrangères, le 27 novembre 2002 prévoit qu'Europol doit se voir « attribuer le droit de mener des enquêtes » et devenir une « autorité coercitive européenne »(20). Le rapport final du groupe affirme aussi que le futur Traité constitutionnel devrait permettre à Europol de réaliser des enquêtes et de participer à des actions opérationnelles menées conjointement avec les services des Etats membres ou au moyen d'équipes communes.

c) Un contrôle juridictionnel indispensable

Dans cette perspective, la création d'un parquet européen apparaît d'autant plus indispensable. Le contrôle qui serait exercé par la Cour de justice - dont le régime général de compétence devrait être étendu, si les propositions du groupe de travail de la Convention européenne sont suivies, à l'ensemble de l'espace de sécurité, de liberté et de justice - interviendrait en effet a posteriori, comme pour le contrôle de l'OLAF, et présenterait par conséquent les mêmes faiblesses. Un élargissement significatif des pouvoirs d'enquête d'Europol nécessitera, en tout état de cause, la mise en place d'un contrôle juridictionnel efficace, exercé dès la phase d'investigation.

C'est pour cette première raison - renforcer la garantie des droits individuels - que la création d'un procureur européen, instruisant à charge et à décharge, est indispensable.

B. Une lutte plus efficace contre la criminalité portant atteinte aux intérêts européens

C'est sur ce second aspect que la Commission insiste particulièrement. L'importance de la fraude communautaire et son lien avéré avec la criminalité organisée justifient en effet une répression effective. L'efficacité de cette répression est actuellement sensiblement diminuée par une série d'obstacles.

C'est pour faire face à cette situation que la Commission européenne propose la création d'un procureur européen, dont la compétence devrait cependant être entendue plus largement que ne le propose le Livre vert.

1) La nécessité d'une répression effective de la fraude aux intérêts financiers communautaires

La protection des intérêts financiers communautaires n'est pas un phénomène d'importance secondaire. La répression effective de la fraude constitue, en raison de l'ampleur des montants concernés et de ses liens avec la criminalité organisée, un enjeu qui ne doit pas être sous-estimé.

a) L'importance des montants de la fraude

La fraude au budget communautaire - qui est incluse dans la notion plus large d'« irrégularités », mais qui s'en distingue par son caractère intentionnel - représente, chaque année, des sommes très importantes. La Commission l'a estimé, dans le Livre vert, à environ 20 % des cas connus et à près de 50 % des montants correspondants, soit un montant évalué à 413 millions d'euros en 1999.

Les derniers chiffres publiés par la Commission, dans son rapport annuel sur la protection des intérêts financiers des Communautés et la lutte contre la fraude, font apparaître des fraudes ou irrégularités d'un montant global de 1253 millions d'euros en 2001. La fraude elle-même peut être évaluée à 50 % de ce chiffre, soit plus de 600 millions d'euros. Selon d'autres estimations, ce montant annuel serait d'environ un milliard d'euros.

b) Un lien avéré avec la criminalité organisée

L'implication de la criminalité organisée est avérée dans une proportion élevée de ces affaires, qui présentent un caractère transnational marqué.

Le trafic de cigarettes et d'alcool en fournit l'illustration la plus connue. Chacun des rapports annuels de la Commission consacrés à la lutte contre la fraude comporte de nombreux exemples d'opérations de contrebande portant sur ces produits, qui traduisent la présence d'organisations criminelles de grande envergure, organisées aux niveaux européen et mondial.

En janvier 1997, l'« opération Colombus », organisée par le task-group « cigarettes » de l'Unité de coordination de la lutte anti-fraude (UCLAF) et les autorités douanières espagnoles, françaises et belges, a ainsi porté sur un trafic maritime d'environ vingt cargaisons de cigarettes de contrebande, chargées au départ du Benelux, consistant en 220 000 cartons (soit plus de 2,2 milliards de cigarettes) destinés au marché noir espagnol, et correspondant à un préjudice financier de 175 millions d'euros au titre des droits de douane, de la TVA et des accises éludés(21). Un cargo et une vedette rapide impliqués dans ce trafic ont été interceptés au large des côtes de la Galice. En 1998, ce sont sept camions contenant un total de plus de 80 millions de cigarettes qui ont été saisis par les autorités douanières espagnoles, en provenance de différents ports des Etats-Unis(22).

Comme le souligne la Commission, ces opérations frauduleuses démontrent l'implication de « réseaux criminels disposant d'une impressionnante faculté d'organisation, avec une capacité de mobilisation en termes de ressources et de moyens logistiques considérables, ainsi qu'une structure répartie sur une pluralité de territoires nationaux à l'intérieur et en dehors de la Communauté »(23).

2) Les obstacles rencontrés dans la lutte contre la fraude

Les instruments juridiques actuels ne permettent pas de lutter efficacement contre cette fraude. Les cas décelés par l'OLAF n'aboutissent en effet que très marginalement à des poursuites sur le plan pénal. Le cloisonnement entre autorités judiciaires des Etats membres, les insuffisances de la coopération judiciaire en matière pénale - en dépit de la création d'Eurojust - et l'absence de reconnaissance mutuelle des preuves mettent trop souvent en échec des mois d'enquête.

a) Le « morcellement de l'espace pénal européen »

Le caractère transnational de la fraude aux intérêts financiers communautaires oblige à une coopération avec, actuellement, dix-sept ordres judiciaires appliquant des règles de fond et de procédure différentes. Ces difficultés vont s'accroître après l'élargissement, avec l'augmentation du nombre d'Etats et d'opérateurs impliqués dans la gestion des fonds communautaires.

Le cloisonnement entre les autorités policières et judiciaires des Etats membres conduit par conséquent souvent à des recherches et des poursuites concurrentes, partielles ou inexistantes.

L'exemple de la violation de l'embargo sur la viande bovine britannique déclaré en raison de la maladie dite de la vache folle (ESB), cité par la Commission dans sa contribution à la Conférence intergouvernementale de Nice(24), est emblématique de ces difficultés. Dans cette affaire, l'embargo a été contourné par des opérateurs britanniques, belges et français. La fraude consistait à charger au Royaume-Uni de la viande bovine britannique, faussement déclarée comme étant de la viande bovine belge refusée par le destinataire et réexpédiée par le Royaume-Uni vers les Pays-Bas. La mise à jour de ce circuit de fraude a conduit à l'ouverture de poursuites judiciaires concurrentes dans plusieurs Etats membres (Royaume-Uni, Belgique, France, Pays-Bas), à raison des mêmes faits et des mêmes personnes. L'absence de centralisation de ces poursuites, combinée à la complexité de l'affaire, explique que les faits poursuivis n'en soient au stade du jugement que dans un seul Etat membre (le Royaume-Uni), alors que l'ouverture de l'information date de 1997.

La création d'un procureur européen est la seule réponse pertinente face à ce « morcellement de l'espace pénal européen », que dénonce la Commission dans le Livre vert.

b) La diversité des modes de preuve

Le deuxième obstacle le plus important à une répression efficace de cette forme de criminalité transnationale découle de la diversité des règles nationales en matière d'admissibilité et d'appréciation de la valeur probante. Tout tribunal du fond applique en effet les règles en vigueur dans son ressort, en application du principe forum regit actum.

Cette diversité et les inconvénients qui en résultent ont été étudiés, en particulier, par le groupe d'experts, coordonné par Mme Mireille Delmas-Marty et M. John A.E. Vervaele, ayant actualisé le Corpus Juris en 2000(25).

S'agissant des enquêtes pénales, l'étude montre qu'il existe des différences considérables quant à la possibilité d'utiliser des preuves obtenues dans des conditions illégales, irrégulières ou impropres (par ruse ou par tricherie, par exemple). La gradation des règles est extrêmement large, depuis le système suédois, qui apparaît comme le plus tolérant pour admettre ce type de preuve, à l'exception d'hypothèses extrêmes comme le recours à la torture, jusqu'au droit belge qui refuse d'admettre comme preuve les faits découverts à partir de l'aveu (en application de la théorie du « fruit of the poisoned tree »). Le droit britannique exclut pour sa part la preuve par ouï-dire (y compris la preuve recueillie par un procès-verbal de déposition de témoin transmis de l'étranger par commission rogatoire), conformément à la « hearsay rule ».

En ce qui concerne les enquêtes administratives, la diversité est moins grande et les informations peuvent généralement être admises comme preuve dans une affaire pénale, sous réserve cependant du régime de la preuve pénale (telle la règle du « hearsay », pour les pays de Common Law).

La complexité de ces règles nationales rend la recevabilité des preuves obtenues à l'étranger très difficile. Trois cas doivent être distingués :

- si la preuve a été recueillie en conformité avec le droit local, alors que les règles applicables devant la juridiction saisie n'ont pas été respectées, l'idée générale semble être que les juges admettent la preuve quand ils estiment que les règles qui ont été violées sont de pure procédure, et qu'il n'a été porté atteinte à aucun principe essentiel. Les systèmes de Common Law excluent cependant les procès-verbaux d'audition de témoin, même s'ils sont scrupuleusement conformes aux dispositions du droit local ;

- si la preuve a été obtenue dans des conditions conformes au droit étranger, mais contraires au droit national du pays où la preuve est produite, le juge n'en prononce généralement pas la nullité, mais peut la requalifier en simple information ;

- si la preuve n'est valide ni au regard des règles applicables au pays où les preuves ont été recueillies, ni à celles applicables devant la juridiction saisie, les règles correspondant à la violation de ce dernier s'appliqueront.

Cette situation réduit souvent à néant des investigations particulièrement longues et complexes. L'affaire « Southwark », jugée par le tribunal de la Couronne de Southwark, à Londres, le 15 mai 1996, à l'issue de quatre années d'enquête et de coopération internationale, est à cet égard exemplaire. L'affaire était fondée sur le détournement frauduleux de sept camions (cinq à destination de l'Italie, et deux à destination de l'Espagne) transportant des cigarettes, prétendument à destination du Maroc via l'Espagne. Le juge britannique saisi de l'affaire l'a déclaré irrecevable, au motif que la fraude était née en partie à l'extérieur du territoire national et que l'attestation fournie par les autorités espagnoles était insuffisante à des fins de poursuites au Royaume-Uni. Le juge n'a pas non plus admis la force probante des éléments recueillis par les autorités douanières espagnoles, et a en conséquence prononcé un non-lieu.

Dans une autre affaire, citée par la Commission dans le Livre vert(26), un importateur d'huile d'olive était soupçonné d'avoir présenté de fausses déclarations aux douanes pour éviter le paiement des droits agricoles. Il avait eu recours à une série de compagnies implantées dans plusieurs Etats membres, respectivement pour le transport, la distribution, la vente et le financement, dispersant ainsi les preuves sur le territoire de l'Union. Lors du jugement de l'affaire, la juridiction saisie a déclaré la plus grande partie des preuves inadmissibles, au motif qu'elles ont été obtenues par une autorité administrative (l'OLAF) ou par des auxiliaires de justice (police judiciaire), et non par un ministère public ou des juges d'instruction.

Cet obstacle majeur ne pourra être surmonté qu'à condition que la création du procureur européen s'accompagne de la définition de règles communes d'admissibilité des preuves. Le principe de reconnaissance mutuelle et de libre circulation des preuves proposé par la Commission ne paraît en effet pas de nature à surmonter toutes les difficultés rencontrées sur ce point essentiel. Il convient par conséquent de prévoir une harmonisation de certaines règles en matière de preuves, en adoptant une liste ouverte des modes de preuves que les Etats membres reconnaîtraient comme communément admissibles devant leurs juridictions, sur le modèle de l'article 32 du Corpus juris(27).

La création d'un procès-verbal européen d'interrogatoire ou d'audition, suggérée par le Livre vert(28), constituerait également une avancée remarquable, qui doit être soutenue.

c) L'inadaptation des méthodes classiques de coopération judiciaire

Les formes classiques de la coopération judiciaire sont trop lourdes et largement inadaptées face au développement de cette criminalité organisée transnationale.

Les procédures et délais de mise en œuvre de ces procédures ne sont en effet pas compatibles avec les nécessités de l'enquête. Dans une affaire de fraude concernant l'huile d'olive, portant sur 18 millions d'euros, vingt mois se sont ainsi écoulés entre les demandes d'extradition et de commission rogatoire adressées par le procureur saisi à la Central Authority for Mutual Legal Assistance britannique et l'acceptation conditionnelle de ces demandes par cette autorité.

Cette coopération judiciaire est également souvent freinée par des manœuvres dilatoires destinées à ralentir les investigations. A l'occasion d'une audition publique devant le Parlement européen, le procureur du Luxembourg a ainsi précisé qu'il avait été confronté à soixante recours successifs dans la même affaire, introduits les uns après les autres, afin de bénéficier chaque fois du délai nécessaire au juge pour les rejeter. Dans ces conditions, la commission rogatoire exécutée est généralement devenue inutile à celui qui en a introduit la demande.

Le procureur européen permettrait de surmonter ces obstacles. Chargé d'assurer un contrôle judiciaire homogène de l'activité opérationnelle et des enquêtes de niveau communautaire, garantissant le respect des droits individuels, de centraliser les poursuites judiciaires et de déclencher l'action publique devant les tribunaux nationaux, sa création est indispensable, pour qu'à la communautarisation du crime réponde enfin une communautarisation de la répression.

3) Quelles compétences pour le procureur européen ?

Les réactions suscitées par le projet ont été très diverses. Une majorité de praticiens et d'experts ont apporté leur soutien au projet de la Commission, mais les gouvernements de nombreux Etats membres s'y sont opposés. Dans ces conditions, la compétence du procureur européen doit, sous peine de compromettre la réussite du projet, rester circonscrite à la criminalité contre l'Europe.

a) Les réactions suscitées par le projet

Ces réactions font apparaître, au niveau européen comme national, un clivage très net entre les gouvernements des Etats membres, d'une part, et les praticiens (magistrats et avocats) et experts de la matière pénale, d'autre part.

(1) Au niveau européen

Lors de la Conférence intergouvernementale de Nice, les Etats membres ont réagi à la contribution de la Commission(29) en insérant Eurojust dans le traité. La création d'Eurojust est ambiguë : elle est « pour certains Etats membres un moyen de mettre fin au projet », alors que pour d'autres elle constitue « le premier pas vers sa création »(30). La proposition elle-même n'a, en tout état de cause, pas été reprise, même si la Conférence intergouvernementale a pris l'engagement que « cette proposition sera réexaminée [...] en vue de son insertion éventuelle dans le traité le moment venu »(31).

Il n'est donc guère surprenant que, lorsque le Livre vert a été présenté au Conseil, dans ses formations « Justice et affaires intérieures » et « Economie et finances », respectivement le 28 février et le 25 mars 2002, sept Etats membres seulement aient choisi de s'exprimer sur le sujet, cinq d'entre eux déclarant leur hostilité au projet. Parmi les arguments invoqués contre cette création, figure l'absence de valeur ajoutée par rapport à la coopération judiciaire européenne, et en particulier par rapport à Eurojust, qui n'a pas encore eu le temps de se développer. La création d'un procureur européen, avec une compétence aussi spécialisée, serait en outre disproportionnée par rapport aux changements constitutionnels qu'elle impliquerait. Enfin, les citoyens européens ne comprendraient pas que la répression de la fraude communautaire apparaisse ainsi prioritaire par rapport à d'autres formes de criminalité organisée, tels que le trafic d'êtres humains ou de stupéfiants.

Mais le débat, grâce à la consultation publique lancée par le Livre vert, a dépassé le cadre des cercles institutionnels, pour toucher l'ensemble des acteurs concernés. Plus de 70 réponses écrites sont parvenues à la Commission, émanant aussi bien de gouvernements et de parlements nationaux que des praticiens au niveau national et européen(32). Deux auditions publiques ont également été organisées par la Commission européenne et par la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, respectivement les 16 et 17 septembre et le 5 novembre 2002(33).

Les gouvernements qui ont formulé un avis écrit sur le Livre vert ou dont les représentants sont intervenus lors de l'audition publique des 16 et 17 septembre se sont déclarés majoritairement défavorables aux propositions de la Commission. Le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède, l'Irlande, l'Autriche, la Finlande et la France(34) se sont en effet opposés au projet, et l'Allemagne et le Luxembourg sont apparus plutôt sceptiques. Seuls la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie, l'Espagne, la Grèce et le Portugal ont adopté une position ouverte sur le Livre vert.

La position des gouvernements français et allemand est cependant aujourd'hui plus nuancée, et favorable, dans une perspective de long terme, à la création d'un parquet européen à partir d'Eurojust. La contribution franco-allemande(35), déposée par MM. Dominique de Villepin et Joschka Fischer le 27 novembre 2002, propose ainsi d'inscrire dans le traité « l'autorisation de créer un parquet européen ». Ce parquet européen « devrait être élaboré par étapes à partir d'Eurojust, pour passer peu à peu de simples pouvoirs de coordination à des pouvoirs de déclenchement des procédures d'enquête, de direction de celles-ci et d'évocation d'affaires », et pourrait notamment « être chargé de la protection des biens juridiques relevant du droit communautaire et de la poursuite de certaines formes graves de criminalité transfrontière ». Ces propositions sont éloignées de celle du Livre vert : il ne s'agit pas de créer un procureur européen, mais de permettre au Conseil de conférer, à terme, des pouvoirs de déclenchement et de direction des enquêtes aux représentants nationaux d'Eurojust. A certains égards, ces orientations restent timides. Mais l'objectif de long terme est finalement proche de celui poursuivi par la Commission, même si les démarches suggérées pour y parvenir diffèrent, dans leurs modalités comme dans leur calendrier.

Les parlements nationaux qui se sont prononcés ont adopté des positions contrastées. En France, le Sénat a adopté le 13 juillet 2002, sur la proposition de M. Pierre Fauchon, une résolution approuvant la création d'un procureur européen(36). La Chambre des Communes britannique et le Bundesrat allemand ont en revanche estimé que la nécessité de créer une nouvelle institution n'est pas suffisamment démontrée.

Les institutions communautaires - outre la Commission et le Parlement européen, qui sont à l'origine de la proposition - sont favorables au procureur européen. M. José Narciso da Cunha Rodrigues, président de la Cour de justice des Communautés européennes, considère ainsi que cette création est nécessaire pour assurer la garantie des droits fondamentaux(37). M. Juan Manuel Fabra Vallés, président de la Cour des comptes européenne, juge que le procureur est « une proposition pertinente » face aux insuffisances de la coopération judiciaire classique(38). Le membre français de la Cour des comptes, M. Jean-François Bernicot, a adopté la même position lors de son entretien avec l'un de vos rapporteurs.

Les praticiens et experts de la matière pénale ont, pour leur part, très largement pris position en faveur de la création d'un procureur européen. Les milieux universitaires (représentés notamment par l'Institut universitaire européen de Florence, le Collège d'Europe de Bruges et l'Institut Max Planck), les représentants des droits de la défense (tels l'Institut des droits de l'homme des avocats européens ou l'Union des avocats européens), comme les associations de magistrats (l'Association européenne des magistrats et les Magistrats européens pour la démocratie et la liberté, par exemple) ont ainsi déposé des avis écrits très positifs sur le Livre vert(39), tout en suggérant un certain nombre d'améliorations.

(2) Au niveau national

Vos rapporteurs ont constaté le même clivage au niveau national, lors de leurs entretiens. Les représentants du monde judiciaire, magistrats ou avocats, ont très largement apporté leur soutien au Livre vert, alors que les représentants des ministères techniques concernés (la Chancellerie et le ministère de l'économie et des finances) se sont montrés très réservés.

Les deux plus hauts magistrats judiciaires français, M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, et M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation, estiment, à titre personnel, cette création nécessaire. Selon M. Burgelin, les inconvénients de la situation actuelle justifient « que la poursuite de la fraude communautaire ne dépende pas de chacun des Etats membres de l'Union, mais d'une entité indépendante de chacun d'eux et rattachée à l'Union, c'est-à-dire un procureur européen ». Dans le même sens, M. Renaud Van Ruymbeke, premier juge d'instruction au pôle financier du parquet du Tribunal de grande instance de Paris et signataire du célèbre Appel de Genève du 1er octobre 1996, considère qu'« Europol ne peut être renforcé que s'il existe un contrôle de son activité par une autorité judiciaire », car « seule celle-ci est à même de s'assurer du respect des libertés individuelles et de permettre aux avocats d'exercer leurs droits dans le cadre d'une Europe judiciaire ».

Les représentants des droits de la défense consultés sont également en faveur du projet. Le Conseil national des Barreaux et la Conférence des bâtonniers, notamment, le soutiennent. Maître Daniel Soulez-Larivière, ancien membre du Conseil de l'Ordre, souligne aussi que « la construction européenne ne pourra pas se faire par un empilage de systèmes nationaux, dont Eurojust est un bon exemple », et que la création d'un procureur européen se situe dans une « perspective, à la fois de commodité et de progrès de l'Union ».

b) Le débat au sein de la Convention européenne

Le débat sur le procureur européen s'est poursuivi au sein du groupe de travail « Liberté, sécurité et justice » de la Convention européenne, qui a commencé ses travaux le 16 septembre 2002(40).

L'un de vos rapporteurs, membre suppléant de la Convention, y a défendu ce projet, auquel la première de ses contributions a été consacrée(41). De nombreux membres du groupe, présidé par M. John Bruton, ont apporté leur soutien à cette idée : M. Hans Martin Bury, représentant le gouvernement allemand, M. Alberto Costa, représentant le parlement portugais, M. Ben Fayot, représentant le parlement luxembourgeois, M. Hubert Haenel, président de la Délégation pour l'Union européenne du Sénat, M. Jürgen Meyer, représentant du Bundestag, Mmes Elena Paciotti et Anne Van Lancker, représentantes du Parlement européen, et M. Antonio Vitorino, commissaire européen en charge de la justice et des affaires intérieures, notamment, sont intervenus en ce sens ou ont déposé des contributions développant cette position(42). Les gouvernements français et allemand, représentés par MM. Dominique de Villepin et Joschka Fischer ont signé une contribution commune préconisant également la création d'un parquet européen (Cf. supra). Mme Michale Schreyer, commissaire européen chargé du budget, a rédigé une contribution pour le groupe de travail X, rappelant les orientations du Livre vert(43). M. Robert Badinter, membre suppléant de la Convention, est également favorable au projet, auquel le chapitre VI (articles 61 et 62) de sa « Constitution européenne » est consacré(44).

Les prises de position des partisans de cette avancée font clairement apparaître deux options. L'une propose la création d'un véritable procureur européen, indépendant et responsable, compétent pour la protection des intérêts financiers communautaires ou pour l'ensemble de la criminalité contre l'Europe. L'autre préconise que ce parquet européen soit développé à partir d'Eurojust, en conférant des pouvoirs de poursuites aux représentants nationaux des Etats membres qui composent cette instance. La première de ces options a, pour des raisons d'efficacité, la préférence de vos rapporteurs (Cf. infra, p.41).

D'autres membres du groupe de travail ont, en revanche, manifesté leur opposition à la création d'une telle institution, quelle que soit sa forme. M. Heathcoat-Amory, représentant la Chambre des communes britannique, M. Timothy Kirkhope, représentant du Parlement européen, M. Antti Peltomäki, représentant du gouvernement finlandais, la baronne Patricia Scotland, représentante du gouvernement britannique, notamment, considèrent cette création inutile.

Le passage du rapport final du groupe de travail consacré à ce point reste timide, compte tenu de ces divergences. Il se contente en effet, après avoir rappelé les trois thèses en présence, d'affirmer que « de très nombreux membres du groupe préconisent d'étudier l'idée de renforcer - à moyen ou à long terme - les compétences d'Eurojust de sorte qu'elle soit habilitée à intenter des actions devant les tribunaux nationaux (pour les infractions au détriment des intérêts financiers de l'Union ou pour d'autres formes graves de criminalité) », et que la « base juridique du traité relative à Eurojust devrait alors permettre la création d'un Parquet européen par un acte du Conseil adopté à l'unanimité avec l'avis conforme du Parlement européen »(45). Le rapport souligne, en outre, « qu'il ressort des travaux du groupe que, sur cette question, les avis des membres sont partagés ». Ces déclarations sont très en deçà de ce qui pouvait légitimement être attendu de la Convention européenne sur un tel sujet, situé au cœur des préoccupations des citoyens européens.

La séance plénière de la Convention européenne du 6 décembre 2002, consacrée à l'examen du rapport final du groupe de travail, a permis à une majorité d'intervenants de s'exprimer en faveur du procureur européen, ou, à tout le moins, d'un développement d'Eurojust vers un parquet européen. Le Président de la Convention européenne, M. Valéry Giscard d'Estaing, en conclusion du débat, a reconnu l'insuffisance actuelle d'Eurojust et souligné que des progrès importants sont à réaliser sur ce point. Il a estimé que sur la question de savoir si le renforcement d'Eurojust doit conduire à un parquet européen, les oppositions sont très fortes mais restent minoritaires, et qu'il revient à la Convention de décider si cette évolution, qui semble nécessaire, doit être immédiate ou se faire par étapes.

c) Un champ de compétence circonscrit à la criminalité contre l'Europe

Compte tenu de ces réactions, et notamment de l'opposition d'un nombre important d'Etats membres, la légitimité d'un procureur européen doit être clairement établie. C'est la raison pour laquelle il ne paraît pas réaliste, à ce stade, d'étendre la compétence du procureur à l'ensemble de la criminalité transfrontière (telle qu'elle est définie, par exemple, par la liste des trente deux infractions du mandat d'arrêt européen pour lesquelles la double incrimination n'est plus exigée, ou dans la Convention Europol). Une telle extension compromettrait la réussite du projet, ou conduirait à la création d'un faux-semblant de « parquet européen », à la compétence large, mais aux pouvoirs faibles et peu efficaces dans la lutte contre la criminalité organisée. Un socle étroit mais solide semble préférable, sans préjuger pour autant d'une évolution ultérieure.

La légitimité de l'intervention communautaire doit en effet être incontestable, et se limiter à la protection d'intérêts fondamentalement communs. Seule la criminalité prenant pour cible l'Europe, c'est-à-dire des biens communs proprement européens, doit être visée. Cette notion est plus large que la seule protection des intérêts financiers communautaires, et couvre les infractions portant atteinte à des intérêts communs, pour lesquels il existe un droit du fond communautaire. La contrefaçon de l'euro, les abus commis par les agents de la fonction publique communautaire et la protection des marques et des brevets communautaires devraient ainsi être inclus dans le champ de compétence du procureur.

Une clause d'ouverture devrait être prévue, afin de pouvoir étendre la compétence du procureur à d'autres formes de criminalité - tels les « eurocrimes » visés par la liste des trente deux infractions du mandat d'arrêt européen - sans avoir à modifier le Traité. Elle permettrait au conseil de l'Union européenne, statuant à l'unanimité, d'ajouter d'autres infractions au champ de compétence du procureur, afin de l'adapter aux évolutions de la criminalité et d'apporter ainsi une réponse efficace aux préoccupations des citoyens.

II. UNE INSTITUTION CONFORME AUX EXIGENCES DEMOCRATIQUES ET COMPATIBLE AVEC LA DIVERSITE DES TRADITIONS JURIDIQUES NATIONALES

La création d'un procureur européen est légitime, parce que cette institution sera conforme aux exigences de l'Etat de droit et de la démocratie. En d'autres termes, le procureur sera indépendant, mais aussi responsable, tant sur le plan disciplinaire que politique. Cette création se révèle, en outre, parfaitement compatible avec la diversité des traditions juridiques nationales et des structures européennes existantes.

A. Un projet conforme aux exigences de l'Etat de droit et de la démocratie

La création d'un procureur européen est légitime, parce qu'il sera doté de fortes garanties d'indépendance et placé sous un contrôle juridictionnel et démocratique efficace. Dans une société démocratique, il n'existe en effet pas d'autorité sans responsabilité.

1) De fortes garanties d'indépendance

Le procureur européen, comme les procureurs européens délégués, sera doté d'un statut garantissant son indépendance.

a) Un statut identique à celui des juges de la Cour de justice

La Commission propose que le statut du procureur européen s'inspire de celui des juges de la Cour de justice. Choisi parmi des personnalités réunissant les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles, il ne pourra solliciter ni accepter aucune instruction.

Ses conditions de nomination devraient être identiques à celles des juges de la Cour de justice, en prévoyant toutefois le recours à la majorité qualifiée et la consultation du Parlement européen. Le caractère non renouvelable du mandat de six ans, proposé par le Livre vert, devrait également être retenu. L'ensemble du statut prévu est, d'une manière générale, conforme à la recommandation du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur le « rôle du ministère public dans le système de justice pénale »(46).

Le droit dérivé devra également doter le procureur européen des moyens humains, matériels et budgétaires suffisants pour assurer son indépendance.

b) Le statut des procureurs européens délégués

Les orientations de la Commission en ce qui concerne les procureurs européens délégués soulèvent davantage d'interrogations. Le Livre vert ne propose pas de les doter d'un statut européen autonome. Les procureurs européens délégués conserveraient leur statut national pour tous les aspects relatifs au recrutement, à la nomination, à l'avancement, à la rémunération, à la protection sociale, à la gestion courante, etc. Seul leur régime hiérarchique et disciplinaire serait affecté pour le temps de leur mandat, leur responsabilité disciplinaire ne pouvant être engagée, dans l'exercice de leur mandat européen, que devant la Cour de justice, dans les mêmes conditions que pour le procureur européen lui-même.

Cette option est celle dont les implications pour le droit des Etats membres sont les moins contraignantes. Elle a cependant suscité de nombreuses critiques dans le cadre de la consultation engagée par le Livre vert. L'Institut universitaire de Florence(47), le Comité de surveillance de l'OLAF(48) et la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen(49), notamment, ont contesté cette solution, surtout en cas de cumul possible des mandats nationaux et européen. Ils recommandent que les procureurs européens délégués soient dotés d'un statut européen. Cette solution semble effectivement indispensable pour assurer leur indépendance, surtout en cas de cumul des mandats nationaux et européens.

Le caractère renouvelable du mandat des procureurs européens délégués est acceptable, dans la mesure où cette option est sans doute la seule compatible avec le vivier de recrutement disponible dans les Etats membres.

2) Un contrôle juridictionnel et politique efficace

Le ministère public européen doit être indépendant, mais pas pour autant irresponsable. Il serait par conséquent soumis à un contrôle disciplinaire, juridictionnel et politique efficace.

a) La responsabilité disciplinaire du procureur européen

Une procédure disciplinaire doit être mise en place, et si le procureur européen - ou l'un des procureurs européens délégués - a commis une faute grave, ou s'il ne remplit plus les conditions nécessaires à l'exercice de ses fonctions, une procédure de destitution pourrait être engagée devant la Cour de justice, à la requête du Parlement européen, du Conseil, ou de la Commission. Une requête collective des parlements nationaux - avec un seuil, par exemple, d'un quart des parlements nationaux - pourrait également être envisagée.

b) La création d'une Chambre préliminaire européenne

La protection des droits des justiciables exige également la création d'une Chambre préliminaire européenne, rattachée à la Cour de justice. C'est le système préconisé par le Corpus juris, et recommandé par la majorité des experts qui se sont exprimés sur le Livre vert.

Le système prévu par la Commission n'est en effet pas satisfaisant. Le contrôle par un juge national de l'acte de renvoi en jugement ne protège pas les justiciables contre la pratique du « forum shopping », qui consisterait à laisser le choix au procureur européen de renvoyer l'affaire devant les tribunaux de l'Etat où celle-ci aurait le plus de chance d'aboutir à une condamnation, et le contrôle par un « juge des libertés » national des actes de recherche paraît difficile à exercer en pratique s'agissant d'affaires transnationales.

Il convient par conséquent de confier à une Chambre préliminaire les fonctions de juge des libertés à l'échelle de l'espace judiciaire européen, en lui conférant le contrôle de la phase préparatoire et la décision de renvoi en jugement. La Chambre préliminaire prévue par le statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 17 juillet 1998 constitue, sur ce point, un modèle envisageable.

Cette chambre préliminaire devra naturellement être dotée de ressources humaines et matérielles suffisantes, pour que sa création ne vienne pas aggraver l'« engorgement » de la Cour de justice.

c) Un contrôle politique renforcé

Le procureur européen devrait également présenter un rapport annuel devant le Parlement européen, et celui-ci devrait pouvoir convoquer le procureur devant la commission parlementaire compétente.

Le contrôle parlementaire du procureur européen devrait également associer davantage les parlements nationaux. Outre la transmission du rapport précité aux parlements nationaux, il serait souhaitable de confier ce contrôle à la commission mixte dont la création est envisagée pour le contrôle d'Europol. Composée de membres des commissions des parlements nationaux et du Parlement européen compétentes en matière policière et judiciaire, cette commission a été proposée par la Commission dans sa communication sur le contrôle démocratique d'Europol du 26 février 2002(50), et le principe en a été repris par certains membres du groupe de travail « Liberté, sécurité et justice » de la Convention européenne.

B. Une institution compatible avec la diversité des traditions juridiques nationales et les structures existantes

La faisabilité du ministère public européen ne fait pas de doute, parce que les conditions d'une articulation harmonieuse avec les systèmes judiciaires nationaux sont réunies et qu'elle est parfaitement compatible avec les structures existantes (Eurojust, Europol et l'OLAF).

1) Une articulation harmonieuse avec les systèmes pénaux nationaux

Le procureur européen pourra s'insérer dans les systèmes pénaux nationaux, grâce au rapprochement des traditions juridiques des Etats membres et à une organisation respectueuse des spécificités de chaque Etat membre.

a) Les traditions juridiques des Etats membres se sont considérablement rapprochées

La diversité des traditions juridiques des Etats membres est souvent opposée à la création d'un procureur européen, au motif que la tradition accusatoire, qui n'implique pas l'institution d'un service de poursuites publiques, lui serait totalement étrangère, et que le principe de légalité préconisé serait incompatible avec les systèmes d'opportunité des poursuites, que pratique notamment la France.

(1) Traditions accusatoire et inquisitoire

Cette opposition entre les traditions accusatoire et inquisitoire est excessive, dans la mesure où ces deux modèles ont évolué et que leurs caractères d'origine se sont estompés. L'influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de procès équitable, en particulier, a contribué à rapprocher ces deux systèmes.

On peut ainsi mentionner, à titre d'exemple, la création en Angleterre et au Pays de Galles du Crown Prosecution Service, en 1985, et du Serious Fraud Office, en 1987, ainsi que la disparition progressive sur le continent européen du juge d'instruction. Comme le résument les professeurs Mireille Delmas-Marty et John A.E. Spencer, « on observe tout à la fois l'apparition de certaines caractéristiques du modèle inquisitoire dans les pays de Common Law et leur affaiblissement sur le continent »(51). C'est ce qui rend possible la synthèse que constitue le procureur européen.

(2) Opportunité et légalité des poursuites

L'opposition entre les systèmes de légalité (appliqué, par exemple, en Allemagne, en Italie et en Espagne) et d'opportunité (suivi en France et au Royaume-Uni, notamment) des poursuites est également exagérée.

La mixité entre les systèmes de légalité et d'opportunité caractérise en effet désormais la situation dans la plupart des Etats membres. Les systèmes d'opportunité n'existent qu'encadrés, notamment par l'exigence d'une motivation des décisions de classement et par l'organisation de recours contre les décisions. De même, les systèmes de légalité sont assouplis par diverses possibilités de classement sous condition.

b) Une organisation déconcentrée, respectueuse des spécificités de chaque système judiciaire

Le système proposé est respectueux du principe de subsidiarité, et le principe de légalité affirmé est largement tempéré par de nombreuses exceptions. Ces précautions ne seront cependant sans doute pas suffisantes pour assurer la conformité du projet avec la Constitution française.

(1) Le respect du principe de subsidiarité

La volonté de la Commission de respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité l'a conduit à n'envisager qu'une harmonisation partielle, portant sur le minimum de dispositions du droit pénal nécessaire pour assurer le fonctionnement du procureur européen, tout en laissant la fonction de jugement pénal aux juridictions des Etats membres.

L'organisation proposée par la Commission est, en outre, déconcentrée, le procureur européen s'appuyant dans les Etats membres sur des procureurs européens délégués. Cette déconcentration vise à « garantir l'intégration de son action dans les ordres juridiques nationaux, sans bouleversement pour ces derniers »(52), et constitue une garantie que la jonction avec l'échelon national sera bien assurée.

Ces procureurs européens délégués - au nombre d'un ou de plusieurs par Etat membre, selon le volume d'affaires à traiter - seront le « levier d'action » du procureur européen, puisque c'est à eux que reviendra l'exercice concret des compétences. Ils seront naturellement subordonnés au procureur européen et tenus d'obéir à ses instructions, générales aussi bien que particulières.

La Commission propose trois options en ce qui concerne la possibilité de cumuler leur mandat européen avec un mandat national :

- selon la première option, le mandat des procureurs européens délégués serait exclusif de tout autre, ce qui garantirait leur spécialisation pleine et entière ;

- selon la deuxième, les mandats européens et nationaux des procureurs pourraient être cumulés (« double casquette »). Le Livre vert souligne, à juste titre, que cette solution a l'avantage de faciliter le traitement des affaires mixtes, portant atteinte aux intérêts tant nationaux que communautaires ;

- enfin, selon une troisième option, le choix entre les deux précédentes pourrait être laissé à l'appréciation de chaque Etat membre.

La seconde option a suscité un certain nombre de critiques, fondées surtout sur les risques qu'un tel cumul ferait peser sur l'indépendance des procureurs européens délégués. Le Comité de surveillance de l'OLAF, comme l'Institut universitaire de Florence(53), souligne ainsi « qu'un tel cumul impliquerait en effet un dédoublement du statut et de la loyauté qui ne garantiraient pas la prévalence des intérêts communautaires en cas de sollicitations concurrentes [...] au titre de leurs deux fonctions »(54).

Mais l'avantage que constitue la « double casquette » pour le traitement des affaires mixtes, qui sont extrêmement nombreuses en pratique, nous semble déterminant, d'autant que le risque de conflits d'intérêt évoqué peut être limité par des règles précises assurant une hiérarchisation des deux fonctions, au profit des intérêts communautaires.

(2) Un principe de légalité tempéré

Le procureur européen devrait pouvoir être informé par tout citoyen européen, cette information n'entraînant pas d'obligation de réponse. La saisine par les autorités publiques nationales ou communautaires, qui seraient tenues de saisir le procureur si elles ont connaissance d'un fait pouvant constituer l'une des infractions communautaires prédéfinies, obligerait en revanche le procureur à fournir une réponse motivée.

Le Livre vert propose de retenir un principe de légalité des poursuites, assortis d'exceptions destinées à le tempérer. La Commission estime, avec raison, que le choix de ce principe est indispensable pour assurer une poursuite uniforme dans tout l'espace judiciaire européen. Cette solution est acceptable, compte tenu des exceptions prévues. Celles-ci relèvent, en premier lieu, de l'application de l'adage « de minimis non curat praetor », et visent à ne pas encombrer le procureur européen avec des affaires d'importance mineure. Elles ont pour objectif, en second lieu, de maintenir la possibilité de procéder à des transactions, à condition que la personne concernée ait réparé le dommage causé en restituant les fonds irrégulièrement perçus ou en versant les taxes ou droits éludés. Cette possibilité serait exclue en cas de circonstances aggravantes.

(3) La nécessité d'une révision constitutionnelle

La création d'un procureur européen nécessiterait vraisemblablement, en France, une révision de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel, dans la décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, relative au statut de la Cour pénale internationale (CPI), a en effet estimé que le fait que le procureur international de la CPI peut « procéder à certains actes d'enquête hors la présence des autorités de l'Etat requis et sur le territoire de ce dernier » et qu'il « peut notamment recueillir des dépositions de témoins et « inspecter un site public ou un autre lieu public » est « de nature à porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » (cons. 38).

En l'espèce, le procureur européen agirait, certes, par l'intermédiaire des procureurs européens délégués. Mais ces derniers étant soumis à son autorité hiérarchique, cet élément n'apparaît pas de nature à lever l'obstacle constitutionnel.

En outre, le Conseil constitutionnel, dans une décision
n° 98-399 DC du 5 mai 1998, a jugé « qu'en principe ne sauraient être confiées à des personnes de nationalité étrangère, ou représentant un organisme international, des fonctions inséparables de l'exercice de la souveraineté nationale » et que « tel est le cas, en particulier, des fonctions juridictionnelles » (cons. 13). Il n'a, dès lors, admis la présence de représentants du haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies au sein de la commission de recours des réfugiés qu'en raison « du caractère minoritaire de cette présence ».

2) Une institution compatible avec les structures existantes

La création du procureur européen ne doit pas aggraver la « sédimentation » des structures de coopération judiciaire et policière, où coexistent déjà Eurojust, le Réseau judiciaire européen, Europol et l'OLAF. L'articulation de cette nouvelle institution avec les organismes existants se révèle par conséquent cruciale.

a) Eurojust et le procureur européen : deux institutions complémentaires, mais non substituables

Eurojust, créée dans sa forme actuelle par la décision du Conseil du 28 février 2002(55), est composée d'un membre national détaché par chaque Etat membre, « ayant la qualité de procureur, de juge ou d'officier de police ayant des prérogatives équivalentes ». Elle a pour objectif de promouvoir la coordination entre les autorités nationales compétentes, d'améliorer leur coopération en facilitant la mise en œuvre de l'entraide judiciaire et de soutenir les autorités compétentes pour donner plus d'efficacité à leur action contre la criminalité grave. Implantée à La Haye, elle peut demander aux autorités nationales compétentes d'entreprendre une enquête sur des faits précis, mais celles-ci restent libres de refuser, en principe de manière motivée.

Eurojust et le procureur européen sont deux institutions complémentaires - mais Eurojust ne saurait constituer un substitut au procureur européen, car elle relève d'une logique différente, de coopération judiciaire - entre lesquelles un lien doit être établi, afin d'éviter tout cloisonnement.

Le procureur européen pourrait ainsi être membre de droit du collège Eurojust, tout en conservant son statut particulier et son indépendance fonctionnelle. Une solution plus ambitieuse consisterait à opérer une fusion organique entre ces deux instances, avec une relation hiérarchique qui ferait du procureur européen un « primus inter pares » au sein de la seconde.

Il semble en revanche difficile de transformer Eurojust en un parquet européen, en dotant les représentants nationaux désignés par les Etats membres au sein d'Eurojust de pouvoirs de poursuites et de certains éléments de l'action publique nationale. En l'absence d'un procureur européen placé au sommet du parquet proposé, la collégialité apparaît en effet difficilement compatible avec la réactivité que requiert une direction effective des poursuites (les conditions de vote du collège restent d'ailleurs, dans cette hypothèse, à définir). En outre, un membre du collège d'Eurojust, représentant d'un Etat membre, devrait nécessairement être désigné « chef de file » sur une affaire, et dirigerait par conséquent les activités de recherche conduites au sein des autres pays de l'Union. Or il apparaît peu probable que les services de police d'un Etat membre acceptent facilement que leurs investigations soient centralisées par un procureur d'un autre Etat. La légitimité d'un procureur européen agissant par l'intermédiaire de procureurs européens délégués désignés par chaque Etat membre serait bien plus grande, et mieux acceptée.

Cette option « Eurojust renforcé » présente cependant l'avantage, en dépit de ses limites, d'être plus facilement acceptable, à ce stade, par nos partenaires européens.

b) La perspective d'une fusion de l'OLAF et d'Europol

La fusion d'Europol et de l'OLAF, tous deux placés sous le contrôle et la direction du procureur européen, devrait également être envisagée, dans un esprit de rationalisation et d'efficacité. Elle permettrait d'accroître l'indépendance organique de l'OLAF à l'égard de la Commission, dans le contexte d'un cadre institutionnel européen unique, et de mettre ainsi fin aux critiques récurrentes portant sur la relation ambiguë qu'entretient l'OLAF avec la Commission dans le cadre de ses activités d'enquête interne.

Le procureur européen, loin d'ajouter une nouvelle institution à l'« empilement » existant, constitue ainsi l'opportunité de rationaliser et de renforcer la cohérence de cet ensemble.

CONCLUSION

Il est urgent, selon une formule que la Cour des comptes européenne a empruntée au Corpus juris, d'apporter « une réponse radicale à l'absurdité, encore tolérée bien que condamnée universellement, qui veut que nos frontières nationales soient grandes ouvertes aux criminels et fermées à ceux chargés de la lutte contre le crime, ce qui risque de transformer nos pays en paradis criminels »(56).

La création d'un procureur européen contribuerait à mettre fin à cette « absurdité tolérée ». Elle ne constitue pas une solution miracle : l'affirmation du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière civile et pénale, dont le Conseil européen de Tampere d'octobre 1999 a fait la « pierre angulaire » de l'espace judiciaire, le renforcement d'Eurojust, l'adoption d'un cadre institutionnel unique, supprimant la construction actuelle en « piliers », et le passage à la majorité qualifiée en matière de coopération judiciaire pénale, en constituent les compléments nécessaires. Mais elle n'en est pas moins indispensable à la constitution d'un véritable espace judiciaire européen que les citoyens de l'Union appellent de leurs vœux.

Le procureur européen, si le futur Traité constitutionnel consacrait son existence, n'entrerait vraisemblablement en fonction, une fois les règles de droit dérivé adoptées, qu'à l'horizon 2010. Différer sa création - en la renvoyant par exemple à un acte du Conseil pris à l'unanimité - serait la condamner sans appel, alors que la Convention européenne doit préparer l'Europe des cinquante prochaines années.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

1) Audition de Mme Michaele Schreyer, commissaire européen chargé du budget, et de Mme Diemut Theato, présidente de la commission du contrôle budgétaire au Parlement européen, en présence de M. Giorgos Dimitrakopoulos, vice-président du Parlement européen et rapporteur pour avis de la commission des affaires constitutionnelles, sur la création d'un procureur européen, le jeudi 28 novembre 2002

Le Président Pierre Lequiller s'est félicité de la présence de Mme Michaele Schreyer, commissaire européen responsable du budget, qui a présenté, le 11 décembre 2001, le Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen, et qui a déposé des contributions sur ce sujet à la Conférence intergouvernementale de Nice ainsi qu'à la Convention européenne. Il s'est également réjoui de la venue de Mme Diemut Theato, présidente de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, et a rappelé, à cette occasion, que le Parlement européen avait eu un rôle majeur d'initiative en la matière, puisqu'il propose la création d'un procureur européen depuis 1996. En outre, la commission présidée par Mme Diemut Theato a toujours souhaité associer les parlements nationaux à ses travaux grâce à l'organisation de conférences et d'auditions publiques.

Il a également souhaité la bienvenue à M. Giorgos Dimitrakopoulos, vice-président du Parlement européen, rapporteur pour avis de la commission des affaires constitutionnelles, ainsi qu'aux parlementaires européens des commissions compétentes.

Mme Michaele Schreyer s'est dite honorée de son invitation à l'Assemblée nationale et a tenu à préciser que si la création du procureur européen relève de la commissaire responsable du budget, dans la mesure où cette dernière s'occupe de la lutte contre les fraudes, les travaux ont été menés en étroite collaboration avec le commissaire européen responsable des secteurs de l'intérieur et de la justice.

Elle s'est félicitée de l'intérêt de la Délégation pour la création d'un procureur européen, qui n'est pas un sujet nouveau puisque, après avoir été initié par le Parlement européen et notamment par Mme Diemut Theato, il a également été évoqué par le manifeste de Strasbourg du 20 octobre 2000 et par la Conférence intergouvernementale de Nice. Le Livre vert vise à concrétiser cette initiative et à lancer une vaste discussion. On est actuellement dans une phase décisive car ce thème devrait être abordé par la session plénière de la Convention européenne, le 6 décembre prochain. Elle a d'ailleurs déposé, avec MM. Michel Barnier et Antonio Vitorino, une contribution devant cette Convention. A cet égard, elle a tenu à remercier M. Jacques Floch pour sa propre contribution et M. René André pour l'appui qu'il a apporté à la Commission dans les diverses discussions.

L'institution d'un procureur européen permettrait de poursuivre la fraude communautaire, qui relève de plus en plus de la criminalité organisée et dont les dommages peuvent être évalués à plusieurs centaines de millions d'euros par an, au minimum. Les instruments existants ne sont pas suffisants. Pour être véritablement efficace, il faudrait un organe unique chargé de la poursuite, centralisant les actions et pouvant porter plainte au niveau national. Cette réforme est urgente car, avec l'élargissement, les poursuites judiciaires pourraient buter sur dix frontières juridiques supplémentaires.

La création d'un procureur européen nécessite, dans un premier temps, une base juridique dans les traités, qui sera complétée à travers le droit dérivé quant à son fonctionnement, ce qui prendra nécessairement du temps.

Elle a souligné que la Commission était sceptique sur la proposition visant à donner au Conseil le pouvoir de créer le procureur européen.

S'agissant des compétences de ce dernier, la Commission propose de les limiter, dans une première phase, aux fraudes touchant le budget européen, dans la mesure où ce budget constitue un bien commun. Une extension progressive des compétences à d'autres biens communautaires serait néanmoins envisageable, notamment pour la protection de l'euro, qui ne fait pas l'objet actuellement de falsifications à grande échelle, mais il faut demeurer prudent. La démarche progressive est sans aucun doute la bonne et il ne serait pas réaliste de donner immédiatement au procureur européen compétence sur toute la criminalité transfrontalière.

Le Livre vert présenté par la Commission fixe un cadre pour l'organisation de l'institution du procureur européen et, en vertu des principes de subsidiarité et de proportionnalité, il appartiendra aux Etats membres de préciser cette organisation, ce qui implique une structure décentralisée s'appuyant sur des procureurs délégués nationaux, ne devant pas être des fonctionnaires européens.

Le principe de reconnaissance mutuelle, affirmé par le Conseil européen de Tampere en 1999, doit valoir pour la reconnaissance des preuves, mais il ne doit pas déboucher sur une restriction des droits de défense des citoyens. Une certaine harmonisation sera donc nécessaire en la matière.

La Commission européenne n'est pas convaincue de la nécessité d'une chambre préliminaire européenne, mais elle reste ouverte à un débat sur ce point.

Par ailleurs, le procureur européen doit être indépendant, ce qui ne signifie pas qu'il ne sera soumis à aucun contrôle. Il serait responsable devant la Cour de justice des Communautés européennes et devrait déposer un rapport d'activité annuel auprès du Parlement européen.

Eurojust ne rend pas le procureur européen superflu. Au contraire, Eurojust et le procureur, sans être des institutions concurrentes, auront des fonctions complémentaires.

Mme Michaele Schreyer s'est déclarée convaincue que le rapport et la résolution de la Délégation pour l'Union européenne permettront de faire avancer le débat.

La mise en place d'un procureur européen constitue l'un des éléments clés de la construction d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice. C'est la raison pour laquelle il est souhaitable que ce projet soit examiné par la Convention et par la Conférence intergouvernementale qui suivra.

Mme Diemut Theato a remercié la Délégation pour l'Union européenne et le Président Pierre Lequiller de leur invitation, en rappelant les nombreuses auditions organisées sur le procureur européen par la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen et dernièrement par la Commission.

Depuis la présentation du Livre vert de la Commission, en décembre 2001, la Commission et le Parlement européen défendent ensemble le projet d'un procureur européen, qui devrait être repris dans les travaux de la Convention.

Le Parlement européen a demandé dans de nombreuses résolutions, que des dispositions pénales spécifiques soient incluses dans le traité pour protéger les intérêts financiers de l'Union. Les membres de la Convention et les Etats doivent être cohérents : on ne peut pas à la fois dénoncer la fraude et être réservé à l'égard d'un projet qui vise à la combattre efficacement. L'opinion publique est favorable à la protection pénale des intérêts financiers de l'Union.

Mme Diemut Theato a insisté sur les difficultés actuelles de lutter contre la criminalité transfrontalière qui porte préjudice au budget européen et sur les limites de l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), liées à son statut. Il est donc nécessaire que le cadre juridique du procureur européen soit intégré au futur traité constitutionnel, parallèlement à l'élargissement de l'Union européenne.

Elle a souligné l'importance d'une protection des intérêts financiers de l'Union et rappelé que les Etats membres ont décidé son incorporation au traité. Toutefois, le fait d'insérer un nouvel article 280bis au traité en 2004 ne permettra pas au nouveau système d'entrer rapidement en vigueur. Nous devons donc réagir sans plus attendre pour que la délinquance financière n'en profite pas.

Mme Diemut Theato a félicité la Commission et Mme Michaele Schreyer pour la qualité du Livre vert et l'originalité de la méthode suivie.

Elle a estimé que le projet d'un procureur européen s'inscrit dans la construction d'un espace européen de la justice, en liaison avec Eurojust, Europol ou l'OLAF. Le système retenu doit respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Il doit être efficace, transparent et respectueux des droits fondamentaux de la personne humaine. L'incorporation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne au futur traité constitutionnel ira dans ce sens. Il convient par ailleurs d'éviter l'écueil de la lourdeur administrative, qui caractérise actuellement la coopération en matière pénale.

Mme Diemut Theato a estimé que le statut du procureur européen et des procureurs européens délégués devrait garantir leur indépendance à l'égard des Etats et des institutions européennes.

Faut-il faire contrôler le procureur européen par le juge national des libertés ou faut-il privilégier une approche communautaire ? La création d'une chambre préliminaire auprès de la Cour de justice des Communautés européennes est envisagée. Elle offrirait l'avantage de renforcer l'unité et l'équité dans l'application et l'interprétation du droit communautaire. Cette procédure serait toutefois plus lente. Cela constituerait les prémices d'une Cour pénale européenne.

En ce qui concerne le champ des compétences du procureur européen, le minimalisme de la Commission a parfois été critiqué. Le Parlement européen souhaite également s'en tenir à la fraude aux recettes et aux dépenses de l'Union. Il ne faut pas être hostile a priori à un élargissement des compétences du procureur européen, mais il convient d'être prudent. Il appartiendra à la Convention et aux gouvernements des Etats membres d'en décider.

Elle a souligné que le rôle de coordination confié à Eurojust se différenciait de celui envisagé pour un procureur européen qui se verrait confier un pouvoir propre d'investigation. Par ailleurs, le champ de compétence d'Eurojust est plus vaste que la seule protection des intérêts financiers de la Communauté. Les relations entre Eurojust et le procureur européen doivent donc être conçues dans un esprit de complémentarité et non de concurrence.

Mme Diemut Theato a conclu en soulignant que bien des aspects importants de la proposition d'un procureur européen restaient à approfondir, comme celle de l'articulation entre le ministère public européen et les systèmes judiciaires nationaux - mais que la question de la justice européenne de demain constituait un sujet majeur de préoccupation pour nos concitoyens et qu'il fallait y apporter une réponse politique forte en saisissant la chance historique que représente la Convention européenne.

M. Giorgos Dimitrakopoulos, vice-président du Parlement européen, rapporteur pour avis de la commission des affaires constitutionnelles sur le Livre vert de la Commission concernant la protection générale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen, a souligné que les membres du Parlement européen étaient quasi unanimes sur le principe de l'institution d'un procureur européen, même si certains sont sceptiques sur tel ou tel aspect du système proposé. Il a considéré qu'il était important d'envoyer ce message politique fort à la Convention, celle-ci pouvant, à partir de là, examiner les réponses nécessaires à certaines critiques portées à l'encontre des orientations proposées, à ce stade, par la Commission.

Il a estimé que la question de la base juridique de l'institution d'un procureur européen qui serait proposée, à travers un article nouveau ayant vocation à être inséré dans le projet de traité constitutionnel, constituait un point essentiel devant être examiné avec une grande attention. Il a souligné que le débat sur le procureur européen était en partie lié à celui, plus large, relatif à la répartition des compétences au sein de l'Union et à l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Il a considéré que le projet de création d'un procureur européen pouvait constituer un facteur favorable à la constitution progressive d'un droit pénal européen, une des priorités qui doivent être débattues dans le cadre de la réflexion plus fondamentale sur la refonte du projet européen.

En ce qui concerne la question des compétences du procureur européen, M. Giorgos Dimitrakopoulos a jugé que, s'il était opportun de commencer par le domaine relevant de la criminalité économique, il était impératif de laisser la porte ouverte à une extension ultérieure des compétences du procureur européen.

S'agissant des relations entre le procureur européen et les procureurs nationaux, il a estimé que la coopération qui s'est mise en place entre le médiateur européen et les médiateurs nationaux pouvait constituer un bon exemple. Il a souligné que l'OLAF et le procureur européen devaient constituer deux institutions complémentaires.

M. Dimitrakopoulos a alors plaidé en faveur de l'introduction d'un véritable volet judiciaire qui devra se substituer au processus administratif actuellement fondé sur les pouvoirs de l'OLAF. Il faut en effet rééquilibrer le système en vigueur qui permet de qualifier les infractions sans pour autant prévoir les instruments juridiques nécessaires pour les sanctionner. Il a souligné les enjeux de la Convention européenne qui doit formuler des propositions novatrices sur ces sujets.

M. Jacques Floch, rapporteur et membre du groupe de travail de la Convention sur la sécurité et la justice, a fait part de ses nombreux entretiens avec des représentants des autorités françaises dans les domaines de la justice et de la police, qui se sont très majoritairement prononcés en faveur d'une modification substantielle du système judiciaire et de police européens. Il a exposé les conclusions du groupe de travail de la Convention, qui s'est réuni à neuf reprises depuis le mois d'octobre. Il a évoqué les difficultés de compréhension entre les membres du groupe de travail : que recouvre la notion d'espace judiciaire européen ? Quels sont les enjeux de la reconnaissance mutuelle des systèmes judiciaires nationaux ? Faut-il limiter aux seuls intérêts financiers le périmètre du procureur européen ? Il a déclaré qu'une majorité de membres était favorable à l'extension de cette protection aux « eurocrimes », c'est-à-dire aux crimes et aux délits commis à l'échelle européenne, au sein d'un espace géographique fondé sur le principe de la liberté de circulation. Il s'agit en réalité de prévoir un mécanisme efficace pour protéger les droits qui sont reconnus par la charte des droits fondamentaux  ce qui implique nécessairement son intégration dans le futur traité constitutionnel.

M. Jacques Floch a fait état des réticences qui sont apparues au sein du groupe de travail, certains membres refusant de reconnaître l'existence même d'un espace judiciaire européen, alors qu'il est une conséquence du principe de libre circulation. Il s'est félicité de la reconnaissance par le groupe de travail de la diversité des systèmes judiciaires nationaux, qui n'est pas incompatible avec une approche commune et mieux coordonnée. Aucun système national n'est meilleur qu'un autre, et les traditions juridiques de chaque Etat doivent être préservées. Mais il a souligné l'importance de prévoir des règles d'évaluation de la qualité et de la fiabilité des différents systèmes judiciaires et de leur fonctionnement. M. Jacques Floch a estimé indispensable d'instaurer un mécanisme de reconnaissance mutuelle des systèmes de preuve, même si les preuves ne sont pas acquises de la même façon selon les pays.

Il faut tendre vers la reconnaissance mutuelle de décisions judiciaires en matière civile et pénale, même si cette évolution exige beaucoup d'efforts et doit être menée sans précipitation. Mais on ne peut pas se contenter de l'approche suivie jusqu'à présent d'un maintien du statu quo, qui constitue un terrible frein à la construction européenne.

Il est vrai que le droit familial est fondé sur des comportements forgés par la diversité des modes de vie, des conceptions philosophiques et des apports religieux qui peuvent être aussi dissemblables en Suède qu'en Italie. La définition des crimes et délits a par ailleurs beaucoup évolué si l'on pense que le code Napoléon sanctionnait l'adultère, qualifié de crime uniquement à l'égard des femmes.

La discussion au groupe de travail de la Convention a été difficile. Les représentants français avaient mis la barre très haut puisque le Président Hubert Haenel proposait la création d'un « Monsieur Justice et affaires intérieures », personnalité politique d'importance ayant la haute responsabilité de ce domaine. A cet égard, le choix du vocabulaire n'est pas neutre. Autant le terme de procureur européen faisait horreur au Royaume-Uni, autant celui de parquet européen lui paraissait plus acceptable. Les gouvernements allemand et français ont par ailleurs présenté des propositions concrètes sur la justice européenne.

Les autres avancées du groupe de travail portent sur la définition d'un cadre institutionnel unique, surmontant l'actuelle division en piliers.

Ces propositions ont été relativement bien accueillies, notamment grâce à la persévérance du Président John Bruton qu'il faut saluer sur un sujet aussi délicat. Elles seront présentées dans quelques jours à la Convention et elles sont pour nous acceptables, dans la mesure où elles ont au moins surmonté les risques de blocage et où elles offrent des possibilités d'ouverture dans tous les domaines de l'espace judiciaire européen et du procureur européen.

M. René André, rapporteur, a déclaré qu'après la présentation du possible par M. Jacques Floch, il insisterait sur le souhaitable déjà évoqué par Mme Schreyer, Mme Theato et M. Dimitrakopoulos, en partant de la formule de la Cour des comptes européenne : il faut apporter une réponse radicale à l'absurdité qui consiste à avoir des frontières nationales ouvertes aux grands criminels et fermées à ceux qui luttent contre eux, pour ne pas transformer l'Union européenne en paradis criminel. L'enjeu est encore plus grand dans une Union européenne élargie à des pays qui font des progrès continus mais n'ont pas encore atteint le niveau judiciaire des Etats membres.

Il a souligné que deux options sont possibles pour créer un ministère public européen. La première, qui est celle de la Commission, consiste à créer un procureur européen indépendant ; la seconde, moins ambitieuse, repose sur un développement progressif d'Eurojust. M. René André a exprimé sa préférence pour la première solution, qui permettrait de répondre selon lui aux défis auxquels l'Union doit faire face.

Le procureur européen serait indépendant, caractéristique essentielle qui doit être garantie par des conditions de nomination impliquant la Commission, le Conseil et le Parlement européen. Il ne doit cependant pas devenir un électron libre ne rendant de comptes à personne et, sur ce point, la présentation d'un rapport annuel à la Commission et au Parlement européen, permettant d'apprécier son activité et de décider son remplacement éventuel, est très importante.

L'OLAF exerce au sein de l'Union européenne des tâches policières importantes et contraignantes qui mettent en cause les droits des individus dans ce qu'ils ont de plus personnel et de plus sacré, sans contrôle et dans une sorte de non-droit auquel il faut mettre un terme en soumettant l'OLAF à un contrôle supérieur donnant une légitimité à ses actions.

Les deux rapporteurs d'information ont entendu le Premier président de la Cour de cassation et le procureur général près la Cour de cassation et, sans les engager, il est permis de dire qu'ils se sont montrés favorables à la création d'un procureur européen et, avec des nuances, à la mise en place d'une juridiction pénale européenne.

L'articulation du procureur européen avec les procureurs des Etats membres suscite des divergences avec la Commission sur la manière d'engager les poursuites. La question du contrôle du procureur européen, par une chambre préliminaire européenne ou par des juges nationaux, fait également l'objet de réponses différentes. Une chambre préliminaire, à laquelle serait notamment confiée la détermination de la juridiction de jugement, permettrait, en particulier, d'éviter que ne se développe une pratique de « forum shopping ».

En matière de compétences, l'idéal serait que le champ soit le plus large possible, mais il faut être prudent pour ne pas faire échouer le projet. Il faut donc se rallier à la proposition de la Commission et limiter les compétences à la protection des intérêts financiers de la Communauté, en l'étendant tout de même à la protection des brevets et des marques communautaires. Le Gouvernement français n'accepte pas cette proposition et préconise de faire appel à l'institution actuelle d'Eurojust.

Deux thèses sont d'ailleurs en présence puisque la proposition conjointe franco-allemande du 26 novembre va assez loin et propose de passer peu à peu au déclenchement des procédures d'enquête par le procureur européen, alors que le ministère de la justice est plus en retrait. Eurojust désignerait un procureur chef de file, mais il ne pourrait pas engager les poursuites. Cette frilosité semble traduire une attitude corporatiste de certains magistrats. Ce dossier montre que la majorité et l'opposition parlementaires auront surmonté leurs divergences pour défendre ce qu'elles jugent être l'intérêt supérieur de notre pays et de l'Europe.

Enfin, cette proposition de se servir d'Eurojust plutôt que de créer un procureur européen se heurte à deux difficultés.

En premier lieu, l'absence d'un patron placé à la tête du parquet se fera sentir dans un système comme Eurojust. Cet organe est en effet un club de concertation entre des personnes qui n'ont pas de pouvoir, même si ce sont des personnes de qualité. La collégialité sera difficilement compatible avec la réactivité nécessaire. La contrebande sur le tabac en est un bon exemple. Les vedettes rapides qui ont chargé en haute mer ce produit d'un bateau naviguant des Etats-Unis vers Amsterdam ont été arraisonnées par les marines française et espagnole, mais les juges français et espagnol ont pris leur temps parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement et le problème n'est toujours pas réglé.

La deuxième difficulté vient du fait qu'il est peu probable que les services de police acceptent que leurs investigations soient centralisées par un procureur d'un autre Etat membre désigné comme chef de file par Eurojust, alors qu'ils accepteront plus facilement la légitimité d'un procureur européen pour assumer cette mission.

Ce qui est proposé est une avancée, mais la solution n'est pas à la hauteur des enjeux. Aussi faudra-t-il continuer le travail d'explication.

M. Patrick Hoguet, après avoir observé que le débat sur le procureur européen à la Convention portait désormais sur des thèmes plus larges que ceux initialement retenus par la Commission européenne, a posé quatre questions. En premier lieu, le champ de compétence proposé par la Commission, actuellement limité aux seules atteintes portées aux intérêts financiers de la Communauté, paraît trop restreint au regard des attentes des citoyens européens concernant la lutte contre toutes les formes de criminalité organisée en Europe. Dans ces conditions, n'est-il pas souhaitable que la Commission élargisse le champ de sa proposition pour répondre à ces attentes et s'inspire dans ce but des réflexions engagées par le groupe de travail de la Convention sur le procureur européen ?

Sur ce dernier point, M. Patrick Hoguet a rappelé que la proposition conjointe franco-allemande prévoyait d'inscrire le procureur européen dans le futur traité constitutionnel et d'établir cet organe à partir d'Eurojust. Or, il a jugé qu'Eurojust, étant une création intergouvernementale, ne pouvait servir de base à la mise en place d'un organe tel que le procureur européen.

En deuxième lieu, M. Patrick Hoguet a souhaité obtenir des précisions sur la procédure de saisine du procureur européen. Est-ce que ce dernier pourra être saisi par le Parlement européen ou par la Commission, ainsi que par les Etats membres ou les particuliers ? En troisième lieu, quelle sera la nature du contrôle exercé sur le procureur européen ? En particulier, est-ce que ce contrôle sera de nature juridictionnelle et si tel est le cas, sera-t-il national ou communautaire ou les deux ? Enfin, quelle institution européenne disposera du pouvoir de donner des instructions générales au parquet européen, afin d'assurer une homogénéité dans l'application de la réglementation communautaire ?

En réponse aux questions des différents intervenants, Mme Michaele Schreyer, après s'être réjouie de la qualité du débat suscité au sein d'un parlement national par la question du procureur européen et du soutien apporté par les parlementaires à la position de la Commission européenne, a fourni les précisions suivantes :

- en ce qui concerne le domaine de compétences, les propositions respectives de la Commission et du Parlement européen s'appuient sur l'article 280 du traité instituant la Communauté européenne, qui consacre l'objectif de la lutte contre les atteintes portées aux intérêts financiers de la Communauté. Cette mission constituant un devoir pour les institutions européennes, celles-ci ont mis en place un premier instrument, l'OLAF, qui doit être désormais complété par un instrument de caractère pénal, le procureur européen, mais dont la compétence est encadrée par avance par le traité. Si les Etats membres souhaitent élargir le champ de compétence de ce dernier en raison notamment des risques que comporte l'élargissement, il revient aux autorités nationales de prendre en commun une décision politique allant dans ce sens ;

- la protection des intérêts financiers ne se limite pas à celle du budget, elle englobe aussi celle de l'euro, ainsi que la protection des citoyens européens dans leurs relations avec les intérêts financiers de la Communauté ;

- le procureur européen ne sera pas compétent pour connaître des crimes commis dans un seul Etat membre. Il le serait en revanche dès lors que le crime présente un caractère transfrontalier ou qu'il existe une incertitude quant à la compétence territoriale des Etats membres ;

- le contrôle des activités du procureur européen et des procureurs délégués devra s'exercer par le biais des législations nationales. Celles-ci devront prévoir des voies de recours, afin de permettre aux citoyens injustement mis en cause par le procureur européen de se défendre ;

- en ce qui concerne la proposition franco-allemande, la méthode proposée pour créer un parquet européen comporte des risques de blocage. La formule retenue (« l'autorisation de créer un parquet européen sera introduite dans le traité ») permettra en effet à chaque Etat membre de disposer d'un droit de veto sur cette création;

- il est vrai qu'Eurojust est un organe intergouvernemental et non communautaire. Cependant, il convient de s'appuyer sur un outil qui existe déjà, afin de faciliter une mise en place rapide du procureur européen ;

- la proposition sur le procureur européen a suscité une discussion pratique, qui a permis à chacun de prendre conscience de la nécessité de créer un tel organe.

En réponse aux questions des différents intervenants, Mme Diemut Theato, après avoir remercié les participants pour la qualité de leurs réflexions, a apporté les précisions suivantes :

- le débat sur le procureur européen est sorti du cercle des experts et des élites pour devenir un vrai débat citoyen, qui se développe avec rapidité ;

- le champ de compétence du procureur européen a été limité dès le début de la discussion par les dispositions de l'article 280 du traité. Avec l'augmentation du budget communautaire, les risques de fraude ont été accrus de manière proportionnelle. Il était donc nécessaire de mettre en place l'OLAF. Cependant, la lutte contre la criminalité transfrontalière ne pouvant se limiter à l'application de sanctions administratives, il était indispensable de prévoir un cadre pénal, ce qui a été obtenu avec le traité d'Amsterdam, qui sert de base juridique au projet actuel  ;

- les conventions relatives à la protection des intérêts financiers et les protocoles afférents peuvent servir de base de départ parce que l'acquis communautaire est solide dans ce domaine, même si ces instruments n'ont été ratifiés que très récemment. La liste détaillée de 32 infractions relevant du mandat d'arrêt européen ne peut être intégrée immédiatement dans le champ de compétence du procureur européen. Une telle démarche soulèverait, en premier lieu, un problème au niveau du respect du principe de la subsidiarité. En second lieu, les partisans d'un telle approche pourraient aussi avoir pour objectif de reporter de manière indéfinie la création du procureur européen. Il convient donc de se concentrer sur l'objectif initial, qui est d'assurer rapidement une protection efficace des intérêts financiers de la Communauté par l'institution d'un procureur européen. Il est peut être souhaitable d'aller plus loin, mais il faut faire preuve de patience pour cela ;

- l'OLAF est le fruit de la coopération entre la Commission et le Parlement européen, en vue de protéger les intérêts financiers communautaires. La question de son contrôle est cruciale pour la protection des droits individuels ;

- en cas de fraude, les autorités publiques seraient obligées d'informer le procureur européen. Quant à ses compétences, elles se limiteraient à la fraude présentant un caractère transnational, les institutions des Etats membres demeurant compétentes pour ce qui a trait au déroulement de la procédure sur leur propre territoire. Le respect du principe de subsidiarité ne doit toutefois pas faire obstacle au développement de la coopération judiciaire ;

- le contrôle du procureur européen au plan disciplinaire pourrait relever d'une chambre préliminaire rattachée à la de la Cour de justice.

En conclusion, Mme Diemut Theato a déclaré que la question du procureur européen revêtait désormais un caractère politique, et n'était plus réservée aux seuls juristes. Elle a jugé souhaitable des avancées significatives, afin d'éviter que la protection des intérêts financiers ne retombe dans le domaine de la coopération intergouvernementale.

Le Président Pierre Lequiller a également souligné la dimension politique du problème du procureur européen et déclaré que le représentant de l'Assemblée nationale à la Convention était déterminé à amener cette dernière à effectuer des avancées.

2) Examen du rapport d'information de MM. René André et Jacques Floch sur le procureur européen, le 28 novembre 2002

La présentation du rapport par les rapporteurs a été suivie de l'examen de la proposition de résolution.

Le Président Pierre Lequiller, s'adressant plus particulièrement à M. Jacques Floch, rapporteur, a rappelé que, si les conventionnels étaient désignés intuitu personae, il n'en restait pas moins que le point de vue des rapporteurs pouvait à juste titre apparaître comme la position de la Délégation tout entière, très favorable au texte. Il a invité M. Jacques Floch à présenter comme telle sa position, lors des travaux de la Convention, souhaitant que son point de vue y pèse ainsi d'un poids plus grand encore.

M. Jacques Floch, rapporteur, a souligné que les auditions auxquelles les rapporteurs ont procédé ont mis en évidence une convergence de vue des représentants du monde judiciaire en faveur de la création du procureur européen, qui contraste avec la frilosité des administrations centrales, qu'il semblerait opportun de dépasser.

Le Président Pierre Lequiller a appelé alors à organiser prochainement une conférence de presse sur un sujet d'une portée et d'une résonance politique fortes.

M. Patrick Hoguet a soulevé une difficulté. Selon lui, la résolution proposée fait référence de manière trop insistante au Livre vert de la Commission, qui reste en deçà des visées de la Délégation.

Après les interventions de MM. René André, Jacques Floch et Patrick Hoguet, la Délégation a supprimé la référence au Livre vert figurant dans le second point.

M. René André, rapporteur, s'est inquiété de ce que le terme de procureur était partout employé dans la résolution, sauf pour une mention particulière d'un « ministère public » européen. Il a souhaité uniformiser la terminologie, et la proposition a été modifiée en ce sens.

La Délégation a ensuite adopté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION

PROPOSITION DE RESOLUTION

L'Assemblée nationale,

Vu le Livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen (document E 1912) (COM [2001] 715 final),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection pénale des intérêts financiers de la Communauté (document E 1758) (COM [2001] 272 final),

Considérant qu'il est nécessaire, dans une Communauté de droit, que le développement de l'activité policière de l'Office de lutte anti-fraude (OLAF) et d'Europol s'accompagne d'un contrôle juridictionnel efficace, afin d'assurer la protection des droits individuels,

Considérant que le corollaire indispensable de la constitution d'un espace de liberté est la création d'un espace de sécurité et de justice, dont le procureur européen doit être la pièce centrale ;

Considérant que le développement de la criminalité contre l'Europe, tels que la fraude aux intérêts financiers communautaires, la contrefaçon de l'euro ou des marques et des brevets communautaires, et les abus commis par les agents de la fonction publique communautaire, constitue un défi pour l'Union européenne, qui porte gravement atteinte à sa crédibilité aux yeux des citoyens européens ;

Considérant que les insuffisances de la coopération judiciaire et la diversité des droits nationaux et des règles de preuve diminuent sensiblement l'efficacité de la lutte contre cette criminalité organisée ;

Considérant que la création d'un procureur européen, chargé d'instruire à charge et à décharge, de centraliser les enquêtes et les poursuites judiciaires et de déclencher l'action publique devant les tribunaux nationaux, constitue la seule réponse pertinente face à ce morcellement de l'espace pénal européen ;

Considérant que la perspective de l'élargissement rend cette création urgente, parce que la coopération judiciaire sera plus difficile dans une Europe élargie et qu'un tel saut qualitatif deviendra quasiment impossible lorsque l'Union comptera vingt-cinq Etats membres ;

1. Souhaite que le projet de traité constitutionnel adopté par la Convention sur l'avenir de l'Europe en vue de la prochaine Conférence intergouvernementale prévoit la création d'un procureur européen ;

2. Approuve les principales orientations suggérées par la Commission sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen ;

3. Recommande que la compétence de ce procureur européen, limitée dans un premier temps à la criminalité contre l'Europe, puisse être étendue par le Conseil statuant à l'unanimité ;

4. Souligne que le statut du procureur européen devra garantir son indépendance et sa responsabilité, aussi bien politique, devant le Parlement européen et les parlements nationaux, que disciplinaire, devant la Cour de justice ;

5. Estime que la création de ce procureur européen devrait s'accompagner de la création d'une chambre préliminaire, au sein de la Cour de justice, chargée de contrôler la phase préparatoire du procès et de la décision de renvoi en jugement ;

6. Considère que cette création devrait également s'accompagner d'une harmonisation de certaines règles en matière de preuves, fondée sur une liste ouverte des modes de preuve que les Etats membres reconnaîtraient comme communément admissibles devant leurs juridictions ;

7. Recommande que le procureur européen soit membre de droit du collège d'Eurojust, afin que cette institution s'inscrive pleinement dans la construction de l'espace de liberté, de sécurité et de justice que les citoyens européens appellent de leurs vœux.

ANNEXES

Annexe 1 :
Liste des personnes auditionnées

· Institutions communautaires

- M. Jean-François BERNICOT, membre de la Cour des comptes européenne ;

- M. Raymond KENDALL, président du Comité de surveillance de l'Office de lutte anti-fraude (OLAF) ;

- M. Gilles LECLAIR, directeur-adjoint d'Europol ;

- M. Claude LECOU, directeur à la Commission européenne, Politique, législation et affaires juridiques, M. Jean-Luc JEANROY, conseiller politique, M. Dominique Henri BAYET, Administrateur principal, Office de lutte anti-fraude (OLAF).

· Magistrats français

- M. Olivier de BAYNAST, vice-président d'Eurojust, avocat général ;

- M. Jean-François BURGELIN, procureur général près la Cour de cassation ;

- M. Guy CANIVET, premier président de la Cour de cassation ;

- M. Jean-Marie COULON, premier président de la Cour d'appel de Paris ;

- M. Jean-Luc SAURON, maître des requêtes au Conseil d'Etat ;

- M. Renaud VAN RUYMBEKE, premier juge d'instruction au pôle financier du parquet du Tribunal de grande instance de Paris ;

· Départements et cabinets ministériels

- M. Charles FRIES, conseiller technique de la Présidence de la République ;

- M. Pierre FOND, sous-directeur des affaires juridiques, contentieuses et de la lutte contre la fraude, M. Jean PUIG, chef du bureau D3, lutte anti-fraude de la Direction générale des douanes, ministère de l'économie et des finances ;

- M. Bruno STURLESE, sous-directeur de la négociation, M. Daniel LECRUBIER, chef du service des affaires européennes et internationales, Mme Claire D'URSO, chef du bureau des questions institutionnelles, juridiques et du contentieux, ministère de la justice ;

- M. Olivier TELL, conseiller technique au cabinet du ministre délégué aux affaires européennes, Mme Agnès VON DER MUHLL, secrétaire des affaires étrangères, sous-direction des affaires communautaires internes, ministère des affaires étrangères.

· Représentants de la profession d'avocat :

- M. Bernard CHAMBEL, président de la Conférence des bâtonniers, M. Laurent PETITJEAN, directeur de la Délégation des Barreaux de France à Bruxelles ;

- M. Jean-René FARTHOUAT, président du Conseil national des Barreaux, M. David LEVY, juriste ;

- M. Paul-Albert IWEINS, bâtonnier de l'ordre des Avocats du barreau de Paris ;

- M. Daniel SOULEZ-LARIVIERE, Annexe-1ancien membre du Conseil de l'Ordre.

· Universitaires :

- Mme Mireille DELMAS-MARTY, professeur à l'Université Paris I, membre de l'Institut de France, membre du Comité de surveillance de l'OLAF ;

- Mme Jacqueline DOMENACH, professeur à l'Université Paris X.

Annexe 2 :
Contribution de M. Jacques Floch, du 28 octobre 2002,
au groupe de travail « Liberté, sécurité et justice »
de la Convention européenne :
Une justice pour l'Europe

L'Europe est une « Communauté de droit ». Or, il n'est pas d'Etat de droit sans que l'activité policière ne soit soumise à un contrôle judiciaire, seul à même d'assurer la garantie des droits individuels.

La préservation des souverainetés nationales ne doit pas faire de l'Europe un « paradis pénal ». Le maintien des frontières juridiques en matière pénale devient en effet inacceptable, à mesure que l'ouverture de l'espace européen progresse. Il faut mettre fin, dans un domaine circonscrit aux intérêts relevant clairement de la compétence communautaire, au morcellement de l'espace pénal européen. Il en va de la crédibilité de l'Union européenne aux yeux de ses citoyens.

Il est aujourd'hui indispensable de créer un ministère public européen, placé sous le contrôle d'une Chambre préliminaire et compétent en matière de criminalité portant atteinte aux intérêts communautaires.

*

* *

I. - Une création indispensable

Cette création est nécessaire, pour renforcer la garantie des droits fondamentaux des citoyens de l'Union et accroître l'efficacité de la lutte contre la criminalité portant atteinte aux intérêts communautaires.

a) Une garantie plus effective des droits fondamentaux

La coopération policière s'est considérablement développée au sein de l'Union européenne.

Dans le premier pilier, l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) constitue une véritable « police financière », dont une partie significative de l'activité opérationnelle est transmise aux autorités judiciaires, tout en restant doté du statut d'un service administratif d'enquête. Le Comité de surveillance et l'unité de magistrats récemment créée au sein de l'OLAF, en dépit de leur intérêt, ne sont pas à même d'exercer un contrôle satisfaisant en matière de protection des droits individuels (présomption d'innocence, respect de la vie privée et des droits de la défense, notamment). Seule la création d'une autorité judiciaire chargée de contrôler, notamment, l'activité de l'OLAF, constituerait une réponse appropriée.

Au sein du troisième pilier, Europol a vu ses pouvoirs s'accroître progressivement, et devrait se voir conférer, à terme, des compétences opérationnelles (comme la possibilité de procéder à des auditions de témoins), au moins dans les domaines relevant clairement de la criminalité contre l'Europe. Ces prérogatives devront elles aussi être soumises à un contrôle judiciaire pour assurer le respect des droits des justiciables.

C'est pour cette première raison qu'il est urgent de créer un ministère public européen indépendant et responsable, instruisant à charge et à décharge, et placé sous le contrôle d'une Chambre préliminaire européenne.

b) Une lutte plus efficace contre la criminalité portant atteinte aux intérêts communautaires

La fraude au budget communautaire représente, chaque année, des sommes très importantes. Les derniers chiffres publiés par la Commission, dans son rapport annuel sur la protection des intérêts financiers des Communautés et la lutte contre la fraude, font ainsi apparaître des fraudes ou irrégularités d'un montant global de 687 millions d'euros en 2001. Selon d'autres estimations, ce montant annuel serait d'environ un milliard d'euros. L'implication de la criminalité organisée est avérée dans une proportion élevée de ces affaires, qui présentent un caractère transnational marqué.

Les instruments juridiques actuels ne permettent pas de lutter efficacement contre cette fraude. Les cas de fraude décelés par l'OLAF n'aboutissent en effet que très marginalement à des poursuites sur le plan pénal. Le cloisonnement entre autorités judiciaires des Etats membres, les insuffisances de la coopération judiciaire en matière pénale - en dépit de la création d'Eurojust - et l'absence de reconnaissance des preuves mettent trop souvent en échec des mois d'enquête. Le caractère transnational de la fraude aux intérêts financiers communautaires oblige en effet à une coopération avec, actuellement, dix-sept ordres judiciaires appliquant des règles de fond et de procédure différentes. Ces difficultés vont, en outre, s'accroître après l'élargissement, avec l'augmentation du nombre d'Etats et d'opérateurs impliqués dans la gestion des fonds communautaires.

La création d'un ministère public européen est la seule réponse pertinente face à ce morcellement de l'espace pénal européen. Il existe une réelle convergence de vues sur ce point, émanant d'institutions et d'organismes divers. La Commission a avancé ce projet lors de la Conférence intergouvernementale qui a conduit à la signature du traité de Nice, et lui a consacré plus récemment un Livre vert, présenté le 11 décembre 2001. M. Klaus Hänsch en a proposé la création dès 1996, alors qu'il était président du Parlement européen. Cette idée a également été préconisée par le groupe d'experts ayant rédigé, sous la direction du professeur M. Delmas-Marty, le Corpus Juris publié en 1997 et amendé en 2000. Le comité des sages, que présidait M. Jean-Luc Dehaene, aujourd'hui vice-président de la Convention, a repris cette proposition en 1999. L'Institut universitaire européen de Florence y est favorable, de même que l'Association européenne des magistrats.

Ce ministère public européen permettrait d'assurer un contrôle judiciaire homogène de l'activité opérationnelle et des enquêtes de niveau communautaire, garantissant le respect des droits individuels, de centraliser les poursuites judiciaires et de déclencher l'action publique devant les tribunaux nationaux. C'est indispensable, pour qu'à la communautarisation du crime réponde enfin une communautarisation de la répression.

Il apparaît légitime d'étendre la compétence du ministère public européen à l'ensemble de la criminalité contre l'Europe, c'est-à-dire aux infractions portant atteinte à des intérêts communs et pour lesquels existe un droit du fond communautaire. La contrefaçon de l'euro, les abus commis par les agents de la fonction publique communautaire et la protection des marques et des brevets communautaires devraient ainsi être visés.

II. - Un projet conforme aux exigences de l'Etat de droit et de la démocratie

La création du ministère public européen est légitime, parce qu'il sera doté de fortes garanties d'indépendance et placé sous un contrôle juridictionnel et démocratique efficace.

a) De fortes garanties d'indépendance

Le statut du ministère public européen doit s'inspirer de celui des juges de la Cour de justice. Choisi parmi des personnalités réunissant les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles, il ne peut solliciter ni accepter aucune instruction. Les procureurs européens délégués nationaux devraient également être dotés d'un statut européen assurant leur indépendance.

Ses conditions de nomination devraient être identiques à celles des juges de la Cour de justice, en prévoyant toutefois le recours à la majorité qualifiée et la consultation du Parlement européen. Le caractère non renouvelable du mandat de six ans, proposé par la Commission, devrait également être retenu.

b) Un contrôle juridictionnel et politique efficace

Le ministère public européen doit être indépendant, mais pas pour autant irresponsable. Une procédure disciplinaire doit être mise en place, et s'il a commis une faute grave ou s'il ne remplit plus les conditions nécessaires à l'exercice de ses fonctions, une procédure de destitution pourrait être engagée devant la Cour de justice, à la requête du Parlement européen, du Conseil, ou de la Commission. Une requête collective des parlements nationaux pourrait également être envisagée, selon des modalités qui restent à définir.

Le ministère public européen devrait également présenter un rapport annuel devant le Parlement européen. Ce rapport serait transmis aux parlements nationaux.

La protection des droits des justiciables exige également la création d'une Chambre préliminaire européenne, rattachée à la Cour de justice. Le système prévu par la Commission n'est en effet pas satisfaisant. Le contrôle par un juge national de l'acte de renvoi en jugement ne protège pas les justiciables contre la pratique du « forum shopping », qui consisterait à laisser le choix au procureur européen de renvoyer l'affaire devant les tribunaux de l'Etat où celle-ci aurait le plus de chance d'aboutir à une condamnation, et le contrôle par un « juge des libertés » national des actes de recherche paraît difficile à exercer en pratique s'agissant d'affaires transnationales. Il convient par conséquent de confier à une Chambre préliminaire les fonctions de juge des libertés à l'échelle de l'espace judiciaire européen, en lui conférant le contrôle de la phase préparatoire et la décision de renvoi en jugement.

III. - Une institution compatible avec la diversité des traditions juridiques nationales et les organes existants

La faisabilité du ministère public européen ne fait pas de doute, parce que les traditions juridiques des Etats membres se sont considérablement rapprochées, mais elle requiert la définition de règles communes d'admissibilité des preuves et une clarification des relations avec les institutions existantes.

a) Les traditions juridiques des Etats membres se sont considérablement rapprochées

La diversité des traditions juridiques des Etats membres est souvent opposée à la création d'un ministère public européen, au motif que la tradition accusatoire, qui n'implique pas l'institution d'un service de poursuites publiques, lui serait totalement étrangère. Mais cette opposition entre la tradition accusatoire et inquisitoire est excessive, dans la mesure où ces deux modèles ont évolué et que leurs caractères d'origine se sont estompés. L'influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de procès équitable, en particulier, a contribué à rapprocher ces deux systèmes. On peut ainsi mentionner, à titre d'exemple, la création en Angleterre et au Pays de Galles du Crown Prosecution Service, en 1985, et du Serious Fraud Office, en 1987, et la disparition progressive sur le continent européen du juge d'instruction(57).

b) Des règles communes d'admissibilité des preuves

Le principe de reconnaissance mutuelle et de libre circulation des preuves proposé par la Commission ne paraît pas de nature à surmonter toutes les difficultés rencontrées sur ce point essentiel. Il convient par conséquent de prévoir une harmonisation de certaines règles en matière de preuves, en adoptant une liste ouverte des modes de preuves que les Etats membres reconnaîtraient comme communément admissibles devant leurs juridictions, sur le modèle de l'article 32 du Corpus juris.

c) Une institution compatible avec les organes existants

Le ministère public européen ne doit pas aggraver la « sédimentation » des institutions observable en matière de coopération judiciaire. Eurojust et le ministère public européen sont deux institutions complémentaires - mais Eurojust ne saurait constituer un substitut au ministère public européen, car il relève d'une logique différente, de coopération judiciaire - entre lesquelles un lien doit être établi, afin d'éviter tout cloisonnement. Le représentant du ministère public européen pourrait ainsi être membre de droit du collège Eurojust, tout en conservant son statut particulier et son indépendance fonctionnelle. Une solution plus ambitieuse consisterait également à opérer une fusion organique entre ces deux instances, avec une relation hiérarchique qui ferait du représentant du ministère public européen un « primus inter pares » au sein de la seconde.

La fusion d'Europol et de l'OLAF, tous deux placés sous le contrôle du procureur européen, devrait également être envisagée, dans un esprit de rationalisation et afin d'accroître l'indépendance organique de l'OLAF à l'égard de la Commission, dans le contexte d'un cadre institutionnel européen unique.

*

* *

La création d'un ministère public européen constitue une réforme indispensable avant l'élargissement, pour restaurer la confiance des citoyens dans la poursuite de la construction européenne.

C'est une étape nécessaire afin de créer un véritable espace judiciaire européen, corollaire de l'espace de libre circulation. Il serait paradoxal que les Etats membres refusent de la franchir, alors qu'il existe déjà, au niveau international, des réalisations plus ambitieuses, comme la Cour pénale internationale, qu'ils ont pourtant unanimement acceptée.

1 () Mireille Delmas-Marty (dir.), Corpus juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, Economica, Paris, 1997.

2 () Mireille Delmas-Marty, J.A.E. Vervaele, La mise en œuvre du Corpus juris dans les Etats membres, Intersentia, Utrecht, 2000, 4 vol. Cette seconde version du Corpus juris est dite « de Florence ».

3 () Contribution complémentaire de la Commission à la Conférence intergouvernementale, la protection pénale des intérêts financiers communautaires : un Procureur européen, 29 septembre 2000, COM (2000) 608.

4 () Livre vert sur la protection des intérêts financiers communautaires et la création d'un Procureur européen, 11 décembre 2001, COM (2001)175.

5 () Délégation pour l'Union européenne, Pierre Brana, Pour une Europe de la sécurité et de justice, rapport d'information n° 3609, 13 février 2002.

6 () Mme Diemut Theato, « Note sur le Procureur européen », Revue AGON, 2002, n° 34, p. 10.

7 () Cf. CJCE, 23 avril 1986, Les Verts c. Parlement, 294/83, Rec. p.1339, § 23 : « La Communauté européenne est une Communauté de droit en ce que ni ses Etats membres ni ses institutions n'échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu'est le traité ».

8 () Règlement (CE) n°1073/99 du Parlement européen et du Conseil et règlement (Euratom) n° 1074/99 du Conseil, du 25 mai 1999, relatifs aux enquêtes effectuées par l'Office européen de lutte anti-fraude (JOCE L 136 du 31 mai 1999). Ces deux règlements ont transféré à l'Office les pouvoirs conférés à l'UCLAF par les règlements n° 2988/95 et 2185/96.

9 () Comité de surveillance de l'OLAF, rapport d'activité juillet 1999-juillet 2000, p. 20.

10 () Rapport précité, p. 48.

11 () Décision du Médiateur européen concernant la plainte 781/2001/IJH en tant qu'elle concerne l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), 26 avril 2002.

12 () Le gouvernement italien s'oppose en effet à la reconduction de M. Edmondo Bruti-Liberati, Procureur général auprès de la Cour d'appel de Milan et co-signataire de l'Appel de Genève d'octobre 1996.

13 () Comité de surveillance de l'OLAF, rapport d'activité juillet 1999-juillet 2000, p. 44.

14 () Mme Diemut Theato, Rapport contenant des recommandations du Parlement à la Commission sur l'établissement d'une protection pénale des intérêts financiers de l'Union, A5-0002/2000, 12 janvier 2000.

15 () Cf., par exemple, les déclarations du ministre allemand de l'intérieur Otto Schily lors de la réunion informelle des ministres « justice et affaires intérieures » de Saint-Jacques de Compostelle, en février 2002 (Agence Europe, 15 février 2002).

16 () Cf. le document établi par le secrétariat de la Convention européenne, « Justice et Affaires intérieures - Etat des lieux et problématique générale », CONV 69/02, 31 mai 2002, p. 7, ainsi que l'intervention de M. Storbeck, directeur d'Europol, lors de la réunion du groupe de travail « Liberté, sécurité, justice » du 25 septembre 2002 (CONV 313/02, 2 octobre 2002, p. 5).

17 () Décision-cadre 2002/465/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative aux équipes communes d'enquête, JOCE L 162 du 20 juin 2002.

18 () Initiative du Royaume de Belgique et du Royaume d'Espagne en vue de l'adoption d'un acte du Conseil modifiant la convention portant création d'un Office européen de police, JOCE C 42/8 du 15 février 2002, p. 8. Ce texte a fait l'objet d'un accord politique lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 28 février dernier.

19 () Motion sur l'avenir de l'Europe du 30 avril 2001.

20 () Propositions conjointes franco-allemandes pour la Convention européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, 27 novembre 2002, WG X - WD 32, p. 3.

21 () Commission, Protection des intérêts financiers de la Communauté, rapport annuel 1996, p. 28.

22 () Commission, Protection des intérêts financiers de la Communauté, rapport annuel 1997, p. 28.

23 () Ibid, rapport 1996, p. 27.

24 () Contribution complémentaire de la Commission à la Conférence intergouvernementale, la protection pénale des intérêts financiers communautaires : un Procureur européen, 29 septembre 2000, COM (2000) 608.

25 () Mireille Delmas-Marty, J.A.E. Vervaele, La mise en œuvre du Corpus juris dans les Etats membres, Intersentia, Utrecht, 2000, 4 vol. Cf. spéc. M. Delmas-Marty, « Nécessité, légitimité et faisabilité du Corpus juris », p.27-31, et le rapport de John Spencer, vol. 4.

26 () Livre vert précité, p. 16.

27 () Le Corpus juris (version de Florence) peut être consulté sur Internet à l'adresse suivante : http://www.law.uu.nl/wiarda/corpus/art-frans.pdf.

28 () Livre vert précité, p. 61-62.

29 () Contribution complémentaire de la Commission à la Conférence intergouvernementale, la protection pénale des intérêts financiers communautaires : un Procureur européen, 29 septembre 2000, COM (2000) 608.

30 () Emmanuel Barbe, Justice et affaires intérieures dans l'Union européenne, La documentation Française, 2002, p. 143.

31 () Citée dans Diemut Theato, « Note sur le Procureur européen », Revue AGON, 2002, n° 34, p. 9.

32 () L'ensemble de ces contributions peut être consulté sur le site Internet de la Commission, à l'adresse suivante :

http://europa.eu.int/comm/anti_fraud/green_paper/contributions/date.html

33 () Les textes des interventions entendues lors de l'audition des 16 et 17 septembre figurent également sur le site de la Commission :

http://europa.eu.int/comm/anti_fraud/green_paper/public_hearing/index_en.html

34 () Cf. l'intervention de Mme Isabelle Toulemonde, secrétaire générale adjointe du SGCI, lors de l'audition publique des 16 et 17 septembre 2002 :

http://europa.eu.int/comm/anti_fraud/green_paper/public_hearing/contributions/pdf/ministeres_competents_i_toulemonde_fr.pdf.

35 () Propositions conjointes franco-allemandes pour la Convention européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, précitées, p. 3.

36 () Résolution n° 107 sur le Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un Procureur européen, 13 juillet 2002.

37 () Cf. l'intervention prononcée lors de l'audition publique organisée par la Commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, le 5 novembre 2002.

38 () Intervention prononcée lors de l'audition publique organisée par la Commission, les 16 et 17 septembre 2002.

39 () Le Conseil des Barreaux de l'Union européenne (CCBE) est cependant opposé au projet.

40 () Les synthèses des débats qui se sont tenus lors des réunions du groupe de travail X peuvent être consultées sur le site de la Convention européenne, à l'adresse suivante :

http://european-convention.eu.int/doc_register.asp?lang=FR&Content=WGX.

41 () Cf. annexe n° 1.

42 () L'ensemble des contributions des membres du groupe de travail peut être consulté sur le site Internet de la Convention européenne, à l'adresse suivante :

http://european-convention.eu.int/dynadoc.asp?lang=FR&Content=WGX.

43 () Michaele Schreyer, « A European Prosecutor », WG X, WD 27, 25 novembre 2002.

44 () Robert Badinter, Une Constitution européenne, Fayard, 2002, p. 100-101.

45 () WG X 14, CONV 426/02, 2 décembre 2002, p. 20.

46 () Conseil de l'Europe, Comité des ministres, Recommandation (2000) 19 du Comité des ministres aux Etats membres sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale, 6 octobre 2000.

47 () Contribution de l'Institut universitaire européen au Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen, 26 mai 2002, p. 6.

48 () Comité de surveillance de l'OLAF, avis n° 2/2002 sur le Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen, 12 mars 2002, p. 5.

49 () Diemut R. Theato, Projet de rapport sur le Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen, 2002/2065 (COS), p. 13.

50 () Cf. les propositions figurant dans la communication de la Commission du 26 février 2002, « Exercice d'un contrôle démocratique sur Europol », COM (2002) 95 final du 26 février 2002 et dans la recommandation du Parlement européen sur le développement futur d'Europol du 30 mai 2002.

51 () Mireille Delmas-Marty et John Spencer, « Ministère public européen : articles 18-19 Corpus juris », in Mireille Delmas-Marty et J.A.E. Vervaele, La mise en œuvre du Corpus juris dans les Etats membres, vol. 1, Intersentia, 2000, p. 322.

52 () Livre vert, précité, p. 30.

53 () Contribution précitée, p. 6.

54 () Avis précité, p. 5.

55 () Décision du Conseil du 28 février 2002 instituant Eurojust afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité, JOCE L 063 du 6 mars 2002, p. 1.

56 () Rapport spécial n° 8/98 de la Cour des comptes relatif aux services de la Commission chargés de la lutte contre la fraude, notamment l'Unité de coordination de la lutte anti- fraude, JO C 230 du 30 juillet 1998, p. 5.

57 () Cf. Mireille Delmas-Marty et John Spencer, « Ministère public européen : articles 18-19 Corpus juris », in Mireille Delmas-Marty et J.A.E. Vervaele, La mise en œuvre du Corpus juris dans les Etats membres, vol. 1, Intersentia, 2000, p. 321-322.

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