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N° 777

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 avril 2003

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur l'adhésion de Malte à l'Union européenne,

ET PRÉSENTÉ

par M. Jacques FLOCH,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Union européenne.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; M. François Guillaume, M. Jean-Claude Lefort secrétaires ; MM. Alfred Almont, Bernard Bosson, Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Jean-Claude Lefort, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

PREMIERE PARTIE : L'ADHESION A L'UNION EUROPEENNE, SUJET DE GRAVES DISSENSIONS POLITIQUES 7

I. LA QUESTION EUROPEENNE DANS LE PAYSAGE POLITIQUE MALTAIS 9

A. Une vie politique fortement polarisée 9

1) Un système bipartisan à la britannique 9

2) Un terrain propice aux débats passionnés 10

B. L'Europe comme ligne de démarcation partisane 10

1) Un enjeu électoral décisif dans la dernière décennie 11

2) Une solution sans équivalent 11

II. DU REFERENDUM DU 9 MARS 2003 AUX PROCHAINES ELECTIONS GENERALES 13

A. Une consultation depuis longtemps annoncée 13

1) Un résultat sans équivoque 13

2) Une portée d'abord symbolique 14

B. Un débat recommencé 14

1) La contestation des résultats référendaires 14

2) La convocation d'élections législatives pour le 12 avril 2003 15

DEUXIEME PARTIE : UNE CANDIDATURE POURTANT SOLIDE ET BIEN NEGOCIEE 17

I. DES HYPOTHEQUES LEVEES 19

A. Une remise en ordre du droit national 19

1) Vers une meilleure sécurité maritime 19

2) La circulation des capitaux : transparence bancaire et investissements étrangers 20

3) Les aides publiques aux chantiers navals 21

B. La question budgétaire 22

1) Malte, contributrice potentielle 22

2) Malte, bénéficiaire nette du budget communautaire 23

II. UN FUTUR ACTEUR DANS LE JEU POLITIQUE EUROPEEN 25

A. Une présence affirmée au sein des institutions communautaires 25

1) Le maltais, langue officielle de l'Union européenne 25

2) Une représentation politique équitable 26

B. Vers une relance du partenariat euro-méditerranée ? 27

1) Une neutralité sauvegardée 27

2) Un possible acteur du renouvellement des relations euro-méditerranéennes 28

CONCLUSION 31

TRAVAUX DE LA DELEGATION 33

ANNEXES 37

Annexe 1 : Carte de l'archipel maltais 39

Annexe 2 : Quelques données sur la candidature maltaise 40

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Malte devait être le premier des pays candidats à se prononcer sur son adhésion à l'Union européenne, mais les évolutions récentes de la vie politique maltaise ont bousculé le calendrier établi. La contestation des résultats du référendum a en effet entraîné la convocation de nouvelles élections, ce qui paraît reporter en pratique la conclusion définitive du débat sur l'Europe au scrutin législatif du 12 avril prochain.

Le rapporteur avait d'abord souhaité se rendre dans l'île au lendemain de la proclamation des résultats du référendum tenu le 9 mars. Quoique les services du Quai d'Orsay l'aient tenu régulièrement informé de la situation politique, il lui semblait en effet qu'il lui fallait se rendre compte de son évolution. Après la convocation anticipée des élections législatives, annoncée dans les heures mêmes qui ont suivi le référendum, il a jugé opportun de reporter les entretiens envisagés à une date où les passions politiques se seront apaisées, soit après la campagne électorale des législatives.

Du seul fait de ses convictions pro-européennes et de sa présence sur place, le rapporteur aurait pu sembler prendre parti dans un affrontement électoral où il n'entend bien sûr pas interférer. Que le débat démocratique prenne parfois un tour passionné, c'est le gage certain d'un pluralisme authentique. Peut-être la question de l'adhésion de Malte aurait-elle cependant gagné à être davantage examinée et jugée sur ses mérites propres.

Aussi le rapporteur souhaiterait-il du moins tirer parti de l'éloignement qu'il s'est imposé pour verser au débat une contribution réfléchie et pondérée.

PREMIERE PARTIE :
L'ADHESION A L'UNION EUROPEENNE, SUJET DE GRAVES DISSENSIONS POLITIQUES

Dans beaucoup d'Etats membres, la question européenne est un facteur d'unité dans le paysage politique plutôt qu'un ferment de division. Des hommes politiques que presque tout sépare autrement peuvent se rejoindre ou adopter des positions très proches sur des sujets ayant trait à la construction communautaire. Le référendum français sur Maastricht avait donné en 1992 des exemples de ces rapprochements.

Il s'en faut cependant de beaucoup que l'Europe soit une question qui dépasse partout les clivages partisans traditionnels, comme le prouve la situation à Malte.

I. LA QUESTION EUROPEENNE DANS LE PAYSAGE POLITIQUE MALTAIS

A. Une vie politique fortement polarisée

Loin d'ouvrir une parenthèse dans la vie politique nationale, la question de l'adhésion a exaspéré les tensions en mettant à vif l'opposition traditionnelle entre travaillistes et conservateurs.

1) Un système bipartisan à la britannique

Malte ne s'est émancipée de la domination britannique qu'en 1964, mais elle a conservé de son passé sous influence anglaise des structures partisanes propices aux oppositions frontales. Le parti nationaliste et le parti travailliste sont les deux pôles de la vie politique nationale. S'opposant sur tous les grands sujets, ils forment deux blocs aux positions antagonistes, que les consultations électorales ne départagent souvent qu'à quelques voix.

Aux yeux des observateurs extérieurs, ce n'est pas du reste l'un des moindres paradoxes de la confrontation que le parti nommé nationaliste soit celui qui se batte aujourd'hui avec la plus grande détermination en faveur d'une adhésion que son adversaire travailliste dénonce comme une perte irrémédiable de souveraineté. Le parallélisme avec la situation britannique pourrait sembler trouver sa limite dans ce constat que les conservateurs maltais sont des Européens convaincus, mais ce serait oublier que le parti néo-travailliste anglais a opéré en vingt ans un revirement radical au sujet des questions européennes.

La situation politique à Malte aujourd'hui ressemble en fait trait pour trait à celle de l'Angleterre du début des années 1970, lorsque les travaillistes Harold Wilson et James Callaghan s'opposèrent avec la dernière énergie au projet d'adhésion à la Communauté européenne porté par le Premier ministre conservateur Edward Heath. Comme eux, les travaillistes maltais actuels ne veulent voir dans la construction communautaire qu'un système institutionnel construit au service des grands intérêts. Comme eux, ils déclarent ne pas être liés par les décisions du gouvernement conservateur de M. Edward Adami et promettent de remettre en cause l'adhésion s'ils reviennent un jour au pouvoir.

2) Un terrain propice aux débats passionnés

Non seulement le système politique maltais s'est coulé dans le moule du système partisan britannique, mais le pays partage encore avec son ancien protecteur une situation d'insularité qui offre un terrain favorable au développement périodique d'une certaine fièvre collective.

L'actualité européenne arrive dans l'île principalement par le canal des agences de presse et des quotidiens britanniques, qui tendent trop souvent à ne pas présenter l'activité des institutions européennes sous son jour le plus favorable. Dans une île autrefois exposée aux razzias des pirates de la Méditerranée, les grandes entreprises de l'Europe occidentale sont parfois présentées comme de nouveaux Barbaresques qui pourraient mettre le pays en coupe réglée après l'adhésion. Même dénuées de fondement, ces accusations ne sont pas sans résonance dans l'imaginaire des Maltais, qui pouvaient craindre par exemple, dans une île où les terres sont rares -la densité démographique s'y élève à 1200 habitants par km², que les riches habitants du Nord de l'Europe arrivent massivement sur le marché de l'immobilier de loisir.

L'histoire récente du pays, placé sous la férule autoritaire de Dom Mintoff dans les années 1970, explique enfin que le débat politique puisse y garder aujourd'hui le tour véhément qui est la caractéristique vivifiante des démocraties encore jeunes.

B. L'Europe comme ligne de démarcation partisane

Depuis plus de dix ans, la question de l'adhésion à l'Union européenne constitue l'un des principaux thèmes de la vie politique maltaise. Sujet de controverses continuelles, il s'impose cependant par sa permanence même comme un horizon obligé auquel ses opposants peinent à substituer un autre projet fédérateur.

1) Un enjeu électoral décisif dans la dernière décennie

L'acte de candidature de Malte a été présenté le 16 juillet 1990 à l'initiative du parti nationaliste. Cet acte de politique étrangère a eu très tôt des retentissements significatifs sur le plan intérieur puisque, à la suite d'un premier avis positif de la Commission sur la demande maltaise en 1993, les autorités de l'île ont engagé des réformes qui anticipaient sur les efforts que pourrait demander la préparation de l'adhésion. En introduisant ainsi la TVA dans un pays qui ne la connaissait pas encore, elles firent naître le mécontentement populaire que peut provoquer l'institution d'un impôt nouveau jointe à une hausse du coût de la vie, le gouvernement maltais de l'époque n'ayant pas jugé utile de diminuer d'autres recettes significatives.

Mettant à profit la situation, les travaillistes revinrent au pouvoir en octobre 1996. Ils gelèrent alors la demande d'adhésion de Malte à l'Union européenne, avant de convoquer des élections législatives anticipées. Menés par le Premier ministre M. Alfred Sant, ils ne parvinrent cependant pas à élargir comme ils l'espéraient leur majorité au sein du Parlement maltais. La question d'une adhésion à l'Union européenne s'étant encore retrouvée au centre des débats, les nationalistes mirent en effet l'accent sur les avantages qu'elle pourrait apporter au pays. Ils remportèrent ainsi les élections législatives de 1998 dont est issu le gouvernement actuel qui a mené à bien les négociations d'adhésion.

2) Une solution sans équivalent

A l'entrée dans l'Union européenne prônée par les nationalistes, les travaillistes opposent depuis dix ans leur vision de l'avenir de l'île, qui -fait intéressant- est loin d'exclure des relations approfondies avec l'Union européenne.

Plutôt qu'une adhésion pure et simple, ils proposent que l'île de Malte noue avec l'Union européenne un accord de partenariat renforcé, dont le contenu reste nécessairement assez vague. Dès 1970, Malte signait en effet un accord d'association avec l'Union européenne, accord qui reste en vigueur aujourd'hui. Or l'adhésion qui a été négociée mettra fin aux relations qu'il a fait naître, de sorte que le partenariat ne peut apparaître comme une tierce solution puisque le régime actuel des relations en constitue précisément un.

Ni accord d'association traditionnel, ni adhésion entière à l'Union européenne, le « partenariat » imaginé par les travaillistes paraît n'être que la formulation positive a contrario d'une position systématique de refus de l'adhésion. Les autorités communautaires n'entendent pas du reste favoriser les démarches hostiles à l'adhésion en proposant, parallèlement à une adhésion pleine et entière, une forme d'association où Malte et l'Union européenne n'auraient pas l'une envers l'autre des obligations réciproques.

Interrogé par le rapporteur au cours de son audition par la Délégation, le Président de la Commission, M. Romano Prodi s'est nettement exprimé à ce sujet, en déclarant que « si Malte adhère, elle deviendra un membre à part entière de l'Union européenne, mais elle ne saurait être à la fois dehors et dedans. Il ne saurait y avoir d'exception maltaise. Refuser l'adhésion renverrait l'île dans le cercle "des amis" »(1), à savoir la catégorie des Etats qui ont signé avec l'Union européenne un accord d'association.

En proposant un partenariat aux contours mal définis, les opposants maltais à l'adhésion ne prétendent pas du moins tourner tout à fait le dos à l'Union européenne et paraissent même reconnaître implicitement la portée du fait communautaire et la nécessité de sa prise en compte dans l'île.

II. DU REFERENDUM DU 9 MARS 2003 AUX PROCHAINES ELECTIONS GENERALES

Entre l'adhésion et le « partenariat », le référendum du 9 mars 2003 était censé permettre de trancher. Il s'agissait du premier référendum depuis le vote en faveur de l'indépendance qui remonte à 1964. Qu'on ait recours à la même voie pour décider de l'entrée dans l'Union européenne prouve ainsi quelle importance la question revêt à Malte.

A. Une consultation depuis longtemps annoncée

1) Un résultat sans équivoque

Les consultations électorales à Malte se jouent d'ordinaire à quelques milliers de voix, du fait de la quasi-égalité entre les deux grands partis politiques de l'île. La question référendaire par oui ou par non s'étant coulée naturellement dans le schéma des oppositions binaires traditionnelles, les journaux maltais annonçaient donc des résultats très serrés.

Il n'en a rien été et le « oui » l'a emporté par une nette victoire le 9 mars 2003, avec une majorité confortable de 53,65 % des suffrages exprimés. Le taux de participation, habituellement élevé dans l'île, n'atteignait pas son sommet historique, mais 91 % du corps électoral s'était tout de même déplacé, taux sans exemple dans beaucoup d'Etats membres de l'actuelle Union européenne et qui porte le nombre des abstentionnistes à seulement vingt mille. Selon le Malta Independent, « le camp du oui l'a emporté au référendum par la plus forte majorité jamais constatée dans l'histoire politique maltaise, qu'il s'agisse de référendums ou d'élections législatives »(2).

2) Une portée d'abord symbolique

Ce résultat fut salué à travers toute l'Europe comme une étape décisive du processus d'élargissement en cours, Malte étant le premier pays candidat dont la population se prononçait publiquement. Aussi la présidence de l'Union européenne, assurée par les autorités hellènes, a-t-elle exprimé son « absolue satisfaction » en déclarant : « Par cette conclusion positive, les Maltais ont pris la décision historique de rejoindre la famille européenne ».

Malgré son indéniable portée politique, le référendum ne possède cependant, en vertu de la constitution maltaise, aucune force juridique contraignante, puisqu'il n'a qu'une valeur consultative. Seul le Parlement maltais, la Chambre des représentants, dispose en effet du pouvoir de ratifier le traité d'adhésion. Dès 1998, lorsque le gouvernement nationaliste a évoqué l'éventualité d'une consultation référendaire, le Parti travailliste maltais avait ainsi pu déclarer qu'il ne se considérerait pas lié par les résultats qui en sortiraient ; il ne s'est jamais départi depuis de cette attitude.

B. Un débat recommencé

1) La contestation des résultats référendaires

Or, loin de relativiser la valeur du résultat obtenu, les opposants maltais à l'adhésion ont pris l'opinion insulaire au dépourvu le soir du 9 mars 2003, en annonçant que les chiffres constatés allaient jusqu'à marquer une victoire de leur propre camp. Pour ce faire, ils rapportaient les suffrages en faveur du « oui » à l'ensemble des électeurs inscrits ; même avec un taux d'abstention relativement faible à 9 %, la majorité absolue de 53,65 % des suffrages exprimés se trouve ainsi ramenée à une majorité
- seulement relative - d'environ 48 % des inscrits. A contrario, les opposants disposeraient d'une sorte de majorité silencieuse dans l'île.

Quoi qu'il faille penser de ces démonstrations d'arithmétique électorale, les travaillistes maltais annonçaient ainsi nettement que, s'ils devaient revenir au pouvoir à l'occasion des élections législatives, ils ignoreraient délibérément le résultat du référendum.

2) La convocation d'élections législatives pour le 12 avril 2003

Aussi le gouvernement maltais, plutôt que de laisser les autorités communautaires dans l'expectative, a décidé de mettre fin au malaise politique qui menaçait de se prolonger. Certes, les pouvoirs du Parlement actuel n'expirent qu'en janvier 2004, mais attendre jusque-là n'aurait sans doute fait qu'aggraver la crise institutionnelle. Prenant acte de la position des opposants à l'adhésion, le Premier ministre, M. Edward Fenech Adami, a donc convoqué des élections législatives anticipées pour le 12 avril. C'était la date la plus rapprochée qu'il pouvait retenir.

De cette manière, la composition du nouveau Parlement maltais sera connue lorsque aura lieu à Athènes la cérémonie de signature du traité d'adhésion, le 16 avril 2003. Les partenaires de Malte seront ainsi assurés que son nouveau gouvernement sera en mesure d'honorer la signature qu'il apposera le cas échéant au bas du traité.

Les tensions politiques que suscite encore l'adhésion à l'Union européenne ne doivent cependant pas occulter les données de fond, qui plaident plutôt en faveur de l'adhésion de Malte.

DEUXIEME PARTIE :
UNE CANDIDATURE POURTANT SOLIDE ET BIEN NEGOCIEE

Contrairement à d'autres Etats concernés par l'actuelle vague d'adhésion, Malte est un pays dont le niveau de vie est déjà assez élevé, puisqu'il est comparable à celui de la Grèce ou du Portugal, avec un PIB de 11 100 €/habitant en 2001. Les difficultés que pouvait soulever la perspective d'adhésion sont donc propres à la position géopolitique du pays, qui en fait au demeurant pour l'avenir un possible trait d'union entre l'Union européenne et la Méditerranée orientale.

III. DES HYPOTHEQUES LEVEES

Les principaux points d'achoppement rencontrés au cours des négociations d'adhésion dérivent du caractère insulaire du pays : situé à la périphérie de l'Union européenne, il a pu être tenté dans le passé de tirer parti de son relatif isolement pour développer des règles propres en matière de droit maritime et bancaire ; il est d'autre part confronté aux mêmes problèmes que certaines régions ultra-périphériques de l'Union européenne, ce qui a justifié certains aménagements budgétaires dans le traité d'adhésion.

A. Une remise en ordre du droit national

L'île de Malte dispose d'une importante marine marchande mais présentait aussi jusque récemment certains caractères d'une place offshore. A l'invitation de la Commission, les autorités nationales ont réalisé en ce domaine d'appréciables avancées, même s'il reste encore des progrès à accomplir.

1) Vers une meilleure sécurité maritime

Grâce à l'adhésion simultanée de Chypre et de Malte, l'Union européenne devrait se hisser au premier rang mondial dans le secteur de la marine marchande. La flotte qui bat pavillon maltais représente en effet la cinquième du monde, puisqu'elle représentait en 2002 43,4 millions de tonnes de port en lourd(3). Le chiffre ne recouvre cependant pas tout à fait la réalité du volume effectif de l'activité portuaire de l'île, si développée soit-elle. Malte a en effet longtemps servi de pavillon d'emprunt.

Aussi les navires battant pavillon maltais connaissent-ils en moyenne plus d'avaries que les autres. L'opinion publique européenne s'en était particulièrement émue lorsque le vieux pétrolier Erika avait fait naufrage en décembre 1999 au large de la Bretagne, provoquant une marée noire qui a pollué le littoral atlantique, comme par exemple les rivages de Belle-Île. Ce fut sans conteste l'occasion d'une prise de conscience pour les autorités maltaises qui se sont attachées à changer la situation.

Le Président de l'Autorité maritime maltaise, M. Marc Bonnello, a pu récemment déclaré à un quotidien français : « Nous avons fait et nous faisons encore le ménage dans notre flotte. Nous avons retiré notre pavillon à plus de quatre cents bateaux ne correspondant pas aux normes depuis deux ans »(4). Non contentes de resserrer les contrôles sur la flotte enregistrée sous leur pavillon, les autorités maltaises ont annoncé qu'elles avaient inspecté, entre octobre 2001 et septembre 2002, quelque 194 navires étrangers faisant relâche dans leurs ports, 31 d'entre eux ayant été retenus pour exercer des réparations indispensables.

Les rapports successifs de la Commission ont salué les avancées réalisées, tout en engageant les autorités de l'île à poursuivre leurs efforts dans cette voie. La France mettra du reste bientôt à leur disposition certains de ses inspecteurs, puisqu'elle a remporté, dans le cadre du programme Phare, un jumelage institutionnel doté de plus de 1,7 million d'euros, visant à renforcer l'autorité maritime maltaise en lui apportant le soutien d'une capacité d'expertise extérieure.

2) La circulation des capitaux : transparence bancaire et investissements étrangers

Le chapitre relatif à la circulation recouvre en pratique deux problèmes distincts, dont l'un importait plus particulièrement aux autorités maltaises et l'autre aux autorités communautaires.

Comme il a été écrit plus haut, l'opinion maltaise nourrit la crainte que les étrangers prennent graduellement possession du territoire de l'île en y multipliant les achats de résidence secondaire, alors que les terrains sont déjà si peu nombreux. Les autorités communautaires s'intéressaient quant à elles aux mouvements plus proprement financiers, ses règles sur le secret bancaire donnant à Malte la réputation d'abriter des opérations de blanchiment des capitaux.

Sur ce front, la Commission a déjà enregistré des progrès notables. Notamment, les comptes bancaires anonymes sont beaucoup moins nombreux aujourd'hui que par le passé, puisque leur nombre a été ramené à 1 379 en juin 2002, pour un montant total des dépôts s'élevant à 4,25 millions d'euros. Un service de renseignements financiers a d'autre part été créé par le gouvernement, qui en a nommé le président et le vice-président en janvier 2002. Les autres membres du service sont issus du secteur de la finance et des rangs de la police(5).

Pour les investissements immobiliers, Malte s'est vu autoriser un régime particulier, qui impose des restrictions à l'achat de résidences secondaires pour les citoyens de l'Union européenne qui ne résident pas dans l'île depuis cinq ans au moins. Ces mesures devraient permettre de répondre aux attentes de l'opinion maltaise en parant à une excessive spéculation foncière dans l'île.

3) Les aides publiques aux chantiers navals

La construction et la réparation navale constituent l'un des secteurs d'activité vitaux de l'économie maltaise. Autrefois premier secteur d'activité - 28 % du PIB en 1999, elle n'en représente plus qu'un quart aujourd'hui et a cédé le premier rang au secteur touristique. Les chantiers navals maltais connaissent cependant d'importantes difficultés, si bien qu'a dû être adopté un plan national de restructuration, qui comporte un volet financier de soutien public à l'activité. Or, dans l'Union européenne, ce dispositif doit être soumis au régime très restrictif des aides d'Etat.

Il s'agissait d'un point d'autant plus délicat aux yeux des négociateurs maltais que le personnel en activité dans les chantiers navals, de tradition travailliste, pouvait avoir, en l'absence d'accord dérogatoire, le sentiment d'être sacrifié aux exigences de l'adhésion. Consciente de la difficulté, la Commission est finalement convenue avec Malte d'un accord qui permet à l'Etat de continuer à soutenir la restructuration du secteur de la construction navale pendant une période qui s'étend jusqu'à la fin de 2008. La dernière tranche du plan de restructuration ainsi autorisée prévoit l'octroi d'aides d'Etat d'un montant total de près d'un milliard d'euros.

B. La question budgétaire

Dans un pays où la presse a tendance à présenter systématiquement toute question, fût-elle éminemment politique
-comme celle de l'entrée dans l'Union européenne- sous l'angle forcément réducteur d'un bilan-analyse des coûts et avantages économiques, il est particulièrement regrettable que l'éventualité ait été à l'origine évoquée que Malte devienne, après son adhésion, un possible débiteur vis-à-vis de l'Union européenne.

1) Malte, contributrice potentielle

Compte tenu de son niveau de développement économique, Malte était en effet susceptible, lorsque se sont ouvertes les négociations d'adhésion, d'entrer dans l'Union européenne comme contributrice nette au budget communautaire. Certes, c'est faire un calcul artificiel que d'isoler a priori le solde particulier à un Etat membre dans les finances bruxelloises, puisque le principe même de la solidarité européenne se trouve remis en cause par de tels décomptes. Il n'en demeure pas moins qu'il semblait inhospitalier d'accueillir Malte à ces conditions.

La France a été l'un des Etats membres qui ont plaidé vigoureusement pour qu'aucun pays candidat ne reçoive moins du budget communautaire que ce qu'il lui transfère. Il est vite apparu au demeurant qu'il se pouvait que Malte, du fait de sa situation excentrée par rapport à l'Europe des Quinze et bientôt des Vingt-cinq, dût bénéficier du soutien financier des fonds structurels européens.

Aussi la Commission a-t-elle consenti à Malte des conditions financières qui paraissent lui être en définitive plutôt favorables. De 2004 à 2006, l'île recevra 154,71 millions d'euros des autorités communautaires, tout en contribuant à hauteur de 73,75 millions d'euros au budget européen. Un solde positif de 81 millions d'euros se dégage au profit du budget national, qui bénéficie ainsi, parmi les dix candidats, du plus retour financier par habitant le plus élevé, comme l'a souligné dans une conférence publique le Délégué permanent de la Commission dans l'île, M. Ronald Gallimore(6). Après 2006, les perspectives financières seront renégociées, mais Malte est censée rester une bénéficiaire nette.

2) Malte, bénéficiaire nette du budget communautaire

Cela est principalement dû au fait que, dans le cadre de la politique régionale européenne, des fonds continueront d'être distribués à l'Etat, ou du moins à l'une de ses deux îles, car l'Etat de Malte en compte deux. Au Nord-Ouest de l'île de Malte proprement dite se trouve en effet l'île de Gozo, qui compte 29 000 habitants. Le niveau de vie y est plus bas qu'à Malte, puisque le PIB par habitant dans l'île ne représente que 71 % de la moyenne nationale. Cela justifie que, si l'île de Malte ne fait plus partie après 2006 des régions éligibles aux fonds de l'actuel Objectif 1, l'île de Gozo devrait quant à elle continuer à bénéficier de ceux-ci.

La solution n'allait pas initialement de soi, car Gozo ne constitue pas en droit maltais une entité administrative et territoriale autonome au sens de la définition que retient la Commission lorsqu'elle met en œuvre la politique régionale européenne. Pourtant, essentiellement reliée à Malte, qui n'est pas elle-même toujours bien desservie, Gozo souffre de ce que les géographes appellent un phénomène de double insularité. C'est pourquoi la déclaration numéro 36 annexée au traité reconnaît que l'île présente des « handicaps structurels permanents », formule qui reprend la rédaction du traité de Rome révisé en son article 299 § 2, qui porte sur les régions ultra-périphériques.

Il en résulte que la situation de Gozo, même sans qu'elle constitue une entité administrative autonome, sera examinée isolément lors de la définition de la future politique régionale européenne. Sans avoir, comme la Guadeloupe, Madère ou les Açores, le statut reconnu de région ultra-périphérique, elle pourrait ainsi bénéficier des fonds structurels auxquels ces îles resteront éligibles après 2006. C'est le sens de la dernière phrase de la déclaration numéro 36 relative à Gozo :

« (...) Au cas où Malte, dans son ensemble, ne pourrait plus prétendre à certaines mesures relevant de la politique régionale, le rapport [périodique] déterminerait si la situation économique spécifique de Gozo justifie que celle-ci puisse continuer à prétendre à ces mesures, et à quelles conditions, pendant la période de référence ».

L'adhésion à l'Union européenne n'est cependant pas seulement une question de mise aux normes ou d'accords budgétaires. Il s'agit d'un acte politique qui engage l'exercice de la souveraineté d'un Etat, tout en accroissant la diversité de l'ensemble communautaire dont les orientations peuvent se trouver ainsi infléchies dans un sens nouveau.

IV. UN FUTUR ACTEUR DANS LE JEU POLITIQUE EUROPEEN

Au cours de la campagne référendaire, les partisans de l'adhésion ont avancé comme argument décisif que, Malte étant forcément tributaire des décisions prises par l'Union européenne, il valait mieux s'efforcer de peser sur elles de l'intérieur plutôt que les subir a posteriori. Cela signifie aussi que le traité d'adhésion, en faisant à Malte sa place dans le jeu politique communautaire, accroît peut-être les chances d'une relance du partenariat euro-Méditerranée.

A. Une présence affirmée au sein des institutions communautaires

La crainte s'était exprimée dans l'opinion qu'un Etat comme Malte puisse, du fait de ses proportions relativement modestes, se trouver phagocyté par ses autres partenaires plus puissants au sein de la future Union européenne. Les négociateurs maltais comme la Commission ont été attentifs à prévenir des reproches de ce type, en veillant à garantir à l'île une place à part entière dans l'Union européenne.

1) Le maltais, langue officielle de l'Union européenne

La protection de l'identité nationale, si souvent invoquée par les opposants à l'adhésion, ne passe pas seulement par le respect de la souveraineté politique, mais aussi par la reconnaissance d'une singularité culturelle dont la langue est un élément constitutif essentiel. Rappelons que, si l'anglais est la deuxième langue officielle de l'Etat de Malte, ses citoyens restent très attachés à l'idiome national. Mêlé de quelques éléments d'anglais et d'italien, le maltais présente l'originalité d'être la seule langue sémitique au monde à s'écrire et se transcrire en alphabet latin.

En mai 2002, la décision a été prise que le maltais serait admis au nombre des langues officielles de l'Union. L'autre solution aurait été qu'il n'en soit qu'une des langues reconnues. Il aurait alors partagé le sort du gaélique ou du luxembourgeois qui, tout en étant langues officielles d'un Etat membre et reconnus comme tels par l'Union européenne, ne sont pas cependant langues officielles de l'Union européenne elle-même. Un traitement de faveur donne ainsi au maltais une dimension internationale telle qu'il n'en a jamais connue. Certes, il a peu de chances de devenir langue de travail à Bruxelles, mais toute la réglementation communautaire existante et à venir devra être disponible en version maltaise.

Cela ne va pas sans implication pratique, à commencer par l'embauche immédiate de 180 traducteurs et interprètes maltais par les institutions européennes, dès le jour de l'adhésion. Dans le même ordre d'idées, les ressortissants maltais pourront tirer parti de leur bilinguisme naturel s'ils veulent entrer dans la fonction publique communautaire. Deux langues officielles de l'Union étant exigées aux concours d'entrée, ils pourront en effet composer en anglais et en maltais, sans avoir à apprendre la langue d'un autre Etat membre.

Peu nombreux sont les chapitres des négociations d'adhésion où la Commission ait fait preuve de plus de compréhension à l'égard d'un pays candidat.

2) Une représentation politique équitable

La représentation numérique au sein des institutions communautaires constituait l'autre problème crucial pour un Etat désireux de bien s'insérer dans le jeu bruxellois. De prime abord, les résultats obtenus peuvent paraître assez modestes. Malte n'enverra que cinq députés au Parlement européen, sur un total de 732. Au Conseil, lors des votes à la majorité qualifiée, elle ne disposera que de trois voix, soit le plus faible montant accordé à un Etat membre. Quant à la Commission, elle accueillera un membre maltais après l'adhésion.

Les apparences numériques cachent cependant un très bon rapport démographique au profit des autorités maltaises. Certes, évaluée en valeur absolue, l'influence de Malte sera loin d'être décisive si les autorités ne savent pas nouer d'alliance, par exemple au sein du Conseil ; mais, eu égard au nombre de ses habitants, l'île ne paraît pas non plus sous-représentée. Alors que l'Allemagne disposera au Conseil d'une voix pondérée pour 2 800 000 habitants, les 368 000 habitants de Malte, qui se voient attribuer trois voix, bénéficieront par comparaison d'un rapport de proportionnalité très favorable.

Il vaudrait certes mieux tracer un parallèle avec la situation d'un Etat de taille similaire, comme le Luxembourg, qui disposera d'une quatrième voix pour seulement 40 000 habitants de plus que Malte. Mais ce faible décalage peut se justifier, sur un plan symbolique, par le fait que le Luxembourg figure au nombre des pays fondateurs ; d'autre part, il ne bénéficie pas de certaines conditions préférentielles obtenues ailleurs par Malte, notamment dans le domaine linguistique (cf. le parallèle supra).

Que Malte ne jouisse de l'indépendance que depuis 1964 rend ses habitants d'autant plus ombrageux sur la question de sa souveraineté, dont les négociateurs ont été attentifs à ne pas neutraliser l'exercice. L'observation vaut également, et peut-être surtout, en matière de politique extérieure.

B. Vers une relance du partenariat euro-méditerranée ?

Située au centre d'un triangle géographique dont les trois sommets seraient l'Italie, la Tunisie et la Libye, Malte a développé une politique étrangère qui a pu sembler un temps peu compatible avec son intégration dans l'Union européenne. Le rapporteur estime quant à lui que cet héritage diplomatique peut offrir à l'Union européenne un atout pour nouer à l'avenir des liens plus étroits avec ses voisins du Sud méditerranéen.

1) Une neutralité sauvegardée

Malte se sent profondément européenne face à l'Afrique du Nord. Après l'échec de la politique étrangère de Dom Mintoff, qui s'était efforcé dans les années 1970 d'opérer un rapprochement avec le monde arabe et les pays de l'Est, l'île s'était retrouvée dans une situation d'isolement croissant. C'est précisément pour en sortir que l'actuel Premier ministre, M. Edward Fenech-Adami, a initialement déposé au nom de son pays une demande d'adhésion à l'Union européenne.

Il n'en reste pas moins que Malte ne compte pas abandonner sa neutralité. Officiellement déclarée en 1981, elle est inscrite dans sa Constitution depuis 1987. Aussi les autorités ont-elles obtenu que soit annexée au traité la déclaration numéro 35 relative à la neutralité de l'île, où l'on peut notamment lire que « Malte confirme que sa participation à la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne n'affecte pas sa neutralité ».

2) Un possible acteur du renouvellement des relations euro-méditerranéennes

L'ambition de Malte demeure de jouer le rôle d'un relais entre l'Europe et le monde arabe. A mi-chemin entre le Sud de l'Europe et le Nord de l'Afrique, l'Etat maltais est membre du Forum méditerranéen et participe aussi « dialogue 5+5 ».

Rappelons que le Forum méditerranéen, né d'une initiative franco-égyptienne, regroupe onze pays de part et d'autre de la Méditerranée : l'Algérie, l'Egypte, l'Espagne, la France, la Grèce, l'Italie, Malte, le Maroc, le Portugal, la Tunisie et la Turquie. Il ouvre un espace au dialogue politique entre les partenaires des deux rives de la Méditerranée, dont les ministres des Affaires Etrangères se retrouvent ainsi chaque année. Moins informel, le dialogue 5+5 regroupe les mêmes pays, à l'exception de la Turquie. Un moment interrompu, il a été relancé à Lisbonne en janvier 2001. Sa dernière réunion s'est tenue le 29 mai 2002 à Tripoli.

Le choix du lieu a bien sûr valeur de symbole. Longtemps marginalisée dans les relations internationales, la Libye non seulement participe aujourd'hui au dialogue 5+5, mais elle a pu avoir l'occasion d'en héberger ainsi l'activité. A l'heure où la tendance paraît être à une normalisation des rapports avec cet Etat, l'appoint de la diplomatie maltaise peut se révéler décisif. Malte entretient en effet de bonnes relations avec son voisin libyen. Pendant l'embargo, l'archipel maltais a ainsi permis à son voisin de garder une fenêtre ouverte sur l'extérieur. Aujourd'hui, il se considère encore comme la porte d'entrée en Europe de nombreuses importations libyennes, et par exemple des hydrocarbures exportés par Tripoli.

L'Union européenne se contente aujourd'hui de relations essentiellement bilatérales avec les pays d'Afrique du Nord qui ont signé avec elle un traité d'association. L'entrée de Malte pourra demain l'incliner à s'associer en tant que telle à un dialogue transméditerranéen renouvelé, dans lequel la Libye pourrait trouver, sous une forme ou sous une autre, la place qui lui revient naturellement.

CONCLUSION

Parmi les dix pays devant rejoindre l'Union européenne en 2004, peu auront connu un débat aussi passionné que celui qui s'est développé à Malte depuis une dizaine d'années, pour atteindre ces derniers mois son point culminant. Au-dessus des querelles partisanes, le rapporteur a souhaité faire de la situation une présentation aussi objective que possible, sans s'interdire au reste d'exercer à l'occasion son jugement critique.

Indéniablement, l'adhésion ouvrira à Malte un espace de développement nouveau. Les conditions qui lui ont été consenties lui ménagent au reste une transition en douceur vers l'intégration au marché unique européen, tout en lui accordant dès l'adhésion le bénéfice de sa participation à l'Europe communautaire et à ses processus décisionnels. Du point de vue de l'Union européenne, c'est un Etat à l'image d'élève parfois indiscipliné qui fait ainsi son entrée parmi les pays membres. Mais la diversité de l'ensemble communautaire s'en trouve accrue d'autant. A l'avenir, cela peut même préparer un resserrement des relations de l'Union européenne avec ses voisins d'outre-Méditerranée.

A l'issue de cette étude, le rapporteur a acquis la conviction que l'avenir de Malte s'inscrit naturellement à l'intérieur de l'Union européenne. Par sa culture, son histoire, sa population, mais aussi ses mœurs politiques et civiques, l'archipel trouvera nécessairement sa place au sein de l'Union européenne, reflet institutionnel d'une communauté historique auquel il appartient déjà de fait. Aussi le rapporteur se félicite-t-il que les vrais intérêts de l'île aient prévalu à travers la décision référendaire du 9 mars 2003. En accordant à l'adhésion une majorité somme toute confortable, le peuple maltais a fait triomphé la vision politique d'ensemble sur les contingences de l'affrontement électoral et les considérations individuelles.

A ce peuple qui a choisi l'Europe, le rapporteur souhaite adresser des vœux de bienvenue.{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mardi 8 avril 2003, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

Le rapporteur a constaté que Malte avait voté en faveur de l'adhésion à une majorité supérieure à 53 %, ce qui constitue un résultat sans équivoque. Il a indiqué qu'il n'avait pu se déplacer dans l'île en pleine campagne référendaire et qu'il avait espéré s'y rendre dès le lendemain de la consultation, projet finalement contrarié par la convocation des élections législatives. Du fait de son caractère officiel, sa visite aurait en effet pu sembler apporter un appui à certaines des forces engagées dans la campagne. Il a annoncé qu'il se rendrait donc à Malte après les élections législatives, des échanges de vue paraissant particulièrement nécessaires, d'un côté comme de l'autre.

Malte compte 368 000 habitants, ce qui représente environ 0,5 % de la population française. Elle détiendra pourtant l'équivalent de 20 % des voix de la France au Conseil. Cette sur-représentation peut suggérer des idées d'indépendance politique aux autres grandes îles de la Méditerranée, qu'il s'agisse de la Sicile, de la Sardaigne, des îles espagnoles, voire de la Corse. Elles pourront en effet être tentées d'obtenir une représentation équivalente.

Son histoire fait du peuple maltais l'un de ces peuples européens qui ont eu à souffrir de l'importance des différentes puissances occidentales, grecque, romaine, puis croisée, avant de connaître la domination anglaise qui en faisait une étape, à la suite de Gibraltar, sur la route vers le Moyen-Orient. L'île n'a acquis son indépendance qu'en 1964, son organisation politique restant marquée par le système britannique bipartisan qui se trouve reproduit dans l'île. S'ajoute à cela que les querelles politiques sont forcément à Malte des « querelles de clocher », puisque chacun se connaît et identifie d'emblée l'appartenance politique de ses interlocuteurs.

Les élections sont remportées avec un écart de voix souvent inférieur à 1 %, de sorte que la majorité de plus de 53 % qui s'est dégagée lors du référendum apparaît comme un chiffre exceptionnel, quoiqu'il ait été remis en cause par un artifice comptable consistant à le rapporter à l'ensemble du corps électoral, pour conclure qu'il ne représente pas plus de 50 % de la population. Les résultats du référendum pourraient être remis en cause si les élections législatives devaient amener une autre majorité au parlement maltais. La situation à cet égard n'est pas sans analogie avec celle du Royaume-Uni d'il y a trente ans, les travaillistes maltais prétendant qu'ils renégocieront les conditions d'adhésion. Interrogé par le rapporteur, le Président Romano Prodi a cependant déclaré récemment devant la Délégation qu'il n'en était aucunement question, l'île devant choisir entre l'adhésion pure et simple ou l'appartenance au « cercle des amis ». Au reste, dans la campagne en cours, les travaillistes maltais paraissent atténuer leurs déclarations antérieures.

Une partie des réticences de l'opinion maltaise paraît avoir pour origine le travail d'une presse britannique, pas toujours très indulgente avec l'Europe. Or elle est largement lue dans une île où l'anglais est l'une des deux langues officielles, la population étant majoritairement bilingue. L'opposition à l'idée européenne se nourrit aussi de la crainte que de richissimes habitants du Nord, comme des Norvégiens ou des Suédois, ne soient tentés de venir profiter du soleil maltais en provoquant une spéculation foncière, alors que le littoral de l'île est déjà très construit, la densité démographique s'y élevant à 1 200 habitants au kilomètre carré. Devant les peurs d'un possible accaparement, les négociateurs maltais ont obtenu que soit maintenue pour dix ans encore l'interdiction faite aux étrangers d'acquérir une résidence dans l'île.

D'une manière générale, l'adhésion a été bien négociée. L'agriculture, assez petite à l'échelle de l'Union européenne, a posé moins de problèmes que la question de la flotte maltaise, la cinquième du monde. Le pavillon maltais a en effet longtemps été un pavillon d'emprunt sous lequel se retrouvent des bâtiments disparates. L'affaire de l'Erika, qui était l'un d'entre eux, a incité les autorités de l'île à mettre bon ordre au sein de leur flotte marchande, la France étant particulièrement associée à ce travail par l'appui technique qu'elle prête. Le secteur de la construction et de la réparation navale représente aujourd'hui encore 28 % du PIB de l'île, ce qui donne la mesure du problème.

Un autre point à aborder est celui de l'île de Gozo, située au Nord-Ouest de Malte et dont les revenus sont assez faibles, le PIB n'y atteignant que 70 % de la moyenne nationale, certes comparable à celle de la Grèce ou du Portugal. Sa situation pourrait rendre l'île de Gozo éligible à des aides particulières.

Quant au problème de la langue, il a trouvé une solution coûteuse. Le maltais est une langue sémitique qui s'écrit en caractères romains ; il a connu peu d'évolutions, à l'instar du Corse. Il a besoin aujourd'hui d'intégrer le vocabulaire scientifique moderne, de manière volontariste, l'île étant cependant dépourvue d'une institution comparable à l'Académie. Cette langue deviendra néanmoins langue officielle de l'Union européenne, ce qui signifie l'embauche immédiate de 180 traducteurs et interprètes, alors même que le gaélique et le luxembourgeois, langues officielles nationales, ne sont pas langues officielles de l'Union européenne.

Le pays a également réussi à préserver sa neutralité, qu'il a réaffirmée dans une déclaration annexée au traité. Sa position géographique présente l'intérêt de pouvoir faciliter à l'avenir les relations avec les pays d'Afrique du Nord, la Tunisie mais aussi la Libye.

Cette adhésion ne posant pas de problème à la France, le rapporteur recommande à la Délégation de l'approuver.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que Malte constituait l'exemple singulier d'un pays qui enverrait un commissaire siéger à Bruxelles, au même titre que la France, alors qu'il ne représente qu'un tiers du département des Yvelines par sa population.

Le rapporteur a alors repris l'idée que cela ne pouvait que favoriser le développement de tendances autonomistes sardes, siciliennes, voire corses. Il a ensuite fait écho aux pronostics qui donnent les conservateurs maltais vainqueurs aux prochaines élections.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Délégation a donné un avis favorable à l'adhésion de Malte à l'Union européenne.

ANNEXES

Annexe 1 :
Carte de l'archipel maltais

(Pour la carte de l'archipel maltais voir la version PDF de ce document)

Annexe 2 :
Quelques données sur la candidature maltaise

Eléments budgétaires relatifs au budget maltais

Une facilité de trésorerie permettra au budget national de Malte d'acquitter sans heurt les premières contributions au budget communautaire. Cette facilité s'élèvera à un total de 66 millions d'euros de 2004 à 2006. La facilité Schengen viendra en outre soutenir des investissements nécessaires aux futures frontières extérieures de l'Union européenne ; elle s'élèvera pour Malte à 167 millions d'euros sur trois ans.

Deux déclarations importantes ont été annexées au traité d'adhésion, qui sont relatives à Malte :

- déclaration unilatérale de Malte sur sa neutralité (n°35) ;

- déclaration unilatérale de Malte sur les taux zéro de TVA sur les produits pharmaceutiques et alimentaires, liant son acceptation d'une période transitoire limitée à 2010 à la réforme, d'ici là, de la dérogation permanente britannico-irlandaise (n°37).

En revanche, les déclarations unilatérales de la Pologne sur la moralité publique et la protection de la vie humaine et de Malte sur la fiscalité ont suscité une contre-déclaration des quinze actuels Etats membres, rappelant que « les déclarations attachées à cet Acte Final ne peuvent pas être interprétées ou appliquées dans un sens contraire aux obligations des Etats membres découlant du Traité et de l'Acte d'Adhésion. Les actuels Etats membres notent que la Commission souscrit pleinement à cette position ».

Malte contribuera à la correction britannique à hauteur d'un total de 13 millions d'euros de 2004 à 2006. Rappelons que la France est le premier contributeur au chèque britannique, à hauteur de 1,5 milliard d'euros par an.

Positions budgétaires nettes de Malte de 2004 à 2006 (en millions d'euros)

 

2004

2005

2006

Aide de préadhésion

Agriculture

Actions structurelles

Politiques internes

Dépenses additionnelles

Facilité de trésorerie spéciale

Compensation budgétaire temporaire

Total des crédits de paiement

Droits de douane

TVA

PNB

Correction britannique

Total des contributions budgétaires

Solde

7

3

7

2

0

12

38

70

- 14

- 4

- 23

- 3

- 43

26

2

8

13

4

0

27

66

119

- 21

- 6

- 35

- 5

- 66

53

0

10

15

5

0

27

63

121

- 21

- 6

- 36

- 5

- 68

53

De 2004 à 2006, Malte bénéficiera ainsi d'un solde positif total de 132 millions d'euros.

Représentation au sein des institutions communautaires

Malte disposera de 3 voix au Conseil. Elle enverra 6 députés au Parlement européen. Elle désignera un membre de la Commission.

Elle compte 368 000 habitants en 2001, ce qui représentera environ 0,09 % de la population de l'Europe élargie.

1 () Délégation pour l'Union européenne, réunion du mercredi 12 mars 2003, compte-rendu n°34.

2 () Malta Independent, 17 mars 2003.

3 () Source : Institute of Economic Shipping and Logistics de Brême.

4 () Le Monde du mardi 25 mars 2003.

5 () Rapport régulier sur les progrès réalisés par Malte sur la voie de l'adhésion (SEC(2002) 1407), paru le 9 octobre 2002.

6 () The Times of Malta, 21 février 2003.

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