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N° 778

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 avril 2003

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne,

ET PRÉSENTÉ

par M. François GUILLAUME,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Union européenne.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; M. François Guillaume, M. Jean-Claude Lefort secrétaires ; MM. Alfred Almont, Bernard Bosson, Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Jean-Claude Lefort, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LE PAYS CANDIDAT CLEF DE L'ELARGISSEMENT 9

A. Un « poids lourd » qui a accompli un grand effort de modernisation économique 9

1) Une transition vers l'économie de marché constituant un succès majeur mais qui est loin d'avoir assuré une convergence sociale durable avec les Quinze 9

2) Les questions en suspens 11

B. D'importants efforts doivent être encore fournis pour achever la reprise de l'acquis communautaire 13

1) Une priorité absolue : le renforcement des capacités administratives 14

2) Les secteurs nécessitant une action rapide avant l'adhésion 15

a) Des secteurs sensibles 15

b) Les périodes de transition obtenues 17

3) Les mécanismes de surveillance des engagements pris 19

C. Les répercussions de la crise irakienne 20

II. LE POIDS DE LA PROBLEMATIQUE AGRICOLE 23

A. Pour la Pologne 24

1) Une structure agricole qui doit évoluer 24

2) Une question importante pour le débat politique sur l'élargissement 27

3) Des conditions d'adhésion remarquablement négociées 28

a) Les concessions budgétaires 28

b) Les concessions agricoles 29

B. Pour l'Union européenne 31

1) Une position ambiguë sur la révision à mi-parcours de la PAC qui implique un effort de pédagogie de notre part 31

2) Une relance de l'agriculture polonaise à assurer dans l'intérêt de l'Europe 33

CONCLUSION 35

TRAVAUX DE LA DELEGATION 37

ANNEXES 45

Annexe 1 : Carte de la Pologne 47

Annexe 2 : Liste des personnes entendues 49

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La Pologne, avec les neuf autres pays adhérents, signera le Traité commun d'adhésion à Athènes, le 16 avril 2003, et adhérera à l'Union européenne le 1er mai 2004. Elle prévoit de tenir son référendum sur l'adhésion le 8 juin 2003.

La Pologne est le pays clef de ce « grand élargissement » historique, qui marquera la réunification de notre continent.

Ce pays concentre, en effet, tous les défis posés par cet élargissement, qui n'a aucun précédent dans l'histoire de la construction européenne :

- d'abord, l'intégration de la Pologne va faire entrer dans l'Union européenne un pays de 38,7 millions d'habitants, mais dont le PIB réel par habitant n'est égal qu'au quart de la moyenne communautaire. Ces chiffres nous rappellent que l'élargissement de l'Union européenne constitue un formidable défi économique et social, les pays adhérents ne représentant que 8,8 %du PIB des Quinze. Par ailleurs, l'intégration de l'agriculture polonaise suscitera de sérieuses difficultés que notre partenaire devra résoudre s'il veut jouer un rôle à sa mesure dans « l'Europe verte » ;

- ensuite, la transposition du droit communautaire dans la législation nationale d'un pays ayant connu un régime totalitaire pose un réel défi administratif et juridique. La reprise de l'acquis communautaire, qui constitue l'un des critères de l'adhésion, n'est que la traduction juridique du « contrat d'adhésion » : l'Europe ne peut accepter d'intégrer un nouvel Etat membre que si ce dernier s'engage à respecter toutes les règles d'un marché commun reposant sur des politiques communes. A cet égard, la Pologne doit encore fournir des efforts importants avant son adhésion pour respecter ce critère essentiel. En outre, cet alignement législatif lui impose de renforcer encore substantiellement ses capacités administratives, afin qu'elle puisse appliquer de manière effective l'ensemble de l'acquis ;

- enfin, les prises de position de la Pologne dans l'affaire irakienne et les réactions suscitées dans ce pays par les propos du Président de la République sur les pays signataires de la lettre des huit illustrent à l'envi tous les problèmes que poseront le fonctionnement d'institutions associant vingt-cinq pays et la volonté de l'Europe de s'affirmer progressivement comme une puissance politique sur la scène internationale. Le poids institutionnel de la Pologne dans l'Union ne sera pas négligeable : avec un Commissaire européen, 27 voix au Conseil et 54 députés européens, elle pèsera autant que l'Espagne.

Son histoire, son importance démographique et économique et sa position de future frontière orientale de l'Union européenne font de la Pologne l'acteur central de cet élargissement : une intégration réussie de ce pays aura valeur de succès pour l'ensemble du processus d'élargissement.

Ce rapport a pour objet de présenter les conditions d'adhésion de la Pologne à l'Union européenne, sur la base des informations recueillies par le rapporteur dans le cadre d'une mission effectuée à Varsovie les 6 et 7 mars 2003(1).

Cette mission a eu lieu quelques jours après que la coalition au pouvoir depuis les élections législatives d'octobre 2001, formée du SLD (parti social-démocrate, ex communistes), du PSL (parti paysan) et de l'Union du travail (UP), ait éclaté, le 1er mars 2003, suite au refus du PSL de voter la loi sur les vignettes automobiles. Cette crise politique est significative, car elle traduit parfaitement la prégnance de l'enjeu européen dans le débat politique national : la rébellion du PSL a été en partie motivée par la volonté de ce parti de se désolidariser des résultats des négociations d'adhésion - et notamment de leur volet agricole - , afin de se présenter comme le porte parole des petits exploitants inquiets de la perspective de l'adhésion.

Malgré ce contexte politique difficile, une large majorité de Polonais (environ 60 %) déclarent vouloir voter oui au référendum sur l'adhésion. Toutefois, le taux de participation de la population à cette consultation soulève quelques inquiétudes : la Constitution polonaise impose en effet un taux de participation minimal de 50 % pour qu'un référendum ait une portée contraignante. Or, dans le seul référendum organisé à ce jour, ce seuil n'a pas été atteint ; d'autre part, la participation aux élections est généralement faible (46 % aux dernières législatives). Une loi adoptée en mars 2003 permettra au Parlement de se ressaisir de la question de l'adhésion si plus de la moitié des électeurs s'abstiennent, mais elle impose que chaque chambre se prononce favorablement à la majorité des deux tiers.

Le rapporteur reste cependant optimiste quant à l'issue du référendum : la Pologne ne peut commettre l'erreur de choisir l'isolement en Europe, pour se retrouver seule face aux Etats-Unis et à la Russie, d'autant que ses dirigeants ont remarquablement négocié les conditions d'adhésion de leur pays.

I. LE PAYS CANDIDAT CLEF DE L'ELARGISSEMENT

Toutes les données indiquent que la Pologne est le « poids lourd » des dix pays devant adhérer le 1er mai 2004.

La Pologne représente, à elle seule, plus la moitié du prochain élargissement : ainsi, sa population s'élève à 38,7 millions d'habitants pour une population totale des pays adhérents de 70 millions d'habitants et son PIB, en 2001, à 196,7 milliards d'euros pour un PIB des dix chiffré à 403,9 milliards d'euros. Par ailleurs, la capacité de la Pologne à respecter avant l'adhésion ses engagements en matière de reprise de l'acquis communautaire aura, en raison de la taille du pays et de l'importance des efforts qu'il lui reste à fournir, une valeur de test pour la qualité de l'ensemble du processus d'adhésion.

A. Un « poids lourd » qui a accompli un grand effort de modernisation économique

1) Une transition vers l'économie de marché constituant un succès majeur mais qui est loin d'avoir assuré une convergence sociale durable avec les Quinze

La Commission européenne, dans son rapport régulier sur les progrès réalisés par la Pologne sur la voie de l'adhésion en date du 10 octobre 2002, a conclu que celle-ci respectait les deux critères économiques d'adhésion fixés par le Conseil européen de Copenhague de juin 1993, à savoir :

- l'existence d'une économie de marché viable ;

- la capacité à faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union.

Ce résultat constitue une performance remarquable si l'on considère que la Pologne a su piloter en dix années seulement une véritable révolution qui l'a fait passer du collectivisme à une économie de marché dynamique. Plus de 3 millions d'entreprises du secteur privé produisent maintenant plus de 70 % du PIB et emploient plus de 70 % de la main-d'œuvre. On estime qu'environ la moitié des Polonais en âge de travailler ont changé de lieu de travail ou de profession pendant ces douze années de transformation.

Ce miracle polonais constitue le plus grand succès économique des pays de l'Europe centrale et orientale (PECO). Après la récession des années 1990-1991, qui a marqué le début de la thérapie de choc appliquée par les autorités polonaises pour libéraliser l'économie, la Pologne a été le premier des PECO à retrouver (dès 1995) son niveau de production d'avant la transition politique. De 1995 à 2000, la Pologne a connu le taux de croissance économique le plus élevé de la région, soit 5,5 % par an en moyenne, contre 4,5 % pour la Slovénie, 3,5 % pour la Hongrie et 2 % pour la République tchèque. Cette croissance était toutefois déséquilibrée, car elle se caractérisait par un écart persistant entre le taux d'investissement et le taux d'épargne des ménages (représentant respectivement 25 % et 20 % du PIB) et l'augmentation plus élevée des importations par rapport aux exportations (le déficit courant représentant 6,2 % du PIB fin 2001, puis 3 % fin 2002 suite au ralentissement conjoncturel en Europe).

L'ouverture économique a fortement contribué au développement de la Pologne. Les investissements étrangers représentent aujourd'hui près de 6,7 % du PIB contre 3,1 % en 1998. Ils sont particulièrement importants dans le secteur bancaire où environ 75 % des actifs sont détenus par les opérateurs étrangers. Nos entreprises ont largement profité de ce processus d'ouverture pour occuper une place privilégiée en Pologne : la France y est le premier investisseur étranger, devant l'Allemagne et les Etats-Unis, depuis la prise de participation de France Télécom au capital de la principale société polonaise de téléphonie fixe. La qualité de la main d'œuvre des secteurs de l'industrie et des services, soulignée par les hommes d'affaires français rencontrés par le rapporteur, et un coût mensuel du travail peu élevé (672 euros en moyenne en 2000) font de la Pologne un pays très attractif pour les entreprises des Quinze, ce qui ne peut que contribuer au processus de rattrapage du pays. Enfin, la Pologne est déjà largement intégrée à l'Union européenne en matière de relations commerciales : ce pays réalise plus de 70 % de son commerce extérieur avec les Quinze. La Pologne est le quatrième marché à l'exportation de l'Union européenne, derrière les Etats-Unis, la Suisse et le Japon.

S'agissant de l'entrée de la Pologne dans la zone euro, les autorités polonaises et la Banque centrale du pays ont déclaré vouloir rejoindre au plus tôt l'Union économique et monétaire, en 2006 ou 2007. Ce pays, comme tous les autres futurs Etats membres, adhérera au mécanisme de change fixe européen le 1er mai 2004. Pour l'étape suivante, si la Pologne respecte tous les critères fixés par le traité, à l'exception de celui du déficit budgétaire, qui dépasse d'environ deux points le seuil des 3 %, elle prendra sa décision sur la base de considérations pragmatiques, c'est-à-dire que l'entrée dans l'euro ne devra pas freiner la croissance de son économie.

Ces résultats économiques impressionnants n'ont pas été accompagnés de progrès comparables dans le domaine du rattrapage du niveau de vie de l'Union européenne. Le PIB par habitant en Pologne est de 9 210 euros, ce qui la place en sixième position des pays adhérents, derrière Chypre, la Slovénie, la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie, et loin derrière le PIB par habitant de l'Union (23 180 euros). En pourcentage, la Pologne atteint 40 % de la moyenne communautaire en 2001 (38 % en 1997) : la Pologne va donc entrer dans l'Union européenne en étant deux fois plus pauvre que ne l'était l'Espagne au moment de l'adhésion de celle-ci en 1986. Il reste donc beaucoup de chemin à parcourir pour assurer une convergence sociale entre la Pologne et les Etats membres actuels qui soit comparable à celle qu'ont connu l'Espagne, l'Irlande et le Portugal.

2) Les questions en suspens

Sur le plan de la conjoncture, la situation économique actuelle de la Pologne est inquiétante. Elle se caractérise par une croissance atone (1 % en 2001 et 1,3 % pour 2002), qui ne permet pas d'assurer la poursuite du rattrapage souhaitable dans la perspective de l'adhésion à l'Union européenne et place la Pologne en queue de peloton par rapport aux autres pays adhérents en 2001 et 2002. Le ralentissement de la croissance européenne, en particulier en Allemagne, explique ce retournement de conjoncture. A cela, s'ajoute le fait que l'investissement privé et la demande interne sont fortement contraints par la politique de taux d'intérêt élevés de la Banque centrale, dont le taux directeur est fixé à 6,25 %. Cette politique restrictive a permis d'obtenir une inflation historiquement basse de 2 %, le niveau le plus faible depuis 1990, mais elle pèse sur les crédits à la consommation et aux entreprises, qui restent très cher, avec des taux d'environ 10 %. Dans ce contexte dégradé, la montée du chômage se poursuit alors que celui-ci déjà très important : il atteint officiellement 18 % de la population active.

Sur un plan plus structurel, la Commission européenne a indiqué, dans son rapport d'octobre 2002, que le processus de restructuration et de privatisation des industries lourdes, du secteur financier, de l'énergie et de l'agriculture demande à être achevé(2). On peut considérer toutefois que l'essentiel de la vague de privatisations est passé, le pic ayant été atteint lors des trois dernières années. Au total, sur les quelques 10 000 entreprises d'Etat enregistrées en 1990 (dont 1 650 fermes d'Etat), 5 150 ont été à ce stade privatisées, près de 1 000 liquidées et il ne restait en juin 2002, que 1 523 entreprises appartenant à l'Etat. La valeur des actifs de l'Etat dans le PIB est aujourd'hui comprise entre 32 et 34 %. Ce pourcentage est élevé, mais les secteurs clefs restant à privatiser et à restructurer concernent avant tout des domaines sensibles. Le Gouvernement s'attèle à la tâche, bien qu'il doive aussi tenir compte des résistances politiques et syndicales que suscitent de telles opérations. Ainsi, dans le secteur du charbon, le nombre de mineurs est passé en 15 ans de 400 000 à 120 000 ; cette industrie, ainsi que celle de la sidérurgie, sont désormais confrontées à un problème classique, que connaissent les Quinze, de réduction des surcapacités, les possibilités de subventions étant désormais strictement encadrées par les règles communautaires. Par ailleurs, certains courants politiques exploitent l'argument du danger du contrôle des entreprises nationales par des capitaux étrangers pour tenter de stopper les privatisations. Lorsque ce discours s'ajoute aux craintes héritées du passé, cela conduit à faire échouer un projet de reprise de l'industrie du sucre de Silésie par un opérateur allemand ou d'achat de la raffinerie de Gdansk par un opérateur russe...

La situation budgétaire très dégradée impose, selon la Commission européenne, d'apporter des améliorations structurelles à la gestion des finances publiques. Si le niveau de la dette publique est relativement faible (35 % du PIB) et inférieur au critère des 60 % du traité, celui du déficit budgétaire (6 %) reste trop élevé. Le Gouvernement a donc annoncé un plan de réforme des finances publiques ambitieux, qui doit permettre de rationaliser et consolider davantage la politique budgétaire. Ce dernier s'articule autour de trois axes principaux : la simplification et la réduction des mécanismes d'indexation des salaires induisant une rigidité des dépenses publiques, le renforcement de l'autonomie financière des collectivités locales, qui doit contribuer à diminuer les subventions versées par l'Etat, et la suppression de plusieurs agences publiques gérant pour le compte de l'Etat des fonds publics.

Cependant, la consolidation budgétaire ne doit pas se faire au détriment des dépenses d'investissement dans les infrastructures, qui restent largement insuffisantes par rapport aux besoins du pays et handicapent son potentiel de croissance et de développement. C'est notamment le cas des domaines du transport où il n'existe que quelques centaines de kilomètres d'autoroute pour un pays dont la superficie est environ égale à la moitié de la France, des télécommunications où le ratio de la densité téléphonique pour les lignes fixes reste inférieur de moitié à la moyenne communautaire et du logement où l'on estime qu'il manque entre 1,5 et 2 millions de logements pour satisfaire les besoins de la population.

B. D'importants efforts doivent être encore fournis pour achever la reprise de l'acquis communautaire

Le Conseil européen de Copenhague a fixé un critère de reprise de l'acquis communautaire par le pays candidat, qui consiste à examiner la capacité de ce dernier à assumer toutes les obligations découlant des traités et du droit dérivé - directives et règlements - de la Communauté et de l'Union.

Il s'agit d'un critère essentiel, qui traduit le fait que l'appartenance à l'Europe exige le respect de règles de vie commune qui vont bien au-delà du fonctionnement d'une zone de libre-échange.

Or, si les négociations d'adhésion ont été terminées au Conseil européen de Copenhague de décembre 2002, la Commission européenne a clairement indiqué, dans ses rapports sur les progrès réalisés par les dix pays adhérents, qu'il reste à ces derniers beaucoup de lacunes à combler avant d'intégrer l'Union européenne.

La Pologne, dont la population dépasse celle des neuf autres pays adhérents réunis, a été appelée par la Commission européenne à s'attaquer d'urgence aux retards affectant de nombreux domaines de l'acquis.

Le rapporteur tient à rappeler ici les failles inquiétantes qui ont été constatées dans la reprise et l'application de l'acquis, ainsi que les précautions prises par l'Union européenne pour que la Pologne respecte ses engagements avant et après l'adhésion.

1) Une priorité absolue : le renforcement des capacités administratives

Dans son rapport d'octobre 2002, la Commission européenne constate qu'il existe encore en Pologne un décalage entre la reprise juridique de l'acquis et le renforcement des capacités administratives permettant d'appliquer de manière effective le droit communautaire. Le Délégué de la Commission européenne en Pologne, qui est français, M. Bruno Dethomas, a indiqué au rapporteur que si toutes les structures administratives sont en place, celles-ci souffrent d'un manque de personnels et de coordination entre elles. Seule une action vigoureuse permettra donc d'y remédier.

Le formalisme ne peut en effet suffire, car autrement le processus reprise de l'acquis serait vidé de sa substance. Selon la Commission européenne, la Pologne doit poursuivre ses efforts pour créer ou renforcer ses capacités administratives dans tous les domaines, notamment ceux de l'agriculture et de la sécurité alimentaire, de la pêche, de la politique régionale, de l'environnement, des douanes et de la justice et des affaires intérieures.

Or, le rythme actuel de recrutement est encore nettement insuffisant pour permettre la constitution d'une fonction publique indépendante et étoffée : en 2001, le nombre de fonctionnaires s'est accru de 276 seulement.

Par ailleurs, la corruption reste « un sujet extrêmement préoccupant » selon la Commission européenne. Il ne s'agit pas d'un phénomène isolé, car il résulte des conditions sociales existantes en Pologne où le traitement moyen d'un fonctionnaire est compris entre 650 et 780 euros. Il sera difficile de résoudre immédiatement ce problème général, mais la Pologne doit créer d'urgence « une culture politique, administrative et d'entreprise qui résiste à la corruption » pour reprendre les termes de la Commission européenne.

2) Les secteurs nécessitant une action rapide avant l'adhésion

a) Des secteurs sensibles

Les secteurs qui nécessitent d'importants efforts d'adaptation avant l'adhésion sont encore nombreux. Selon le Délégué de la Commission européenne en Pologne, M. Bruno Dethomas, sur les 350 directives environ qui doivent être reprises dans la législation polonaise, il en reste encore 60 à transposer.

Les secteurs accusant des retards inquiétants sont en outre susceptibles de mettre en cause la sécurité et le bien-être des citoyens européens, ainsi que la bonne gestion des aides communautaires. Il est donc urgent que les autorités polonaises remédient à ces lacunes :

¬ Dans le domaine de la sécurité alimentaire, la transposition et la mise en œuvre des dispositions d'application de la législation communautaire nécessitent encore des efforts considérables si la Pologne veut réaliser la pleine conformité avant l'adhésion. Notamment, l'installation des laboratoires adéquats, l'élaboration et la validation des méthodes d'analyse et la formation du personnel doivent être accélérées.

¬ Dans le domaine de l'agriculture, la Pologne doit déployer « de toute urgence de très sérieux efforts » pour mettre en place un système intégré de gestion et de contrôle (SIGC) des aides, opérationnel à la date de l'adhésion. Les difficultés constatées dans ce domaine ont d'ailleurs conduit le pays à opter, en novembre 2002, pour un système d'aides à la surface, qui sera analysé plus loin. Beaucoup reste à faire en matière d'identification et d'enregistrement des animaux, ainsi que dans le domaine de l'adéquation des données cadastrales permettant d'identifier les parcelles, ce qui est indispensable à une gestion et à un contrôle efficaces des aides de la PAC. Les deux organismes payeurs, l'ARMA et l'AMA, doivent augmenter de manière considérable leurs ressources humaines : la Commission européenne a rappelé que l'existence de structures insuffisamment opérationnelles aura pour conséquence que les agriculteurs ne pourront pas bénéficier complètement des aides prévues. En matière vétérinaire, la situation est préoccupante, car la mise en œuvre de la législation a très peu évolué depuis deux ans. La transition a fortement perturbé les services vétérinaires, qui ont été en partie privatisés. C'est seulement dans une période très récente que les contrôles ont commencé à être systématisés. Par ailleurs, il faut tenir compte du coût que représente pour les agriculteurs le respect des normes sanitaires. Ainsi, l'élimination d'une unité de gros bétail coûte entre 600 et 700 zlotys (soit environ 150 euros) pour des exploitants qui disposent d'un faible revenu agricole, compris entre 460 zlotys par hectare de surface agricole utile pour les exploitations comprises entre 1 et 5 hectares et 700 zlotys pour les exploitations comprises entre 50 et 100 hectares. Dans le domaine sanitaire et phytosanitaire, des progrès sont encore nécessaires : 48 % seulement des bovins sont bouclés selon le ministère de l'agriculture polonais. En matière d'ESB, 5 cas ont été déclarés jusqu'à présent. Les interlocuteurs du rapporteur ont indiqué que toutes les parties sensibles des animaux faisaient l'objet d'un contrôle.

¬ Dans le domaine de la pêche, la Commission européenne estime que pour être prête à adhérer, la Pologne devra accorder une « priorité absolue » à l'adoption de la législation et des instruments nécessaires à la mise en œuvre de la politique commune de la pêche.

¬ En matière de politique régionale, la mise en place du système de flux financiers entre l'autorité de paiement, les autorités de gestion, les organismes intermédiaires et les bénéficiaires est loin d'être achevée tout comme celle des procédures appropriées de contrôle et de gestion des aides des Fonds structurels. A ces lacunes, s'ajoute le manque de personnel qualifié au sein des organismes payeurs et gestionnaires.

¬ En ce qui concerne la protection des brevets pharmaceutiques, les accords applicables n'ont été signés qu'en 1994 et ne règlent pas le cas des médicaments brevetés avant cette année : ainsi, les laboratoires Servier s'inquiètent de la mise en vente en Pologne d'un médicament pour lequel cette société a déposé un brevet en 1990.

¬ S'agissant de la coopération en matière de police et de justice et d'affaires intérieures, la Pologne doit concentrer ses efforts sur :

- l'adoption de toutes les mesures nécessaires qui lui permettront de disposer, au moment de son adhésion, d'une organisation policière « pleinement coordonnée, fiable et responsable ». La pénurie de personnel et d'équipements due aux contraintes budgétaires est qualifiée par la Commission européenne de « préoccupante » dans un contexte d'aggravation de la criminalité économique et de la criminalité organisée ;

- le renforcement les moyens humains affectés au contrôle des frontières, plus de 30 % des postes dans les garde-frontières étant vacants ;

- l'introduction de visas à l'égard des ressortissants d'Ukraine pour lesquels l'Union européenne impose un tel document. Ce point suscite toutefois des difficultés de nature politique : la région orientale de la Pologne vit en effet des échanges de travailleurs et de marchandises avec sa contrepartie ukrainienne, sans compter l'importance de l'« économie grise » qui s'est développée autour de la frontière.

b) Les périodes de transition obtenues

La Pologne a obtenu au total 36 périodes de transition lui permettant de différer l'application de certaines dispositions de l'acquis communautaire. Ces dérogations concernent essentiellement des domaines pour lesquels la reprise de l'acquis implique d'importants efforts d'investissement.

Neuf d'entre elles concernent l'environnement, secteur qui exige les investissements les plus coûteux en termes d'infrastructures : le coût de la mise à niveau des installations polonaises avec les normes communautaires est ainsi estimé à 40 milliards d'euros. Aussi, la Pologne a-t-elle obtenu, dans le domaine de la qualité de l'eau potable, une période transitoire qui court jusqu'en 2012.

Par ailleurs, une période de transition de 12 ans a été obtenue pour l'achat de terres agricoles et sylvicoles. Elle répond à une demande forte de la population et des autorités polonaises, motivée par des considérations politiques et symboliques : la possession de la terre a servi, en effet, dans l'histoire du pays, à enraciner le sentiment national et a permis aux Polonais privés de leur souveraineté de faire face aux siècles d'occupation par des puissances étrangères. La crainte d'un retour des Allemands (trois millions environ) expulsés de la Pologne suite au redécoupage des frontières intervenu après la guerre a également joué.

De son côté, l'Union européenne a imposé, à la demande de l'Allemagne et de l'Autriche, qui craignent de subir un afflux d'immigrants économiques provenant de Pologne, deux périodes de transition dans le domaine de la libre circulation des personnes :

- une période de 7 ans (soit 2 ans, puis 3 ans de période transitoire et enfin 2 ans de clause de sauvegarde permettant de suspendre les dispositions applicables) avant que les salariés polonais ne bénéficient de la libre circulation des personnes. Seuls cinq Etats membres (Royaume-Uni, Suède, Danemark, Pays-Bas et Irlande) ont à ce stade annoncé l'ouverture générale de leur marché de l'emploi aux travailleurs salariés des dix nouveaux membres dès l'adhésion ;

- une période de 5 ans (soit également 2 ans, puis 3 ans de période transitoire) avant que les opérateurs polonais n'accèdent au marché de cabotage routier de l'Union européenne.

3) Les mécanismes de surveillance des engagements pris

Suite aux conclusions du Conseil européen de Bruxelles d'octobre 2002, la Commission a renforcé la surveillance (monitoring) de la reprise de l'acquis par les pays adhérents, ainsi que les instruments de pression sur ces derniers. Elle fait en interne et chaque mois un rapport de suivi des engagements, puis publie tous les trois mois un rapport public de suivi des différents domaines clefs de l'acquis tels que la sécurité alimentaire, la supervision bancaire ou les douanes.

Dans ce cadre, la Commission européenne a décidé, le 5 mars 2003, d'adresser des notes d'alerte rapide à neuf des dix pays adhérents. La Pologne vient en tête des pays « alertés » avec neuf domaines pour lesquels des retards « sérieusement inquiétants » sont apparus. Ces domaines sont : la libre circulation des marchandises ; la libre prestation de services pour l'assurance, les services d'investissement et les marchés de valeurs mobilières ; la restructuration du secteur de l'acier en termes d'aides d'Etat et de diminution des capacités ; la capacité administrative pour la politique de la pêche ; le droit du travail et l'égalité de traitement ; l'acquis en matière culturelle et audiovisuelle ; l'informatisation et l'interconnection pour les services douaniers et le contrôle financier pour les dépenses structurelles.

En matière de sécurité alimentaire, le suivi renforcé des engagements est particulièrement important tant en raison des retards constatés que des périodes transitoires obtenues. Sur ce dernier point, la Pologne a négocié des périodes de transition pour la mise aux normes communautaires de ses établissements de transformation de produits animaux, qui concernent au total 485 établissements (332 pour la viande jusqu'en décembre 2007, 113 pour le lait jusqu'en décembre 2006, 40 pour le poisson jusqu'en décembre 2005) contre 117 en Lettonie ou 52 en République tchèque. La mise aux normes des postes d'inspection vétérinaires et phytosanitaires aux frontières extérieures, ainsi que la prévention et la lutte contre l'ESB, feront l'objet de missions d'inspections régulières de l'Office alimentaire et vétérinaire rattaché à la Commission européenne d'ici et après l'adhésion.

Enfin, le Traité d'adhésion comprend des clauses de sauvegarde, qui couvrent la sécurité alimentaire et le fonctionnement du système judiciaire en matière civile et pénale. Elles permettront, en cas de manquements, de suspendre la libre circulation des marchandises (par exemple en cas d'ESB) ou la reconnaissance des décisions de justice. La Commission remettra un rapport global de suivi des engagements pris six mois avant l'adhésion et pourra proposer, le cas échéant, de faire jouer les clauses de sauvegarde dès l'adhésion.

Ces clauses constituent une garantie indispensable pour les citoyens des Quinze, qui ne pourront accepter que l'Union élargie ne se traduise par l'existence de règles au rabais dans une partie de l'Europe : l'élargissement ne constituera une réussite politique que s'il n'aboutit pas à créer une Europe à deux vitesses mais permet de garder à vingt-cinq les règles qui font la force de l'Europe des Quinze.

C. Les répercussions de la crise irakienne

Le rapporteur a pu mesurer au cours de sa mission l'écho suscité par les propos du Président de République sur les pays qui ont perdu « une bonne occasion de se taire » en soutenant la politique des Etats-Unis. Tous ses interlocuteurs en ont souligné les effets négatifs auprès de l'opinion publique polonaise, qui les a perçus comme une menace voilée au principe de l'adhésion. Le Président des Cercles agricoles, M. Wladyslaw Serafin, avec qui le rapporteur s'est entretenu, s'est illustré à ce sujet en comparant, au Salon de l'agriculture, le Président de la République à Léonid Brejnev.

Le rapporteur tient à rappeler, au-delà des déclarations passionnées déclenchées par ces propos, ce qui devrait être une évidence pour tous les pays européens. Si l'adhésion de la Pologne n'est, bien évidemment, pas remise en cause par l'attitude qu'elle a adoptée dans la crise irakienne, il reste que nos citoyens peuvent s'interroger sur le contenu que donne la Pologne à l'adhésion à l'Union européenne lorsqu'elle prend deux décisions qui traduisent un alignement sur la position de l'administration américaine : le choix, d'une part, le 27 décembre 2002, de retenir des F-16 au détriment des Mirage 2000-5 français et des Grippen britannico-suédois, et la signature, d'autre part, de la lettre des huit.

Cette déception de la France vient d'une conviction profonde, que le rapporteur a expliquée à ses interlocuteurs : l'adhésion à l'Union européenne ne peut se résumer à l'entrée dans un club économique, qui se limite à une union douanière et aux aides communautaires.

Ainsi que l'a rappelé avec force le ministre des affaires étrangères, l'Europe n'est pas un simple « tiroir-caisse ». Elle constitue aussi une communauté d'intérêts qui tire sa force de son sentiment d'être un exemple de coopération entre les peuples. Or, ce sentiment implique de partager une certaine vision du monde et de respecter un devoir de solidarité entre les pays de notre « vieux » continent. Il impose aussi de partager une ambition commune s'agissant de la place de l'Europe dans le monde, qui consiste à vouloir traiter d'égal à égal avec les Etats-Unis, afin de construire un monde multipolaire plus sûr et plus juste.

II. LE POIDS DE LA PROBLEMATIQUE AGRICOLE

Le rapporteur a pu constater, à l'occasion de son déplacement, l'importance que revêt la problématique agricole dans le débat polonais concernant l'adhésion à l'Union européenne.

Les résultats du Conseil européen de Copenhague ont d'abord été jugés à l'aune de ce qu'a obtenu l'agriculture polonaise. Or, ceux-ci s'avèrent, pour certains courants d'opinion, ainsi que la plupart des agriculteurs et de leurs syndicats, très décevants.

Ce jugement négatif n'est pas unanime, mais il se greffe sur un sentiment largement partagé et selon lequel l'agriculture polonaise est à un tournant de son histoire. Ce dernier impliquera de considérables bouleversements économiques et sociaux, ce qui nourrit un sentiment de malaise profond dans les campagnes, rendu plus vif encore par des inquiétudes d'ordre conjoncturel, comme la chute brutale des prix du porc.

La place privilégiée occupée par l'agriculture polonaise est le fruit de l'histoire. L'agriculteur a toujours été perçu comme la colonne vertébrale de la Nation, aux côtés des deux autres grandes catégories de la population qu'étaient la noblesse et les Juifs. Sous le régime communiste, les paysans ont été la seule classe gagnante, car ils ont pu imposer le rejet de la collectivisation des terres. La Pologne a d'ailleurs été le seul PECO durant cette période à conserver une paysannerie non étatisée, 80 % des terres restant la propriété des exploitants. Mais le maintien d'une agriculture privée a eu un prix, que la Pologne est actuellement en train de payer : le processus d'agrandissement et de modernisation des exploitations qu'a connu l'Europe de l'Ouest durant les quarante dernières années et qui s'est traduit par un exode rural important a été stoppé net dans ce pays. Si la part de l'agriculture dans le PIB, qui est de 2,9 %, n'est pas très éloignée de celle des Quinze (2 % en moyenne), ce secteur emploie toujours environ 2 millions de personnes, soit 20 % ou le quart de la population active.

A. Pour la Pologne

1) Une structure agricole qui doit évoluer

Le potentiel agricole de la Pologne est incontestable. Sur une superficie totale de 31 millions d'hectares, la superficie agricole utilisée (SAU) est de 18,2 millions d'hectares, soit 58,3 % du total (la moyenne communautaire est de 40,6 %). Les dix pays adhérents augmenteront de 30 % la sole communautaire et la Pologne, à elle seule, représente un peu moins de la moitié de cet accroissement.

Les céréales sont cultivées sur la moitié de la SAU, le seigle représentant à lui seul 2,2 millions d'hectares. Les principales productions végétales, mesurées en pourcentage de la valeur totale de la production agricole, sont les céréales (18 %), les légumes (7,4 %), les pommes de terre (6,9 %) et les fruits (6,3 %). Pour les productions animales, le lait représente 13,6 %, le porc 18,7 % et les œufs et la volaille 8,8 %.

Ce potentiel se heurte toutefois à des handicaps structurels :

¬ D'abord, les exploitations sont fortement morcelées. La taille moyenne des exploitations est de 7,2 hectares contre 19 hectares pour l'Union européenne. 57 % des exploitations individuelles ont moins de 5 hectares , 24 % moins de 2 hectares. Seulement 8,5 % des exploitations ont plus de 15 hectares. Les très grandes exploitations sociétaires issues des anciennes fermes collectives et étatiques, comprenant entre 700 et 2 000 hectares de SAU, ne fournissent que 10 % de la production agricole polonaise.

¬ Ensuite, la compétitivité du secteur agricole est très faible, en raison de plusieurs facteurs : l'existence de très petites fermes vivant de l'autoconsommation et des ventes sur les marchés locaux ; l'isolement lié à des infrastructures détériorées (routes, télécommunication, électricité) ; l'insuffisance des financements propres dus à la faible rentabilité des exploitations ou des prêts (les ressources pouvant être affectées à la bonification d'intérêts et à la régulation des marchés sont faibles) et la forte instabilité des prix agricoles. Ces contraintes limitent les mutations structurelles requises pour développer des exploitations à la compétitivité proche de celles de l'Union européenne.

¬ Enfin, l'agriculture polonaise se caractérise par la persistance d'un grand nombre d'exploitations travaillant à perte, mais qui servent de matelas social à des familles ne pouvant trouver des emplois dans les zones urbaines. Cette activité à perte est rationnelle pour ceux qui en vivent : l'autoconsommation est un avantage non négligeable dans un pays où les dépenses alimentaires peuvent encore représenter entre 35 à 60 % des revenus individuels ; de plus, la propriété de la terre constitue un bon placement étant données les perspectives de hausse des prix après l'adhésion à l'Union européenne. Enfin, les pertes de l'exploitation sont compensées par les transferts sociaux : 30 % des revenus des familles travaillant dans les exploitations de semi-subsistance proviennent des aides sociales et des retraites.

¬ Les risques d'invasion des marchés agricoles des Quinze par les produits polonais sont donc limités, car aux conditions générales évoquées ci-dessus, s'ajoutent les contraintes suivantes :

- la faiblesse des rendements : pour l'année 2000, ceux-ci étaient de 3 tonnes/hectare pour les céréales (contre 5,7 pour l'Union européenne) et 3,7 kg de lait par vache (contre 5,7 pour l'Union européenne) ;

- les prix des produits qui, en raison de la faible efficience des exploitations, sont maintenus à des niveaux relatifs élevés par rapport à ceux de l'Union européenne ;

- un effet ciseaux pénalisant, qui voit depuis 1995 le prix des produits agricoles (+30 %) augmenter moins rapidement que celui des intrants (+70 %) ;

- leur qualité inférieure ou hors normes qui les rend peu attractifs pour les consommateurs exigeants de l'Ouest ;

- un niveau d'aide qui, en 2004, ne pourra être égal qu'à 55 % de celui versé aux agriculteurs des Quinze ;

- une compétitivité-prix qui sera à terme pénalisée par les investissements imposés par la reprise de l'acquis communautaire en matière sanitaire et environnementale.

Ce problème structurel de compétitivité se traduit par une balance commerciale agricole détériorée. Les produits agricoles représentent, en 2000, 8 % des exportations et 6,7 % des importations polonaises. A partir de 1990, le bilan du commerce extérieur agroalimentaire s'est érodé, passant de 1,8 milliard de dollars d'excédent à un déficit de 533 millions de dollars en 2000 et de 376 millions de dollars en 2001. Le solde est également négatif avec l'Union européenne, soit un déficit de 335 millions de dollars en 2000. La hausse des besoins polonais à l'importation n'a pas été compensée par une augmentation proportionnelle de ses exportations : alors que les premières ont augmenté en moyenne de 30 % par an entre 1990 et 1998, les secondes n'ont progressé que de 10 % par an sur la même période. La Pologne enregistre en revanche un excédent avec son premier client, les pays de
l'ex-URSS
, qui viennent devant l'Union européenne et auxquels la Pologne vend principalement du lait et des produits carnés (la Russie absorbe environ près de la moitié des carcasses de porcs exportées par la Pologne). La Pologne a donc concentré ses exportations sur un marché peu exigeant, qui permet à son agriculture d'y trouver une alternative aux exigences de restructuration et de modernisation imposées par l'intégration à l'Union européenne.

La Pologne et son agriculture sont confrontées à un immense défi, celui de la modernisation, qui doit être impérativement relevé pour que notre partenaire puisse développer tout son potentiel.

Or, ce pari sur l'avenir ne pourra bénéficier d'un contexte socio-économique comparable à celui des « Trente Glorieuses », qui avait permis à l'agriculture de la Communauté européenne d'augmenter sa productivité en diminuant le nombre des agriculteurs, sans que cela ne crée de graves perturbations sociales. Dans ce cas, l'exode rural a été en effet absorbé par l'augmentation de la demande de travail, permise par la croissance économique. La situation polonaise n'est évidemment pas comparable : d'une part, le suremploi rural ne pourra être résorbé par un marché du travail victime d'un taux de chômage élevé, d'autre part, une migration rurale non contrôlée dans des villes souffrant d'un déficit de logements et d'infrastructures pourrait avoir de graves répercussions.

Ce sont ces données qui expliquent les craintes actuelles du monde rural concernant la perspective de l'adhésion.

2) Une question importante pour le débat politique sur l'élargissement

Le vote des agriculteurs jouera un rôle décisif dans le référendum sur l'adhésion. Or, ceux-ci accusent l'Europe de ne pas avoir été assez généreuse dans son offre agricole à la Pologne. De plus, leurs représentants, élus ou syndicalistes, reprochent, parfois, à la France d'avoir contribué à rabaisser cette offre, afin de protéger ses propres intérêts.

La principale critique entendue par le rapporteur concerne les modalités d'introduction des aides directes et les quantités de production autorisées accordées, notamment pour les quotas laitiers. Certains de ses interlocuteurs ont dénoncé le caractère inéquitable du bénéfice progressif des aides (de 25 % en 2004 à 100 % en 2013 du niveau communautaire), qui avantagerait les agriculteurs des Quinze, ainsi assurés après l'adhésion d'être plus compétitifs que leurs voisins polonais. Cette distorsion de concurrence, en s'ajoutant aux problèmes d'efficience des exploitations polonaises, risque selon eux d'écraser les petites et moyennes exploitations. Le président des cercles agricoles, M. Wladyslaw Serafin, en manière de boutade, a affirmé que donner 25 % à un pauvre relevait de la charité quand la logique économique aurait commandé de donner à la Pologne 125 % des aides dès l'adhésion...

Mais qu'en est-il en réalité du paquet agricole concédé à la Pologne ?

3) Des conditions d'adhésion remarquablement négociées

Le rapporteur a indiqué à tous ses interlocuteurs qu'à ses yeux, la Pologne avait remarquablement mené ses négociations d'adhésion : elle a su aller jusqu'au point de rupture pour obtenir le maximum, mais sans aller au-delà, au risque de tout perdre.

Aussi, la Pologne a-t-elle obtenu, aux côtés de concessions budgétaires substantielles, un paquet agricole conséquent.

a) Les concessions budgétaires

Pour l'ensemble du paquet budgétaire de Copenhague, la Pologne est la grande gagnante : elle recevra 48,6 % des crédits de paiement accordés aux dix futurs Etats membres pour
2004-2006
(le cadre financier de l'Union est arrêté jusqu'à fin 2006), soit 13,5 milliards d'euros sur 27,86 milliards d'euros.

Sa contribution au budget de l'Union européenne étant de 6,55 milliards d'euros pendant cette période, ceci représente pour elle un solde net de 7 milliards d'euros sur la période (5,3 milliards avant Copenhague) et un taux de retour sur contribution de 206 %.

En fin de négociation, la Pologne a obtenu 280 millions d'euros de facilité Schengen de 2004 à 2006 ; 1,44 milliard d'euros de compensation budgétaire (qui permettent d'éviter que la Pologne ne verse plus au budget de l'Union européenne qu'elle n'en reçoit) et 1 milliard d'euros de facilité de trésorerie de 2005 à 2006 par un prélèvement sur son enveloppe de fonds structurels.

Au total, de 2004 à 2006, 17,8 milliards d'euros seront engagés en Pologne, dont 11,368 milliards d'euros au titre des Fonds structurels et du Fonds de cohésion. Le coût net pour la France de l'adhésion de la Pologne est estimé à 1,3 milliard d'euros.

b) Les concessions agricoles

La Pologne a obtenu des concessions agricoles adaptées à ses besoins, soit :

¬ Le bénéfice progressif des aides directes selon les modalités prévues pour les dix futurs membres :

- 25 % en 2004, 30 % en 2005 et 35 % en 2006 et une augmentation de 10 points l'an jusqu'à 100 % en 2013 du niveau qui prévaudra alors dans l'Union européenne ;

le droit de verser ses compléments nationaux
(« topping-up ») :

l soit 55 % du niveau de l'Union européenne en 2004, 60 % en 2005 et 65 % en 2006 et, à partir de 2007, plus de 30 points par rapport à la transition progressive des aides directes,

l soit jusqu'à la totalité (plus 10 %) du niveau des aides nationales qu'un agriculteur aurait pu recevoir dans son pays avant l'adhésion pour un produit donné.

Dans tous les cas, ces versements ne pourront excéder ce qui résulterait du versement de 100 % des aides directes.

- le droit de cofinancer ces compléments nationaux, de 2004 à 2006, en utilisant une partie des aides prévues au titre du
FEOGA-développement rural dans la limite de 10 % du versement progressif des aides directes. Toutefois, l'utilisation de l'enveloppe d'aide rurale à cet effet est limitée à 20 % par an de 2004 à 2006 ou, au choix, à 25 %, 20 puis 15 % ;

- le droit d'opter pour un système de paiement simplifié, pendant une période limitée (3 ans puis deux fois un an), consistant en une aide à l'hectare découplée de la production. La Pologne a choisi cette option en novembre 2002 par incapacité à mettre en place le SIGC.

Certes, la Pologne n'a pas obtenu les 100 % des aides directes qu'elle voulait dès l'adhésion, mais la solution d'un dispositif progressif était la seule acceptable sur le plan budgétaire pour l'ensemble des Etats membres. En outre, elle est conforme à l'exigence de rationalisation de la production : le versement immédiat de 100 % des aides aurait retardé la restructuration nécessaire des exploitations agricoles, en maintenant de façon artificielle en vie des exploitations peu viables. Il reste que le phasing out va perturber le marché foncier, ainsi que l'a indiqué au rapporteur M. Pietras, le Secrétaire d'Etat au Comité pour l'intégration européenne, car les prix des terres ne pourront être stabilisés qu'à partir de 2013, quand le montant des aides aura atteint le niveau communautaire.

La possibilité d'ajouter un complément national permettant d'atteindre dès 2004 55 % des aides communautaires en vigueur constitue également une avancée non négligeable. Le Président des cercles agricoles, M. Wladyslaw Serafin, a reconnu devant le rapporteur que les exploitations polonaises pourront faire face au choc initial de l'intégration avec ce niveau d'aides à la condition que soient mis en place des instruments de marché efficaces. Or, ces derniers sont en déshérence depuis 12 ans : il est donc indispensable que les autorités polonaises organisent la relance de l'agriculture de leur pays par la mise en place d'organisations communes de marché (OCM) fortes.

¬ Des adaptations pour les quotas laitiers :

- le quota de base est fixé à 8,9 millions de tonnes en 2006 mais, comme pour tous les pays adhérents, la consommation de lait à la ferme n'est pas décomptée. Une réserve de restructuration de 416 000 tonnes a été créée pour permettre la mise sur le marché de la production domestique (la Pologne a obtenu une augmentation de son quota au cours du sommet de Copenhague) ;

- comme pour cinq autres pays adhérents, la Pologne aura le droit pendant cinq ans de mettre sur son marché ou d'exporter vers des Etats tiers le lait liquide qui ne respecterait pas les normes communautaires en taux de matière grasse ;

- dans le seul cas de la Pologne, la répartition du quota entre livraisons (8,5 Mt) et ventes directes (464 000 t) sera revue en 2003, point que le Premier ministre polonais a tenté de rouvrir en janvier par lettre à la Commission.

¬ Des adaptations sur le développement rural :

- un revenu de semi-subsistance temporaire, pouvant être versé pendant 5 ans, a été créé pour les exploitations dans tous les pays adhérents afin de faciliter les restructurations, sous réserve de présenter un plan démontrant la viabilité économique de l'exploitation. Pour la Pologne, le montant annuel maximum est de 1 250 euros par exploitation et par an, tandis qu'il est de 1 000 euros pour les autres pays adhérents ;

- une proportion plus élevée de cofinancement pour l'objectif 1 (jusqu'à 80 %).

Au total, la Pologne devrait recevoir 3,85 milliards d'euros au titre de la PAC en crédits de paiement pour la période
2004
-2006 dont 1,2 milliard d'euros d'aides directes, 840 millions d'euros en mesures de marché et 2,5 milliards d'euros en développement rural.

Elle a bénéficié pour ce résultat de l'appui de la France sur deux points décisifs : le principe du versement des aides directes acquis contre le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Allemagne et la Suède, et la possibilité de compléter ces aides en utilisant les fonds de développement rural.

B. Pour l'Union européenne

1) Une position ambiguë sur la révision à
mi-parcours de la PAC qui implique un effort de pédagogie de notre part

La Pologne deviendra dès son adhésion l'un des grands acteurs agricoles de l'Union européenne : c'est une chance pour l'Europe , mais aussi pour notre pays.

La France et la Pologne sont en effet des alliés objectifs dans la défense d'un modèle agricole européen qui soit à la fois compétitif et un facteur de cohésion entre les territoires.

La position de ce pays sur la révision à mi-parcours de la PAC constitue donc un élément important pour l'avenir de l'agriculture en Europe. Sur ce point, la Pologne n'a pas arrêté de vraie position officielle. Mais le rapporteur tient ici à souligner tout l'intérêt qu'a la France à expliquer d'urgence les atouts d'une PAC qui maintienne un lien avec la production.

Certains des interlocuteurs du rapporteur ont pu affirmer qu'en raison du « mauvais résultat » obtenu à Copenhague, la Pologne pourrait être tentée, après son adhésion, de ne pas défendre les mécanismes actuels de la PAC. Il ne faut sans doute pas accorder une importance excessive à cette menace, mais il est une donnée objective inquiétante, qui ne doit pas être négligée : le fait est que la Pologne a opté pour un système découplé d'aides qu'elle pourra appliquer pendant 5 ans. On rappellera que les 25 % d'aides à verser à partir de 2004 le seront sous la forme d'une prime à l'hectare, dont pourra bénéficier toute production, le complément national étant quant à lui lié à la production et ne pouvant bénéficier qu'aux productions faisant l'objet d'une OCM dans l'Union. Ainsi que l'a souligné M. Jerzy Plewa, le vice-ministre de l'agriculture, le choix de ce système dit mixte a été motivé pour des raisons pragmatiques, l'incapacité actuelle des petites exploitations à répondre aux obligations administratives imposées par le SGIC, et non idéologiques. Cet interlocuteur a toutefois indiqué au rapporteur que la présentation par la Commission européenne, en juin 2002, d'un projet présentant ce système d'aide à l'hectare comme une option possible pour les pays adhérents, a été perçue en Pologne comme signifiant que le découplage serait introduit au niveau de tous les Etats membres dans le cadre de la révision à mi-parcours... D'autres personnes auditionnées par le rapporteur ont souligné les avantages que présentait le découplage au niveau des négociations à l'OMC.

A ce risque de voir la Pologne séduite par le découplage après l'avoir pratiqué, s'ajoute celui d'un discours vantant les mérites du développement rural, qui très répandu et que propagent complaisamment certains cercles de réflexion anglo-saxons. La politique du deuxième pilier paraît comme étant plus adaptée aux problèmes posés par l'existence de micro-exploitations. Pourtant, cette analyse très positive du deuxième pilier résulte d'une mauvaise connaissance de ses mécanismes, car ceux-ci vont poser de sérieuses difficultés à la Pologne, en raison des règles de co-financement et de leur logique d'aide au projet complexe.

La tentation est donc grande pour la Pologne de soutenir une réforme de la PAC alors qu'elle n'a pas encore pratiqué au quotidien tous les avantages que présente une véritable politique de régulation des marchés et de la production. C'est la raison pour laquelle la France doit mener une action pédagogique vigoureuse auprès de ce pays, d'autant plus que ce partenaire agricole détiendra autant de voix au Conseil que l'Espagne. Elle devra notamment faire valoir que :

- le découplage comporte des risques de déséquilibres et de transferts entre les productions et d'encourager une « chasse à l'hectare » désordonnée, ce qui pourrait déchirer tout le tissu agricole polonais ;

- le développement rural ne saurait remplacer les mécanismes de suivi et d'intervention sur les marchés dont la Pologne a besoin, notamment pour faire face aux chutes de prix qui affectent actuellement ses agriculteurs.

2) Une relance de l'agriculture polonaise à assurer dans l'intérêt de l'Europe

Il est bon pour l'Europe que la Pologne développe tout son potentiel agricole. Si l'enjeu de ce siècle doit être d'assurer la sécurité alimentaire de la planète, toutes les agricultures doivent être mobilisées pour atteindre cet objectif, qui impose par ailleurs la mise en place d'un cadre de régulation des échanges agricoles approprié.

La relance de l'agriculture polonaise passe par la modernisation et l'agrandissement des exploitations. Selon M. Roman Jagielinski, vice-président de la Commission des affaires économiques de la Diète et ancien ministre de l'agriculture, l'adhésion apportera une contribution décisive à cet objectif, car 15 % seulement des exploitations actuelles pourront subsister après l'entrée dans l'Union européenne.

Mais les effets de rationalisation de la production induits par l'élargissement ne saurait régler tous les problèmes rencontrés par l'agriculture polonaise, surtout si ces derniers se paient par un prix trop élevé sur le plan social.

La voie permettant à l'agriculture polonaise de franchir le cap de la modernité est donc étroite, mais elle peut s'appuyer sur deux politiques complémentaires :

La première est celle du regroupement des exploitations, qui peut résulter de l'organisation des filières associant les producteurs aux industries et à la distribution agroalimentaires. La constitution de circuits organisés, qui mettent l'accent sur la qualité des produits, peut avoir un réel « effet de levier » sur les exploitations agricoles. Les entreprises françaises peuvent apporter ici leur savoir-faire. Le groupe Bonduelle a institué par exemple un mécanisme contractuel avec les producteurs qui comporte une garantie de revenus. La société Lactalis a de son côté mis en place des centres de collecte du lait incitant les producteurs à former des coopératives. Ces exemples encourageants ne pouvant toutefois suffire à donner toute l'impulsion nécessaire à l'objectif de regroupement, il faut aussi adopter une démarche volontariste : les autorités polonaises doivent renforcer les aides à la restructuration du secteur commercial et mettre en place des mécanismes permettant d'assurer un partage de la valeur ajoutée entre les acteurs de la filière agricole.

La seconde est celle de la réduction du suremploi agricole par l'adoption de dispositifs appropriés. Ceux-ci doivent permettre une migration maîtrisée vers les villes, qui doit reposer sur une combinaison de programmes adéquats de formation générale et professionnelle et de politiques de développement économique, de sécurité sociale et du logement. Un chercheur de l'INRA, M. Alain Pouliquen, a également suggéré de créer une aide sociale aux exploitations de semi-subsistance, qui serait conditionnée par la libération des terres dépassant les besoins de consommation adéquatement définis. Le Gouvernement polonais pourrait donc prévoir qu'aux 1 250 euros de l'aide communautaire prévue pour les exploitations de semi-subsistance, qui ne seront versés que pour une période de cinq ans et aux seules exploitations viables sur le plan économique, soit ajoutée une aide nationale répondant à cette condition.

CONCLUSION

La Pologne est à l'heure des choix : choix en faveur de l'entrée dans l'Union européenne, mais choix aussi en faveur d'une certaine idée de l'Europe.

Les autorités polonaises doivent s'investir pour que les doutes, les inquiétudes, voire les rancœurs suscités par la perspective de l'intégration à l'Union européenne soient levés avant la tenue, le 8 juin prochain, du référendum sur l'adhésion.

Un « oui » trop faible pourrait créer une fracture politique au sein de la Pologne, qui serait inévitablement préjudiciable à ses ambitions concernant la construction européenne.

Or, l'Union européenne a besoin d'intégrer une Pologne forte, qui soit sûre de son destin européen et participe à la mise en place d'une Europe puissance. C'est ce que la France ne doit cesser de répéter à son partenaire oriental : il ne pourra y avoir de véritable Europe politique si le pays adhérent le plus important fonde son appartenance à l'Union sur une simple question de calcul économique et budgétaire.

Aussi faut-il que la Pologne achève successivement deux grands chantiers avant son entrée dans l'Union : d'abord, celui de sa préparation à l'entrée, qui exige encore de considérables efforts, ensuite, celui de sa réflexion sur le contenu qu'il convient de donner au projet européen.

{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie, le mardi 8 avril 2003, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

Le rapporteur a indiqué à titre liminaire que son rapport aborde la question de l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne sous l'angle économique et social, les aspects politiques ayant déjà été largement évoqués par M. René André et le Président Pierre Lequiller à la suite de leurs déplacements respectifs.

Le rapporteur a indiqué qu'une large majorité de Polonais (60 %) déclare vouloir voter « oui » au référendum sur l'adhésion qui doit se tenir le 8 juin prochain, mais que le taux de participation à cette consultation constitue en revanche une inconnue. Pour que le référendum ait une portée contraignante, ce taux doit atteindre au minimum 50 % des électeurs. Or, dans le seul référendum organisé à ce jour, ce seuil n'a pas été atteint. Le Gouvernement polonais a donc fait adopter une loi permettant d'approuver l'adhésion par la voie parlementaire, mais cette approbation doit obtenir une majorité des deux tiers au sein des deux chambres du Parlement.

Le rapporteur a évoqué la situation économique et sociale de la Pologne, avant d'indiquer les efforts que la Pologne doit encore fournir en matière de reprise de l'acquis communautaire avant l'adhésion.

Il a rappelé en premier lieu que la Pologne est le plus grand pays du prochain élargissement : elle représente à elle seule la moitié de la population et du PIB des dix adhérents ainsi que les deux tiers de la surface agricole utile de la France. Elle pèsera sur le plan politique et institutionnel autant que l'Espagne, avec 27 voix au Conseil des ministres et 54 députés européens.

Sur le plan économique, la Pologne a connu le taux de croissance le plus élevé des pays d'Europe centrale et orientale de 1995 à 2000. 70% de son PIB et de ses emplois sont fournis par le secteur privé. Elle réalise 70 % de son commerce avec l'Union européenne et bénéficie de l'apport important de capitaux étrangers, la France étant le premier investisseur dans le pays. La situation économique actuelle est cependant dégradée, avec une croissance atone devant faire face à des taux d'intérêt élevés.

Sur le plan social, la Pologne va entrer dans l'Union en étant deux fois plus pauvre que ne l'était l'Espagne lorsque celle-ci a adhéré en 1986. Elle connaît un taux de chômage très élevé, de l'ordre de 18 %, et s'inquiète parfois de la mainmise des investisseurs étrangers sur certains secteurs. Elle manque cruellement d'infrastructures, en particulier dans le domaine des autoroutes, du téléphone et du logement.

En ce qui concerne la reprise de l'acquis, la Pologne a transposé 80 % de la législation communautaire, mais elle doit encore fournir d'importants efforts pour l'appliquer de manière effective. Les capacités administratives sont nettement insuffisantes dans plusieurs domaines sensibles, comme la justice et les affaires intérieures, l'agriculture, la sécurité alimentaire. Par ailleurs, la fonction publique, peu payée, est confrontée à un problème de corruption inquiétant.

Le rapporteur a cité plusieurs des points faibles auxquels il doit être remédié de manière urgente. En matière de sécurité des aliments, les laboratoires sont peu nombreux. En outre, 50 % des bovins seulement sont bouclés et la fiabilité du cadastre doit être améliorée. La Pologne n'a pas pu mettre en œuvre le système communautaire de gestion des aides agricoles, faute de moyens. S'agissant de la police, celle-ci doit renforcer ses effectifs pour lutter efficacement contre la criminalité organisée et la criminalité économique est en pleine augmentation. La surveillance de la frontière avec l'Ukraine pose par ailleurs une réelle difficulté politique, car l'exigence d'imposer des visas aux ressortissants ukrainiens se heurte à la réalité des liens familiaux et aux trafics de toute nature existant dans la région de la frontière.

La Pologne a obtenu trente-six périodes de transition pour la reprise de l'acquis communautaire. Elle bénéficie notamment d'une dérogation de douze ans en ce qui concerne l'achat de terres par les ressortissants communautaires. Ce point est capital pour la Pologne, la possession de la terre ayant historiquement servi de support au sentiment national dans un pays aux frontières longtemps bouleversées par l'histoire. D'autre part, 485 établissements de transformation de produits agricoles se sont vu accordés des périodes de transition.

De son côté, l'Union européenne, à la demande de l'Allemagne et de l'Autriche, inquiètes des afflux potentiels d'immigrants en provenance ou transitant par la Pologne, a imposé une période de sept ans avant que les salariés polonais ne bénéficient de la libre circulation des personnes.

Au total, le rapporteur a estimé que la Pologne a remarquablement négocié ses conditions d'adhésion, au point d'ailleurs de vouloir renégocier certaines d'entre elles lors de la rédaction du traité. Mais cette bonne capacité de négociation s'est doublée de choix contestables de politique étrangère, notamment quant à la décision d'acheter des F-16 américains, intervenue quelques jours après avoir obtenu un montant supplémentaire d'aides. Le rapporteur a souhaité rappeler à cette occasion la pertinence des propos tenus par le ministre des affaires étrangères de la France, selon lesquels l'Europe n'est pas qu'un simple « tiroir-caisse ».

Abordant le second point de son exposé, le rapporteur a présenté les enjeux de la problématique agricole.

Celle-ci est très importante pour un pays qui a toujours considéré le paysan comme la colonne vertébrale de la nation. Cette position économique et culturelle privilégiée a d'ailleurs empêché la collectivisation des terres à l'époque communiste, une situation unique parmi les pays adhérents.

A l'heure actuelle, l'agriculture emploie encore le quart de la population active et reste fortement handicapée par la structure morcelée des exploitations - 60 % d'entre elles ayant moins de 5 hectares - et l'existence de nombreuses fermes de semi-subsistance vivant de l'autoconsommation. Les prix relatifs des produits agricoles polonais sont en outre plus élevés que ceux des Quinze. De plus, la moindre qualité de ces derniers les rend peu attractifs pour les consommateurs de l'Union, tandis que les Polonais bénéficiant de moyens élevés préfèrent acheter des produits issus de l'Union. Il en résulte un déficit important de la balance commerciale agro-alimentaire et une tendance à la concentration des exportations polonaises sur le marché russe, relativement moins exigeant. Ce courant d'échanges entre la Pologne et la Russie présente un intérêt économique évident pour la future Union élargie, qu'il faut tâcher de préserver.

L'agriculture polonaise doit se restructurer. Or, le défi est immense, car il doit être relevé dans un contexte socio-économique qui n'est en rien comparable à celui des « Trente Glorieuses ». C'est la raison pour laquelle la réduction nécessaire du suremploi agricole devra être accompagnée par des mécanismes sociaux adaptés, permettant d'atténuer l'impact de la modernisation des structures agricoles.

Cette modernisation se fera aussi avec l'aide de l'Europe dans le cadre de l'introduction progressive des paiements directs de la PAC. Ces derniers pourront être abondés par un complément national, financé par des crédits issus du deuxième pilier de la PAC, jusqu'à ce que le seuil de 100 % des aides communautaires soit atteint en 2013.

En raison de l'incapacité de la Pologne à mettre en place un système de gestion intégré des aides, ces dernières seront versées sous la forme d'une prime à l'hectare découplée, le complément national étant quant à lui couplé à la production. La gestion de cette aide sera toutefois rendue problématique par l'état du cadastre.

En ce qui concerne le lait, la Pologne bénéficie d'un quota de base de 8,9 millions de tonnes, auquel s'ajoutent une réserve de restructuration et la possibilité de revoir la répartition entre les livraisons et les ventes directes.

Enfin, les exploitations de semi-subsistance polonaises pourront bénéficier d'une aide forfaitaire de 1250 euros par an, contre 1200 euros seulement pour celles des autres pays adhérents.

La Pologne dispose au total d'un vrai potentiel agricole, qui doit être relancé dans l'intérêt de l'Europe si cette dernière abandonne la double impasse du malthusianisme agricole et de la guerre de subventions avec les Etats-Unis pour se battre en faveur de la mise en place d'un système de régulation des échanges agricoles assurant la sécurité alimentaire de la planète. Il s'agit d'une optique de moyen et long terme, car avant de réaliser tout son potentiel agricole, la Pologne doit accroître de manière significative la productivité de ce secteur, ainsi que la qualité de ses aliments. Elle peut être aidée pour cela par les entreprises agro-alimentaires, notamment françaises, qui apportent tout leur savoir-faire dans ce domaine. Ce panorama de l'agriculture polonaise permet donc de constater qu'à court terme, celle-ci ne peut venir concurrencer nos propres productions.

En conclusion, le rapporteur a considéré qu'à trop vouloir décrier les conditions de son adhésion dans l'Union, la Pologne a pris le risque de créer un désenchantement de sa population à l'égard de cette échéance majeure. Or, la Pologne ne peut faire un autre choix que celui de l'intégration : elle ne peut commettre l'erreur de vouloir rester en dehors de l'Union, pour se trouver seule face aux blocs communautaire, russe et américain. Ce point fondamental incite à l'optimisme quant à l'issue du référendum, même si la surenchère politico-syndicale actuelle et le défaut de connaissance des avantages des mécanismes européens rendent la campagne en faveur de l'adhésion difficile.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé l'importance politique de l'adhésion de la Pologne avant de proposer que des rencontres parlementaires aient lieu dans le cadre du Triangle de Weimar, qui institue un dialogue régulier entre l'Allemagne, la France et la Pologne. L'intégration de ce pays suscite quelques inquiétudes en raison de sa taille et des graves problèmes sociaux que posent un chômage élevé et un important suremploi agricole. Mais elle est indispensable à la nouvelle l'Europe.

M. Marc Laffineur a observé que les analyses du rapporteur tendent à montrer que les agriculteurs français ont moins à craindre l'élargissement que les agriculteurs polonais, ceux-ci étant de fait moins compétitifs. Il a souhaité que le rapporteur confirme l'exactitude de cette conclusion et connaître par ailleurs les arguments avancés par les Polonais pour justifier l'achat des F-16.

Le Président Pierre Lequiller a noté que cette compétitivité dont bénéficie l'agriculture française s'est déjà vérifiée au moment de la baisse des droits de douane communautaires appliqués aux produits agricoles polonais.

M. Jacques Floch a estimé que les aspects économiques de l'adhésion de la Pologne sont importants, mais qu'il ne faut pas pour autant négliger certaines questions politiques essentielles. L'Europe a déjà su gérer les conséquences économiques de l'intégration d'un pays au niveau de vie moins élevé et doté d'un secteur agricole non négligeable en s'élargissant à l'Espagne. Elle peut donc relever ce défi une deuxième fois. En revanche, le défi politique que représente l'intégration d'un pays très attaché à la religion catholique ne peut être ignoré, d'autant que les représentants de la Pologne à la Convention ont souhaité faire reconnaître l'héritage religieux dans le cadre de la future Constitution de l'Union. M. Jacques Floch a rappelé à cet égard que la Pologne a obtenu que soit annexée au traité d'adhésion une déclaration appelant au plein respect de sa souveraineté s'agissant du traitement légal des « questions de portée morale » ainsi que « celles liées à la protection de la vie humaine ». A l'inverse, les représentants de la France à la Convention ont souhaité que dans ce domaine, l'Union s'en tienne à la référence inscrite dans le texte de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Le Président Pierre Lequiller, évoquant les tentatives d'introduire l'idée de Dieu dans la Constitution européenne, de la part de certains pays, comme l'Espagne et l'Italie, a estimé qu'une correspondance pouvait être décelée avec leur alignement sur les Etats-Unis et leur position manichéenne dans le conflit irakien, à la différence de l'Allemagne dont la Loi fondamentale comprend pourtant une référence à Dieu.

M. Marc Laffineur a contesté cette analyse, soutenant que le Pape, favorable à la référence dans la Constitution européenne de l'héritage chrétien de l'Europe, était opposé à la guerre en Irak.

Le rapporteur a apporté les éléments de réponse suivants :

- il est vrai que dans l'immédiat, l'entrée de la Pologne ne représente pas un grand danger pour les agriculteurs français. Elle doit tout d'abord se restructurer pour devenir réellement compétitive, ce qui prendra du temps. Il reste que l'Europe a tout intérêt à assurer la relance de l'agriculture polonaise dans un nouveau cadre de régulation des échanges agricoles, qui permette enfin de faire face au défi de la sécurité alimentaire de la planète. Pour atteindre cet objectif, il faut doubler la production agricole dans les vingt-cinq prochaines années ;

- le choix des F-16 est motivé par les avantages industriels attachés à l'offre des Etats-Unis. Si ces conditions ne sont pas remplies, la Pologne pourrait fort bien se tourner vers les constructeurs suédois d'abord, puis français pour bénéficier d'une offre plus avantageuse ;

- le débat sur la référence à Dieu et à l'héritage judéo-chrétien dans des Etats tels que la Pologne et la Bulgarie est lié au rôle de pôle de résistance que l'Eglise a joué sous le régime communiste, ce qui conduit encore l'opinion publique à y voir une institution solide ;

- la coalition politique actuelle souffre d'être à géométrie variable, compte tenu du départ du parti paysan. Cette évolution est d'autant plus préoccupante que ce parti est confronté à l'hostilité de ses adhérents à l'Union européenne. Tout aussi inquiétante est la perte d'influence de Solidarnosc rural, alors que ce parti était un rempart aux dérives de la Pologne.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Délégation a donné un avis favorable à l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne.

ANNEXES

Annexe 1 :
Carte de la Pologne

(Pour la carte de la Pologne voir la version PDF de ce document)

Annexe 2 :
Liste des personnes entenduesAnnexe-1

- M. Wojciek MOJZESOWICZ, président de la Commission agricole de la Diète ;

- M. Romuald AJCHLER, vice-président de la Commission agricole de la Diète ;

- M. Andrzej AUMILLER, vice-président de la Commission agricole de la Diète ;

- M. Stanislaw KOPEC, vice-président de la Commission agricole de la Diète ;

- M. Stanislaw KALEMBA, vice-président de la Commission agricole de la Diète ;

- M. Andrzej GRZYB, vice-président de la Commission européenne de la Diète ;

- M. Roman JAGIELINSKI, vice-président de la Commission des affaires économique de la Diète ;

- M. Mieczyslaw KASPRZAK, membre de la Commission des affaires sociales de la Diète ;

- M. Jerzy PLEWA, vice-ministre de l'agriculture ;

- M. Jaroslaw PIETRAS, sous-secrétaire d'Etat au Comité pour l'intégration européenne ;

- M. Witold ORLOWSKI, conseiller pour les affaires économiques du président de la République ;

- M. Wladyslaw SERAFIN, président des Cercles agricoles ;

- M. Bruno DETHOMAS, délégué de la Commission européenne ;

- M. Marcin MROZ, économiste à la Société générale ;

- M. Roman CZERNICKI, Bonduelle ;

- M. Piotr WALCZAK, Lactalis ;

- M. Hubert VIEILLE-CESSAY, Crédit Lyonnais ;

- M. Alain LOCQUENEUX, Lu Polska ;

- M. Michel MARBOT, Malma ;

- M. Henri WRZESINSKI, France Télécom ;

- M. François COLOMBIE, Auchan ;

- M. Marc BOUTEILLER, conseiller commercial, chef de la Mission économique de l'ambassade de France en Pologne ;

- Mme Soline de VILLARD, attachée agricole.

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Le rapporteur remercie M. Patrick GAUTRAT, ambassadeur de France en Pologne, M. Xavier ROUARD, deuxième secrétaire, et les membres de l'ambassade de France pour leur concours au bon déroulement de cette mission. Il remercie également les représentants des entreprises françaises installées en Pologne, qui ont apporté un éclairage utile en matière de relations économiques franco-polonaises.

1 () La liste des personnes entendues par le rapporteur figure à l'annexe 2.

2 () La situation de l'agriculture est examinée dans la deuxième partie du rapport.

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