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N° 1145

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 octobre 2003

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur l'adhésion de la République de Chypre
à l'Union européenne
(rapport complémentaire)
,

ET PRÉSENTÉ

par M. Christian PHILIP,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Europe.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. DES PERSPECTIVES D'ACCORD SUR LA REUNIFICATION QUI RESTENT INCER-TAINES 7

A. Une relance difficile des négociations après l'échec de La Haye 7

B. La Turquie, acteur décisif face à la question chypriote 9

C. Une double incertitude : les résultats des élections législatives du 14 décembre 2003 et la possibilité d'aboutir à un accord 10

II. UN PAYS REMPLISSANT TOUTES LES CONDITIONS POUR REUSSIR SON ADHESION A L'UNION EUROPEENNE 17

A. Une unanimité du monde politique et de la population en faveur de l'adhésion 17

B. Une économie déjà profondément transformée avant l'adhésion et suffisamment dynamique pour surmonter ses faiblesses 18

C. Un alignement sur l'acquis communautaire en grande partie réalisé ou en voie de l'être 22

III. LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET CHYPRE 25

TRAVAUX DE LA DELEGATION 27

Annexe : Liste des entretiens 29

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Cette communication complète le rapport d'information (n° 781) sur l'adhésion de Chypre à l'Union européenne que le rapporteur avait présenté le 9 avril 2003 sans avoir pu accomplir de mission sur place, en raison de la campagne présidentielle en février, puis de l'attente des résultats de la négociation sur le plan Annan en vue de la réunification de l'île, et enfin du déclenchement de la guerre en Irak.

La mission à Chypre effectuée du 20 au 22 juillet 2003 au nom de la Délégation a permis à son Vice-président de rencontrer les plus hautes autorités de l'Etat - le président de la République de Chypre, M. Tassos Papadopoulos, le président de la Chambre des représentants, M. Demetris Cristofias, le gouverneur de la Banque centrale, M. Christodoulos Christodoulou -, des parlementaires et des responsables de partis politiques, en particulier le président de la commission des affaires européennes, M. Nicos Cleanthous, les chefs des deux principaux partis de l'opposition chypriote turque, ainsi que des interlocuteurs se trouvant au cœur du processus d'élargissement de l'Union européenne à la République de Chypre.

Cette visite à Chypre se situait à un moment crucial de l'évolution des deux processus politiques décisifs pour l'avenir de ce pays. Son adhésion à l'Union européenne a franchi l'étape essentielle de la signature du Traité d'adhésion, le 16 avril 2003, et prendra effet le 1er mai 2004 après l'achèvement des procédures de ratification dans les Etats membres de l'Union européenne. En revanche, les perspectives de sa réunification se sont assombries après l'échec du plan Annan en mars 2003 et la question est maintenant de déterminer si les prochaines échéances politiques sont susceptibles de modifier la position des principaux acteurs de la négociation et de débloquer le règlement d'un conflit vieux de trente ans.

I. DES PERSPECTIVES D'ACCORD SUR LA REUNIFICATION QUI RESTENT INCER-TAINES

A. Une relance difficile des négociations après l'échec de La Haye

A la suite de l'échec des négociations sur le plan Annan en mars 2003, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté le 14 avril 2003 une résolution 1475 dans laquelle la communauté internationale exprime à la fois sa lassitude et sa fermeté face au blocage résultant de la position du dirigeant chypriote turc, M. Rauf Denktash.

La résolution rappelle d'abord la longueur des pourparlers commencés en décembre 1999 sous les auspices de l'ONU, et les efforts de son secrétaire général pour arriver à un compromis, en révisant son plan le 10 décembre 2002 et le 26 février 2003.

Elle regrette ensuite que, « du fait de l'approche négative du dirigeant chypriote turc, qui a mené à la position adoptée lors de la réunion tenue les 10 et 11 mars 2002 à La Haye », il n'ait pas été possible de soumettre le plan à deux référendums simultanés et de parvenir à un règlement global avant le 16 avril 2003, date de la signature du Traité d'adhésion de la République de Chypre à l'Union. Le dirigeant chypriote turc, mais aussi son protecteur la Turquie, assument donc seuls la responsabilité de l'échec des négociations de La Haye devant la communauté internationale.

Enfin la résolution « appuie pleinement le plan soigneusement équilibré du Secrétaire général du 26 février 2003 qui constitue une base unique pour de nouvelles négociations ». C'est ça ou rien et il n'y aura pas de nouvelle version du plan pour relancer les négociations sous les auspices de l'ONU.

Une chance a donc été perdue, mais trois échéances politiques sont susceptibles, dans les prochains mois, de faire évoluer les positions des principaux auteurs de la négociation et de constituer une nouvelle chance, et peut-être la dernière, de résoudre ce conflit.

Le 14 décembre 2003 doivent avoir lieu des élections législatives en République turque de Chypre du Nord (RTCN), autoproclamée le 15 novembre 1983 et reconnue comme Etat souverain par la seule Turquie. Pourront-elles permettre aux forces d'opposition, favorables à la réunification et à l'adhésion à l'Union européenne, de contester pour la première fois le leadership de M. Rauf Denktash ? Celui-ci s'était imposé dès la guerre d'indépendance contre le Royaume-Uni, dans les années 1950, comme le chef de la communauté chypriote turque, puis il a autoproclamé en 1983 la RTCN, et enfin a été réélu président pour un quatrième quinquennat consécutif en avril 2000.

Le 1er mai 2004 doit entrer en vigueur l'adhésion des dix nouveaux Etats membres à l'Union européenne. Cela renforcera la position de négociation de la République de Chypre en sa qualité d'Etat membre, même si l'Union n'est pas partie prenante à cette négociation bilatérale menée sous l'égide de l'ONU.

Enfin, en décembre 2004, le Conseil européen doit prendre une décision sur l'ouverture des négociations pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, en examinant, sur les bases d'un rapport et d'une recommandation de la Commission, si ce pays satisfait aux critères politiques de Copenhague. L'attitude de la Turquie à l'égard du règlement de la division de l'île ne peut être le seul critère d'appréciation, mais il est assurément incontournable. On ne voit pas en effet comment l'Union européenne pourrait engager des négociations d'adhésion avec un pays candidat - la Turquie - qui ne reconnaîtrait pas un Etat membre - la République de Chypre - et occuperait militairement une partie de son territoire, dans une situation d'illégalité internationale née de la proclamation de la RTCN, que son rôle de garant reconnu par les accords de 1959 et 1960 ne peut pas justifier.

B. La Turquie, acteur décisif face à la question chypriote

La Turquie détient la clé de la solution dans la mesure où la RTCN et le régime de M. Denktash ne pourraient survivre sans son aide. Mais la Turquie est divisée sur la question chypriote parce que celle-ci a une valeur symbolique. Elle relève du choix fondamental que la Turquie doit faire entre l'intégration européenne et son rôle de puissance régionale indépendante de l'Europe.

La réunification de Chypre représente pour la Turquie une monnaie d'échange pour sa propre adhésion à l'Union européenne. Elle n'a a priori pas intérêt à céder sur ce point avant d'avoir obtenu des garanties de l'Union européenne sur l'ouverture des négociations, c'est-à-dire pas avant le Conseil européen de décembre 2004. Dans une vision plus pessimiste, la communauté chypriote turque pourrait n'être unie à l'Union européenne que quand la Turquie le serait effectivement, soit, si toutes les étapes intermédiaires de négociation et d'adaptations transitoires sont franchies, dans un délai qui serait nécessairement assez long.

Toutefois la réunification de Chypre n'est pas seulement une monnaie d'échange diplomatique mais représente beaucoup plus dans l'opinion des forces turques hostiles à l'adhésion à l'Union européenne. Certains milieux militaires et nationalistes turcs continuent de considérer la présence militaire turque dans l'île comme stratégique pour contrecarrer d'hypothétiques plans visant à encercler la Turquie. Dans cette optique, Chypre représente un symbole et un intérêt stratégique majeur pour une Turquie se concevant comme une puissance régionale souveraine et assiégée dans un environnement hostile. L'île ferait partie de la défense de l'intérêt national turc au même titre que l'objectif d'empêcher l'avènement d'un Etat kurde dans le Nord de l'Irak. Or la défense de cet intérêt national a conduit le parlement turc à refuser le passage des troupes américaines sur le territoire turc lors du conflit irakien en dépit d'une alliance stratégique plus que cinquantenaire. Il n'est pas certain que les Etats-Unis, qui avaient perdu de l'influence sur la question chypriote en raison de leurs demandes auprès du gouvernement et des militaires turcs avant le conflit irakien, en aient beaucoup recouvré depuis la fin des combats, même si la récente autorisation donnée par le Parlement turc à l'envoi de troupes turques en Irak pourrait préfigurer certaines évolutions.

La Turquie n'a pas encore défini sa ligne politique sur la question chypriote comme sur l'adhésion à l'Union européenne, notamment parce que son système politique repose sur un partage plus ou moins implicite des compétences entre le gouvernement civil et l'armée garante de la République laïque. Certes le septième paquet de réformes adopté cet été par le parlement turc pour se rapprocher des exigences de l'Union européenne pourrait, lorsqu'il sera appliqué, déplacer les lignes en faveur du gouvernement civil, en réduisant les pouvoirs du Conseil national de sécurité. Il reste que dans l'actuel partage des compétences, le gouvernement civil s'occupe notamment du processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, tandis que l'armée s'occupe des questions stratégiques clés, en particulier Chypre et l'Irak.

Ce compromis entre les composantes politiques et militaires du pouvoir en Turquie explique l'instabilité des positions du gouvernement turc face à la question chypriote. Lorsque le Premier ministre turc, M. Recep Tayyip Erdogan, dit au début de l'année 2003 qu'il faut prendre en considération la position de la communauté chypriote turque après les grandes manifestations de la population contre l'intransigeance du président de la RTCN, il se montre plutôt favorable aux forces d'opposition chypriotes turques pro-européennes. Mais lorsqu'il évoque l'existence de deux Etats qui devront vivre différemment, lors de sa visite en RTCN le 20 juillet, il ménage un président Denktash qui, s'il est contesté en RTCN par une partie de la population, reçoit au contraire en Turquie un soutien puissant des forces anti-européennes au sein desquelles il bénéficie d'un réel prestige.

C. Une double incertitude : les résultats des élections législatives du 14 décembre 2003 et la possibilité d'aboutir à un accord

Les élections législatives qui vont se dérouler le 14 décembre 2003 en RTCN comportent une première incertitude sur la capacité de l'opposition chypriote turque de l'emporter face à un pouvoir installé par M. Denktash depuis la création de la RTCN. Ces élections vont opposer essentiellement deux partis soutenant M. Denktash, dont l'un est dirigé par son fils, à trois principales formations d'opposition qui ont annoncé leur alliance le 4 septembre. Le Parti républicain turc, le Mouvement pour la paix et la démocratie, le Parti pour un accord et pour l'Union européenne présenteront des listes séparées aux élections, mais ils ont promis de collaborer pendant et après la campagne, notamment pour ravir à M. Denktash son rôle de principal négociateur dans les pourparlers sur la réunification.

Dans des conditions normales de vote, l'opposition a de fortes chances de l'emporter avec une majorité estimée approximativement entre 60 % et 65 % des voix. Mais le scrutin sera-t-il régulier ?

La question de la réunification et le chômage seront les deux questions-clés du scrutin parce qu'elles sont devenues une obsession quotidienne de toute la population de la RTCN, dans une économie totalement en faillite et sous perfusion continue de la Turquie. La population chypriote turque a parfaitement conscience que l'adhésion de la République de Chypre à l'Union européenne va accroître son isolement et aggraver l'écart de richesse et de perspectives d'avenir entre les deux communautés, dans des proportions qui lui deviendront à terme totalement insupportables.

Les conditions juridiques de l'adhésion soulignent combien le maintien du statu quo la pénaliserait. En droit, toute l'île de Chypre rentrera dans l'Union européenne en tant qu'Etat membre à partir du 1er mai 2004. L'application de l'acquis dans la partie nord de l'île sera cependant suspendue jusqu'à ce que le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, en décide autrement. La partie administrée par la RTCN sera donc écartée des bénéfices des retombées de l'adhésion, notamment de la somme de 206 millions d'euros de 2004 à 2006 que l'Union européenne s'est engagée à débloquer en faveur de la zone chypriote turque pour l'aider à combler son retard de développement par rapport à la partie chypriote grecque.

Toutefois, le Conseil européen de Copenhague de décembre 2002 a décidé que, durant la période de suspension de l'acquis, le Conseil inviterait la Commission, en liaison avec le gouvernement de Chypre, à examiner les moyens permettant d'encourager le développement économique de la partie nord de Chypre pour la rapprocher de l'Union. Les autorités de Chypre nord ont finalement accepté l'assistance financière de 12 millions d'euros proposée par la Commission pour stimuler l'économie de Chypre nord. En revanche, elles ont refusé les propositions de l'Union visant à faciliter les exportations chypriotes turques à l'aide de documents établis par la Chambre de commerce et d'industrie chypriote turque, sous réserve que les expéditions soient effectuées à partir de ports ou aéroports installés dans le territoire chypriote reconnu au niveau international.

Le risque d'explosion sociale en cas de maintien du statu quo en RTCN n'est pas une simple hypothèse, dans la mesure où elle menaçait de se produire si un assouplissement des restrictions à la circulation des personnes et des biens n'avait pas été décidé à la fin avril par la République de Chypre et finalement accepté par les autorités de Chypre Nord. La République de Chypre a d'abord constaté, à partir de l'automne 2002, un afflux soudain de demandes de passeports chypriotes de la part de Chypriotes turcs à l'étranger, que M. Denktash voulait sanctionner pénalement. Puis, après l'échec de La Haye, il s'est rendu compte qu'il courrait vers une explosion sociale s'il bloquait les mesures de libéralisation initiées par la République de Chypre.

Ce paquet de mesures de libéralisation limitée porte en particulier sur l'émission de certificats, l'emploi, la circulation des biens et des personnes, les télécommunications avec la zone nord et la Turquie, les proches des disparus et des civils tués, l'apprentissage du turc et du grec, les soins. Le passage de la frontière par les familles pour aller se recueillir sur les lieux d'habitation qu'elles avaient dû abandonner il y a trente ans et redécouvrir leur voisinage comme toute leur mémoire enfouie, a été un intense moment d'émotion pour les deux communautés, et peut-être l'acte fondateur d'une nouvelle Chypre réunifiée et apaisée au sein de l'Union européenne.

En dépit de cet assouplissement dont M. Denktash a été largement crédité sur le plan international, le chef historique de la communauté chypriote turque ne lui offre pas d'autres perspectives que le maintien du statu quo, en adoptant deux lignes de défense successives : il a d'abord envisagé d'empêcher le sud de l'île d'entrer dans l'Union européenne en stoppant l'adhésion de la République de Chypre, il essaye maintenant d'empêcher le nord de l'île d'y entrer en bloquant la réunification.

Cette stratégie de M. Denktash risque de diviser la société chypriote turque et de fragiliser son propre pouvoir. En effet, la nouvelle division apparue ces dernières années au sein de la société chypriote turque entre partisans et adversaires de la réconciliation recoupe assez largement la division entre Chypriotes turcs de souche et « colons » d'Anatolie.

Les alliés de loin les plus fidèles du gouvernement de M. Denktash ont été les émigrés turcs qui craignent que l'adhésion à l'Union européenne ne déstabilise un système foncier et économique qui leur est favorable et que le plan Annan ne les contraigne à abandonner les propriétés qui leur ont été attribuées et à partir, en échange d'une indemnisation.

Or, les tensions ne peuvent que s'accroître si les conditions de scrutin de décembre sont faussées par des naturalisations et une extension artificielle de l'électorat. En 2002, la RTCN rassemblait sur 3 355 km2, soit près de 38 % du territoire insulaire, environ 88 000 Chypriotes turcs et 125 000 à 128 000 Turcs originaires d'Anatolie. Un contingent militaire turc d'environ 40 000 hommes y est également présent. On estime que depuis 1974, les autorités locales auraient accordé la « nationalité chypriote turque » à plus de 40 000 personnes originaires de Turquie. Toutefois, les forces d'opposition ne connaissent pas exactement la structure de l'électorat qui dépendra des naturalisations les plus récentes. Le nombre des électeurs était estimé l'an dernier à 136 000. Avec la possibilité de faire venir à tout moment de nouveaux colons et de procéder à des naturalisations rapides, la Turquie et les autorités actuelles de la RTCN contrôlent l'extension du corps électoral et, par conséquent, les résultats du scrutin.

La deuxième incertitude porte, en cas de victoire de l'opposition chypriote turque, sur la possibilité d'aboutir à un accord avec le gouvernement de la République de Chypre.

La victoire de l'opposition chypriote turque serait tout d'abord le signe clair que la population chypriote turque soutient une politique d'entrée dans l'Union européenne. Ce bouleversement politique pourrait avoir trois conséquences.

La première serait de nature juridique et constitutionnelle. La Constitution de la RTCN attribue le pouvoir de négocier un accord au gouvernement et non pas au président. M. Denktash a pu jusqu'à présent outrepasser ses pouvoirs constitutionnels limités en raison de la non-reconnaissance de la RTCN par la communauté internationale, de son charisme personnel et du soutien du pouvoir militaire turc, et dans la mesure où sa politique n'était pas ouvertement contestée ou même désavouée par la population chypriote turque.

En second lieu, une victoire de l'opposition donnerait au Premier ministre turc un moyen de pression sur M. Denktash et certains milieux militaires, dans la mesure où il deviendrait de plus en plus difficile d'imposer une partition fermant l'accès à l'Union européenne à une population chypriote turque qui veut y rentrer.

Enfin, elle offrirait à la Turquie la possibilité de se libérer de la responsabilité du blocage de la négociation qu'elle assume seule devant la communauté internationale.

La négociation mettrait en effet en présence deux gouvernements tous deux prêts à discuter sur la base du plan Annan, alors que M. Denktash a en fait toujours refusé de négocier sur cette base qu'il rejette a priori. Son intransigeance n'a jusqu'à présent pas permis de vérifier le degré d'ouverture au compromis des chypriotes grecs dans la négociation.

Or, si le gouvernement de la République de Chypre et l'opposition chypriote turque partagent la volonté d'aboutir en négociant à partir du plan Annan, les deux parties considèrent que ce plan n'est pas l'idéal.

L'opposition chypriote turque s'interroge en particulier sur la répartition et l'exercice du pouvoir de décision entre une communauté majoritaire, représentant quatre cinquièmes d'un ensemble réunifié, et une communauté minoritaire.

Elle retrouve ainsi une problématique qui existait déjà au moment de la création de la République de Chypre, lors de son accession à l'indépendance, le 16 avril 1960.

Un compromis sur cette question centrale suppose le rétablissement d'un rapport de confiance entre les deux communautés qui ne pourra s'instaurer que graduellement après trente ans de séparation.

Les responsables chypriotes grecs ont sans doute raison d'affirmer que deux mythes justifiant la politique de M. Denktash se sont écroulés en vingt-quatre heures avec les mesures de libéralisation d'avril. Les réactions de la population ont en effet largement contredit ses arguments sur l'impossibilité de la coexistence dans un même ensemble et sur le besoin de sécurité de la communauté chypriote turque, prioritaire à toute ouverture et légitimant une présence militaire turque à Chypre nord.

Pour autant, les mesures de libéralisation ne sont qu'un premier pas limité qui, s'il a renversé quelques tabous et créé un nouveau climat, n'a pas modifié les points d'achoppement prévisibles lors de futures négociations.

Les responsables chypriotes grecs craignent en particulier que les négociations n'aboutissent à cristalliser une forme de partition et les frontières de la ligne verte. Leur accord pour discuter sur la base du plan Annan les questions essentielles du pouvoir, de l'économie, de la sécurité, des limites territoriales, de la propriété, du retour graduel des réfugiés, s'assortit de critiques sur un plan qui, notamment, servirait la sécurité du côté turc plus que l'intérêt du peuple. Ils soulignent par ailleurs que plusieurs points du plan Annan ne sont pas conformes à l'acquis communautaire de l'Union européenne et que, s'ils peuvent les accepter avant le 1er mai 2004, ils les renégocieront lorsque la République de Chypre sera devenue un Etat membre de l'Union européenne.

En réalité, la marge de négociation des deux parties sera probablement étroite, en raison de la fermeté de la communauté internationale sur le maintien de l'équilibre proposé par le plan Annan. Il sera difficile de beaucoup modifier les axes de ce plan, sinon par voie de compensations complémentaires.

Au demeurant, les Chypriotes grecs n'ont pas intérêt à montrer trop d'intransigeance après le 1er mai 2004, car sinon l'île risque de rester longtemps divisée et l'opinion publique chypriote grecque ne pardonnerait pas à son gouvernement de ne pas avoir su trouver un accord.

L'européanisation du processus constitue la plus grande incitation à faire un compromis pour l'ensemble des parties. Toutefois, aucune n'est en mesure de dicter l'agenda de l'Union européenne. Celle-ci prendra une décision claire en décembre 2004 sur l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie, en fonction non seulement de l'évolution de la question chypriote mais aussi plus globalement du choix de ce pays d'entrer dans l'Union aux conditions qu'elle pose et non à celles qu'il voudrait lui imposer.

II. UN PAYS REMPLISSANT TOUTES LES CONDITIONS POUR REUSSIR SON ADHESION A L'UNION EUROPEENNE

A. Une unanimité du monde politique et de la population en faveur de l'adhésion

La République de Chypre est le seul des dix pays adhérents qui n'a pas procédé à un référendum sur l'adhésion à l'Union européenne, non seulement parce que cette procédure n'est pas prévue par la Constitution, mais surtout parce qu'une consultation de la population n'était pas nécessaire, tant son approbation était évidente.

Depuis que le parti communiste AKEL a levé son opposition à l'adhésion à l'Union européenne après 1996, la droite, le centre et la gauche peuvent gouverner ensemble dans des alliances successives parce que ces formations ont toute la volonté de réussir l'adhésion de Chypre et son adaptation à l'acquis communautaire.

Le nouveau président de la République, M. Papadopoulos, élu dès le premier tour des élections présidentielles le 16 février 2003, s'implique particulièrement dans l'adaptation de son pays à l'acquis communautaire, après avoir suivi tout le processus de négociation et de transposition législative en tant qu'ancien président de la commission des affaires européennes. Par ailleurs, le gouvernement repose sur une alliance du centre-droit et du parti communiste.

Cette unanimité s'explique parce que l'adhésion à l'Union européenne représente pour les Chypriotes la réalisation d'un rêve en quatre dimensions.

Ils ont tout d'abord vu dans l'adhésion l'espoir d'une solution pour parvenir à la réunification et mettre fin au drame de la partition. Les Chypriotes grecs ont toujours cherché à internationaliser la question chypriote, en se tournant d'abord vers le mouvement des non-alignés, puis vers une Union européenne représentant un modèle inégalé d'apaisement des conflits entre les nations.

L'adhésion offre ensuite à un peuple, qui a été soumis à des tutelles successives, la chance extraordinaire de participer au pouvoir de décision au sein de l'un des plus grands ensembles politiques et économiques du monde. C'est aussi la raison pour laquelle ce pays aborde la Conférence intergouvernementale en insistant sur les aspects institutionnels : il plaide pour un commissaire par pays avec des droits égaux ; il est favorable au renforcement du rôle et de l'indépendance de la Commission ; il souhaite le maintien de la rotation des présidences des Conseils sectoriels ; enfin, il demande le maintien du nombre minimal de sièges par pays au Parlement européen à cinq.

Parce que Chypre est au confluent de trois continents, l'île nourrit également l'ambition justifiée d'être un pont entre l'Union élargie et son nouveau voisinage au Sud et de mettre ses excellentes relations avec les pays du Proche et du Moyen-Orient au service du développement du partenariat euro-méditerranéen.

Enfin, l'adhésion offre à un peuple qui a déjà donné la mesure de ses capacités dans la complète restructuration de son économie depuis trente ans la possibilité de s'épanouir totalement sur le grand marché unique européen.

B. Une économie déjà profondément transformée avant l'adhésion et suffisamment dynamique pour surmonter ses faiblesses

La République de Chypre s'est trouvée en tête des pays candidats dans le processus des négociations d'adhésion parce qu'elle était aussi le plus prospère d'entre eux, grâce à la profonde restructuration de son économie entreprise depuis trente ans.

Certes, n'ayant pas appartenu au bloc soviétique, elle n'a pas dû assumer comme les pays d'Europe centrale et orientale les efforts d'une transition difficile vers la démocratie et l'économie de marché.

Mais elle a dû reconstruire une économie totalement détruite après la partition de 1974 en convertissant une économie fondée principalement sur l'agriculture et l'industrie en une économie reposant sur le tourisme et les services. La part de l'agriculture dans le PIB et la population active est ainsi passée de 75 % et 34 % en 1974 à 3,5 % et 7 % aujourd'hui. Cette véritable révolution a été accomplie grâce à la capacité d'adaptation et à la formation d'une population qui peut maintenant recueillir les fruits de son effort dans un monde concurrentiel et présente de très hautes compétences parmi les pays candidats.

Chypre a bénéficié tout au long de cette période d'une aide financière substantielle de la part de l'Union européenne. Elle a d'abord pris la forme de quatre protocoles financiers d'un montant global de 210 millions d'euros couvrant la période 1979-2000 et comprenant environ 25 % de dons et des opérations de capital-risque, complétés par des prêts à long terme de la Banque européenne d'investissement (BEI) pour un montant de 800 millions d'euros depuis 1978.

L'Union a ensuite approuvé en 2000 un règlement pour mettre en œuvre une stratégie de pré-adhésion représentant un montant total de 57 millions d'euros sur cinq ans, avec un tiers des crédits affecté à des projets bicommunautaires. 32 millions d'euros ont été dépensés depuis trois ans au titre de ce budget de pré-adhésion. Cette aide est complétée par une intervention de la BEI au titre du partenariat euro-méditerranéen pour une enveloppe globale de 220 millions d'euros.

Chypre a atteint un niveau de vie moyen correspondant à 80 % de la moyenne de l'Union européenne, supérieur à celui de tous les autres candidats et de plusieurs Etats membres de l'Union actuelle. Il est suffisamment élevé pour lui interdire l'accès à l'objectif 1 de la politique régionale et pour transformer ce pays en contributeur budgétaire net de l'Union si des mesures compensatoires n'avaient pas été prises dans le Traité d'adhésion.

L'économie chypriote se caractérise par de très bons indicateurs que les Quinze pourraient lui envier, même si la détérioration de la conjoncture internationale l'a également affectée. En particulier, la croissance est passée de 5,1 % et 4 % en 2000 et 2001 à 2,3 % en 2002 et probablement à moins de 2 % en 2003. L'inflation s'élève à 2,8 % en 2002 et à 4,4 % au premier semestre 2003. Le chômage s'élève à 3,2 % en 2002 et à 3,6 % en juillet 2003.

La restructuration de l'économie chypriote s'était toutefois accompagnée d'un certain nombre d'anachronismes qui ont été progressivement éliminés grâce au processus d'adaptation à l'acquis communautaire : contrôle des changes, enregistrement de bateaux développant le pavillon sans grand souci de la sécurité maritime, mise en place d'un paradis fiscal dans les années soixante-dix pour attirer les sociétés off shore.

En dépit des progrès réalisés, elle souffre encore d'un certain nombre de faiblesses se reflétant dans l'état des finances publiques, de la dette publique et de la balance des paiements.

En présentant le projet de budget pour 2004, le gouvernement a annoncé que, d'une part, le déficit public, situé à 3,5 % du PIB en 2002 et estimé à 5,4 % pour 2003, serait ramené à 3,7 %, 3 % et 2,2 % au cours des trois années suivantes, d'autre part, la dette publique serait réduite à 56,1 % du PIB en 2006 contre 63,5 % prévus en 2003. Parmi les dix pays adhérents, Chypre est après Malte (66,9 %) le deuxième pays le plus endetté. Les chiffres ne sont pas catastrophiques mais reflètent une tendance à la dégradation des finances publiques.

Le gouvernement n'envisage pas d'augmenter la pression fiscale, mais de comprimer les dépenses (gel des emplois publics, report de 60 à 63 ans de l'âge de la retraite des fonctionnaires, baisse des dépenses militaires, externalisation de projets de travaux publics au moyen de contrats de gestion déléguée), d'améliorer la collecte des impôts et de majorer les tarifs de certains services publics.

Le régime du secteur public est effectivement très favorable : rémunérations plus élevées que dans le secteur privé, accord collectif biannuel conduisant à des augmentations de salaires de 5 % l'an, recrutements pouvant atteindre jusqu'à 10 % des effectifs.

Les difficultés budgétaires ont également d'autres causes, comme la baisse des recettes résultant de la diminution de l'impôt sur les sociétés onshore ou de la contraction des revenus du tourisme.

Chypre a une économie fondamentalement saine comportant néanmoins des fragilités, dues à une surdépendance à des secteurs volatils comme le tourisme et les activités offshore. Le tourisme représente en effet 23 % du PIB et les activités offshore, avec leurs effets indirects, 12 % du PIB. Leur rôle dans l'équilibre de la balance des paiements est loin d'être négligeable.

En 2002, le déficit de la balance des paiements courants, imputable au déficit structurel de la balance commerciale, a atteint 5,3 % du PIB contre 4,3 % en 2001 et s'est notamment aggravé à cause de la baisse de 10,3 % des recettes touristiques.

En revanche, l'activité des sociétés offshore a fortement contribué à la couverture du déficit de la balance des paiements courants par un surplus de la balance des capitaux. Les investissements directs étrangers ont plus que doublé et les seules réserves de change officielles ont augmenté au point de représenter 8,1 mois d'importations à la fin de 2002 contre 5,6 à la fin de 2000.

Chypre est devenue une place financière internationale importante, en partie grâce à des pratiques qu'elle a dû abandonner, et son développement repose maintenant sur un pari qui n'est pas encore gagné. On estimait en 2001 que près de 40 % des dépôts dans les banques chypriotes onshore étaient en devises et provenaient à 33 % de non-résidents établis en Europe occidentale (dont 25 % en Grèce) et à 40 % de ressortissants de la Russie et des pays d'Europe centrale et orientale. Le gouvernement espère que l'élimination des capitaux douteux et l'assainissement du secteur offshore facilitera l'implantation de nouvelles entreprises européennes, attirées par les atouts d'un pays offrant à la fois la sécurité juridique d'un Etat membre de l'Union européenne et une position stratégique de premier ordre entre l'Europe et le Proche-Orient.

Chypre a en effet d'autres avantages à offrir que des taxes réduites, en particulier une main d'œuvre très qualifiée et polyglotte, une qualité reconnue des services et des télécommunications, une sécurité pour les personnes et les biens à peu près sans égale en Europe et assez inattendue dans un pays par ailleurs douloureusement divisé.

C'est la raison pour laquelle plusieurs responsables politiques considèrent que Chypre ne peut pas se contenter de son rôle de place financière internationale et doit pleinement utiliser ses avantages comparatifs pour introduire de nouveaux services et devenir un centre régional en matière de santé et d'éducation rayonnant jusqu'au Moyen-Orient.

C. Un alignement sur l'acquis communautaire en grande partie réalisé ou en voie de l'être

Le consensus de l'ensemble des partis politiques sur l'adhésion à l'Union européenne a permis aux cinquante-six députés de la Chambre des représentants d'adopter, en quelques années et presque toujours à l'unanimité, 850 lois pour transposer l'acquis communautaire. Vingt-neuf projets étaient en cours d'examen en juillet et cinquante seront déposés dans les prochains mois. La libéralisation des taux d'intérêt, l'environnement et l'énergie ont figuré parmi les sujets les plus controversés. Mais les autorités politiques sont désormais entrées dans une phase de mise en application par les administrations de la législation transposée, sous le contrôle des parlementaires.

Les difficultés ont été résolues dans les deux domaines les plus sensibles, d'une part, de la sécurité maritime, d'autre part, de la fiscalité et du secteur offshore.

Le secteur maritime a été assaini à la suite des fortes pressions de la France au cours des négociations, au point qu'il n'est pas exagéré de dire qu'il constitue désormais la dot de Chypre pour son entrée dans l'Union. La flotte battant pavillon chypriote est actuellement la sixième du monde avec 29 millions de TJB (tonnes jauge brute) et comprend 1 700 navires transocéaniques et 500 embarcations de petite capacité. Animée par 150 entreprises dont une cinquante spécialisées dans la gérance de navires, elle est contrôlée à plus de 50 % par des intérêts allemands.

Les efforts d'alignement sur les trente-cinq instruments communautaires sont presque achevés. Depuis 2001, Chypre reconnaît uniquement les sociétés de classification de l'Union européenne. Le 3 juillet a été adoptée une loi pour organiser le travail des gens de mer, notamment leurs heures de travail, conformément à trois directives communautaires. Neuf projets de loi sont en cours d'examen et concernent notamment le chargement des vraquiers, les déclarations d'entrée et de sortie des navires, la sécurité des bateaux de pêche, le suivi communautaire des navires.

Chypre s'efforce de renforcer ses capacités administratives pour passer prochainement de la liste noire à la liste grise, selon le classement des pays déterminé par le Mémorandum de Paris sur la sécurité maritime. Le réseau d'inspection des navires battant pavillon chypriote comprend 35 inspecteurs et 12 administrateurs maritimes qui devraient être 60 et 17 en mai 2004. Le taux de détention des navires à la suite d'inspections est en diminution constante (de 19,2 % en 1997 à 7,43 % en 2002), même s'il demeure plus élevé que la moyenne de l'Union européenne (3,14 %). Enfin, Chypre se prépare à harmoniser en 2004 ses normes de vérification avec les normes ISO 9000, d'abord pour l'activité des marins puis pour celle des administrations.

En second lieu, Chypre s'est mise en conformité avec les exigences communautaires grâce à l'adoption, en juillet 2002, d'une réforme fiscale globale concernant la fiscalité directe et indirecte. Toutefois, en choisissant d'appliquer les minima exigés par l'Union (15 % au lieu de 10 % pour le taux normal de TVA et surtout taux unique de 10 % pour l'impôt sur les sociétés chypriotes et étrangères), Chypre restera une sorte de paradis fiscal dans l'Union, mais acceptable comme peut l'être le modèle irlandais.

Le gouvernement se préoccupe également de la campagne d'explications qu'il va devoir mener auprès des agriculteurs, représentant encore près de 7 % de la population active, sur l'introduction de la Politique agricole commune, la fin des systèmes d'achat de toute la production de blé et de lait par le gouvernement et l'accroissement des importations.

Chypre, qui sera chargée de la sécurité de la frontière extérieure de l'Union européenne vers l'Orient, s'inquiète des problèmes que peut poser la libre circulation des personnes à un petit pays ouvert sur l'extérieur et appliquant jusqu'à présent des règles souples. Elle a décidé de mettre fin en septembre à l'accord avec la Russie autorisant les visites sans visa qui s'applique à plus de 150 000 touristes russes par an. Par ailleurs, 20 % du commerce extérieur chypriote est à destination des pays arabes du bassin. Mais elle ne dispose pas d'ambassades pour émettre des visas dans tous les pays et demande l'assistance des autres Etats membres, sur ce point comme pour la surveillance maritime des frontières extérieures de l'Union. La mise en œuvre effective de Schengen est envisagée plutôt en 2009 qu'en 2007.

Le gouvernement chypriote devra enfin apporter une réponse plus précise aux inquiétudes de la Commission européenne en matière d'environnement et de concurrence.

Le bétonnage du littoral et la production de déchets montrent que l'environnement est une préoccupation récente qui a été introduite sous la pression des négociations d'adhésion. Avec 749 kg de déchets par habitant et par an, ce pays dépasse nettement la moyenne des pays de l'Union européenne. En 2001, sur 1000 tonnes de déchets, seulement 48 kg étaient recyclés. Chypre a obtenu une période transitoire d'adaptation à l'acquis communautaire jusqu'au 31 décembre 2005 pour les emballages et jusqu'en 2012 pour les déchets urbains et le traitement des eaux usées.

Dans le domaine de la concurrence, la libéralisation du marché des télécommunications, toujours sous monopole public, progresse avec lenteur, même si vient d'être lancée la sélection d'un deuxième opérateur de téléphone mobile.

Chypre dispose de deux autorités de la concurrence s'occupant, l'une de l'antitrust, l'autre des aides d'Etat, pour contrôler un marché où toutes les sociétés se connaissent. Tout est importé sous licence exclusive, selon une pratique incompatible avec l'acquis communautaire, et la force marketing de ces sociétés autochtones empêche quiconque d'entrer sur le marché. Seules de grandes sociétés européennes auraient la puissance commerciale de faire exploser ce carcan, mais elles ne s'implanteront que si le marché chypriote leur offre un rayonnement plus large que son espace intérieur et prend une dimension régionale.

III. LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET CHYPRE

L'adhésion de Chypre à l'Union européenne, que la France a toujours soutenue, doit être l'occasion d'un renforcement de nos relations sur tous les plans, politique, économique et culturel.

Il existe en effet un certain contraste entre le très bon niveau de nos relations officielles avec cet Etat et la faiblesse de notre présence et de notre investissement dans un pays qui a un très fort potentiel et est tout prêt à nous accueillir. De nombreux francophones et francophiles sont présents dans les sphères politiques qui ont toutes été sensibles au soutien de la France en faveur de l'adhésion de leur pays à l'Union européenne. Mais la présence économique française est faible, sauf dans certains secteurs comme celui de l'armement, et les Français méconnaissent à tort un pays qui attire plus de trois millions de touristes.

La France doit s'attacher à éliminer cet écart et saisir la chance unique de renforcer une relation avec un pays d'avenir, dans des conditions qui appellent trois observations :

- la France qui souhaite mettre le renforcement du partenariat euro-méditerranéen au centre des préoccupations de l'Union européenne après son élargissement doit mieux mesurer l'importance d'un pays qui a déjà les atouts pour devenir un pont indispensable entre l'Europe et le Proche et le Moyen-Orient ;

- elle doit également prendre conscience que Chypre est un Etat indépendant qui n'est plus dans la sphère d'influence du Royaume Uni et qu'elle se veut aussi proche de notre pays ;

- elle devrait en particulier accomplir l'effort nécessaire pour développer l'apprentissage du français à Chypre. S'il est la deuxième langue étrangère la plus apprise après l'anglais parce que son enseignement est obligatoire au même titre que l'anglais au cours des quatre premières années du secondaire (39 260 élèves l'apprennent sur un effectif total de 118 575 élèves scolarisés dans l'enseignement public et 450 étudiants sur un effectif total de 2 900 l'approfondissent à l'Université de Chypre), le volume horaire insuffisant, l'enseignement optionnel à partir du lycée, l'absence d'épreuve au baccalauréat font qu'environ 10 % de la population scolarisée apprend le français sérieusement et que les étudiants chypriotes préfèrent se former dans les universités de Grèce, du Royaume Uni et des Etats-Unis plutôt que de France (150 étudiants chypriotes se forment actuellement dans notre pays). La création d'une école française à Chypre pourrait avoir un puissant effet de levier sur le renforcement de la place de notre langue dans ce pays ;

- elle devrait enfin s'intéresser aux nouveaux espaces de coopération que pourrait ouvrir la nouvelle ambition de Chypre de devenir un pôle d'excellence en matière d'éducation et de santé pour toute la région.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mardi 14 octobre 2003, sous la Présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. René André a rappelé que Chypre est l'un des principaux investisseurs en Russie, principalement à partir de fonds russes, et a souhaité connaître les mesures prises pour l'élimination des capitaux douteux.

M. Jacques Floch a également souligné la forte présence de capitaux russes à Chypre, et la nécessité d'éviter que Chypre ne devienne un point d'entrée pour des capitaux illicites à destination de l'Europe occidentale.

M. Edouard Landrain a constaté que la flotte chypriote, la sixième du monde, soulève des difficultés concernant la qualité de ses navires et de ses équipages. Il s'est interrogé sur les mesures adoptées à ce sujet, en matière notamment de remplacement des pétroliers à simple coque et d'inspections des navires.

M. Jérôme Lambert, s'étonnant du caractère élevé du niveau de vie moyen chypriote, supérieur à celui de tous les autres Etats adhérents, s'est inquiété d'une surdépendance éventuelle à l'égard du secteur offshore.

En réponse, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- l'alignement progressif de la législation applicable au secteur offshore et les réformes fiscales adoptées rendront le territoire chypriote moins attractif pour les capitaux douteux. Les autorités chypriotes apparaissent très déterminées sur ce point ;

- le secteur maritime a été largement assaini, et les efforts d'alignement sur les trente-cinq instruments communautaires sont presque achevés ;

- la prospérité de l'économie chypriote se fonde également sur le tourisme, qui représente 23 % du PIB, sur le secteur maritime et sur les services. L'économie de Chypre apparaît aujourd'hui fondamentalement saine.

ANNEXE :
Liste des entretiens

- M. Tassos Papadopoulos, Président de la République de Chypre ;

- M. Demetris Christofias, Président de la Chambre des Représentants ;

- M. Christodoulos Christodoulou, Gouverneur de la Banque Centrale de Chypre ;

- M. Nicos Cleanthous, Président de la Commission parlementaire des Affaires européennes ;

- M. Prodomos Prodromou, Député, membre du parti DISY ;

- M. Christos Klerides, Député, membre du parti « Nouveaux horizons » ;

- M. Michalis Attalides, Représentant du gouvernement chypriote à la Convention sur l'avenir de l'Europe ;

- M. Averof Neophytou, Vice-président du parti DISY, ancien Ministre des communications et des travaux publics ;

- M. Mustafa Akinci, Leader du nouveau parti « Peace & Democracy » (PDM) ;

- M. Mehmet Ali Talat, Président du Parti turc républicain (CTP) ;

- M. Takis Hadjidemetriou, Coordinateur à l'Harmonisation de l'acquis ;

- M. Sotos Zackheos, Secrétaire général du ministère des affaires étrangères ;

- M. Anthony Madella, Directeur des affaires juridiques du département de la marine marchande (ministère des communications et des travaux publics), et M. Nicolaos Economides, Chef de la section accidents maritimes du même département ministériel ;

- M. Denis Chaibi, Adjoint au Chef de mission de la Délégation européenne ;

- M. Minas Hadjimichael, Ambassadeur de Chypre en France ;

- M. Jacques Depaigne, Ambassadeur de France à Chypre ;

- M. Guillaume Rousson, Premier conseiller à l'ambassade de France à Chypre ;

- M. Bernard Clamou, Conseiller économique et commercial à l'ambassade de France à Chypre ;

- M. Patrick Landre, Conseiller culturel à l'ambassade de France à Chypre.

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