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N° 1371

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 janvier 2004

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur l'agriculture et les pays en développement
à l'Organisation mondiale du commerce
,

ET PRÉSENTÉ

par M. François GUILLAUME,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

_____

Pages

INTRODUCTION 7

I. LE DEFI DE CE SIECLE : NOURRIR TOUS LES HOMMES 13

A. Le constat : l'aggravation de l'insécurité alimentaire dans les pays en développement 15

1) Un droit à l'alimentation bafoué par la famine 15

2) Une augmentation problématique des importations agricoles et de la facture alimentaire 18

B. L'explication économique et juridique : un déficit de régulation des échanges mondiaux 23

1) Des prix volatiles ou en baisse que la communauté internationale a renoncé à contrôler 24

2) Un lien avéré entre dépendance vis-à-vis des produits de base, pauvreté et endettement 27

a) La trappe à pauvreté de la dépendance 27

b) Un niveau d'endettement insoutenable 31

3) Un accord agricole à l'OMC conçu par et pour les pays riches 33

a) Un accès au marché limité pour le Sud 34

b) Un déséquilibre Nord/Sud dans les instruments de protection des agricultures 36

c) Des pratiques de subventionnement parfois dévastatrices: les effets des aides américaines sur le maïs mexicain et le coton africain 38

4) Des filières de production dominées par les multinationales 41

5) L'ambivalence des pays en développement concernant la sécurité alimentaire 42

a) Les pays émergents 42

b) Les pays pauvres 43

II. LA REPONSE : PROMOUVOIR UNE EXCEPTION ALIMENTAIRE POUR LES PAYS PAUVRES 47

A. La démarche horizontale : protéger temporairement les agricultures vivrières des pays pauvres dans le cadre de marchés communs régionaux 48

1) Des propositions à l'OMC insuffisantes et ne tenant pas compte de la diversité des situations agricoles 48

2) Une dérogation au libre-échange à consacrer 52

3) Une stratégie à développer avec les pays ACP dans le cadre de la Convention de Cotonou 57

4) Des préférences commerciales en faveur de l'Afrique à sécuriser 60

B. La démarche verticale : stabiliser les prix des produits de base 62

1) Une politique internationale de régulation des prix et des quantités 62

2) Des actions complémentaires à mener 68

a) Aider les pays exportant des produits de base à dégager de la valeur ajoutée 68

b) Aider les petits agriculteurs à s'organiser et protéger leurs revenus 68

c) Renforcer les allègements de dette 73

d) Développer les transferts de technologie et les infrastructures de base 74

CONCLUSION 77

TRAVAUX DE LA DELEGATION 79

ANNEXES 81

Annexe 1 : Liste des personnes entendues par le Rapporteur 83

Annexe 2 : Tendances de la croissance annuelle des importations de denrées alimentaires des pays en développement 87

Annexe 3 : Nombre de cas de hausses subites d'importations par des pays en développement (1984-2000) 89

Annexe 4 : Classement des pays dépendants vis-à-vis des produits de base selon les critères de la CNUCED et de la Banque mondiale 91

Annexe 5 : Soutenabilité de la dette extérieure des PMA exportateurs de produits de base entre 1998 et 2000 (valeur de la dette en pourcentage des exportations) 93

Annexe 6 : Progressivité des droits consolidés moyens de la clause NPF (nation la plus favorisée) dans les principaux pays développés importateurs : produits agricoles sélectionnés 95

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Ce rapport de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, qui constitue une première, a pour objet d'analyser les enjeux d'un défi qui conditionne très largement la stabilité et la prospérité de notre planète : la sécurité alimentaire des pays du Sud, et son lien avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Dans trente ans, la planète comptera 8,3 milliards d'habitants, dont 7 milliards vivront dans les pays en développement. Une personne sur les trois qui viendront s'ajouter à la population mondiale naîtra en Afrique.

Mais alors que la planète compte de plus en plus d'habitants, la fracture entre un Nord riche et un Sud pauvre ne cesse de s'élargir. Le cinquième le plus démuni de la population mondiale détient 1,5 % des ressources de la planète, tandis que le cinquième le plus riche, à lui seul, en détient 80 %.

A quelles conditions l'agriculture pourra-t-elle répondre au double défi de la croissance démographique et de la sortie du sous-développement ?

C'est le défi posé par le nouveau siècle, alors même que les résultats obtenus par les pays en développement en matière de sécurité alimentaire sont alarmants.

En effet, le nombre de personnes sous-alimentées dans ces pays, sur un total de 840 millions à l'échelle du globe, s'élève à 798 millions, soit près de 18 % de la population mondiale. Plus de la moitié d'entre elles, soit 60 %, habitent dans la région Asie et Pacifique, qui est suivie de l'Afrique subsaharienne, avec 24 % du total.

Elles forment, selon les termes du directeur général de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), M. Jacques Diouf, un « continent d'affamés », qui est source de désespoir, de violence et, depuis quelques années, de propagation du VIH/SIDA.

Si la communauté internationale, à l'occasion du Sommet du Millénaire de l'ONU, en septembre 2000, a pris l'engagement de réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées d'ici 2015, cet objectif reste, à moins d'un sursaut politique, hors de portée : en effet, il faudrait, selon la FAO, accélérer le rythme des réductions annuelles pour le porter à 26 millions par an, soit plus de douze fois la cadence actuelle (2,1 millions par an).

Il est temps d'agir. C'est là un impératif moral et politique : comment peut-on débattre de la « gouvernance » de la mondialisation quand des hommes et des femmes souffrent toujours de la faim, jusqu'à en mourir ?

On estime que pour nourrir tous les hommes d'ici 2030, il faudra multiplier par deux la production agricole mondiale.

Ce défi alimentaire peut être relevé, car il ne se heurte pas un problème d'ordre technique, qui serait insurmontable, mais pose plutôt un problème d'organisation et de commercialisation des produits alimentaires, qui impose de mobiliser toutes les agricultures, celles du Nord et du Sud.

Certes, l'aide alimentaire, ainsi que l'aide publique au développement consacrée à l'agriculture, peuvent apporter une première réponse, indispensable, à l'état d'urgence créé par la faim de masse, mais ces instruments sont insuffisants et ne peuvent apporter une solution durable, sauf à vouloir créer les conditions d'une dépendance inacceptable des pays pauvres à l'égard de l'assistance extérieure.

La solution la plus durable, la plus responsable, mais aussi la plus exigeante, consiste à assurer le développement des agricultures locales, afin que chaque gouvernement puisse assurer la sécurité alimentaire de sa population.

Tout pays doit pouvoir choisir et maîtriser ses sources d'approvisionnement en produits alimentaires, c'est-à-dire préserver sa souveraineté alimentaire, qui est aussi l'une des clefs de sa sécurité globale.

C'est la raison pour laquelle tout pays doit pouvoir aider ses agriculteurs. C'est d'ailleurs dans ces termes que le Président des Etats-Unis, M. George W. Bush, justifiait, il y a plus de deux ans, l'adoption d'une nouvelle loi agricole, qui prévoit d'augmenter de 78 % les soutiens publics fédéraux aux producteurs : « Une nation qui peut nourrir sa population est une nation davantage en sécurité ».

On peut penser que ce qui est bon pour la première puissance de la planète l'est aussi pour les pays plus vulnérables.

Cette obligation politique répond également à une nécessité pratique : l'agriculture étant la base économique et sociale du développement, aucune nation ne peut se libérer de la pauvreté sans s'appuyer d'abord sur ses paysans.

Ce double aspect, politique et économique, de la sécurité alimentaire doit être reconnu par l'OMC : c'est là, aux yeux du rapporteur, l'enjeu central du volet agricole du cycle de négociations ouvert par la Conférence de Doha, en novembre 2001(1).

L'échec de Cancún résulte de multiples facteurs, parmi lesquels figure un premier oubli : la libéralisation des échanges agricoles, exclusivement conçue comme un moyen d'accroître des parts de marchés, ne peut répondre aux préoccupations alimentaires des pays pauvres.

Libéraliser à tout va l'agriculture aboutit, à terme, à faire reposer la sécurité alimentaire de la planète sur la production des pays les plus compétitifs, qui disposent d'immenses espaces fertiles et/ou des moyens budgétaires permettant d'aider leurs agriculteurs à survivre dans un marché mondial caractérisé par des prix de revient inférieurs aux coûts de production.

De tels atouts ne peuvent conduire ces pays, dans un contexte d'ouverture accrue des marchés, qu'à écraser l'agriculture des plus pauvres, remettant ainsi en cause la souveraineté alimentaire de ces derniers.

Les paysans du Sud sont, en outre, victimes d'un second oubli : les négociateurs se désintéressent de la question du prix des produits de base, tels que le café ou le cacao, dont l'économie des pays pauvres est parfois fortement tributaire et qui tend à baisser, affectant gravement la sécurité économique de millions de petits producteurs et ouvriers agricoles.

Pourtant, « l'affaire du coton », portée à l'OMC par quatre pays africains producteurs, faisant l'objet d'une concurrence déloyale de la part d'un pays développé, aurait dû marquer un début de prise de conscience de la nécessité de créer les conditions d'un libre-échange agricole régulé, qui protège les productions vivrières des pays pauvres.

Mais les conclusions qui s'imposent n'ont pas été encore tirées par les négociateurs : le texte présenté à Cancún sur l'agriculture se contente de programmer une baisse supplémentaire des droits de douane et des soutiens publics, qui n'égalisera en rien les règles du jeu en matière de subventions, et n'aidera en aucune façon les pays vulnérables à protéger leur agriculture vivrière.

Il est vrai que ce qui devrait être une évidence peine à se faire entendre : depuis plus de 20 ans, le consensus en faveur du libre-échange généralisé et immédiat, traduit dans les politiques dites « d'ajustement structurel » liées aux prêts de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international et incarné dans les règles de l'OMC, a conduit les pays pauvres, et notamment ceux d'Afrique, à démanteler leurs instruments de politique agricole et à baisser leurs tarifs douaniers, ainsi que la communauté internationale à supprimer les outils internationaux de gestion des matières premières.

Le rapporteur ne préconise pas le retour au protectionnisme. Le libre-échange reste un facteur de répartition optimale des ressources et donc de création de richesses, mais à condition qu'il soit loyal. C'est pourquoi, avant d'ouvrir davantage leurs marchés, les pays pauvres doivent être autorisés à protéger et à développer leur agriculture, afin de réussir leur insertion dans le commerce mondial.

Cette démarche « horizontale » doit être doublée d'une démarche « verticale » de régulation internationale des prix des produits de base, produit par produit.

Cette voie est la seule qui permettra à la communauté internationale de relever le double défi posé par la persistance de la faim dans le monde et du sous-développement. Elle doit être portée par l'Europe, dans le cadre d'une grande initiative diplomatique, et emmenée par la France qui, forte de son message universel et de sa capacité à ne pas s'enfermer dans un courant unique de pensée, doit défendre, après l'exception culturelle, « l'exception alimentaire ».

A cet égard, si le Président de la République a bien voulu recevoir le rapporteur et l'entendre sur ce sujet au motif que, Premier ministre en 1986, il l'avait encouragé, sous couvert de sa responsabilité de ministre de l'agriculture, à persuader les gouvernements africains et asiatiques de l'intérêt des solutions proposées, il déplore qu'il n'ait pu s'entretenir avec le commissaire européen en charge du commerce extérieur, M. Pascal Lamy, ainsi qu'avec les membres du cabinet du Président de la République, bien qu'il les ait sollicités à plusieurs reprises.

I. LE DEFI DE CE SIECLE : NOURRIR TOUS LES HOMMES

Plus de 1,2 milliard d'individus, soit un habitant de la planète sur cinq, survivent avec moins d'un dollar par jour. Le dernier rapport sur le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) indique qu'au cours des années 1990, seulement 30 des 155 pays en développement et en transition pour lesquels des données étaient disponibles, ont enregistré une croissance du revenu moyen par habitant de plus de 3 % par an. A l'inverse, dans 54 de ces pays, le revenu moyen a baissé.

Le sous-développement s'aggrave en raison de la dégradation continue des termes de l'échange et d'une croissance démographique non maîtrisée. Il contribue à la déstabilisation des pays pauvres, en favorisant les guerres civiles, l'anarchie et la montée des fanatismes religieux. Ainsi, il remet en cause la sécurité des pays riches, qui doivent faire face à de nouvelles menaces et tenter de contrôler les vagues d'immigration en provenance du Sud, comme le bien-être de ces derniers : la faiblesse du pouvoir d'achat des pays en développement entretient le chômage au sein des pays du Nord.

La paupérisation du tiers-monde et son corollaire, la difficulté croissante d'une fraction importante de sa population à faire face à ses besoins alimentaires, imposent aux pays développés, par devoir de solidarité, mais aussi dans leur intérêt bien compris, de lutter contre ces fléaux : ce combat contribuera à la construction d'un monde plus sûr et plus juste, un objectif dont le caractère impérieux a été dramatiquement souligné par les attentats du 11 septembre.

Or, l'une des clefs de sortie de la pauvreté de masse réside dans l'agriculture, pour trois raisons.

En premier lieu, l'agriculture demeure un secteur économique essentiel, voire primordial, pour les pays en développement. Elle emploie environ 73 % de la population active des pays les moins avancés (PMA) et 59 % de celle de tous les pays en développement et génère, selon le FMI, respectivement 34 % et 27 % des revenus d'exportation de ces deux groupes de pays(2).

En second lieu, la sous-alimentation renforce les différents aspects de la pauvreté : elle rend les individus plus sensibles à la maladie, affecte les enfants d'un handicap nutritionnel qui nuit à leur santé durant leur vie adulte et diminue la productivité du travail, ainsi que la capacité de travail. Tous ces facteurs expliquent que la famine réduit considérablement les performances globales des économies sous-développées.

En troisième lieu, la pauvreté touche principalement les milieux ruraux : le Fonds international pour le développement agricole estime que sept pauvres sur dix, dans le monde, vivent en milieu rural, comme les petits agriculteurs, les paysans sans terre, les pasteurs traditionnels, les artisans-pêcheurs et les groupes marginalisés tels que les réfugiés, les peuples autochtones et les ménages dirigés par une femme. Le dernier rapport sur le développement humain du PNUD indique que plus des trois-quarts des personnes souffrant de la faim vivent dans les zones rurales et près d'un tiers habitent à la campagne sans posséder ni terre ni exploitation, et tirent leur subsistance de l'élevage, de la pêche et de la foresterie.

Aussi, la croissance de la production agricole et de l'emploi rural non agricole, ce dernier représentant 44 % des emplois ruraux en Asie (60 % en Inde) et 25 % en Amérique latine, ne peut-elle avoir qu'un impact positif sur la réduction globale de la pauvreté dans les pays en développement.

A. Le constat : l'aggravation de l'insécurité alimentaire dans les pays en développement

1) Un droit à l'alimentation bafoué par la famine

La faim est à la fois une violation de la dignité humaine et un obstacle au progrès social, politique et économique.

Elle remet en cause le droit de vivre, qui est le premier des droits de l'homme.

C'est pourquoi vingt-deux pays, reconnaissant cette donnée fondamentale, ont inscrit le droit à la nourriture dans leur constitution, soit pour tous les individus, soit spécifiquement pour les enfants(3).

C'est aussi la raison pour laquelle la communauté internationale reconnaît le droit fondamental de ne pas souffrir la faim :

Textes internationaux relatifs au droit à l'alimentation

· Déclaration universelle des droits de l'Homme, 1948

« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation... ».

Article 25 (§1).

· Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966

« Les Etats parties au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant... y compris une nourriture suffisante et s'engagent à prendre les mesures appropriées pour la réalisation de ce droit ».

Article 11 (§1).



· Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale, 1966

« Nous, Chefs d'Etat et de gouvernement, réaffirmons le droit de chaque être humain d'avoir accès à une nourriture saine et nutritive conformément au droit à une nourriture adéquate et au droit fondamental de chacun d'être à l'abri de la faim ».
...
« La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. »

Depuis quarante ans, des progrès spectaculaires ont été enregistrés dans la mise en œuvre concrète de ce droit : si au milieu des années 1960, 57 % de la population mondiale vivaient dans des pays où la ration moyenne était inférieure à 2 200 calories par jour, cette proportion était tombée, en 1997-1999, à 10 % seulement, bien que la population mondiale ait entre temps presque doublé.

Cette évolution a profité aux pays en développement : l'incidence de la sous-alimentation, qui existe dès lors que la ration quotidienne est inférieure à 1 960 calories, est passée de 28 % de leur population totale en 1979-1981 à 20 % en 1990-1992, puis à 17 % en 1999-2001.

Mais si la sécurité alimentaire des pays du Sud s'est globalement améliorée, celle-ci est loin d'être acquise.

D'abord, les progrès de ces pays ont été très inégaux, comme l'indique le graphique ci-après :

Tendances récentes de la sous-alimentation, par groupes
de pays

Nombre de personnes

sous-alimentées (millions)

17 pays ont enregistré une diminution du nombre des personnes sous-alimentées, suivie d'une augmentation

19 pays ont enregistré une diminution pendant toute la période

26 pays ont enregistré une augmentation pendant toute la période

22 pays ont enregistré une augmentation, suivie d'une diminution

Source : FAO.

Encore aujourd'hui, une personne sur quatre en Asie du Sud et une sur trois en Afrique subsaharienne souffrent de la faim. L'Inde compte le plus grand nombre de victimes : 233 millions, suivie de la Chine avec 119 millions. Ce fléau touche 183 millions de personnes en Afrique subsaharienne, 74 millions en Asie de l'Est, hors la Chine, 55 millions en Amérique latine et 32 millions dans les pays arabes.

Ensuite, sur la période la plus récente, de 1995-1997 à 1999-2001, le nombre des personnes sous-alimentées dans les pays du Sud a augmenté de 4,5 millions par an. Aussi, la FAO a-elle estimé que si l'objectif du Sommet du Millénaire était appliqué à chaque pays pris séparément, sur 96 pays en développement pour lesquels il existait des données comparables, 24 étaient sur la bonne voie, 6 prenaient du retard, 22 accusaient un recul et 44 pays étaient « hors course ».

Enfin, l'avenir ne peut guère inciter à l'optimisme :

- si la proportion de personnes sous-alimentées dans les pays en développement devrait, selon les projections de la FAO, diminuer de manière significative, pour passer de 20 % en 1990-1992 à 11 % en 2015 et 6 % en 2030, le déclin du nombre de personnes sous-alimentées devrait être, en raison de la croissance démographique, beaucoup plus lent, soit de 815 millions en 1990-1992 à 610 millions en 2015 et environ 440 millions en 2030. C'est pourquoi, selon la FAO, « ces prévisions laissent supposer que l'objectif du Sommet mondial de l'alimentation et l'objectif de développement défini dans la Déclaration du Millénaire, à savoir réduire de moitié la faim dans le monde d'ici 2015, ne seront pas atteints » ;

- le nombre de personnes sous-alimentées dans l'Afrique subsaharienne devrait augmenter de 9 millions entre 1997-1999 et 2015. D'ici 2030, la FAO estime que 40 % des personnes sous-alimentées dans les pays du Sud vivront dans cette région, contre 25 % actuellement ;

- enfin, la FAO estime que la production céréalière ne pourra pas suivre la demande des pays en développement : les déficits nets céréaliers de ces pays, qui s'élevaient à 103 millions de tonnes en 1997-1999, soit 9 % de leur consommation, pourraient atteindre 265 millions de tonnes d'ici 2030, pour représenter 14 % de leur consommation. Même si, entre 2015 et 2030, la demande mondiale de céréales ralentira pour progresser de 1,2 % par an (contre 1,4 % entre aujourd'hui et 2015), la production annuelle de céréales devra encore augmenter de 1 milliard de tonnes par an pour satisfaire les besoins de la population mondiale.

2) Une augmentation problématique des importations agricoles et de la facture alimentaire

La sécurité alimentaire peut être assurée de deux façons : par l'accroissement de la production intérieure, d'une part, et par celle des importations, d'autre part.

S'agissant du premier point, de nombreux pays du Sud n'ont pu remplir leur obligation de sécurité alimentaire, car ils ont connu, tout au long des années 1990, une baisse de la production agricole par tête, en raison des aléas climatiques et de l'existence de conflits, auxquels se sont ajoutés les effets des mesures de libéralisation des échanges. Le rapport de la CNUCED sur les pays les moins avancés de l'année 2002 indique qu'au total, 24 de ces pays ont souffert d'une telle évolution entre 1990 et 1999(4).

En ce qui concerne le second point, les pays en développement ont, pendant les années 1990, fortement accru leurs importations de denrées alimentaires : 5,6 % par an pour l'ensemble des pays en développement et 6,9% par an pour les pays à faible revenu et à déficit vivrier (PFRDV)(5).

Il résulte de cette évolution que la position traditionnelle d'excédent agricole des pays en développement s'est contractée à partir du début des années 1990 et que, durant la plus grande partie de la dernière décennie, les importations et les exportations de ces pays se sont équilibrées.

Quant à l'avenir, les perspectives de la FAO indiquent que les pays en développement deviendront des importateurs nets de produits agricoles, une tendance qui va perdurer et s'amplifier : cette organisation estime que d'ici 2030, le déficit commercial agricole des pays en développement atteindra 31 milliards de dollars, contre 18 milliards en 2015. Celui des PMA, dont les importations à la fin des années 1990 étaient, en valeur, deux fois supérieures à leurs exportations, sera multiplié par quatre d'ici là.

L'augmentation des importations n'a rien de négatif en soi, mais elle peut s'avérer problématique lorsque :

- la forte croissance des importations risque de déstabiliser une production intérieure par ailleurs viable ;

- en cas de hausse importante des prix, l'augmentation des revenus et des recettes d'exportation s'avère insuffisante pour continuer à financer les importations de denrées alimentaires. C'est précisément la situation que connaissent les pays pauvres dont la population souffre de malnutrition, qui sont aussi les plus dépendants des importations de denrées alimentaires : d'après la FAO, les pays où plus de 15 % de la population a faim consacrent deux fois plus de leurs recettes d'exportation à l'importation de produits alimentaires que les pays où la sous-alimentation touche moins de 15 % de la population.

A cela s'ajoute le fait que le contexte dans lequel s'effectuent les importations de produits alimentaires par les pays en développement, et notamment les plus vulnérables d'entre eux, est devenu, depuis plusieurs années, particulièrement défavorable.

Premièrement, la FAO constate, depuis les années 1980, une augmentation de la fréquence des hausses subites d'importations dans divers pays et pour divers produits de base, parfois au détriment de la production vivrière (6).

En effet, ce phénomène a eu, dans certains cas, un impact négatif sur la production intérieure. La FAO cite à cet égard l'exemple des importations de tomates du Sénégal qui, après avoir été libéralisées, ont été multipliées par quinze, passant d'une moyenne annuelle de 400 tonnes environ entre 1990-1994 à 6 000 tonnes entre 1995-2000. La production nationale a chuté de 50 %, passant de 43 000 tonnes à 20 000 tonnes. Le lait kenyan fournit un autre exemple, souvent utilisé : la production nationale de lait a baissé de 179 000 tonnes à 126 000 tonnes entre 1990 et 1998, tandis que les importations de poudre de lait ont augmenté de 48 tonnes à 2 500 tonnes.

Deuxième observation : les factures d'importations de produits alimentaires des PMA et des pays en développement importateurs nets de produits alimentaires (PDINA) ont augmenté en valeur absolue et en termes réels, alors que ces pays sont très dépendants des importations vivrières pour satisfaire les besoins en nourriture de leur population.

Actuellement, les importations de produits alimentaires des PMA représentent, en moyenne, de 10 à 12 % de leur ration calorique moyenne ; pour les PDINA, la proportion moyenne est très élevée, soit plus de 35 %. Or, au cours des dernières décennies, les factures alimentaires de ces deux groupes de pays ont augmenté, en termes réels, à un taux annuel de plus de 6 %. Pendant la période de hausse des prix agricoles mondiaux, à la fin des années 1990, ces pays consacraient, en moyenne, jusqu'à 5 ou 6 % de leur PIB pour importer des produits alimentaires. Pour certains pays, la proportion a été encore plus forte. Ainsi, lors des pics de prix enregistrés en 1996-1998, la Sierra Leone a dû consacrer de 22 à 24 % de son PIB aux importations alimentaires et Haïti, plus de 10 %.

Troisièmement, la part de l'aide alimentaire dans les approvisionnements des PMA et des PDINA pays n'a cessé de diminuer : alors que le rapport entre l'aide alimentaire et les importations vivrières a atteint son maximum dans les années 1980 pour s'élever à 28 % pour les PMA et à 20 % pour les PDINA, il avait baissé, en 2001, de moitié par rapport à ces moyennes.

D'une manière générale, les livraisons d'aide alimentaire en céréales par habitant ont reculé ces dernières années, par rapport aux volumes de la fin des années 1980 et du début des années 1990, y compris pour l'Afrique qui, même si elle demeure le plus gros récipiendaire par habitant, reçoit des volumes très inférieurs à ceux d'il y a une décennie.

Livraisons par habitant d'aide alimentaire
en cereales (equivalent grain)

(Kg par habitant)

 

90/91

91/92

92/93

93/94

94/95

95/96

96/97

97/98

98/99

99/00

00/01

01/02

Afrique

10.0

8.6

10.2

5.0

5.0

3.4

2.3

2.7

3.0

3.4

4.3

2.6

Asie

1.0

1.0

0.9

1.1

1.2

1.2

0.7

0.9

1.5

1.2

1.2

1.1

Amérique latine et Caraïbes

4.4

4.3

3.4

3.4

2.4

1.2

1.2

1.0

1.9

1.5

1.2

1.4

Fédération de Russie

   

7.6

16.7

0.1

0.5

0.1

0.3

13.6

16.8

2.1

1.1

Autres

1.1.

1.6

3.1

1.5

0.7

0.4

0.4

0.2

0.4

0.6

0.3

0.3

Note : la campagne correspond à la période juillet/juin

Source : Programme alimentaire mondial.Annexe-1

Outre le fait que ces évolutions ont contribué à la dégradation de la sécurité alimentaire des pays en développement, les négociateurs du cycle d'Uruguay n'ont pas tenu leurs engagements concernant l'aide alimentaire aux pays les plus vulnérables.

La Décision de Marrakech pour les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires de 1994 prévoit l'adoption de « lignes directrices pour faire en sorte qu'une part croissante des produits alimentaires de base soit fournie aux pays les moins avancés et aux pays importateurs nets de produits alimentaires », mais aucune mesure n'a été prise à cet effet. Ainsi, malgré le pic des prix mondiaux des céréales en 1995-1996, ces pays, qui ont vu les montants payés pour leurs importations augmenter de 35 % pendant cette période, ont reçu, faute de volonté politique, une assistance réduite au lieu de l'assistance accrue prévue.

En outre, la Décision de Marrakech stipule que les signataires des accords de l'OMC s'engagent à aider les pays concernés en cas d'augmentation des cours mondiaux et des dépenses d'importation en produits alimentaires qui pourraient résulter de la mise en œuvre de l'Accord sur l'agriculture. Cette aide pourrait prendre la forme, soit d'une aide alimentaire, soit d'une aide au développement de l'agriculture. A court terme, le FMI et la Banque mondiale pourraient fournir une assistance financière pour « assurer des niveaux normaux d'importations commerciales de produits alimentaires de base ». Aucune mesure concrète n'a été prise pour mettre en œuvre cet engagement.

De plus, même s'il avait été mis en œuvre, cet instrument n'aurait apporté aucune solution durable et systématique au problème de la hausse de la facture alimentaire des pays pauvres, car il établit un lien entre aide et commerce pour la seule période de mise en œuvre de l'accord agricole et prévoit une aide des institutions financières internationales aux seuls pays sous ajustement structurel, qui doit être négociée sur une base bilatérale. Enfin, les conditions de déclenchement de l'aide sont extrêmement vagues et n'ont aucune valeur contraignante.

B. L'explication économique et juridique : un déficit de régulation des échanges mondiaux

Les racines de la faim sont multiples.

La sécheresse et les autres incidents climatiques, hivers rudes, pluies torrentielles, ou les catastrophes naturelles tels les ouragans, restent les causes principales de l'insécurité alimentaire. Par exemple, en Afghanistan, la sécheresse des années 1999-2001 a réduit près de 60 % du cheptel et provoqué, en Afrique australe, en 2001-2002, des pertes de récolte allant jusqu'à 50 % de la production.

L'origine des crises alimentaires réside aussi dans les catastrophes provoquées par l'homme. La FAO estime que les conflits et les problèmes économiques ont été les causes principales de 35 % des urgences alimentaires de la période 1992-2003. Au Rwanda, la guerre a déplacé, en 1995, trois agriculteurs sur quatre et a réduit les récoltes de moitié. En 2002, parmi les 21 pays en situation d'urgence alimentaire extrême, 15 étaient touchés par la guerre, des affrontements civils ou étaient les victimes des séquelles de conflits passés. En ce qui concerne l'évolution du prix des matières premières, elle peut, en cas de chute brutale, remettre en cause le droit à la sécurité alimentaire de toute une région, comme le montre l'exemple de l'effondrement récent du cours du café et de ses effets sur l'Amérique centrale. Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime que la crise du café, en 2000-2001, combinée à l'effet de la sécheresse, a fait souffrir de la faim 30 000 personnes au Honduras.

A ces facteurs traditionnels, s'est ajoutée une autre cause d'insécurité alimentaire, apparue depuis peu : le VIH/SIDA. En effet, ce dernier affecte en priorité de jeunes adultes, qui tombent malades et meurent durant leurs années les plus productives. D'ici 2020, au moins un cinquième de la population active agricole de l'Afrique australe aura été décimée par cette pandémie.

Le rapporteur souhaite analyser ici les causes juridiques et économiques de l'insécurité alimentaire, qui résident, selon lui, dans un déficit de régulation des échanges agricoles.

1) Des prix volatiles ou en baisse que la communauté internationale a renoncé à contrôler

Les prix des produits agricoles se caractérisent par une forte volatilité, alternant des périodes courtes de prix élevés et des périodes plus longues de prix déprimés. Ainsi, une baisse de l'offre tire les prix vers le haut, ce qui incite les agriculteurs à accroître leur production et provoque en retour une diminution des prix. Or, dans ce cas de figure, l'offre ne s'équilibre à la baisse que très lentement, en particulier pour les productions nécessitant une longue période de maturation et impliquant des frais fixes irrécupérables, ce qui entretient la crise des prix.

Ces caractéristiques structurelles des marchés agricoles ont justifié, dans la Communauté européenne, la mise en place d'une politique agricole commune, reposant sur des prix d'intervention et des mécanismes de stockage.

Sur le plan international, les variations des prix agricoles sont accentuées par les anticipations du marché, qui peuvent concerner aussi bien le climat, les quantités et les prix, que les évolutions politiques, ainsi que par les spéculations sur les marchés boursiers de contrats à terme.

Par ailleurs, sur le long terme, les prix des produits de base ne cessent de décliner depuis 1960, avec une chute particulièrement forte lors des années 1980, qui a été plus importante que celle constatée durant la crise des années 1930. En 2001, l'index des prix des matières premières non énergétiques établi par la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) s'élevait à seulement 55 % de la moyenne annuelle constatée pour la période 1979-1981. Pour certains produits primaires, notamment les boissons tropicales et les produits alimentaires, la baisse a été encore plus marquée, puisque l'index se situe à 53 % de la moyenne. La chute a été spectaculaire pour le café : le prix du grain de café était, en 2001, égal à 25 % du niveau enregistré en 1960 ; entre 2000 et 2002, le prix moyen du café Robusta a encore baissé de 30 %.

Cette évolution aux conséquences si dramatiques, qui seront étudiées plus loin, résulte essentiellement de la hausse de la productivité et de la faible élasticité de la demande pour les produits concernés.

Mais est également en cause l'augmentation incontrôlée de l'offre par les producteurs traditionnels durant les années 1980, destinée à compenser la détérioration des réserves de devises : de 1980 à 1990, les volumes des exportations de produits primaires des pays en développement ont progressé de plus de 40 %, en dépit du faible niveau des prix.

A cela, s'ajoutent les effets, sur l'offre et les prix, de l'entrée de nouveaux producteurs sur le marché. S'agissant du marché du café, celui-ci est affecté par un déséquilibre structurel, avec une production estimée en 2001/2002 de 115 millions de sacs (représentant 60 kilos de café) pour une consommation de
105-106 millions de sacs. Ce déséquilibre est dû, en partie, au fait que le Vietnam est devenu en dix ans le deuxième producteur mondial et que le Brésil a, de son côté, mis en culture de nouvelles zones.

Ces évolutions de prix ne font plus l'objet d'une régulation par la communauté internationale, comme ce fut le cas pour certains produits de base jusqu'à la fin des années 1980.

Les accords concernant le café, le cacao et le caoutchouc, qui ont été mis en place à partir des années 1960, comportaient un volet économique qui reposait, soit sur un système de quotas d'exportation destiné à maintenir les cours dans une certaine fourchette (cas du café, avec une bande évoluant entre 1,20 dollar et 1,40 dollar), soit un système de stocks internationaux gérés par des organisations, intervenant lorsque les prix tombaient en dessous d'une fourchette convenue (cas du caoutchouc et du cacao).

Ces accords, gérés dans le cadre des organismes internationaux de produits tropicaux et non tropicaux, subsistent, mais sous une forme amoindrie, car leur volet économique a été suspendu(7).

L'efficacité de ce type de mécanisme a été démontrée pour une seule production, le café. De 1975 à 1989, les prix du café ont fluctué, mais ne sont jamais descendus en dessous du prix de seuil de 1,20 dollar, tandis que ce fut le cas après le démantèlement du volet économique de l'accord.

Une deuxième tentative de régulation des cours du café a vu le jour en septembre 1993, lorsque 27 pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie, représentant environ 85 % de la production internationale de café, ont créé, à l'initiative de la Côte d'Ivoire, alors présidée par M. Félix Houphouët-Boigny, et sur la base d'une proposition avancée par le rapporteur, l'Association Internationale des Pays Producteurs de Café, qui prévoyait le recours à un plan de rétention et de régularisation de la mise sur le marché de la production. Suite à cette initiative, les prix du café se sont nettement redressés, passant de 900 dollars la tonne avant l'accord jusqu'à 5 000 dollars en 1995. L'irruption de la production vietnamienne, encouragée par une aide versée par le FMI, a fait imploser le système. Ce fut aussi le cas pour le cacao, lors de l'arrivée sur le marché d'un nouveau producteur : la Malaisie.

L'exemple du café démontre que pour être efficaces, ces mécanismes, impliquant une concertation entre producteurs et consommateurs, imposent de réunir plusieurs conditions, difficiles à obtenir : la participation durable de tous les pays producteurs et consommateurs ou des principaux d'entre eux (c'est ainsi que l'absence des Etats-Unis, comme principaux consommateurs, a été préjudiciable à l'accord sur le café), une réponse aux attentes, acceptables par les uns et les autres, concernant les prix planchers et la capacité du marché à « absorber » les nouveaux pays producteurs.

En outre, les comportements de « profiteurs », c'est-à-dire de pays producteurs faisant le choix de ne pas respecter les limitations de commercialisation et, en amont, de production, pour gagner des recettes d'exportation supplémentaires, constituent une menace permanente pour le bon fonctionnement de ces accords.

Cependant, le rapporteur estime que les difficultés rencontrées par ces mécanismes ne justifient pas une inaction totale des Etats en matière de régulation des prix des produits de base. Ces tentatives avortées prouvent, simplement, l'inefficacité des accords conclus entre des parties dont les intérêts sont opposés : les vendeurs et les acheteurs.

2) Un lien avéré entre dépendance vis-à-vis des produits de base, pauvreté et endettement

a) La trappe à pauvreté de la dépendance

Selon la FAO, 43 pays en développement sont tributaires d'un seul produit agricole pour plus de 20 % du total de leurs revenus d'exportations et pour plus de 50 % de leur revenu d'exportation agricole ; d'autre part, 54 pays en développement tirent au moins 20 % de leurs recettes totales d'exportations d'au plus trois produits primaires agricoles et 15 de ces pays, au moins 50 %.

produits agricoles représentant plus de 20 % du total
des exportations de biens des pays en développement

Sucre : Saint-Christophe-et-Nevis 35 %, Cuba 35 %, Belize 26 %, Guyana 24 %, Fidji 23 %, Maurice 20 %, Swaziland 20 %
Café
 : Burundi 79 %, Ethiopie 64 %, Ouganda 59 %, Rwanda 56 %, Sierra Leone 32 %, Nicaragua 27 %, El Salvador 24 %, Guatemala 24 %, Honduras 23 %
Banane
 : Saint-Lucie 54 %, Saint-Vincent 37 %, Dominique 27 %, Equateur 24 %, Costa Rica 21 %, Panama 23 %
Coton 
: Burkina Faso 39 %, Tchad 37 %, Bénin 33 %, Mali 30 %, Togo 23 %, Somalie 23 %
Cacao 
: Nioué 71 %, Sao Tomé e Principe 69 %, Côte d'Ivoire 36 %, Ghana 24 %
Tabac 
: Malawi 59 %, Zimbabwe 22 %
Noix de cajou 
: Guinée-Bissau 48 %
Citrouille 
: Tonga 44 %
Coprah 
: Vanuatu 43 %, Kiribati 42 %
Soja 
: Paraguay 39 %
Noix de muscade 
: Grenade 38 %
Vanille 
: Comores 34 %
Thé 
: Kenya 26 %
Arachide 
: Gambie 20 %

Source : FAO.Annexe-1

Les pays figurant dans le tableau ci-dessus sont, pour la plupart d'entre eux, des pays pauvres : selon la classification utilisée par la Banque mondiale, 20 sont des pays à faible revenu (moins de 735 dollars par habitant), 13 des pays à revenu moyen de la tranche inférieure (entre 736 et 2 395 dollars par habitant) et 7 seulement des pays à revenu moyen de la tranche supérieure (entre 2 936 et 9 265 dollars par habitant). D'autre part, 16 de ces pays sont des PMA(8).

Les économies des pays dépendants présentent des traits communs, qui entravent leur développement.

Ainsi, les PMA dépendants vis-à-vis des produits de base se caractérisent, selon la CNUCED, par une grande faiblesse de la productivité, de la valeur ajoutée produite et de la compétitivité de leur principal secteur d'activité. En outre, la dépendance des PMA s'accompagne d'une croissance des exportations peu soutenue, en raison de la baisse des prix réels de ces produits, d'un recul de leur part de marché et d'une concentration de leurs exportations sur quelques produits pour lesquels la demande mondiale décline. Le taux de croissance réel des exportations de ces pays n'a été que de 2,3 % au cours de la dernière décennie, contre 11,4 % pour les PMA exportant des produits manufacturés. S'agissant de la part détenue par ces PMA dans les exportations mondiales de produits primaires, celle-ci a baissé de 4,7 % en 1970-1972 à 1 % en 1998-1999. Pour les 43 pays ayant la plus forte dépendance à l'égard d'un seul produit agricole, le pourcentage moyen annuel de croissance, en valeur, des exportations totales de produits agricoles a été, entre 1990-1999, de 2,8 %, contre 5,9 % pour les autres pays en développement.

Toute baisse des prix à l'exportation des produits de base entraîne les pays dépendants dans un véritable cercle vicieux, se traduisant par une baisse du revenu agricole, une baisse des salaires, voire de l'emploi agricole, une perte de recettes publiques, ainsi que par une dégradation des termes de l'échange et de la balance des paiements :

- la chute des prix des produits de base oblige les pays dépendants à exporter davantage pour financer un volume d'importations donné : si le volume des exportations des PMA dépendants a augmenté de 43 % en 1986 et 1999, le pouvoir d'achat de ces dernières a augmenté de seulement 3 %.

- cette évolution tend à diminuer les réserves de devises des pays dépendants : les pertes de devises des PMA dépendants dues à la détérioration des termes de l'échange équivalaient, par année, à 2,25 milliards de dollars entre 1987 et 1989, 2,25 milliards entre 1990 et 1993, 0,99 milliard entre 1994 et 1997 et 2,4 milliards entre 1998 et 1999 ;

- elle tend à diminuer aussi le revenu réel des producteurs. Ainsi, pour le café et le coton, le rendement a progressé de respectivement 28 % et 50 % en 2000 par rapport à 1980. Malgré cet accroissement de la productivité, la CNUCED estime que la rentabilité réelle par hectare a été inférieure de 46 % en 2000 par rapport à 1980 pour les PMA producteurs de café et de 5 % pour les PMA producteurs de coton.

Ces conséquences négatives sont encore renforcées par les fluctuations du cours du dollar : quand ce dernier baisse, le pouvoir d'achat des exportations des pays dépendants diminue ; quand cette monnaie est à la hausse, leur dette s'envole.

Aussi, la situation de dépendance des PMA à l'égard des recettes d'exportations de produits primaires les enferme-t-elle dans une véritable trappe à pauvreté. La CNUCED estime que 79 % de la population vivant avec moins de un dollar par jour dans les PMA habitent dans des PMA exportateurs de produits de base. Le nombre des pauvres, ainsi défini, dans ces pays a augmenté de 146 millions à 251 millions entre 1981-1983 et 1997-1999, tandis qu'au cours de la même période, celui des personnes vivant avec moins de deux dollars par jour passait de 201 millions à 324 millions.

Reconnaissant ce grave problème, la communauté internationale a tenté d'en atténuer les effets par des mécanismes de compensation des pertes de revenus liées à l'évolution des prix des produits de base.

C'est ainsi que le FMI a mis en place en 1963 un mécanisme de financement compensatoire, afin d'aider les pays qui, à la suite d'une fluctuation des cours, connaissent une chute de leurs recettes d'exportation ou un accroissement du prix des importations de céréales. Cependant, l'accès à cet instrument reste limité, car il est déterminé sur la base du calcul de la déviation des cours (hausse ou baisse) par rapport à une période de cinq ans, ce qui ne permet pas prendre en compte les périodes prolongées de prix déprimés. D'autre part, cet accès est strictement encadré par des règles complexes de limites d'utilisation. S'il a été utilisé à 344 reprises depuis sa création, principalement pendant les années 1970 et 1980, il ne l'a plus été depuis janvier 2000.

De son côté, la Communauté européenne a institué au profit des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) un dispositif d'appui aux recettes tirées de l'exportation des produits primaires, le Stabex, qui a fonctionné entre 1975 et 2000. Une perte de recettes au titre des exportations agricoles à destination de l'Union européenne sur une tendance de six années donnait lieu au versement d'une compensation au gouvernement concerné, afin de l'attribuer aux opérateurs économiques frappés par la perte. Entre 1986 et 2000, 3,8 milliards d'euros ont été engagés au profit des ACP et ont concerné le café (45 %), le cacao (15 %), les arachides (11 %) et le coton (7 %). Ces versements ont été concentrés sur la Côte d'Ivoire (19 %), le Cameroun (12 %), l'Ethiopie (7 %), le Sénégal (7 %), le Kenya et la Papouasie-Nouvelle Guinée (5 %). La Convention de Cotonou de juin 2000, entrée en vigueur le 1er avril 2003, a remplacé le Stabex par un nouveau mécanisme de soutien(9).

Ces mécanismes ont des mérites, mais ils n'interviennent que sous de strictes conditions et ex post : ils n'apportent qu'une réponse temporaire et limitée aux problèmes structurels créés par la baisse de long terme des prix des produits de base, sans s'attaquer aux racines du mal.

Un autre dispositif, plus efficace, a été mis en place par la Communauté européenne, afin de garantir aux exportateurs de certains produits originaires des pays pauvres un accès privilégié à son marché. Toutefois, les règles de l'OMC relatives à la non-discrimination commerciale peuvent être utilisées pour contester la « légalité » de ce type d'avantage. Ce dernier repose sur des quotas de vente à un prix préférentiel des produits des pays du Sud qui en bénéficient. Ainsi, grâce au système de Lomé, les pays ACP peuvent exporter en Europe leurs produits au prix du marché communautaire et non à ceux du marché mondial, une différence qui leur permet, dans le cas du sucre, de tirer un bénéfice d'environ un milliard d'euros par an, qui disparaîtrait avec la fin des préférences. En effet, ces pays sont autorisés à écouler sur le marché communautaire, en franchise de droits et à un prix égal au prix d'intervention, soit 424 euros la tonne, 1,6 millions de tonnes de sucre, un avantage qui a été reconduit jusqu'en 2008 par le Protocole sucre des accords de Cotonou. Il convient également de citer le Protocole banane pour les pays ACP, qui attribuait à ces derniers un quota réservataire, bénéficiant d'une préférence tarifaire. A la suite de la condamnation de ce régime d'importations par l'OMC en 1999, sur la base d'une plainte déposée par les Etats-Unis et les pays d'Amérique centrale producteurs de bananes, l'Europe a été obligée de le modifier, en mettant en place un quota temporaire pour les pays ACP avec une préférence tarifaire de 300 euros par tonne, qui cèdera la place, en janvier 2006, à un système exclusivement tarifaire.

b) Un niveau d'endettement insoutenable

Selon les statistiques fournies par les institutions financières internationales, la dette extérieure totale, publique et privée, des pays en développement s'élevait, en décembre 2001, à 2 348 milliards de dollars, dont 190 390 millions de dollars pour l'Afrique subsaharienne, 288 455 millions de dollars pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, 724 762 millions de dollars pour l'Amérique latine et les Caraïbes et 774 559 millions de dollars pour l'Asie et l'Océanie. Le total pour les PMA était de 147 397 millions de dollars.

Cet endettement, qui pèse sur les économies du Sud, perdure malgré la succession, depuis la fin des années 1980, des mesures et des plans internationaux de règlement, visant à procéder à des allégements théoriquement substantiels : en effet, ces initiatives ne parviennent pas à casser la spirale du sous-développement et de l'endettement. Ces mécanismes ne permettent pas, en outre, de trouver une solution durable à l'endettement d'origine privée, les banques se montrant peu généreuses dans la matière. Les créances détenues par ces dernières représentaient, à la fin 2001, plus de 590 milliards de dollars sur le total précité.

La situation est encore plus dramatique pour les PMA dépendants vis-à-vis des produits de base, car ils souffrent d'un endettement structurel, enraciné dans leur faible capacité à mobiliser des ressources financières nationales, un taux de retour sur investissement très bas et une forte vulnérabilité aux chocs extérieurs.

En diminuant les réserves de change et en rendant les importations plus onéreuses, la baisse des recettes d'exportation rend le service de leur dette moins « soutenable ».

L'annexe 5 classe les PMA exportateurs de produits de base en fonction de la soutenabilité de leur dette. Une dette est qualifiée d'insoutenable, selon les critères de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) lancée en 1996, lorsque le ratio dette en valeur actuelle nette/exports est supérieur à 150 %.

L'initiative concerne 42 pays éligibles, dont 34 pays africains. En 2001, aucun d'entre eux n'affichait un revenu par habitant supérieur à 1 500 dollars et, entre 1990 et 2001, ces pays ont connu une croissance moyenne annuelle de seulement 0,5 %.

Cette initiative repose sur deux allégements de dette, accordés aux points dits de « décision » (après la mise en œuvre satisfaisante d'un programme du FMI pendant trois années) et d'« achèvement » (après avoir continué d'appliquer pendant 6 mois au moins le programme du FMI et appliqué pendant une durée minimale d'un an une stratégie de réduction de la pauvreté).

A ce jour, 27 pays ont atteint le point de décision, parmi lesquels 9 pays ont atteint le point d'achèvement (Ouganda, Bolivie, Mozambique, Tanzanie, Burkina-Faso, Mauritanie, Mali, Bénin et Guyana). Selon les projections du FMI, le ratio moyen de la dette en valeur nette actuelle/exportations de ces 27 pays doit baisser de 300 % avant les allègements décidés à 128 % en 2005 lorsqu'ils atteindront le point d'achèvement. Dans les prochaines semaines, une décision doit être prise concernant l'allégement de la dette au point d'achèvement pour le Niger et l'Ethiopie, après quoi la situation du Nicaragua et du Sénégal sera examinée.

En septembre 2001, le FMI et la Banque mondiale ont approuvé un mécanisme d'allègement additionnel de la dette au point d'achèvement, qui vise à répondre à des évolutions fondamentales de la situation d'un pays dues à un choc extérieur exceptionnel, comme un choc sur le prix des matières premières. Seul le Burkina Faso en a bénéficié, à la suite d'une chute de près de 20 % du prix du coton. Il devrait s'appliquer au Niger, ainsi qu'à l'Ethiopie, mais les modalités de sa mise en œuvre font l'objet d'un débat au sein du conseil d'administration du FMI. En effet, certains membres, comme les Etats-Unis ou la Suisse, contestent la nature du choc exogène ayant affecté ces deux pays : celui-ci ne résulte pas de l'évolution du cours des matières premières, qui est plutôt favorable en ce moment pour la production qui les concerne, le coton, mais de celle des taux d'intérêt, dont la baisse a augmenté la valeur actuelle nette de la dette. Les membres du FMI favorables, comme la France et le Royaume-Uni, à une décision positive soutiennent que la variation des taux d'intérêt est elle-même constitutive d'un choc exogène.

3) Un accord agricole à l'OMC conçu par et pour les pays riches

La négociation de l'Accord sur l'agriculture de l'OMC, signé en avril 1994 à Marrakech, a permis de légitimer les formes d'aides utilisées par les pays riches, qui sont inaccessibles à la plupart des pays en développement, en raison de leur coût budgétaire.

Du côté des pays en développement, la situation était différente, car la libéralisation de leur agriculture avait débuté avant la conclusion du cycle d'Uruguay, de manière unilatérale, dans le cadre des programmes d'ajustement structurel. Ceux-ci ont imposé la suppression des contrôles administratifs sur le secteur (prix, commerce, etc.), ainsi que la libéralisation des échanges extérieurs par la réduction des droits de douane et la suppression des monopoles d'importation et d'exportation des produits agricoles et des intrants.

Ce désengagement de l'Etat imposé de l'extérieur a eu des effets contrastés. S'il a permis de rétablir des niveaux de prix plus élevés pour les agriculteurs, cela s'est fait de manière différenciée : ainsi, les cultivateurs de café de Madagascar situés dans les zones reculées perçoivent environ 40 à 50 % du prix FOB, tandis que ceux vivant dans des zones plus accessibles reçoivent 60 à 70 % du prix FOB. D'autre part, la libéralisation a entraîné une hausse des prix des produits alimentaires, qui a pénalisé les consommateurs des villes. Ce sont donc les couches les plus défavorisées de la population qui ont assumé une large part du coût de l'ajustement, en étant exposées à une insécurité économique et alimentaire accrue.

Les nouvelles mesures de libéralisation ont donc été imposées aux pays les plus libéralisés : c'est en cela que l'accord agricole de l'OMC est profondément inéquitable.

a) Un accès au marché limité pour le Sud

Pour les pays en développement, la question de l'accès aux marchés pour leurs produits d'exportations est primordiale, car elle conditionne la mise en valeur de leur potentiel agricole ou leur capacité à payer leurs importations alimentaires.

L'Accord sur l'agriculture a entraîné des réductions tarifaires à l'entrée des marchés des pays développés, mais elles se sont avérées, dans la réalité, beaucoup moins généreuses que ce qui était promis aux pays en développement.

En premier lieu, si ces réductions ont atteint en moyenne 37 %, les plus importantes d'entre elles ont surtout concerné les cultures tropicales non transformées qui bénéficiaient déjà de faibles tarifs. Pour ces productions, la baisse moyenne des droits a été d'environ 43 % (35 % pour les café, thé et cacao ; 40 % pour les graines oléagineuses, céréales et huiles ; 48 % pour les fleurs coupées et 26 % pour les produits céréaliers). En revanche, les produits de base et les produits transformés ont été beaucoup moins avantagés : par exemple, les tarifs douaniers maximums praticables par l'Union européenne sur le bœuf et le bœuf congelé atteignent respectivement 86 % et 215 %.

En deuxième lieu, la progressivité des droits, qui fait augmenter les tarifs douaniers en fonction du niveau de transformation des produits, continue d'entraver de manière importante l'accès au marché des pays développés. Elle cantonne les pays en développement à l'exportation de produits primaires, alors que les échanges annuels de produits agricoles transformés représentent plus de 60 % de l'ensemble des échanges mondiaux de produits agricoles. Elle est de plus particulièrement importante pour les matières premières tropicales, comme le cacao, le café, le thé, le sucre et les fruits(10). Elle a donc été un facteur de diminution de la part des pays en développement dans les exportations mondiales de produits agricoles transformés, qui a reculé de 53 % en 1981-1990 à 48 % en 1991-2000. Pour les PMA, cette part a chuté de 2,3 à 1,8 %. L'évolution est frappante pour le café : la part des dix principaux pays en développement exportateurs de café dans les échanges de café torréfié est tombée de 7 à 2 % pendant la même période.

A la progressivité des droits, s'ajoute leur complexité. La structure tarifaire appliquée aux produits agricoles par certains pays développés prévoit de multiples aménagements, comme les droits spécifiques (autres que ad valorem), ainsi que des disparités et un manque de transparence dans la gestion des droits appliqués aux contingents tarifaires, qui entravent le développement de nouvelles opportunités d'échanges.

Par ailleurs, la libéralisation intervenue dans le cadre de l'accord agricole a érodé, sur le marché des pays développés, les marges préférentielles des pays du Sud bénéficiaires de régimes commerciaux plus favorables que celui mis en place au niveau de l'OMC. Ainsi, les pays ACP se voient accorder, au titre du système de préférences généralisées de la Communauté européenne et de l'Accord de Cotonou, des réductions par rapport aux droits normaux, mais la baisse de ces derniers par les cycles successifs de négociations multilatérales diminue la différence entre les droits de douanes « OMC » et les droits « privilégiés » octroyés par l'Europe. La perte de marge préférentielle pour les pays ACP résultant des dernières négociations est estimée à 30 % sur le marché européen.

Enfin, l'harmonisation, prévue par les accords de Marrakech, des règles et des normes sanitaires et phytosanitaires auxquelles doivent répondre les produits agricoles et les denrées alimentaires échangées, met les pays en développement en difficulté, car ils n'ont pas nécessairement les capacités financières et techniques pour faire appliquer et respecter ces normes et n'ont qu'un faible niveau de participation dans les organismes internationaux qui les établissent (Codex alimentarius, Office international des épizooties, etc.).

A tous ces facteurs, s'ajoutent pour l'Afrique subsaharienne, les handicaps naturels qui entravent sa capacité de commercer. La FAO indique, à cet égard, que seulement 21 % de la population de cette région habite à moins de 100 kilomètres de la côte ou d'une rivière navigable, contre 89 % dans les pays à revenu élevé. La proportion de population sans accès au littoral est sept fois plus élevée que dans les pays développés, ce qui explique pourquoi les pays enclavés d'Afrique ont des frais de transport moyen presque trois fois plus importants que les pays à revenu élevé.

L'ensemble de ces éléments explique, en partie, le résultat décevant, pour les pays en développement, de la mise en œuvre de l'accord agricole de l'OMC : les exportations de produits agricoles de ces pays ont progressé en moyenne de 3 % en valeur pendant la période 1994-1999, une progression certes plus importante que celle des pays développés, mais qui s'est avérée plus faible que celle enregistrée sur la période 1990-1994, avant la conclusion de l'accord !

b) Un déséquilibre Nord/Sud dans les instruments de protection des agricultures

En matière de protection douanière, l'accord agricole donne la possibilité aux pays en développement de ne pas tarifer leur protection et de consolider les droits de douane à des taux libres.

Mais en raison de la mise en oeuvre des programmes d'ajustement structurel, la plupart des pays en développement ont des niveaux de protection très faibles. La tarification aurait donc été défavorable pour ces pays, qui ont alors choisi, pour nombre d'entre eux, des taux plafonds, ayant l'avantage de leur permettre, le cas échéant, d'augmenter leur niveau de protection.

Le recours à des tarifs élevés permet de protéger les producteurs de la concurrence mondiale et donc de vendre leurs produits sur le marché intérieur à des prix supérieurs aux prix mondiaux.

Par ailleurs, lorsque les pays en développement ont fait le choix de consolider leurs tarifs, c'est-à-dire de s'engager à l'OMC à ne pas les relever, et que ces derniers sont plus élevés que les tarifs appliqués, ils peuvent réagir aux hausses subites d'importations et aux baisses des prix à l'importation en augmentant leurs droits dans le cadre des taux consolidés ou en imposant de nouveaux droits. Les taux effectivement appliqués par les pays en développement peuvent, par rapport à ceux pratiqués par les pays développés, donc être très élevés : 65 % en moyenne en Egypte, 32 % en Thaïlande, plus de 25 % au Mali ou au Bangladesh.

Toutefois, ces deux instruments, taux plafonds et taux consolidés, peuvent s'avérer insuffisants pour protéger la production nationale en cas de forte variation des volumes d'importations et des prix.

En outre, la plupart des pays en développement n'ont pas accès à des instruments de sauvegarde efficaces de leur production intérieure pour faire face à de telles évolutions. Sur un total de 36 membres de l'OMC autorisés à le faire, seuls 20 pays en développement peuvent se prévaloir, parce qu'elle est réservée aux pays s'engageant dans un processus de tarification, de la clause de sauvegarde spécifique de l'accord agricole, qui permet d'ajouter un droit additionnel, ne pouvant être supérieur à 30 % du droit normal, en cas de forte hausse du volume d'importation ou de chute des prix des produits importés(11). De 1995 à 2001, seulement deux des dix membres de l'OMC ayant utilisé cette mesure étaient des pays en développement.

S'agissant des aides internes, les pays en développement, en raison des programmes d'ajustement structurel, soutiennent très peu leur agriculture.

De plus, le fait d'avoir notifié des soutiens nuls à l'OMC les empêche, en raison des périodes de référence utilisées par les règles multilatérales, de mettre en œuvre, aujourd'hui, des soutiens classés dans la boîte orange, qui regroupe les soutiens aux prix et les mécanismes de régulation des cours. Or, pour ces pays, ce sont les soutiens les moins coûteux, car ils pèsent moins sur un budget de l'Etat limité que les aides directes au revenu. La seule possibilité de soutien disponible actuellement pour un pays en développement est d'utiliser les aides classées en boîte verte, c'est-à-dire entièrement découplées de la production. Etant directement financées par le budget de l'Etat, le faible niveau de ce dernier, conjugué au poids de la dette, les rend de fait pratiquement inaccessibles à la plupart des pays en développement.

Les pays développés, quant à eux, ont négocié un accord préservant leurs politiques agricoles, en leur permettant de jouer sur la couleur des trois boîtes : si les soutiens des prix classés dans la boîte orange ont diminué, ils ont été remplacés par des aides classées dans la boîte bleue (aides liées à des programmes de limitation de la production) et la boîte verte. C'est la raison pour laquelle le soutien total à l'agriculture reste très élevé dans les pays riches : il est estimé, dans l'ensemble de la zone OCDE, en 2002, à 318 milliards de dollars.

Enfin, l'accord agricole impose de diminuer le montant des subventions à l'exportation, mais celles-ci restent importantes et ses règles ne couvrent pas les autres formes de soutien aux exportations tels que les crédits commerciaux, l'aide alimentaire utilisée à des fins commerciales et les entreprises commerciales d'Etat.

c) Des pratiques de subventionnement parfois dévastatrices: les effets des aides américaines sur le maïs mexicain et le coton africain

Régulièrement, les Etats-Unis s'en prennent aux politiques agricoles qui protégent les marchés, créent des distorsions du commerce mondial et empêchent ainsi les pays en développement d'exporter, telle celle de l'Union européenne.

Or, la soi-disant « forteresse » européenne est le premier importateur des pays du Sud, achetant aux producteurs de ces derniers plus que les Etats-Unis, le Canada, le Japon et l'Australie réunis. Le quart des exportations agricoles des pays en développement et les trois-quarts de celles des PMA sont vendus à l'Union européenne.

En outre, les restitutions européennes ne cessent de décroître et, probablement du fait de leur transparence, elles sont les seules formes d'aides à l'exportation à avoir été soumises à des engagements de réduction à l'issue du cycle d'Uruguay. Elles ne représentent qu'environ 7 % du budget agricole européen, soit un montant du même ordre de grandeur que le budget de l'aide alimentaire internationale américaine.

Il convient, à l'inverse, de rappeler qu'alors qu'aux Etats-Unis, le montant moyen des aides pour un producteur atteignait déjà 16 000 dollars en 2001 (contre 5 000 dollars dans l'Union européenne), ce pays, par le biais de la loi agricole de mai 2002, a doté de moyens supplémentaires (180 milliards de dollars sur dix ans) une politique qui magnifie les gains de productivité, avec le corollaire de devoir toujours se tourner davantage vers l'exportation de surplus vers les pays en développement.

Par ailleurs, sa politique d'aide alimentaire, qui en volume représente entre 40 et 70 % de l'aide alimentaire mondiale selon les années, est utilisée à des fins d'écoulement des excédents de production agricole lorsque les prix sont bas : elle se tarit lorsque les cours mondiaux des produits de base sont à la hausse. Pourtant, la Convention de Londres concernant l'aide alimentaire, signée en 1999, stipule dans son préambule que l'aide alimentaire ne doit pas être fonction des fluctuations de l'offre et des cours mondiaux. Elle définit par ailleurs les pays éligibles aux programmes d'aide alimentaire comme étant les pays les moins avancés et les pays à faibles revenus. Cependant, il apparaît qu'en 1999, seulement 17 des 45 pays ayant reçu une aide de la part des Etats-Unis font partie de cette liste.

De plus, avec les prêts de commercialisation ou marketing loans, les producteurs américains bénéficient d'un prix garanti, qui leur permet de s'aligner sur n'importe quel niveau de prix mondial, qu'ils contribuent ainsi à déprimer, et les incite à continuer à produire davantage et à exporter une partie de leurs récoltes. Selon les calculs de l'Association permanente des chambres d'agriculture, les exportations de produits bruts ayant bénéficié du système des marketing loans se sont élevées, sur la période 1999-2001, à 32 % des exportations agricoles américaines.

Les effets dévastateurs de cette politique sur les productions agricoles des pays en développement ont pu être mesurés dans deux cas, le maïs mexicain et le coton africain, devenus exemplaires de l'hypocrisie du caractère soi-disant « vertueux » de la politique agricole américaine.

S'agissant du maïs mexicain, celui-ci a été la victime de l'Accord de libre-échange de l'Amérique de Nord (ALENA), entré en vigueur le 1er janvier 1994, qui a mis en concurrence, en dehors de tout cadre d'organisation des marchés agricoles, deux types d'agriculture, l'une traditionnelle, l'autre industrialisée et fortement subventionnée. Le maïs est la culture la plus aidée aux Etats-Unis (10 milliards de dollars de paiements directs en 2000, soit dix fois le montant du budget agricole du Mexique), avec un coût de production, entre 2000 et 2002, qui est en moyenne supérieur de 20 dollars la tonne par rapport à son prix d'exportation. Il bénéficie en outre du soutien massif des crédits à l'exportation du budget fédéral : les importateurs mexicains ont perçu, en 2002, un cinquième des sommes dépensées par les Etats-Unis pour ce type d'aide. Ces différents éléments expliquent que, depuis 1994, les importations mexicaines de maïs provenant de son puissant voisin ont été multipliées par trois, et que le prix réel du maïs au Mexique ait chuté de 70 % entre 1994 et 2001. Ainsi, selon les données fournies par l'ONG Oxfam, un producteur traditionnel de la région de Puebla parvenait, en 2002, à vendre sa récolte à un prix de 400 dollars, alors que ses coûts de production sont compris entre 460 et 520 dollars.

Le coton d'Afrique de l'Ouest est, lui aussi, mis à mal par les aides versées par les Etats-Unis à leurs producteurs. Le coût de production de la livre de coton aux Etats-Unis est de 0,7 dollar, mais les subventions versées permettent de réduire ce dernier à 0,4 dollar, alors qu'il est de 0,5 dollar en Afrique. Cette concurrence déloyale a des effets catastrophiques sur les pays qui sont dépendants des recettes d'exportation tirées du coton. Ainsi, le Mali qui compte 3 millions de producteurs de coton, a réalisé, en 2002, une production équivalente à seulement 50 % de son potentiel.

4) Des filières de production dominées par les multinationales

Les filières de production agricole sont de plus en plus dominées par quelques multinationales et sociétés de distribution, un phénomène qui est à l'origine de l'écart croissant entre les prix à la production, les prix mondiaux et les prix à la consommation dans les pays développés.

Cette tendance, apparue dans les années 1970, s'est accélérée au cours des années 1980. Aussi, les pays producteurs n'obtiennent-ils qu'une part de plus en plus faible de la valeur ajoutée du produit fini. Et, à l'intérieur de ces pays, le prix versé à l'agriculteur ne constitue plus qu'une part infime du prix final : il est de l'ordre de 7 à 8 % pour le coton brut et le tabac et de 11 à 24 % pour le jute.

Ce déséquilibre est particulièrement marqué pour le café. Une étude de la CNUCED sur ce produit indique que l'écart entre les prix internationaux et les prix de détail est plus important dans les pays où la concentration des entreprises dans ce secteur est la plus forte que dans les pays où la concentration demeure faible. Pour sa part, l'ONG Oxfam observe que si les pays producteurs de café recevaient, dix ans auparavant, environ 10 milliards de dollars de revenus d'un marché d'une valeur de 30 milliards de dollars, ils n'en perçoivent plus que 6 milliards aujourd'hui. En 1984, les grains de café vert représentaient 64 % du prix de détail aux Etats-Unis, tandis qu'en 2001, leur part s'élevait à seulement 18 % du prix de vente.

La domination des filières de production par les multinationales se traduit aussi, lorsque ces dernières sont implantées dans les pays cultivant la matière première et ne disposant pas d'une législation sociale avancée, par des pratiques d'exploitation de la main d'œuvre : il suffit de penser au sort que les grandes compagnies américaines, comme Chiquita ou Dole, réservent aux ouvriers agricoles travaillant dans de gigantesques plantations. Ce sont d'ailleurs ces sociétés qui ont été à l'origine de la plainte déposée à l'OMC par les Etats-Unis et les pays d'Amérique centrale contre le régime préférentiel d'importations de bananes de la Communauté européenne.

5) L'ambivalence des pays en développement concernant la sécurité alimentaire

La difficulté à mobiliser l'énergie des pays en développement pour défendre leur souveraineté alimentaire s'explique par le fait qu'ils défendent des positions ambivalentes sur le sujet.

a) Les pays émergents

L'acteur du Sud des négociations de la Conférence de Cancún qui a capté l'attention des médias est le G20, un groupe de pays en développement émergents qui comporte beaucoup de pays du groupe de Cairns, à l'exception des pays du Nord que sont l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada(12).

Dans un entretien avec le rapporteur, l'ambassadeur du Brésil à l'OMC, M. Luis Felipe de Seixas Correa, a estimé que la division Nord/Sud apparue à Cancún sur le volet agricole des négociations, a résulté directement de la stratégie du Nord qui, avec la proposition conjointe euro-américaine du 13 août 2003, a poussé les pays émergents du groupe de Cairns, ainsi que la Chine et l'Inde, à s'organiser dans le cadre du G20.

Cette coalition avait pour objectif de peser dans les négociations, afin que le texte euro-américain n'apparaisse pas comme le seul élément de compromis possible. Aussi, elle entend jouer un rôle déterminant à l'OMC après la reprise des négociations.

Cependant, elle souffre de contradictions internes, qui menace sa pérennité : elle associe des pays aux intérêts commerciaux offensifs, comme le Brésil, dont les exportations agricoles ont atteint un niveau historique en 2003, représentant une valeur de 30,6 milliards de dollars et 41,9 % des exportations totales du pays, à l'Inde, qui est avant tout soucieuse de préserver son autosuffisance alimentaire.

En effet, à l'exception de ce pays, les membres de ce groupe défendent une approche très particulière de la sécurité alimentaire du Sud, qui consiste à promouvoir le libre-échange comme la solution la plus adaptée à ce problème.

Dans son optique libérale, qui conduit cette alliance à plaider pour une suppression totale des soutiens aux agriculteurs, il revient aux pays les plus compétitifs d'avoir le privilège de nourrir la planète.

Outre le fait que cette vision des échanges agricoles remet en cause la souveraineté alimentaire de chaque pays, elle traduit, en réalité, sous couvert d'un discours de solidarité avec tous les pays du Sud, une volonté de conquête de parts de marché.

En effet, la croissance des exportations agricoles profite principalement aux pays émergents du groupe de Cairns, comme le montre le tableau ci-après retraçant l'évolution des parts de marché agricoles et ses principaux bénéficiaires (gain de plus de 0,1 % de la part de marché) :

Exportateur

1995

2000

Evolution
1995-2000

Part de marché (%)

Part de marché (%)

Russie

0,86

1,90

1,04

Canada

7,88

8,86

0,98

Australie

3,60

4,19

0,59

Mexique

1,76

2,32

0,56

Chine

3,67

4,17

0,50

Argentine

2,78

3,04

0,26

Chili

1,45

1,63

0,18

Brésil

3,84

3,94

0,10

Monde

100

100

-

Source : Ministère de l'agriculture.

b) Les pays pauvres

Les attentes des pays pauvres concernant la contribution de la libéralisation du commerce agricole à leur sécurité alimentaire sont contradictoires.

D'un côté, ces pays souhaitent bénéficier encore de protections tarifaires élevées, afin de préserver leur agriculture vivrière. La logique voudrait donc, dans ce cas de figure, qu'ils optent en faveur d'une politique de long terme, impliquant une stratégie de développement fondée sur l'agriculture.

Mais de l'autre côté, ils sont tentés de nourrir à moindre coût leurs populations urbaines, et donc de faire un arbitrage de court terme en faveur d'importations à bas prix.

Cet arbitrage explique en outre leur libéralisme très relatif concernant le sujet des subventions aux exportations : pour ces pays, la suppression immédiate de ces aides, qui est demandée par les pays émergents, aboutirait à renchérir leur facture alimentaire. C'est la raison pour laquelle les pays ACP n'ont pas soutenu à Cancún la proposition du G20 en faveur de cette mesure.

Globalement, les pays les plus pauvres ont conscience qu'ils ne peuvent qu'être les perdants d'un libre-échange mal maîtrisé, un jugement étayé par les analyses du FMI.

Selon une étude du Fonds publiée en septembre 2002, la suppression complète par les pays de l'OCDE de toutes les mesures faussant les échanges aurait son incidence la plus forte sur les produits de la zone tempérée. Les gains de parts de marchés seraient toutefois limités pour les pays pauvres, qui en outre seraient pénalisés par les hausses de prix agricoles résultant de l'abolition des aides. Si le Japon, la Norvège, la Suisse et, dans une moindre mesure, l'Union européenne réduisaient leur production de ces denrées, ce sont le Canada, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis qui augmenteraient la leur. Les pays en développement qui tireraient profit de cette suppression sont l'Argentine (pour le blé, le maïs et la viande bovine) et le Brésil (la volaille). De plus, la suppression des mesures de soutien pour le riz, le sucre raffiné et le blé aurait pour effet de faire augmenter les cours mondiaux de 2 à 8 %, ce dont peu de pays pauvres tireraient avantage. Les principaux perdants seraient les pays insulaires et les pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, qui sont en situation d'importateurs nets, et certains pays jouissant d'un régime d'accès préférentiel. S'agissant du lait, les prix augmenteraient de 23 % et les principaux gagnants seraient les pays à revenu moyen et élevé, tandis que de nombreux pays en développement, y compris les plus pauvres, seraient perdants.

Dans ces conditions, quelles peuvent être les solutions permettant de faire de l'agriculture, non une arme de guerre commerciale, mais un facteur de développement ?

Le rapporteur estime qu'elles consistent à instituer une « exception alimentaire ».

II. LA REPONSE : PROMOUVOIR UNE EXCEPTION ALIMENTAIRE POUR LES PAYS PAUVRES

L'agriculture est au cœur du débat sur la construction d'un monde plus sûr et plus juste : sans pain, il ne peut y avoir ni liberté ni paix.

La souveraineté alimentaire doit devenir une priorité partagée entre les pays pauvres, qui doivent reconquérir l'indépendance de leurs marchés agricoles, et les pays développés, qui doivent soutenir, pour des raisons stratégiques et morales, cet effort.

Au regard de cet objectif, le libre-échange, sans garde-fous, aboutit à l'injustice, car il fait gagner les pays les plus richement dotés et remet en cause le droit à la sécurité alimentaire des plus faibles, en déstabilisant les agricultures locales et en renchérissant le coût de la facture alimentaire.

C'est la raison pour laquelle la seule voie possible pour relever le défi de la lutte contre la faim consiste à mettre en place « l'exception alimentaire », c'est-à-dire un cadre de régulation des échanges agricoles qui repose sur une réelle égalité des compétiteurs, en assurant la protection des pays vulnérables, et préserve la souveraineté alimentaire de chacun.

Cette solution apparaît tellement à contre-courant de la pensée économique dominante que beaucoup voudront l'écarter, sans même l'examiner, alors que sa force vient de ce qu'elle s'appuie sur l'enseignement concret des politiques agricoles qui ont atteint leur objectif de sécurité alimentaire.

Pourquoi serait-il, en effet, condamnable de discipliner la confrontation de l'offre et de la demande agricoles mondiales quand tous les pays industrialisés le font sur leur marché intérieur ?

En outre, la transposition des mécanismes de régulation du national à l'international permettra de rémunérer équitablement les agriculteurs des pays en développement, ce qui vaut mieux que de continuer à assister par des prix subventionnés leurs populations urbaines. En recouvrant leur souveraineté alimentaire, les pays du Sud s'ouvriront le chemin du développement et d'une relation davantage normalisée avec les pays développés.

C'est pourquoi le combat en faveur de l'exception alimentaire doit être engagé de toute urgence et c'est à la France de faire reconnaître celle-ci. Une initiative de sa part dans ce domaine aura d'autant plus de retentissement qu'elle confirmera, d'une part, l'indépendance et l'universalité du discours de notre pays sur les grands problèmes de notre temps et proposera, d'autre part, la rupture attendue par rapport aux mesures préconisées par les organisations économiques internationales, ces dernières n'ayant abouti qu'à enfermer l'agriculture des pays pauvres dans une impasse tragique.

Les clefs de l'exception alimentaire sont à chercher dans une double démarche, horizontale et verticale, d'organisation des marchés agricoles.

A. La démarche horizontale : protéger temporairement les agricultures vivrières des pays pauvres dans le cadre de marchés communs régionaux

1) Des propositions à l'OMC insuffisantes et ne tenant pas compte de la diversité des situations agricoles

Les propositions d'accord sur la libéralisation des échanges agricoles élaborées à l'OMC, dites propositions de « modalités », s'inscrivent dans une logique, libérale, de réduction des droits de douane et des aides.

Elles visent à amplifier le mouvement commencé avec l'Accord sur l'agriculture de Marrakech, sans s'attaquer au caractère inéquitable de ce dernier et répondre au problème du développement agricole des pays pauvres.

En premier lieu, les négociateurs proposent de faire évoluer la définition du contenu des boîtes de l'accord, principalement par un plafonnement des aides de la boîte bleue à un pourcentage très faible de la valeur de la production (5 %), en vue d'une réduction ultérieure de ce plafond, et par la renégociation des critères d'admissibilité des soutiens à la boîte verte.

Cette démarche ne change rien à l'inégalité des moyens budgétaires existant entre le Nord et le Sud, qui autorise, en pratique, les seuls pays développés à fournir à leurs producteurs des revenus de substitution en cas d'insuffisance des prix mondiaux. Interdire les aides liées aux prix et aux volumes de production pour ne reconnaître que les aides au revenu qualifiées de non « distorsives», car étant réputées n'avoir qu'un faible impact sur les échanges, ne bouleversera pas la logique profonde de l'accord agricole, qui consacre le droit des pays développés, et les autorise eux seulement, à mener des politiques agricoles fortes.

Ainsi, les propositions actuelles permettent toujours à l'Union européenne et aux Etats-Unis de continuer à mener leur guerre de subventions directes ou indirectes à l'exportation : en effet, le texte négocié à la Conférence de Cancún, inspiré du compromis euro-américain du 13 août 2003, sanctuarise implicitement les politiques agricoles des deux ensembles, telles que modifiées par la réforme de la PAC de juin 2003 et la loi américaine de mai 2002. Il ne change rien au fait que les pays en développement ne peuvent pas développer des politiques agricoles comparables à celles pratiquées des deux côtés de l'atlantique. C'est aussi un marché de dupe pour les Européens qui reconnaissent explicitement la légitimité des aides supplémentaires versées aux producteurs américains dans le cadre de la dernière loi agricole, alors que la réforme de la PAC de juin 2003 a fait mouvement dans le sens inverse.

En second lieu, les propositions de modalités sur la compétition à l'exportation n'améliorent que très partiellement les disciplines de Marrakech : elles favorisent, de fait, les instruments de certains pays, tout en faisant reporter l'essentiel de l'effort de réduction sur l'Union européenne.

Elles prévoient, pour les restitutions européennes et l'élément subventionné des crédits aux exportations (système des Etats-Unis), leur élimination progressive pour les produits présentant un intérêt pour les pays en développement et leur diminution en vue de leur retrait progressif pour les autres produits.

Si ce parallélisme entre les soutiens européens et américains est le bienvenu, il souffre d'une exception de taille, qui en affecte la portée : les aides américaines de marketing loans ne sont pas concernées alors qu'elles protègent les farmers des insuffisances des prix mondiaux, sous la forme d'une garantie de prix et subventionnent, en même temps, aussi efficacement qu'indirectement, leurs exportations.

En outre, le texte se contente de modalités relativement floues pour les entreprises commerciales d'Etat, qui sont utilisées par le Canada et les pays d'Océanie, et appelle à la poursuite des négociations sur l'encadrement de l'aide alimentaire, sans préciser que le futur accord, afin d'éviter que les livraisons ne perturbent la production locale, doit impérativement privilégier l'aide distribuée sous forme monétaire (ce qui est le cas de 60 % de l'aide communautaire), par rapport à celle en nature, et qui permette de financer, en priorité, l'achat de denrées sur les marchés régionaux et locaux.

En dernier lieu, la sécurité alimentaire des pays en développement n'est traitée que de manière incidente par les négociateurs. En effet, cet objectif n'est pris en compte que dans le cadre des trois flexibilités offertes aux pays en développement pour réduire leur droits de douane. Ces flexibilités sont les suivantes :

- d'abord, les PMA seraient exemptés des nouveaux engagements de réduction ;

- ensuite, le texte prévoit une flexibilité additionnelle, à des conditions à déterminer, pour des « produits spéciaux » qui ne seraient soumis qu'à un abaissement minimum et qui désigneraient des produits contribuant à la sécurité alimentaire, au développement rural ou à la sécurité des moyens d'existence. La FAO a engagé une réflexion sur cette notion, afin de déterminer les critères possibles de sélection de ces produits, comme la part de la consommation du produit considéré dans la consommation agricole apparente totale, la part de la consommation intérieure du produit couverte par la production nationale et la part de l'emploi représenté par le produit considéré dans la population active agricole totale ;

- enfin, une clause de sauvegarde spéciale pour l'agriculture serait établie pour être utilisée par les pays en développement à des conditions et pour les produits à déterminer.

Ces propositions constituent des pistes intéressantes, mais, au total, le chemin emprunté par les négociateurs préserve les intérêts acquis des pays développés, en entretenant l'illusion de l'égalité des acteurs du commerce international.

Elles reflètent une approche dogmatique des négociations, qui ignore la diversité des situations agricoles des membres de l'OMC.

Or, sans prise en compte réaliste des attentes des uns et des autres, il ne pourra pas y avoir de réelles avancées dans les discussions. A cet égard, il convient de distinguer trois grands groupes de pays :

- le premier groupe comprend l'Union européenne et les Etats-Unis, qui souhaitent préserver leurs instruments de politique agricole ;

- le deuxième groupe comprend les pays émergents, comme le Brésil, qui peuvent inonder le marché mondial de leurs productions, grâce aux avantages que leur procurent de vastes espaces et une main d'œuvre bon marché, parfois exploitée ;

- le dernier groupe comprend les pays pauvres, qui hésitent à faire un arbitrage entre la nécessité de nourrir leurs populations urbaines par des denrées alimentaires importées à bas prix, car subventionnées par les pays développés, et celle de développer leur propre production agricole.

L'échec de Cancún aurait dû conduire à l'abandon de l'approche traditionnelle des négociations agricoles. Si tel n'est pas le cas, la raison en est que les « puissants », pays développés et pays émergents, se satisfont de la situation actuelle, aussi bien par paresse que pour défendre leur intérêt bien compris.

Or, ce calcul de court terme risque de s'avérer désastreux : avec l'émergence d'un terrorisme de masse qui se nourrit du sous-développement, il ne faut plus penser les échanges agricoles en termes de parts de marché et d'aide alimentaire, mais en termes de sécurité politique et économique, et exiger, à cet effet, un sursaut de la communauté internationale, qui fasse de la lutte contre la faim une priorité.

Une fois admise cette évidence, la souveraineté alimentaire des pays pauvres apparaît comme le corollaire obligé d'un cycle de négociations qui se veut axé sur le développement.

2) Une dérogation au libre-échange à consacrer

L'agriculture restant le socle du développement, il faut la protéger dans sa phase de décollage.

C'est la voie suivie par l'Europe, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec la PAC et ses prélèvements variables aux frontières, qui ont garanti, jusqu'aux accords de Marrakech, une adaptation des droits protégeant l'agriculture, en fonction de la fluctuation des marchés internationaux et du dollar.

Sans cette « préférence communautaire », l'Europe n'aurait pu sauvegarder son agriculture et, par conséquent, son indépendance alimentaire : le libre jeu des forces du marché mondial aurait inévitablement écrasé notre agriculture, qui ne pouvait faire face à la concurrence américaine.

Cette démarche a fait ses preuves : le résultat, une Europe qui assume sa vocation agricole, pèse bien plus lourd que les mirages de la théorie des avantages comparatifs et de la concurrence pure et parfaite.

Les mérites du libre-échange intégral sont de plus extrêmement fragiles, car ils reposent sur la double illusion de l'égalité des compétiteurs et du prix mondial.

La première illusion est entretenue par des pays dont les intérêts reflètent leurs abondantes ressources naturelles et économiques et qui cherchent à s'approprier le « pouvoir vert » dans le but de conquérir les marchés mondiaux.

Leurs incantations en faveur d'une concurrence internationale libre de toute régulation de l'offre et de la demande ont d'autant moins de poids qu'elles sont contredites par une donnée fondamentale, que tous les négociateurs, pour commencer à travailler sérieusement, devraient reconnaître : les deux « grands » que sont les Etats-Unis et l'Union européenne ne renonceront jamais à leurs politiques agricoles pour se conformer au dogme du libéralisme pur et parfait. Lors de sa conférence annuelle, réunie en janvier 2004, l'American Farm Bureau, le syndicat agricole le plus important des Etats-Unis, a adopté une motion indiquant qu'à l'avenir, il ne soutiendrait que les accords commerciaux n'ayant pas un impact économique négatif sur les productions « sensibles » aux importations.

Quant au prix mondial, il ne repose sur aucune logique économique, sociale ou environnementale, comme le reconnaissent tous les économistes. Cela est si vrai que les Etats-Unis sont revenus, avec leur dernière loi agricole, à un système de prix garantis.

C'est pourquoi le rapporteur estime que les pays du Sud doivent être autorisés par l'OMC à protéger leur agriculture vivrière par des tarifs adaptés, qui soient appliqués dans le cadre de marchés communs régionaux.

En effet, pour remédier au caractère inéquitable des règles multilatérales, il faut permettre au Sud d'utiliser l'aide à l'agriculture qui est à sa portée, c'est-à-dire les droits de douane. Douze pays en développement membres de l'OMC ont formulé une demande allant dans ce sens, sous la forme d'une note sur la sécurité alimentaire présentée en juillet 2001(13). Celle-ci prévoit que, compte tenu « des besoins des pays en développement en matière de développement et de sécurité alimentaire ;...des possibilités qui s'offrent à eux pour augmenter des ressources si précieuses ; les pays en développement devraient être autorisés à maintenir des niveaux appropriés de consolidation tarifaire... ». Ces pays « devraient également être autorisés à rationaliser leur niveau de consolidations tarifaires nulles ou peu élevées, en particulier lorsque ces consolidations peu élevées ont une incidence négative sur leur situation en matière de sécurité alimentaire ».

Cette protection tarifaire doit être flexible, c'est-à-dire que les unions douanières regroupant des pays pauvres doivent être autorisées à appliquer des prélèvements variables, actuellement interdits par les règles de l'OMC, qui permettent une adaptation rapide des droits en fonction de l'évolution du cours du dollar et des prix mondiaux.

Par ailleurs, l'institution de ces marchés régionaux implique non seulement la mise en place d'un tarif extérieur commun, mais aussi l'élaboration de politiques agricoles communes, financées par les recettes de ce dernier, qui reposent sur des instruments de régulation des quantités produites et des prix. La stratégie à suivre est exactement inverse à celle qui a conduit à la négociation de l'ALENA, un marché libre, mais non organisé et dans lequel les petits agriculteurs ne peuvent survivre.

A cet égard, le rapporteur souscrit, pour l'avoir inspiré par certaines des propositions qu'il défend depuis longtemps, à l'appel de quarante présidents de coopératives agricoles, qui ont plaidé, en mai 2003, en faveur d'un « nouvel ordre agricole mondial », qui respecte « la souveraineté alimentaire des nations, en favorisant la création de grands marchés communs agricoles ».

La solution proposée paraît difficilement « audible » par les négociateurs à l'OMC, car elle va à l'encontre de la doctrine économique dominante et déroge à la clause de la nation la plus favorisée, qui est au cœur du système multilatéral et interdit toute forme de discrimination commerciale.

Cependant, que valent ces objections à l'égard de la nécessité absolue de nourrir tous les habitants de la planète et de lutter contrer la pauvreté ?

D'autre part, la protection régionale des agricultures vivrières présente de nombreux et d'indéniables avantages économiques.

Premièrement, les droits de douane qui préservent la production vivrière locale permettent à l'agriculture d'atteindre son objectif premier, la satisfaction des besoins alimentaires. A l'inverse, la tentation de l'insertion sur le marché mondial conduit à privilégier une agriculture d'exportation au détriment de l'agriculture vivrière, qui ne peut alors recevoir les investissements nécessaires à sa modernisation. Cette stratégie aboutit à créer une agriculture duale, qui sacrifie les petits paysans et les condamne à rejoindre les bidonvilles des grandes agglomérations pour y travailler et survivre.

Deuxièmement, l'institution d'une union douanière permet de « mutualiser » des productions complémentaires, de stimuler les échanges intra-régionaux, libres désormais des entraves qui empêchaient jusque là des pays voisins de commercer entre eux, et de réaliser des économies d'échelle. L'agriculture devient, dans ces conditions, une activité rentable, avec un cadre commercial qui favorise des prix de marché en rapport avec les coûts de production : les denrées facilement cultivables dans la région et dont la consommation a reculé au profit de produits importés sont de nouveau attractives.

Troisièmement, une telle protection règle le problème de la concurrence posée aux agricultures locales par les produits directement ou indirectement subventionnés. En effet, elle n'empêche pas les pays pauvres d'importer des produits à bas prix en provenance des pays développés pour nourrir les populations urbaines, mais elle leur permet aussi de taxer ces produits, lorsqu'ils sont vendus sur le marché intérieur, pour préserver la production locale.

Quatrièmement, ce tarif douanier commun permet d'alimenter un budget partagé entre les Etats membres de la zone et destiné à financer autant les investissements agricoles que les outils de gestion des marchés, ainsi que les infrastructures indispensables aux échanges commerciaux.

Quant à la difficulté juridique posée par les règles de l'OMC, celle-ci ne doit pas être surévaluée : la reconnaissance concrète de « l'exception alimentaire » est d'abord un problème de nature politique.

La licéité des intégrations économiques régionales est fixée par les règles de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). D'une part, l'article XXIV de cet accord autorise la constitution d'accords d'intégration économique régionale et d'unions douanières, dès lors que les droits de douane et les autres réglementations commerciales restrictives sont éliminés « pour l'essentiel des échanges commerciaux ». D'autre part, le délai de réalisation « raisonnable » d'une zone d'intégration régionale est fixé à dix ans par le Mémorandum d'Accord sur l'interprétation du GATT.

Dans le cas de l'institution d'un tarif douanier commun établi au titre d'une union douanière, les nouveaux droits constitutifs de ce tarif ne doivent pas être « dans leur ensemble...d'une incidence générale plus élevée » que ceux en vigueur auparavant dans chacun des pays participant à l'union (article XXIV (5) a)).

Enfin, si l'établissement du tarif extérieur commun entraîne des rehaussements des droits figurant dans les listes de concessions notifiées à l'OMC, les parties doivent aboutir à des compensations satisfaisantes ; dans le cas contraire, les pays « lésés » peuvent effectuer des retraits de concessions « substantiellement » équivalents.

Ces deux dernières règles peuvent empêcher la constitution de marchés communs régionaux dont les productions agricoles seraient abritées, à des fins de sécurité alimentaire, par des protections tarifaires plus élevées que celles initialement notifiées à l'OMC.

A cela, s'ajoute le principe de tarification des mesures de protection à l'importation établi par l'Acte final de Marrakech, qui impose la transformation des prélèvements variables en droits de douane fixes.

Ces obstacles juridiques impliquent donc de négocier à l'OMC une dérogation.

Les membres craignant une telle évolution, car elle pourrait signaler un retour vers des pratiques protectionnistes, devraient être rassurés par les deux conditions suivantes, qui seraient attachées à l'obtention de cette dérogation :

- la dérogation ne sera accordée que sur une base temporaire : il ne s'agit pas d'exclure définitivement des pays du libre-échange, mais de leur donner le temps nécessaire pour participer à ce dernier, sans que cela implique de sacrifier un secteur économique indispensable à leur développement ;

- la dérogation doit être ciblée, afin de ne bénéficier qu'aux pays pauvres à déficit vivrier identifiés par la FAO : elle ne doit concerner ni les pays développés, ni les pays émergents, ni tous les autres pays disposant des moyens de participer à l'échange international. Le respect de cette condition est particulièrement important pour l'institution d'une exception alimentaire « réaliste » à l'OMC : pour que celle-ci ait un sens, elle ne doit être réservée qu'aux pays qui en ont vraiment besoin.

Le rapporteur estime que le combat en faveur de l'exception alimentaire peut être gagné si l'Union européenne et ses partenaires ACP forment un front commun pour défendre cet objectif dans le cadre du cycle de Doha et utilisent à cette fin le volet commercial de la Convention de Cotonou.

3) Une stratégie à développer avec les pays ACP dans le cadre de la Convention de Cotonou

La Convention de Cotonou, signée le 23 juin 2000 entre l'Union européenne et ses Etats membres et les 77 pays ACP, vise à encourager l'intégration régionale entre les pays ACP, en vue de faciliter la négociation d'accords de libre-échange entre ces regroupements et l'Europe, dits « accords de partenariat économique » (APE).

Les négociations ont commencé officiellement le 27 septembre 2002 pour permettre l'entrée en application des APE le 1er janvier 2008 au plus tard, les préférences tarifaires de Lomé pour tous les ACP étant maintenues jusqu'en 2008 grâce à une dérogation accordée par la Conférence ministérielle de l'OMC de Doha. Les APE seront mis graduellement en place pour aboutir à des zones de libre-échange au plus tard en 2020.

Lors de leurs entretiens avec le rapporteur, plusieurs interlocuteurs ont déploré que cette grande négociation ne mobilise pas toute l'énergie qui serait nécessaire pour la mener à bien, alors qu'elle constitue une démarche de partenariat Nord/Sud exemplaire, fondée sur un libre-échange maîtrisé et donnant à l'Afrique une chance, peut-être unique, pour sortir de son sous-développement.

En effet, l'objectif paraît trop éloigné, voire hors de portée pour certains pays africains, qui souffrent de la persistance de conflits ou de troubles politiques et de l'absence de circuits économiques entre pays voisins.

Il existe actuellement plusieurs zones économiques régionales au sein des pays ACP (14). Ces regroupements sont peu structurés, dans la mesure où ils ne reposent pas sur de véritables marchés communs. Ainsi, en Afrique, l'Union économique et monétaire Ouest africaine dispose d'un droit de douane commun, mais l'argent collecté n'est pas redistribué entre les pays membres pour financer des politiques communes (1 % de ce dernier sert à financer les dépenses de fonctionnement des institutions de l'union). Tel est aussi le cas de la COMESA. Quant à la Communauté économique des Etats de l'Afrique occidentale (CEDAO), elle négocie depuis peu l'établissement d'un tarif extérieur commun. Seule l'Union douanière Sud-Africaine (SACU) a mis en place une clef de répartition de l'argent collecté par son tarif extérieur commun.

L'histoire de la construction européenne démontre cependant que la volonté politique peut renverser les obstacles au rapprochement de pays traditionnellement antagonistes, à condition de recevoir aussi le soutien solidaire des pays les plus avancés. Aussi, l'Union européenne doit-elle mettre en place une enveloppe pour aider les pays ACP à faire tomber les entraves au commerce intra-zone qui soit plus substantielle que le fonds de 20 millions d'euros prévu à cet effet par la Convention de Cotonou.

Sur le plan agricole, le cadre fixé par l'accord de Cotonou est le plus approprié pour promouvoir la constitution de marchés communs régionaux homogènes, car il a précisément pour objectif d'établir des unions douanières, dotées d'un tarif extérieur commun, entre pays ACP.

Lors d'un entretien à Bruxelles, le directeur en charge des questions commerciales agricoles à la direction générale du commerce de la Commission européenne, M. Karl Falkenberg, a convenu avec le rapporteur, qu'il faut utiliser les négociations prévues par l'accord de Cotonou pour travailler à l'instauration d'une protection temporaire à la frontière permettant aux pays africains de développer leur agriculture. Il a considéré toutefois que la fixation du niveau de protection adéquat constitue un exercice délicat : un niveau trop élevé empêchant toute importation aurait pour effet de développer la contrebande. D'autre part, le niveau de protection doit tenir compte de la quantité réelle de production agricole pouvant être développée et de la capacité ultérieure d'industrialisation de la région. Enfin, il doit empêcher la constitution de rentes de situation, bénéficiant à des producteurs peu efficaces.

En ce qui concerne les risques de compensations à offrir aux pays tiers en cas de relèvement de droits de douane liés à l'institution d'un tarif extérieur commun, M. Karl Falkenberg a considéré qu'ils sont limités, car cette « déconsolidation » ne concernera que des pays à faibles revenus et n'aura, sans doute, qu'un faible impact sur les échanges : il sera donc politiquement difficile pour un pays développé ou émergent de vouloir la contester à l'OMC.

A terme, le rapporteur estime que cette stratégie d'intégration régionale doit déboucher sur la mise en place d'une union monétaire africaine, à partir de la zone franc. Celle-ci rassemble la France et les quatorze Etats de l'UEMOA et de la CEMAC autour d'une monnaie commune, le Franc CFA, et bénéficie d'une garantie de change apportée par le trésor français, qui assure la libre convertibilité du franc CFA, la fixité des parités et le libre transfert des capitaux à l'intérieur de la zone. Avec le passage à l'euro, les parités fixes du franc CFA sont maintenant définies par rapport à la monnaie commune européenne. Il serait souhaitable, pour la stabilité monétaire du continent et le développement du commerce intra-africain, que la création d'une zone euro élargie, fonctionnant selon les mêmes principes de la zone franc, soit encouragée.

4) Des préférences commerciales en faveur de l'Afrique à sécuriser

Au cours des dernières décennies, les préférences commerciales accordées aux pays les plus pauvres ont perdu progressivement de leur importance, en raison des baisses de droits négociées lors des cycles successifs.

Par ailleurs, leur impact positif sur le développement est contesté.

C'est particulièrement le cas pour les plus généreuses d'entre elles, les préférences de Lomé : celles-ci n'ont pas empêché les pays ACP de voir régresser leur part de marché dans l'Union européenne. En effet, alors que le régime commercial en faveur de ces pays permet à 99 % de leurs produits d'entrer sans droits de douane et de quotas sur le marché communautaire, la part de ces produits dans les importations européennes représente, aujourd'hui, seulement 3 % du total, contre 8 % au cours des années 1970.

Selon les experts, ces préférences sont inefficaces, car elles présentent trois inconvénients majeurs. D'abord, elles dérogent au principe de la nation la plus favorisée. Ensuite, elles tendent à enfermer les pays bénéficiaires dans des spécialisations qui génèrent peu de croissance et de valeur ajoutée. Enfin, elles sont, souvent, peu ou pas utilisées.

Cependant, chacune de ces critiques peut être relativisée.

La faible utilisation des préférences résulte avant tout de leur complexité, de leur opacité et de variabilité : c'est ainsi qu'un même pays se voit appliquer des règles différentes selon les pays développés vers lesquels il exporte ses produits. La situation actuelle ne justifie donc pas la suppression de ces régimes, mais souligne plutôt l'urgence à mettre en place un régime stable, simple, homogène et prévisible.

En ce qui concerne l'impact des préférences sur l'absence de diversification des économies, s'il est difficilement quantifiable, il n'en reste pas moins limité : pour sortir d'une dépendance excessive à l'égard des produits primaires, un pays a d'abord besoin de services et d'infrastructures adéquates et d'un secteur privé disposant des ressources nécessaires, deux conditions qui ne sont pas liées à l'existence de préférences commerciales.

De plus, la suppression des préférences, avant de générer d'éventuels gains de long terme, aurait pour effet immédiat d'entraîner des pertes de revenus, qui peuvent être quantifiées, comme on l'a vu, dans le cas des ACP, avec le protocole sur le sucre.

Enfin, d'un point de vue politique, le maintien d'un régime commercial dérogatoire en faveur de l'Afrique est justifié par la situation particulière de ce continent, où la proportion des pauvres dans la population est la plus élevée. En raison de leur vulnérabilité, due à l'absence de capital, ces derniers ne peuvent ni s'exposer au risque économique, ni répondre aux nouvelles opportunités créées par la libéralisation des marchés. C'est pourquoi, pour l'Afrique, le commerce ne peut contribuer à la réduction de la pauvreté que dans la mesure où les producteurs de ce continent disposent d'un accès garanti et sécurisé aux marchés des pays riches, qui soit relativement protégé de la concurrence.

Le rapporteur soutient donc la proposition du Président de la République faite au sommet France-Afrique de février 2003, qui a été reprise par l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne et défendue, sans succès, au Sommet du G8 d'Evian de juin 2003, de faire converger pour chaque pays africain ou groupe de pays les régimes préférentiels vers un système unique de préférences, défini par les mêmes droits de douane, des quotas clairs et transparents, des durées identiques et des règles d'origine communes.

B. La démarche verticale : stabiliser les prix des produits de base

1) Une politique internationale de régulation des prix et des quantités

La régulation des marchés internationaux des produits agricoles est une condition indispensable pour aider les pays du Sud à sortir du sous-développement.

Elle permet de corriger les effets négatifs de la dépendance de ces pays vis-à-vis des produits primaires, tout en créant les conditions d'un commerce équitable, qui garantisse un prix de marché couvrant les coûts de production.

Mais alors même que « l'affaire du coton » a marqué le début de la prise de conscience internationale de la nécessité d'adopter des mesures fortes dans ce domaine, la réflexion sur le sujet fait toujours preuve d'une grande timidité.

Le 27 septembre 2002, le Brésil, par solidarité avec les pays africains producteurs, a déposé une plainte devant l'Organe de règlement des différends de l'OMC contre les subventions accordées par les Etats-Unis à leurs cultivateurs de coton. Le 30 avril 2003, le Burkina Faso, au nom des pays producteurs d'Afrique de l'Ouest, a déposé à l'OMC une initiative demandant que la Conférence de Cancún établisse un mécanisme de réduction progressive des soutiens des pays développés à la production et à l'exportation de coton, en vue de son élimination complète.

Les Etats-Unis ayant refusé, lors de la Conférence, de faire un geste dans ce sens et soutenu une proposition d'accord sur le coton qui se contentait d'appeler les pays concernés à diversifier leur économie, ces derniers ont contribué, par leur position concernant d'autres sujets de négociations, à faire échouer la réunion ministérielle de Cancún.

Aux yeux du rapporteur, cet échec aurait dû conduire les négociateurs à changer leur approche des négociations agricoles : la question du prix des produits de base ne doit pas être traitée de manière incidente par rapport à l'objectif traditionnel de baisse des droits de douane et des aides agricoles, mais perçue comme étant révélatrice des dysfonctionnements des marchés agricoles mondiaux devant être impérativement corrigés dans le cadre du cycle de Doha.

Pourtant, si la question du prix des produits de base est revenue à l'ordre du jour, elle ne donne lieu à aucune proposition d'ensemble concernant l'établissement de disciplines à l'égard des facteurs, l'offre et la demande, qui en déterminent l'évolution.

La Commission européenne a indiqué qu'elle transmettrait au Conseil et au Parlement européen d'ici la fin janvier 2004 deux communications sur le commerce des produits de base, la dépendance et la pauvreté, l'une générale, l'autre portant spécifiquement sur le coton.

A l'initiative du Président de la République, le Sommet du G8 d'Evian de juin 2003 a abordé le problème du prix des produits de base. La France avait auparavant défendu, en février 2003, une initiative pour l'Afrique dont l'un des volets vise à instituer un groupe d'experts chargés de réfléchir sur les mécanismes susceptibles d'assurer une protection des pays africains face aux fluctuations des cours des matières premières. A Evian, elle a proposé aux autres pays du G8 d'appuyer une telle démarche, mais la déclaration adoptée à l'issue du sommet a simplement reconnu que les chocs affectant le marché des produits de base et ceux liés aux conditions météorologiques sont un défi pour les pays pauvres en général, et les Etats africains en particulier. Ce document salue par ailleurs les efforts de la Banque mondiale pour examiner les bénéfices potentiels que pourraient avoir des mécanismes de marché effectifs pour atténuer l'impact de ces chocs.

De son côté, la CNUCED a organisé une réunion de personnalités sur les questions relatives aux produits de base, qui a adopté, en septembre 2003 un rapport, contenant plusieurs recommandations pour remédier aux problèmes posés par une offre excédentaire de ces produits. La proposition de long terme la plus importante concerne la « diversification vers d'autres activités productives offrant une meilleure rentabilité », qui serait aidée financièrement par la communauté internationale. S'agissant des mesures de court terme pouvant être prises pour réduire les quantités mises sur le marché, elles pourraient « comprendre des mécanismes producteurs-consommateurs, des mesures prises conjointement par les seuls producteurs, et des mesures nationales ». Les pays producteurs en situation de surproduction sont invités à prendre des mesures nationales, comme par exemple, la taxe appliquée par la Malaisie sur la production d'huile de palme en cas en période de prix élevés, qui est utilisée en période de prix faibles pour subventionner des utilisations non traditionnelles de ce produit.

Le rapport de la CNUCED sur les PMA pour l'année 2002 contient également des recommandations sur l'élaboration d'une « politique internationale pour les produits de base ». Le premier volet de cette politique concerne l'accroissement de la capacité d'offre des producteurs, afin que les produits exportés le soient dans des quantités intéressant les acheteurs et obéissent aux critères de qualité des consommateurs, ce qui requiert une assistance technique et financière accrue de la part des organisations internationales en direction des PMA très dépendants vis-à-vis d'un produit de base. Le deuxième volet consiste à promouvoir des accords entre les acheteurs et les vendeurs, qui reposent sur des engagements de long terme et non plus sur des opérations effectuées de manière quotidienne. Les Etats doivent développer à cet effet des mécanismes incitatifs, de même que les entreprises et les associations doivent œuvrer de concert pour encourager un tel « commerce équitable ». Le dernier volet a pour objet de réguler l'entrée de nouveaux producteurs sur des marchés déjà saturés : des consultations entre les organisations internationales, les organismes compétents pour les produits de base et les Etats devraient avoir lieu pour inciter les producteurs à sortir de ces marchés, afin de développer des productions plus rentables. Une aide serait versée aux pays cultivant des productions qui entraînent des frais fixes importants, afin qu'ils puissent surmonter les obstacles posés à leur sortie du marché.

Toutes ces pistes sont intéressantes, mais il est frappant de constater combien ces recommandations s'apparentent à des incantations tant elles sont dépourvues de propositions concrètes, susceptibles d'être mises en pratique sous l'autorité et avec l'appui de la communauté internationale. De plus, lorsqu'elles sont mises bout à bout, elles ne parviennent pas à poser les jalons d'une politique globale, cohérente et durable de régulation des marchés des produits primaires.

L'ambition et la démarche du rapporteur sont autres : il s'agit de mettre en place un système de gestion de l'offre et de la demande qui s'inspire de mécanismes ayant fait leur preuve et qui tienne compte à la fois de la volonté des pays industrialisés de maintenir leurs aides agricoles et du souci d'assurer pour les pays vulnérables de développer leur agriculture. L'exemple du coton témoigne de la nécessité de prendre en compte cette double exigence.

Cette démarche verticale de régulation des apports de produits vient compléter tout naturellement la stratégie horizontale d'organisation des échanges par grands marchés régionaux, analysée précédemment.

Elle consiste à élaborer des accords entre pays exportateurs, s'appuyant sur des moyens classiques utilisés par tout pays ou groupes de pays désireux d'organiser un secteur de production agricole. Cet « OPEP des produits agricoles », à mettre en place produit par produit, reposerait sur :

- une politique commune de stockage, afin de pouvoir réguler l'offre globale et de stabiliser ainsi les cours. Cela impose des investissements pouvant être co-financés par les pays consommateurs directement concernés par le stockage, celui-ci permettant d'éviter une offre trop abondante (qui fait effondrer les cours) ou trop faible (qui pousse les prix à la hausse) ;

- une gestion multilatérale de l'aide alimentaire, afin de faire face à des situations exceptionnelles d'urgence et de la contrôler de telle manière qu'elle ne vienne pas se substituer au potentiel de production existant et perturber les échanges commerciaux ;

- une discipline des marchés internationaux, les répartissant selon des critères géographiques, en accordant la préférence mais non l'exclusivité aux échanges de proximité ;

- une recherche commune pour le développement de l'utilisation non alimentaire des produits agricoles ;

- une maîtrise concertée de la production, qui constituerait la solution ultime, à ne mettre en œuvre que de manière conjoncturelle ou lorsque toutes les autres mesures ont été épuisées. Il conviendrait pour cela de trouver un critère adéquat de répartition des efforts entre pays producteurs et de déterminer un système de sanctions à l'égard des pays refusant de participer à un tel accord d'autorégulation.

Ce nouvel ordre agricole international aurait deux retombées extrêmement positives pour les pays en développement. D'abord, il aiderait ces pays à redresser progressivement leur balance commerciale et leur pouvoir d'achat. Ensuite, il permettrait d'assurer une réduction durable de la dette, en s'attaquant directement aux causes de celle-ci plutôt que de s'attacher, par des moyens techniques limités, à pallier ses conséquences.

*

* *

Le rapporteur tient à souligner que ces démarches qui doivent être entreprises par les pays du Sud, et plus particulièrement par l'Afrique, ne constituent pas des innovations. Elles ne dérogent pas non plus aux principes de l'économie libérale : de fait, elles s'inspirent de mécanismes couramment utilisés dans le cadre d'un marché concurrentiel et réglementé.

En effet, de telles démarches ont déjà été engagées au niveau européen et national.

La première est le regroupement de l'offre, pratiqué en France par les coopératives, qui s'organisent entre elles pour mieux négocier sur le marché.

Sur le plan international, cette méthode a été utilisée par l'Association des producteurs de café, qui a échoué en raison des déséquilibres apparus sur le marché avec la montée en puissance du Vietnam, devenu en dix ans le deuxième producteur mondial, grâce à une aide apportée par le FMI, et des troubles survenus en Côte d'Ivoire. Un mécanisme de ce type a failli être mis en place pour le cacao, mais s'est heurté à l'hostilité des pays anglo-saxons.

La deuxième démarche est assimilable à « l'interprofession », qui regroupe les acteurs d'une filière autour d'une politique de contrôle de la production, de la quantité et de la qualité des produits mis en vente, et d'accords déterminant des fourchettes de prix et des modalités de répartition de la plus-value.

Ces pratiques sont mises en œuvre, dans les pays en développement, par les associations de commerce équitable, qui permettent aux producteurs de s'adjuger une part plus élevée de la valeur ajoutée. Dans le secteur du café, l'ONG Oxfam indique que 200 coopératives regroupant 675 000 agriculteurs et 350 sociétés appliquent les principes du commerce équitable, tels que définis par la Fair Trade Labelling organisations International, et qui exigent des différents acteurs de la chaîne de production de travailler de manière concertée et transparente. Grâce à des engagements de long terme conclus entre les producteurs et les sociétés vendant le produit fini, les coopératives d'agriculteurs en Ethiopie peuvent obtenir, par exemple, jusqu'à 70 % du prix d'exportation du café vendu selon les conditions du commerce équitable, contre 30 % seulement pour les producteurs qui opèrent sur le marché libre.

Les règles de l'OMC doivent donner force de loi à ces démarches : si ces dernières ne sont pas validées et soutenues par la communauté internationale, elles sont vouées à l'échec, comme le montre l'exemple de l'Association internationale des producteurs de café, ou limitées dans leur développement, à l'image du commerce équitable.

Les solutions pour sortir les négociations agricoles de l'impasse et relever le défi alimentaire existent donc : tout se résume à une question de volonté politique et de gouvernance économique, une organisation horizontale et verticale des marchés agricoles ne pouvant être efficace qu'avec l'adoption de politiques macro-économiques saines et crédibles, reposant sur une gestion rigoureuse des deniers publics.

2) Des actions complémentaires à mener

a) Aider les pays exportant des produits de base à dégager de la valeur ajoutée

Une politique globale et cohérente d'appui aux pays en développement dépendants vis-à-vis des produits de base implique l'adoption de mesures permettant à ces derniers de participer plus activement aux stades de la commercialisation et de la distribution de ces produits, où se concentre une proportion de plus en plus élevée de la valeur ajoutée.

Selon la CNUCED, les organisations internationales compétentes pour les différents produits de base devraient étudier la capacité des pays producteurs à entrer dans ces étapes de la chaîne de fabrication, en identifiant les barrières qui peuvent être éliminées par la négociation ou surmontées par une aide financière ou technique. Après cet exercice d'évaluation, la communauté internationale soutiendrait les efforts des exportateurs pour dégager une part plus importante de la valeur ajoutée comprise dans les produits finis.

Par ailleurs, le groupe de personnalités institué par la CNUCED pour faire des recommandations sur les marchés des produits de base, estime que la diversification des capacités de production vers des activités à valeur ajoutée dans ce secteur et en dehors de ce secteur constitue la solution de long terme la plus efficace pour réduire la pauvreté. La capacité des pays à échapper de leur dépendance vis-à-vis de ces produits devrait être améliorée par un financement international de leurs efforts, qui soit assuré par un « Fonds international de diversification des exportations ». Ce dernier contribuerait en particulier à la création de fortes associations de producteurs, au développement des infrastructures essentielles et stimulerait les investissements, en fournissant, par exemple, du capital-risque ou une compensation temporaire en cas de faibles infrastructures.

b) Aider les petits agriculteurs à s'organiser et protéger leurs revenus

Le premier droit des agriculteurs est de pouvoir posséder la terre qu'ils exploitent. Il n'est toujours pas reconnu dans certains pays en développement, où le combat en faveur d'une répartition plus équitable des terres demeure une priorité, aux conséquences parfois dramatiques.

Tel est le cas du Brésil, où 46 % des terres sont détenues par 1 % des propriétaires et où, selon le rapport Human Rights Watch World Report de 2003, 1 548 ouvriers agricoles ont été tués à l'occasion de différends sur le partage des terres.

Le partage équitable de la terre demeure un enjeu d'autant plus fondamental pour le Sud, qu'il améliore les performances et la production agricoles, ainsi que le revenu par habitant. Selon le PNUD, la redistribution des terres à Piaui au Brésil a permis de faire progresser les rendements agricoles de 10 à 40 % sur les terres non irriguées et de 30 à 70 % sur les terres irriguées. De son côté, le Salvador, en augmentant de 10 % le nombre d'agriculteurs propriétaires de leurs terres, a augmenté son revenu par habitant de 4 %.

Une autre mesure de justice consiste, pour les personnes les plus démunies, à mettre à leur disposition des ressources collectives : ainsi, le Brésil, le Cameroun, la Gambie, l'Inde, le Népal et la Tanzanie ont confié des terres appartenant au domaine public à des communautés autochtones, selon un système d'usufruit ou de cogestion. Le PNUD estime que la reconnaissance des droits des populations autochtones et de l'occupation collective, ainsi que la rationalisation du régime de propriété des terrains boisés, permettraient d'améliorer la vie de millions d'habitants des zones forestières.

Par ailleurs, il ne peut y avoir d'organisation des marchés agricoles dans les pays pauvres sans une profession structurée.

La constitution d'organisations de petits producteurs est en outre indispensable à la création d'un rapport de force favorable à ces derniers face aux acheteurs, ainsi qu'aux fournisseurs d'intrants et de produits financiers.

Elle permet aussi d'améliorer la formation, le contrôle de la qualité et la certification des productions, le savoir-faire, l'information et de développer la capacité à fournir des quantités suffisantes pour répondre aux besoins des chaînes de ventes au détail.

La coopération agricole peut jouer, dans ce domaine, un rôle fondamental : les organisations professionnelles agricoles des pays développés doivent utiliser leur expérience pour accompagner les paysans du tiers monde dans la maîtrise de leur métier. Cet objectif est poursuivi, en France, par l'AFDI (Agriculteurs français et développement international), une association créée en 1975 pour établir des liens directs avec les agriculteurs du Sud et mettre en œuvre des projets pour améliorer les conditions de vie et de travail de ces derniers.

A cet égard, le rapporteur tient à saluer ici les efforts des ONG et des associations de terrain, qui aident concrètement les agriculteurs du Sud à produire et à s'organiser. L'action quotidienne de ces dernières vaut bien plus que le discours biaisé de certaines grandes ONG, qui pour développer l'agriculture du Sud proposent d'exposer tous les paysans du monde au grand vent du libre-échange généralisé...Elle mériterait d'attirer l'attention et le soutien des médias, trop portés à relater des opérations humanitaires ponctuelles et spectaculaires.

Mais il est évident aussi que si les mini projets ainsi soutenus sont la clef du développement agricole, leur efficacité et leur pérennité dépendent de la qualité de l'environnement macroéconomique qui saura les protéger des perturbations du commerce international décrites plus haut.

Le renforcement des droits et du pouvoir des petits agriculteurs doit s'accompagner de la mise en place d'instruments permettant de protéger le revenu agricole contre les effets d'une chute ou de la fluctuation des prix.

Certes, les producteurs peuvent chercher à limiter, par leurs propres moyens, l'impact de ces variations de prix, en ayant recours, en plus de la culture des produits de base, à la transformation des produits agricoles à petite échelle. En Afrique subsaharienne, on estime que 60 % de la main d'œuvre agricole tirent une partie de ses revenus de la transformation de denrées vivrières (millet, pâte d'arachide et noix de cajou par exemple) à petite échelle. Cette activité, qui ne requiert ni capitaux, ni technologies, est particulièrement adaptée à la réduction de la pauvreté résultant de la dépendance vis-à-vis des produits de base : elle offre, en effet, des possibilités de vente sur le marché local, voire national ou régional, générant des revenus complémentaires pour les familles. Les agriculteurs cherchant à développer ces activités pourraient être incités à le faire au moyen de mécanismes de micro-crédit.

Mais cette stratégie de diversification est insuffisante pour lutter contre les effets de l'instabilité des prix : elle doit être complétée par un cadre financier et réglementaire soutenu par la puissance publique.

La Commission européenne, dans un document de travail sur le commerce des produits agricoles de base du 13 août 2003, préconise une assistance à l'établissement de liens directs entre les producteurs et leurs organisations et les fournisseurs d'instruments financiers permettant de réduire ou d'éliminer les risques de fluctuation de prix par des opérations de couverture à terme (contrats du marché hors-cote, contrats standardisés comme les securities, recours à des assureurs comme intermédiaires pour les utilisateurs des contrats standardisés).

Un tel outil existe déjà ; il est géré par le groupe de travail international sur les risques associés aux produits de base de la Banque, qui a été institué en janvier 1999. Ce dernier a pour mission de rapprocher les acheteurs potentiels, dénommés les mécanismes de transmission locaux (MTL), des fournisseurs d'instruments financiers. Les MTL peuvent se constituer en coopérative, en institution financière ou en négociant, afin d'acheter une police d'assurance de prix auprès d'un fournisseur international. La Banque mondiale fournit une assistance technique à ces mécanismes qui, dans une opération de couverture de risque de prix, versent une prime pour bloquer un cours donné à une date déterminée (le prix d'exercice). Ils perçoivent une compensation lorsque le cours sur la bourse à la date d'échéance est inférieur au prix d'exercice, tandis que la prime est perdue lorsque le cours est supérieur. Ainsi, trois pays africains, l'Ouganda, la Tanzanie et le Nicaragua, ont reçu une aide de la Banque mondiale, qui leur a permis de souscrire avec succès à une couverture du risque de prix.

Ces opérations doivent être étendues à d'autres pays dépendants vis-à-vis des produits de base, ce qui implique d'établir des partenariats entre les banques locales, qui seraient responsables du risque commercial et d'entreprise et de la gestion des opérations, et les banques internationales, responsables de la fourniture des fonds.

Par ailleurs, la Commission européenne estime que la protection du revenu des producteurs pauvres face aux chocs de prix implique la mise en place, par les gouvernements, de « filets de sécurité », c'est-à-dire d'aides compensatrices, ce qui suppose le respect des règles essentielles de transparence et de bonne gouvernance.

De son côté, le groupe de personnalités de la CNUCED sur les marchés des produits de base estime que les efforts visant à améliorer la gestion des risques de prix par des systèmes d'assurance doivent être soutenus par l'aide publique au développement, ainsi que par les programmes de réduction de la pauvreté élaborés avec l'appui financier de la Banque mondiale et du FMI.

Enfin, la garantie de conditions de vie équitables pour les petits agriculteurs impose de développer la responsabilité sociale des entreprises multinationales. Celles-ci ne doivent pas avoir un comportement de « prédateur » par rapport aux pays producteurs de matières premières, mais doivent contribuer au développement humain de ces derniers, en offrant de bonnes conditions de travail, en stimulant les transferts de technologie et en alimentant les recettes fiscales locales. Du point de vue des pays en développement, la politique la plus adaptée consisterait à encourager ces entreprises à venir s'implanter dans les pays producteurs et à établir une relation de confiance avec les fournisseurs, dans le cadre de contrats qui ne soient pas défavorables aux agriculteurs. Quoi qu'il en soit, le respect des lignes directrices de l'OCDE de 2000 relatives aux sociétés multinationales, d'une part, et l'élaboration de codes de conduite volontaires prévoyant une rémunération adéquate des agriculteurs, d'autre part, doivent devenir la règle.

c) Renforcer les allègements de dette

Les efforts d'allègement de la dette doivent être davantage adaptés à la situation des pays exportateurs de produits de base, en particulier pour les PMA et les pays pauvres très endettés.

La France soutient au FMI et à la Banque mondiale, dans le cadre de la mise en œuvre de l'initiative PPTE, une proposition de modification de la méthodologie du calcul des allègements additionnels de dette au point d'achèvement, afin de rendre éligibles un plus grand nombre de pays et de renforcer le soutien apporté. La solution envisagée, initialement formulée par le Royaume-Uni, consiste à analyser la soutenabilité de la dette non pas, comme aujourd'hui, après la mise en œuvre des allègements réalisés par certains créanciers sur une base bilatérale, mais avant la prise en compte de ces allègements bilatéraux, qui dès lors se révéleraient effectivement additionnels.

Le PNUD défend, quant à lui, des propositions plus novatrices, qui vont au-delà des aménagements techniques actuellement débattus au sein des institutions financières internationales.

Une proposition du Center for Global Development de Washington recommande de mettre une place une flexibilité supplémentaire pour les PPTE exposés aux catastrophes naturelles et aux chutes des prix des matières premières qu'ils exportent : si un choc porte le service de la dette au-delà de 2 % du PNB, le financement extérieur couvrirait le service de la dette au-delà de ce seuil.

Par ailleurs, la campagne Jubilé Plus a proposé un programme de restructuration de la dette, qui permettrait d'atteindre les objectifs fixés par la Déclaration du Millénaire de l'ONU. Partant du postulat que les trois parties, le débiteur, le créancier et les contribuables, devraient prendre part à la résolution de la dette, Jubilé Plus suggère que le pays débiteur puisse faire valoir que le service de la dette obère les budgets permettant de mettre en œuvre les engagements du Sommet du Millénaire et s'adresser à l'ONU, afin de demander un arbitrage transparent. Une commission indépendante, dont les membres seraient nommés à parité par le débiteur et les créanciers, serait instituée, puis aurait pour mission d'évaluer le mondant de la dette à annuler, en fonction des ressources nécessaires au pays pour atteindre les objectifs de la Déclaration. L'ONU serait ensuite chargée de veiller à ce que les fonds libérés selon cette procédure soient effectivement utilisés à bon escient.

d) Développer les transferts de technologie et les infrastructures de base

Le renforcement de la sécurité alimentaire des pays en développement passe par l'augmentation de la productivité de leurs agricultures, ce qui implique de renforcer les transferts de technologie en leur faveur.

Sur un total de 1,3 milliard d'actifs agricoles, près d'un milliard d'entre eux travaillent encore manuellement la terre. Or, la pénibilité et le rythme d'une activité qui repose encore sur la houe ou la bêche limitent considérablement la surface, soit à un hectare environ, qui peut être exploitée chaque année.

On estime en outre que 600 millions de ces agriculteurs n'ont accès à aucune sorte d'intrants (engrais ou produits de protections des plantes), ni aux variétés sélectionnées par une entreprise ou un organisme de recherche, qui sont plus performantes. En Afrique, seulement 4 à 5 % des agriculteurs utilisent les semences améliorées de la révolution verte, qui permettent de tripler la production.

Les crédits alloués à la recherche agronomique sont extrêmement faibles dans les pays du Sud : beaucoup de pays à faible revenu ne lui consacrent que 0,5 % de leur PIB agricole, réservés dans leur quasi-totalité aux terres de qualité supérieure et aux cultures commerciales.

Il n'est pas étonnant que, dans ces conditions, le rendement obtenu dans ces pays soit de l'ordre de dix quintaux d'équivalents céréales par hectare et par an, tandis qu'il atteint en France un peu moins de cent quintaux par hectare.

Il faut lever ce verrou de l'archaïsme, avec l'appui des pays développés et des organisations internationales : ces derniers doivent fournir ou financer l'achat des moyens techniques indispensables à la modernisation des agricultures vivrières du Sud.

Dans cette perspective, le PNUD indique que la recherche doit se concentrer en priorité sur les variétés de culture à haut rendement, résistantes à la sécheresse et aux nuisibles, comme le sorgho, le manioc ou les lentilles, les sources d'énergie non polluantes pour les populations rurales qui utilisent du bois ou du fumier et des ordinateurs sans fil bon marché, alimentés par batterie, pour les zones rurales dépourvues d'électricité et d'infrastructures de télécommunication.

La mise au point d'organismes génétiquement modifiés (OGM), qui puissent résister à des conditions climatiques difficiles, doit constituer une autre priorité publique internationale. Bien entendu, l'accroissement de l'effort de recherche dans ce domaine doit s'accompagner de la réaffirmation claire du principe selon lequel l'utilisation de ces produits ne peut résulter que du choix souverain de chaque pays et ne doit obéir, s'agissant des règles d'étiquetage, de traçabilité et de précaution, qu'à une réglementation élaborée dans un cadre multilatéral, qui assure la participation de tous les pays à la négociation, à savoir le Codex alimentarius de la FAO.

En outre, les dispositions de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l'OMC relatives aux transferts de technologie doivent être suivies d'effet, ce qui n'est pas encore le cas. En principe, les pays développés « offriront des incitations aux entreprises et institutions sur leur territoire, afin de promouvoir et d'encourager le transfert de technologie vers les pays les moins avancés pour leur permettre de se doter d'une base technologique viable » (article 66 : 2 de l'accord). Mais l'accord donnant peu de détails sur les mesures à adopter et restant silencieux sur la mise en œuvre de cet engagement, le PNUD demande qu'il soit renégocié, afin de rendre les dispositions relatives aux transferts de technologies opérationnelles.

Il n'en reste pas moins que par le saut technologique qu'autorisent les OGM, les pays du Sud peuvent opérer un comblement aussi rapide que spectaculaire de leur pénurie alimentaire. C'est pourquoi la fourniture de semences OGM par les pays riches pourrait constituer au profit des pays en développement une aide plus déterminante que bien d'autres types d'intervention.

Enfin, la réponse au défi alimentaire impose de renforcer les financements nationaux et internationaux des services agricoles de base.

Lors de son entretien avec le rapporteur, le directeur général de la FAO, M. Jacques Diouf, a rappelé que la première priorité des agricultures du Sud est de se doter des infrastructures indispensables à leur développement, c'est-à-dire de routes, d'entrepôts pour le stockage et d'instruments de maîtrise de l'eau.

Ce dernier point est, selon M. Jacques Diouf, le plus important : l'irrigation, qui permet d'accroître de 100 à 400 % les rendements de la plupart des cultures, constitue en effet l'une des clefs de la sécurité alimentaire. A l'inverse, l'absence d'eau ou les inondations sont à l'origine de 80 % des situations d'insécurité alimentaire. Ainsi, en Afrique, qui est à la fois le continent le plus sec et où la prévalence de la faim est la plus forte, seules 7 % des terres sont irriguées, contre 40 % en Asie, et seulement 1,6 % des réserves d'eau sont utilisées ; en Afrique subsaharienne, le pourcentage des terres irriguées est encore plus bas : 4 % seulement. La FAO estime que les financements à apporter aux projets permettant d'assurer la maîtrise de l'eau, c'est-à-dire de construire des puits, des petits barrages et des canalisations, s'élèvent, pour chaque village africain, entre 10 000 et 50 000 euros.

Aussi, l'organisation des marchés agricoles mondiaux doit-elle se doubler d'un véritable plan Marshall en faveur du développement agricole et économique du Sud. Pour bénéficier de ce plan, les pays bénéficiaires s'engageraient à respecter un programme de développement établi sous l'égide de la FAO, le financement n'étant libéré qu'au fur et à mesure de l'exécution de ce dernier, afin d'éviter les gaspillages ou les détournements de fonds. Ils recevraient en retour une aide qui ne ferait plus les frais des arbitrages budgétaires des pays développés, toujours tentés de réduire leurs dépenses extérieures.

CONCLUSION

Les solutions avancées ici procèdent d'une conviction forte, maintes fois réaffirmée par le rapporteur : la fatalité n'est pas de mise face à l'appauvrissement et à la sous-alimentation du Sud.

Ce défi requiert une réponse politique, économique et technique adaptée, qui doit être apportée de toute urgence par la communauté internationale.

Or, celle-ci pour y faire face, n'a engagé et ne propose encore que des aménagements au système en vigueur, qui n'apportent aucune réponse crédible à la pauvreté et au sous-développement.

La sécurité alimentaire exige une exception au libre-échange, à cette mondialisation comprise comme une globalisation du commerce dominée par les grandes puissances. Les clefs de cette exception alimentaire sont dans l'organisation et la régulation des marchés mondiaux, pour maîtriser l'évolution des cours, et dans les dérogations nécessaires à apporter au laminage des protections douanières de l'agriculture des pays pauvres.

L'échec de Cancún doit inciter les négociateurs à laisser de côté les querelles commerciales pour adopter des mesures qui soient à la hauteur de la dimension géopolitique des tensions nées de la persistance de la faim de masse : tout doit être mis en œuvre pour mondialiser le droit à la nourriture des citoyens et assurer des échanges agricoles équilibrés entre le Nord et le Sud.

Les négociateurs doivent sortir de l'ornière par le haut : pour cela, il convient de renoncer à la fausse alternative qui est proposée pour la relance des négociations agricoles.

D'une part, si la logique de Marrakech est préservée, la guerre des subventions aux exportations se poursuivra, en ruinant les agricultures du Sud.

D'autre part, si le libre-échange généralisé s'applique, le pouvoir vert se concentrera dans quelques mains, ce qui remettra en cause l'indépendance alimentaire de la plupart des pays.

La solution d'avenir consiste donc à instituer une exception alimentaire, qui soit la garante du droit de vivre de tous les hommes : la France, avec ses partenaires européens, a vocation à défendre cette grande ambition pour le cycle de Doha qui, renonçant au mercantilisme, doit devenir effectivement le cycle du développement et de l'agriculture.

{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie, le mercredi 21 janvier 2004, pour examiner le présent rapport d'information.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le rapporteur, en saluant son excellente connaissance des dossiers de l'agriculture et du développement. La France et l'Europe ont une responsabilité majeure à exercer en ce domaine et le rapport ouvre à cet égard des pistes intéressantes.

M. Jérôme Lambert s'est également félicité que le rapporteur n'ait pas hésité à sortir des sentiers battus pour explorer des champs de réflexion originaux. Son travail a le grand mérite de nous rappeler que l'agriculture et ses produits ne sauraient être de simples marchandises. Un seul point suscite peut-être des réserves, parce qu'il recèle sans doute une contradiction : si l'on affirme le droit des nations à une maîtrise de l'approvisionnement, est-il possible de soutenir l'introduction d'OGM dans des économies rurales qui se retrouveront ainsi sous la coupe des multinationales dépositaires des brevets ?

M. Bernard Deflesselles a repris l'idée que les pays pauvres avaient connu une baisse de leur revenu réel sous le double effet d'un renchérissement de leurs importations et d'un avilissement de leurs exportations. Il a demandé pour quels produits cette observation se vérifiait de la manière la plus évidente.

En réponse, M. François Guillaume, au sujet des OGM, a défendu l'idée qu'il ne fallait pas s'interdire de recourir à une technologie susceptible de répondre à la demande solvable et non solvable en biens alimentaires. Mais il a reconnu que cela ne devait pas conduire à une dépendance accrue des pays en développement qui devront s'approvisionner en semences auprès des multinationales. Rappelant qu'un accord avait été trouvé pour que les pays pauvres puissent accéder aux médicaments élaborés dans les laboratoires des pays développés, il a appelé à la conclusion d'une convention similaire dans le domaine des biotechnologies.

Quant à la dégradation des termes de l'échange, qui s'accélère depuis 1990, elle est due principalement au renchérissement des céréales, que les pays pauvres importent en outre dans des proportions toujours accrues. Dans le même temps, le cours de produits comme le café évolue en dents de scie. Sans mécanisme de compensation ni de régulation, les cours ne peuvent se stabiliser pour des productions sujettes à d'importants aléas climatiques alors que la demande n'est pas élastique. Seuls les spéculateurs peuvent supporter ces mouvements erratiques qui causent la ruine des producteurs.

A l'issue de ce débat, la Délégation a autorisé la publication du rapport d'information.

ANNEXES

Annexe 1 :
Liste des personnes entendues par
le Rapporteur

I. A Paris

- M. Sylvain LAMBERT, conseiller auprès du ministre de l'agriculture, de la pêche, de l'alimentation et des affaires rurales ;

- M. Nicolas de RIVIERE, conseiller auprès du ministre des affaires étrangères ;

- Mme Anne CAZALA, conseillère auprès du ministre délégué au commerce extérieur ;

- M. Claude-Marc BLANCHEMAISON, directeur général de la coopération internationale et du développement au ministère des affaires étrangères ;

- M. Francis STEPHAN, sous-directeur du développement économique et de l'environnement au ministère des affaires étrangères ;

- M. Jacques DIOUF, directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

II. A Bruxelles

- M. Joseph DAUL, président de la commission de l'agriculture et du développement rural ;

- M. José Manuel SILVA RODRIGUEZ, directeur général de l'agriculture à la Commission européenne ;

- M. Alexander TILGENKAMP, directeur général adjoint à la direction générale de l'agriculture ;

- Mme Mary MINCH, directeur des affaires internationales à la direction générale de l'agriculture ;

- Mme Florence BUCHHOLZER, direction générale de l'agriculture ;

- M. Enzo BARATTINI, directeur adjoint à la direction générale du développement de la Commission européenne ;

- M. Philippe MIKOS, direction générale du développement de la Commission européenne ;

- M. Walter KENNES, direction générale du développement de la Commission européenne ;

- M. Karl FALKENBERG, directeur des questions commerciales agricoles, accords de libre-échange, ACP, relations commerciales bilatérales à la direction générale du commerce de la Commission européenne ;

- M. Franz-Joseph FEITER, secrétaire général du COPA-COGECA ;

- Mme Florence JEANBLANC-RISLER, ministre conseiller en charge des affaires économiques et commerciales à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne ;

- M. Jean-Marc BOURNIGAL, conseiller agriculture à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne.

III. A Genève

- M. Bernard KESSEDJIAN, ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès de l'ONU.

A. Organisation mondiale du commerce (OMC)

- M. Peter THOMPSON, représentant adjoint de la Délégation permanente de la Commission européenne auprès de l'OMC ;

- M. Sun ZHENYU, ambassadeur de Chine ;

- M. Luiz Felipe de SEIXAS CORREA, ambassadeur du Brésil ;

- Mme DEILY, ambassadeur des Etats-Unis ;

- M. Tim GROSER, ambassadeur de Nouvelle Zélande ;

- M. Samuel AMEHOU, ambassadeur du Bénin ;

- Mme Yolande BIKE, ambassadeur du Gabon ;

- M. Omar HILALE, ambassadeur du Maroc ;

- M. Jaynarain MEETOO, ambassadeur de Maurice ;

- M. Philippe GROS, délégué permanent de la France ;

- M. Cédric PENNE, conseiller agricole à la délégation permanente de la France ;

- M. Franck WOLTER, directeur de la division de l'agriculture et des produits de base de l'OMC.

B. Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement

- M. Bonapas ONGUGLO, adjoint au chef de la division du commerce ;

- M. Mehmet ARDA, chef de la division des produits de base ;

- M. Lamon RUTTEN, chef de la section finances et énergie ;

- M. Norbert LEBALE, expert de la branche négociations et diplomatie commerciales ;

- M. Taisuke ITO, expert de la branche négociations et diplomatie commerciales.

Annexe-1

Annexe 2 :
Tendances de la croissance annuelle des importations de denrées alimentaires des pays en développement

(en pourcentage, 1990-2000)(*)

PAYS EN DEVELOPPEMENT (PED)

 

Catégorie d'aliments

Tous PED

PFRDV

Non-PFRDV

PMA

Pays développés

Monde

Céréales et préparations à base de céréales

3,9

2,1

5,5

3,7

-3,3

1,4

Huiles et oléagineux

10,0

12,4

7,4

8,6

2,6

6,0

Produits laitiers

3,0

4,6

2,0

0,2

3,7

3,2

Viandes et préparations à base de viande

8,5

14,1

3,9

6,6

5,3

6,6

Fruits et légumes

4,8

7,1

3,3

4,7

1,8

2,6

Sucre, total (équivalent brut)

4,7

8,0

1,3

10,0

1,3

3,0

Total

5,6

6,9

4,5

5,2

1,9

3,6

Source : Document du Comité des produits CCP 03-/10, mars 2003, FAO.

(*) Les produits individuels sont exprimés en volumes ; le total des produits alimentaires est exprimé en prix constants de 1989-91.

Annexe 3 :
Nombre de cas de hausses subites d'importations
par des pays en développement
(1984-2000)

 

Blé

Riz

Maïs

Huiles végétales

Viande bovine

Viande de porc

Volaille

Lait

Bangladesh

5

6

9

7

5

6

2

3

Bénin

6

4

3

3

6

7

8

7

Botswana

6

4

0

6

4

9

7

7

Burkina Faso

6

9

4

3

8

8

6

4

Cap Vert

3

6

3

5

7

11

10

3

Comores

4

5

4

6

5

3

11

4

Côte d'ivoire

1

4

0

9

7

7

10

3

Guinée

6

5

8

9

7

5

9

6

Guinée Bissau

6

10

2

6

6

5

9

4

Haïti

1

2

4

7

4

9

8

5

Honduras

8

5

0

8

6

8

11

3

Jamaïque

3

4

3

9

3

6

3

1

Kenya

11

3

5

7

4

6

5

4

Madagascar

8

5

7

5

3

8

5

5

Malawi

7

3

9

7

5

7

10

2

Mali

4

5

5

8

8

8

5

7

Mauritanie

5

2

4

5

4

5

9

2

Ile Maurice

2

0

2

1

7

9

6

0

Maroc

6

4

10

0

5

-

13

0

Niger

8

7

9

8

5

6

5

6

Pérou

3

4

4

4

4

9

9

6

Philippines

7

9

7

9

12

9

14

5

République dominicaine

2

-

0

3

8

6

6

3

Togo

6

8

7

7

3

3

8

5

Ouganda

10

4

8

11

4

3

2

1

Tanzanie

8

5

6

10

6

7

4

5

Zambie

4

2

4

4

8

8

5

6

Source : FAO.

Annexe 4 :
Classement des pays dépendants vis-à-vis des produits de base selon les critères de la CNUCED et de la Banque mondiale


PMA dépendants

Pays à faible revenu

(moins de 735 dollars par habitants) dépendants

Pays à revenu moyen / tranche inférieure (736 à 2 395 dollars) dépendants

Pays à revenu moyen / tranche supérieure (2 936 et 9 075 dollars)

dépendants

Bénin

Bénin

Belize

Costa Rica

Burkina Faso

Burkina Faso

Cuba

Dominique

Burundi

Burundi

El Salvador

Grenade

Ethiopie

Côte d'Ivoire

Equateur

Maurice

Gambie

Ethiopie

Fidji

Panama

Guinée-Bissau

Ghana

Guyane

St Kitts

Haïti

Gambie

Honduras

Sainte Lucie

Kiribati

Guinée-Bissau

Kiribati

 

Malawi

Kenya

Paraguay

 

Mali

Malawi

St Vincent

 

Ouganda

Mali

Swaziland

 

Rwanda

Nicaragua

Tonga

 

Sao Tomé

Ouganda

Vanuatu

 

Sierra Leone

Rwanda

   

Somalie

République démocratique du Congo

   

Tchad

Sénégal

   

Togo

Sierra Leone

   
 

Somalie

   
 

Togo

   
 

Zimbabwe

   

Annexe 5 :
Soutenabilité de la dette extérieure des PMA
exportateurs de produits de base entre 1998 et 2000
(valeur de la dette en pourcentage des exportations)

Soutenable

Insoutenable

Bhoutan (111)

Erythrée (75)

Iles Salomon (53)

Ouganda (138)

Bénin (253)

Burkina Faso (210)

Burundi (985)

République Centrafricaine (356)

Tchad (222)

République démocratique du Congo (797)

Ethiopie (343)

Guinée (286)

Guinée-Bissau (1321)

Malawi (314)

Mali (209)

Mauritanie (319)

Niger (345)

Rwanda (268)

Sao Tome e Principe (1307)

Sierra Leone (800)

Soudan (1319)

Togo (199)

Tanzanie (395)

Zambie (537)

Source : CNUCED.

Annexe 6 :
Progressivité des droits consolidés moyens de la clause NPF
(nation la plus favorisée) dans les principaux pays développés importateurs : produits agricoles sélectionnés

Produit

Primaire/degré de transformation

Droits consolidés moyens de la clause NPF (moyennes simples au niveau des positions à 6 chiffres du système harmonisé)

   

EU

UE

Japon

Canada

Cacao

Fèves

0

0

0

0

Chocolat

6,9

21,1

21,3

59,0

Café

Vert

0

0

0

0

Torréfié

0

9,0

12,0

0,4

Oranges

Fraîches

3,5

16,7

24,0

0

Jus

11,0

34,9

31,0

1,0

Ananas

Frais

1,2

5,8

12,1

0

Jus

4,1

11,6

24,3

0

Cuirs et peaux

Bruts

0

0

0

0

Tannés

3,0

5,4

23,5

6,3

Sucre

Brut

32,8

134,7

224,9

8,5

Raffiné

42,5

161,1

328,1

107,0

Source : Calculs des services de la FAO.

1 () Les autres enjeux de ces négociations agricoles ont été analysés dans le rapport d'information n° 598 « Pour une OMC respectueuse de la diversité des modèles agricoles » du rapporteur, ainsi que dans le rapport d'information n° 1012 « La Conférence de Cancún : un échec salutaire pour l'OMC ? » de notre collègue Marc Laffineur.

2 () Les PMA, ainsi classés par l'ONU en fonction d'un critère de PNB par habitant (inférieur à 765 dollars), d'un critère de qualité et d'un indice de diversification économique, sont actuellement au nombre de 49 : Afghanistan, Angola, Bangladesh, Bénin, Bhoutan, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Cap-Vert, Comores, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Gambie, Guinée, Guinée équatoriale, Guinée-Bissau, Haïti, Iles Salomon, Kiribati, Lesotho, Liberia, Madagascar, Malawi, Maldives, Mali, Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Népal, Niger, Ouganda, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République démocratique populaire lao, République-Unie de Tanzanie, Rwanda, Samoa, Sao Tomé et Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tchad, Togo, Tuvalu, Vanuatu, Yémen et Zambie.

3 () Afrique du Sud, Bangladesh, Bolivie, Brésil, Colombie, Congo, Cuba, Equateur, Ethiopie, Guatemala, Haïti, Inde, Iran, Malawi, Nicaragua, Nigeria, Ouganda, Pakistan, Paraguay, République dominicaine, Ukraine et Sri Lanka.

4 () Bhoutan, Burundi, Comores, Djibouti, Gambie, Haïti, Iles Salomon, Lesotho, Madagascar, Maldives, Mauritanie, Niger, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Samoa, Sao Tome, Sénégal, Somalie, Tanzanie, Tuvalu, Vanuatu, Yémen et Zambie.

5 () Voir l'annexe 2. La FAO dénombre 82 PFRDV, qui ont droit aux prêts concessionnels de l'Association internationale de développement du groupe de la Banque mondiale (pays dont le revenu par habitant est inférieur à 875 dollars) et connaissent une situation nette du commerce des produits alimentaires déficitaire depuis trois ans.

6 () Par hausse subite des importations, on entend une déviation positive de 20 % par rapport à une moyenne de cinq ans. Voir les exemples répertoriés dans l'annexe 3.

7 () Ces organismes sont : l'Organisation internationale du café, l'Organisation internationale du cacao, l'Organisation internationale des bois tropicaux, le Comité consultatif international du coton, le Groupe international du jute, le Conseil oléicole international, l'Organisation internationale du sucre et le Groupe d'étude international sur le caoutchouc. Ils visent essentiellement à organiser l'échange d'informations sur la production et financer certaines actions de promotion et de développement.

8 () Voir l'annexe 4.

9 () L'éligibilité à ce mécanisme est déclenchée par :

- une perte de recettes de 10 % (2 % dans le cas des PMA) des recettes d'exportation des biens par rapport à la moyenne des recettes des trois premières des quatre années précédant l'année d'application ; ou

- une perte de recettes de 10 % (2 % dans le cas des PMA) des recettes d'exportation de l'ensemble des produits agricoles ou miniers par rapport à la moyenne des recettes des trois premières des quatre années précédant l'année d'application pour les pays dont les recettes d'exportation de ces produits représentent plus de 40 % des recettes totales d'exportation de ces biens.

10 () Voir l'annexe 6.

11 () Les 37 membres sont : Australie; Barbade; Botswana ; Bulgarie ; Canada ; Taipei chinois ; Colombie ; Costa Rica ; République tchèque ; Equateur ; El Salvador ; Union européenne ; Guatemala ; Hongrie ; Islande ; Indonésie ; Israël ; Japon ; Corée ; Malaisie ; Mexique ; Maroc ; Nouvelle-Zélande ; Norvège ; Namibie ; Nicaragua ; Panama ; Philippines ; Pologne ; Roumanie ; République slovaque ; Afrique du Sud ; Swaziland ; Suisse-Lichtenstein ; Thaïlande ; Tunisie ; Etats-Unis ; Uruguay et Venezuela.

12 () Le groupe de Cairns comporte l'Afrique du Sud, l'Argentine, l'Australie, la Bolivie, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, le Guatemala, l'Indonésie, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, le Paraguay, les Philippines, la Thaïlande et l'Uruguay.

13 () Document présenté par Cuba, El Salvador, le Honduras, le Kenya, le Nicaragua, le Nigeria, le Pakistan, le Pérou, la République dominicaine, le Sri Lanka, le Venezuela et le Zimbabwe.

14 () CEDEAO : Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo).

CEEAC : Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (Angola, Burundi, Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, République du Congo, République démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tomé et Principe et Tchad).

CEMAC : Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, République du Congo et Tchad).

COI : Commission de l'Océan Indien (Comores, Madagascar, Maurice et Seychelles).

COMESA : Common Market for Eastern and Southern Africa  (Angola, Burundi, Comores, Djibouti, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Kenya, Madagascar, Malawi, Maurice, Namibie, Ouganda, Rwanda, République démocratique du Congo, Seychelles, Soudan, Zambie, Zimbabwe et Swaziland).

EAC : East African Cooperation (Kenya, Ouganda et Tanzanie).

SACU : Southern African Customs Union (Afrique du Sud, Botswana, Lesotho, Namibie et Swaziland).

SADC : Southern African Development Community (Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, République démocratique du Congo, Seychelles, Swaziland, Tanzanie, Zambie et Zimbabwe).

UEMOA : Union économique et monétaire ouest africaine (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo).

UMA : Union du Maghreb arabe (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie).

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