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N° 1480

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 mars 2004

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur le processus d'adhésion de la Roumanie
à l'Union européenne
,

ET PRÉSENTÉ

par M. Jacques MYARD,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. UN RAPPORT REGULIER DE LA COMMISSION EUROPEENNE DONNANT ACTE DES PROGRES ACCOMPLIS PAR LA ROUMANIE 7

A. Un regard critique sur l'exercice du rapport régulier 7

B. Un optimisme raisonné 8

1) La Roumanie continue de remplir les critères politiques 8

2) La Roumanie peut être considérée comme une économie de marché viable 10

3) La Roumanie a accompli des progrès constants dans l'adoption de l'acquis 11

C. Une demande justifiée quant au calendrier de l'adhésion 12

II. DES PROBLEMES MAJEURS QUE LA ROUMANIE PEUT SURMONTER AVEC L'AIDE DE LA FRANCE 15

A. L'insuffisance des capacités administratives et judiciaires 15

B. Le risque d'une économie duale 17

C. L'inadaptation de l'aide multilatérale 19

III. UNE SITUATION GEOGRAPHIQUE PARTICULIERE A PRENDRE EN COMPTE 23

A. Des progrès à accomplir pour sécuriser les frontières 24

B. La nécessité de préserver les relations régionales 25

CONCLUSION 27

TRAVAUX DE LA DELEGATION 29

ANNEXES 33

Annexe 1 : Carte de la Roumanie 35

Annexe 2 : Liste des personnes entendues par le rapporteur 37

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

« La Roumanie est assurée, en toute hypothèse, de l'agissante sympathie de la France pour ses buts essentiels »(1).

Dans une période où certains parlementaires européens tentent de tirer profit du moindre fait divers pour envisager une remise en cause de l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne, il semble indispensable de rappeler ces fortes paroles prononcées par Clemenceau juste après la proclamation de la « Grande Roumanie », et peu avant l'offensive de l'armée bolchevique hongroise.

Par la voie de ses plus hauts représentants, la France a d'ores et déjà clairement exprimé son soutien à l'adhésion de la Roumanie en 2007 et - plus encore - à la signature du traité d'adhésion en 2005 au plus tard. Ainsi, lors de la visite officielle du Président de la République Ion Iliescu du 19 au 21 novembre 2003, M. Jacques Chirac a « confirmé notre volonté de soutenir l'ambition 2004-2005 qui a été posée comme souhait ou condition par la Roumanie. La France l'aidera dans toute la mesure de ses moyens pour que ces objectifs soient atteints ».

La position française n'est pas dictée par la seule proximité historique et culturelle entretenue par nos deux pays. Elle tient compte également des progrès notables enregistrés ces dernières années par la Roumanie pour satisfaire aux critères d'adhésion.

Mon séjour à Bucarest, du 30 novembre au 3 décembre 2003, a conforté l'optimisme raisonné que la lecture du dernier rapport régulier de la Commission européenne m'avait inspiré. Il est évident que des problèmes subsistent quant aux capacités administratives de la Roumanie à assurer la mise en œuvre de l'acquis communautaire, mais la difficulté majeure des prochaines années sera plutôt le risque d'apparition d'une économie duale dans un pays qui est confronté à un véritable changement de société. Ces obstacles devraient pouvoir être surmontés avec l'aide de la France, qui pourrait également intervenir pour faciliter l'aménagement des relations susceptibles d'être nouées entre la Roumanie et certains des futurs nouveaux voisins de l'Union européenne.

I. UN RAPPORT REGULIER DE LA COMMISSION EUROPEENNE DONNANT ACTE DES PROGRES ACCOMPLIS PAR LA ROUMANIE

Même si l'exercice annuel du rapport régulier comporte quelques travers, le dernier document, publié début novembre 2003, dresse un bilan plutôt positif de l'état de préparation de la Roumanie, ce qui renforce le souhait de ce pays de disposer d'assurances formelles quant à son calendrier d'adhésion.

A. Un regard critique sur l'exercice du rapport régulier

La Roumanie a déposé sa candidature le 22 juin 1995. Depuis cette date, « l'Europe se présente sous le jour d'une immense mécanique bureaucratique, distribuant recommandations et bons points »(2). Les appréciations de l'Union européenne s'appuient essentiellement sur les « rapports réguliers » publiés chaque automne, qui soumettent chaque pays candidat à un véritable streep-tease. Toutes les actions de ces pays sont ainsi passées au crible des trois critères d'adhésion définis par le Conseil européen de Copenhague de juin 1993.

A la lecture de ces rapports, on ne peut manquer de s'interroger sur les résultats que donnerait un tel exercice appliqué à un Etat membre de l'Union européenne depuis des décennies. Qu'en serait-il, par exemple, dans le cas particulier de la France en matière de transposition de l'acquis communautaire ou d'utilisation des fonds structurels ?

Par ailleurs, ces rapports sont fortement orientés par la vision de la construction européenne adoptée par la Commission. Le rapport relatif à la Roumanie n'a de cesse de pousser à la libéralisation totale de l'économie, notamment dans le secteur énergétique, alors même que le délégué de la Commission à Bucarest, M. Jonathan Scheele, admet que la période n'est guère propice aux privatisations dans ce domaine. De la même façon, ce rapport régulier est empreint de l'approche uniforme retenue par la Commission, consistant à mettre en œuvre des normes identiques dans toutes les situations. Une telle approche n'est peut-être pas la mieux adaptée pour assurer l'intégration d'un pays ayant un niveau de développement sensiblement inférieur à la moyenne actuelle des Etats membres. Elle ne contribue pas, en tout état de cause, à la visibilité des bienfaits de l'adhésion auprès de l'opinion publique roumaine. A titre d'exemple, la volonté d'appliquer des normes sanitaires imposant l'abattage des animaux dans un lieu autorisé et après un contrôle médical rigoureux n'est pas toujours bien perçu dans un pays où il est de coutume de sacrifier le « cochon de Noël » à la ferme.

B. Un optimisme raisonné

Pour chacune des trois grandes catégories de critères pris en compte pour évaluer l'état de préparation de la Roumanie, (politiques, économiques et intégration de l'acquis communautaire), le dernier rapport régulier prend note des progrès accomplis au cours des derniers mois, progrès que le représentant de la Commission à Bucarest a pu qualifier de « fantastiques » au cours de l'entretien qu'il m'a accordé.

1) La Roumanie continue de remplir les critères politiques

Les critères politiques définis par le Conseil européen de Copenhague prévoient que les pays candidats doivent être parvenus à une stabilité des institutions garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, ainsi que le respect des minorités et leur protection.

Depuis plusieurs années, la Commission européenne estime que la Roumanie satisfait à ces critères.

Le dernier rapport régulier enregistre avec satisfaction l'adoption d'une importante révision de la Constitution en octobre 2003, introduisant les modifications nécessaires en vue de l'adhésion à l'Union européenne. Cette réforme constitutionnelle introduit notamment un titre V dans la Constitution roumaine, dont les dispositions reconnaissent expressément la primauté du droit communautaire. D'autres articles mettent la législation roumaine en conformité avec l'acquis communautaire touchant, par exemple, à la citoyenneté européenne ou à l'achat de terres par les ressortissants de l'Union. Un volet fondamental de cette révision modifie profondément le système judiciaire.

La Commission européenne se félicite également des progrès intervenus dans la protection de l'enfance. Plus de la moitié des 86 000 enfants à la charge de l'Etat sont aujourd'hui placés dans des familles. Plusieurs dizaines de grands établissements inadaptés ont été fermés et les institutions subsistant ont généralement été restructurées, ce qui permet des conditions matérielles de vie adéquates. Le rapport régulier se borne à constater que le moratoire en matière d'adoption internationale a été prolongé et ne fait donc aucune allusion aux allégations de certains parlementaires européens affirmant que ce moratoire n'a pas été respecté. Toutefois, « le fait que Bruxelles demande à la Roumanie d'interdire les adoptions internationales alors que des Etats de l'Union européenne exigent le contraire n'est pas de nature à crédibiliser l'Europe aux yeux de l'opinion roumaine »(3).

Certaines critiques figurant dans le rapport régulier ne semblent pas être des plus pertinentes. Il est ainsi reproché au pouvoir exécutif de légiférer par le biais d'ordonnances d'urgence et, dans une moindre mesure, d'ordonnances « ordinaires ». Or, la Roumanie doit assurer une intense activité législative pour, à la fois, faire évoluer un cadre juridique élaboré sous le régime communiste et l'adapter aux exigences communautaires. Le Président de la Chambre des députés, M. Valère Dorneanu, m'a ainsi indiqué que le nombre de lois adoptées chaque année varie entre 800 et 900. Le recours aux ordonnances était donc indispensable pour accélérer les procédures (la France n'hésite pas non plus à utiliser ce mécanisme pour transposer des textes communautaires). On peut néanmoins souligner que l'usage des ordonnances est moins courant ces derniers mois et que la récente réforme constitutionnelle restreint cette possibilité.

Le problème de la corruption n'est pas contestable. La Commission européenne rappelle qu'il demeure un phénomène étendu en Roumanie et qu'il touche tous les aspects de la société. Elle ajoute que le cadre juridique de lutte contre la corruption est relativement bien développé, mais que sa mise en œuvre est insuffisante. Ainsi, l'indépendance de l'Office national de lutte contre la corruption est regardée comme un sujet de préoccupation, d'autant que son efficacité opérationnelle est freinée par des graves insuffisances d'effectifs.

Ces critiques sont sans aucun doute pertinentes, et plusieurs de mes interlocuteurs ont dénoncé cette corruption généralisée, que l'on rencontre également dans certains autres Etats s'apprêtant à adhérer à l'Union européenne. Toutefois, je me dois de préciser que les hommes d'affaires français que j'ai rencontrés à Bucarest ont tenu à souligner qu'il était tout à fait possible de mener des activités économiques en Roumanie sans user de la corruption. Ils m'ont aussi indiqué qu'ils n'hésitaient pas à agir devant la justice roumaine pour faire valoir leurs droits, ce qui traduit une confiance dans cette institution que l'on ne rencontre pas dans tous les Etats de cette région.

Il faut enfin observer que certaines préoccupations demeurent quant à la liberté d'expression des médias. Le rapport régulier note que « le harcèlement des journalistes par les autorités régionales constitue un problème dans certaines parties de la Roumanie, même si le nombre de cas de harcèlement a diminué au cours de la période de référence ».

2) La Roumanie peut être considérée comme une économie de marché viable

Les autorités roumaines attendaient du rapport régulier de 2003 qu'il reconnaisse à leur pays le statut d'économie fonctionnelle de marché, accordé au voisin bulgare en 2002. Cette reconnaissance n'est pas encore intervenue, mais un compromis a été trouvé dans la formule suivante : « La Roumanie peut être considérée comme une économie de marché viable, dès lors que les progrès satisfaisants qui ont été accomplis sont poursuivis avec fermeté ».

Effectivement, la Roumanie est parvenue à de bons résultats au niveau macroéconomique. La croissance a été positive en 2003 (+ 4,3 %) pour la quatrième année consécutive. Le taux de chômage est de 8,4 % selon les critères de l'Organisation internationale du travail (OIT). Le taux d'inflation demeure élevé - de l'ordre de 16 % en 2003 - mais il régresse régulièrement depuis plusieurs années. On peut noter, à cet égard, qu'une réforme monétaire devrait être adoptée prochainement, visant à amputer l'unité monétaire nationale - le leu - de quatre zéros (aujourd'hui 1 euro s'échange contre environ 40 000 lei).

Ce pays, que le « Danube de la pensée », le « Génie des Carpates », Nicolae Ceausescu, avait doté de structures de production surdimensionnées (les diplodocus) et qui avait été contraint de vivre en autarcie pour apurer sa dette extérieure, a su rebondir et obtenir de très bonnes performances à l'exportation, dans certains secteurs manufacturiers (textile, ameublement, matériel électrique).

La part de la Communauté européenne dans le commerce extérieur roumain progresse constamment. En 2002, les exportations vers la Communauté représentaient 67,2 % de l'ensemble des exportations de la Roumanie et les importations en provenance de la Communauté équivalaient à 58,4 % de l'ensemble des importations. Ces chiffres permettent d'affirmer que l'intégration européenne est déjà réalisée au niveau commercial.

3) La Roumanie a accompli des progrès constants dans l'adoption de l'acquis

La Commission européenne constate que, si la Roumanie maintient le même rythme de progression, elle est en bonne voie pour transposer la législation requise avant la date d'adhésion prévue.

Elle observe néanmoins que la qualité de la législation transposée est inégale et que des révisions seront nécessaires dans certains cas.

Le dernier rapport régulier a été perçu comme « réaliste » et « positif » par les autorités roumaines. Il est surtout considéré comme un instrument de travail, servant de guide pour les prochaines étapes à accomplir en vue de l'adhésion à l'Union européenne. A la suite de sa publication, le ministère de l'intégration européenne a élaboré en concertation avec l'ensemble des partis politiques, syndicats et organisations patronales, un document identifiant, sous neuf rubriques, les principales priorités pour l'année 2004, désignant le ministère responsable de chacune d'entre elles et fixant un calendrier pour leur mise en œuvre. M. Vasile Puscas, négociateur en chef au ministère de l'intégration européenne, m'a indiqué que la Commission européenne serait informée de façon hebdomadaire sur l'état d'application de ce document. La Roumanie a donc parfaitement compris qu'il lui restait du chemin à parcourir pour être prête à l'adhésion. Sachant qu'il lui reste trois ans pour atteindre cet objectif, les critiques visant à remettre en cause cette adhésion dès aujourd'hui apparaissent donc inopportunes. On peut comprendre en revanche, le souhait des autorités roumaines de disposer au plus vite d'assurances formelles quant au calendrier de leur adhésion.

C. Une demande justifiée quant au calendrier de l'adhésion

La Roumanie a d'ores et déjà fermé à titre provisoire 22 des 30 chapitres en négociation. Ne restent aujourd'hui en négociation que les chapitres suivants :

- chapitre 3 : libre prestation de services ;

- chapitre 6 : politique de la concurrence ;

- chapitre 7 : agriculture ;

- chapitre 14 : énergie ;

- chapitre 21 : politique régionale et coordination des instruments structurels ;

- chapitre 22 : environnement ;

- chapitre 24 : coopération en matière de justice et affaires intérieures ;

- chapitre 29 : dispositions financières et budgétaires.

Tous les responsables que j'ai pu rencontrer m'ont fait part de leur volonté de clôturer l'ensemble des chapitres avant octobre 2004. Ils considèrent, en effet, que si les négociations devaient se poursuivre au-delà du mandat de l'actuelle Commission européenne, cette circonstance aboutirait à retarder sensiblement l'avancement des dossiers. M. Vasile Puscas, négociateur en chef au ministère de l'intégration européenne, a ainsi noté que le simple changement d'un fonctionnaire de la Commission en charge d'un dossier se traduisait généralement par un retard de six mois dans son traitement. Dès lors, l'arrivée de nouveaux commissaires, les changements de structures attendus et l'entrée en service de fonctionnaires issus des dix nouveaux Etats membres lui font craindre la perspective d'une prolongation des négociations au-delà du mois d'octobre prochain. La tenue d'élections législatives et présidentielles, à l'automne 2004, constitue également une motivation non négligeable pour les dirigeants roumains, qui pourraient utiliser la clôture de l'ensemble des négociations comme un argument électoral.

Cependant, M. Jonathan Scheele, délégué de la Commission européenne, s'est déclaré « très préoccupé » devant cette insistance à clôturer tous les chapitres en 2004. Il estime que la Roumanie ne sera probablement pas en mesure de fournir toutes les assurances nécessaires pour clôturer avant cette période le délicat chapitre « coopération en matière de justice et affaires intérieures ». Selon lui, le renouvellement du collège des commissaires européens n'est pas de nature à mettre en péril l'adhésion de la Roumanie en 2007 : ce calendrier pourra être respecté, même si les négociations s'achèvent en 2005.

Les conclusions du Conseil européen de Bruxelles du 12 décembre 2003 indiquent que la Roumanie (et la Bulgarie) « devraient poursuivre résolument leurs travaux préparatoires et réaliser des progrès supplémentaires sur le terrain de manière à ce que les négociations d'adhésion puissent être menées à bien en 2004, selon les mérites de chaque pays, et que le traité d'adhésion puisse être signé dès que possible en 2005 ». La clôture des négociations en 2004 est donc envisageable, mais il est clairement précisé qu'il sera tenu compte des progrès réalisés par le pays, ce qui n'exclut pas une prolongation jusqu'en 2005.

Tout au moins, ces conclusions ont-elles fixé pour la première fois au mois de janvier 2007 la date probable de l'adhésion à l'Union européenne. Jusqu'alors, les institutions communautaires se bornaient à évoquer l'année 2007, sans plus de précisions.

II. DES PROBLEMES MAJEURS QUE LA ROUMANIE PEUT SURMONTER AVEC L'AIDE DE LA FRANCE

Les conclusions du Conseil européen de Bruxelles soulignent que pour respecter les échéances, il est « fondamental » de hisser les capacités administratives et judiciaires de la Roumanie au niveau requis. Tout au long de son dernier rapport régulier, la Commission insiste effectivement sur cette importante lacune, qui nuit à la mise en œuvre concrète des mesures de transposition de l'acquis. Il s'agit là d'un problème, certes majeur, mais qui devrait se résoudre avec le temps et l'assistance des Etats membres, en particulier de la France.

Plus délicate à surmonter pourrait être l'apparition d'une économie duale dans les années suivant l'adhésion de la Roumanie. La France dispose également de moyens d'action pour prévenir ce danger.

A. L'insuffisance des capacités administratives et judiciaires

De façon générale, la Commission européenne considère que « la fonction publique roumaine se caractérise encore par une bureaucratie excessive, un manque de transparence et une capacité limitée de mise en œuvre des politiques. Le système judiciaire doit améliorer la gestion des affaires et la cohérence des jugements et accroître l'indépendance du pouvoir judiciaire. Ces questions cruciales doivent être examinées d'urgence ».

Ces critiques constituent un leitmotiv dans le dernier rapport régulier. Seule la Banque nationale de Roumanie semble y échapper, puisqu'il est précisé qu'elle dispose d'effectifs et de capacités administratives suffisants pour assurer l'application effective de la législation.

M. Vasile Puscas, négociateur en chef au ministère de l'intégration européenne, ne nie pas ces difficultés, mais estime que le rapport de la Commission européenne n'insiste pas suffisamment sur les réformes intervenues récemment, ainsi que sur les contraintes budgétaires imposées par le Fonds monétaire international (FMI).

Le statut des fonctionnaires a été profondément révisé en mars 2003. Il prévoit désormais que les mécanismes de recrutement doivent être fondés sur la concurrence, la transparence, le mérite professionnel et l'égalité d'accès. L'Institut national de l'administration (INA) a ouvert ses portes en octobre 2003 pour assurer la formation continue de la haute fonction publique. Parallèlement, un mémorandum adopté en décembre 2002 par le Gouvernement roumain prévoit la formation de 6 000 spécialistes dans les matières européennes d'ici à 2004. Un Comité exécutif pour l'intégration européenne a également été mis en place pour renforcer une coordination interministérielle encore embryonnaire.

Ces efforts doivent être poursuivis en 2004. Il est ainsi prévu de pourvoir aux postes vacants, de procéder à de nouvelles répartitions, de renforcer les structures de gestion des fonds communautaires Phare et ISPA et de rendre opérationnelle une agence visant à accroître le recouvrement des impôts.

Dans le domaine judiciaire, la Commission européenne note que l'indépendance du système judiciaire reste une source de préoccupation et que la formation dans des questions telles que la criminalité économique, le blanchiment des capitaux et la lutte contre la corruption reste limitée.

La révision constitutionnelle d'octobre 2003 modifie en profondeur ce système judiciaire. Les principes de séparation et d'égalité du pouvoir judiciaire par rapport à l'exécutif et au législatif sont affirmés. La Cour suprême de cassation et de justice est chargée d'assurer la cohérence de l'interprétation et de l'application du droit sur l'ensemble du territoire. Les garanties d'indépendance des magistrats sont renforcées grâce en particulier à une réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

L'ensemble de ces réformes administratives et judiciaires traduit la volonté des autorités roumaines de prendre en compte les observations qui leur ont été adressées, mais elles ne sauraient suffire à palier rapidement toutes les défaillances recensées par l'Union européenne.

La France dispose incontestablement des capacités susceptibles de soutenir la Roumanie dans ses efforts, d'autant que les structures administratives et juridictionnelles roumaines sont fortement inspirées par le modèle français.

Notre coopération s'exerce d'abord dans le contexte multilatéral communautaire. Avec 42 jumelages institutionnels dans le cadre du programme Phare depuis 1998, dont une trentaine comme chef de file, la France est le premier partenaire de la Roumanie dans le travail de pré-adhésion. Cette intervention a permis notamment de placer auprès du Premier ministre roumain
- M. Adrian Nastase - une conseillère française pour les affaires européennes, ainsi qu'un éminent conseiller pour les questions de justice (M. Pierre Truche, Président honoraire de la Cour de cassation). On peut également signaler que l'Assemblée nationale a actuellement en projet un jumelage avec la Chambre des députés de Roumanie, ayant pour objectif d'améliorer les conditions d'exercice, par cette dernière, de ses fonctions législatives et de contrôle.

Sur le plan bilatéral, l'aide de la France à la formation de l'administration roumaine recouvre diverses actions : accueil de trente Roumains à l'Ecole nationale d'administration ; soutien apporté par cette dernière au démarrage de l'Institut national de l'administration en Roumanie ; création en 2003 d'une commission mixte de coopération judiciaire et juridique ; mise en place à Gradea d'un centre de coordination des contrôles aux frontières ouvert à d'autres polices européennes...

B. Le risque d'une économie duale

L'élévation des compétences administratives de la Roumanie est un problème d'ordre culturel qui devrait se résoudre en quelques années.

Ce pays aura certainement plus de difficultés à négocier le choc économique de l'adhésion.

Il faut rappeler que le PIB par habitant atteint actuellement 25 % du niveau communautaire, même si l'on peut penser que le pouvoir d'achat officiel est probablement sous-évalué compte tenu de l'économie informelle, de l'envoi de devises et de biens par les émigrés ou encore des solidarités familiales entre les populations urbaines et rurales (à cet égard, il est significatif de constater que de nombreux crédits à la consommation - crédits qui connaissent en ce moment une « hausse exponentielle » selon le Gouverneur de la Banque nationale de Roumanie - sont accordés à des clients ayant officiellement un taux d'endettement avoisinant 70 %).

En outre, la Roumanie est le pays le moins urbanisé de l'Europe centrale et orientale (Albanie mise à part). L'agriculture représentait 37,7 % des emplois en 2002, mais, en raison du morcellement des terres lié à la restitution des parcelles confisquées sous le régime communiste, plus de trois millions d'exploitations disposent d'une superficie inférieure à 2 hectares et seront donc non viables à court terme. Ces exploitations sont en effet trop petites pour réaliser les investissements nécessaires et sont très vulnérables face aux aléas climatiques.

Il existe donc de fortes probabilités pour que l'adhésion à l'Union européenne se traduise par une forte « casse sociale » dans un premier temps, en particulier dans le monde agricole, qui devra subir en quelques années une transformation qui s'est étalée sur plusieurs décennies en Europe de l'ouest. Le risque d'une « génération de sacrifiés » n'est pas à négliger, même si la Commission européenne propose d'accorder à la Roumanie et à la Bulgarie une enveloppe de 15,4 milliards d'euros en crédits d'engagements et de 9 milliards d'euros en crédits de paiements pour la période 2007-2009 (70 % de ces fonds seront destinés à la Roumanie).

Ce danger n'est pas inéluctable si la Roumanie parvient à maintenir une croissance annuelle proche des 5 %, d'autant que ce pays dispose d'atouts incontestables.

Son principal atout est certainement le facteur humain. La Roumanie a ainsi su former d'excellents ingénieurs et techniciens dont la qualité est reconnue par les entreprises d'Europe de l'ouest ou américaines : Alcatel, par exemple, assure désormais sa maintenance mondiale à Timisoara et beaucoup de jeunes cadres roumains ont choisi de travailler à l'étranger (le roumain serait la deuxième langue parlée dans l'industrie informatique en Allemagne et la quatrième au siège central de Microsoft à Seattle). L'un des grands défis de ces prochaines années pour les autorités roumaines pourrait d'ailleurs résider dans la mise en place de politiques destinées à inciter cette diaspora à revenir pour contribuer à la consolidation de l'économie nationale.

Même dans le secteur agricole, la Roumanie n'est pas dépourvue de fortes potentialités. Il faut se souvenir que ce pays constituait le grenier à blé de l'Europe de l'entre-deux guerres et que le cours mondial du blé y a longtemps été fixé.

Là encore, la France peut jouer un rôle essentiel pour aider la Roumanie à développer son économie. D'abord parce que notre pays figure depuis 1997 au premier rang des investisseurs étrangers et que l'on recense près de 2 000 entreprises à capitaux mixtes. Ensuite, car la France est également le quatrième partenaire commercial de la Roumanie avec une part de marché de 6,4 % (ce ratio est très inférieur à ceux de l'Italie et de l'Allemagne
- respectivement 21 % et 15 % - car les PME de ces deux pays délocalisent en Roumanie une partie de leur production).

La présence française pourrait certainement être renforcée. La visite du Président Iliescu, en novembre dernier, a permis à Alstom de signer un contrat concernant l'entretien du métro de Bucarest et il faut espérer que la première réunion du forum franco-roumain économique, qui s'est tenue dans les locaux de l'Assemblée nationale à la même époque, aura favorisé d'autres échanges commerciaux.

En tout état de cause, le soutien de la France à la Roumanie doit privilégier la voie bilatérale.

C. L'inadaptation de l'aide multilatérale

Comme tous les pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne, la Roumanie bénéficie des ressources de trois instruments de préadhésion : le programme Phare (pour 285 millions d'euros), le programme Sapard destiné au développement agricole et rural (162 millions d'euros) et le programme ISPA, qui finance des projets d'infrastructure dans les domaines de l'environnement et des transports (255 millions d'euros).

Ce sont donc 700 millions d'euros qui ont été attribués à la Roumanie en 2003 au titre des programmes multilatéraux communautaires. Les ressources affectées à ces programmes devant augmenter progressivement jusqu'en 2006, le montant global prévu au titre de cette dernière année devrait s'élever à 1,2 milliard d'euros, soit la somme la plus importante accordée à un Etat non-membre de l'Union.

Pourtant la complexité de la mise en œuvre de ces fonds communautaires est notoirement connue et donne lieu à de faibles taux de consommation, d'autant plus faibles que les capacités administratives de la Roumanie sont insuffisantes. Le rapport régulier souligne, par exemple, qu'il est « urgent de renforcer considérablement la capacité d'absorption des fonds communautaires Sapard pour éviter qu'un montant important de crédits Sapard alloués en 2000 ne soit dégagé à la fin de 2004 ».

Par ailleurs, cette complexité favorise les tentatives de détournement des fonds. On peut ainsi rappeler qu'en octobre 2002, le directeur de l'agence roumaine chargée de gérer les aides du programme Sapard a été démis de ses fonctions pour « conflit d'intérêts ». De même, à l'automne 2003, la ministre de l'intégration européenne a été contrainte de démissionner, à la suite d'allégations affirmant que des membres de sa famille auraient perçu des sommes en provenance du programme communautaire Leonardo (un audit réalisé par la Commission européenne a conclu néanmoins à l'absence d'intervention de la ministre concernée).

Enfin, il est évident que la coopération multilatérale manque de transparence sur l'origine des fonds. La population roumaine ne peut pas percevoir que la France, deuxième contributeur au budget communautaire, a apporté à ce pays, en 2003, une aide de près de 140 millions d'euros sous cette forme, soit environ 20 % de l'aide totale accordée à la Roumanie. L'effort de la France se fond dans l'anonymat dévastateur pour nos intérêts du multilatéralisme européen, qui, très souvent au demeurant, privilégie les entreprises concurrentes des nôtres. Il m'a été ainsi indiqué que l'aide accordée en matière policière dans le cadre du programme Phare ne s'était traduite par aucun achat de matériel auprès des entreprises françaises.

Cela est d'autant plus regrettable que, parallèlement, les moyens de notre coopération bilatérale ont été réduits ces dernières années, passant de 10,9 millions d'euros en 1991 à 4,5 millions d'euros en 2003.

La lisibilité politique de l'action de la France gagnerait pourtant à ce que la priorité soit accordée à cette aide bilatérale.

Il importe de rappeler, à cet égard, que les échanges avec la Roumanie sont rendus plus aisés par la place de la langue française dans ce pays membre à part entière des institutions de la francophonie et qui est d'ailleurs candidat à l'accueil du XIème sommet de la francophonie en 2006. Selon le ministère des affaires étrangères, il y aurait en Roumanie 25 % de locuteurs en français et 2,2 millions d'apprenants, soit 50 % des effectifs scolarisés (contre 33 % pour l'anglais). En outre, environ 5 000 étudiants roumains seraient actuellement dans notre pays. La récente visite du Président Iliescu en France a d'ailleurs permis la signature, le 20 novembre 2003, d'une déclaration commune sur la francophonie, par laquelle les deux pays affirment leur volonté de donner un nouvel essor à la relation culturelle franco-roumaine.

Au-delà des questions culturelles, le développement de nos relations bilatérales pourrait trouver un champ privilégié dans le domaine de la santé.

Lors de mon séjour à Bucarest, j'ai d'ailleurs tenu à rencontrer M. Vasile Cepoi, secrétaire d'Etat à la santé, pour examiner la situation de la coopération bilatérale en matière médicale et envisager les moyens de la renforcer.

La Roumanie dispose d'une forte tradition en matière d'enseignement de la médecine et de nombreux médecins d'origine roumaine sont aujourd'hui installés dans notre pays, désireux d'apporter leur soutien à leur terre natale.

Selon les informations qui m'ont été communiquées, les échanges entre nos deux pays connaissent déjà un certain développement. Ils s'articulent, en particulier, autour de plusieurs jumelages entre hôpitaux, du lien entre l'Institut Pasteur et l'Institut Cantacuzène, ou encore de l'appui apporté par la mutualité du Nord pour accompagner le projet des autorités roumaines visant à créer dans ce pays un régime de mutuelle inspiré du système français. Tout récemment, la France a également participé à la création d'un SAMU social à Bucarest.

Il me semble néanmoins que cette coopération pourrait être sensiblement accrue, spécialement dans le domaine des échanges universitaires et des relations entre hôpitaux, qui, jusqu'à présent, reposent en grande partie sur des initiatives privées.

La coopération bilatérale devrait également s'intensifier en matière de migrations. Nos deux pays ont déjà signé, en octobre 2002, un accord visant à faciliter le retour des mineurs séjournant illégalement en France. Depuis 1999, la France participe également au financement de micro-projets d'entreprises créés par des Roumains déboutés du droit d'asile ou invités à quitter le territoire français. Environ 150 projets ont ainsi vu le jour et le taux de réussite est important (80 à 85 % de ces entreprises sont encore en activité un an après leur création). Pour accroître l'efficacité de ce dispositif et éviter les migrations de pure opportunité (la prime octroyée pour chaque projet est de 3 660 euros, ce qui représente une somme significative dans un pays où le salaire mensuel moyen est de 110 euros), la France souhaite mettre l'accent sur la formation professionnelle des bénéficiaires. On peut d'ailleurs indiquer que nos deux Gouvernements ont signé, fin 2003, un accord permettant à de jeunes français et roumains, âgés de 18 à 35 ans, d'exercer une activité salariée sur le territoire de l'autre Etat pendant une durée de dix-huit mois maximum. L'aide touchant à la police des frontières pourrait aussi être accrue compte tenu de la situation géographique particulière qu'occupera la Roumanie au sein de l'Union européenne.

III. UNE SITUATION GEOGRAPHIQUE PARTICULIERE A PRENDRE EN COMPTE

Bordée au nord et au nord-est par l'Ukraine et la République de Moldavie, au sud-est par la Mer Noire, au sud par la Bulgarie, au sud-ouest par l'ex-Yougoslavie et au nord-ouest par la Hongrie, la Roumanie constitue un pays de « l'entre-deux », formant une passerelle à la fois entre le Moyen-orient et l'Europe de l'Est et entre l'Europe centrale et les Balkans.

Cette position spécifique a conduit la Roumanie, qui dispose de faibles moyens militaires, à assurer sa sécurité en demandant son adhésion à l'OTAN, adhésion qui devrait être effective au printemps prochain. Les autorités roumaines sont également favorables à l'installation d'une base américaine à Constantza, au bord de la Mer Noire (mais les Etats-Unis hésitent encore entre ce site et celui de Bourgas, en Bulgarie, pour redéployer partiellement leurs troupes actuellement stationnées en Allemagne). Cette base a d'ailleurs déjà été utilisée par les Américains lors de la crise irakienne, durant laquelle la Roumanie a apporté son soutien constant à Washington (et, actuellement, près de 700 soldats roumains participent à la force multinationale en Irak). Comme me l'a précisé M. Dimitru Chirita, vice-président de la Commission pour l'intégration à l'Union européenne à la Chambre des députés, les processus d'adhésion à l'OTAN et à l'Union européenne sont perçus comme complémentaires : l'OTAN est une garantie de sécurité, tandis que l'Union européenne est un gage de prospérité. La volonté de ménager les deux parties est parfois confrontée à des difficultés : ainsi, la Roumanie a adhéré au Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale et après avoir signé un accord d'exemption avec les Etats-Unis, elle a du suspendre la ratification de cet accord à la suite de la position commune de l'Union européenne arrêtée en juin 2003.

Géographiquement, la Roumanie va acquérir une nouvelle dimension lors de son adhésion à l'Union européenne : elle constituera alors l'une des frontières extérieures de l'Union, ce qui lui confèrera des responsabilités spécifiques. Outre les questions tenant à la capacité de la Roumanie à assumer ce rôle, cette situation conduit à s'interroger sur l'évolution des relations entre ce pays et son voisin moldave en particulier.

A. Des progrès à accomplir pour sécuriser les frontières

Le ministère roumain de l'administration et de l'intérieur a approuvé en 2003 une stratégie en matière de sécurité aux frontières pour 2003-2007 et un nouveau plan d'action pour l'adoption des critères de Schengen.

Cependant, le rapport régulier de la Commission européenne se montre très critique sur l'état de préparation de la Roumanie en la matière. Il constate un grave problème de personnel lié au grand nombre de postes vacants (environ 4 300, soit 22,3 % du total) et à l'inachèvement de la démilitarisation de la police des frontières. Il souligne également la formation insuffisante des personnels et l'inefficacité de la coopération entre tous les organismes concernés. Il ajoute, enfin, que la coopération avec les Etats limitrophes demeure hétérogène en raison des relations géopolitiques dans la région (la coopération avec l'Ukraine et la Moldavie étant la moins développée).

Les informations qui m'ont été communiquées lors de mon séjour à Bucarest confirment les remarques de la Commission européenne : la police des frontières manque cruellement de moyens (certains postes frontières ne sont même pas équipés de téléphones) et la coopération avec l'Ukraine et la Moldavie est difficile à mettre en place (un centre commun a bien été créé à Galati, mais il ne fonctionne pas).

La Roumanie va certainement accentuer ses efforts dans ce domaine au cours des trois prochaines années. Toutefois, il est peu probable que son dispositif frontalier soit d'une grande efficacité en 2007 et qu'elle soit à même d'assurer pleinement les obligations de l'espace de Schengen (on peut d'ailleurs signaler que la France dirige le jumelage institutionnel concernant cette question).

Finalement, l'adhésion de la Roumanie permettra de révéler l'aspect utopique des options retenues à Schengen. Elles comportent certes de nombreuses avancées positives en matières de coopération policière, mais elles ont confondu la liberté de circulation avec l'absence de contrôles internes.

B. La nécessité de préserver les relations régionales

La Roumanie et la Moldavie entretiennent des relations ambivalentes, combinant répulsions et attractions.

La Moldavie a eu une histoire complexe entre la Russie et la Roumanie, avec laquelle sa population entretient des liens très étroits.

Le contexte post-communiste a pu laisser croire que le rattachement de l'ex-Moldavie soviétique à la Roumanie était envisageable. Le 6 mai 1990, peu avant la proclamation de la souveraineté de la Moldavie, des centaines de milliers de riverains du fleuve Prut ont ainsi eu la possibilité de franchir librement la frontière pour la première fois depuis 1945. Cette opération très symbolique aurait pu sceller le retour à la Roumanie. Mais, du côté Moldave, les dirigeants au pouvoir ne voyaient pas leur intérêt à aller dans ce sens et ont systématiquement recherché à affirmer leurs différences. En outre, les minorités russes, gagaouzes et ukrainiennes de Moldavie ont développé un nationalisme réactif, plus particulièrement en transniedstrie - région sécessionniste à majorité slave de l'est de la Moldavie - avec l'appui de la Russie présente par le biais de l'ancienne XIVe armée soviétique, qui a transformé cette zone de confins en une véritable plaque tournante de tous les trafics criminels. Du côté roumain, il a semblé plus raisonnable, politiquement et économiquement, de ne pas attiser les revendications territoriales.

Répondant aux demandes de l'Union européenne, qui désire légitimement protéger ses frontières extérieures contre les trafics précédemment évoqués (mais qui transiteraient essentiellement par la Turquie, selon les informations qui m'ont été données), la Roumanie impose, depuis le 1er juillet 2001, un passeport aux Moldaves souhaitant entrer sur son territoire. Il semblerait néanmoins que de nombreux Moldaves aient pu obtenir un passeport roumain. La prochaine étape devrait être l'obligation de visas, qui sera mise en vigueur juste avant l'adhésion.

Compte tenu des liens particuliers unissant les populations concernées, les autorités roumaines souhaitent alléger le coût financier de ces formalités administratives, qui sont susceptibles de freiner les tentatives de coopération économique régionale, concrétisées par la création en 1998 de l'eurorégion du Bas Danube, associant la Roumanie, la Moldavie et l'Ukraine. De plus, depuis cinq ans, bon nombre de paysans moldaves ont pris l'habitude de traverser quotidiennement la frontière pour vendre leurs produits en Roumanie, là où le pouvoir d'achat est quatre fois plus fort qu'en Moldavie.

Il y a donc une contradiction entre le besoin d'une frontière ouverte pour l'économie et l'émergence d'une frontière fermée pour la sécurité. Ce problème n'est pas propre à la Roumanie et se rencontre aussi, par exemple, en ce qui concerne les relations entre la Pologne et l'Ukraine. Il importe donc que le programme des « nouveaux voisins », initié par l'Union européenne depuis 2002, fournisse rapidement des éléments de réponse pour surmonter cette contradiction.

CONCLUSION

CONCLUSION

Comme le soulignait Paul Valéry, « toute race et toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise, quant à l'esprit, à la discipline des Grecs, est absolument européenne »(4). Dans ces conditions, il ne fait guère de doute que la Roumanie a vocation à intégrer la famille européenne, dont elle constitue, de façon certaine, une composante.

Les Roumains sont lucides sur le chemin qui leur reste à parcourir pour satisfaire aux exigences de l'Union européenne et sur les risques économiques et sociaux liés à l'adhésion, mais ils sont confiants dans leurs capacités. Sur cette question, comme sur bien d'autres, leur tempérament latin les conduit à affirmer « nici o problema » (il n'y a aucun problème).

Une période de transition s'est d'ores et déjà engagée. Elle ne s'achèvera probablement pas le 31 décembre 2006, car toutes les difficultés ne seront pas réglées le jour de l'adhésion à l'Union européenne. Mais cette transition sera certainement plus aisée à achever en acceptant la Roumanie au sein de l'Union, plutôt qu'en la maintenant à la marge. La véritable question n'est d'ailleurs pas de savoir s'il faut que la Roumanie rejoigne l'Union ; elle consiste plutôt à se demander si les risques encourus par l'Union sont plus importants en intégrant ou en excluant la Roumanie. Il ne faut en aucun cas substituer au rideau de fer, un mur d'argent.

De façon évidente, l'adhésion de la Roumanie (comme celle de dix Etats en 2004 et de la Bulgarie en 2007) constituent une chance pour l'Europe, qui sera ainsi contrainte de se rationaliser, de « s'amaigrir » en se concentrant sur l'essentiel. L'Europe communautaire a désormais rempli son rôle historique ; il appartient maintenant à l'Europe des nations d'évoluer dans un cadre mondialisé et globalisé.{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie, le mercredi 3 mars 2004, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

M. Jacques Myard, rapporteur, a tenu à souligner, dès l'abord, que l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne présentait un intérêt tant pour la Roumanie, que pour l'Union européenne et que pour la France.

Les Roumains perçoivent d'ores et déjà les avantages que l'adhésion est susceptible de leur procurer au niveau économique, grâce aux financements offerts par les fonds de préadhésion, et en matière de stabilité politique dans un pays qui sort d'une dictature très ferme. Les derniers rapports réguliers de la Commission européenne, qui réalisent un véritable « striptease » de l'action des pays candidats, ont enregistré les progrès considérables de la Roumanie dans le domaine de la transposition de l'acquis communautaire, ainsi qu'en ce qui concerne la satisfaction des critères politiques définis par le Conseil européen de Copenhague. A cet égard, il convient de stigmatiser la position de certains parlementaires européens qui demandent depuis quelque temps le découplage des candidatures roumaines et bulgares. On ne peut qu'être stupéfait par cette proposition inadmissible au regard à la fois des perspectives européennes et des réalités roumaines. Il est certain que des problèmes subsistent, mais l'on peut se demander ce que donnerait la publication d'un rapport de la Commission européenne concernant certains Etats membres, en particulier les Pays-Bas qui sont loin de respecter pleinement les engagements internationaux qu'ils ont signés en matière de lutte contre les stupéfiants. La Roumanie a également réalisé des progrès réels dans le domaine économique, mais l'ouverture des frontières pourrait aboutir à la mise en place d'une économie duale. Une période transitoire, d'ailleurs prévue par les négociations d'adhésion, semble donc indispensable pour atténuer ce risque.

L'adhésion de la Roumanie va également dans le sens des intérêts de l'Union européenne. Elle constitue une reconquête de l'espace européen naturel, après la parenthèse résultant de la mise en place du « rideau de fer ». En outre, une Europe à vingt-sept devrait permettre de refonder de façon réaliste la construction européenne et d'assurer la liaison avec la Turquie, pays dont l'adhésion est envisagée de manière favorable en Roumanie qui la perçoit comme un facteur de stabilité géostratégique.

La France a aussi intérêt à soutenir l'adhésion de la Roumanie, compte tenu de nos liens historiques, de l'appartenance de ce pays à la francophonie, des perspectives offertes pour diffuser nos concepts juridique et administratif et de la place occupée par nos entreprises dans ce pays, puisque la France est le premier investisseur étranger en Roumanie. Il faut d'ailleurs noter que les industriels français rencontrés à Bucarest ont précisé qu'il était possible de réaliser des affaires dans ce pays sans rentrer dans le jeu de la corruption.

Pour toutes ces raisons, il est souhaitable de respecter l'échéance de 2007. Il subsiste évidemment des problèmes à surmonter, mais ils sont sans commune mesure par rapport aux enjeux de cette adhésion.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

Le Président Pierre Lequiller a exprimé son accord avec les conclusions du rapporteur, tout en critiquant les attendus de ce dernier. A ses yeux, les problèmes constatés en matière de respect des critères politiques ne doivent pas être sous-estimés. Les atteintes à la liberté de la presse, certaines pratiques policières contestables, ainsi que l'importance de la corruption doivent faire l'objet d'une attention particulière.

Le rapporteur a indiqué que les préoccupations concernant le niveau de corruption sont excessives, d'autant qu'elles ne sont pas partagées par les entreprises étrangères présentes dans le pays. S'agissant des adoptions internationales, ce problème souffre d'une contradiction : la Commission européenne tente de les interdire alors qu'elles sont encouragées par certains pays européens. Quant aux « bavures » de la police et à la corruption, cette dernière se nourrissant de la faiblesse des salaires, elles existent, mais ces phénomènes ne pourront se résorber que par une perspective claire et ferme d'adhésion. Celle-ci doit être couplée à des pressions exercées par l'Union européenne sur les points suscitant des difficultés, afin de favoriser les changements nécessaires.

M. Marc Laffineur a souhaité que soit précisé le caractère personnel de certaines analyses du rapporteur, afin que celles-ci n'engagent pas la Délégation. En effet, l'ampleur des problèmes doit inciter la Roumanie à ne pas relâcher ses efforts, car il est vrai que seule l'entrée dans l'Union européenne permettra de stabiliser ce pays sur tous les plans.

M. Christian Philip a estimé que si tous les membres de la Délégation soutiennent le processus conduisant à l'adhésion de la Roumanie, cela ne doit pas les empêcher de souligner la nécessité d'utiliser les mois à venir pour faire pression sur ce pays. L'Europe doit utiliser la période précédant la clôture des négociations pour que la Roumanie puisse progresser de manière décisive sur les points litigieux.

Le rapporteur a estimé, pour sa part, que des pratiques indiscutablement regrettables et les quelques propos tenus par des parlementaires européens ne peuvent justifier une révision de la position de l'Europe sur l'adhésion de la Roumanie.

Le Président Pierre Lequiller a alors proposé que figure dans la conclusion du rapport une observation soulignant les progrès à accomplir dans les domaines des droits et des libertés fondamentales.

M. Jérôme Lambert a rappelé que les dix prochains Etats membres ne peuvent, ainsi que l'a souligné le Président Pierre Lequiller, être mis sur le même plan que la Roumanie. Il a d'ailleurs demandé si le rapport indique les progrès à faire par la Roumanie. Cependant, si le fait que la Roumanie et la Bulgarie ont été dissociées du prochain élargissement ne relève pas du hasard, il convient aussi de s'interroger sur l'opportunité de les stigmatiser.

La majorité de la Délégation a insisté pour que les responsables roumains accordent une attention particulière aux progrès à accomplir dans le domaine des droits et libertés fondamentales.

Le rapporteur, après avoir précisé que la Commission européenne mentionne que la Roumanie respecte les critères politiques d'adhésion, a indiqué que les critiques qu'il venait d'entendre sur le non respect des droits de l'homme par la Roumanie étaient excessives, même si on ne peut exclure des incidents bien réels qui ne peuvent être tolérés.

Tout en rappelant que la Roumanie se devait de fournir un effort particulier dans le domaine des droits de l'homme, de la liberté de la presse et de la lutte contre la corruption, la Délégation s'est prononcée à l'unanimité pour l'adhésion de ce pays en 2007.

ANNEXES

Annexe 1 :
Carte de la Roumanie

Annexe 2 :
Liste des personnes entendues par le rapporteur

2 décembre 2003

- M. Bruno Dulibine, coordinateur à l'Agence universitaire de la francophonie ;

- Mme Corina Coman, conseillère du Premier ministre, pour les questions européennes ;

- M. Gheorghe Ciamba, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères ;

- Les conseillers français du commerce extérieur et plusieurs entrepreneurs français ;

- M. Dimitru Chirita, vice-président de la commission pour l'intégration à l'Union européenne de la Chambre des députés ;

- M. Vasile Cepoi, secrétaire d'Etat à la santé, et M. Radu Constantiniu, directeur général des relations européennes et internationales au ministère de la santé ;

- M. Vasile Puscas, négociateur en chef au ministère de l'intégration européenne ;

- Mme Daniela Gheorge Marinescu, secrétaire d'Etat en charge de l'intégration européenne au ministère des finances.

3 décembre 2003

- M. Vendelin Hreblay, attaché de sécurité intérieure, et M. Jean-Dominique Fabry, représentant de l'Office international des migrations ;

- M. Valère Dorneanu, président de la Chambre des députés, et M. Constantin Nita, président du groupe d'amitié Roumanie-France ;

- M. Jonathan Scheele, délégué de la Commission européenne.

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Le rapporteur remercie M. Philippe ETIENNE, Ambassadeur de France à Bucarest, ainsi que tous les membres de l'Ambassade de France, pour leur concours actif au bon déroulement de son déplacement en Roumanie.

1 () Georges Clemenceau, 15 janvier 1919. Cité par Dumitru Preda, « La coopération franco-roumaine en 1918-1919 et la construction de la paix en Europe à la fin de la première guerre mondiale », dans « Bâtir une nouvelle sécurité : la coopération militaire entre la France et les Etats d'Europe centrale et orientale de 1919 à 1929 », CEHD et SHAT, 2001.

2 () Nadège Ragaru, « La Bulgarie et la Roumanie aux portes de l'Union européenne : un si long espoir », Pouvoirs, n° 106, 2003.

3 () Le Monde, 11 février 2004.

4 () Paul Valéry, « Variété », Gallimard, 1924.

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