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N° 2363

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juin 2005

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur la lutte de l'Union européenne contre la contrefaçon,

ET PRÉSENTÉ

par M. Marc LAFFINEUR,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 9

I. LA CONTREFACON OU LA PROBABLE « ACTIVITE CRIMINELLE DU XXIEME SIECLE » 15

A. Trois certitudes concernant une activité aux dimensions apparentes vertigineuses 15

1) Une production « industrialisée » de masse... 16

2) ...Constituant l'un des principaux désordres de la mondialisation 21

a) Des flux et des circuits perturbateurs: de Pékin aux supermarchés français 22

(1) Des réseaux mobiles et diversifiés 22

(2) Le rôle ambigü de la grande distribution 25

(3) Un vecteur d'expansion nouveau: Internet 27

b) Deux exemples de pays producteurs 29

(1) La Russie: une situation préoccupante 29

(a) Une volonté affichée des autorités russes 30

(b) Cinq « spécialités » locales 30

(c) Un cadre juridique miné par la corruption 32

(2) Un colosse à part: la Chine 35

(a) Une dimension nouvelle 35

(b) Une lutte à géométrie très variable 38

3) ...Liée au grand banditisme et au terrorisme... 44

a) Une implication structurelle des réseaux criminels 44

b) Une source de financement du terrorisme 48

B. Une menace pour notre santé et notre prospérité 52

1) Des produits à haut risque... 52

a) Les jouets 53

b) Les boissons et les aliments 54

c) Les pièces automobiles 56

d) Les médicaments 59

(1) Le marché "porteur" des Etats-Unis 60

(2) Des contrefaçons mortelles au Sud 61

(3) Une Europe protégée mais menacée 62

2) ...Et détruisant emplois et valeur ajoutée 64

II. L'URGENCE D'UNE RIPOSTE EFFECTIVE ET ORDONNEE 67

A. Un « arsenal » européen de procédures de facto lacunaire, peu dissuasif et générateur d'effets d'aubaine 68

1) Un dispositif français exemplaire mais isolé 68

a) Une France en pointe... 68

(1) Une détermination gouvernementale réelle 69

(2) Un dispositif douanier et pénal très complet 69

(3) Une culture répressive des tribunaux limitée 71

b) ...Parmi des pratiques et des droits nationaux souvent défaillants 74

(1) L'Italie comme point de fixation 75

(2) Des disparités créant un aléa douanier et judiciaire 77

(a) La réglementation douanière applicable 77

(b) Quelques exemples de sanctions pénales en vigueur 79

2) Des instruments européens utiles mais ne créant aujourd'hui qu'un cadre a minima 82

a) Deux actes communautaires reposant sur le plus petit dénominateur commun et dépourvus de contenu pénal 82

b) Un sujet traité par quatre directions générales de la Commission 88

B. Des initiatives internationales intéressantes mais trop dispersées 89

1) Une juxtaposition de mécanismes et d'annonces de la part des organisations et associations internationales 90

2) Les Etats-Unis : une politique « agressive », à l'efficacité toute relative 94

a) A l'international: un dispositif moins incitatif qu'il n'y paraît 95

(1) Splendeurs et misères de la "Spéciale 301" 95

(2) Une initiative "STOP" devant faire ses preuves 98

b) En interne: des lois fédérales légitimant la contrefaçon et/ou le piratage 100

3) La France : une approche volontariste et pédagogique, mais contrainte sur le plan budgétaire 101

4) L'Europe : une entrée en scène encore trop récente 104

a) Cinq cadres d'action traditionnels... 104

(1) Le processus d'adhésion à l'Union: la garantie de résultats juridiques 104

(2) Le dialogue politique avec les grands pays ou ensembles extra-européens : un moyen de sensibilisation 105

(3) La coopération douanière : une portée limitée 106

(4) La politique commerciale : un bilan, au mieux, en demi-teinte 107

(5) Une assistance technique utile mais soumise aux aléas des appels d'offre 110

b) ...auxquels s'ajoute une stratégie d'ensemble tardive : la "doctrine" de novembre 2004 111

III. LES MESURES A ADOPTER AU NIVEAU NATIONAL, EUROPEEN ET MONDIAL : QUINZE PROPOSITIONS 119

A. Au niveau des Etats membres de l'Union européenne : sensibiliser l'opinion et structurer le travail des administrations 120

_ Proposition n° 1 : Créer des « comités nationaux anti-contrefaçon » rassemblant les pouvoirs publics, les créateurs, les industriels et les consommateurs 120

_ Proposition n°2 : Créer des groupes de travail comprenant tous les services chargés d'appliquer la législation relative à la lutte contre la contrefaçon 121

_ Proposition n° 3: Fixer des objectifs nationaux chiffrés en ce qui concerne les saisies douanières 121

_ Proposition n° 4 : Former davantage les juges aux droits de propriété intellectuelle et au caractère dangereux des atteintes qui y sont portés et créer, au sein de l'ordre judiciaire, des tribunaux spécialisés, ainsi que des « pôles anti-contrefaçon » dans les parquets 122

_ Proposition n° 5 : Inciter les distributeurs à signer des engagements de non-contrefaçon 123

B. Au niveau européen : élaborer un cadre communautaire qui soit réellement dissuasif 123

_ Proposition n° 6 : Désigner les commissaires européens en charge de la justice et du commerce extérieur comme les chefs de file du dispositif communautaire de lutte contre la contrefaçon 123

_ Proposition n° 7 : Adopter un cadre pénal sévère qui incrimine les atteintes à la propriété intellectuelle, y compris l'achat de contrefaçons, en aggravant les peines encourues dans les cas ayant un lien avec la criminalité organisée ou mettant en danger la santé ou la sécurité des personnes 124

_ Proposition n° 8 : Adopter un texte généralisant le délit douanier 125

_ Proposition n° 9 : Mettre en place un réseau européen d'échange d'informations entre autorités nationales sur le modèle des coopérations établies entre les cellules de renseignement financier « anti-blanchiment d'argent » 125

_ Proposition n° 10 : Poursuivre en parallèle la construction d'un espace pénal européen 125

C. Au niveau mondial : constituer un front commun anti-contrefaçon Nord-Sud 126

_ Proposition n°11  : Inciter les entreprises européennes à défendre collectivement leurs droits dans les pays tiers 126

_ Proposition n° 12 : Tendre la main aux pays qui font des efforts dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon en mutualisant les programmes de formation des pays développés et des organisations internationales 127

_ Proposition n° 13 : Proposer l'organisation d'un congrès mondial périodique sur la lutte contre la contrefaçon, associant l'Organisation mondiale des douanes (OMD), l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l'OMC et Interpol, qui serait chargé de formuler des recommandations 128

_ Proposition n° 14 : Soutenir la création d'une base de données internationale permettant d'échanger, entre les autorités répressives, des informations sur les délits liés à la propriété intellectuelle, en s'appuyant sur les travaux d'Interpol, et amplifier les opérations transfrontalières que cette organisation coordonne 128

_ Proposition n° 15 : Identifier une liste de pays prioritaires auxquels des objectifs ciblés seront proposés, tout en laissant ouverte la possibilité de recourir à la procédure de règlement des différends de l'OMC en cas de violation grave de l'Accord ADPIC et de constat d'une contrefaçon organisée à grande échelle 129

CONCLUSION 131

TRAVAUX DE LA DELEGATION 133

ANNEXES 137

Annexe 1 : Liste des personnes entendues par le rapporteur 139

Annexe 2 : Point sur la mise en œuvre des onze mesures gouvernementales anti-contrefaçon 145

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Reproduction ou utilisation totale ou partielle d'une marque, d'un dessin, d'un modèle, d'un brevet ou d'un droit d'auteur sans l'autorisation de son titulaire, la contrefaçon porte atteinte à une matière juridique complexe, qui n'est guère susceptible d'attirer l'attention des non-spécialistes.

En outre, la gravité des problèmes que pose, aujourd'hui, la contrefaçon, n'est pas toujours perçue par le grand public, voire par les décideurs.

Ce phénomène est encore trop souvent appréhendé par le prisme d'anecdotes échangées sur les « bonnes » affaires, par exemple l'achat, à un prix intéressant, de fausses grandes marques, effectué sur Internet ou dans une ville étrangère, à l'occasion d'un voyage à Vintimille ou à Bangkok. Dans cet ordre d'idées, le rapporteur, en déplacement à Manille, a pu constater, sur un marché spécialisé, à quel point les techniques de vente des contrefacteurs sont devenues raffinées : des chemises « Lacoste », avec l'étiquette indiquant, en français, que ce produit ne peut être distribué que par le réseau appartenant à cette marque, sont proposées à 5 dollars aux clients étrangers, le vendeur s'engageant, par ailleurs, à leur fournir une fausse facture de 40 dollars, pour éviter à ces derniers tout problème à la douane...

Derrière cette transaction, en apparence banale, se cache, en réalité, tout un univers hautement structuré et productif, financé par la criminalité organisée, et dont la logique repose sur la destruction de la valeur ajoutée créée par nos entreprises.

Or, nos économies sont entièrement fondées sur la création et l'innovation, ainsi que l'a rappelé l'Agenda de Lisbonne. Notre développement passe, en effet, par la protection des fruits de la recherche, qui conditionnent la survie de nos entreprises face à la concurrence des pays émergents à bas salaires.

Il doit être clair que le but, ici, n'est pas de faire un cour abstrait d'économie, mais de souligner, à l'heure de l'arrivée massive des importations de textile chinois, toute l'importance, pour notre prospérité future, d'une croissance tirée par la valorisation des droits de propriété intellectuelle.

La défense de ceux-ci constitue en outre une priorité ancienne du droit international, qui a reçu, de surcroît, il y a plus de dix ans, une traduction juridique au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), lorsque celle-ci a été créée : le Cycle d'Uruguay s'est, en effet, conclu par la signature, en avril 1994, à Marrakech, d'un Accord sur les aspects du commerce qui touchent aux droits de propriété intellectuelle, fixant les règles de base en la matière.

Ce rapport d'information sur la lutte de l'Union européenne contre la contrefaçon, qui constitue un travail pionnier pour l'Assemblée nationale, a donc pour ambition de battre en brèche les idées reçues sur la technicité ou l'innocuité des enjeux, afin d'en souligner la dimension politique.

*

* *

La contrefaçon ne se limite plus, depuis la fin des années quatre-vingt, à la copie de produits de luxe : ce fléau s'attaque, désormais, aux produits de grande consommation, c'est-à-dire aux produits qui affectent notre santé et notre sécurité.

Ainsi, les médicaments, les jouets, les pièces automobiles, les cigarettes, les aliments et les boissons alcoolisées sont devenus la cible des contrefacteurs, attirés par un marché en pleine croissance et fabuleusement lucratif...

De plus, le temps où la contrefaçon ne revêtait qu'une dimension artisanale et localisée est révolu. Ce fléau est devenu universel, ce qui a eu pour conséquence de le transformer en enjeu diplomatique.

Voici un signe qui ne trompe pas : depuis l'adoption, en 1988, d'une loi sur le commerce et la compétitivité instituant un article appelé « Section 301 Spéciale », le Représentant américain du commerce extérieur ou United States Trade Representative (USTR) identifie chaque année, au plus tard le 30 avril, les pays qui n'accordent pas une protection suffisante aux droits de propriété intellectuelle. Cet article implique que l'USTR peut auto-initier, à l'encontre des pays dits « prioritaires », une procédure au titre de la section 301 du Trade Act de 1974, qui permet l'imposition de sanctions commerciales.

Le rapport publié cette année sur l'application de la « 301 Spéciale » désigne, pour la première fois, la Chine comme l'un des pays devant figurer sur la liste des pays dont les pratiques sont sous une surveillance prioritaire (Priority Watch List). En conséquence, il demande au gouvernement central de Pékin d'obtenir des résultats tangibles dans plusieurs domaines, dont :

- l'accroissement « significatif » du nombre de poursuites pénales et de condamnations sanctionnant les violations des droits de propriété intellectuelle ;

- la réduction « significative » des exportations de produits portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle ;

- la publication des décisions judiciaires et des statistiques liées à ce sujet.

Ce document a retenu l'attention du rapporteur principalement pour deux raisons.

Premièrement, il démontre la constance et l'ancienneté du combat mené par les Etats-Unis contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle, qu'ils ont érigé en un véritable objectif de politique étrangère. Leur approche pugnace se traduit non seulement par la publication régulière de « listes noires » de pays producteurs, accompagnées de recommandations, mais aussi par des pressions exercées au plus haut niveau, pouvant aller jusqu'à des menaces de rétorsion. Il s'agit là d'une donnée permanente de la vie internationale, qui ne peut laisser l'Europe indifférente.

Deuxièmement, le rapport de l'USTR souligne le rôle central, dans l'économie de la contrefaçon, de la Chine, pays où le rapporteur a effectué une mission en avril 2005. Cette position « privilégiée » résulte d'un double mouvement de fond : l'apparition d'une « contrefaçon de masse » concomitante à l'émergence de la Chine, comme premier atelier et premier contrefacteur du monde.

A l'heure où les citoyens européens, avec la crise d'un secteur textile aux abois, prennent conscience du bouleversement planétaire que représente le développement de la puissance industrielle, commerciale et financière chinoise, le dialogue sur la défense des droits de propriété intellectuelle avec les autorités de ce pays est devenu un enjeu stratégique.

Mais la Chine n'est que la partie la plus spectaculaire de l'expansion géographique d'une activité désormais globalisée, qui se joue, elle, de toutes les frontières et de toutes les réglementations douanières, fiscales, pénales et sanitaires. La contrefaçon est devenue l'un des points noirs de la mondialisation.

Enfin, l'industrie de la contrefaçon s'est étroitement liée à la grande criminalité, voire à certains réseaux terroristes, au point de revêtir une nature tout aussi criminogène que le trafic de stupéfiants.

Au total, avec ses trois attributs, l'industrialisation, la globalisation et la collusion avec le grand banditisme, la contrefaçon fait planer sur les économies avancées le spectre d'un « pillage industriel », qui à terme menace leur sécurité et leur prospérité.

Quant à l'ampleur du phénomène, dans ce domaine, les chiffres avancés ne peuvent être que des estimations, qui tentent de mesurer, très probablement en la sous-évaluant, une activité, par nature, souterraine et échappant à toute statistique officielle.

Il reste que ceux-ci sont effrayants. La Chambre de commerce international en 1997 et l'OCDE en 1998 estimaient que la contrefaçon était passée, entre 1990 et 1995, de 3 à 5 % des échanges mondiaux. Ce marché mondial parallèle, d'une valeur alors estimée à 450 milliards de dollars, aurait entraîné la destruction d'environ 250 000 emplois dans le monde. Le FBI, quant à lui, évalue les pertes de l'économie américaine dues à la contrefaçon à 200-250 milliards de dollars par an, alors que les vols de banques, aux Etats-Unis, portent annuellement sur moins de 70 millions de dollars. Aujourd'hui, la contrefaçon représenterait 10 % du commerce mondial, la valeur des exportations mondiales ayant atteint 7 200 milliards de dollars en 2003. Selon la Chambre de commerce international, elle représenterait un marché de 600 milliards de dollars par an.

*

* *

Cette explosion de la contrefaçon a d'ores et déjà conduit certaines instances internationales à prendre des engagements et des mesures concrètes.

Ainsi, Interpol, a décidé, en novembre 2001, de créer un groupe de travail sur la criminalité et les droits de propriété intellectuelle, l'Interpol Intellectual Property Crime Action Group. Le G8, de son côté, a abordé la question lors du sommet de Sea Island des 8-9 juin 2004, au cours duquel les chefs d'Etat et de gouvernement des pays industrialisés ont « reconnu la nécessité de lutter contre la contrefaçon et le piratage dans le domaine de la propriété intellectuelle ».

Qu'en est-il de la réponse européenne ?

La prise de conscience, au sein de l'Union, de la nécessité de lutter contre ce problème est indéniable, et elle commence à se traduire dans les faits.

Ainsi, le mandat d'Europol a été étendu, le 1er janvier 2002, à la contrefaçon. D'autre part, un nouveau règlement douanier est entré en vigueur le 1er juillet 2003, tandis qu'était adoptée, le 29 avril 2004, la directive 2004/48 sur les atteintes à la propriété intellectuelle. De son côté, le Parlement européen a adopté, le 5 juin 2003, une déclaration « invitant le Conseil et la Commission à veiller à accroître la sévérité des sanctions civiles et pénales, à favoriser une coopération transfrontalière des Etats membres plus étroite, à renforcer le rôle d'Europol et à sensibiliser davantage les consommateurs ». Enfin, le 10 novembre 2004, la Commission européenne, présentait une « Stratégie visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle dans les pays tiers ».

Mais il ne s'agit que d'un timide éveil, et non pas d'un début de mobilisation : beaucoup reste à faire dans une Europe où la France, dont la législation et les procédures constituent un modèle isolé, peine encore à convaincre ses partenaires de l'urgence de la riposte devant être organisée.

C'est pourquoi ce rapport, qui s'appuie sur plus de soixante-dix entretiens effectués à Paris, Bruxelles, Moscou et Pékin, après avoir présenté un état des lieux de la contrefaçon et une évaluation des dispositifs communautaires et internationaux de lutte contre ce phénomène, proposera quelques pistes d'action pour l'avenir.

I. LA CONTREFACON OU LA PROBABLE « ACTIVITE CRIMINELLE DU XXIEME SIECLE »

Activité délictuelle, la contrefaçon est de plus en plus prisée par le crime organisé, qui la finance et la développe, au point de devenir, avec la drogue et la prostitution, l'une de ses principales sources de revenus.

Ce lien entre la contrefaçon et la grande criminalité sera décrit plus loin, mais le rapporteur tient à citer, dès maintenant, M. James Moody, l'ancien chef de la Division de la criminalité organisée et de la drogue du FBI, qui estimait que la contrefaçon « deviendrait l'activité criminelle du XXIème siècle »(1).

A. Trois certitudes concernant une activité aux dimensions apparentes vertigineuses

Si la contrefaçon est de plus en plus perçue comme étant un fléau universel, la mesure économique de cette activité délictuelle reste paradoxalement embryonnaire.

Celle-ci se heurte, en effet, aux difficultés que rencontrent toutes les estimations d'activités illicites.

En outre, l'exercice est d'autant plus complexe qu'il devrait, pour être le plus proche possible de la réalité des effets induits, chiffrer, outre la production, les échanges, les pertes d'emplois et de chiffre d'affaires concernés, les conséquences également, en termes d'image et de réputation, de l'utilisation non autorisée d'un droit protégé, ainsi que l'impact, sur l'amortissement, des efforts de recherche et le coût des procédures judiciaires engagées par les titulaires de droits.

C'est pourquoi il faut se féliciter de la parution prochaine d'une étude de l'OCDE sur les incidences de la contrefaçon, qui devra réactualiser celle publiée en 1998(2).

Ses résultats seront utiles : ils permettront de réévaluer l'ampleur du phénomène et ses dégâts, au moment où émerge une prise de conscience internationale sur la gravité de la situation.

1) Une production « industrialisée » de masse...

En quinze ans, le visage de la contrefaçon a changé : l'activité artisanale des débuts a laissé la place à des industries et des « holdings » performants et réactifs.

D'ailleurs, ceux-ci se procurent les modèles et les prototypes et s'appuient sur des études de marché, afin de cibler les produits « porteurs » et les marques montantes. Une représentante de la Fédération française des industries du sport et des loisirs a cité au rapporteur le cas de la marque de vêtements de rugby, Eden Park, qui a su que l'un de ses produits était contrefait...avant même que les dirigeants de la société n'apprennent que celui-ci gagnait des parts de marché.

Cette très grande réactivité des contrefacteurs leur permet de fabriquer un produit avant sa sortie officielle : c'est ainsi que la Brigade centrale pour la répression des contrefaçons industrielles et artistiques du ministère de l'intérieur a découvert un laboratoire numérique de piratage de films, de jeux vidéos et de logiciels, où étaient réalisées des copies du film Nemo, dans sa version française, trois mois avant la sortie officielle de ce dessin animé et alors qu'il n'existait aucune version numérique destinée à être commercialisée dans le monde...

L'exploitation industrielle de la contrefaçon, qui comporte aussi ses filières de stockage et de distribution, permet à ses « entrepreneurs » et à ses « hommes d'affaires » de fabriquer et d'écouler des produits de plus en plus sophistiqués.

Par exemple, grâce à l'augmentation continue de la qualité des copies des produits et des emballages, les contrefacteurs peuvent se lancer dans la fabrication et la vente, à grande échelle, de faux médicaments. A titre d'illustration, en France, la police a mis au jour une affaire concernant quelque 30 000 lentilles de contact contrefaites, fournies par un distributeur implanté en Israël, qui les avaient obtenues en Chine, qui ont commencé à être vendues dans le réseau des opticiens. De même, 542 000 faux comprimés de Viagra, en provenance d'Inde et à destination de la Guinée, ont été interceptés dans notre pays.

Les équipements de production nécessitent des financements importants, soit, selon l'Union des fabricants, de 50 000 à 100 000 euros pour certains moules et de 300 000 à 600 000 euros pour une ligne de production de matières plastiques, qui débouchent sur la création de véritables usines.

Implantées dans des pays en développement (la Chine, la Thaïlande, la Turquie, le Maroc, par exemple) ou dans les pays de l'ex-URSS, comme la Russie et l'Ukraine, celles-ci disposent de capacités de production considérables. Ainsi, s'agissant des contrefaçons de CD, l'International Intellectual Property Alliance, une association américaine de défense des droits d'auteur, avait identifié, en 1996, deux usines de production de disques optiques en Russie. Puis, en 2004, elle en a recensé 34, disposant d'une capacité de production totale d'environ 390 millions de disques par an, dont 24 au moins ne fabriquent que des disques pirates. Cette production est notamment destinée à la Pologne, dont l'industrie légale du disque et du DVD est aujourd'hui menacée de disparition. De son côté, ce nouvel Etat membre de l'Union européenne disposait, en 2004, selon la même source, d'une capacité de production de quelque 597 millions de disques, chiffre à comparer aux ventes légales de CD dans ce pays, qui ont atteint seulement 11,5 millions d'unités. Un autre exemple de production à très grande échelle est celui de la contrefaçon de cigarettes : d'après l'Organisation mondiale des douanes, la Chine en produit, chaque année, 190 milliards.

Autre atout de cette industrie, sa capacité d'adaptation, de transformation et de « re » ou de délocalisation. Celle-ci lui permet de démonter, puis de remonter, son outil de production, pour s'adapter aux évolutions du cadre répressif. A cet avantage, il convient d'ajouter que, d'une manière générale, les énormes profits réalisés grâce à cette activité permettent aux contrefacteurs de se protéger efficacement sur le plan pénal et de se dissimuler derrière tout un réseau de sociétés écrans.

Le développement de cette industrie à l'efficacité redoutable peut être mesuré par l'augmentation, exponentielle, des retenues de contrefaçons opérées par les douanes aux frontières de l'Union européenne. Les interlocuteurs du rapporteur ayant tous souligné que l'efficacité accrue des techniques de détection utilisées par les services ne suffisait pas, à elle seule, à expliquer cette croissance, les chiffres des douanes constituent, à ce stade, l'indicateur le plus simple et le plus fiable du « raz de marée » généré par l'industrie de la contrefaçon. Ainsi, le nombre d'articles saisis dans l'Union européenne a été multiplié par quatre entre 1999 et 2003, passant de 25 à 100 millions d'articles. Les résultats enregistrés par les douanes communautaires dans la lutte contre la contrefaçon et la piraterie ont donc augmenté de plus de 900 % en 5 ans.

evolution du nombre d'articles interceptes
entre 1998-2003

Source : Commission européenne.

Les chiffres pour la France sont tout aussi vertigineux : 3,5 millions d'articles ont été interceptés en 2004, contre 2 millions en 2003 et 240 000 en 1994, soit une multiplication par plus de 10 en 10 ans ou une progression de 75 % par an.

Il reste que ces statistiques, aussi impressionnantes soient-elles, résultent de contrôles qui ne portent que sur 3 à 5 % des flux d'entrée.

Or, comme l'a indiqué au rapporteur, M. Robert Verrue, le directeur général des douanes et du marché intérieur de la Commission européenne, toute tentative visant à pousser les contrôles douaniers au-delà de ces pourcentages serait vouée à l'échec. En effet, ce ne sont pas tant les moyens qui entravent l'action des douanes que le simple constat que des contrôles accrus aboutiraient à « bloquer toute la mécanique logistique du commerce international ». Ainsi, 10 000 conteneurs, en provenance d'Asie notamment, quittent, chaque année, Dubaï, pour arriver dans les ports européens ; par ailleurs, un quart des conteneurs voyageant dans le monde passe par la Chine, tandis que la capacité globale d'accueil des ports était, en 2003, de 48 millions de conteneurs pour 16 millions en 1999, soit une augmentation de plus 31 %.

Quelle est, dans ces conditions, l'administration douanière qui pourrait, à des fins de contrôle, tenter seulement d'enrayer de tels flux commerciaux ?

Aussi les saisies douanières n'appréhendent-elles que la partie visible du phénomène. On peut donc estimer, d'après quelques administrations, que le nombre de produits contrefaits franchissant les frontières de l'Europe est, en réalité, au moins 2 à 3 fois plus élevé que le nombre d'articles interceptés... Certains professionnels considèrent, toutefois, que les flux en question seraient, en vérité, encore plus importants, allant jusqu'à être, selon un représentant de Lacoste, 20 fois supérieurs à ce qui est contrôlé.

Enfin, la contrefaçon est non seulement en expansion, mais aussi, comme les exemples cités auparavant l'ont démontré, en voie de massification : ce sont tous les articles de consommation et non plus le seul luxe qui est en cause.

Publié le 9 juillet 2004, le rapport final sur les « Impacts de la contrefaçon et de la piraterie en Europe » du Centre d'études internationales de la propriété industrielle a publié, à partir d'études antérieures, un tableau récapitulant les estimations du taux de contrefaçon des principaux secteurs d'activité :

 

Estimations européennes du taux
de contrefaçon

Estimations mondiales du taux
de contrefaçon

Global Anti-
Couterfeiting
Group

(2000 )

Association des industries de marque
(1999)

OCDE
(1998)

Audio-visuel

-

Audio-vidéo : 25

-

Vidéos

-

-

50

Logiciels

-

35

43

Musiques

-

-

33

Films

-

-

12

Phonographes

-

-

-

Jouets

Jouets et articles de sport : 12

12

12

Pièces détachées automobiles

-

-

-

Pièces détachées avions

-

-

10

Montres

-

5

5

Parfums

Parfums et cosmétiques : 10

10

5

Produits pharmaceutiques

6

6

6-10

Vêtements

Vêtements et chaussures : 11

Textile et vêtements : 22

-

Textile

-

-

-

Articles de sport

Jouets et articles de sport : 12

-

-

Source : Centre d'études internationales de la propriété industrielle

Cette « massification » de la contrefaçon apparaît également dans les statistiques douanières de la Commission européenne sur le type de produits saisis. Le dernier rapport annuel d'activité des douanes communautaires en matière de lutte contre la contrefaçon et la piraterie cite, pour l'année 2003, les affaires marquantes suivantes :

- Allemagne, 41 040 tablettes de Viagra et 106 036 paquets de chewing-gum, pop-corn et gaufres ;

- Belgique, 299 388 tablettes de Viagra et 227 376 parfums ;

- Danemark, 12 498 jouets et 100 filtres à huile Mercedes ;

- Espagne, 264 000 piles, 10 000 boîtes de Viagra, 12 800 parties pour frein automobile et 64 152 bouteilles de Coca-Cola ;

- France, 19 590 pièces détachées automobiles et 250 000 étiquettes Lacoste, Nike, Echo et Timberland ;

- Pays-Bas, 11 000 bouteilles de vodka, 68 285 pommes et 1 560 bouteilles d'eau minérale.

ventilation en nombre de procedures et en nombre d'objets par type d'objet - ue 2003

Type de produits

Nombre d'objets interceptés

Comparaison 2002-2003 par nombre d'articles

Produits alimentaires, alcools et boissons

1 489 908

+ 77 %

Parfums et produits cosmétiques

1 009 879

+ 801 %

Vêtements et accessoires du vêtement

3 876 271

- 58 %

a) Vêtements de sport

404 092

+ 6 %

b) Autres vêtements (prêt-à-porter,...)

1 323 259

- 57 %

c) Accessoires du vêtement (sacs,...)

2 148 921

- 63 %

Appareils et matériel électriques

523 275

- 70 %

Matériel informatique (ordinateurs, écrans,...)

79 402

+ 68 %

CD (audio, jeux, logiciels), DVD, cassettes...

32 616 560

+ 172 %

Montres et bijoux

674 327

+ 59 %

Jouets et jeux

12 333 868

+ 996 %

Produits divers

6 370 702

- 77 %

Cigarettes

33 244 507

+ 6 %

TOTAL UE

92 218 700

+ 9 %

Source : Commission européenne.

2) ...Constituant l'un des principaux désordres de la mondialisation

En s'industrialisant et en se massifiant, la contrefaçon a mis en place une véritable économie globale parallèle, qui est devenue l'un des principaux désordres de la mondialisation.

a) Des flux et des circuits perturbateurs: de Pékin aux supermarchés français

(1) Des réseaux mobiles et diversifiés

A partir des zones de production courantes, les contrefacteurs utilisent des réseaux d'acheminement et de distribution complexes et variés, qui exploitent tous les vecteurs imaginables.

Les contrefacteurs sont notamment passés maîtres dans l'utilisation de la rupture de charge, qui consiste à dissimuler le pays d'origine de la contrefaçon, en la faisant passer par plusieurs pays ou territoires différents, avant la destination finale, l'Europe et les Etats-Unis le plus souvent, en raison du pouvoir d'achat de ces zones. Sur ce dernier point, les statistiques douanières nationales, par exemple, indiquent que la part des marchandises saisies destinées au marché français était, en 2004, de 44 %, contre moins de 5 % en 2001.

Par ailleurs, de plus en plus de marchandises sont envoyées « décomposées », c'est-à-dire sous forme d'éléments constitutifs d'un produit (étiquette, tissu, conditionnement, etc.). A titre d'illustration, deux affaires marquantes, en France, ont concerné la saisie, en 2004, de, respectivement, 196 000 étiquettes contrefaisant le logo de la marque Louis Vuitton et 285 rouleaux de toile enduite, représentant plus de 9 000 m2 de tissu orné du même logo.

Grâce à cette technique, un produit contrefait pourra être partiellement fabriqué dans un pays, puis assemblé dans un autre, transiter par un troisième, avant d'être commercialisé dans un quatrième pays. Comme le souligne l'Union des fabricants, la mobilité et l'opacité des circuits sont telles que chaque contrefaçon dispose de son propre mode de cheminement et de distribution.

Cette économie mondiale parallèle comporte toutefois certains « fondamentaux ».

En ce qui concerne les zones d'exportations, les chiffres des douanes françaises sur l'origine des produits interceptés pour 2004 sont éloquents. L'Asie est la zone d'exportation prédominante de la contrefaçon : 72 % des articles saisis étaient en provenance de cette région du monde (1 013 143 articles originaires de Chine, 734 239 de Hong-Kong, 552 314 d'Inde, 96 248 de Taiwan, 62 353 de Thaïlande, 35 969 du Pakistan, 24 294 de la Corée du Sud). Les autres zones traditionnelles sont le bassin méditerranéen (32 306 articles originaires de Turquie, 18 251 du Maroc) et l'Europe du Sud (Italie avec 56 190 articles, Espagne avec 18 046 articles et Portugal avec 21 142 articles), auxquelles viennent s'ajouter de nouveaux arrivants, notamment les pays d'Europe centrale et de l'Est.

La contrefaçon en Turquie

Le cas de la Turquie, pays avec lequel l'Union européenne a décidé, en décembre 2004, d'ouvrir les négociations d'adhésion, mérite d'être examiné de près.

Dans dernier son rapport régulier sur les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l'adhésion, publié le 10 octobre 2004, la Commission européenne note que la « lutte contre la contrefaçon en Turquie est très coûteuse, fastidieuse et longue pour les détenteurs de droits... La répression est en outre entravée par la difficulté d'obtenir des mandats de perquisition et de saisie des produits de contrefaçon auprès des juridictions pénales... La formation devrait être améliorée à tous les niveaux... ». En conclusion, la Commission estime que « la lutte contre la contrefaçon et le piratage, le renforcement de la capacité administrative, l'amélioration de la coordination et de la coopération entre les instances administratives et celles chargées de faire respecter la loi...doivent rester prioritaires ».

De son côté, l'administration américaine, par la voix de l'USTR, dans le dernier rapport sur la Section Spéciale 301, a décidé de maintenir la Turquie sur la liste des « pays prioritaires » pour l'année 2005, en mettant en avant les inquiétudes que suscitent, notamment, l'état de la protection des médicaments, le manque de protection des engrais, ainsi que les préoccupations concernant la protection des brevets, la piraterie, la contrefaçon des marques et l'application effective, par les magistrats du pays, des droits de propriété intellectuelle.

Ayant fait part de ses interrogations à l'ambassadeur de Turquie en France, ce dernier a indiqué au rapporteur que ce « fléau » est, d'une certaine manière, indissociable du processus de développement d'un pays émergent : le Japon et la Chine se sont, eux aussi, industrialisés en copiant les autres. Toutefois, il a également souligné que les autorités turques sont conscientes que leur pays est, lui aussi, la victime de l'économie souterraine qui pratique la contrefaçon : la perte d'impôts pour le trésor turc induite par cette activité illégale, qui « pèse », environ, 15 milliards d'euros, est estimée à 4 milliards d'euros. D'autre part, la Turquie poursuit, en vue de l'adhésion, la mise à niveau de sa législation. C'est ainsi que le nouveau code pénal entré en vigueur le 1er avril 2005, augmente les peines punissant les contrefacteurs : celles-ci peuvent aller de 2 à 4 ans de prison ou entraîner le paiement d'une amende comprise entre 25 et 40 000 livres turques (20 à 32 000 euros). Par ailleurs, un décret récemment publié prévoit que les activités entraînant une perte de recettes fiscales pour l'Etat sont, elles aussi, passibles de poursuites pénales.

Il reste que l'attitude de l'administration, les douanes et la police notamment, et des tribunaux n'est guère encourageante pour les sociétés qui souhaitent défendre leurs droits. Les juristes de Lacoste rencontrés par le rapporteur ont souligné, par exemple, que 85 % des jugements rendus dans ce domaine ont été, par la suite, suspendus. Ils ont en outre affirmé n'avoir jamais été contactés par les douanes turques. Par ailleurs, un témoignage de la société Adidas, rapporté par le représentant de la Fédération française des industries du loisir et du sport, indique que le nombre d'agressions contre les avocats des titulaires de droits s'accroît, et qu'il est devenu indispensable d'assurer la protection des justiciables pendant les enquêtes ou les saisies. Enfin, selon le dernier rapport sur la Turquie de l'International Intellectual Property Alliance, sur les 6 affaires jugées, en 2003, par les juridictions du premier degré, sur le fondement de la loi relative aux droits d'auteur, 2 d'entre elles, au final, n'ont pas débouché sur des condamnations, la Cour suprême ayant jugé que les plaignants n'avaient pas apporté la preuve que les accusés avaient fabriqué les CD piratés, tandis que dans les quatre autres affaires, les tribunaux ont réduit, en raison de la bonne conduite des condamnés, d'un sixième les peines initialement prononcées, qui de facto pouvaient être suspendues.

Ces données structurelles de l'économie de la contrefaçon sont confirmées par les statistiques communautaires de l'année 2003 sur la ventilation et l'origine des articles interceptés par les douanes de l'Union  :

Pays

Nombre d'objets interceptés

Chine

55 025 132 (60 %)

Hong Kong

5 638 494 (6 %)

Malaisie

2 691 985 (3 %)

Taiwan

2 004 898 (2,5 %)

Bénin

1 620 000 (2 %)

Emirats arabes unis

1 774 723 (2 %)

Non connus

9 560 706 (10,5 %)

Divers

13 902 762 (14 %)

Source : Commission européenne.

Par ailleurs, en ce qui concerne la circulation des flux de contrefaçons, Dubaï, celle-ci étant souvent qualifiée de « premier port mondial de la contrefaçon », Anvers, Rotterdam, Roissy et Hong-Kong, sont devenus des plaques tournantes. A l'aéroport de Roissy, par exemple, le temps de transit des marchandises, qui devient de plus en plus court (de 45 minutes à une heure), constitue désormais un atout pour les contrefacteurs. A Rotterdam, ce sont les 31 km de quai utilisés pour le débarquement des conteneurs qui devraient être passés au peigne fin, ce qui s'avère impossible...

S'agissant des vecteurs d'acheminement des contrefaçons, le principal d'entre eux est, pour la France, le fret aérien et maritime, les liaisons aériennes demeurant toutefois plus « productives », en raison de leur nombre et de leur variété, plus grande que les routes desservant les principaux ports (Marseille et le Havre). Ainsi, durant l'année 2003, près de 700 000 articles ont été interceptés lors du contrôle du fret aérien, après ciblage ; en 2004, cette tendance se confirme, les services de ciblage ayant saisi 47 % des articles contrefaits dans le fret. Si la voie postale et le fret express, ce dernier se rattachant à des flux d'origine et de provenance de plus en plus diversifiés (Chine, Hong-Kong, Corée du Sud...), sont des vecteurs secondaires, ils ne sont pas pour autant négligés, en raison de leur rôle dans l'acheminement des pièces « décomposées », par les douanes  : en 2004, 45 000 articles transportés par fret express ont été saisis.

Enfin, il y a lieu de souligner que la contrefaçon est parfois organisée par des filières ethniques, qui se livrent à des activités plus ou moins licites. A été ainsi cité au rapporteur le cas des communautés chinoises et vietnamiennes de Paris, qui disposent, en Asie, de leurs réseaux d'approvisionnement en contrefaçons. Les produits importés transitent ensuite par des entrepôts et des vendeurs de semi-gros, implantés notamment à Aubervilliers. Ces derniers, « gênés » par l'action de la police, se sont, depuis lors, installés dans les départements de la Seine-et-Marne et de l'Oise.

(2) Le rôle ambigü de la grande distribution

Le rôle des vendeurs de rue ou « à la sauvette » dans la commercialisation des produits contrefaits est bien connu.

Le président du Comité national anti-contrefaçon, M. Bernard Brochand, a cité ainsi au rapporteur, comme exemple, la découverte, suite à des contrôles opérés durant la période estivale sur la Côte-d'Azur, dans un hôtel cannois servant de base arrière à un réseau de vendeurs « à la sauvette », de 16 566 articles de contrefaçon destinés à être proposés aux touristes.

En revanche, le rôle joué par les enseignes de la grande distribution est beaucoup moins médiatisé, mais le rapporteur en a pris connaissance lors de ses auditions, aussi bien par les professionnels que par les responsables des administrations centrales.

Certes, le distributeur arrive en bout d'une chaîne, dont il lui est difficile de connaître tous les intervenants. Mais dans une logique de recherche du moindre coût, le recours à des grossistes peu scrupuleux qui n'hésitent pas, parfois, à s'approvisionner sur les marchés de distribution d'importations parallèles, voire de contrefaçons, a pour conséquence la vente, dans les étals d'Auchan ou de Continent, de « vrais faux ». Comme l'a souligné le directeur général des douanes et des droits indirects du ministère des finances, de l'économie et de l'industrie, les centrales d'achat de la grande distribution, qui ont l'habitude de se procurer, en masse, des lots de produits, ne peuvent qu'être, dans ces conditions, amenées à acheter de la contrefaçon.

Ces arrivages de contrefaçons dans les supermarchés sont-ils donc volontaires ou involontaires ? Un interlocuteur du rapporteur a évoqué, à ce sujet, la « bienveillance » de certaines enseignes, qui font ainsi peu de cas des obligations de contrôle auxquels leurs clients ont droit et de concurrence loyale vis-à-vis des autres revendeurs.

Exemples de jugements condamnant des supermarchés
pour vente de « faux »

La Cour d'appel de Versailles, par un arrêt en date du 20 juin 2002, a condamné, pour actes de contrefaçon, suite à une plainte de la société Reebok, le même distributeur, car il avait commercialisé dans son hypermarché de Vélizy, sous la marque CUP's, des chaussures de football, dont les bandes constituaient, en réalité, une imitation des signes « Reebok », créant ainsi une « même impression d'ensemble », propre à induire en erreur le consommateur. Le tribunal a ordonné, dans cette affaire, le versement de dommages intérêts d'un montant de 12 000 euros à la société Reebok International Limited et de 1 500 euros à la société Reebok France. De son côté, la première chambre du tribunal de grande instance de Pontoise, suite à une plainte de la société Nike, a condamné, le 11 juin 2002, la société Continent à verser 34 301,03 euros de dommages et intérêts pour avoir vendu dans ses magasins de Sannois et de Montigny-les-Cormeilles, ce qui constituait des actes de contrefaçon, des tee-shirts et des pantalons de jogging constituant de « vulgaires imitations ». Dans cette affaire, le tribunal a estimé « qu'en tout état de cause, étant un distributeur professionnel, cette société devait vérifier l'origine des produits qu'elle mettait en circulation ».

Enfin, le tribunal de grande instance de Lyon, par un jugement du 5 février 2004, a condamné la société Auchan à payer à la société Timberland 70 000 euros de dommages et intérêts pour contrefaçon, par usage illicite, de ses marques, en commercialisant, dans plus de 40 points de vente, des produits marqués, à prix réduits et en dehors du réseau de distributeurs agréés. Dans cet arrêt, le tribunal estime, en outre, qu'un tel comportement constitue un acte de concurrence déloyale, car, dans ce cas de figure, le distributeur, sans « s'être assuré du caractère licite de son approvisionnement », a vendu, de plus, les produits en question à des conditions de prix « largement inférieures à celles pratiquées par les membres du réseau » et a ainsi bénéficié « d'une position avantageuse du fait d'une rupture d'égalité entre revendeurs ».

(3) Un vecteur d'expansion nouveau: Internet

Le réseau Internet, qui favorise l'anonymat des vendeurs, est « l'Eldorado » de la contrefaçon, un outil exceptionnel pour le développement de cette activité délictuelle.

Il suffit, pour s'en convaincre, de se promener sur le site de ventes aux enchères eBay, où fusent immédiatement les pages « toute la contrefaçon est à un euro », les propositions de vente de vestes Burberry, les mentions « confidentiel » après les rubriques « informations sur le vendeur » ou un forum de discussion dénonçant, par exemple, happyangel8899, vendeur de faux sacs Dior en Chine...

Le Bureau de la Chambre du commerce international chargé de la lutte contre la contrefaçon estime que la valeur des produits contrefaits échangés sur Internet représente quelque 25 milliards de dollars par an.

Par ailleurs, les logiciels contrefaits et piratés disponibles via Internet prolifèrent, notamment grâce aux canaux de diffusion que sont les Spams, les sites de vente aux enchères et le Peer-to-Peer. La facilité avec laquelle n'importe quel utilisateur peut copier un logiciel a pour conséquence de généraliser le piratage d'un secteur stratégique pour les économies de la connaissance. D'après une étude réalisée en 2004 par le cabinet IDC, la part des copies illicites dans les logiciels utilisés en France est d'environ 45 %, soit près d'un logiciel sur deux. Dans le monde, le taux de piratage serait de 36 %, la Business Software Alliance estimant à 12 milliards de dollars par an le coût, pour les entreprises, de cette piraterie. Cette association chiffre les pertes d'emplois dans ce secteur pour les seuls Etats-Unis à 109 000 postes de travail, ce qui représente une masse salariale de 4,5 milliards de dollars.

Quant à la piraterie « culturelle », elle prolifère. Le nombre de téléchargements de films effectués chaque jour est estimé à un million. La Motion Picture Association of America estime que la piraterie mondiale coûte, chaque année, plus de 3 milliards de dollars aux studios américains. Selon les estimations fournies par les professionnels du secteur, il y aurait de 6 à 8 millions de Français qui procéderaient à des téléchargements illégaux. Qui d'ailleurs ne connaît, dans son entourage, de jeunes qui s'échangent entre eux ces copies, après avoir eu recours à sites pirates tel que KAZAA ? Et cela indépendamment de l'existence d'un dispositif législatif sévère, dont l'objectif est, il est vrai, avant tout dissuasif : l'article 335-4 du code de la propriété intellectuelle assimile, en effet, au délit de contrefaçon le fait de mettre à disposition du public, sans l'autorisation de l'auteur ou du producteur, un phonogramme.

Cet effet de masse a incité les détenteurs de droits et l'industrie musicale, pour éviter l'asphyxie, à recourir à la justice, tant sur le plan civil que pénal. Lors d'une conférence de presse tenue, le 7 octobre 2004, la Société civile pour l'exercice des droits des producteurs phonographiques et le Syndicat national de l'édition phonographique ont fait état d'une cinquantaine de plaintes déposées en France, les procédures engagées en Europe s'élevant, selon les informations communiquées, à 706 au total, dont 174 au Danemark, 100 en Autriche et 100 en Allemagne. Aux Etats-Unis, 5 700 actions judiciaires auraient été conduites, ce qui montre qu'il s'agit bien d'une riposte judiciaire concertée de l'industrie. On notera à cet égard que le parti socialiste s'est prononcé pour un « moratoire des poursuites judiciaires », en jugeant cette réponse inadaptée à la prise en compte d'un phénomène de société.

b) Deux exemples de pays producteurs

(1) La Russie: une situation préoccupante

Lors de sa mission en Russie, le rapporteur a pris connaissance de deux faits, qui résument, à eux seuls, la situation de la contrefaçon dans ce pays : le plus gros contrefacteur de médicaments de ce pays est un membre de la Douma, qui ne se déplace qu'avec des gardes du corps armés, tandis que l'avocat français de Pernod-Ricard, qui se spécialisait, entre autres, dans la lutte contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle, a été assassiné.

Il s'est donc étonné que la Délégation de la Commission européenne à Moscou tienne un discours qui ne s'accorde ni avec la gravité de la situation, ni avec la volonté affichée de sa tutelle, qui érige la lutte contre la contrefaçon en priorité politique.

Lors de son entretien avec les fonctionnaires de la Délégation, ces derniers lui ont en effet déclaré qu'ils laissaient les Etats-Unis discuter « seuls » du sujet avec les autorités russes, le dernier rapport sur la Section Spéciale 301 maintenant à cet effet la Russie sur la liste des pays à surveiller de manière « prioritaire ».

Or, la Russie négocie son accession à l'OMC : c'est le moment où jamais d'exercer sur ce pays le maximum de pression, afin d'obtenir des autorités des engagements fermes, qui portent sur l'amélioration de la situation sur le terrain.

Au lieu de cela, il a été indiqué au rapporteur que les négociations bilatérales entre la Russie et la Commission européenne relatives à l'accession étaient achevées et que, par conséquent, conformément aux usages en vigueur, il revient aux autres membres de l'OMC, qui négocient encore, d'insister, sur les questions qui les préoccupent et qui peuvent ainsi recouper les inquiétudes de l'Europe. Il revient, en pratique, aux Etats-Unis d'aborder la question de la contrefaçon, pour le compte de tous les autres membres de l'OMC. Au final, grâce à cette division du travail entre les négociateurs, tous les intérêts des parties devraient être pris en compte et recevoir une traduction juridique dans l'accord signé par l'ensemble des membres.

D'autre part, si la protection des droits de propriété intellectuelle en Russie devait soulever des difficultés après l'accession de ce pays à l'OMC, l'Europe, toujours selon les fonctionnaires de cette Délégation, pourrait alors recourir à l'Organe de règlement des différends de l'Organisation.

Le rapporteur ne partage pas cette analyse, qui constitue, à ses yeux, une faute politique : ainsi, quand bien même les négociations bilatérales seraient effectivement terminées, l'Europe, parce qu'elle souhaite s'affirmer comme un des principaux acteurs de la lutte contre ce fléau mondial, ne doit pas se dessaisir de la question.

(a) Une volonté affichée des autorités russes

Pour la première fois, une Commission gouvernementale, présidée par le Premier ministre, a été réunie le 25 juin 2004, afin d'envisager les actions à mettre en place pour lutter contre les violations de droits de propriété intellectuelle.

C'est là le résultat des pressions exercées par les Etats-Unis : la bonne volonté des autorités russes se manifeste, pour l'essentiel, dans le domaine des droits d'auteur, sujet sensible pour les négociateurs américains de l'accession de la Russie à l'OMC.

Depuis lors, des points de vente de CD et de cassettes contrefaits ont été fermés dans le centre de Moscou. Par ailleurs, la police s'attaque désormais aux usines, puisque certaines d'entre elles ont été fermées.

Mais, ainsi que l'ont souligné au rapporteur ses interlocuteurs de la mission économique de l'ambassade de France, les points de vente installés en province ou en périphérie continuent d'opérer de plus belle.

De plus, ces actions ne s'accompagnent pas de poursuites ni de sanctions.

(b) Cinq « spécialités » locales

¬ La Russie est une « championne » des contrefaçons de droit d'auteur : 64 % des musiques et enregistrements, 90 % des logiciels et 75 % des films commercialisés seraient des contrefaçons. Le Special 301 Report pour l'année 2005, reprenant les chiffres avancés par l'industrie américaine, évalue ses pertes dues à la piraterie des droits d'auteur à 1,7 milliard de dollars. De son côté, le directeur général de Rospatent, l'agence russe des brevets et des marques, a souligné l'importance du phénomène, tout en indiquant au rapporteur que dans l'une des trois usines de fabrication de DVD pirates fermées par les autorités, le matériel de fabrication portait la mention « US for Russian Products ». Autrement dit, si le problème existe, c'est parce qu'il est notamment importé de l'étranger ! Quant au piratage des films, il est intéressant de noter que, vraisemblablement, seuls les films étrangers sont copiés et non les russes, ce qui résulterait d'un accord entre la mafia contrôlant l'industrie cinématographique locale et celle contrôlant la fabrication de DVD...

¬ Les produits alimentaires sont également victimes de la contrefaçon. Le rapporteur a rencontré des responsables des sociétés Bonduelle et Lesaffre, qui quelques mois après leur installation, ont vu, pour la première, ses boîtes de petits pois, et, pour la seconde, ses sachets de levure, contrefaits et vendus sur des marchés non couverts. Elles se montrent toutes deux réticentes à communiquer sur ce phénomène, car le risque serait grand que le client se méfie et change de marque. Par ailleurs, elles ont recours à des détectives privés, dont un ancien du KGB, pour repérer les lieux de ventes de la contrefaçon, après quoi la police peut être contactée, afin qu'elle opère des raids. Il reste que le but recherché est « de faire peur ou de gêner », non d'arrêter la contrefaçon, en remontant toute la filière pour la démanteler : ces sociétés ne sont pas parvenues, en effet, à identifier les personnes ou les industriels contrefaisant leurs produits.

S'agissant des usurpations d'appellations d'origine, figurent en première ligne le Cognac et le Champagne, dont la Russie estime qu'ils ne peuvent être confondus, par les consommateurs, avec les « Koniak » et « Champagnskoe ». Il y a lieu de noter que le droit russe considère, en effet, qu'il suffit de changer trois lettres d'une dénomination pour qu'automatiquement, il s'agisse d'une autre dénomination...

¬ En ce qui concerne les pièces automobiles, Renault, qui a inauguré une usine de fabrication de la Logan d'une capacité d'environ 60 000 véhicules, s'attend à être victime de la contrefaçon : 30 % des pièces détachées sur le marché russe étaient constituées, selon des estimations de 2002, de contrefaçons, alors que la moyenne mondiale est de l'ordre de 10 %. Sont particulièrement visées les pièces d'entretien et d'usure, comme les filtres et les bougies.

¬ S'agissant des produits pharmaceutiques, la part des contrefaçons augmente régulièrement, et elle représenterait entre 12 et 15 % du marché russe. Certains interlocuteurs russes du rapporteur ont insisté sur la présence de produits contrefaits importés des autres pays membres de la CEI, notamment ceux d'Asie centrale (ainsi le Kazakhstan, qui partage une frontière de 7 000 kilomètres avec la Russie) ou de la Chine, qui, selon une source, serait à l'origine de 40 % des contrefaçons de médicaments vendues sur le marché russe. D'autres, notamment la Délégation de la Commission européenne et un représentant des laboratoires Servier, le premier fournisseur de médicaments de prescription en Russie, ont, à l'inverse, souligné l'importance de la production locale, qui représenterait 80 % de « l'offre » disponible. Le représentant de Servier a en outre indiqué au rapporteur que dans un cas de contrefaçon avérée, la société n'est pas parvenue à mobiliser le procureur compétent. D'autre part, cet interlocuteur a mis en avant les difficultés auxquels se heurtent les contrôles effectués sur un marché qui comporte plus de 60 000 pharmacies, en comptant les « kiosques », qui vendent « d'un peu de tout ».

¬ A cela, il convient d'ajouter que l'un des contrefacteurs « institutionnels », opérant au vu et au su de tout le monde, est l'armée : un représentant de Rusbrand, une association russe de défense des détenteurs de marques, a affirmé au rapporteur que les pouvoirs publics savent quelles casernes, et même quelle usine, appartenant au ministère de la Défense et supposée être « ultra secrète », fabriquent de la contrefaçon.

(c) Un cadre juridique miné par la corruption

Les victimes de la contrefaçon en Russie disposent, en théorie, de nombreuses voies de recours pour se défendre.

Ainsi, le Code civil russe prévoit le remboursement des pertes causées au propriétaire d'une marque, ainsi que la destruction des stocks de produits, aux frais du contrefacteur, après la décision d'un tribunal.

Quant au Code de procédure pénale, il prévoit que, dans le cadre d'une enquête, le Procureur peut demander à un tribunal d'ordonner la saisie, par la police, des marchandises dont la possession ou l'usage constitue une infraction. Ces poursuites peuvent ensuite aboutir au paiement d'une amende d'environ 5 500 euros, à une peine d'intérêt général ou à une peine de prison de 5 ans si le délit a été commis en bande organisée. Mais, en pratique, selon le représentant de Rusbrand déjà cité, les procureurs n'utilisent presque jamais leurs pouvoirs. D'ailleurs, d'après cet interlocuteur, le Procureur général, malgré les demandes formulées dans ce sens par les ambassades de plusieurs pays, jusqu'à ce jour, refuse de rencontrer les industriels étrangers victimes de la contrefaçon.

En outre, le parquet ne donne suite à une plainte que si elle est étayée de preuves nombreuses et précises, ce qui accroît les difficultés rencontrées par les entreprises plaignantes : dans le cas d'une violation du droit des marques, il est souvent demandé de produire des attestations relatives à la notoriété de la marque, ainsi que les preuves, pratiquement impossibles à obtenir ou bien très onéreuses à rassembler, de son utilisation par une autre personne, la durée de celle-ci, les lieux où les marques ont été utilisées et distribuées, etc.

Enfin, la pratique et la culture judiciaire des magistrats peuvent être « affligeantes », un constat avancé, notamment, par les avocats du cabinet Gide, Loyrette et Nouel rencontrés par le rapporteur : manque de professionnalisme, conduisant à des interprétations incorrectes de la loi, absence de formation dans le domaine des droits de propriété intellectuelle et corruption, qui dans certains tribunaux, peut être totale. Sur ce dernier point, lors d'une affaire, après le dépôt de la plainte, l'inspecteur de la « procurature » a rendu visite au cabinet, afin de faire comprendre à ce dernier qu'il devait payer une somme en liquide pour que soient recherchées les preuves.

Quant à la corruption des forces de police, l'un des représentants de Rusbrand a cité le parcours d'un conteneur rempli d'emballages de parfums Dior et Hugo Boss, provenant d'Inde et destiné à Saint-Pétersbourg, où devait avoir lieu le remplissage des flacons, qui a fait l'objet d'une saisie. Le contenu de ce dernier a été escorté par la police jusqu'au dépôt, et lorsque les sociétés titulaires de marques s'y sont rendues, elles n'ont pu que constater la disparition des marchandises.

Au total, une fois que les titulaires des droits victimes de contrefaçon ont constitué un dossier étayé de preuves convaincantes, rien n'est gagné, puisque pour obtenir satisfaction, il faut réunir deux conditions essentielles, qui font souvent défaut : d'une part, la volonté politique de faire aboutir le dossier ; d'autre part, la mise en œuvre effective des mesures d'exécution.

En ce qui concerne les douanes, celles-ci sont compétentes pour empêcher l'entrée de produits contrefaits sur le territoire russe. Leur intervention est toutefois soumise au dépôt d'une requête par le titulaire de droit souhaitant arrêter le passage en frontière des produits contrefaits. Là encore, la corruption gangrène l'efficacité de la procédure, qui reste ainsi toute théorique : le secrétaire général de L'Oréal Russie a indiqué que cette société, qui a fait enregistrer toutes ses marques depuis deux ans, n'a reçu, durant cette période, qu'un ou deux coups de fil des douanes, alors que des produits contrefaits, venant notamment des pays d'Europe orientale, étaient vendus sur tous les marchés. Il a également cité le cas d'un camion transportant des produits de beauté d'une autre marque, qui lui a été arrêté, mais dont tout laisse à penser que le chauffeur s'est simplement trompé de poste-frontière...

Le seul point satisfaisant concerne la procédure réservée au service fédéral anti-monopole (FAS), qui dispose d'une police spéciale pouvant initier des enquêtes à la suite d'un recours déposé par la victime d'un acte de concurrence déloyale. Si les faits de contrefaçon sont avérés, les autorités peuvent prononcer des injonctions et disposent du pouvoir de mettre fin à la production et à la commercialisation des articles imités. Cette procédure a été régulièrement citée comme étant la plus rapide (de 3 à 6 mois) et la plus efficace, étant d'ailleurs la seule procédure d'urgence disponible en Russie. Cependant, elle souffre d'un grave inconvénient : la saisie des produits contrefaits ne peut intervenir qu'au cours du traitement de la plainte.

(2) Un colosse à part: la Chine

Usine du monde, la Chine est beaucoup plus qu'un atelier d'assemblage pour les entreprises délocalisées : elle développe aussi sa propre ambition technologique, ce qui l'incitera, d'ici peut-être une génération, à faire respecter davantage les droits de propriété intellectuelle.

Mais, en attendant, les dégâts pour nos économies auront été considérables. Car la contrefaçon constitue, dans ce pays, un phénomène de très grande ampleur, qui forme un système économique à part entière et s'appuie sur une infrastructure industrielle efficace, les usines « normales » pouvant ensuite tourner pour fabriquer de la contrefaçon, et un « réservoir » gigantesque de main-d'œuvre à bas coûts, plus de 80 millions de Chinois quittant, chaque année, la campagne pour travailler en ville.

(a) Une dimension nouvelle

Si la contrefaçon est endémique en Asie, en Chine, elle a acquis, en raison du développement économique de ce pays et de son potentiel, une dimension nouvelle au point, selon certains observateurs, de représenter 8 % de son PIB (aujourd'hui chiffré à 1 650 milliards de dollars) et d'employer entre 3 et 5 millions de personnes.

Ces estimations sont impressionnantes, mais ont-elles vraiment un sens dès lors qu'elles sont appliquées à une économie qui a crû de 9,1 % en 2003 et de 9,5 % en 2004 et génère des investissements aussi colossaux que la construction, à Shanghai, de 250 000 logements nouveaux par an ou l'utilisation de la moitié des grues existant dans le monde ? M. Valéry Giscard d'Estaing estimait, à juste titre, que la notion de « PIB » en Chine ne voulait rien dire...

D'autre part, toutes les catégories de droits de propriété intellectuelle sont concernées par la contrefaçon, ainsi que de nombreux secteurs industriels (luxe, pièces automobiles, pharmacie, audiovisuel, etc.). Selon la Chambre européenne de commerce en Chine, les pertes pour les entreprises chinoises et étrangères, s'élèveraient à plusieurs dizaines de milliards d'euros par an. D'après l'International Intellectual Property Alliance, celles-ci, pour la seule industrie américaine du copyright, s'élèveraient, en 2004, à 3,8 milliards de dollars, contre 1,085 milliard en 2000. Cette association note dans son dernier rapport annuel sur la Chine, que le prix moyen d'une vidéocassette piratée est compris entre 0,60 et 1,20 dollar, celui d'un DVD piraté, entre 2 et 2,50 dollars, à comparer avec le prix d'un ticket de cinéma à Pékin, compris lui entre 4 et 5 dollars... La Motion Pictures of America observe, quant à elle, que les autorités chinoises ont saisi 500 millions de disques pirates durant les cinq dernières années. Le 23 mai 2005, celle-ci, après avoir découvert que des copies illégales du DVD du dernier épisode de la série Star Wars étaient vendues dans les rues de Pékin quelques jours après la sortie du film sur grand écran, a menacé les autorités chinoises de faire pression sur le gouvernement américain, afin que ce dernier dépose une plainte devant l'Organe de règlement des différends de l'OMC sur le fondement de l'Accord ADPIC.

Lors de sa mission en Chine, le rapporteur a pu constater, au sein des autorités et des administrations chinoises, une réelle prise de conscience de la nécessité de lutter contre ce phénomène. L'un des représentants de la Délégation de la Commission européenne rencontré a estimé à ce sujet qu'il faut prendre au mot les engagements pris par le gouvernement central, et donc considérer ce dernier comme un partenaire, dont les efforts doivent être accompagnés. Lorsqu'elles veulent atteindre un objectif, les autorités de Pékin le peuvent, comme le montre l'exemple de la lutte contre le faux monnayage : devenue massive il y a deux ans, cette activité a été quasiment éradiquée en seulement deux mois...

Cette prise de conscience a été favorisée par trois facteurs.

D'abord, un facteur externe, les pressions exercées par les Etats-Unis, puis maintenant par l'Union européenne et ses Etats membres.

Mais les facteurs internes ont, sans doute, été aussi, voire plus, déterminants.

Avant tout, le droit de la propriété intellectuelle en Chine est ancien, sa naissance étant liée à l'ouverture, en 1979, du pays aux investissements étrangers. Les premières lois datent de 1982 pour les marques et 1984 pour les brevets, le droit d'auteur lui n'ayant été encadré qu'en 1991. Puis, ces droits ont connu une première vague de révisions, en 1992 pour les brevets et en 1993 pour les marques, puis une deuxième, la plus importante, dans le cadre de l'adhésion à l'OMC en décembre 2001, pour mettre à niveau le système législatif chinois, conformément aux objectifs de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

En outre, la Chine est devenue le premier déposant de brevets et de modèles au monde : au troisième trimestre 2004, 87 659 dépôts ont été effectués en Chine, dont 67 835 par des entreprises chinoises. A cela s'ajoute qu'elle défend ces droits, ce qui reflète l'importance, pour les détenteurs, qu'a acquise la problématique des droits de propriété intellectuelle. Cette place nouvellement acquise est illustrée par le fait que sur 10 000 procès engagés dans ce domaine, en 2004, devant les tribunaux du pays, près de 97 % l'ont été par des Chinois contre d'autres Chinois. Cette même année, 90 % des saisies pratiquées par l'administration de l'industrie et du commerce concernaient des marques chinoises contrefaites par des Chinois.

Cette agressivité sur le terrain de la défense des droits de propriété intellectuelle chinois reflète une ambition, celle de faire des entreprises du pays des grands groupes à dimension internationale, qui tirent leur croissance des efforts de recherche et développement.

Par ailleurs, selon les membres de la mission économique de l'Ambassade de France, le gouvernement central, pour des motifs de sécurité et d'image, a fait de la lutte contre les contrefacteurs de médicaments et de pièces automobiles une priorité nationale. Cette détermination nouvelle a été motivée par le choc qu'a ressenti l'opinion publique lors de la découverte, au printemps 2004, que du lait en poudre contrefait avait provoqué la mort d'une dizaine de bébés. Selon le South China Morning Post daté du 14 mai 2004, le décès de 16 enfants, au moins, pouvait être expliqué par la consommation du lait contrefait.

L'engagement de l'Etat dans ce domaine a débouché sur la création, l'année dernière, d'un groupe de travail interministériel, spécialement chargé d'organiser la lutte contre la contrefaçon. Il est présidé par le vice-premier ministre, Mme Wu Yi, qui a participé aux négociations d'accession à l'OMC et gagné, pour la ténacité dont elle a fait preuve, une grande notoriété lors de la gestion de la crise du SRAS.

Autre signe manifeste de la priorité nationale qu'est devenue la lutte contre la contrefaçon : le Conseil d'Etat a annoncé, en août 2004, le lancement d'une campagne nationale sur le sujet, qui s'est traduite par des raids sur les marchés spécialisés, les foires, les lieux d'expédition et de réception des marchandises et de distribution des contrefaçons. Le 31 mars 2005, Mme Wu Yi a prolongé cette campagne jusqu'à la fin de l'année, en décidant de la focaliser sur les produits pharmaceutiques et la vente de rue.

Dans ce cadre, des marchés de la contrefaçon ont été fermés, ce qui n'a pas empêché le rapporteur de constater, près des grandes rues commerciales, qu'une multitude de petites échoppes continuent de proposer des faux produits de luxe.

Aussi ces efforts doivent-ils être relativisés.

Selon un avocat français rencontré à Pékin, M. Paul Ranjard, qui préside, par ailleurs, le groupe « propriété intellectuelle » de la Chambre européenne de commerce, la volonté politique existe, mais elle a pour objectif premier de changer l'image de la Chine auprès des entreprises et des gouvernements étrangers.

Le directeur général des douanes et des droits indirects du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, qui occupe un poste d'observation privilégié pour constater une éventuelle diminution des flux d'entrée de la contrefaçon chinoise, considère, quant à lui, que cette politique n'est que de l'affichage : si le célèbre « marché de la soie » de Pékin a été fermé avant la visite du secrétaire d'Etat américain, il a été réouvert quelques rues plus loin, dans un bâtiment couvert... : ces actions d'éclat ne suffisent pas, en effet, à enrayer ou diminuer un phénomène qui, lui, reste structurel.

(b) Une lutte à géométrie très variable

Quels sont donc les obstacles auxquels se heurte la lutte contre la contrefaçon en Chine ? Ils sont de quatre ordres.

Tout d'abord, il existe en Chine une tradition culturelle ancienne, selon laquelle copier un objet revient, de fait, à honorer son créateur. Bref, comme l'a appris un fonctionnaire de la Délégation de la Commission européenne lors de son arrivée à Pékin, le copyright est compris, en Chine, comme étant le « right to copy », le droit de copier. Mais comme l'a souligné ce dernier au rapporteur, la Commission européenne ne veut plus entendre cet argument dans la bouche des autorités chinoises, car il n'est pas digne du statut d'un grand pays émergent, qui souhaite acquérir et développer la technologie la plus moderne.

Ensuite, les problèmes d'ordre politique et administratif demeurent importants : des pans entiers de l'économie, dont un nombre considérable d'usines, restent aux mains des pouvoirs locaux, voire des militaires, qui disposent donc des moyens de corrompre ou d'entraver l'action des acteurs chargés de réprimer les contrefacteurs.

Or, les transferts de technologie n'ont cessé d'accroître les capacités de production du pays. C'est ainsi que nombre d'entreprises d'Etat en difficulté récupèrent ce potentiel, en produisant de la contrefaçon, tout comme les PME et les entreprises individuelles nouvellement créées. Selon un rapport de l'attaché douanier de l'ambassade de France en Chine, les contrefacteurs sont à 53 %, des PME exerçant une activité légale, contre seulement 2,6 % de grandes entreprises.

Tout ce tissu industriel bénéficie donc de l'appui et de la protection des exécutifs et des tribunaux locaux.

La « captation » de la technologie étrangère, qui est encouragée et systématisée par ce cadre politico-administratif, se traduit, par ailleurs, par l'agressivité dont peuvent témoigner les Chinois pour faire invalider des brevets des pays tiers. A titre d'illustration, M. Paul Ranjard, indique qu'en juillet 2004, le Bureau d'Appel de l'Office chinois des brevets a révoqué le brevet du Viagra, enregistré par la société américaine Pfizner, après avoir exploité une faiblesse dans la rédaction de la documentation. De même, l'industrie chinoise du téléphone portable, qui utilise les normes créées par les grands groupes mondiaux, ne verse pas de redevances aux détenteurs de brevets sur lesquels s'appuient ces normes.

D'autre part, « l'organisation » de l'économie chinoise de la contrefaçon rend très difficile la mise en œuvre d'une politique répressive efficace, car les faux destinés au marché national sont à plus de 80 % produits dans une province différente de celle où ils seront vendus. La raison en est très simple : le transfert d'un dossier judiciaire d'une province à l'autre est une procédure longue et complexe, ce qui encourage les entrepreneurs et les autorités locales souhaitant protéger leurs industries à produire de la contrefaçon.

Pour les productions qui posent des risques à la santé, comme le médicament, l'alcool et le tabac, les sites de fabrication sont, en général, cachés dans des zones difficiles d'accès, choisies en fonction de leur enclavement. Les sites découverts sont parfois situés dans les fonds de vallées d'une région montagneuse, avec des caméras de surveillance et/ou des gardiens en faction, qui donnent l'alerte dès qu'approche une autorité.

En outre, les centres de production peuvent être délocalisés très rapidement d'une ville à une autre ou d'une province à une autre, comme c'est le cas pour les cigarettes. Les contrefacteurs savent aussi effectuer une même production dans plusieurs endroits, ce qui conduit la police, en cas d'intervention, à n'effectuer que des saisies minimes, réduisant ainsi la gravité de l'infraction.

Il y lieu de noter, par ailleurs, qu'en Chine, il existe des marchés de la vente de contrefaçons en gros, de type « foire commerciale permanente », qui se sont créés la dernière décennie, et où l'on compte parfois jusqu'à 10 000 visiteurs quotidiens, hommes d'affaires le plus souvent vinant de Russie, du Moyen-Orient, d'Afrique ou d'Asie du Sud-Est. La vente se fait exclusivement en gros, dans les 4 000 emplacements que comptent ces marchés, et les conditions de transport y sont discutées à cette occasion. Ces lieux sont choyés par les politiques, car ils peuvent constituer l'unique source de revenus et de développement pour des villes.

Quant aux marchés de vente pour les Chinois et les touristes, à Pékin, par exemple, les vendeurs ne sont qu'un rouage de la chaîne : ces derniers sont, le plus souvent, seulement les locataires du sol du magasin, qui appartient à une société. Pour lutter contre cette chaîne qui rend inutile toute action contre les seuls vendeurs, en 2004, des entreprises représentant 54 marques, avec l'appui de la Délégation de la Commission européenne, ont décidé de saisir les propriétaires de ces boutiques du problème. Après avoir notifié à ces derniers les constats, par acte notarié, de ventes de contrefaçons, les titulaires de droits ont proposé aux propriétaires d'insérer dans les contrats de location, une clause « anti-vente de contrefaçons », qui permet de résilier le bail et donc de faire pression sur les vendeurs.

La lutte contre la contrefaçon se heurte, enfin, à de très sérieux problèmes juridiques et d'exécution des décisions, lorsque les procédures ne sont pas rendues inopérantes par la volonté de préserver les intérêts locaux, l'impossibilité légale, pour les agents de l'administration de l'industrie et du commerce, de pénétrer dans des locaux sans le consentement des intéressés et le refus de la police de prêter main-forte.

S'agissant du dispositif douanier, celui-ci comporte de sérieuses lacunes, et connaît, en outre, des retours en arrière. Ainsi, les nouvelles directives publiées par l'administration générale des douanes n'autorisent plus expressément l'application d'amendes aux sociétés impliquées dans le commerce de marchandises contrefaites ou piratées et, par ailleurs, réduisent le montant des amendes de 100 % à 30 % de la valeur de ces biens. En outre, les nouvelles directives ne prévoient rien pour ce qui est de la transmission des dossiers au parquet aux fins d'engager des poursuites.

La procédure administrative, quant à elle, fait intervenir soit l'administration de l'industrie et du commerce pour les marques, soit les offices de propriété intellectuelle locaux pour les brevets et les modèles. Elle est très prisée, pour sa simplicité - elle ne prévoit pas d'expertise - et son faible coût (environ 10 000 dollars en moyenne), par rapport à la procédure judiciaire. Mais elle est rendue trop souvent inefficace par les facteurs déjà cités, et n'aboutit à prononcer une interdiction que dans un délai allant de 6 à 12 mois.

De plus, on constate que, d'une manière générale, le nombre d'affaires transmises, à des fins d'enquêtes pénales, par les administrations au ministère de la sécurité publique décline régulièrement. Selon les statistiques chinoises citées par le dernier rapport sur la 301 Spéciale de l'USTR, 86 dossiers ont été transférés en 2001, puis 59 en 2002, 45 en 2003 et 14 seulement dans le premier semestre 2004.

Il résulte de ceci que la saisie et le paiement d'amendes sont de facto considérés, par les contrefacteurs, comme étant des « péripéties » normales de la vie des affaires. A cela, il convient d'ajouter que les produits saisis peuvent être remis en vente, revenant ainsi, après quelques semaines d'attente, dans les circuits normaux de distribution de la contrefaçon.

S'agissant de l'action judiciaire, celle-ci est rendue excessivement lourde par les exigences de certification et de traduction qui l'encadrent. Une société qui souhaite engager un procès, doit d'abord obtenir un pouvoir pour son avocat chinois, ce qui implique de passer par les consulats et le ministère des affaires étrangères. La démarche dure parfois 6 semaines. Ensuite, toutes les pièces versées au dossier qui proviennent de l'étranger doivent subir le même traitement, puis être certifiées et traduites.

D'autre part, le besoin de formation des juges dans le domaine des droits de propriété intellectuelle est criant, dans un pays où, en 2001, le président de la Cour suprême estimait qu'il y avait « 100 000 juges à former ou reformer ».

Des réformes introduisant des procédures d'urgence, notamment pour prévenir un dommage imminent, ont donné un regain d'intérêt à l'action civile, mais celle-ci débouche sur l'allocation de trop faibles montants de dommages et intérêts. Le dernier rapport sur la Chine de l'International Intellectual Property Alliance note à cet égard que depuis 2002, l'industrie américaine du disque a porté devant les tribunaux chinois 235 plaintes contre des usines, qui ont débouché sur le versement de dommages et intérêts d'un montant total de 1,9 million de dollars. Les affaires les plus importantes ont conduit à prononcer des dommages et intérêts d'un montant moyen compris entre 72 400 dollars et 96 600 dollars, alors que les contrefacteurs condamnés produisaient des millions de CD...

Aussi les entreprises étrangères fondent-elles leurs espoirs sur la voie pénale, plus efficace et moins coûteuse, l'administration de la preuve revenant au parquet. Elle est en outre plus dissuasive, le contrefacteur risquant, en cas d'actes intentionnels et prémédités, jusqu'à 7 ans d'emprisonnement pour violation de marques.

Mais il est rare que des poursuites soient vraiment engagées, compte tenu de l'existence d'un « seuil de gravité » au-dessous duquel un acte de contrefaçon n'est passible que de sanctions administratives.

Sur ce dernier point, la Cour suprême a toutefois adopté, le 20 décembre 2004, à la suite de très fortes pressions américaines, des « directives jurisprudentielles » révisant à la baisse ces seuils, qui par exemple sont passés à 50 000 reminbi (RMB) de chiffre d'affaires illicite ou 30 000 reminbi (RMB) de gains illicites pour l'apposition de marques, soit identiques, soit ne présentant de différence visuelle notable, sur des produits.

Cependant, cette évolution jurisprudentielle, qui a été saluée par les entreprises étrangères, présente de nombreuses failles. Premièrement, l'application, dans une affaire judiciaire, des seuils, même diminués, reste délicate, les contrefacteurs n'utilisant pas de comptabilité régulière. En outre, ceux-ci fractionnent leurs activités entre plusieurs sociétés distinctes, ce qui accroît la difficulté de l'exercice. Deuxièmement, l'administration américaine a regretté que la nouvelle jurisprudence supprime les responsabilités spéciales prévues pour les vendeurs de produits contrefaits dangereux pour la santé publique et prévoit, par ailleurs, de déterminer si les nouveaux seuils sont atteints en fonction du prix des contrefaçons et non de celui des produits d'origine. Troisièmement, la Cour suprême ne pénalise les atteintes aux droits d'auteur, y compris la piraterie sur Internet, que si celles-ci sont commises aux fins de faire un profit. Enfin, les seuils sont augmentés par un coefficient de trois lorsque le contrefacteur est une entreprise, ce qui revient à créer une véritable absurdité juridique. En effet, comme l'a souligné l'avocat M. Paul Ranjard au rapporteur, cela revient à autoriser, en quelque sorte, une entreprise, par définition plus productive qu'un individu, à causer trois plus de dommages qu'un individu, avant de courir une sanction pénale.

3) ...Liée au grand banditisme et au terrorisme...

a) Une implication structurelle des réseaux criminels

Selon une note de la Présidence du Conseil des ministres de l'Union européenne adressée au Groupe multidisciplinaire sur le crime organisé, en date du 13 novembre 2003, « la contrefaçon est aujourd'hui est un vecteur pour le crime organisé et ne peut, dans sa complexité et sa gravité, être comparée qu'au trafic de stupéfiants ou d'armes ».

Tous les représentants des administrations centrales et de la Commission européenne rencontrés par le rapporteur l'ont souligné : l'exploitation industrielle et globalisée de la contrefaçon prouve l'implication, dans cette activité, de réseaux criminels, voire d'organisations mafieuses.

D'ailleurs, ces groupes criminels ou mafieux n'hésitent pas, comme on l'a vu, à recourir à la menace, verbale ou physique, à l'intimidation, voire à l'assassinat, à l'encontre des représentants des entreprises qui cherchent à faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle.

Les techniques de passage des frontières, comme les doubles fonds et la rupture de charge, sont en outre identiques à celles utilisées par les trafiquants de drogue.

Mais au-delà de la convergence des techniques, le lien structurel unissant la contrefaçon est le crime organisé s'explique, comme l'a souligné l'Assistant Attorney General, M. Christopher Wray, devant le Comité des affaires judiciaires du Sénat américain, par le fait que les syndicats du crime contrôlent, par définition, les canaux internationaux illicites de distribution, ce qui leur permet d'acheminer, avec une certaine facilité, des quantités massives de produits contrefaits et d'autres produits illicites à travers le monde(3).

A titre d'illustration, dans une affaire citée par le magistrat de liaison italien, et qui a amené la police française et la police italienne à coopérer, a été découverte l'existence d'une organisation criminelle liée à la Camorra, dont une grande partie du chiffre d'affaires consistait dans le trafic, à l'échelle européenne, de produits contrefaits sophistiqués. Ce commerce concernait notamment des appareils photo numériques de marque, fabriqués en Chine, qui étaient ensuite vendus, pour 6 000 à 10 000 d'entre eux, tous les 6 mois, en France.

C'est pourquoi, dès 1999, l'ancien secrétaire général d'Interpol, Raymond E. Kendall, a déclaré que la contrefaçon était une activité criminelle placée, non pas en périphérie, mais au cœur des autres activités criminelles.

Interpol a, par la suite, accordé une attention soutenue à ce sujet : la première conférence internationale sur les droits de propriété intellectuelle a été organisée, en novembre 2001, par le secrétariat général de cet organisme, qui a décidé, ensuite, de créer un groupe d'experts sur les délits liés à ces droits, l'Interpol Intellectual Property Crime Action Group. Comprenant des représentants d'organisations internationales, des autorités chargées de faire appliquer la loi et des associations d'entreprises, celui-ci a tenu sa première réunion le 23 juillet 2002, et, depuis lors, a décidé de se réunir deux fois par an.

Interpol et la criminalité liée à la propriété intellectuelle

Mis en place en juillet 2002, l'Intellectual Property Crime Action Group, qui a pour mission d'informer les membres d'Interpol sur la gravité des délits liés à la propriété intellectuelle, comprend six sous-comités, dont les trois plus importants sont :
- le sous-comité de la formation et des meilleures pratiques, qui a pour tâche d'élaborer et de fournir des matériaux de formation pouvant être utilisés par les pays membres ;
- le sous-comité de l'échange d'informations et de bases de données, qui est chargé d'identifier le type d'informations disponibles, ainsi que les modalités de stockage des données pouvant répondre aux besoins des autorités répressives ;
- le sous-comité des opérations assiste l'Unité du crime d'Interpol, afin d'identifier les situations où l'opération dite Jupiter peut être déployée de la manière la plus efficace. Celle-ci coordonne des actions de répression de délits transnationaux liés à la propriété intellectuelle. Elle a été mise en œuvre, pour la première fois, en Amérique du Sud, afin de s'attaquer à des criminels opérant dans la zone « trifrontalière » de l'Argentine, du Brésil et du Paraguay. Les interventions ont commencé en décembre 2004 et se sont déroulées jusqu'en mars 2005. Aujourd'hui, l'Intellectual Property Crime Action Group procède à une analyse des informations et des renseignements recueillis, afin d'évaluer les résultats de cette opération. Ceux-ci seront communiqués au Forum Régional d'Amérique Latine, co-organisé par le Brésil et Interpol, qui se tiendra à Rio de Janeiro en juin 2005.

Les principaux membres de l'Intellectual Property Crime Action Group sont :
- l'Organisation mondiale des douanes ;
- l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ;
- le ministère de la sécurité publique de la Chine ;
- Europol ;
- la Guardia di Finanza d'Italie ;
- la Metropolitan Police du Royaume-Uni ;
- la police montée canadienne ;
- le FBI, la Food and Drug Administration et l'Immigration and Customs Enforcement des Etats-Unis ;
- l'International Anti-conterfaiting Group ;
- l'International Anti-conterfaiting Coalition ;
Microsoft ;
- la Motion Pictures Association ;
Procter and Gamble ;
- l'Union des fabricants.

Certes, tout acte de contrefaçon n'est pas nécessairement le fait d'une organisation criminelle. Mais l'effet de masse décrit ci-dessus suffit à démontrer que la grande criminalité développe et finance la production, la distribution et la vente de produits contrefaits dans le cadre d'une stratégie « multicriminelle ».

Comme l'a indiqué le directeur général des douanes et des droits indirects du ministère des finances, de l'économie et de l'industrie au rapporteur, le développement de cette branche d'activité permet de minimiser les risques encourus pour les autres activités criminelles, comme le trafic de stupéfiants, la contrebande de cigarettes et la prostitution, qui sont plus sévèrement sanctionnées.

La contrefaçon présente en effet un caractère extrêmement rentable : elle garantit d'importants profits, avec un minimum de risque pénal. Selon le ministère de l'industrie, une copie de jeu électronique coûte 0,20 euro, mais peut se revendre 12 euros. De même, la direction générale des douanes et du marché intérieur de la Commission européenne estime qu'un kilo de cannabis rapporte moins de 2 000 euros, alors qu'un kilo de CD piratés ou contrefaits rapportera 3 000 euros. Le rapport du Centre d'études internationales de la propriété industrielle relève un exemple, cité par le magazine Time, selon lequel « un dealer achetant cette substance illicite à 47 000 dollars le kilo, pourra la revendre à 94 000 dollars, soit un profit de 100 %, tandis que pour le même montant, un escroc pourra acheter 1 5000 copies pirates de Office 2000 pour le revendre et obtenir un profit de 900 % ».

Selon le secrétaire général d'Interpol, M. Ronald K. Noble, s'exprimant devant le Comité des relations internationales de la Chambre des représentants des Etats-Unis, le « taux de retour » de la contrefaçon est identique à celui du trafic de stupéfiants : chaque euro d'investissement rapporte 10 euros de profits(4).

Après avoir indiqué ces chiffres, ce responsable notait la faiblesse des peines réprimant la contrefaçon : citant l'exemple de la France, la loi dite « Perben II » n'étant pas encore adoptée, il observait que la vente de contrefaçons était punissable d'une peine de prison de deux ans et une amende de 150 000 euros, alors que la vente de stupéfiants est punissable par une peine de prison de sept ans et d'une amende de 7 500 000 euros.

L'industrialisation de la contrefaçon permet par ailleurs de blanchir l'argent sale. En effet, les fonds issus de trafics ou d'activités lourdement sanctionnés au plan pénal peuvent être réinjectés dans l'économie de la contrefaçon, que ce soit pour acheter ou monter des sites de production ou, plus simplement, pour acheter des contrefaçons.

Enfin, au cœur de cette face cachée de la mondialisation, l'on trouve les accords sur le commerce de contrefaçons conclus entre maffias de différentes nationalités. Par exemple, l'existence d'un arrangement ou d'arrangements conclu(s) entre la Camorra, la mafia napolitaine, et la mafia chinoise pour la vente de produits du cuir a été révélée au rapporteur. Le cuir est expédié de Chine par la mafia de ce pays, puis arrive à Naples, où les différentes pièces sont assemblées dans des ateliers employant des travailleurs chinois clandestins. Une fois fabriqué, le « faux » est vendu « à la sauvette » par des Africains, sous le contrôle, cette fois, de la Camorra.

De même, l'Assistant Attorney General américain, à l'occasion de l'audition devant le Sénat américain précitée, a déclaré que les magistrats et les policiers, dans leur travail, ont pris conscience que les groupes mafieux, qui d'ordinaire se font concurrence entre eux, s'allient ou s'associent désormais par-delà les frontières nationales, afin d'étendre leurs activités dans leur pays d'origine.

Il reste que les niveaux et modalités d'implication (aux stades de la production, de l'acheminement et de la distribution) de ces groupes sont, par définition, difficiles à déterminer, ce qui rend d'autant plus délicat le rassemblement de preuves contre les criminels qui les dirigent.

Enfin, le lien entre contrefaçon et petite délinquance ne doit pas être occulté par la collusion entre cette activité et le grand banditisme. Ont été ainsi indiqués au rapporteur des cas de trafic de contrefaçons organisés par des jeunes des quartiers « sensibles », qui achètent et distribuent, grâce à Internet, de fausses marques fabriquées en Thaïlande, pays dans lequel ils ont créé à cet effet, via la toile, des sociétés d'import-export.

b) Une source de financement du terrorisme

Le rôle de l'économie de la contrefaçon dans le financement du terrorisme est l'aspect le moins connu, mais l'un des plus effrayants, de cette activité criminelle.

Dès 1993, selon le journal télévisé ABC news, le FBI accumulait des preuves sur le fait que les terroristes islamistes ayant perpétré l'attentat de 1993 contre le World Trade Center ont en partie financé leurs préparatifs avec la vente de produits textiles contrefaits, en utilisant un magasin situé sur Broadway.

S'agissant de la France, le démantèlement, en novembre 2003, d'un réseau de contrefaçon entre notre pays et l'Italie, a conduit à l'arrestation de membres de la phalange El Hijdra Oua Ektafir, suspectés d'avoir fourni des armes et des faux papiers à des terroristes algériens. Il a été précisé au rapporteur qu'il s'agissait d'un trafic de vêtements contrefaits importés d'Italie, puis vendus par les islamistes fondamentalistes résidant en France.

Lors d'une audition, le 16 juillet 2003, par le Comité des relations internationales de la Chambre des représentants du Congrès américain, le secrétaire général d'Interpol, Ronald K. Noble, a tiré « la sonnette d'alarme » sur le fait que les délits liés à la propriété intellectuelle deviennent « la méthode préférée de financement d'un certain nombre de groupes terroristes ».

A cet égard, il a déploré que les autorités répressives ne traitent pas ces délits comme étant des affaires prioritaires et que, d'une manière générale, les enquêtes se limitent aux saisies, sans s'étendre aux flux financiers qui en résultent. Or, de telles enquêtes devraient mettre en lumière les circuits qui sous-tendent l'activité des contrefacteurs et révéler ainsi, le cas échéant, l'existence de liens avec des groupes terroristes. Aussi, les autorités répressives doivent-elles, selon M. Noble, être convaincues que ces « délits ne sont pas des délits sans victimes, mais des véritables crimes, ayant des conséquences importantes pour l'ordre et la sécurité publics ».

Il existe deux sortes de liens financiers entre les contrefacteurs et les groupes terroristes :

- le financement direct, qui recouvre les cas où le groupe terroriste est impliqué dans la production, la distribution ou la vente de contrefaçons et réutilise une partie de ces fonds pour financer les activités du groupe. Selon M. Ronald K. Noble, cette méthode est utilisée principalement par des groupes dont les agissements ressemblent davantage à ceux des organisations criminelles « traditionnelles » qu'à ceux des organisations terroristes. C'est le cas, par exemple, des groupes paramilitaires d'Irlande du Nord, qui sont impliqués dans plusieurs activités criminelles. Leur rôle dans l'économie de la contrefaçon va de la production ou de l'investissement dans la production à la taxation des marchés où sont vendus les produits contrefaits ;

- le financement indirect, qui recouvre les situations dans lesquelles des sympathisants ou des militants sont impliqués dans des activités délictuelles de contrefaçon et remettent, volontairement, une partie des fonds ainsi gagnés à des groupes terroristes, via des intermédiaires. Le financement se fait par des méthodes discrètes, c'est-à-dire par des transferts, non enregistrés, de liquide. Il semblerait que celles-ci soient utilisées par certains groupes comme le Hezbollah et le Groupe salafiste pour la prédication et le combat.

Exemples de financement du terrorisme par la contrefaçon

Lors de son audition, le 16 juillet 2003, par le Comité des relations internationales de la Chambre des Représentants des Etats-Unis, le secrétaire général d'Interpol a cité les exemples suivants :

L'Irlande du Nord
 :

Selon certaines estimations, le marché de la contrefaçon coûte à l'économie de ce pays plus de 167 millions de dollars par an. Ainsi, en 2002, la police a saisi des produits contrefaits d'une valeur supérieure à 11 millions de dollars. L'implication des groupes paramilitaires dans les délits de contrefaçon, y compris le trafic de cigarettes contrefaites, est connue de longue date par les services de police et de renseignement. En novembre 2002, par exemple, une affaire concernant la vente du DVD piraté du dessin animé « Le roi lion » par un de ces groupes a été révélée.

Le Kosovo
 :

Il existe, dans cette province, une relation ancienne entre les organisations criminelles et les groupes extrémistes locaux dirigés par les Albanais. Les fonds provenant des délits de contrefaçon sont suspectés de financer les organisations criminelles, tout comme les groupes extrémistes, la plupart des biens de consommation mis en vente dans cette province étant des produits contrefaits (CD, DVD, vêtements, chaussures, cigarettes et logiciels informatiques).

Les séparatistes tchétchènes
 :

Interpol a appris, en 2000, l'existence d'une affaire en Russie où des groupes terroristes et des réseaux tchétchènes criminels bénéficiaient, tous deux, de la production et du trafic de contrefaçons. Selon les officiers de police chargés de l'enquête, une usine produisant des CD contrefaits, qui a fait l'objet d'un raid mené conjointement par les forces de l'ordre et des représentants des entreprises privées, était dirigée par un groupe criminel tchétchène, qui ensuite remettait les fonds aux séparatistes tchétchènes. Ces policiers estimaient que le revenu mensuel moyen de cette organisation criminelle était compris entre 500 000 et 700 000 dollars.

Les fondamentalistes radicaux nord-africains d'Europe
 :

Selon les informations détenues par Interpol, pour ce type de réseaux, le financement est, en partie, assuré par des sympathisants ou des adhérents, qui se livrent à des activités de contrefaçon et utilisent leurs gains pour en verser un certain pourcentage aux réseaux fondamentalistes. Ces sympathisants remettent ainsi de l'argent, sous la forme de dons ou de « zakat » (aumône religieuse de l'Islam), en passant par des mosquées, des Imams ou des organisations caritatives sympathiques à la cause des mouvements fondamentalistes. Puis, ces sommes peuvent être, éventuellement, remises aux groupes terroristes. Les transactions se font, le plus souvent, en liquide, en ne laissant ainsi aucune trace écrite : ni l'origine, ni la destination finale de ces fonds ne peuvent être vérifiées. En outre, les militants en question peuvent ne pas être impliqués, directement, dans ces activités pendant une certaine durée, ce qui rend d'autant plus difficile la détection de ces transferts de fonds. Durant ces périodes, ces individus s'autofinancent en ayant recours à des activités délictueuses ou criminelles, comme la contrefaçon ou la fraude aux cartes de crédit.

Al-Qaida
 :

Un cas de contrefaçon, susceptible d'avoir des liens avec cette organisation terroriste, a été rapporté par les médias en 2002. En effet, une enquête portant sur le transport, par bateau, de contrefaçons, provenant de Dubaï, en transit à Copenhague, et destinées à être vendues au Royaume-Uni, suggère qu'Al-Qaida aurait pu obtenir, de manière indirecte, des financements. Ainsi, les douanes danoises ont saisi un conteneur, rempli de contrefaçons de shampooings, de crèmes, d'eaux de Cologne et de parfums. L'expéditeur de ces produits est un membre reconnu d'Al-Qaida. Les services de renseignement de trois pays, le Danemark, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ont été amenés à enquêter sur cette affaire.

Le Hezbollah
 :

Interpol a eu connaissance de trois affaires de délits de contrefaçon, ayant un lien avec le financement du terrorisme en Amérique du Sud. Les trois affaires concernent des personnes d'origine libanaise, impliquées dans l'envoi de fonds au Hezbollah. Selon les informations dont elle dispose, Interpol estime que ces personnes distribuent et vendent des contrefaçons, mais ne les produisent pas. Ainsi, en février 2000, un individu a été arrêté pour des faits avérés de piraterie et suspectés de servir de levées de fonds pour le Hezbollah. Il s'était spécialisé, notamment, dans la vente de CD et de jeux Nintendo, Sega et Sony, afin de financer une organisation liée au Hezbollah. D'autre part, la zone « trifontalière » de l'Argentine, du Brésil et du Paraguay, est une zone de destination pour des contrefaçons produites en Europe et envoyées par un groupe de criminels libanais, proches sympathisants du Hezbollah. Les produits en question sont ensuite acheminés vers un troisième pays, où ils sont vendus par un réseau de sympathisants et de militants originaires du Moyen-Orient. C'est ainsi qu'à Ciudad del Este, à l'Est du Paraguay, la police du pays a arrêté plusieurs suspects, d'origine libanaise, sur la base d'informations communiquées par l'administration américaine. Un autre individu a été arrêté en raison de ses liens suspectés avec le Hezbollah à Foz de Iguazu, en octobre 2002. Enfin, le secrétaire général d'Interpol a détaillé, plus récemment, une affaire datant d'octobre 2003, dans laquelle les autorités libanaises ont saisi à Beyrouth des conteneurs remplis de plaquettes de freins et d'amortisseurs contrefaits, pour une valeur d'un million d'euros. L'enquête qui a suivi a révélé que les profits de la livraison étaient destinés à des sympathisants du Hezbollah.

B. Une menace pour notre santé et notre prospérité

Les consommateurs doivent prendre conscience que l'achat de contrefaçons met en danger leur santé et leur sécurité de deux manières  : d'une part, les contrefaçons s'attaquent à des produits soumis à des contrôles rigoureux, en raison du danger qu'ils sont susceptibles de poser à la santé et à la vie des personnes ; d'autre part, l'achat de contrefaçons « bénignes », tel qu'une fausse marque, finance, à des stades divers, les réseaux de production et de distribution des contrefaçons « nocives ».

Par ailleurs, les filières lucratives de la contrefaçon, en pillant la création et la valeur ajoutée, portent des coups destructeurs à nos inventeurs et à nos entreprises et, au-delà, à la richesse nationale : le coût économique et social de ce fléau constitue une menace pour notre prospérité.

Toutefois, cet aspect ayant donné lieu à peu d'évaluations globales, le rapporteur a préféré insister davantage sur les risques que font peser les contrefacteurs sur notre santé et notre sécurité.

1) Des produits à haut risque...

Qu'il achète sciemment ou non une contrefaçon, le consommateur est, au final, toujours victime d'une fraude, car il paie trop cher le produit en question. En effet, la qualité de celui-ci est déficiente, le produit ne dure pas, ni ne bénéficie de toutes les garanties exigées.

Or, ce n'est là que le moindre mal auquel ce dernier s'expose. Car, dans un contexte de massification de la contrefaçon, il peut désormais mettre sa santé, voire sa vie, ainsi que celle de ses enfants, en danger, simplement en achetant des produits pour s'alimenter, s'équiper, se divertir et se soigner.

a) Les jouets

Un reportage télévisé de l'émission de TF1 « Combien ça coûte ? » montre, avant les fêtes de fin d'année, des vendeurs de magasins, qui présentent des jouets contrefaits et déclarent, à leur sujet, qu'ils sont « presque vrais », tout en coûtant moins cher.

Cette apologie de la contrefaçon s'inscrit dans un discours encore trop répandu, celui des bonnes affaires pouvant être réalisées en achetant des faux.

Or, une telle « publicité » est scandaleuse, car elle encourage, en premier lieu, des comportements qui mettent en jeu la survie d'un secteur économique en crise.

Le jouet européen est, en effet, non seulement menacé par les arrivages de produits vendus à bas prix venant d'Asie, la source de 87,9 % des joués importés dans l'Union, mais aussi par ceux, massifs, de produits contrefaits, d'ailleurs originaires de la même zone. Par exemple, la Chine, qui fournit 75,5 % des importations asiatiques de jouets en Europe, produirait, à elle seule, selon l'International Council of Toy Industries, 75 % des jouets contrefaits dans le monde. Au total, d'après la Toy Industries of Europe, un jouet sur 10 en Europe serait un faux.

Mais, en second lieu, au-delà des dégâts économiques qu'elles causent, les contrefaçons de jouets, même si elles tendent à se perfectionner, peuvent être encore plus dangereuses pour ce qui est de leurs effets sur la santé des enfants.

D'une part, les matériaux utilisés ne répondent à aucune des normes contrôlant, en Europe, la sécurité et la qualité des jouets, et peuvent donc être nocifs : ont été découverts notamment des produits avec des peintures trop chargées en plomb ou des plastiques inflammables. En 2000, par exemple, des figurines de Star Wars ont été saisies au Royaume-Uni, contenant un niveau très élevé de plomb dangereux pour la santé. En 2003, les autorités canadiennes ont saisi 60 000 piles Duracelle contrefaites, avant les fêtes de fin d'année, puis ont alerté les consommateurs sur le danger potentiel qu'elles présentaient si elles étaient utilisées dans des jouets. Le 28 décembre dernier, les douanes françaises ont saisi 96 624 peluches, dans le cadre d'un contrôle portant sur un chargement de près de 3 tonnes d'oursons multicolores originaires de Chine et provenant de Corée qui, après les tests du Laboratoire national d'essais, se sont révélés non conformes aux normes communautaires et dangereux pour les enfants.

D'autre part, les éléments, comme les yeux, les cheveux ou les roues, des jouets contrefaits présentent de nombreux défauts : ils s'emboîtent mal, peuvent se détacher et être avalés par l'enfant, créant ainsi un risque d'étouffement. Un cas de « contrefaçon mortelle » a été rapporté par le Centre d'études internationales de la propriété industrielle : le 16 décembre 1985, à Leeds, un enfant de 5 mois est décédé aux urgences de l'hôpital universitaire, une balle de cheveux d'une contrefaçon de poupée ayant été trouvée dans le larynx.

b) Les boissons et les aliments

On l'a vu, les saisies douanières portent également sur des produits alimentaires contrefaits tels que le riz, les paquets de gâteaux, le chewing-gum, les pommes, le chocolat, le café, etc.

Certains pays, comme le Pakistan, abritent une économie de la contrefaçon spécialisée dans le reconditionnement d'un produit de mauvaise qualité dans un faux emballage d'origine. Ainsi, des sociétés achètent les emballages défectueux aux titulaires de marques, puis les revendent dans un autre pays, comme le Pakistan, où ces emballages sont remplis avec des produits de moindre qualité. Selon l'étude de 2004 du Centre d'études internationales de la propriété industrielle, cette pratique ne concernerait pas toutefois le marché européen.

Il existe des cas où les produits alimentaires contrefaits ont provoqué la mort des personnes qui les consommaient. L'affaire du lait en poudre pour enfants, vendu en 2004 en Chine, qui ne contenait ni protéines ni minéraux, a déjà été citée. Plus de 33 marques de lait ont été interdites à la suite de ce scandale. Auparavant, dans ce pays, la Chambre de commerce international avait relevé, en 2001, une affaire concernant la saisie de 308 tonnes de riz moisi, qui contenait un taux excessif d'un composant cancérigène et qui avait été décoloré et poli, avant de faire l'objet d'ajouts de substances.

Un projet visant à vendre, à grande échelle, aux Etats-Unis,
des contrefaçons d'aliments pour bébés

Lors de son audition par le Comité des affaires judiciaires du Sénat américain, le 23 mars 2004, l'Assistant Attorney General a cité un exemple effrayant de contrefaçon. En 2002, le département de la justice a condamné, en Californie, un homme accusé d'être impliqué dans une « conspiracy », c'est-à-dire un complot, visant à vendre sur une grande échelle des aliments pour bébés contrefaits. Cet homme s'était enfui au Canada en 1995, alors qu'il avait déjà vendu des milliers de petits pots. Il a été condamné à une peine d'incarcération de 3 ans et 8 mois. Les autorités américaines ont estimé que si l'accusé avait pu mettre en œuvre l'intégralité de son projet, il aurait engrangé des profits supérieurs à 4,3 millions de dollars.

En ce qui concerne les boissons alcoolisées, les exemples de contrefaçons dangereuses, voire mortelles, sont nombreux, notamment celui où 53 000 personnes sont mortes en Russie après avoir absorbé de l'alcool frelaté. Au Royaume-Uni, un cas d'hospitalisation, provoqué par l'absorption de vodka contrefaite contenant un taux dangereux de méthanol, a été relevé en 2003.

Or, dans ce secteur, la contrefaçon est en pleine expansion, comme l'a souligné au rapporteur un responsable de la marque Pernod-Ricard.

S'attaquant à des marques réputées, comme les whiskies écossais, demandant peu de temps et d'argent et pouvant se pratiquer dans de toutes petites unités, elle est vite devenue universelle.

Les distributeurs de contrefaçons sont, eux aussi, implantés partout, y compris en France. Ainsi, en 2001, a été arrêté, à Toulon, un distributeur, qui, par la suite, a été condamné par la justice à payer des dommages et intérêts : ses bouteilles de whisky Long Glen Fine Spirit, imitant le whisky écossais, étaient vendues, notamment, à la sortie française du tunnel sous la manche.

Le rapport légal de la Scotch Whisky Association pour l'année 2003 relève des cas similaires en Afrique du Sud, en Australie, au Brésil, en Colombie, en Equateur, en Espagne en Hongrie, en Inde, au Panama, en Républicaine dominicaine, en Turquie, en Thaïlande et au Vietnam. En Chine, par exemple, le nombre total de saisies de contrefaçons de Cognac, de Whisky et d'autres marques, s'élevait, le 15 décembre 2004, à 1,260 million d'articles. La société Pernod-Ricard y est obligée d'employer sur place des enquêteurs, travaillant à plein temps, qui ont pour mission de localiser et d'identifier les contrefacteurs. Par ailleurs, elle a constaté qu'en Russie, les procès engagés et les saisies opérées pouvaient déboucher, une fois la décision de justice rendue, sur le constat que les produits entreposés ont tout simplement disparus....

c) Les pièces automobiles

Les affaires de pièces contrefaites révélées par les constructeurs automobiles, qu'ils soient américains ou européens, sont légion ; elles démontrent l'existence d'une industrie parallèle, alimentant en produits potentiellement très dangereux le marché mondial.

Selon l'OCDE, les pièces automobiles contrefaites représentent, pour les constructeurs de voitures de marque, un manque à gagner d'environ 12 milliards de dollars. D'après cette organisation, la part des pièces détachées contrefaites dans le commerce mondial a été multipliée par deux entre 2000 et 2005, pour passer de 5 à 10 %. Aux Etats-Unis, la Motor and Equipement Manufacturers Association estime que les constructeurs pourraient embaucher 210 000 personnes en plus si le commerce des pièces contrefaites était éradiqué.

Les pays producteurs sont principalement la Chine et Taiwan. Ainsi, dans les affaires jugées et gagnées, depuis 2000, par les constructeurs français, 7 affaires ont porté sur des pièces venant de Taiwan, 2 sur des pièces venant de Turquie et une affaire a concerné des pièces originaires d'Argentine. De même, le président de l'International Anticounterfeiting Coalition, auditionné le 23 mars 2004 par le Comité des affaires judiciaires du Sénat américain, a indiqué qu'un des constructeurs membre de cette association estime que 50 à 60 % de ses marques de pièces contrefaites sont d'origine chinoise. Entendu par le même jour par le même Comité, l'Assistant Attorney General a cité une affaire concernant la province du Guangdong en Chine, dans laquelle les marques BMW, Audi, Volvo, Mitsubishi et Toyota, ont constaté qu'une usine fabriquant des faux pare-brise a fait l'objet de trois descentes de police en deux ans et demi, qui ne l'ont pas empêché de continuer à produire des contrefaçons, vendues ensuite dans le monde entier.

En ce qui concerne l'Europe, une évaluation de la Commission européenne, réalisée en 2000, estime que la part de la contrefaçon des pièces de rechange par rapport au commerce légal est comprise entre 5 à 10 %.

D'après les constructeurs rencontrés par le rapporteur, les contrefaçons de pièces automobiles visent surtout les véhicules qui ont rencontré un succès commercial avéré : celles-ci apparaissent environ 3 à 4 ans après la sortie du modèle. Elles touchent principalement les pièces détachées de carrosserie, comme les phares et pare-brise pour les dessins et modèles, et l'ensemble des pièces pour la contrefaçon de marques, ce qui va des longerons aux freins, en passant par les plaquettes de frein et les berceaux moteurs. Par exemple, le 18 mars, puis le 22 mars 2005, les douanes françaises ont saisi, respectivement, 572 (démarreurs antivol, comodos de clignotants) et 384 pièces détachées (70 clignotants et 394 phares), provenant toutes de Taiwan.

Les pièces en question sont introduites d'Asie en France, en passant par l'Espagne et l'Italie, les deux pays « relais » de commercialisation, par des grossistes appartenant à des réseaux indépendants, qui les revendent ensuite à des garagistes ou à des carrossiers. Ainsi, les sociétés qui ont été condamnées ou ont fait l'objet de saisies en France savaient qu'elles se procuraient des pièces contrefaites, puisqu'elles les ont achetées sur catalogue, en dehors du circuit de distribution contrôlé par le constructeur. Dans le cas des contrefaçons de pièces de la marque Renault, la différence de prix pouvait aller jusqu'à 60 ou 70 %, le coût du travail étant, il est vrai, dans cette région d'Asie, 4 fois moins élevé que dans l'Union européenne...

En ce qui concerne la dangerosité des pièces contrefaites, le rapport du Centre d'études internationales de la propriété industrielle de 2004 sur les impacts de la contrefaçon en Europe cite, à titre d'exemple, le cas d'une conductrice tuée, en Espagne, par un capot contrefait, car celui-ci, au lieu de se plier lors d'un accident, a fusé dans l'habitacle de la voiture.

Par ailleurs, les résultats des tests de performance réalisés par le groupe PSA Peugeot Citroën en 2004, qui ont été communiqués au rapporteur, sont éloquents : avec un capot contrefait d'un poids de 14 kg, contre 7 kg pour le capot d'origine, et une pièce faite en acier au lieu d'aluminium, le risque d'aggravation des blessures, selon les critères concernant la protection des piétons en cas de collision avec un véhicule fixés par la directive n° 2003/102, augmente de plus de 30 %.

Enfin, il y a lieu de noter que, selon les constructeurs français, le marché des pièces contrefaites pourrait se développer, avec les risques accrus que cela poserait à l'intégrité physique des personnes si, d'aventure, l'Union européenne adoptait la proposition de directive sur la protection juridique des dessins ou modèles.

En effet, la suppression, prévue par le texte de la Commission, de la protection des dessins et modèles des pièces détachées de style désignées à la rechange aurait pour conséquence de permettre à des tiers de copier légalement les pièces créées par les constructeurs.

Le rapporteur ne peut donc que s'étonner de la démarche de la Commission : il est, en effet, tout à la fois incohérent et paradoxal que celle-ci veuille renforcer la protection des droits de propriété intellectuelle dans les pays tiers et, dans le même temps, autoriser, sur le plan communautaire, des copies...qui légitimeraient la contrefaçon. C'est pourquoi il soutient la position adoptée, sur cette proposition de directive, par la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne lors de sa réunion du 8 février 2005, par laquelle celle-ci a marqué son opposition au texte de la Commission.

La contrefaçon dans l'aviation

Aux Etats-Unis, durant l'été 2004, un accusé, M. Ralph Michael Cooper, a plaidé coupable dans une cour fédérale de la Floride pour avoir vendu à l'armée américaine des « faux » de pièces appartenant aux hélicoptères Black Hawk et See Hawk. Ce dernier, qui s'était engagé, aux termes d'un contrat conclu avec le département de la défense, à acheter les pièces à un fournisseur de Chicago, se les étaient, en réalité, procurées, au prix d'un dollar l'unité, auprès d'une société taiwanaise, puis les avait revendues, après avoir imité le logo de l'entreprise de Chicago, à 54 000 dollars la pièce.

La Federal Administration Aviation des Etats-Unis estime que près de 2 % des 26 millions des pièces installées chaque année sur des avions seraient des contrefaçons, ce qui représente environ 520 000 pièces. L'International Anticounterfeting Coalition cite le cas d'un crash d'avion en Norvège où 55 personnes ont trouvé la mort, suite à un problème ayant affecté la queue de l'appareil, qui comprenait des pièces d'origine inconnue et ne répondant aux normes de qualité et de sécurité.

Le rapport de juillet 2004 du Centre d'études internationales sur la propriété industrielle sur les impacts de la contrefaçon et de la piraterie en Europe estime toutefois que, dans ce secteur, « les suspicions paraissent plus nombreuses que les certitudes ». Il reste que, selon le rapport n° 1717 de Mme Odile Sauges et de M. François-Michel Gonnot, fait au nom de la mission d'information sur la sécurité du transport aérien, il existe dans ce domaine de « très nombreux courtiers ou grossistes en pièces détachées, dont certains sont loin d'être irréprochables et chacun peut trouver sur Internet tel courtier qui propose à la revente les pièces détachées provenant de l'épave d'un avion accidenté ». C'est pourquoi le rapport propose « d'introduire au niveau de l'Organisation de l'aviation civile internationale une réglementation des courtiers et grossistes en pièces détachées, qui ne font actuellement l'objet d'aucune procédure d'agrément ».

d) Les médicaments

La contrefaçon de médicaments est la plus grave de toutes, car elle peut mettre directement en danger la santé, voire la vie, des consommateurs.

Il peut s'agir :

- de produits qui contiennent les bons principes actifs, mais de façon sous-dosée, donc inefficaces ;

- de produits qui ne contiennent rien ou tout simplement du sucre, et qui donc ne soignent pas ;

- de produits qui contiennent éventuellement des impuretés et qui s'avèrent donc potentiellement dangereux.

Ce fléau concernerait, selon l'OMS, un médicament sur 10, tandis que, de son côté, la Food and Drug Administration (FDA) des Etats-Unis estime que les contrefaçons représentent plus de 10 % du mondial du médicament.

Or, la production de contrefaçons dans ce secteur est une activité très rentable, qui ne peut que s'accroître, car elle suit la courbe de la demande de soins de la collectivité. Elle est stimulée, en outre, par deux autres facteurs :

- un facteur ancien, les problèmes d'accès que posent, dans les pays en développement, l'absence d'un système de santé performant et l'existence de prix des médicaments trop élevés par rapport aux revenus disponibles ;

- un facteur nouveau, les perspectives d'évolution, à la hausse, du marché des produits dits « de société », qui traitent, par exemple, des problèmes de poids ou d'ordre sexuel. Pour certains de ces médicaments, les bénéfices attendus par les contrefacteurs peuvent être colossaux : par exemple, dans une affaire concernant la saisie de 700 000 tablettes de faux Viagra fabriqué aux Etats-Unis, la valeur de celles-ci atteignait, selon la FDA, jusqu'à 5,65 millions de dollars.

Les deux facteurs peuvent, bien entendu, se combiner : c'est ainsi qu'en mai dernier, 240 000 faux comprimés de Viagra ont été saisis à Roissy, alors qu'ils étaient destinés à l'Afrique.

(1) Le marché "porteur" des Etats-Unis

Le marché américain, dont on connaît le rôle déterminant pour « l'offre mondiale », quelle qu'elle soit, est, rendu très attractif, pour deux raisons structurelles : d'une part, le circuit du médicament est moins encadré qu'en Europe ; d'autre part, 40 millions d'Américains, qui n'ont pas de couverture sociale, sont incités à acheter des médicaments moins chers, soit dans les pays voisins soit sur Internet.

C'est pourquoi la contrefaçon de médicaments « visible » a été, aux Etats-Unis, presque multipliée par dix en 5 ans, devenant ainsi un sujet de préoccupation majeur pour les pouvoirs publics : le nombre d'enquêtes ouvertes par la FDA sur des cas de contrefaçons est passé de 6 en 2000 à 21 en 2001 et 27 en 2002, puis de 30 en 2003 à 58 en 2004.

A titre d'illustration, parmi les cas de contrefaçon traités par cette administration, peuvent être mentionnés :

- une affaire de trafic du Lipitor, l'anticholestérol le plus vendu au monde, qui a conduit les trois hommes arrêtés dans le cadre de l'enquête à plaider coupable au début de l'année 2005 ;

- un projet visant à introduire des médicaments contrefaisant l'hormone de croissance humaine, et dans lequel un homme a plaidé coupable, en mars 2004, dans un tribunal d'Austin, au Texas ;

- un cas ayant débouché sur la condamnation, en mars 2005, d'un trafiquant de Viagra contrefait, qui importait ce produit de Pékin, à une peine d'emprisonnement de 18 mois, suivie de 3 années de liberté conditionnelle, et à une amende de 6 000 dollars ;

L'ampleur et la gravité du phénomène ont donc conduit la Food and Drug Administration à suggérer, dans un rapport de février 2004, d'adopter un système de traçabilité des médicaments d'ici 2007.

(2) Des contrefaçons mortelles au Sud

Une étude de l'OMS, datant d'avril 1999, indique que 771 cas de médicaments de qualité inférieure avait été répertoriés dans la base de données relative aux contrefaçons que cette organisation a créée en 1982, dont 77 % concernaient les pays en développement.

Aujourd'hui, d'après cette organisation, 25 % des médicaments consommés dans les pays pauvres seraient des contrefaçons, beaucoup de médicaments y étant simplement vendus dans la rue, sur les marchés ou à la sauvette. Selon une autre étude réalisée en novembre 2003, jusqu'à 70 % des médicaments antipaludéens circulant au Cameroun se sont avérés être des contrefaçons. De même, d'après le Lancet, 64 % des traitements contre la malaria au Vietnam ne contenaient pas de principe actif, tandis que selon un rapport de la Food and Drug Administration de février 2004, 50 % de ces traitements circulant en Afrique seraient contrefaits.

De nombreuses raisons expliquent une présence aussi massive des contrefaçons de médicaments dans les pays en développement. D'abord, la consommation de faux vendus à bas prix est encouragée par la faiblesse des revenus des consommateurs, tout comme par celle du niveau d'instruction. En outre, ces pays peuvent souffrir d'un déficit d'approvisionnement en médicaments et de la défaillance, voire de l'absence, d'infrastructures de santé. A ces facteurs socio-économiques, s'ajoutent de multiples facteurs juridiques et politiques : absence de législation et d'autorités de régulation adéquates, faiblesse des sanctions pénales, corruption, existence de marchés incontrôlés, vente sur Internet, etc.

Les chiffres sur le marché des contrefaçons de médicaments dans les pays en développement reflètent une situation d'autant plus effarante que celles-ci visent des produits destinés aux traitements des affections potentiellement mortelles telles que le paludisme, la tuberculose et le VIH/SIDA, ainsi que les antibiotiques, les analgésiques, les antiparasitaires, les produits dermatologiques et les produits sanguins.

Dans de telles conditions, si l'utilisation de médicaments de qualité inférieure ou contrefaits, au mieux, entraîne un échec thérapeutique ou favorise l'apparition d'une résistance, elle peut aussi être mortelle. D'après l'OMS, sur le million de décès annuels dus au paludisme, 200 000 pourraient être évités si les malades étaient soignés par de « vrais » médicaments efficaces.


Les décès provoqués par des contrefaçons cités par l'OMS

« Au cours d'une épidémie de méningite au Niger en 1995, plus de 50 000 personnes ont reçu des faux vaccins provenant d'un don d'un autre pays qui les croyait sûrs. Cette contrefaçon a été à l'origine de 2 500 décès.

La consommation de sirop contre la toux contenant du paracétamol préparé avec du diéthylène glycol, un produit chimique toxique utilisé comme anti-gel, a provoqué 89 décès en Haïti en 1985 et 30 décès de nourrissons en Inde en 1998.

En 1999, au moins 30 personnes sont mortes au Cambodge après avoir absorbé des antipaludéens contrefaits contenant de la sulfadoxine-pyriméthamine (un ancien paludéen moins efficace) et vendu sous le nom d'
artésunate ».

Aide mémoire n° 275 de novembre 2003 de l'OMS.

(3) Une Europe protégée mais menacée

Des médicaments, ainsi que des emballages, contrefaits commencent à circuler en Europe, pour y être vendus.

Ainsi, de faux Cialis, traitant les troubles de l'érection, et de faux anorexigènes ont été découverts, en septembre 2004, dans le circuit pharmaceutique de la Grande-Bretagne. De même, de faux antiasthmatiques ont été vendus dans ce pays, tout comme de faux anticancéreux aux Pays-Bas ou antidépresseurs en Belgique.

Par ailleurs, début 2004, plusieurs réseaux de trafiquants à l'origine de milliers de contrefaçons de boîtes de médicaments ont été démantelés au Portugal.

En France, un seul cas de contrefaçon a été répertorié, et cela en dehors du circuit pharmaceutique. Il s'agissait d'une fausse pommade corticoïde vendue dans la rue à Paris, dans le quartier Barbès, et utilisée, de façon détournée, par la communauté africaine pour se blanchir la peau.

La France apparaît donc comme un territoire bien sécurisé, le circuit de distribution et le suivi du médicament étant très réglementés et organisés. La qualité, la sécurité et la traçabilité des médicaments sont en effet contrôlées à tous les stades de la chaîne pharmaceutique - fabricants, grossistes, pharmaciens.

Cela reste vrai, mais l'étanchéité du réseau risque d'être fortement mise à l'épreuve par le risque de développement des importations dites parallèles. Autorisées par la Commission et la Cour de justice des Communautés européennes, ces importations consistent à acheter des médicaments à moindre prix dans certains pays de l'Union européenne, où les systèmes de santé offrent des médicaments à des prix peu élevés, et à les revendre, après des altérations de conditionnement, sur des marchés de l'Union où ils sont plus chers.

A titre d'illustration, peuvent être cités les cas d'importations parallèles suivants :

- de la France vers l'Allemagne, du Stilnox 10 mg, l'étiquette étant collée sur l'étui et la notice nouvelle étant rédigée en allemand;

- de la France vers les Pays-Bas, un suppositoire, le Primperan, avec un sur-étiquetage masquant partiellement les inscriptions d'origine, une nouvelle notice rédigée en hollandais et une numérotation de lot se fondant sur la date de reconditionnement ;

- de l'Espagne vers l'Allemagne, du Dogmatil, avec un papillon d'information « explicatif » destiné au client, un nouvel étui et une nouvelle notice rédigée en allemand.

L'opération est toutefois encadrée : le médicament doit avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché dans l'Etat membre « vendeur » et dans l'Etat membre dont il provient. Seuls des intermédiaires agréés, respectant les procédures légales, peuvent donc être autorisés à importer des médicaments en France et à travers l'Europe.

Cependant, le risque d'une exploitation de la procédure par les contrefacteurs est réel, en raison des différences de prix qui peuvent, pour une même molécule, être importantes entre pays et qui expliquent l'intérêt d'un commerce pour des molécules à forte valeur ajoutée ou ayant un fort potentiel de ventes.

En outre, dans les Etats membres d'Europe de l'Est, les médicaments sont, la plupart du temps, moins coûteux que dans les Etats membres de l'Union à Quinze, et notamment la France. Celle-ci devient donc un marché intéressant pour les y exporter. Les importations parallèles légales vont donc se développer, mais à côté d'elles, le risque d'un circuit parallèle de médicaments contrefaits grandit. En effet, des contrefaçons russes ou ukrainiennes pourraient finir par pénétrer les circuits pharmaceutiques d'Europe, via les pays entrants de l'Union européenne, faute de contrôles stricts des frontières de la part de ces pays.

2) ...Et détruisant emplois et valeur ajoutée

Le coût économique et social de la contrefaçon se traduit par quatre types de pertes, dont l'addition constitue une menace pour la richesse et la croissance nationales.

Pour les créateurs, d'abord, la contrefaçon réduit à néant les efforts que les droits de propriété intellectuelle sont censés protéger et valoriser.

Ensuite, pour les entreprises, cette activité illicite entraîne une perte de leur chiffre d'affaires, une diminution de leurs bénéfices et réduction de leurs parts de marché. Elle crée également une barrière à l'exportation, puisque le marché mondial est touché par la contrefaçon. Elle se traduit aussi par un préjudice moral, l'image et la réputation d'une marque étant ternies si celle-ci est incriminée par le consommateur, rendu mécontent par la mauvaise qualité d'un faux. Enfin, elle présente un coût en ce qui concerne les frais engagés pour défendre les droits.

Différentes estimations sur la perte de chiffre d'affaires des entreprises au niveau mondial ont été effectuées, mais elles varient, en raison de la difficulté de l'exercice, entre 200 et plus de 500 milliards d'euros par an. En France, la perte de chiffre d'affaires a été évaluée, par l'Union des fabricants, à 6 milliards d'euros par an. Pour la seule industrie du disque, par exemple, le chiffre d'affaires a chuté en France de 20 % au premier semestre 2004.

Ces chiffres ne constituent donc, pour la plupart d'entre eux, que des approximations, souvent fluctuantes. Mais ils ne sont utilisés, ici, que dans un seul but : souligner l'ampleur des conséquences du pillage intellectuel et industriel généré par la contrefaçon.

D'autre part, l'avenir des secteurs sur lesquels repose la croissance des économies du savoir, qui, elles, pourront survivre à la concurrence exercée par les pays émergents, est compromis par le développement de la contrefaçon et de la piraterie de masse. Ainsi, ce sont non seulement les industries « d'aujourd'hui », mais celles de demain, qui sont frappées par ce fléau grandissant : toute la base industrielle et technologique des pays développés est fragilisée par cette économie de la triche et de la copie.

Quant au coût social de la contrefaçon, le commerce des produits contrefaits représenterait, selon les estimations communiquées au rapporteur par les professionnels et les administrations, une perte de 200 000 emplois dans l'Union européenne, dont 38 000 en France par an.

Des études sectorielles s'efforcent, à l'inverse, de chiffrer l'impact, sur l'emploi, d'une réduction du taux de contrefaçon : c'est ainsi que, selon le cabinet IPC, une baisse de 10 points du taux de piratage en France, permettrait de créer 45 000 nouveaux emplois qualifiés.

Enfin, la contrefaçon entraîne de lourdes pertes économiques et fiscales pour les Etats, en raison des circuits clandestins qu'elle emprunte.

Dans le secteur des logiciels, la Business Software Association estimait, en 2003, qu'une réduction de 10 points sur 4 ans du taux de contrefaçon mondial créerait 1,5 million d'emplois et apporterait 64 milliards de dollars de recettes fiscales aux Etats, ainsi qu'un supplément de croissance économique d'une valeur de 400 milliards de dollars.

L'étude du Centre for Economics and Business Research, datée de 2000, évalue l'impact de la contrefaçon pratiquée sur quatre secteurs de l'économie européenne à une réduction globale du PIB des Etats membres de 8 milliards d'euros par an. Quant aux pertes fiscales, elles s'élèvent, selon cet organisme, à 7,8 millions d'euros par an pour les industries du vêtement et de la chaussure, à 3,017 millions d'euros par an pour les parfums et les cosmétiques, à 3,7 millions d'euros par an pour les jouets et les équipements sportifs et à 1,5 million d'euros par an pour les produits pharmaceutiques.

II. L'URGENCE D'UNE RIPOSTE EFFECTIVE ET ORDONNEE

Face à ce fléau universel qu'est la contrefaçon, les Etats tardent à agir.

Pourtant, les bonnes volontés exprimées à l'occasion des rencontres internationales organisées sur le sujet semblent refléter un consensus.

En réalité, l'attitude affichée dans ces enceintes contraste souvent avec stratégies nationales effectivement mises en œuvre à l'encontre des contrefacteurs.

Car nombre d'Etats sont attentistes, indifférents ou tolérants vis-à-vis de ce phénomène : tel est le cas de beaucoup de pays en développement qui, malgré tous les discours tenus et les annonces promises, ne commenceront, selon toute vraisemblance, à lutter efficacement contre ce phénomène que lorsqu'une telle politique répondra à leurs intérêts.

Pour ces pays, en effet, la bienveillance de leurs autorités à l'égard des contrefacteurs s'inscrit dans une stratégie de décollage économique, qu'ils encouragent également en vue de capter des ressources « extrabudgétaires » : un environnement politique aussi favorable au développement de la contrefaçon n'a dès lors que faire d'un cadre répressif, qui, s'il existe, sera, de toute manière, mollement appliqué. En Indonésie, par exemple, seulement 25 % du budget de l'Etat couvre les dépenses de l'armée, qui s'est donc spécialisée dans d'autres branches d'activité...

Quant aux premiers pays « victimes » de ce pillage intellectuel et industriel, c'est-à-dire les pays développés, leur mobilisation est faible et peu efficace, car, trop souvent, la contrefaçon est, encore aujourd'hui, perçue par les autorités répressives, tout comme par les consommateurs, comme un délit « mineur ».

A. Un « arsenal » européen de procédures de facto lacunaire, peu dissuasif et générateur d'effets d'aubaine

La situation de l'Union européenne et de ses Etats membres à l'égard de la lutte contre la contrefaçon est marquée par un écart trop important entre une prise de conscience réelle de la gravité du phénomène et de la nécessité de s'y attaquer et des pratiques nationales excessivement divergentes, si ce n'est tolérantes, qui sont créatrices d'un aléa judiciaire et douanier et conduisent à élaborer des textes communautaires à partir du plus petit dénominateur commun.

Ainsi, quand bien même, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union, lors du Conseil européen de Bruxelles des 20 et 21 mars 2003, ont « invité la Commission et les Etats membres à améliorer l'exploitation des droits de propriété intellectuelle en prenant des mesures contre la contrefaçon et le piratage », cet engagement ne s'est toujours pas traduit par l'adoption d'un cadre pénal européen anti-contrefaçon.

1) Un dispositif français exemplaire mais isolé

a) Une France en pointe...

Exemplaire, le dispositif français de lutte contre la contrefaçon l'est à deux titres : en raison, d'une part, des pouvoirs reconnus à la douane et, d'autre part, de la lourdeur des peines qui répriment les actes de contrefaçon.

Cette exemplarité est le résultat d'une véritable culture de la protection des créations et des inventions, qu'elles soient artistiques ou industrielles, qui ont toujours été valorisées, et dont le secteur du luxe, le représentant éminent de notre art de vivre, s'est fait l'ardent défenseur.

En outre, depuis juin 2004, le renforcement du dispositif national de lutte contre la contrefaçon a été érigé, par les pouvoirs publics, en priorité.

(1) Une détermination gouvernementale réelle

Signe du degré d'importance qu'accorde la France à la lutte contre la contrefaçon, le Gouvernement a adopté, à la suite d'une communication au Conseil des ministres du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, présentée le 2 juin 2004, un plan d'action en onze points.

Cet ensemble de mesures, destiné à renforcer durablement le cadre d'intervention et de répression de toutes les administrations et autorités concernées, a donné lieu à des premiers résultats encourageants(5).

(2) Un dispositif douanier et pénal très complet

La douane française dispose de trois pouvoirs importants, dont la combinaison est rare en Europe et dans le monde.

Premièrement, elle peut retenir, ce qui constitue une compétence douanière « classique », pendant une durée maximum de 10 jours ouvrables, toutes les marchandises soupçonnées d'être une contrefaçon d'un droit de propriété intellectuelle (marque, brevet, dessin, modèle et droit voisin), à la condition que le titulaire de droit ait déposé au préalable une demande d'intervention auprès de ce service.

Deuxièmement, la douane peut mettre en œuvre, de sa propre initiative, donc en dehors de toute autorisation préalable, une procédure de saisie, lorsque la marchandise faisant l'objet d'un contrôle est présentée, manifestement, sous une marque contrefaite. Elle en informe le Procureur de la République et le titulaire de la marque, afin que celui-ci puisse, s'il le souhaite, intenter une action en justice. Cette mesure a pour effet de retirer immédiatement des circuits commerciaux les marchandises incriminées.

Troisièmement, les agents du service national de la douane judiciaire (SNDJ), créé en décembre 2002, peuvent agir au niveau pénal. Ces derniers ont, en effet, depuis l'entrée en vigueur le 1er octobre 2004, des dispositions de la loi dite « Perben II » relatives à la douane judiciaire, compétence, non seulement pour rechercher et constater les infractions prévues par le code des douanes, ainsi que celles relatives aux contrefaçons de marque et les infractions connexes à ces catégories d'infractions, mais aussi pour recevoir des parquets des réquisitions, en vue de procéder à des enquêtes préliminaires ou de flagrance. De même, le Service national de douane judiciaire peut mettre en œuvre la procédure d'infiltration prévue aux articles 708-81 à 706-87 du code de procédure pénale pour la recherche de contrefaçons de marque.

Il y a lieu de noter, par ailleurs, qu'en matière de contrefaçon de marques, les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont habilités, depuis la loi du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales, à rechercher et constater les infractions, sans disposer, toutefois, du pouvoir de saisir les marchandises.

Quant au dispositif pénal, il est l'un des plus sévères au monde.

Il repose sur des dispositions solides et anciennes, issues notamment de la loi du 5 février 1994, dit loi Longuet, qui ont été renforcées dans la période récente. A cet égard, la loi du 18 mars 2003, relative à la sécurité intérieure, et la loi dite « Perben II » du 10 mars 2004, relative à l'adaptation de la justice aux nouvelles formes de criminalité, ont singulièrement aggravé les peines encourues par les contrefacteurs.

Le détail des sanctions applicables en France

Le dispositif pénal français vise tant la protection des marques que celle des œuvres, des bases de données, des dessins et modèles et des brevets d'invention.

S'agissant des contrefaçons de marques, il repose à la fois sur les sanctions prévues par le code de la propriété intellectuelle et sur les sanctions douanières. Ainsi, selon la circulaire de politique pénale du 9 août 2004, trois niveaux de sanctions sont prévus :

- Le premier niveau de sanction - trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende - concerne les cas les plus courants, qu'il s'agisse par exemple de la détention, de l'importation, de la vente de produits contrefaisants ou encore de l'imitation d'une marque en violation des droits de son titulaire. Il convient de souligner ici une particularité remarquable du droit pénal français, qui permet de sanctionner le consommateur.

- Le niveau intermédiaire - quatre ans d'emprisonnement et 400 000 euros d'amende - pénalise les personnes qui, en vue de vendre, fournir, offrir à la vente ou louer des marchandises présentées sous une marque contrefaite, se livrent à l'une des trois activités suivantes :

. importation, exportation, réexportation ou transbordement de ces marchandises ;
. production industrielle ;
. instructions pour la commission des actes visés aux deux tirets précédents.

- Le troisième niveau de sanction - cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros - est applicable aux délits commis en bande organisée.

En outre, l'importation de contrefaçons de marques provenant de pays tiers à l'Union européenne est prohibée par le code des douanes, et constitue un délit douanier de contrebande ou d'importation sans déclaration. L'exportation ou la réexportation vers ces mêmes pays tiers des marchandises de contrefaçon constituent également un délit douanier. Dans tous ces cas, les infractions douanières sont réprimées par l'article 414 du code des douanes, qui prévoit une peine d'emprisonnement maximum de trois ans, la confiscation de l'objet de fraude, des moyens de transport, des objets ayant servi à masquer la fraude, et une amende comprise entre une et deux fois la valeur des marchandises.

De plus, lorsque les faits sont commis en bande organisée, la peine d'emprisonnement maximum est portée à dix ans et la peine d'amende peut aller jusqu'à cinq fois la valeur de l'objet de fraude, depuis les modifications apportées par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure (article 414 alinéa 2 du code des douanes).

S'agissant des contrefaçons en matière de propriété littéraire et artistique, de bases de données, de dessins et modèles et de brevets, les peines d'emprisonnement prévues sont fixées à trois ans et les peines d'amende à 300 000 euros. Une circonstance aggravante de commission des faits en bande organisée a été par ailleurs créée, qui porte les peines à cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende.

(3) Une culture répressive des tribunaux limitée

Un bon cadre pénal est une condition nécessaire pour lutter efficacement contre la contrefaçon, mais insuffisante :  en effet, les dispositifs protégeant les titulaires de droit et réprimant les contrefacteurs peuvent rester lettre morte, si les tribunaux n'appliquent pas la loi pénale dans toute son étendue.

Or, à cet égard, les tribunaux français ne se singularisent pas par rapport à leurs homologues européens : les délits liés à la propriété intellectuelle, à l'image du traitement pénal de la délinquance financière, ne débouchent que très rarement sur des condamnations fermes, et par ailleurs lorsque c'est le cas, celles-ci ne sont pas aussi lourdes que celles punissant les auteurs d'atteintes aux personnes. Dans ces affaires donc, les tribunaux ne prononcent, le plus souvent, que des peines d'incarcération avec sursis, accompagnées d'une amende.

C'est ainsi que, d'une manière générale, le contrefacteur n'est pas encore traité comme un délinquant dangereux, sauf cas exceptionnel, quand est prouvé un lien avec une organisation criminelle.

En outre, pour beaucoup de titulaires de droit, les dommages et intérêts accordés ne répondent pas au préjudice subi. Cette appréciation doit être toutefois mise en balance avec leur réticence avérée à défendre leurs droits. En effet, certains d'entre eux, les titulaires de marques notamment, ont une attitude ambiguë à l'égard de la contrefaçon, qu'ils peuvent considérer comme étant une forme de publicité gratuite faite à leurs produits, en particulier auprès d'un public qui, pour des raisons économiques, préférera, de toute façon, acheter des « faux ».

Les données communiquées au rapporteur par le ministère de la justice sur les condamnations pénales prononcées illustrent la faiblesse de cette culture répressive anti-contrefaçon. Certes, le nombre des condamnations intervenues dans ce domaine au cours des dernières années connues, 454 en 2002 et 492 en 2003, représente une augmentation d'un tiers par rapport à la situation qui prévalait avant l'adoption de la loi Longuet (292 en 1992 et 336 en 1993).

Mais, en prenant l'exemple des condamnations portant sur le délit le plus fréquemment retenu (détention de produits revêtus d'une marque contrefaite), si des peines d'emprisonnement sont prononcées dans la moitié des cas, soit 83 fois sur 169 cas en 2003, on constate qu'il s'agit la plupart du temps de peines d'emprisonnement avec sursis : 17 peines d'emprisonnement ferme sur 83 cette année.

Cette situation est susceptible d'évoluer, avec l'entrée en vigueur des dispositifs renforcés lors de la période récente : il conviendra donc d'attendre l'été prochain pour disposer des premières statistiques sur les jugements de l'année 2004, qui permettront d'évaluer l'application, des dispositions de la loi « Perben II » qu'auront faite les tribunaux. Il est probable qu'il faille même attendre l'année 2006 pour apprécier les évolutions de la politique pénale dans ce domaine.


Quelques statistiques sur les peines prononcées
dans le domaine de la contrefaçon en France
Année 2003

en matière de contrefaçon par édition ou reproduction d'une œuvre de l'esprit au mépris des droits de l'auteur : 126 condamnations, 64 peines d'emprisonnement, dont 1 ferme, avec un montant moyen d'amende ferme de 1 337 euros ;

- en matière d'atteinte aux droits du propriétaire d'un brevet : 1 condamnation et une peine d'emprisonnement non ferme ;

- en matière de reproduction d'une marque sans l'autorisation de son propriétaire : 10 condamnations, 2 peines d'emprisonnement, dont 1 ferme, avec un montant moyen d'amende ferme de 1 833 euros ;

- en matière d'imitation trompeuse d'une marque sans l'autorisation de son propriétaire : 3 condamnations, 0 ferme, avec un montant moyen d'amende ferme de 4 000 euros ;

- vente ou offre de produits ou de services sous une marque contrefaite, en connaissance de cause : 63 condamnations, 32 peines d'emprisonnement, dont 5 fermes, avec un montant moyen d'amende ferme de 1 217 euros ;

- en matière d'importation de marchandises présentées sous une marque contrefaite : 51 condamnations, 23 peines d'emprisonnement, dont 7 fermes, avec un montant moyen d'amende ferme de 2 457 euros.

Source : Ministère de la justice.

D'autre part, la difficulté de réprimer est accrue par le fait que les interceptions douanières françaises portent sur deux tiers de marchandises qui ne font que transiter sur son territoire.

Aussi l'expéditeur et le destinataire étant à l'étranger, la justice doit-elle, pour agir, recourir à des commissions rogatoires internationales, qui prennent beaucoup de temps et limitent de facto la répression.

Or, le volume d'échanges de demandes de commissions rogatoires passant par le ministère de la justice, donc hors celles transmises directement entre autorités judiciaires sur le fondement de l'article 53 de la convention d'application des accords de Schengen, est encore trop faible, aucune commission n'ayant été adressée aux autorités chinoises par exemple : au 1er février 2005, on comptait deux commissions rogatoires, toujours en cours, pour contrefaçon d'une œuvre à destination, respectivement, du Canada, en date du 4 décembre 2001, et des Etats-Unis, en date du 26 septembre 2003 ; une commission rogatoire à destination de la Pologne pour contrefaçon de marque exécutée le 30 janvier 2004 ; deux commissions rogatoires à destination de la Thaïlande en date du 24 septembre 2003 et du 27 mars 2004 et une commission rogatoire à destination de l'Italie pour des faits d'importation de marchandises présentées sous une forme de marque contrefaite ; une commission rogatoire à destination des autorités judiciaires américaines, toujours en cours, pour des faits de contrefaçon de marque et une commission rogatoire internationale à destination du Portugal pour des faits de contrefaçon de pièces détachées de marque Renault, Citroën et Peugeot.

b) ...Parmi des pratiques et des droits nationaux souvent défaillants

Alors que l'Europe économique est très avancée, l'Europe judiciaire peine à se faire.

Or, les contrefacteurs savent parfaitement exploiter une situation dans laquelle le maintien des frontières, dans le domaine de la justice et de la police, favorise la criminalité transfrontalière.

Ainsi, selon le directeur général des douanes et des droits indirects du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, les filières criminelles s'organisent en fonction de l'état des droits nationaux, afin de mettre en place des canaux de production, d'acheminement et de distribution qui transitent par les Etats à législation ou à la pratique pénale la moins sévère.

(1) L'Italie comme point de fixation

Tous les professionnels, ainsi que les représentants des administrations, rencontrés par le rapporteur ont souligné le rôle important qu'occupe, au cœur de l'industrie de la contrefaçon, l'Italie.

Le caractère massif de cette activité en Italie a des répercussions dommageables non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan politique. Il rend, d'après eux, difficilement crédible la tenue d'un discours européen volontariste de lutte contre la contrefaçon auprès des autorités des pays tiers, qui rétorquent ainsi que l'Europe devrait d'abord régler son « problème italien », avant de donner des leçons aux autres.

En effet, l'Italie est le premier pays producteur d'Europe de contrefaçons et, selon certaines estimations, le troisième au niveau mondial, après la Chine et la Corée. Elle est aussi une plaque tournante, qui achemine et redistribue les contrefaçons, avec Gênes comme port d'entrée, dans l'Union européenne, des « faux » produits en Asie et transitant par Dubaï.

Quelques chiffres permettent d'illustrer le poids économique de l'industrie italienne de la contrefaçon :

- la croissance du chiffre d'affaires, des biens contrefaits, dans les dix dernières années, a été de 1 300 %. La vente en Italie de ces biens est évaluée entre 3 et 5 milliards d'euros ;

- les autorités italiennes estiment à 40 000 le nombre d'emplois perdus à cause de la contrefaçon depuis 10 ans ;

- les pertes fiscales causées par la contrefaçon équivalent à 8,2 % de l'impôt sur le revenu et à 21 % de l'IVA (TVA).

Cette économie parallèle est, en outre, dominée par les groupes mafieux. A titre d'exemple, l'International Intellectual Property Alliance cite, dans son rapport de 2004 sur l'Italie, le procès d'un chef de gang, à Naples, faisant suite à une enquête sur la famille Giuliano, durant lequel ce dernier a présenté au jury une description complète des modalités d'organisation de la piraterie par la mafia napolitaine. Ce gang de la Camorra gagnait plusieurs millions de dollars par semaine grâce au commerce de la drogue, au racket et à la production et à la distribution de copies illégales d'œuvres musicales. Il supervisait l'ensemble des opérations illégales, tandis que des chefs de réseaux locaux contrôlaient directement ces activités. Ces derniers étaient autorisés à conserver pour eux-mêmes une partie des bénéfices, après avoir déposé de l'argent sur les comptes des chefs de la Camorra.

Face à un phénomène aussi ample et menaçant, l'Italie commence à agir, sur tous les plans.

Sur le plan judiciaire, suite à un revirement de jurisprudence de la Cour de Cassation intervenu en mai 2001, des poursuites peuvent désormais être engagées contre une même personne, à la fois pour recel, puni par une peine d'emprisonnement de 2 à 8 ans, et pour la mise en vente de produits contrefaits, sanctionnée par une peine d'emprisonnement de 2 ans seulement. De même, la Cour, depuis un arrêt d'octobre 2001, reconnaît désormais que la « contrefaçon grossière », c'est-à-dire manifeste, est punissable, une peine d'emprisonnement maximale de trois ans pouvant s'appliquer. Par ailleurs, en 2003, 12 tribunaux spécialisés en matière de propriété intellectuelle, répartis sur tout le territoire, ont été créés. Enfin, dans le cadre de la réforme du code pénal, une commission constituée à cet effet au sein du ministère de la justice préparerait un projet de loi concernant les infractions en matière de contrefaçon, qui pourrait déboucher sur l'adoption d'un système de peines plus dissuasives. Dans cette perspective, le décret-loi du 14 mars 2005 prévoit un durcissement des peines applicables aux vendeurs ou aux producteurs de contrefaçons, avec l'augmentation de l'amende à 20 000 euros, tandis que la peine de prison d'un an resterait inchangée.

Ces avancées sont encourageantes ; elles ne constituent pas toutefois un début de commencement de rapprochement avec le modèle français.

L'engagement de l'Italie à lutter contre la contrefaçon se manifeste aussi au travers des actions convenues avec la France dans le cadre du Comité franco-italien anti-contrefaçon. Le programme agréé en novembre 2004 prévoit la promotion, par les deux pays, au sein de l'Union européenne, de l'harmonisation des sanctions, la tenue de rencontres régulières d'échange d'informations et de méthodes et la réalisation d'actions communes de formation des magistrats.

Cependant, l'objectif d'une « tolérance zéro », avancé par l'ambassadeur d'Italie lors d'un entretien avec le rapporteur, restera un vœu pieux être tant que le recours à l'action judiciaire, qui est déterminante dans un secteur d'activité contrôlé par des réseaux criminels, s'assimile, dans ce pays, à une démarche incertaine et hasardeuse. Il faut attendre parfois des mois, voire des années avant qu'un procès ne débute, entre la date où ont eu lieu les interventions policières et celle de la mise en accusation. Dans certaines affaires, par exemple, la procédure n'a démarré que quatre années après l'intervention de la police. D'autre part, une fois engagées, les procédures durent encore deux à trois années de plus. Or, les affaires trop anciennes, qui atteignent 5 ans, sont tout simplement enterrées ou classées sans suite, une règle exploitée par les avocats des contrefacteurs.

Ces carences constituent des atteintes à l'obligation générale posée par l'article 3 de la directive n° 2004/48 du 29 avril 2004, qui dispose que les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle « ne doivent pas comporter des délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés ».

Par ailleurs, l'Italie devrait concrétiser sa bonne volonté en ratifiant, dans les délais les plus brefs, la convention de Naples II de 1997, relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre les administrations douanières. Elle est le dernier pays, parmi les Quinze, à ne pas l'avoir fait, ce qui a pour conséquence de bloquer l'entrée en vigueur d'une convention facilitant la réalisation de « livraisons surveillées », utiles à l'infiltration des réseaux pour démanteler les filières.

(2) Des disparités créant un aléa douanier et judiciaire

(a) La réglementation douanière applicable

La réglementation douanière applicable permet de distinguer trois groupes d'Etats membres, selon une analyse comparée des dispositifs de lutte contre la contrefaçon réalisée par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, à la demande du rapporteur.

Ainsi, ceux dans lesquels la contrefaçon est un délit douanier sont rares. En Allemagne, en présence de marchandises supposées contrefaites, les agents des douanes peuvent ordonner le retrait desdites marchandises et leur destruction, si le responsable des marchandises n'intente aucune action contre les mesures prises par les autorités douanières et que le titulaire du droit protégé ne retire pas sa demande de saisie à la frontière. Aux Pays-Bas, le délit douanier de contrefaçon existe, mais la douane néerlandaise ne le met pas en œuvre avec autant d'efficacité que dans le dispositif français : la douane concentre en effet son action sur les contrôles proprement dits, en s'appuyant largement sur l'analyse de risque, sans s'impliquer dans la conduite d'enquêtes.

Les pays dans lesquels le délit douanier de contrefaçon n'existe pas sont, en revanche, plus nombreux.

En Italie, par exemple, la douane ne va pas au-delà de la réglementation communautaire : ainsi, les marchandises contrefaites, originaires de la Communauté européenne ou mises en libre pratique dans un autre Etat membre, et les marchandises sans caractère commercial, transportées dans les bagages personnels des voyageurs dans la limite de la franchise douanière, sont exclues des contrôles douaniers.

En Autriche, cette administration ne peut agir que sur des marchandises tierces et le champ d'application est restreint aux dispositions de l'article 1 du règlement communautaire n° 1383/2003, qui rend impossibles les interventions sur les marchés ou en contrôle à la circulation. Cependant, une loi n° 56/2004 complète ce dispositif, en prévoyant que les douaniers, au cours de leur mission et dans le cas où il s'avérerait évident que les marchandises contrôlées sont des contrefaçons, peuvent intervenir dans le cadre intra-communautaire. Il reste qu'en vertu de cette loi, une constatation effectuée dans le cadre du règlement communautaire ne constitue pas un délit douanier, mais est considérée comme une infraction financière, passible d'une amende de 15 000 euros.

En ce qui concerne les nouveaux Etats membres, les douanes de la République tchèque et de la Slovaquie se fondent sur les règlements communautaires, mais dès qu'ils interviennent dans le cadre de leurs pouvoirs judiciaires, ils peuvent opérer sur l'ensemble du territoire pour saisir des contrefaçons. En Hongrie, la douane peut, outre le cadre offert par le règlement communautaire, également intervenir soit dans le cadre administratif national, soit dans le cadre judiciaire, sur l'ensemble du territoire et sans distinction du statut des marchandises (marchés, magasins).

Les pays dont les douanes ne peuvent pas agir au-delà de la réglementation communautaire sont encore plus nombreux. C'est le cas au Danemark, en Espagne (Andorre également), en Lituanie, au Portugal, en Pologne et en Slovénie.

Par exemple, en Pologne, en matière de répression, la douane reste limitée dans ses pouvoirs à la réglementation communautaire : il n'existe pas d'infraction douanière en tant que telle, que ce soit en délit ou en contravention. Plusieurs tentatives ont déjà été faites par l'administration douanière polonaise pour pénaliser ce type d'infractions, en présentant des projets de loi dans ce sens au Parlement, mais sans succès. Actuellement, les visites domiciliaires ne peuvent se faire qu'avec l'autorisation expresse du parquet et la participation de la police. La douane a toutefois obtenu le droit de mettre en place des filatures et d'arrêter des prévenus, pouvoirs qui jusque là étaient détenus exclusivement par la police et les gardes frontières.

En ce qui concerne l'Estonie et de la Lettonie, les douanes manquent également de pouvoirs et le délit de contrefaçon n'existe qu'en tant que délit de droit commun.

Enfin, alors même que la Belgique considère la lutte contre la contrefaçon comme une priorité, la contrefaçon et la piraterie ne sont pas encore qualifiées de délit douanier.

(b) Quelques exemples de sanctions pénales en vigueur

La faiblesse des sanctions pénales prévues par les différentes législations nationales ressort des exemples suivants, tirés de l'étude précitée.

En Italie, le code pénal (articles 473 et 474) sanctionne la contrefaçon et son introduction. Il inclut les produits tant italiens qu'étrangers. Le seul fait de commettre un délit de contrefaçon, puni par l'article 473 du code, même s'il est passible d'une peine d'emprisonnement de 3 ans et d'une amende de 2065 euros, ne permet pas le recours à une mesure de détention provisoire, ni même à un placement en garde à vue. Par ailleurs, l'article 474 du code pénal italien sanctionne le commerce de contrefaçons par deux ans d'emprisonnement et 2 065 euros d'amende, soit un niveau très inférieur aux peines prévues par le code pénal français.

En Allemagne, si l'infraction à la protection de la propriété industrielle et commerciale est manifeste, la marchandise reste bloquée et le contentieux est réglé d'après la loi nationale du lieu du litige. La loi relative à la protection des marques prévoit comme sanctions une amende ou une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans.

En Grèce, les sanctions à l'encontre de la contrefaçon, prévues à l'article 66 de la loi 2121/93 du 4 mars 1993, comprennent une peine de prison de un an et des amendes de 2 900 à 15 000 euros, ces peines peuvent être aggravées si les profits retirés sont particulièrement importants.

L'Espagne a renforcé son dispositif en 2004 : ainsi, depuis le 1er octobre, les peines encourues en matière d'atteinte à la propriété intellectuelle et industrielle sont alourdies, pouvant aller jusqu'à 4 ans de prison et 24 mois(6) d'amende. Les articles 270 à 276 du code pénal punissent la contrefaçon à des fins lucratives, pour les atteintes à la propriété intellectuelle, et à des fins industrielles et commerciales, pour les autres, d'une peine de prison de six mois à deux ans et d'une amende de 12 à 24 mois. Dans les cas d'une gravité spéciale sur le plan économique, criminel (lien avec une organisation) ou social (utilisation de mineurs de 18 ans), la contrefaçon est punie d'une peine de prison de un à quatre ans, d'une amende de 12 à 24 mois et d'une interdiction d'exercer la profession liée au délit durant deux à cinq ans.

Au Portugal, l'article 197 du code du droit d'auteur et des droits connexes punit l'usurpation et la contrefaçon de droit d'auteur d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans et d'une amende de 150 à 250 jours, en fonction de la gravité. Les articles 321 à 328 du code de la propriété industrielle, punissent la contrefaçon d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans ou d'une peine d'amende de 360 jours ou 120 jours selon les cas.

Le Danemark, quant à lui, semble privilégier, dans la pratique, l'aspect financier et négliger l'aspect pénal de la question. La police ne peut s'autosaisir d'affaires de contrefaçon.

Aux Pays-Bas, le code pénal ne prévoit aucune poursuite pour les contrefaçons à « usage personnel ». En effet, l'article 337§2 du code pénal, exclut par principe des poursuites pour le fait de stocker quelques objets, pièces détachées ou marques contrefaites, pour le seul usage personnel.

En Pologne, le juge peut statuer sur les pénalités pécuniaires, privatives de liberté ou la confiscation des marchandises. Sa marge d'appréciation est très importante, les codes pénal et pénal-fiscal ne fixant pas de seuil, il peut décider de rendre des produits contrefaisants, ce cas de figure s'est vérifié à plusieurs reprises, de les confisquer, en vue de les détruire ou de les donner à une œuvre caritative et/ou faire payer une pénalité pécuniaire symbolique ou conséquente.

Enfin, un nombre important d'Etats membres traitent la contrefaçon principalement dans le cadre des procédures civiles. C'est le cas des Pays Bas, du Luxembourg et de l'Italie, cette dernière complétant l'action pénale par des sanctions civiles, au titre de la concurrence déloyale. De même, la contrefaçon en Autriche est considérée comme une affaire commerciale privée. Exemple de pays disposant d'une procédure civile lacunaire, au Danemark, la loi n'impose pas de dommages et intérêts et les sociétés victimes de la contrefaçon qui recourent à la procédure civile ont peu de chances d'obtenir des dommages et intérêts supérieurs ou égaux aux dépenses évitées par la copie illicite.

2) Des instruments européens utiles mais ne créant aujourd'hui qu'un cadre a minima

Deux textes, un règlement et une directive, forment le socle du dispositif communautaire de lutte contre la contrefaçon. Mais, ainsi que l'ont souligné tous les interlocuteurs français du rapporteur, ces instruments n'ont qu'une portée limitée.

A cela, s'ajoute le fait que ce dispositif est piloté par une Commission administrativement faible en matière de lutte contre la contrefaçon.

a) Deux actes communautaires reposant sur le plus petit dénominateur commun et dépourvus de contenu pénal

Les deux textes en question ont le mérite d'exister, mais pour le reste, ils n'assurent que le minimum de cohérence entre les pratiques nationales.

Cette harmonisation minimale résulte, on l'aura compris, des grandes disparités procédurales existant entre les Etats membres, notamment en ce qui concerne les saisies ou la cessation, par des injonctions et des mesures provisoires, des activités de contrefaçon.

Le premier texte est le nouveau règlement « douanier » n° 1383/2003/CE du 22 juillet 2003. Il comporte trois petites avancées, qui permettent, depuis son entrée en vigueur le 1er juillet 2004, de mieux contrôler les marchandises contrefaites.

Son champ d'application couvre en effet tous les droits de propriété intellectuelle, y compris les « nouveaux » droits, à savoir les obtentions végétales, les indications géographiques et les appellations d'origine.

En outre, les demandes d'intervention à présenter auprès des douanes, à des fins de protection des droits, sont en parties harmonisées : elles deviennent gratuites, leur forme est simplifiée et leur durée de validité est étendue à un an.

Enfin, le champ d'application de la procédure ex officio, qui permet aux douanes d'agir sans le dépôt préalable d'une demande d'intervention est élargi, dans la mesure où les agents peuvent désormais intervenir sur un simple soupçon au lieu de la certitude de la contrefaçon.

Mais ce texte présente une faille importante, en ce qu'il ne généralise pas, sur le plan communautaire, la saisie douanière « à la française » sur les contrefaçons de marque, tant sur les marchandises en circulation que détenues. L'institution de cette procédure, demandée par la France, n'a pas recueilli le soutien d'une majorité d'Etats membres.

Il a lieu de noter toutefois que le cadre fixé par le règlement est complété par la convention, dite « Naples II », sur l'assistance mutuelle et la coopération entre les administrations douanières, qui a été établie par un acte du Conseil du 19 décembre 1997. Les administrations douanières doivent se prêter mutuellement assistance pour prévenir et rechercher les infractions aux réglementations douanières nationales, ainsi que pour poursuivre et réprimer les infractions aux réglementations douanières et nationales. Sur ce fondement, elles peuvent, d'un commun accord, créer une équipe d'enquête commune spécialisée, chargée de coordonner les enquêtes difficiles.

L'autre texte est la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 du Parlement européen et du Conseil relative aux mesures et procédures visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle.

Elle contient des avancées significatives, notamment en ce qui concerne les pouvoirs reconnus aux autorités judiciaires, mais sa portée est réduite par l'absence de dispositions de caractère pénal.

Cette lacune résulte des discussions entre les Etats membres et la Commission sur la base juridique devant permettre l'inclusion de telles dispositions, une véritable « bataille juridique » que la Commission a perdue.

Cette directive, compte tenu de la répartition actuelle des compétences entre les piliers de l'Union européenne, ne constituait pas, il est vrai, le cadre approprié pour prévoir l'application de sanctions pénales. Mais il n'en reste pas moins que les arguments avancés dans ce sens par certains Etats membres, même s'ils étaient juridiquement fondés, n'allaient pas sans refléter des arrière-pensées.

Les avancées de la directive sont résumées dans l'encadré ci-après.

Les principales dispositions de la directive n° 2004/48/CE

Le texte prévoit de nombreuses mesures pouvant être ordonnées par les autorités judiciaires, comme l'échantillonnage de tout objet protégé et la possibilité, en cas d'atteinte commise à l'échelle commerciale, d'ordonner la communication de documents bancaires, financiers ou commerciaux et leur conservation.

Des mesures peuvent être également prises pour s'assurer de la conservation des preuves, lorsqu'il existe un risque avéré de disparition de celles-ci. Elles peuvent ainsi porter sur la saisie réelle des marchandises, ainsi que, le cas échéant, sur les matériels, instruments utilisés pour produire et/ou distribuer ces marchandises ainsi que les documents s'y rapportant.

En outre, afin de prévenir toute atteinte grave à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires peuvent, à la demande du requérant, ordonner diverses autres mesures :

- une ordonnance de référé prononçant à l'encontre du contrevenant, ou d'un intermédiaire, la constitution de garanties afin d'assurer l'indemnisation du titulaire du droit ;

- des injonctions à l'encontre d'un intermédiaire ;

- la saisie ou la remise des marchandises.

De plus, dans l'hypothèse d'une atteinte aux droits de propriété intellectuelle commise à l'échelle commerciale, le juge peut ordonner la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du contrevenant, ainsi que le déblocage des comptes bancaires et avoirs.

Enfin, parmi les mesures pouvant être prononcées par les juges du fond, figurent le rappel des marchandises des circuits commerciaux, la mise à l'écart définitive et la destruction des marchandises, ainsi que la communication d'informations sur l'origine et les réseaux de distribution des marchandises.

Quant aux avatars du volet pénal de cette directive, ils ont commencé avec la proposition initiale de la Commission. Celle-ci prévoyait une harmonisation minimale des sanctions pénales applicables aux contrefacteurs, qui s'est heurtée à un problème de base juridique : il était en effet délicat d'introduire des dispositions de cette nature dans un texte pris sur le fondement du premier pilier, car celui-ci concerne le marché intérieur. La Commission devait donc recourir à un autre instrument pour atteindre cet objectif, pris cette fois sur le fondement du troisième pilier, qui comprend les articles du traité relatifs à l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

En raison de l'existence d'une large majorité d'Etats membres, dont la France, qui estimaient que les dispositions relatives aux sanctions pénales relevaient du troisième pilier, la Commission a dû reculer, en réduisant, par conséquent, la portée du volet répressif de sa proposition.

Les autres Etats membres « réservés » étaient l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, l'Irlande, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède.

La cohérence juridique est une bonne chose, d'autant qu'à ce stade, selon le ministère de la justice qui défendait un tel retrait, le passage en force d'un volet pénal dans la directive aurait conduit à élaborer un texte « ne servant à rien ».

Mais cette querelle sur la base juridique a eu aussi pour effet de permettre aux Etats membres les plus hostiles, comme l'Italie, à l'élaboration d'un cadre européen plus sévère pour lutter contre la contrefaçon, de ne pas faire part, lors des négociations, de leurs réticences de fond devant une telle ambition, aujourd'hui portée par la Commission.

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant qu'au fil des négociations sur la proposition de directive, les dispositions pénalisant la contrefaçon qui figuraient encore dans le texte publié par la Commission et se résumaient à demander seulement aux Etats membres d'incriminer les actes graves, se sont réduites en peau de chagrin.

Le texte initial disposait ainsi, dans son article 20, que les Etats membres « veillent à qualifier d'infraction pénale toute atteinte grave à un droit de propriété intellectuelle », une atteinte étant considérée comme grave « lorsqu'elle est intentionnelle ou commise à des fins commerciales ». Les Etats membres prévoient, en ce qui concerne les personnes physiques, « des sanctions pénales, y compris des peines privatives de liberté ». Le rapporteur de la proposition au Parlement européen, Mme Janelly Fourtou a proposé une rédaction qui n'incriminait pas les seules atteintes graves, mais prévoyait que les Etats membres « prendront des sanctions appropriées dans le cas d'infractions aux droits de propriété intellectuelle, sans préjudice des mesures et procédures civiles et administratives de la présente directive ». L'article 16 de la directive finalement adoptée constitue donc un net recul, puisqu'il dispose simplement que les Etats disposent d'une possibilité, à savoir qu'ils « peuvent appliquer d'autres sanctions appropriées en cas d'atteinte à des droits de propriété intellectuelle ». Il ne s'agit donc que d'une disposition d'ordre général, qui ne fait référence qu'à des sanctions autres que civiles et administratives.

Depuis lors, la Commission a pris l'engagement de présenter deux nouveaux instruments de lutte contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle. Le rapporteur se félicite qu'elle persévère ainsi dans son engagement en faveur de la mise en place d'un cadre pénal européen de lutte contre la contrefaçon.

Il est prévu, dans cette perspective, de soumettre aux Etats membres, d'une part, une proposition de directive touchant au premier pilier, d'autre part, un projet de décision-cadre, touchant au troisième pilier.

La proposition devrait prévoir que les Etats membres qualifient d'infraction pénale toute atteinte grave à la propriété intellectuelle, reprenant ainsi le volet pénal avorté de la directive d'avril 2004.

Le projet de décision-cadre, quant à lui, donnerait davantage de précisions sur le dispositif pénal à mettre en place. Il devrait permettre un rapprochement des sanctions, en fixant des seuils, minimum et maximum, pour les peines d'emprisonnement. Ce serait le cas notamment pour les actes de contrefaçon liés à la criminalité organisée ou lorsque le produit pose un risque pour la santé ou la sécurité des personnes.

Un tel projet de décision-cadre ne constituerait une avancée qu'à la condition qu'il ne bouleverse pas le dispositif pénal français en procédant à une harmonisation par le bas.

Selon les informations recueillies par le rapporteur, les deux textes, pilotés par la direction générale liberté, sécurité et justice de la Commission, ont déjà fait l'objet de la consultation interservices, ce qui devrait permettre leur publication d'ici l'été.

Le Parlement, à cette occasion, devra faire de preuve de la plus grande vigilance pour éviter que le caractère exemplaire du cadre pénal français ne soit remis en cause.

Aussi, jusqu'à ce jour, la pénalisation, sur le plan européen, de la contrefaçon n'a-t-elle été réalisée qu'au travers d'une importante décision-cadre du Conseil, relative au mandat d'arrêt européen, en date du 13 juin 2002. Ce texte, qui remplace les procédures d'extradition entre les Etats membres, en supprimant l'exigence de la double incrimination pour 32 infractions graves, vise « la contrefaçon et le piratage de produits ».

Cet instrument doit occuper une place centrale dans le dispositif européen de lutte contre la contrefaçon.

Le même souhait doit formulé à l'égard d'Eurojust, dont l'existence a été consacrée par le traité de Nice. Cette structure intégrée de coopération, qui est composée de magistrats et d'officiers de police détachés par les Etats membres, est compétente pour les même types de crimes que l'Office européen de police, Europol, ce qui inclut la contrefaçon et la piraterie. Elle a pour mission de favoriser la coordination des enquêtes et des poursuites entre les Etats membres et peut demander que les autorités compétentes d'un ou plusieurs Etats membres entreprennent une enquête ou des poursuites sur des faits précis et mettent en place une équipe commune d'enquête.

Il s'agit, là encore, d'un instrument utile, mais le dernier rapport public d'Eurojust, celui de l'année 2004, indique qu'il n'a traité, en 2003, que 13 affaires concernant la contrefaçon, ce qui ne représente que 4 % du total, le trafic de drogue et la fraude venant en tête (22 % respectivement). En 2004, selon les informations disponibles, Eurojust n'a été saisi que d'un seul dossier de contrefaçon, ouvert à la requête des autorités françaises.

Il serait souhaitable à cet égard que la France mette plus souvent en œuvre une disposition, encore peu appliquée, de la loi « Perben II , qui figure à l'article 695-9, paragraphe 3, du code de procédure pénale et prévoit l'obligation pour les procureurs généraux de signaler systématiquement au représentant national à Eurojust toute affaire intéressant au moins deux autres Etats membres et entrant dans le champ de compétences d'Eurojust. Le recours à cette procédure permettrait ainsi à Eurojust de développer des stratégies communes et de coordonner les enquêtes et les poursuites entre pays d'origine et pays destinataire de la contrefaçon.

b) Un sujet traité par quatre directions générales de la Commission

Les faiblesses et les lacunes du cadre communautaire résultent non seulement des divergences nationales, mais aussi des difficultés qu'éprouve la Commission à présenter « un front commun » dans ce domaine.

En effet, le sujet est traité, sous ses différents aspects, par quatre de ses directions générales.

Il s'agit de :

- la direction générale du marché intérieur, qui est compétente pour rédiger les textes concernant les droits de propriété intellectuelle,

- la direction générale de la fiscalité et de l'union douanière, qui supervise l'action, aux frontières et sur le marché intérieur, des douanes nationales à l'égard des marchandises importées ;

- la direction générale du commerce, qui assure la négociation et le suivi des accords commerciaux entre la Communauté européenne et les pays tiers ;

- la direction générale « liberté, sécurité et justice », qui a en charge la coopération judiciaire en matière civile et criminelle, la coopération en matière policière, ainsi que la lutte contre la criminalité organisée.

Or, tous les professionnels rencontrés par le rapporteur ont souligné le manque de coordination entre ces quatre directions, qui nuit à l'efficacité de l'action de la Commission. Selon le directeur général de la fiscalité et de l'union douanière de la Commission, cette situation aboutit à créer une « réelle perte d'intervention », qui est particulièrement nuisible dans le domaine des relations internationales. Autrement dit, pour prendre l'exemple de la Chine, les autorités de ce pays éprouvent quelques difficultés pour comprendre le discours d'une Commission qui envoie, en désordre, les représentants de quatre directions générales...D'après lui, cette faiblesse est certainement exploitée par les interlocuteurs étrangers de l'Europe.

L'affaire de la directive du 29 avril 2004 et l'imbroglio juridique qu'elle a suscité reflètent, eux aussi, le manque de coordination entre les différentes directions générales. Dans ces conditions, il est regrettable de constater que, même après la publication, en novembre 2004, d'une stratégie communautaire visant à faire « respecter les droits de propriété intellectuelle dans les pays tiers » la Commission n'a pas encore adopté, au plus haut niveau, les mesures permettant de remédier à cette faiblesse. La seule avancée dans ce domaine a consisté à mettre en place un groupe « inter-directions générales » sur la propriété intellectuelle, qui est chargé de suivre, en vue de coordonner l'action des services, les différents aspects de cette question. Il ne s'agit cependant que d'une structurelle informelle, se réunissant épisodiquement et sans Commissaire européen ni « administratif » chef de file.

B. Des initiatives internationales intéressantes mais trop dispersées

Depuis peu, la lutte contre la contrefaçon est inscrite à l'ordre du jour de la communauté internationale.

Les études, les programmes, les déclarations et les forums portant sur ce sujet commencent à se multiplier, mais ces initiatives offrent l'image d'une mobilisation qui s'engage en ordre dispersé.

1) Une juxtaposition de mécanismes et d'annonces de la part des organisations et associations internationales

La lutte contre la contrefaçon ne peut être que planétaire. Elle doit ainsi recourir à des instruments internationaux, qui aujourd'hui relèvent d'acteurs très différents les uns des autres. La communauté internationale n'est donc pas en mesure de présenter un front commun anti-contrefaçon, ce qui, de toute évidence, nuit à l'efficacité des bonnes volontés nationales constatées ici ou là.

En soi, l'existence de multiples intervenants ne constitue pas un obstacle à un travail efficace, si tous, institutions et organisations internationales publiques ou privées, peuvent s'appuyer sur l'expertise et les compétences des uns et des autres pour, ensuite, travailler en fonction de priorités partagées.

Mais tel n'est pas le cas, à l'heure actuelle : s'il existe depuis peu un discours et un constat communs, ceux-ci ne s'inscrivent pas encore dans une démarche d'ensemble, qui reste à construire.

Il y a lieu d'évoquer, en premier lieu, le rôle de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), qui a succédé, en 1960, aux Bureaux internationaux réunis pour la protection de la propriété intellectuelle, créés en 1883-1886, et est devenue, en 1974, une institution spécialisée des Nations unies.

Il s'agit donc d'une organisation internationale ancienne, dont la création est contemporaine de la signature des premiers traités sur les droits de propriété intellectuelle, à savoir la Convention de Paris de 1883 pour la protection de la propriété industrielle et la Convention de Berne de 1886 pour la protection des œuvres littéraires et artistiques.

Mais cet acteur vénérable du système international ne dispose d'aucun moyen juridique contraignant pour lutter contre la contrefaçon Il n'en assure pas moins, au nom de ses 182 pays membres, deux missions essentielles, qui concernent le cadre plus large de la reconnaissance des droits de propriété intellectuelle  : d'une part, administrer 21 traités internationaux, qui constituent les règles de base en la matière, et d'autre part, réaliser d'importants programmes de coopération avec les pays en développement, qui visent à développer et à moderniser leurs offices nationaux de la propriété intellectuelle et à les aider à mettre en conformité leur législation avec les dispositions de l'Accord ADPIC de l'OMC.

A cet égard, l'OMC, au travers de l'action du Conseil des ADPIC réunissant tous les membres de l'Organisation, est le dernier venu des acteurs internationaux ayant une compétence en matière de droits de propriété intellectuelle. Son rôle dans le dispositif international de promotion et de protection de ces droits est toutefois déterminant, car elle est la seule organisation internationale à disposer d'un quasi-tribunal, l'Organe de règlement des différends (ORD), chargé de « juger », en cas de plaintes entre les membres de cette organisation, les cas de non-respect des accords dont elle a la charge et d'autoriser, le cas échéant, l'imposition de sanctions commerciales. A ce jour, 24 affaires concernant l'Accord ADPIC ont été portées devant l'Organe de règlement des différends.

Or, cet accord, dont la bonne application peut donc être soumise à l'appréciation d'un juge, constitue, pour plus de 140 pays, l'unique cadre juridique de référence pour lutter contre la contrefaçon.

En effet, il fixe non seulement les normes fondamentales de protection du droit d'auteur et des droits connexes, des marques de fabrique et de commerce, des indications géographiques, des dessins et des modèles industriels et des brevets, mais aussi les règles de procédure destinées à faire respecter ces droits.

Les dispositions en question figurent dans la partie III de l'Accord, qui comprend 5 sections et 21 articles. Elles prévoient, notamment, que ces procédures doivent permettre une action efficace contre tout acte portant atteinte aux droits protégés par l'Accord. Par ailleurs, elles précisent qu'un tribunal doit être habilité à ordonner la partie adverse à produire les éléments de preuve pouvant être importants, ainsi qu'à verser, le cas échéant, des dommages et intérêts adéquats. Elles obligent, de plus, les membres à habiliter leurs tribunaux à ordonner le retrait des marchandises portant atteinte aux droits, et à prononcer des injonctions, afin, par exemple, d'empêcher l'importation de telles marchandises, ainsi que des mesures provisoires « rapides et efficaces ». L'Accord dispose en outre que chaque membre doit désigner des autorités compétentes auxquelles les détenteurs de droit peuvent présenter une demande d'intervention des douanes. Enfin, des dispositions spécifiques encadrent les procédures pénales, lesquelles doivent être applicables, au minimum, aux actes délibérés de contrefaçon de marque de fabrique ou de commerce ou de piratage, commis à une échelle commerciale. Les sanctions applicables incluent l'emprisonnement et/ou des amendes suffisamment dissuasives, ainsi que, dans les cas appropriés, la saisie, la confiscation et la destruction des marchandises portant atteinte aux droits.

L'Organisation mondiale des douanes (OMD), créée en 1952, d'abord sous le nom de « Conseil de la coopération douanière », joue également un rôle important, car elle est chargée d'élaborer, de mettre à jour et d'assurer la promotion des instruments internationaux visant à l'harmonisation et à l'application uniforme des régimes douaniers. Parmi ces derniers, la Convention de Kyoto de 1999 doit être citée, ainsi que l'Accord sur l'évaluation en douanes de l'OMC. Cette organisation, qui comprend 165 membres, a par ailleurs mis au point un « programme de réforme et de modernisation douanières », qui a bout but de renforcer les capacités des administrations douanières nationales.

En mai 2004, à Bruxelles, l'OMD, en partenariat avec Interpol, a organisé, avec le soutien de l'OMPI, le premier congrès mondial sur la lutte contre la contrefaçon. La Déclaration finale adoptée à l'issue de ce congrès recommande, entre autres :

- « Qu'il est impératif que les organisations mondiales, nationales et régionales, en partenariat avec le secteur privé, renforcent la coopération, la communication et leur engagement afin de résoudre le problème de la contrefaçon.

Que des mesures doivent être prises à l'échelon régional, national et international pour veiller à la mise en place d'une législation appropriée contenant des dispositions en matière de lutte contre la fraude et des pénalités qui aient un effet dissuasif sur les responsables de la contrefaçon et empêchent les groupes terroristes et la criminalité organisée d'en tirer des avantages financiers ».

Quant aux organisations régionales, elles abordent également de manière très diversifiée la lutte contre la contrefaçon. Elles peuvent ainsi, ce qui témoigne de la prise de conscience, au niveau politique, de la gravité des enjeux, appeler à une mobilisation accrue : à titre d'exemple, il convient de mentionner ici la recommandation adoptée le 7 septembre 2004 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur « la contrefaçon : problèmes et solutions », qui s'appuie sur un rapport de notre collègue, M. Bernard Schreiner. Ce texte recommande au Comité des ministres de demander aux Etats membres du Conseil de l'Europe « de durcir les lois et les mesures nationales anti-contrefaçon, et de les chercher à les harmoniser au niveau européen... ».

Sous l'impulsion des Etats-Unis, d'autres structures régionales se contentent, mais il s'agit d'une nouveauté, de discuter du problème du renforcement des droits de propriété intellectuelle, comme l'Asia-Pacific Economic Forum, groupement informel de 21 pays bordant les deux rives du Pacifique(7).

Il y a lieu également de noter que, de son côté, l'OCDE, qui dispose, depuis la publication, en 1998, d'un rapport sur les incidences économiques de la contrefaçon, d'une légitimité reconnue pour étudier ce phénomène, prévoit d'actualiser ce travail pionnier. Elle a, de plus, fait de ce sujet l'un des thèmes de son forum annuel, réuni les 2 et 3 mai 2005 à Paris.

Enfin, l'action des associations qui défendent, sur le plan international, les droits protégés, doit être soulignée, en particulier celle de l'International Intellectual Property Alliance. Celle-ci procède, chaque année, à un recensement, pays problématique par pays problématique, des difficultés juridiques, administratives et judiciaires rencontrées par l'industrie américaine des droits d'auteur, dont les pertes dues à la contrefaçon et au piratage font l'objet d'une évaluation.

A un niveau plus global, la Chambre de commerce international a lancé, en novembre 2004, une initiative appelée « Business Action to Stop Counterfeiting and Piracy », qui prévoit d'évaluer la situation dans les différents secteurs concernés, d'organiser des échanges d'expériences et de « meilleures pratiques », d'établir, pays par pays, un état des lieux des législations et des capacités de mise en œuvre effective de ces normes et, à terme, de définir des objectifs communs et de créer des plans d'action concernant des Etats à « cibler » en priorité.

2) Les Etats-Unis : une politique « agressive », à l'efficacité toute relative

Aucun autre pays développé n'a adopté une attitude aussi « offensive » que les Etats-Unis en matière de lutte contre la contrefaçon.

Cette approche se fonde sur le fait que l'économie américaine est tirée par les droits de propriété intellectuelle : la valeur des exportations de produits protégés par le copyright avoisine, chaque année, les 100 milliards de dollars, à comparer avec la valeur totale des exportations de biens, qui est comprise entre 700 et 800 milliards de dollars. Par ailleurs, un rapport de l'Office d'évaluation budgétaire du Congrès américain, le Government Accountability Office de septembre 2004, notait qu'en 2002, les Etats-Unis ont gagné plus de 44 milliards de dollars grâce aux royalties et aux redevances payées par des pays tiers.

L'un des interlocuteurs du rapporteur rencontré à la Délégation de la Commission européenne à Pékin a estimé que cette véritable diplomatie de la protection des droits de propriété intellectuelle obtient des résultats, car elle s'appuie sur un discours constant, une mobilisation forte et structurée des entreprises américaines et la fixation d'objectifs concrets devant être atteints par les autorités du pays « mis sur la sellette ». C'est ainsi que les Etats-Unis ont obtenu, en 2004, une évolution importante de la jurisprudence de la Cour suprême de Chine, qui, comme on l'a déjà vu, a permis de baisser les seuils de pénalisation des contrefacteurs. Il s'agit d'un cas d'école : le problème a été identifié par les entreprises américaines, qui l'ont relayé auprès de l'administration de l'United States Trade Representative (USTR). Ce dernier alors évoqué cette question dans ses rapports annuels, en formulant des demandes précises, qui ont ensuite été reprises par tous les responsables publics en déplacement en Chine, faisant ainsi pression sur les autorités du pays.

Toutefois, l'efficacité réelle de cette politique, malgré d'indéniables résultats, reste sujette à caution.

a) A l'international: un dispositif moins incitatif qu'il n'y paraît

(1) Splendeurs et misères de la "Spéciale 301"

L'administration continue d'avoir largement recours à cette procédure, dont les principes ont été présentés dans l'introduction du rapport, pour faire avancer les dossiers de propriété intellectuelle qu'elle estime préjudiciables aux sociétés américaines.

Le dispositif repose sur trois « listes noires » :

- la liste des pays tiers prioritaires (priority foreign country) faisant l'objet d'une procédure au titre de la Section 301 « de droit commun » du Trade Act de 1974, qui vise les mesures ou pratiques dites « injustifiables », car contraires à des accords commerciaux internationaux, et les mesures ou pratiques dites « déraisonnables et discriminatoires », qui ont pour effet de restreindre le commerce des Etats-Unis.

Cette disposition, qui est donc applicable aux pratiques et mesures autres que celles liées au respect des droits de propriété intellectuelle, n'est utilisée aujourd'hui qu'à l'encontre d'un seul pays, l'Ukraine, pour non-respect persistant des engagements pris, en juin 2000, pour lutter contre le piratage des disques optiques. En conséquence, ce pays s'est, d'abord, vu retirer, en août 2001, le bénéfice des avantages commerciaux asymétriques accordés par les Etats-Unis, au titre de leur système de préférences commerciales généralisées. Puis, en janvier 2002, des sanctions commerciales d'une valeur de 75 millions de dollars lui ont été appliquées pour être, depuis lors, renouvelées chaque année.

On observera qu'entre 1994 et 2004, trois pays ont été désignés comme devant faire l'objet d'une telle procédure, l'Ukraine, la Chine en 1994 et le Paraguay en 1998 ;

- la liste des pays soumis à une « surveillance prioritaire » (Priority Watch List) au titre de la Section Spéciale 301, qui comprend 14 pays en 2005, dont, pour la première fois, la Chine(8). D'une manière générale, quelques 15 pays sont inscrits chaque année sur cette liste ;

- la liste des pays soumis à « surveillance » (Watch List), qui comprend, cette année, 34 pays(9).

En soi, l'inscription d'un pays sur une des listes de surveillance n'entraîne pas automatiquement l'imposition de sanctions commerciales. L'objectif est donc de suivre l'évolution de la situation et de maintenir la pression sur les pays ainsi désignés, en faisant toutefois miroiter la menace de « représailles » commerciales.

Cette politique du « bâton » atteint-elle ses objectifs ?

Selon les interlocuteurs du rapporteur, dont aucun, à l'exception d'un seul, n'a cité cette procédure en exemple à suivre pour l'Union européenne, c'est loin d'être le cas. En effet, une fois qu'il est désigné au titre des Sections 301 et Spéciale 301, rien, pas même la menace ou l'imposition de sanctions, ne garantit qu'un pays ne modifiera immédiatement la législation ou la pratique jugée problématiques.

Inversement, si un changement a lieu, il est très difficile d'apprécier si la « nomination » sur une liste en a été le seul ou le principal facteur, car bien d'autres raisons, de caractère aussi bien national qu'international, peuvent être à l'origine d'une telle évolution.

Ce constat est développé par un rapport sur le respect des droits de propriété intellectuelle dans les pays tiers, publié en septembre 2004 par le United States Government Accountability Office (GAO), l'Office d'évaluation budgétaire des politiques publiques du Congrès.

Ce dernier note que les entreprises américaines sont très soucieuses de préserver « l'arme » que constitue la Spéciale 301 et que, dans certains cas, la procédure a pu avoir un impact, comme, par exemple, l'adoption de lois anti-piratage de disques optiques par la Pologne et la Thaïlande. Les pays en question voulaient éviter, en effet, d'être « désignés », en raison de l'impact négatif que cela aurait pu avoir sur leur image internationale.

Mais, d'autre part, l'inscription sur l'une des trois listes peut aussi avoir un effet inverse à celui escompté, en « aliénant » le pays ciblé, surtout lorsque ce dernier estime avoir fourni tous les efforts juridiques demandés, ce qui peut d'ailleurs expliquer, en partie du moins, l'inertie subséquente des autorités nationales. Le rapport cite à cet égard les cas du Brésil et de l'Ukraine.

Le rapport du GAO observe ensuite qu'il est difficile d'évaluer si les réformes intervenues sont dues à la seule action des Etats-Unis. Il constate en outre que malgré les pressions exercées par les Etats-Unis, la mise en œuvre d'une protection effective des droits de propriété intellectuelle demeure faible dans de nombreux pays. Il en conclut que la politique des Etats-Unis produira d'autant plus sûrement des effets qu'il existe un soutien politique direct des autorités du pays à l'objectif de lutte contre la contrefaçon : c'est ainsi que le combat contre le piratage des disques a reçu un premier accueil favorable au Brésil, car ce pays bénéficie, lui aussi, de l'existence d'une importante production musicale nationale, qu'il souhaite désormais protéger.

A l'inverse, un manque de volonté politique de la part d'un pays en ce qui concerne l'adoption et l'application de protections juridiques des droits de propriété intellectuelle, rendra difficile l'obtention, quel que soit le degré de pression exercé, d'un changement de la situation nationale à l'égard de la contrefaçon.

Ainsi, la Spéciale 301 ne délivre ni monts et merveilles, et son efficacité finale reste tributaire de la bonne volonté des pays faisant l'objet d'une surveillance particulière par les Etats-Unis. Sans aller jusqu'à affirmer qu'il s'agit d'un dispositif faisant « beaucoup de bruit pour rien », ces observations permettent de relativiser les effets d'une politique agressivement volontariste.

A l'inverse, le rapport du GAO souligne l'efficacité, pour les Etats-Unis, du recours au système de règlement des différends de l'OMC. Il considère qu'étant le membre qui a porté le plus de plaintes devant l'OMC sur le fondement de l'Accord ADPIC, les Etats-Unis peuvent se réjouir des résultats obtenus dans cette enceinte multilatérale. Ces derniers ont, depuis 1996, engagé 12 procédures à ce sujet contre 11 pays et la Communauté européenne. Huit d'entre elles ont abouti, avant l'issue de la procédure, à la négociation de solutions « mutuellement satisfaisantes », qui, dans pratiquement tous les cas, ont débouché sur des modifications réglementaires ou législatives répondant aux inquiétudes exprimées par les Etats-Unis. Dans deux affaires seulement, la procédure a débouché sur l'adoption, par l'ORD, de rapports de panel, d'ailleurs favorables aux Etats-Unis.

Par ailleurs, il convient de rappeler que le Trade Act constitue l'un des plus beaux « exemples » de l'unilatéralisme américain en matière de droit commercial international, et qu'à ce titre, il a pratiquement été condamné par l'OMC, suite à une plainte déposée par la Communauté européenne. Le 8 novembre 1999, un panel a conclu que ce dispositif, en permettant l'adoption de mesures de représailles en dehors de toute autorisation donnée par l'OMC, est contraire aux règles encadrant la procédure multilatérale de règlement des différends. Celui-ci a toutefois estimé que l'engagement pris par l'administration américaine de ne pas y recourir en l'absence d'une décision préalable de l'OMC permettait aux Etats-Unis d'échapper à une condamnation de sa législation par l'Organisation.

(2) Une initiative "STOP" devant faire ses preuves

En octobre 2004, l'administration américaine, par les voix de l'USTR, du secrétaire au commerce, de l'Attorney General et du sous-secrétaire du département de la sécurité intérieure a adopté une nouvelle initiative, appelée STOP ou Stratégie ciblant la piraterie organisée (Strategy Targeting Organised Piracy).

Elle couvre tous les aspects de la lutte contre la contrefaçon, en fixant des objectifs volontaristes aux administrations :

- l'arrêt des « faux » à la frontière des Etats-Unis ;

- le démantèlement des entreprises criminelles spoliant la propriété intellectuelle ;

- « l'expulsion » des contrefaçons des circuits de distribution, grâce à un partenariat entre le ministère du commerce et les entreprises, celles-ci s'organisant sous l'égide de la US Chamber of Commerce et de la National Association of Manufacturers ;

- la constitution d'une alliance internationale pour stopper le commerce des faux, en recourant à des initiatives dans les enceintes pertinentes, en particulier l'APEC et l'OCDE, et à la signature de traités révisés d'assistance judiciaire mutuelle et d'extradition, comportant des clauses anti-atteintes à la propriété intellectuelle renforcées. A titre d'exemple, les accords avec la Belgique, l'Espagne, le Royaume-Uni et la Suède sont cités.

Il est encore trop tôt pour se prononcer sur l'apport de cette initiative très ambitieuse. Mais cette nouvelle étape de la politique anti-contrefaçon des Etats-Unis doit être mise en perspective avec la situation actuelle où, selon le directeur général des douanes et des droits indirects du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, l'action sur le territoire américain contre le trafic de contrefaçons reste notoirement insuffisante. Ainsi, les ventes massives de contrefaçons à New York, à Canal Street, se poursuivent-elles. Le contrôle général de l'Etat estime, à cet égard, que ce trafic représente un commerce annuel de 20 milliards de dollars.

En outre, s'agissant du dispositif douanier américain, M. Christophe Zimmermann, expert national détaché auprès de la direction générale des douanes et du marché intérieur de la Commission européenne, considère que la législation chinoise peut, dans ce domaine, être jugée meilleure que celle des Etats-Unis. Par exemple, le droit douanier chinois prévoit le contrôle des marchandises à l'exportation et lors du transit, ce qui n'est pas prévu par le droit américain, ni exigé par l'Accord ADPIC. De plus, ce spécialiste a indiqué au rapporteur que si les douanes américaines effectuent, chaque année, 7 000 saisies, les douanes chinoises, procèdent, à l'exportation seulement, à 4 000 saisies, alors qu'elles viennent seulement de mettre en place ce dispositif. Par ailleurs, si à l'importation, le caractère contrefait de la marchandise est avéré, celle-ci est saisie, mais c'est au procureur, l'US Attorney, que revient l'initiative de poursuivre ou non l'importateur, sans que le détenteur de la marque en soit systématiquement informé. Or, dans le cas des marchandises non dangereuses pour la santé ou la sécurité publique, le parquet engage rarement des poursuites.

Enfin, l'efficacité globale du dispositif américain est réduite par le nombre relativement élevé des acteurs chargés de coordonner l'action des différents administrations concernées. Car il n'existe pas, aux Etats-Unis, un seul coordonnateur central de la lutte anti-contrefaçon, mais plusieurs mécanismes de concertation. C'est ainsi que le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle a rencontré, dans ce pays, quatre responsables de cette mission de coordination. De son côté, le GAO, dans le rapport précité, note effectivement l'existence de quatre groupes, respectivement chargés de la formation aux droits de propriété intellectuelle, de la politique commerciale, de la mise en œuvre du droit national et de la « coordination nationale » et qui comprennent des représentants d'agences et d'administrations au nombre de huit pour les deux premiers groupes, de cinq pour le troisième et de deux pour le dernier.

b) En interne: des lois fédérales légitimant la contrefaçon et/ou le piratage

Toute évocation de la lutte que les Etats-Unis ont bruyamment engagée contre la contrefaçon doit être accompagnée d'un rappel : celui de l'existence, dans ce pays, de dispositions fédérales qui violent ses engagements internationaux dans le domaine de la protection des droits de propriété intellectuelle. Celles-ci relativisent de facto la prétention de l'administration américaine à se présenter en « chevalier blanc » de ce combat planétaire.

Il suffit de citer ici deux cas célèbres, épinglés chaque année par la Commission européenne dans son rapport sur les obstacles aux échanges et aux investissements existants aux Etats-Unis.

Le premier concerne la section 110(5) de US Copyright Act de 1976, qui autorise la diffusion aux Etats-Unis, sans le consentement des auteurs et donc sans le paiement des redevances prévues, d'œuvres musicales dans des lieux publics tels que les restaurants, les bars et les magasins. Cet article constitue donc une violation flagrante de la Convention de Berne. L'Union européenne a déposé à une plainte à l'OMC, qui a adopté, en juin 2000, un rapport de panel concluant au non-respect par les Etats-Unis des obligations contractées au titre de l'Accord ADPIC. Ces derniers ont échoué à adopter, dans le délai imparti, une législation de mise en conformité. Après qu'un arbitre ait évalué à 1,1 million de dollars par an le montant des sanctions commerciales pouvant être imposé par l'Europe, celle-ci a conclu, en juin 2003, un arrangement avec les Etats-Unis, aux termes duquel ce pays doit fournir une aide financière à l'industrie communautaire du disque. Cette solution n'est que temporaire, puisque les Etats-Unis doivent toujours modifier leur législation. En outre, l'Europe s'est réservé le droit, ce qui a été contesté par les Etats-Unis, de suspendre l'application d'une mesure qui permettrait, après autorisation de l'OMC, d'imposer le paiement d'une redevance spéciale aux détenteurs de droit américains demandant aux services douaniers des Etats membres de saisir des biens piratés. Sur ce dernier point, un deuxième accord négocié l'Europe et les Etats-Unis, qui permettait de suspendre une nouvelle procédure d'arbitrage, est arrivé à expiration à la fin de l'année dernière.

La seconde affaire concerne les indications géographiques. Adopté en 1997, l'« Amendement D'Amato », du nom de son auteur, a codifié dans le droit fédéral les réglementations américaines relatives à l'utilisation des noms semi-génériques de vins. Or, certaines d'entre elles autorisent l'utilisation, par les producteurs de vin des Etats-Unis, comme désignant un produit d'origine américaine, d'indications géographiques européennes de réputation mondiale. Les exemples les plus connus concernent le Bourgogne, le Champagne, le Claret, le Chianti, le Malaga, le Sauternes, le Porto et le Sherry.

3) La France : une approche volontariste et pédagogique, mais contrainte sur le plan budgétaire

La France contribue à lutter contre la contrefaçon sur le plan international par des mesures nombreuses et variées.

Celles-ci poursuivent trois objectifs principaux, qui se complètent : la sensibilisation des autorités, la formation des fonctionnaires chargés de faire respecter les droits de propriété intellectuelle et la définition d'actions communes.

Elles prennent les formes suivantes :

- l'organisation de sessions bilatérales avec les offices nationaux de protection des droits de propriété intellectuelle, qui traitent notamment des procédures contentieuses touchant aux procédures d'enregistrement. Les dernières commissions mixtes importantes ont eu ou auront lieu avec l'office chinois des brevets et des modèles (mai 2004 et avril 2005), l'office russe, Rospatent, en mars 2005, et l'office japonais (JPO) à l'automne prochain ;

- la mise en œuvre de programmes de sensibilisation dans le cadre de visites en France, en particulier lors des missions programmées entre l'INPI et, par exemple, ses homologues chinois ;

- la mise en place de comités bilatéraux anti-contrefaçon à vocation opérationnelle, avec l'Italie (en 2002) et la Russie (en mars 2005). Lors de sa session du 8 novembre 2004, le comité franco-italien a signé, au niveau ministériel, une déclaration d'intentions, qui formalise ses procédures, en prévoyant deux réunions par an, dont une avec les ministres concernés, la création d'un secrétariat permanent et l'élaboration d'un programme opérationnel d'actions communes ;

- la tenue de séminaires de formation, dont les plus récents ont eu lieu en Asie (Singapour, Hong-Kong, Tokyo et Pékin) ;

- le placement d'experts de l'INPI auprès des missions économiques, à savoir celles de Bangkok, de Rabat, de Beyrouth et de Pékin (cette dernière couvrant la Chine, Taiwan et la Corée du Sud).

De son côté, la douane française mène une « diplomatie » active, qui s'appuie sur le réseau que constitue l'assistance administrative mutuelle internationale, ainsi que sur ses attachés douaniers en poste dans les ambassades.

La France a conclu à ce jour 35 conventions internationales d'assistance douanière, qui prévoient, notamment, l'échange spontané de renseignements, une surveillance particulière de certaines personnes, marchandises ou moyens de transport, ainsi que la constitution d'équipes d'enquêtes communes. Ces accords ont fait preuve d'une efficacité certaine, puisqu'en 2003, les informations échangées dans ce cadre ont permis la constatation de 62 infractions en matière de contrefaçons. En 2004, une centaine de renseignements ont été échangés dans le cadre de ces accords, ce qui a permis d'établir des stratégies de ciblage efficaces, débouchant sur des saisies de contrefaçons. Parmi les affaires marquantes de l'année dernière, peut être citée la saisie, à l'aéroport de Marseille, de contrefaçons de 1 400 comprimés d'anabolisants, sur une information autrichienne.

D'autre part, la douane dispose de 15 attachés dans le monde, qui mettent en œuvre les échanges d'informations prévus par les conventions d'assistance, suivent l'évolution de la législation nationale en matière de contrefaçons et aménagent tous les contacts utiles pour les entreprises. Leur rôle essentiel va jusqu'à la rédaction de projets de protocoles additionnels aux conventions existantes, qui peuvent avoir pour objet la promotion et la facilitation de l'échange d'informations, des mesures de coopération technique et des mesures d'assistance dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon.

Tous ces dispositifs sont utiles et produiront, certainement, leurs effets dans le moyen terme.

Cependant, leur portée reste limitée par les moyens budgétaires dont dispose la France : cette dernière ne peut mener seule une politique internationale de lutte contre la contrefaçon de grande ampleur.

D'abord, on observera que ces moyens ne sont pas regroupés dans une enveloppe spécifique, ce qui est préjudiciable à l'information des premiers acteurs concernés, les consommateurs et les entreprises, ainsi qu'à celle des pouvoirs publics. Ils ne peuvent donc faire l'objet d'un chiffrage global, alors même qu'ils contribuent à l'accomplissement d'une mission essentielle pour la sécurité et la prospérité de la nation.

Ensuite, la France bénéficie, dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon, d'une expertise reconnue sur le plan international, qui devrait, idéalement, se prolonger par l'envoi, dans les pays tiers, de policiers et de magistrats « formateurs ». Mais, en pratique, elle ne dispose pas des moyens financiers lui permettant de faire profiter à d'autres pays cette richesse humaine.

4) L'Europe : une entrée en scène encore trop récente

Par rapport aux Etats-Unis, l'Europe est une nouvelle venue dans le domaine de la lutte internationale « anti-contrefaçon ».

Cela ne signifie pas qu'elle ne s'en préoccupait pas : le sujet était abordé, mais dans le cadre de politiques différentes, qui n'ont été intégrées dans une stratégie d'ensemble qu'en novembre 2004.

a) Cinq cadres d'action traditionnels...

La lutte contre la contrefaçon chez les pays tiers est traditionnellement traitée par le prisme de cinq exercices, dont la nature et la portée sont très différentes.

(1) Le processus d'adhésion à l'Union: la garantie de résultats juridiques

Le processus d'adhésion à l'Union européenne constitue, sans nul doute, le cadre de suivi le plus régulier de l'évolution des droits de propriété intellectuelle et de leur mise en œuvre dans des pays tiers.

En outre, la reprise de l'acquis communautaire constituant, en vertu des conclusions du Conseil européen de Copenhague de juin 1993, l'un des trois critères intangibles d'adhésion, la perspective d'entrer dans l'Union offre à celle-ci un moyen de pression efficace pour améliorer, chez un ou des pays candidat(s), l'application des règles du marché intérieur, en particulier celles encadrant les droits de propriété intellectuelle.

Certes, ce processus a une nature politique, qui doit tenir compte d'autres impératifs, plus importants que le respect d'une seule catégorie de droits  : ainsi, les 10 nouveaux entrants dans l'Union européenne, ne présentaient pas tous, le jour de leur entrée, le 1er mai 2004, des « états de service » impeccables dans le domaine de la protection de la propriété intellectuelle.

Tel est le cas notamment de la Pologne, bien que le régime polonais et communautaire de droits de propriété intellectuelle soient, depuis quelques années déjà, largement similaires. On estime, par exemple, que 45 % des CD sur le marché polonais sont piratés. Les chiffres seraient encore plus élevés pour les livres. En outre, selon la mission économique française de Varsovie, ces secteurs sont de plus en plus contrôlés par des groupes organisés, dans un contexte judiciaire marqué par la corruption et où les tribunaux infligent des peines trop basses, plus proches du minimum légal que du maximum légal. Par ailleurs, sur le « marché russe », énorme bazar situé à Varsovie, de très nombreux produits contrefaits sont encore vendus : CD, DVD, programmes informatiques, parfums, produits cosmétiques, sacs, lunettes, rasoirs et T-shirts, avec imitation de marques comme Chanel, Christian Dior, Louis Vuitton, etc.

Mais il reste que ce cadre, à la portée géographique par définition limitée, est le seul qui garantisse à l'Union européenne l'obtention, dans des pays tiers, de progrès juridiques tangibles en matière de lutte contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle.

Cependant, les enseignements du dernier élargissement, s'agissant de la mise en œuvre administrative et judiciaire de l'acquis communautaire, doivent être tirés : à l'avenir, aucun pays candidat ne devra adhérer sans avoir auparavant enregistré, dans ces deux sphères, des progrès substantiels, qui traduisent un changement de mentalités et, ainsi, ne réduisent pas l'alignement législatif sur les normes communautaires à un processus formel.

(2) Le dialogue politique avec les grands pays ou ensembles extra-européens : un moyen de sensibilisation

La problématique de la lutte contre la contrefaçon commence à peine à être abordée au niveau politique.

Ces échanges ont lieu à l'occasion des rencontres périodiques qui, dans le cadre des dialogues structurés mis en place avec les grands pays ou les grandes zones géographiques, réunissent, d'une part, la Commission et, d'autre part, les ministres des Etats membres et ceux des pays tiers.

A titre d'illustration, lors du sommet Union européenne/Japon de mai 2003, une initiative conjointe visant à faire respecter les droits de propriété intellectuelle en Asie a été adoptée. Elle prévoit un suivi des progrès réalisés dans ce domaine par les pays de la région et la coordination des programmes d'assistance technique.

De même, la Commission et les autorités chinoises ont convenu, lors du Sommet Union européenne/Chine de 2003, de se rencontrer au moins une fois par an pour discuter des problèmes de droits de propriété intellectuelle. La première réunion a eu lieu en octobre 2004.

(3) La coopération douanière : une portée limitée

La Communauté européenne a négocié des accords sur la coopération douanière et l'assistance mutuelle dans le domaine douanier avec les Etats-Unis (1997), la Corée du Sud (1997), le Canada (1998), Hong Kong (1999), l'Inde et la Chine (2004).

En outre, des négociations avec le Japon ont commencé en mai 2005, tandis qu'en mars 2003, le Conseil a autorisé la Commission a intensifié les relations bilatérales de l'Union, notamment dans le domaine douanier, avec les pays de l'ANASE (Brunei, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam).

Ces accords constituent des instruments utiles, puisqu'ils encadrent la coopération entre les autorités douanières des parties contractantes, notamment l'échange des techniques et des personnels, et engagent ces dernières à se prêter mutuellement assistance, en vue de garantir la bonne application de la législation douanière.

Mais leur portée est doublement limitée.

Premièrement, la couverture géographique de ces accords, qui sont peu nombreux, est trop limitée par rapport à l'économie globalisée du commerce de la contrefaçon.

Deuxièmement, la législation douanière couverte par ces procédures d'assistance recouvre les dispositions concernant les mesures d'interdiction, de restriction et de contrôle, ce qui est positif, mais restreint, par ailleurs, l'utilité, pour notre sujet, de ces accords : en effet, l'apport que peut représenter, pour lutter contre la contrefaçon, l'assistance entre les services dépend de la qualité des dispositions pertinentes de la législation douanière des uns et des autres. Or, de ce point de vue, le modèle français est encore loin d'avoir fait école...

(4) La politique commerciale : un bilan, au mieux, en demi-teinte

La Commission n'oublie pas d'aborder la problématique de la contrefaçon lors de la négociation des différends accords commerciaux susceptibles d'être conclus par la Communauté (accords de partenariat économique et commercial ou accords d'association instituant le libre-échange).

Cependant, si la lutte contre contrefaçon est inscrite à l'ordre du jour de ces négociations, elle n'y occupe pas la première place : celle-ci est le résultat de la somme d'un ensemble d'intérêts économiques et commerciaux naturellement plus larges que, la Commission, au nom des Etats membres, doit défendre, à laquelle il convient d'additionner les priorités, a fortiori divergentes, mises en avant par les négociateurs des pays tiers.

Si l'on prend l'exemple des négociations avec le Mercosur, une union douanière regroupant l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay et le Paraguay, l'Europe a fort à faire dans une négociation, d'une part, dominée par les discussions et les tensions agricoles et, d'autre part, associant quatre pays « contrefacteurs », à savoir, un pays connu pour son application aléatoire de la législation en matière de propriété intellectuelle, l'Argentine, un autre, le Brésil, qui constitue l'un des premiers marchés au monde de la contrefaçon, un troisième, l'Uruguay, où 30 % des marchandises seraient contrefaites et un quatrième, le Paraguay, où environ un tiers du chiffre d'affaires du secteur pharmaceutique serait attribuable à la contrefaçon(10).Le contexte est rendu encore plus difficile par les nombreuses usurpations d'appellations d'origine de vins pratiquées en Argentine, qui pénalisent lourdement les producteurs européens, le marché de la fraude sur les seuls produits français étant estimé à 150 millions de dollars. Au total, dans ces négociations, ouvertes depuis 1999, le volet relatif à la propriété intellectuelle a été, pour l'instant, « anéanti », selon les termes d'un interlocuteur bruxellois du rapporteur : les partenaires de l'Europe l'ont en effet transformé en otage « sacrifié » de la satisfaction de leurs revendications concernant l'accès au marché agricole communautaire.

Il résulte de cette donnée permanente des négociations commerciales que le volet « propriété intellectuelle » des accords conclus est, jusqu'à ce jour, singulièrement faible. Ainsi, les accords en question contiennent tous un chapitre consacré à la protection de la propriété intellectuelle, et comportent, pour la plupart d'entre eux, une clause de coopération technique dans ce domaine.

Mais s'ils prévoient qu'un haut niveau de protection des droits de propriété intellectuelle doit être atteint, il ne s'agit là que d'une déclaration de principe, qui ne fixe pas d'obligations juridiques spécifiques.

Il n'existe donc, à l'heure actuelle, qu'un seul moyen de pression « dur » de la politique commerciale communautaire susceptible d'être appliqué à des pays contrefacteurs, le « ROC » ou règlement sur les obstacles au commerce n° 3286/94 du 26 décembre 1994.

Celui-ci permet aux entreprises communautaires de déposer une plainte, sur la base de laquelle la Commission, dans la perspective d'une saisine éventuelle de l'Organe de règlement des différends de OMC, étudie et évalue s'il y a des preuves de violation des règles de commerce international aboutissant à des effets commerciaux défavorables.

La procédure se déroule de la manière suivante : après un examen, pendant 45 jours au maximum, de la recevabilité du recours, la Commission ouvre une enquête, qui dure de 5 à 7 mois, puis soumet un rapport à un comité (« comité ROC ») au sein duquel sont représentés les Etats membres. Quatre possibilités d'action lui sont alors ouvertes, sous le contrôle du comité : la clôture de la procédure, la suspension de la procédure, le pays tiers ayant pris lui-même des mesures satisfaisantes, l'ouverture de négociations en vue de la conclusion d'un accord et le recours à l'Organe de règlement des différends de l'OMC.

Cet outil de pression est utilisé pour obtenir une issue favorable aux diverses phases de la procédure. Il a permis de réelles avancées dans des domaines très divers, comme les importations d'acier plat au Brésil ou les exigences normatives coréennes pour l'importation de parfums européens, mais n'a été utilisé que très rarement pour les questions ayant trait au respect des droits de propriété intellectuelle, avec des issues plus ou moins heureuses.

Les enseignements qui peuvent être tirés des quatre affaires ayant concerné la propriété intellectuelle sont, en effet, relativement mitigés.

Dans l'affaire portée contre la Thaïlande, en raison de l'existence d'une piraterie musicale très développée dans ce pays, la procédure engagée en 1991, dans le cadre du dispositif antérieur au ROC, a été suspendue en 1995. Depuis lors, la Commission examine de près l'évolution de la législation dans ce domaine, deux missions ayant été effectuées dans ce pays, respectivement en mars 2002 et mars 2003. Des progrès ont d'ailleurs été enregistrés dans le domaine législatif, au prix toutefois d'une surveillance constante, qui doit se traduit par de réguliers « rappels à l'ordre ». Mais quelle est, dans ces évolutions, la part qui peut revenir, respectivement, à l'Europe et aux Etats-Unis, ces derniers recourant aux listes de la 301 Spéciale à l'encontre de ce pays, ou à leur action concomitante ?

S'agissant de la loi fédérale sur le copyright de 1976, qui a fait l'objet d'une plainte déposée, en 1997, par une société irlandaise de protection des œuvres musicales, il a déjà été indiqué que le Congrès américain n'a toujours pas abrogé ce dispositif condamné par l'OMC.

Dans l'affaire concernant le défaut de protection, au Brésil, de l'appellation d'origine Cognac, ce pays a modifié, de manière satisfaisante, en avril 2000, sa réglementation, à la suite d'une procédure engagée en 1997.

Enfin, la dernière affaire, qui fait suite à une plainte déposée en octobre 2003 par l'industrie du médicament, concerne la Turquie, en raison de l'existence, dans ce pays, de procédures de mises sur le marché de produits pharmaceutiques ne respectant pas les dispositions de l'Accord ADPIC relatives à l'exclusivité et à la protection des données sensibles. La Commission a présenté en mai 2004 un projet de compromis, que la Turquie a rejeté. L'objectif de Bruxelles consiste toujours à trouver une solution négociée avec ce pays.

(5) Une assistance technique utile mais soumise aux aléas des appels d'offre

Plusieurs programmes communautaires d'aide couvrent les droits de propriété intellectuelle et leur mise en œuvre.

Par exemple, pour les pays asiatiques, un projet, démarré en 2000, avec l'ANASE devrait s'élever à 7 millions d'euros, en tenant compte de l'intégration dans cette association régionale du Laos, du Cambodge et du Vietnam.

D'autres projets couvrent l'ensemble des questions relatives au commerce, mais en incluant un volet « droits de propriété intellectuelle » : c'est le cas du programme « OMC II » pour la Chine, des programmes de coopération organisés dans le cadre de l'Accord de Cotonou avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ou du programme CARDS pour les Balkans, ce dernier devant consacrer 2,5 millions d'euros à la protection de la propriété intellectuelle.

Quant au contenu concret de ces programmes et à leur utilité, le rapporteur peut évoquer ici les exemples des deux pays dans lesquels il a effectué une mission, la Russie et de la Chine.

En ce qui concerne le premier pays, un instrument qui aurait pu servir utilement les objectifs de l'Europe a été la victime, indirecte, des procédures d'appels d'offres que la Commission doit mettre en œuvre pour désigner le responsable de projet.

Ainsi, dans le cadre du programme « TACIS » d'aide aux pays de la Communauté des Etats indépendants, la Russie s'est d'abord vue attribuer une enveloppe de 2,45 millions d'euros, afin d'appuyer l'action de Rospatent, l'agence fédérale des brevets et des marques. Puis, à la fin de l'année 2003, un nouveau projet, plus ambitieux, avec un budget prévisionnel de 3 millions d'euros, a été annoncé, avant de connaître une fin piteuse. Il avait pour objectif, notamment, « d'harmoniser » la législation russe avec les normes internationales de référence, à savoir l'Accord ADPIC et l'acquis communautaire, par la rédaction de projets de loi, de mener des campagnes de sensibilisation et de former 1 500 fonctionnaires environ, tous chargés de faire respecter les droits de propriété intellectuelle. Le nouveau directeur général de Rospatent a alors décidé, en décembre 2004, d'annuler ce projet, car il contestait les orientations proposées par le consultant, la société allemande GTZ, choisi par la Commission comme maître d'œuvre de l'exécution du programme. Si les motifs « réels » de cette annulation restent peu clairs, l'impact de celle-ci sera, à coup sûr, négatif : d'ores et déjà, il apparaît que le nouveau projet retenu ne consacrera que 700 000 euros au renforcement de la propriété intellectuelle en Russie, sans comprendre un volet de rédaction de dispositifs législatifs.

En ce qui concerne la Chine, le programme relatif aux questions commerciales sera doté d'une enveloppe de 20 millions d'euros pour les 5 prochaines années, avec un volet propriété intellectuelle ciblé sur les aspects de mise en œuvre de la législation. La formation de magistrats et de policiers sera donc couverte par ce programme, ce qui en renforcera l'impact sur le terrain, mais celui-ci ne pourra démarrer avant le deuxième semestre 2006, compte tenu des délais de sélection du maître d'œuvre.

Le précédent programme a consacré 5,6 millions d'euros en 5 ans aux actions de sensibilisation et à la coopération entre les offices de protection des droits. Ainsi, la partie concernant le respect du droit des brevets a été pilotée par l'Office européen des brevets, tandis que celle consacrée aux marques et aux appellations d'origine a été suivie par l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur. Une vingtaine d'administrations et d'office chinois, tant nationaux que locaux, ont été impliqués dans ce programme, qui a donc permis de former des fonctionnaires de province, c'est-à-dire les acteurs de terrain placés en première ligne pour agir contre les contrefacteurs. C'est là un résultat remarquable dans le contexte politico-administratif chinois, qui a d'ailleurs été envié par les Etats-Unis et le Japon.

b) ...auxquels s'ajoute une stratégie d'ensemble tardive : la "doctrine" de novembre 2004

Le 10 novembre 2004 constitue un tournant dans la trop courte histoire du dispositif européen de lutte contre la contrefaçon.

A cette date, la Commission a publié une Communication intitulée « Stratégie visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle dans les pays tiers », qui a pour ambition d'élaborer une approche globale et cohérente du problème, en mobilisant l'ensemble des instruments communautaires disponibles. Des actions entreprises au titre de politiques différentes devraient donc être poursuivies au nom d'une « doctrine » unique, qui formera un cadre de référence pour l'action de l'Europe dans les années à venir.

Cette doctrine entend toutefois respecter trois principes, qui prennent le contre-pied de l'approche américaine et visent, de ce fait, à rassurer les pays en développement :

- ne pas « imposer des solutions unilatérales »;

- ne pas « proposer une approche uniforme et standardisée de la promotion des droits de propriété intellectuelle » ;

- ne pas « copier d'autres modèles visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle ou constituer des alliances contre certains pays ».

D'après les interlocuteurs du rapporteur, la philosophie générale de cette approche consiste à faire comprendre aux pays en développement ou émergents que si la lutte contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle constitue désormais une priorité politique de l'Union européenne, cette dernière est prête à les aider dans leurs efforts.

Bref, la « liste noire » veut être perçue comme une « liste rose ».

La Commission propose, dans cette perspective, huit mesures :

1°) Identifier les pays prioritaires

Ces pays seront recensés sur la base d'une étude régulière que la Commission mènera auprès de l'ensemble des parties intéressées, entreprises, délégations européennes et ambassades.

Cet exercice, qui a déjà été mené en 2003, a été relancé le 18 avril 2005. Il n'est pas sans portée, puisqu'au début de cette année, le Brésil a effectué une démarche auprès du commissaire européen en charge du commerce extérieur pour lui demander d'être retiré de la liste précédemment établie, en faisant valoir que les données qui ont servi à l'élaboration de ce document dataient de 2001.

Il convient de souligner que cette liste n'en était pas une, au sens où l'entend la Commission, dans sa communication : il ne s'agissait que d'une synthèse présentant, pays par pays et sans autre ordre que celui de l'alphabet, les résultats du questionnaire envoyé par la Commission à 14 de ses délégations.

Il reste qu'à cette occasion, le Brésil a indiqué à la Commission qu'il avait intensifié sa politique de lutte contre la contrefaçon et la piraterie, ce qui s'est traduit, lors des deux années précédentes, par des résultats spectaculaires : il a notamment saisi 12,5 millions de CD en 2002, puis 17 millions en 2003.

Selon les informations recueillies par le rapporteur, il n'a pas été facile de faire avaliser par le collège des Commissaires le principe de l'établissement d'une telle liste. Il est toutefois acquis qu'elle serait rendue publique, selon des modalités qui restent à définir.

2°) Utiliser les mécanismes liés aux accords multilatéraux et bilatéraux

La mesure consiste à soulever les problèmes d'application de la législation relative aux droits de propriété intellectuelle dans le cadre de ces accords.

La Commission propose, par ailleurs, de renforcer les clauses de respect des droits de propriété intellectuelle dans les accords bilatéraux.

Selon les informations recueillies par le rapporteur, cette mesure reviendrait, concrètement, soit à inscrire une disposition générale concernant l'amélioration de la mise en œuvre des législations nationales pertinentes, soit à prévoir, ce qui constituerait, d'après ses interlocuteurs, « l'idéal à atteindre », des dispositions opérationnelles plus précises, portant notamment sur le recrutement et la formation de personnels qualifiés, ainsi que sur la coordination entre les autorités compétentes. En ce qui concerne la première option évoquée, les obligations générales prévues par la directive n° 2004/48 serviraient de référent.

Cette mesure de la Commission doit être soutenue, mais elle risque de se limiter à n'être qu'un vœu pieux dans le cas de certains pays, compte tenu de leurs réticences très fortes à aborder la question des droits de propriété intellectuelle.

En outre, cette démarche devra tenir compte de deux considérations, qui en limiteront la portée pratique :

- le contenu de ces dispositions devrait être adapté à la situation économique et politique de chacun des partenaires, ce qui obligera, dans certains cas, la Commission à ne pas aller aussi loin qu'elle le souhaiterait ;

- cette proposition de renégociation ne concerne pas tous les accords, car pour certains pays, l'exemple de la Corée ayant été cité au rapporteur, la Commission fera le choix de n'assurer, sur place, qu'un suivi de la situation, sans en exiger plus de la part des autorités.

3°) Dialogue politique

Il s'agit d'indiquer aux pays tiers qu'une protection effective de la propriété intellectuelle sur leur territoire est essentielle pour l'Europe, en lançant des initiatives communes avec ceux qui partagent les mêmes préoccupations ou sont concernés par les mêmes problèmes.

En outre, la Commission propose de mettre en place, pour les fonctionnaires des délégations de l'Union européenne présents dans les pays tiers « problématiques », des mécanismes de formation et des réseaux d'information sur les questions de mise en œuvre.

4°) Coopération technique - mesures incitatives

D'après la Commission, la coopération technique avec les pays tiers, en particulier les pays dits prioritaires, devrait accorder, à l'avenir, davantage de moyens au respect des droits de propriété intellectuelle.

Elle devrait par ailleurs reposer sur l'échange des idées et des informations avec les autres grands acteurs, comme l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l'Organisation mondiale des douanes, les Etats-Unis et le Japon.

5°) Règlement des différends - sanctions

La Commission rappelle à ce titre la possibilité, dont disposent les détenteurs de droits, d'avoir recours au règlement de décembre 1994 sur les obstacles au commerce, en cas de violations avérées de l'Accord l'ADPIC ou des accords bilatéraux.

D'autre part, la Commission indique qu'elle est « clairement disposée, dans les cas dûment justifiés », à recourir de sa propre initiative aux mécanismes multilatéraux et/ou bilatéraux en cas de non-conformité avec les normes requises de protection de la propriété intellectuelle.

6°) Création de partenariats public-privé

Il s'agit d'encourager la création de réseaux locaux concernant la propriété intellectuelle, qui regrouperaient des sociétés, des associations et les chambres de commerce.

Cette mesure a déjà été réalisée en Chine, avec l'institution d'un groupe de travail sur la propriété intellectuelle, le plus important, en termes d'adhérents, au sein de la Chambre européenne de commerce, qui fédère environ 500 sociétés. Cette structure a fait des propositions concrètes, par exemple l'élimination du coefficient appliqué aux entreprises « contrefaisantes » pour déterminer l'application d'une peine, qui ont été ensuite reprises par tous les membres de la chambre de commerce. Elle a, de plus, obtenue de ses interlocuteurs chinois leur accord concernant la rédaction, en commun, d'une étude sur les mécanismes européens et chinois de défense des droits de propriété intellectuelle. Selon l'avocat Paul Ranjard, le président du groupe de travail, l'objectif pratique poursuivi par cet exercice « à quatre mains » est d'informer les Chinois sur les procédures appliquées en Europe et d'obtenir, sur celles-ci, leurs commentaires, afin de contribuer à modifier, de cette manière pédagogique, leur perception de la question.

7°) Sensibilisation - mise à profit de l'expérience européenne

Ce volet de la stratégie a pour but de sensibiliser les utilisateurs et les consommateurs, ainsi que les détenteurs de droits, dans les pays tiers.

La Commission ne disposant pas de ressources suffisantes pour mener, seule, des campagnes dans les pays tiers, elle propose que cet objectif soit mis en œuvre par le biais de partenariats public-privé.

8°) Coopération institutionnelle

Cette mesure concerne l'amélioration de l'échange d'informations et de la coordination entre les services de la Commission chargés des différents aspects de l'application des droits de propriété intellectuelle.

*

* *

Quelle appréciation peut-on porter sur une stratégie aussi récente, et dont les effets ne se feront pas sentir avant plusieurs années ?

Tout d'abord, un point positif : ce document témoigne, incontestablement, de l'engagement de la Commission européenne à lutter, de manière durable et efficace, contre la contrefaçon.

C'est là un fait nouveau, dont il faut se réjouir.

Mais il est tout aussi clair qu'un danger guette ce cadre d'action qui se veut global, celui de la dilution des initiatives et des programmes.

C'est pourquoi la lutte engagée contre les contrefacteurs par l'Europe implique de mettre en place un réseau cohérent et structuré de procédures, qui rassemble, de Bruxelles aux Etats membres, des organisations internationales aux entreprises européennes, en passant par les pays tiers, toutes les énergies.

III. LES MESURES A ADOPTER AU NIVEAU NATIONAL, EUROPEEN ET MONDIAL : QUINZE PROPOSITIONS

La riposte qui doit être organisée contre le fléau de la contrefaçon ne peut être efficace que si elle est portée sur les plans national, européen et mondial.

La tâche semble difficile, mais d'ores et déjà, un consensus émerge entre les pays industrialisés sur la gravité des conséquences du phénomène et la nécessité d'y faire face. Ces derniers doivent maintenant s'accorder sur la nature de la réponse, qui doit être fondée sur une pénalisation accrue de ce fléau et une meilleure coopération policière et judiciaire entre les Etats. L'Europe doit, dans ce but, montrer l'exemple, afin d'entraîner à sa suite les autres pays développés.

Mais ce combat ne pourra être gagné qu'en partenariat avec les pays en développement et les pays émergents : il ne doit pas être perçu comme une coalition des riches contre les pauvres. Ainsi que le soulignait un professeur de l'Académie des sciences sociales de Pékin rencontré par le rapporteur, si elle est perçue comme étant imposée de l'extérieur, la lutte contre la contrefaçon est vouée à l'échec : elle doit être comprise comme étant une cause planétaire, qui vise à défendre un droit essentiel pour tout homme, à savoir la protection de ses créations.

A. Au niveau des Etats membres de l'Union européenne : sensibiliser l'opinion et structurer le travail des administrations

_ Proposition n° 1 : Créer des « comités nationaux anti-contrefaçon » rassemblant les pouvoirs publics, les créateurs, les industriels et les consommateurs

Il convient, d'abord, d'ériger la lutte contre la contrefaçon en cause nationale, qui s'incarne dans une structure regroupant tous les acteurs concernés. Celle-ci devrait être placée sous l'égide de l'Exécutif, tout en étant présidée par un parlementaire, ce qui refléterait ainsi la mobilisation des élus nationaux dans ce combat.

Il s'agirait, sur le modèle du Comité national anti-contrefaçon français, institué en avril 1995, suite à l'adoption de la loi « Longuet » du 5 février 1994, de mettre en place un lieu de concertation et d'information, qui :

- coordonne les actions initiées par chaque administration compétente,

- sensibilise les industriels et les créateurs aux droits de la propriété intellectuelle ;

- développe des campagnes d'information auprès des consommateurs.

Ces comités auraient aussi pour mission de centraliser, pour les diffuser, toutes les estimations et les études réalisées sur les conséquences économiques de la contrefaçon, par secteur d'activité.

Enfin, ils se communiqueraient les uns aux autres « les meilleures pratiques » en matière de lutte contre la contrefaçon, tant sur le plan judiciaire que sur le plan des techniques de protection, comme la traçabilité. Sur ce dernier point, le projet e-mage de l'Institut national de la propriété industrielle pourrait constituer l'un des premiers « référents », puisqu'il permet de faire apparaître les marques figuratives, les marques nominatives, ainsi que les dessins et modèles sur une base de données, interrogeable à distance, de telle sorte qu'à l'occasion d'un contrôle douanier, une comparaison entre les produits authentiques et les contrefaçons puisse être faite.

_ Proposition n°2 : Créer des groupes de travail comprenant tous les services chargés d'appliquer la législation relative à la lutte contre la contrefaçon

Dans tout combat contre une activité délictuelle, la déperdition de l'information et le travail en parallèle sur les dossiers doivent être évités.

Traduction, sur le plan administratif, de la priorité qu'un Etat accorde à la lutte contre la contrefaçon, ce groupe de travail, qui pourrait se réunir une fois par mois, aurait donc pour tâche essentielle de permettre aux services d'échanger spontanément leurs informations et de veiller à la synergie de leurs actions dans les différents domaines d'intervention.

Il créerait aussi une forme d'émulation, ce qui est une bonne chose, si elle a un effet d'entraînement sur les administrations les moins réceptives à la gravité du phénomène.

Un tel service devrait comprendre les douanes, le ministère de la justice, la police et les services spécialisés dans la répression des fraudes et dans la lutte contre le blanchiment d'argent.

_ Proposition n° 3: Fixer des objectifs nationaux chiffrés en ce qui concerne les saisies douanières

Depuis 2004, les douanes françaises se voient assigner un objectif chiffré d'augmentation des saisies. Cette mesure permet de vérifier, année après année, l'engagement de l'administration douanière, qui est placée aux avant-postes, dans le dispositif national de lutte anti-contrefaçon.

En outre, cet indicateur fiable permettra de mesurer l'accroissement de l'efficacité globale de cette stratégie, tout en enregistrant les évolutions, en volume, du trafic des contrefaçons.

_ Proposition n° 4 : Former davantage les juges aux droits de propriété intellectuelle et au caractère dangereux des atteintes qui y sont portés et créer, au sein de l'ordre judiciaire, des tribunaux spécialisés, ainsi que des « pôles anti-contrefaçon » dans les parquets

Le combat contre la contrefaçon ne pourra être gagné sans une implication forte des magistrats, qui doivent être sensibilisés au lien entre cette activité et la grande criminalité.

Bien entendu, l'objectif recherché ne consiste pas à former des magistrats qui appliqueraient, avec sévérité et sans discernement, la loi pénale aux « petits » contrefacteurs. Il s'agit, en revanche, de faire prendre conscience aux juges que la contrefaçon n'est que l'une des facettes d'entreprises criminelles plus vastes, qui, elles, doivent être détectées, poursuivies, condamnées et démantelées. C'est pourquoi un enseignement spécifique doit être organisé dans les écoles formant les juges à leur métier.

Par ailleurs, la répartition des compétences entre les juridictions ayant à protéger les différents droits de propriété intellectuelle pouvant être complexe, il serait souhaitable de créer des juridictions spécialisées dans ce domaine.

Par exemple, lors de son intervention du 30 mars 2005 devant le Comité national anti-contrefaçon, le ministre délégué à l'industrie a proposé de rationaliser le contentieux français en matière de contrefaçon qui, aujourd'hui, est traité par dix tribunaux de grande instance en matière de brevet, par tous les tribunaux de grande instance pour les marques et par les tribunaux de commerce pour les dessins et modèles. Il a saisi le Garde des Sceaux de la question de la constitution d'un pôle judiciaire spécialisé pour répondre aux défis de la contrefaçon.

Parallèlement, la création auprès des parquets d'une cellule anti-contrefaçon, par exemple au sein des pôles financiers pour la France, permettrait de mobiliser davantage l'arme pénale à l'encontre des contrefacteurs.

_ Proposition n° 5 : Inciter les distributeurs à signer des engagements de non-contrefaçon

Afin d'éviter la vente, volontaire ou non, de « faux » dans les grandes surfaces ou magasins, les distributeurs doivent, en plus de leur obligation de prudence, multiplier les signatures d'engagement de non-contrefaçon.

D'après une avocate spécialisée, Mme Alexandra Néri, ces derniers sont simples à concevoir, puisqu'ils reposent sur l'ajout de deux clauses aux accords habituels, aux termes desquelles les fournisseurs déclarent que leurs produits sont authentiques et s'engagent à prendre à leur charge les condamnations et les frais d'avocat. A défaut, les conditions générales, qui doivent être visées sur le bon de commande, doivent intégrer une clause relative à la propriété intellectuelle, par laquelle le fournisseur déclare fournir des produits ne portant pas atteinte aux droits des tiers et garantit le distributeur contre les actions en justice.

B. Au niveau européen : élaborer un cadre communautaire qui soit réellement dissuasif

_ Proposition n° 6 : Désigner les commissaires européens en charge de la justice et du commerce extérieur comme les chefs de file du dispositif communautaire de lutte contre la contrefaçon

La Commission européenne doit impérativement remédier au défaut de coordination entre les quatre directions générales chargées d'animer la lutte contre la contrefaçon.

Dans cette perspective, il est proposé de confier cette mission de coordination au plus haut niveau, celui de la Commission, et de désigner deux commissaires responsables : celui en charge de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, afin de marquer que la lutte contre la contrefaçon concerne une activité criminelle et dangereuse, et celui en charge du commerce extérieur.

Assurant, à ce titre , le suivi de la législation communautaire applicable et des progrès constatés dans les pays tiers, ils feraient un rapport régulier au Parlement européen et au président de la Commission européenne, sur la base duquel les Conseils « Justice » et « Affaires générales » pourraient débattre des mesures à adopter pour renforcer le dispositif communautaire.

De plus, lorsque la contrefaçon est inscrite à l'ordre du jour de ces Conseils, les deux unités de coordination Europol et Eurojust devraient y présenter un bilan de leurs opérations dans ce domaine, accompagné de leurs propositions visant à améliorer le dispositif communautaire.

_ Proposition n° 7 : Adopter un cadre pénal sévère qui incrimine les atteintes à la propriété intellectuelle, y compris l'achat de contrefaçons, en aggravant les peines encourues dans les cas ayant un lien avec la criminalité organisée ou mettant en danger la santé ou la sécurité des personnes

Un cadre pénal européen devrait être adopté rapidement pour harmoniser les dispositifs nationaux réprimant la contrefaçon.

Ce dernier devrait au minimum :

- qualifier d'infraction pénale toute atteinte, y compris la détention de contrefaçons, à la propriété intellectuelle ;

- prévoir que les parquets puissent engager des poursuites, indépendamment du dépôt d'une plainte ;

- attacher à cette infraction pénale des peines privatives de liberté et prévoir, dans les cas d'atteinte grave aux droits protégés, c'est-à-dire d'atteinte intentionnelle et commise à des fins commerciales, des peines complémentaires, comme la confiscation et la destruction de l'objet, la fermeture totale ou partielle de l'établissement, l'interdiction d'exercer une activité commerciale et la dissolution judiciaire de la société ;

- fixer des seuils minima, par exemple 5 ans, aux peines privatives de liberté dans les cas où l'atteinte à la propriété intellectuelle est liée à la criminalité organisée et ceux où elle met en danger la santé et la sécurité des personnes. Il conviendrait en outre de s'interroger sur l'opportunité de prévoir une peine encore plus sévère, dix ans par exemple, pour la production ou la commercialisation de contrefaçons de médicaments. Par ailleurs, dans les deux cas de figure, le juge doit pouvoir ordonner la confiscation du patrimoine de l'auteur du délit ;

- permettre aux titulaires de droits ou à leurs experts d'apporter leur concours lors des enquêtes.

_ Proposition n° 8 : Adopter un texte généralisant le délit douanier

Prévue par le code des douanes français, la notion de délit douanier interdit l'importation de contrefaçons de marque, sanctionnée par une peine d'emprisonnement (3 ans maximum en France), la confiscation de l'objet de fraude et des moyens de transport, ainsi que par une amende dont la valeur est calculée en fonction de la valeur des marchandises, augmentée d'un coefficient.

_ Proposition n° 9 : Mettre en place un réseau européen d'échange d'informations entre autorités nationales sur le modèle des coopérations établies entre les cellules de renseignement financier « anti-blanchiment d'argent »

La décision du Conseil du 17 octobre 2000 organise entre les cellules de renseignement financier, mises en place par les Etats membres pour analyser les informations reçues au titre de la directive 91/308/CEE « anti-blanchiment de capitaux », l'échange de toute information pouvant leur être utile pour procéder au traitement ou à l'analyse de ces informations ou à des enquêtes relatives aux transactions financières visées par ce texte.

Il serait souhaitable, une fois mis en place un cadre pénal européen anti-contrefaçon, qu'un tel réseau soit institué entre les autorités nationales, quelles soient administratives , répressives ou judiciaires, chargées de lutter contre la contrefaçon, car d'une part, il permet des contacts structurés entre les services compétents des Etats membres, et, d'autre part, il facilite l'échange des bonnes pratiques.

_ Proposition n° 10 : Poursuivre en parallèle la construction d'un espace pénal européen

Une lutte efficace contre la contrefaçon, comme toute autre forme d'activité délictueuse transfrontalière implique, en parallèle, de « communautariser » la coopération judiciaire pénale entre les Etats membres.

Dans ce but, il convient de passer à la majorité qualifiée et à la codécision ce domaine. Cela implique aussi de consacrer dans le droit primaire le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et de prévoir qu'Eurojust puisse se voir conférer le pouvoir de déclencher et de coordonner des enquêtes.

C. Au niveau mondial : constituer un front commun anti-contrefaçon Nord-Sud

_ Proposition n°11  : Inciter les entreprises européennes à défendre collectivement leurs droits dans les pays tiers

La capacité d'organisation et de proposition des entreprises américaines a souvent été mise en avant par les interlocuteurs du rapporteur. Elles savent se regrouper, identifier les difficultés juridiques et administratives les plus aiguës que rencontrent les titulaires de droits et formuler, à ce sujet, des demandes précises à l'administration américaine, afin que cette dernière en fasse part, au niveau politique, aux autorités des pays « problématiques ».

Les entreprises européennes doivent développer cette culture de défense des droits de propriété intellectuelle, en s'appuyant sur les acteurs qui, sur place, leur permettront d'unir leurs forces, à savoir les chambres de commerce et les délégations de la Commission européenne.

Dans cette perspective, il serait souhaitable que chaque chambre européenne de commerce institue un comité d'action anti-contrefaçon, qui devienne un interlocuteur reconnu des autorités du pays.

_ Proposition n° 12 : Tendre la main aux pays qui font des efforts dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon en mutualisant les programmes de formation des pays développés et des organisations internationales

La formation des acteurs chargés de détecter et de réprimer la contrefaçon est la clef de toute politique durable visant à mieux faire respecter les droits de propriété intellectuelle.

Sans formation adéquate ni un nombre suffisant de douaniers et de fonctionnaires des autorités judiciaires et répressives, la meilleure législation anti-contrefaçon du monde ne restera qu'un cadre de papier, sans effet réel.

Valoriser cet aspect permet aussi de faire passer un message politique : la lutte contre la contrefaçon n'est pas comparable à une expédition punitive, mais vise à ce que tous les pays, comme tous les citoyens, puissent bénéficier des avantages d'une protection effective des droits de propriété intellectuelle.

Dans cette perspective, les moyens des uns et des autres doivent être mutualisés :

- entre organisations internationales, pour ce qui est de l'assistance technique fournie par l'OMC, l'OMPI, l'OMD et les organisations onusiennes d'aide au développement, comme la Banque mondiale, qui viennent en appui aux programmes visant mettant à mettre en œuvre les règles de l'Accord ADPIC de OMC ;

- entre les Etats membres de l'Union, dont les actions de formation doivent compléter utilement celles mises en œuvre par les programmes d'assistance de la Commission ;

- enfin, entre les Etats-Unis, le Japon et l'Union européenne, qui devraient adopter une grande initiative à ce sujet.

_ Proposition n° 13 : Proposer l'organisation d'un congrès mondial périodique sur la lutte contre la contrefaçon, associant l'Organisation mondiale des douanes (OMD), l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l'OMC et Interpol, qui serait chargé de formuler des recommandations

Le premier congrès mondial, organisé conjointement par l'Organisation mondiale des douanes et Interpol, s'était réuni à Rome les 24 et 25 mai 2004.

Cet exercice devrait avoir lieu périodiquement et associer pleinement l'OMC, qui dispose, avec l'Accord ADPIC et l'Organe de règlement des différends, du seul corpus de règles internationales « anti-contrefaçon » juridiquement contraignant. Il témoignerait ainsi de la mobilisation de la communauté internationale, qui doit faire de ce sujet un point prioritaire de son ordre du jour.

Par ailleurs, cette rencontre devrait déboucher sur l'adoption de recommandations de bonnes pratiques dans ce domaine, dont la mise en œuvre serait évaluée par un comité de suivi associant les quatre organisations.

_ Proposition n° 14 : Soutenir la création d'une base de données internationale permettant d'échanger, entre les autorités répressives, des informations sur les délits liés à la propriété intellectuelle, en s'appuyant sur les travaux d'Interpol, et amplifier les opérations transfrontalières que cette organisation coordonne

Comme on l'a déjà vu, l'Intellectual Property Crime Action Group a confié des tâches importantes à deux de ses sous-comités, qui doivent déboucher sur l'adoption de plus amples mesures :

- le sous-comité de l'échange d'informations et de bases de données a pour mission d'identifier les modalités de stockage d'informations utiles à l'intervention de la police ou d'autres autorités répressives chargées de lutter contre les contrefacteurs, en vue de partager celles-ci entre les membres d'Interpol ;

- le sous-comité des opérations est chargé d'identifier les situations où l'Opération Jupiter, spécialement conçue contre les délits transfrontaliers portant atteinte à la propriété intellectuelle, peut être déployée. Il serait souhaitable, à partir des enseignements tirés de la première application, en Amérique du Sud, de cette opération, d'étendre ses opportunités d'intervention.

_ Proposition n° 15 : Identifier une liste de pays prioritaires auxquels des objectifs ciblés seront proposés, tout en laissant ouverte la possibilité de recourir à la procédure de règlement des différends de l'OMC en cas de violation grave de l'Accord ADPIC et de constat d'une contrefaçon organisée à grande échelle

Un pays dont la législation et/ou la pratique administrative et judiciaire manquent gravement aux obligations énoncées par l'Accord ADPIC de l'OMC doit se voir fixer des objectifs concrets d'amélioration de la situation.

Ce processus doit intervenir après une première mise en garde de la part de la Commission européenne, approuvée par le Conseil des ministres de l'Union.

Il ne s'agit pas ici d'exercer une pression sur les pays pauvres ou pays les moins avancés, mais sur des pays émergents ayant laissé la contrefaçon se développer à un point tel qu'elle est devenue un système économique à part entière.

Il ne s'agit pas non plus d'autoriser l'unilatéralisme, mais de s'appuyer sur une procédure, ainsi que sur des règles claires et acceptés par tous les membres de cette organisation. Ainsi en est-il, par exemple, de l'obligation générale fixée par l'article 41 de l'Accord ADPIC aux termes duquel les membres « feront en sorte que leur législation comporte des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle...de manière à permettre une action efficace » et les procédures en question ne « comporteront pas de délais déraisonnables ni n'entraîneront de retards injustifiés ».

Dans cette perspective, à partir de l'évaluation menée par la Commission européenne dans le cadre de « Sa stratégie de lutte contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle », l'Europe devra clairement indiquer qu'elle n'hésitera pas à faire usage de son droit de saisine de l'Organe de règlement des différends de l'OMC.

Le discours contestant une telle démarche, au motif que « vous devez nous laisser produire de la contrefaçon pour nous développer » n'est pas acceptable, car il légitime un système aux effets ravageurs pour les créateurs et les consommateurs de monde entier, et tend à ceux qui le tiennent un piège qui se refermera ensuite sur eux.

La règle doit être rappelée avec force : un membre de l'OMC, qui tire profit des gains qu'apporte son appartenance à cette organisation et de la nouvelle division internationale du travail, ne peut gagner sur tous les tableaux, en ne jouant pas loyalement les règles du jeu qu'il a acceptées.

CONCLUSION

En se préoccupant, depuis quelques années seulement, de la lutte contre la contrefaçon, l'Union européenne a engagé une course contre la montre contre un phénomène destructeur, aux dimensions effrayantes.

Elle doit agir vite, car tout retard menace d'emporter le système de protection des inventions et des œuvres de nos créateurs et de notre industrie. Elle doit, de plus, parler haut et fort sur le sujet, car la contrefaçon est un désordre planétaire, qui fausse la loyauté des échanges et créé des conditions de concurrence insoutenables, à terme, pour l'économie mondiale.

L'Europe doit ainsi alerter la communauté internationale de la gravité de ce qui accompagne et nourrit une contrefaçon globalisée s'attaquant à tous les produits, y compris les plus essentiels pour la vie courante, à savoir les réseaux criminels et mafieux.

Dès lors, elle doit proposer à ses partenaires développés, ainsi qu'à toute la communauté internationale, un ensemble de mesures cohérent, propre à susciter une mobilisation efficace. Mais elle ne peut le faire qu'en donnant l'exemple, c'est-à-dire en pratiquant elle-même la tolérance zéro. Bref, l'Europe doit tout mettre en œuvre pour juguler une industrie de masse criminogène qui transforme l'économie en force destructrice de notre prospérité et de notre sécurité.

Si elle sait relever ce défi, elle aura apporté la preuve qu'elle peut peser dans l'organisation d'un monde plus juste.

{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mercredi 8 juin 2005, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

Le Président Pierre Lequiller, tout en regrettant que le rapporteur traite d'un sujet majeur peu évoqué, a suggéré qu'il puisse être transmis à M. Pascal Lamy, Directeur général de l'OMC.

M. André Schneider a indiqué que les dangers et les fléaux dont le rapporteur a fait état, reflétaient la réalité dont lui-même a pu se rendre compte lors d'un déplacement qu'il a effectué en Chine avec le précédent ministre du commerce extérieur. Soulignant le rôle du crime organisé dans le développement de la contrefaçon, il a mis l'accent sur le risque d'invasion auquel notre économie était ainsi confrontée. Pour ces raisons, il a estimé également que le rapport pourrait être adressé au directeur général de l'OMC et aux responsables politiques.

M. Michel Herbillon s'est déclaré frappé par le décalage considérable existant entre, d'une part, l'ampleur croissante de la contrefaçon - imputable aux mafias - et, d'autre part, la prise de conscience récente de la nécessité d'enrayer cette évolution ainsi que l'insuffisance des arsenaux juridiques nationaux. Il a souhaité savoir quelles seraient, parmi les propositions présentées par le rapporteur, les mesures les plus urgentes à mettre en œuvre au sein de l'Union européenne et de l'OMC.

Le rapporteur, évoquant le cas de la Chine, a considéré que les conséquences économiques et sociales des délocalisations en Chine sont moindres que celles de la contrefaçon provenant de ce pays. Il a estimé que la Chine se devait de réévaluer sa monnaie et de développer la lutte contre la contrefaçon.

Abordant le rôle de l'arsenal juridique de la France, le rapporteur a fait valoir qu'il était le plus répressif, comme le montrent le montant des amendes ou le quantum des peines susceptibles d'être infligées.

M. André Schneider a appelé l'attention sur certaines lacunes du système de contrôle français, puisque les douaniers ne sont pas toujours en mesure de détecter les contrefaçons et risquent ainsi de commettre des méprises dont les honnêtes citoyens peuvent être les victimes.

Le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- les douanes élaborent actuellement une banque de données, qui permettra de saisir une image de tous les produits et de mieux détecter les produits contrefaits. La détection est toutefois rendue difficile dans certains cas, par le fait que, par exemple, des boîtes de médicaments sont de parfaites imitations mais ont un contenu contrefait ;

- la prise de conscience des dangers de la contrefaçon est récente dans les autres pays que la France du fait de différences culturelles. En Italie, il est impossible de condamner la personne ayant acheté un produit contrefait. En Chine, le fait d'imiter les produits n'est pas répréhensible, ce qui a, au demeurant, contribué au développement de l'économie de ce pays, comme ce fut le cas du Japon. Cela étant, les Chinois commencent, d'une part, à prendre conscience qu'ils peuvent également souffrir des effets de la contrefaçon et, d'autre part, à renforcer leur législation ;

- au sein de l'OMC, il importe que l'Union européenne agisse en particulier en direction du Brésil et des Etats du Mercosur, le Brésil jouant un rôle important dans la contrefaçon des pièces détachées ;

- s'il existe d'importantes différences culturelles entre les Etats, apparaît toutefois une prise de conscience universelle accrue quant aux dommages économiques que la contrefaçon peut causer. Dans ce contexte, il importe d'appeler l'attention des pays émergents sur l'intérêt que ces derniers auraient également à lutter contre la contrefaçon et à cette fin de mettre en place des programmes de formation. Malheureusement, lorsque des progrès en ce sens existent, ils s'avèrent toutefois limités, comme le montre le cas de la Chine où le développement de la lutte contre la contrefaçon est amorcé seulement à Pékin ;

- il y a lieu de relever que certains hypermarchés français ont déjà été lourdement condamnés pour avoir écoulé des produits contrefaits.

La Délégation a décidé d'autoriser la publication du rapport d'information.

ANNEXES

Annexe 1 :
Liste des personnes entendues par le rapporteurAnnexe-1

I. A PARIS

Ambassades

- Son Exc. Giovanni DOMINEDO, ambassadeur d'Italie ;

- M. Stefano TALIANO de MARCHI, premier conseiller économique, ambassade d'Italie ;

- M. Stefano MOGINI, magistrat de liaison du ministère de la justice italien ;

- Son Exc. Uluç OZULKER, ambassadeur de Turquie ;

- M. Murat SEZGINER, premier conseiller commercial, ambassade de Turquie ;

- M. Mario AZEVEDO FERREIRA, conseiller économique et commercial, ambassade du Portugal ;

Assemblée nationale

- M. Bernard BROCHAND, député, président du Comité national anti-contrefaçon ;

Ministères

- M. François LOOS, ministre délégué au commerce extérieur ;

- Mme Anne CAZALA, conseillère technique du ministre délégué au commerce extérieur ;

- M. François MONGIN, directeur général des douanes et des droits indirects au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- M Philippe KEARNEY, sous-directeur en charge du commerce international à la direction générale des douanes et des droits indirects du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- Mme Anne CORNET, chargée du bureau de la politique tarifaire et commerciale à la direction générale des douanes et des droits indirects du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- Mme Claudine SEGELLE, sous-directeur de la santé, de l'industrie et du commerce à la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (DGCCRF) ;

- Mme Geneviève CAVAZZI, adjointe au chef de bureau biens de consommation à la DGCCRF ;

- M. Vincent GUITTON, chef du bureau services et propriété intellectuelle de la direction des relations économiques extérieures du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- M. Rémy OUDARD, chargé de mission au bureau de la propriété intellectuelle de la Direction générale de l'industrie, des technologies de l'information et de la poste du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (DIGITIP) ;

- Mme Christiane GUILLOT, chef du bureau de la propriété intellectuelle de la DIGITIP ;

- M. Philippe MENARD, chef de la division pour la répression des fraudes du ministère de l'intérieur ;

- M. Philippe LAGAUCHE, sous-directeur de la justice pénale spécialisée à la Chancellerie ;

Institutions, organisations professionnelles et sociétés

- M. Benoit BATTISTELLI, directeur général, et Mmes Martine HIANCE, directrice générale adjointe, et Marion GUTH, de l'Institut national de la propriété industrielle ;

- Mme Katrina SENEZ, experte à la Fédération française des industries du sport et du loisir ;

-  Mme Stéphanie WEBEL et M. Christian LONDON, juristes chez Lacoste ;

- Mme Elizabeth PONSOLLE DES PORTES, déléguée générale du Comité Colbert ;

- Mme Françoise-Michèle BENHAMOU, vice-présidente de la Compagnie nationale des experts M.T.C.H. ;

- Docteur Yves JUILLET, conseiller du président du LEEM ;

- MM. Marc BAULIEU et Michel-Jean COULATY, groupe PSA Peugeot-Citroën ;

- Mmes France HARMONIE et Louise d'HARCOURT, Renault ;

- Mme Nelly MIGNOTTE et M. Hubert PERREAU, Comité des constructeurs français d'automobiles;

II. A BRUXELLES

Commission européenne et personnalités qualifiées

- Mme Jacqueline MINOR, directrice en charge de l'économie basée sur la connaissance, direction générale Marché intérieur et services ;

- M. Harrie TEMMINK, administrateur, direction générale Marché intérieur et services ;

- M. Robert VERRUE, directeur général de la fiscalité et de l'union douanière ;

- M. Christophe ZIMERMANN, expert national détaché, direction générale de la fiscalité et de l'union douanière;

- M. Jean RODESCH, directeur des affaires institutionnelles, groupe Pernod-Ricard ;

- M. Denis REDONNET, chef de cabinet adjoint de M. Peter Mandelson, commissaire européen en charge du commerce extérieur ;

- Mme Anne VERRON, administrateur, direction général Commerce extérieur.

III. A MOSCOU

Ambassade de France

- M. Paul HUSINGER, ministre conseiller, chef de la mission économique ;

- M. Georges REGNIER, conseiller économique et commercial ;

- Mme Edwige PRESLE-WEISS, attachée économique et juridique

- M. Guillaume MASSIE, attaché douanier ;

Délégation de la Commission européenne

- M. John Hesketh RICHARDS, chef de la section économie et commerce ;

- M. Mme Gaëlle MICHELIER, section économie ;

- M. Stéphane CHARDON, section des opérations ;

Douma d'Etat

- M. Piotre SHELISCH, député de la Douma d'Etat, adjoint du président du comité de la législation civile, arbitrale et pénale ;

Administrations, organisations professionnelles et sociétés

- M. Boris SIMONOV, directeur général de Rospatent, service fédéral de la propriété intellectuelle, des brevets et des marques ;

- Mme Alexandrine LINYER, directeur exécutif de Rusbrand ;

- M. Alexey KISLITSYNE, Procter & Gamble, co-président du comité sur la propriété intellectuelle de Rusbrand ;

- M. Alexey V. POPOVICHEV, coordinateur du groupe sur la propriété intellectuelle de RusBrand ;

- M. David LASFARGUE, avocat, et Mme Olga REVZINA, avocate, cabinet Gide, Loyrette et Nouel ;

- M. Frédéric GIRARD, directeur général des Laboratoires Servier ;

- M. Philippe COHEN, Bonduelle ;

- M. Laurent SCHTRAOUSS, Lessafre ;

- M. Sylvain DEVOS, Renault ;

IV. A PEKIN

Ambassade de France

- M. Philippe GUELLUY, ambassadeur de France ;

- M. Hubert TESTARD, ministre conseiller, chef des missions économiques de Chine ;

- M. Nam Ngo THIEN, attaché INPI.

Délégation de la Commission européenne

- M. Sergio BALIBREA, premier secrétaire, section Economie et commerce ;

- M. Benoît MISONNE, section Economie et commerce ;

- Mme Isabelle JAGIELLO, section Développement et coopération ;

- Mme Inga BUCHOLTZ, section Développement et coopération ;

Office d'état de la propriété intellectuelle (SIPO)

- M. Li YUGUANG, commissaire adjoint (rang de vice-ministre) ;

- M. Lu GUOLIANG, directeur général, division Coopération internationale ;

- Mme Wang WEI, directeur, division Coopération internationale, section Europe ;

- Mme Wang WENBEI, division Coopération internationale, section Europe.

Centre Propriété intellectuelle de l'Académie chinoise des sciences sociales

- Professeur Zhou LIN.

ADAMAS

- M. Paul RANJARD, avocat, responsable du groupe de travail Propriété intellectuelle de la Chambre de commerce européenne de Pékin.

Office chinois des marques

- M. Fan HAN YUN, directeur général adjoint ;

- M. Ren GANG, directeur des affaires juridiques ;

- M. Liu YI, Bureau d'adjudication des marques ;

- Mme Zheng HAIYAN, division des affaires juridiques.

Annexe 2 :
Point sur la mise en œuvre des onze mesures gouvernementales anti-contrefaçonAnnexe-1

1. Elaboration par l'administration des douanes d'un plan d'action national constitué d'objectifs précis et évaluables, assorti du renforcement du service national de la douane judiciaire.

Le 30 juillet 2004, une instruction a été envoyée au service des douanes, avec des objectifs chiffrés en termes de saisies. Le nombre d'articles contrefaits saisis a ainsi augmenté de 75,9 % entre 2003 et 2004, tandis que durant la même période, le nombre de constatations réalisées par les services a connu une progression de 146,2 %. Un objectif d'accroissement de 15 % des saisies en 2005 a été assigné aux douanes pour se rapprocher du chiffre de 4 millions d'articles contrefaits interceptés. De son côté, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a intensifié ses contrôles : elle a réalisé 2 711 actions de contrôle et engagé 121 procédures contentieuses en 2004, les chiffres en 2003 étant respectivement de 923 et de 58.

2. Poursuite des actions de sensibilisation du grand public et mise en œuvre de contrôles des touristes et des consommateurs


L'été dernier, des actions ont été menées dans ce domaine, en partenariat avec la douane et les fédérations professionnelles (le Comité Colbert et l'Union des fabricants).

3. Création d'un groupe de travail interservices comprenant les douanes, la cellule TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la chancellerie, la police et la gendarmerie


Ce groupe se réunit désormais régulièrement, et permet aux services concernés d'échanger leurs informations et de veiller à la complémentarité de leurs actions.

En outre, selon le ministre délégué à l'industrie, intervenant le 30 mars 2005 devant le Comité national anti-contrefaçon, les douanes devraient bientôt pouvoir bénéficier d'un droit de communication spécifique vis-à-vis des établissements et services de l'Etat et des collectivités publiques. De plus, les services concernés par la lutte contre la contrefaçon, c'est-à-dire les douanes, la DGCCRF et la police judiciaire devraient pouvoir échanger spontanément des informations. Par ailleurs, les compétences de la cellule TRACFIN seront étendues aux affaires de contrefaçon. De son côté, le service national de la douane judiciaire sera compétent pour l'ensemble des droits de propriété intellectuelle. Enfin, les compétences des agents de la DGCCRF pour la saisie sans autorisation judiciaire seront élargies aux marchandises susceptibles de porter atteinte à une marque.

4. Expérimentation puis mise en service d'un fichier des images et des caractéristiques des produits authentiques des entreprises pour permettre d'identifier en temps réel les produits contrefaits (E-mage)


L'Institut national de la propriété industrielle (INPI), en partenariat avec les douanes, a mis au point un projet appelé « E-mage » d'aide au contrôle des marchandises suspectes, en utilisant une technique de reconnaissance de l'image. Ce projet est toujours en cours d'expérimentation.

5. Elaboration d'une directive de politique pénale adressée aux parquets et meilleure évaluation des dommages et intérêts à attribuer aux entreprises


Une circulaire de politique pénale en matière de contrefaçon a été diffusée à l'ensemble des parquets le 9 août 2004. Ce document, qui souligne la gravité du phénomène de contrefaçon, prévoit la désignation d'un magistrat référent dans chaque parquet ayant à connaître des dossiers de contrefaçon.

6. Mise en place d'un réseau d'experts français (attachés douaniers, experts de l'INPI et agents des missions économiques), destiné à aider les entreprises à faire valoir leurs droits, couvrant 75 pays


Ce réseau comprend 40 experts et anime, depuis janvier 2005, la publication d'une revue, qui diffuse l'information recueillie par les agents sur les derniers développements de la lutte contre la contrefaçon.

7. Renforcement des contacts bilatéraux avec les pays les plus sensibles dans le but, notamment, de signer des déclarations communes comprenant des engagements précis et opérationnels dans le domaine de l'anti-contrefaçon


En novembre 2004, le comité franco-italien anti-contrefaçon a été relancé. A cette occasion, un programme opérationnel d'actions a été arrêté. Par ailleurs, des discussions se poursuivent entre les deux pays, afin de mettre en place des formations coordonnées ou communes pour les enquêteurs et les magistrats.

Depuis janvier 2004, l'INPI a tenu neuf commissions mixtes avec ses homologues, en particulier de Chine, du Maroc, de Taiwan et du Vietnam. Des séminaires « propriété intellectuelle et contrefaçon » ont été organisés dans des pays sensibles : en Thaïlande en décembre 2004, à Hong Kong en février 2005 et à Pékin et Séoul en avril 2005. Enfin, avec la Chine, une session mixte devrait avoir lieu en novembre prochain, qui réunira l'Office chinois des marques et l'INPI. La mise en place d'un comité franco-chinois de lutte contre la contrefaçon fait partie aussi des priorités.

8. Création d'une mission de réflexion pour proposer un plan de lutte contre l'utilisation d'Internet pour distribuer des produits de contrefaçon


Le 28 juillet 2004, une charte d'engagement pour le développement de l'offre légale de musique en ligne, le respect des droits de propriété intellectuelle et la lutte contre la piraterie numérique a été signée. Des actions de sensibilisation ont été conduites en décembre 2004 et en janvier 2005 et doivent se poursuivre. Par ailleurs, les ayants-droits avaient introduit, fin mars 2005, quelques 120 actions civiles ou pénales. Enfin, le Comité national anti-contrefaçon a été saisi de la question de l'action contre la piraterie sur Internet, afin, notamment, d'apporter sa contribution à la mise en place d'un instrument de mesure de la contrefaçon numérique.

9. Renforcement de l'action communautaire, notamment pour sensibiliser les nouveaux Etats membres


L'INPI a lancé une coopération technique avec ses homologues des pays de l'Europe du Sud, dont l'Italie, prévoyant l'organisation, alternativement, de séminaires. Le prochain devrait avoir lieu au Portugal, d'ici la fin de l'année.

Le sujet de la lutte contre la contrefaçon figure en outre à l'ordre du jour des commissions de coopération technique que l'INPI tient avec les nouveaux et les prochains Etats membres de l'Union européenne, notamment la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, ainsi que la Turquie.

10. Elaboration d'un projet de loi permettant, entre autres, de transposer la directive d'avril 2004 sur le respect des droits de propriété intellectuelle, de prendre en compte le nouveau règlement communautaire douanier et d'étendre les moyens d'intervention de TRACFIN


Ce projet de loi devrait être adopté très prochainement par le Conseil des ministres.

11. Mission confiée à l'Imprimerie nationale afin de faire des propositions allant dans le sens d'un renforcement des moyens techniques de prévention et de dissuasion dans la lutte contre la contrefaçon


L'Imprimerie nationale a rendu au ministre délégué à l'industrie ses premières conclusions. Des travaux ont été engagés pour élaborer un document normatif et devraient aboutir d'ici la fin de l'année.

1 () Cette déclaration a été citée par le directeur du Patent and Trademark Office des Etats-Unis, l'Office fédéral des brevets et des marques, lors de son audition du 23 mars 2003, relative aux enjeux de la contrefaçon, par le Comité des affaires judiciaires du Sénat.

2 () OCDE, Les incidences économiques de la contrefaçon, 1998.

3 () Audition publique du 23 mars 2004.

4 () Audition du 16 juillet 2003.

5 () Voir l'annexe 2 qui présente ces mesures et les premiers résultats obtenus.

6 () Pour les amendes dont le montant est fixé en jours, la valeur du jour est fixée chaque année par le Gouvernement en fonction du coût de la vie.

7 () Australie, Brunei, Dar el Salam, Canada, Chili, Chine et Hong Kong, Corée, Etats-Unis, Indonésie, Japon, Malaisie, Mexico, Nouvelle-Zélande, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Pérou, Philippines, Russie, Singapour, Thaïlande, Taiwan et Viêt-Nam.

8 () Argentine, Brésil, Chine, Egypte, Inde, Indonésie, Israël, Koweït, Liban, Pakistan, Philippines, Russie, Turquie et Venezuela.

9 () Arabie Saoudite, Azerbaïdjan, Bahamas, Biélorussie, Belize, Bolivie, Bulgarie, Canada, Chili, Colombie, Corée, Costa Rica, Croatie, Equateur, Guatemala, Hongrie, Italie, Jamaïque, Kazakhstan, Lettonie, Lituanie, Malaisie, Mexico, Pérou, Pologne, République dominicaine, Roumanie, Slovaquie, Tadjikistan, Taiwan, Thaïlande, Turkménistan, Union européenne et Vietnam.

10 () Voir la communication du rapporteur sur « les négociations entre l'Union européenne et le Mercosur » du 1er juillet 2004, publiée au compte rendu n° 90 de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

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