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N° 2374

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 juin 2005

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur les fonds structurels et la cohésion territoriale de l'Union européenne des années 2007 à 2013,

(COM [2004] 492 final/E 2647, COM [2004] 493 final/E 2668, COM [2004] 495 final/E 2660 et COM [2004] 496 final/E 2661),

ET PRÉSENTÉ

par MM. Michel Delebarre et Didier Quentin,

Députés.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

PREMIERE PARTIE : RICHESSE ET VARIETE DES TERRITOIRES EUROPEENS 11

I. LA POLITIQUE REGIONALE AU SERVICE DE LA COHESION ECONOMIQUE, SOCIALE ET TERRITORIALE 13

A. La montée en puissance des fonds structurels européens 13

1) Des débuts très effacés (1957-1987) 13

2) Un bond en avant voulu et maîtrisé(1988-2006) 14

B. 2007-2013 : une nouvelle donne politique 15

1) Le défi de l'élargissement 16

a) Des écarts de prospérité considérables 16

b) Un goulet d'étranglement pour les fonds 16

c) Un effet purement statistique ? 17

2) Nouvelle approche des territoires 18

II. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION POUR UNE MEILLEURE COHESION DE L'EUROPE LOCALE ET REGIONALE 21

A. Une vision ambitieuse du contenu de la politique régionale 22

1) Devenir la première politique de l'Union européenne après 2007 22

2) Une volonté de simplification 23

a) Un impératif politique 23

b) Quelques principes de base 24

(1) La nouvelle spécificité des fonds 24

(2) Trois objectifs principaux 25

(3) Des règles de gestion modernes et éprouvées 25

B. Mais un enjeu financier à négocier 26

1) Le second volet de la politique régionale, variable d'ajustement ? 27

2) Un pôle de résistance pour le Conseil 28

DEUXIEME PARTIE : UNE ALCHIMIE A IMAGINER ENTRE SOLIDARITE, COHESION ET CROISSANCE 29

I. L'OBJECTIF DE CONVERGENCE : LA NECESSAIRE SOLIDARITE 31

A. Une dynamique favorable à l'ensemble de l'Union européenne 31

1) Les moyens d'un rattrapage efficace 31

a) Fonds social et performances professionnelles 32

b) Développement régional et grandes infrastructures 33

2) Une source de croissance en Europe de l'Ouest 34

B. Les raisons d'une certaine modération budgétaire 35

1) Dans les nouveaux Etats membres 35

(1) Ecarts substantiels entre Etats membres 35

(2) Une implication nécessaire des bénéficiaires 36

2) Non à la reconduction automatique dans les anciens Etats membres 36

II. L'OBJECTIF DE COMPETITIVITE : CAP SUR LA CROISSANCE DURABLE 39

A. Poursuivre et redynamiser la stratégie de Lisbonne ? 39

1) Les fonds structurels au service de l'innovation 40

2) Des critères réels à prendre aussi en compte 41

3) Les aides d'Etat à finalité régionale, outil à préserver 42

B. Une compétitivité respectueuse d'un développement équilibré et durable des territoires 43

1) Le transport non polluant 43

2) Faut-il couvrir les risques naturels avec l'objectif de compétitivité? 44

3) Le renouveau de la dimension urbaine 44

III. LA COOPERATION TERRITORIALE : RESSERRER LES LIENS ENTRE REGIONS D'EUROPE ? 47

A. Un objectif à part entière 47

1) L'héritier du programme Interreg III 47

2) Une volonté de renouvellement 49

B. Une formule de coopération prometteuse 49

1) La nécessité d'un cadre simple... 50

2) ... qui ne soit pas forcément un cadre unique 51

CONCLUSION 53

TRAVAUX DE LA DELEGATION 55

1) Audition de M. Jacques Barrot, Commissaire européen, sur la réforme de la politique régionale, le mercredi 6 octobre 2004 55

2) Réunion de la Délégation du mercredi 15 juin 2005 63

PROPOSITION DE RESOLUTION 67

ANNEXE : Liste des personnes entendues par les rapporteurs 69

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'action de l'Union européenne souffre trop souvent d'un manque de notoriété et de reconnaissance. Depuis bientôt vingt ans, sa politique régionale aurait pu lui permettre d'améliorer son image grâce aux interventions financières massives qu'elle a entraînées. Pourtant, peu de politiques communes sont aussi mal connues que le soutien en faveur des collectivités territoriales.

L'Europe est une mosaïque de territoires où se côtoient des citoyens si différents par les origines, l'histoire, la langue, et désormais le niveau de vie et le développement économique, qu'un sentiment commun d'appartenance peine à se faire jour à l'échelle du continent. Peut-être les politiques de l'Union européenne n'ont-elles pas lutté jusqu'à ce jour de manière suffisamment efficace contre ce phénomène. En s'intéressant principalement à la libre circulation des hommes et des marchandises, les politiques sectorielles se sont en effet d'abord adressées aux individus comme à des citoyens mobiles et interchangeables.

Aussi l'Union européenne met-elle de plus en plus l'accent sur une approche territoriale de son action. Avec le temps, sa politique régionale, relayée par les fonds structurels, s'est beaucoup développée. En s'appuyant sur le sentiment d'appartenance existant et sur la conscience politique très présente au niveau local, l'Union européenne peut en effet espérer forger un instrument au service non seulement des territoires mais aussi de l'attachement démocratique en faveur de l'Europe. La Commission propose ainsi que la politique régionale devienne après 2006 la première politique de l'Union européenne.

Cinq règlements formeront l'armature de la prochaine politique régionale européenne, valable pour un nouveau cycle de sept années, de 2007 à 2013. Comme il lui revenait de le faire, la Commission européenne a présenté au cours de l'été 2004 les cinq propositions de règlement qui seront discutées et adoptées par le Conseil des ministres et par le Parlement européen. Même s'ils forment un tout, ces textes sont cependant d'une longueur et d'une importance inégale ; tous ne sont pas non plus adoptés selon la même procédure, ce qui laisse pour quelques-uns d'entre eux un pouvoir prépondérant au Conseil des ministres, réunissant à Bruxelles les représentants des gouvernements nationaux.

La prochaine programmation septennale s'appuiera sur trois fonds structurels différents, contre six auparavant. Le nouveau Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) sera d'autre part institué pour mettre en œuvre une politique rurale autonome(1). Les trois nouveaux fonds structurels seront le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion. Un règlement définira pour chaque fonds son domaine d'intervention et les modalités de son fonctionnement. Un autre règlement contiendra les dispositions générales qui concernent les trois fonds. Portant sur un point plus spécial, un cinquième règlement définira le droit applicable aux groupements européens de coopération territoriale, outils juridiques conçus pour la gestion des programmes impliquant plusieurs régions à la fois, éventuellement de part et d'autre des frontières nationales.

Le Parlement européen et le Conseil des ministres ne se partagent pas la décision de la même manière sur chacun de ces cinq textes. La politique régionale est l'un des rares domaines législatifs où s'applique la procédure de l'avis conforme. Semblable à la procédure de consultation, elle ne laisse pas toutefois au Parlement européen la possibilité d'amender une proposition ; il est tenu de l'accepter ou de la rejeter en bloc. Cette acceptation, qui prend le nom d'avis conforme, requiert la majorité absolue des suffrages exprimés. Le mécanisme paraît ainsi garantir au Conseil des ministres un plus large pouvoir que la procédure de codécision. Une fois adoptés, les règlements s'intitulent au demeurant « règlements du Conseil » et non « règlements du Parlement européen et du Conseil ».

En pratique, le Parlement européen a cependant, par le biais d'accords informels, arrangé avec les autres institutions sa participation concrète aux stades antérieurs de la procédure, de façon que ses positions puissent être prises en compte de manière plus nuancée. En outre, la procédure de l'avis conforme ne s'applique qu'à une part de la législation sur les fonds structurels. Sur les cinq textes qui font l'objet de ce rapport, deux seulement y sont soumis, le règlement général et le règlement relatif au Fonds de cohésion. Les trois autres sont adoptés conformément à la procédure de codécision.

En France, seuls quatre des cinq textes ont enfin été transmis pour examen à l'Assemblée nationale. Le Conseil d'Etat a jugé en effet que la proposition de règlement du Conseil instituant le Fonds de cohésion (COM (2004) 494) relèverait en droit interne du pouvoir réglementaire et non du pouvoir législatif, dans la mesure où « il s'agit, comme par le passé, d'un régime de subventions » (Observations du 3 août 2004). Le texte ne contient cependant que des décisions d'application, tandis que les dispositions fondamentales relatives au Fonds de cohésion se trouvent dans le règlement général (E 2647).

Tel est le cadre où s'inscrit le travail des rapporteurs et la proposition de résolution qu'ils présentent devant la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale. Ils remettent leurs conclusions au moment où les négociations à Bruxelles, tant au Conseil des ministres qu'au Parlement européen, paraissent arrivées à un degré de maturité suffisant pour que les enjeux de la discussion se soient clairement dégagés. Il était d'autre part nécessaire que leur contribution soit rendue publique avant le Conseil européen des 16 et 17 juin 2005, où un accord politique est attendu sur les perspectives financières de l'Union européenne et, partant, également sur la politique régionale qui constituera à partir de 2007 le plus gros chapitre du budget communautaire.

PREMIERE PARTIE :
RICHESSE ET VARIETE DES TERRITOIRES EUROPEENS

L'Union européenne est le seul ensemble continental dont le territoire abrite autant d'inégalités de développement et de niveau de vie. M. Josep Borrell, Président du Parlement européen, l'a souligné récemment devant les membres de la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale : du fait de l'élargissement, l'Europe reproduit maintenant la planète en miniature ; avec l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, elle sera bientôt l'un des espaces politiques les plus inégalitaires au monde(2).

Ce n'est certes pas l'élargissement qui a creusé ces écarts. Mais il les révèle désormais dans toute leur ampleur sur les tableaux d'Eurostat. Même sans élargissement, le poumon économique de l'Europe à Quinze restait au demeurant concentré sur une zone géographique très étroite, du Piémont à la région londonienne, en passant à l'est par la Bavière et Rotterdam et au sud par l'Ile-de-France(3). Malgré la disparition des frontières internes, certains clivages invisibles mais tenaces se perpétuent ainsi sur le territoire européen.

A cette permanence de la division économique ajoute un morcellement des mentalités non moins préoccupant. Les Européens ne se perçoivent pas encore comme les citoyens d'une union continentale, dont l'opinion publique européenne serait l'expression sur le plan politique. Tout au contraire, les enquêtes d'opinion révèlent que le sentiment d'appartenance civique se cristallise désormais non seulement au niveau national, mais aussi de plus en plus au niveau régional et local.

En face de son territoire, l'Union européenne se trouve ainsi aux prises avec une double difficulté, à la fois économique et politique. La paix maintenant réalisée à l'échelle du continent, c'est sans conteste l'enjeu primordial des prochaines décennies que de relever ce nouveau défi. Plutôt que de donner le sentiment qu'elles voudraient superposer encore un échelon administratif aux autres, les institutions communautaires comprennent progressivement qu'elles devront s'appuyer de plus en plus sur les autorités régionales et locales pour toucher directement les citoyens à travers elles. La politique régionale offre l'instrument et doit offrir à l'Union européenne les moyens de cette ambition.

I. LA POLITIQUE REGIONALE AU SERVICE DE LA COHESION ECONOMIQUE, SOCIALE ET TERRITORIALE

Le changement radical apporté par l'élargissement pourrait fournir à l'Union européenne l'occasion de confirmer une tendance ancienne à l'affirmation d'une politique régionale ambitieuse et dynamique.

A. La montée en puissance des fonds structurels européens

Le soutien aux régions ne s'est constitué que peu à peu en politique autonome de l'Union européenne. Car les institutions communautaires paraissent n'avoir vraiment pris conscience de son intérêt qu'à partir de la fin des années 1980.

1) Des débuts très effacés (1957-1987)

Les premiers fonds structurels ne répondaient pas à un dessein d'ensemble, mais venaient en appui de politiques séparées, auxquelles ils étaient rattachés pour la gestion. Dès les années 1960, la section d'orientation du FEOGA (Fonds Européen d'Orientation et de Garantie Agricole) apportait ainsi son aide aux régions rurales dans le cadre de la politique agricole commune, tandis que le Fonds social européen contribuait, dans un tout autre domaine, à améliorer les possibilités d'emploi des travailleurs.

Il fallut attendre 1975 pour que les prémices d'une politique régionale propre apparaissent avec la création du Fonds européen de développement régional. Encore fonctionna-t-il jusqu'en 1979 comme une simple caisse de paiement auprès de laquelle les États membres se faisaient rembourser les dépenses engagées pour réaliser des projets nationaux, à concurrence d'un montant fixé d'avance pour chaque État. Il servait ainsi d'instrument de compensation budgétaire, notamment au profit du Royaume-Uni et de l'Irlande, qui pouvaient arguer d'un niveau de vie inférieur à la moyenne communautaire pour obtenir une part substantielle des crédits.

La situation a naturellement beaucoup évolué depuis cette date, tant en Irlande qu'au Royaume-Uni, devenu aujourd'hui l'un des partisans les plus tièdes de la politique régionale. Au reste, la gestion des fonds actuels porte encore la marque de l'éclatement initial entre de nombreux fonds aux finalités différentes. Les programmations successives se sont certes employées à le réduire, les dernières propositions de la Commission pour 2007-2013 ne faisant pas exception à la règle. Mais pour l'heure, un même projet reste couramment financé sur le budget de deux ou trois fonds différents, ce qui réclame la constitution d'autant de dossiers distincts. Combien de candidats à un financement connaissent-ils donc l'origine administrative de cette exigence déconcertante ?

2) Un bond en avant voulu et maîtrisé(1988-2006)

En 1986, l'adhésion de l'Espagne et du Portugal conduisit la Commission à proposer un programme exceptionnel de transferts financiers vers ces deux pays, mais aussi vers la Grèce et l'Irlande. Leur niveau de vie relativement faible laissait en effet présager des difficultés d'adaptation à la concurrence du marché intérieur, ce qui justifiait un soutien spécial pour assurer la transition. Depuis cette date, les dépenses de politique régionale ont en fait doublé à chaque nouveau cycle budgétaire jusqu'à devenir, dans les projections de la Commission, le principal poste de dépenses du budget européen après 2007.

(*) Après révision à la hausse des hypothèses de croissance par la Commission, la somme prévue s'établit à 341 milliards d'euros.

L'évolution financière fait ressortir bien plus qu'une simple reconduction des crédits à l'identique. Une tendance dynamique se dégage nettement : à chaque nouvelle programmation, la politique régionale gagne en force et en volume. L'étude graphique permet d'observer la formation résolue d'une politique cohérente et d'envergure à destination de l'Europe des territoires. La politique régionale devrait ainsi conquérir après 2007 le premier rang parmi les politiques européennes, devant la politique agricole commune, qui reste la mieux connue aujourd'hui auprès des opinions publiques nationales.

B. 2007-2013 : une nouvelle donne politique

La nouvelle programmation régionale voit le jour sous des auspices très différents des cycles antérieurs. D'abord, elle doit faire face au défi économique et géographique de l'élargissement. Mais elle intervient aussi au moment d'un renouveau de la réflexion politique et institutionnelle sur l'Europe des territoires.

1) Le défi de l'élargissement

L'élargissement a introduit dans l'Union européenne des écarts de prospérité non négligeables. Ce faisant, il fait naître aussi des obstacles inattendus au transfert des fonds. Il bouleverse d'autre part une certaine hiérarchie établie dans le classement des régions par la richesse économique.

a) Des écarts de prospérité considérables

L'entrée de dix nouveaux Etats membres en 2004 a fait gagner à l'Union européenne 20 % de population, mais seulement 5 % de produit intérieur brut supplémentaire. Les disparités qui peuvent être ainsi observées au sein de l'Union européenne sont désormais énormes. En 2007, lorsqu'il est prévu que la Bulgarie adhère à l'Union européenne, elle aura un produit intérieur brut par habitant près de sept fois inférieur à celui du Luxembourg. De surcroît, ces écarts entre Etats ne préjugent pas des inégalités qui peuvent exister au niveau intrarégional; or elles sont elles-mêmes souvent très significatives.

Les lois générales de l'évolution économique font espérer que ces écarts s'atténuent naturellement. Le rattrapage a déjà commencé dans de nombreux pays d'Europe centrale et orientale, dont l'économie croît à un niveau très soutenu. Dans les pays baltes, le produit intérieur brut augmente depuis 2004 de 6 à 7 % par an. En Europe centrale, la Hongrie affiche, quant à elle, une croissance moyenne de 4 % par an. Pour ces pays, le rattrapage apparaît donc surtout du point de vue macroéconomique comme une question de rythme.

b) Un goulet d'étranglement pour les fonds

Dans l'immédiat, le niveau de richesse nationale relativement faible induira dans les nouveaux Etats membres une efficacité d'autant plus forte de la dépense communautaire sur leur territoire. Proportionnellement, les mêmes fonds constituent en effet des masses financières bien supérieures en Hongrie de ce qu'elles représentent en Irlande ou en Espagne.

Or, de l'avis général, une économie ne peut absorber en subventions publiques qu'une quantité limitée de son produit intérieur brut chaque année. Au-delà, les circuits de production et les services administratifs sont incapables de faire face sans encombre à la masse de l'afflux financier ; les projets subventionnés deviennent trop nombreux pour avoir tous une raison d'être solides ; d'une manière générale, l'activité économique et l'initiative privée finissent par se trouver contrariées et délaissées au profit des actions soutenues par l'intervention publique, ce qui va précisément à l'encontre des fins recherchées. Le seuil d'absorption critique des subventions de ce type avoisinerait les 4 % du PIB.

Aussi la programmation 2000-2006 exclut-elle déjà des transferts annuels de fonds européens vers un Etat pour un montant supérieur à 4 % de son PIB. Il est désormais acquis que cette règle sera reconduite pour la programmation 2007-2013. Or le PIB total des dix nouveaux Etats membres ne représente qu'environ cinq cents milliards d'euros par an. Leurs économies nationales, de taille encore modeste, ne sauraient donc absorber plus d'une vingtaine de milliards d'euros par an. C'est pourquoi les propositions de la Commission à leur intention, qui englobent en outre la Bulgarie et la Roumanie, ne s'élèvent pas à plus de 162 milliards d'euros sur sept ans, soit sept fois vingt milliards d'euros, plus vingt-deux milliards d'euros destinés à la Bulgarie et à la Roumanie pour l'ensemble de la période.

c) Un effet purement statistique ?

Il y a deux manières pour une région européenne de se qualifier pour un soutien substantiel(4). Selon une première règle, elle doit prouver que son niveau de vie par habitant est inférieur d'un quart au niveau de vie moyen de l'Union européenne. Compte tenu des disparités entre les circonscriptions territoriales au sein de l'Union européenne, une nomenclature statistique unifiée des territoires (NUTS) sert de base à la comparaison de leurs besoins. La région en cause doit sinon appartenir à un Etat dont le produit intérieur brut par habitant ne dépasse pas 90 % du produit intérieur brut moyen de l'Union européenne.

L'élargissement a naturellement modifié la portée géographique de ces deux règles des 75 % et des 90 %. Dans presque tous les pays, des régions perdent ainsi leur titre à recevoir de plein droit des fonds structurels après 2006 : l'Algarve (Portugal), les Asturies (Espagne), l'Attique (Grèce), le Brandebourg (Allemagne), le Pays de Galles (Royaume-Uni), la Région wallonne (Belgique)... La France métropolitaine ne comptait pas, quant à elle, de région de ce type sur son territoire métropolitain et les départements d'outre-mer ne sont pas touchés par cet effet statistique. Mais s'agit-il seulement d'un effet statistique ?

Les économistes, suivant en cela le sentiment commun, évaluent toujours la pauvreté -ou la richesse- en termes relatifs : le seuil de pauvreté ne sera pas le même en Suisse ou au Libéria. Certaines des régions fortement soutenues par l'Union européenne ont accompli des progrès substantiels sur la voie du développement économique optimal. D'autres ont certes crû à un rythme moins rapide. Mais toutes ont en commun de ne plus pouvoir être perçues comme des régions pauvres à l'échelle de l'Union européenne.

Réunis à Oviedo (Espagne) le 22 mars 2004, les élus des régions européennes affectées par l'effet statistique ont adopté une déclaration marquant leur soutien appuyé aux propositions de la Commission visant à accorder en faveur de leurs territoires une aide transitoire. Bien que leur position soit compréhensible, elle ne doit pas néanmoins empêcher une réflexion plus approfondie sur les formes nouvelles à concevoir pour venir soutenir les autorités locales et régionales des quinze anciens Etats membres. Car l'appui que dispense l'Union européenne ne saurait emprunter toujours les mêmes voies sans donner le sentiment qu'elle pérennise de manière automatique des habitudes acquises.

2) Nouvelle approche des territoires

En marge des rapports législatifs sur les différentes propositions de règlement, la Commission du développement régional du Parlement européen a confié à l'un de ses membres français, M. Ambroise Guellec, le soin d'un rapport sur le rôle de la cohésion territoriale dans le développement régional. La réflexion politique européenne n'est pas nouvelle sur le thème, du reste présent dans le traité constitutionnel élaboré par la Convention. Les traités antérieurs ne connaissent en effet que la cohésion « économique et sociale », alors que le texte nouveau ajoute qu'elle a aussi une dimension territoriale (article I.3).

Dans son rapport, M. Ambroise Guellec souligne notamment que « la notion de cohésion territoriale vient enrichir la cohésion économique et sociale en lui donnant une dimension transversale, valable pour l'ensemble du territoire ». Même si en pratique l'Union européenne, à travers ses fonds structurels, menait déjà par le passé une politique active de soutien à toutes les collectivités territoriales, cette dimension de son action se trouve de plus en plus soulignée et systématisée. Ce mouvement va de pair avec une reconnaissance toujours accrue d'institutions consultatives comme le Comité des Régions.

En comptant sur le sentiment d'appartenance locale, l'Union européenne cultive à l'échelle la plus efficace le rapport des citoyens aux institutions publiques. Là où certains ne veulent voir qu'une forme nouvelle de provincialisme, les observateurs plus avertis sauront reconnaître un vestige du lien ancien et profond qui unit le citoyen européen à sa communauté politique immédiate.

En affirmant le rôle de la cohésion territoriale, l'Union européenne paraît donc renouer avec une tradition très ancienne et très vivace, qui fait en Europe de l'environnement villageois ou urbain immédiat le creuset de la conscience civique. Il semble de fait judicieux que, par sa politique régionale, l'Union européenne bâtisse à l'avenir sur ce terrain très solide pour mieux se faire connaître, comprendre et apprécier. Souhaitons que les autorités régionales et locales puissent, grâce aux fonds structurels, jouer de mieux en mieux leur rôle de lien privilégié entre les citoyens européens et les institutions communautaires.

Car la politique régionale est sans doute l'une des politiques européennes dont les résultats s'imposent à la vue des citoyens avec le plus d'évidence dans leur vie quotidienne.

I. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION POUR UNE MEILLEURE COHESION DE L'EUROPE LOCALE ET REGIONALE

La Commission européenne se trouvait devant un choix simple lorsqu'elle dut proposer en 2004 un projet pour l'avenir de la politique régionale. Soit elle mettait fin brutalement à presque tous les soutiens en faveur des collectivités territoriales des anciens Etats membres, à l'exception de la Grèce et du Portugal, dans l'intention de reporter toutes ses ressources sur les nouveaux Etats membres, particulièrement en Europe centrale et orientale ; soit elle continuait l'œuvre entreprise au cours des programmations antérieures, tout en y associant désormais de manière privilégiée les nouveaux Etats membres, afin d'accélérer leur rattrapage économique et d'accroître ainsi la prospérité globale de l'Union européenne.

Le Commissaire européen alors en charge de la politique régionale, M. Michel Barnier, a penché en faveur de la seconde solution. Le collège des commissaires a débattu ses propositions et les a adoptées à l'issue d'un vote à la majorité simple. La Commission a alors diffusé et transmis les cinq propositions de règlement au Parlement européen et au Conseil des ministres. Le débat qui s'était engagé au sein du collège des commissaires s'est ainsi poursuivi dans d'autres enceintes.

Alors que le Parlement européen, notamment sa Commission du développement régional, paraît avoir plutôt bien accueilli les propositions de règlement, il est de notoriété publique que certains Etats se sont montrés beaucoup plus réservés au Conseil. Lors du premier tour de table, les représentants de la Suède, du Danemark ou du Royaume-Uni ont tous remis en cause à leur manière le choix initial, en marquant nettement leur préférence pour l'autre solution, originellement écartée. Ces réticences se sont faites plus discrètes par la suite, mais des divergences de point de vue demeurent, qui peuvent faire craindre que certains chapitres de la politique régionale servent de variable d'ajustement au cours des négociations budgétaires.

A. Une vision ambitieuse du contenu de la politique régionale

A travers sa politique régionale, l'Union européenne cherche non seulement à garder après 2006 un contact étroit avec tous ses territoires, mais aussi à mieux se faire connaître des citoyens, ce qui passe par une simplification concrète de son action.

1) Devenir la première politique de l'Union européenne après 2007

Lorsque les propositions de règlement ont été publiées, la presse européenne a été unanime à souligner que la Commission avait su placer la barre assez haut. En examinant ses projets, il serait cependant réducteur de n'attacher d'importance qu'à la hausse de budget demandée. Car cette force de frappe supplémentaire a surtout pour caractéristique de permettre à l'Union européenne de continuer à toucher les citoyens partout sur son territoire.

Quoiqu'il ne s'élève qu'à environ cent milliards d'euros par an, soit près d'un tiers des recettes budgétaires françaises, le budget communautaire constitue une masse de manœuvre sans égale en Europe parce qu'il est, à la différence des budgets nationaux, presque tout entier consacré à des dépenses d'intervention. L'observation vaut tout particulièrement pour les fonds structurels, puisqu'ils servent principalement à des investissements en infrastructures ou en capital humain. Dans les dernières propositions de la Commission, l'enveloppe budgétaire s'élèverait à près de 341 milliards d'euros.

Cet effort d'une ampleur sans précédent permettrait de garantir une symétrie d'intervention entre les anciens et les nouveaux Etats membres. La politique régionale n'a en effet de sens que si elle fournit un effort équilibré en faveur de l'ensemble des territoires. Les projections de la Commission ne font pas apparaître directement le partage géographique entre l'Est et l'Ouest, mais elles le fournissent de manière subsidiaire. Selon les propositions avancées, 52 % des fonds iraient aux anciens Etats membres et 48 % aux nouveaux. L'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie devraient faire évoluer cette proportion vers l'équilibre.

Ce partage géographique ne correspond pas à la division thématique retenue par la Commission, mais des recoupements sont observables. En particulier, l'Objectif 2 serait principalement mis en œuvre dans les anciens Etats membres, tandis que les régions de l'Europe centrale et orientale recevraient presque exclusivement des fonds d'Objectif 1. Toutefois, une partie des fonds d'Objectif 1 alimenteraient aussi des opérations dans les anciens Etats membres. L'exigence de la solidarité européenne se déclinerait ainsi sous deux formes complémentaires, qui dépasseraient cependant le strict clivage Est/Ouest.

2) Une volonté de simplification

Les documents publiés par la Commission témoignent aussi d'une réelle volonté de présenter désormais au citoyen la politique régionale sous un jour plus favorable.

a) Un impératif politique

Alors que la politique régionale devrait être le meilleur moyen de faire connaître l'Union européenne de manière concrète et convaincante, les procédures à suivre pour monter les dossiers ressemblent trop souvent à des parcours du combattant. Mais les porteurs de projet parviennent finalement souvent à obtenir le soutien qu'ils sollicitent, le taux de consommation des crédits en témoigne.

Quelques faits simples suffiront néanmoins à faire entendre un constat qui demeure préoccupant. Dans l'Ile d'Oléron, lors du référendum sur le traité de Maastricht, les Oui l'ont emporté dans les bureaux de vote du chef-lieu Saint-Pierre d'Oléron, situé au centre de l'île tandis que, sur le littoral, le port de La Cotinière se prononçait en faveur du non. Quelque temps auparavant, la criée y avait été pourtant modernisée et informatisée avec le soutien des aides versées par l'IFOP, fonds européen spécialisé dans le domaine de la pêche. Apporté à un tournant décisif de l'histoire piscicole de l'île, ce coup de pouce européen aurait pu laisser augurer d'autres rapports de force.

Ce détachement constitue certes un spectacle réjouissant pour la démocratie. Déjà à l'époque, elle n'en marquait cependant pas moins un échec de l'Union européenne à faire connaître et apprécier les efforts qu'elle consent au bénéfice de l'ensemble de ses régions.

b) Quelques principes de base

Pour rendre le fonctionnement des fonds structurels plus simple à comprendre, la Commission porte ses efforts dans trois directions : elle réduit le nombre de ses objectifs ; conserve des règles de gestion nettes et claires ; et pose le principe que chaque programme ne sera financé que par un fonds.

(1) La nouvelle spécificité des fonds

C'était en effet la première source de confusion : dans la programmation actuelle comme dans les précédentes, il arrive qu'un même projet puisse faire intervenir plusieurs fonds. C'est même le cas le plus fréquent. Inversement, le Fonds européen de développement régional finance des projets menés dans le cadre de tous les objectifs. Alors que chaque fonds a un profil particulier qui doit le rendre nettement reconnaissable des autres et en faire un point de référence pour les porteurs de projet, les repères tendent ainsi à se brouiller pour laisser l'impression d'un écheveau bureaucratique.

Les financements croisés devraient donc être exclus en principe à l'avenir, afin de restaurer la spécificité des fonds (article 33 du projet de règlement général). Seules quelques exceptions sont prévues. Le projet de règlement sur le FEDER dispose notamment que ce fonds pourra cofinancer avec le Fonds social européen des opérations de l'Objectif 2 en zone urbaine, à hauteur de 10 % (article 8 du projet de règlement sur le FEDER).

La réhabilitation urbaine montre ainsi les limites de l'exercice : la rénovation des quartiers est indissociable d'un effort de formation au bénéfice de sa population jeune fortement touchée par le chômage. Malgré le lien entre eux, ces deux aspects réclament un mode d'intervention différent l'un de l'autre. Cette solution doit cependant demeurer l'exception, sous peine de revenir à la situation d'enchevêtrement initiale.

(2) Trois objectifs principaux

Selon la Commission, la programmation actuelle se disperse encore entre de trop nombreux objectifs. La prochaine programmation n'en compterait plus que trois : convergence, compétitivité régionale et emploi, coopération territoriale. Ils seraient d'importance d'inégale, puisque 78 % des crédits seraient affectés au premier, 18 % au deuxième et 4 % au dernier.

En tout état de cause, les anciens programmes d'initiative communautaire disparaîtraient. L'expérience de « Leader + » se prolongera dans l'action du Fonds européen agricole pour le développement rural, désormais séparé des fonds structurels de politique régionale. L'ancienne action d'« Urban » s'insérera à l'avenir dans les opérations de revitalisation urbaine du nouvel objectif de compétitivité. L'initiative « Interreg » passe au rang d'objectif à part entière, pour former le volet de coopération territoriale du nouveau triptyque.

Aux yeux des deux rapporteurs, cette réorganisation présente un double avantage. D'abord, elle simplifie notablement l'architecture de la future politique régionale. Ensuite, en supprimant les Programmes d'Initiative Communautaire au profit d'une gestion tout entière décentralisée, elle fait sans conteste avancer le respect du principe de subsidiarité.

(3) Des règles de gestion modernes et éprouvées

Pour la gestion et le contrôle des projets, la Commission conserve la même règle simple pour tous les cas où les projets ne suivent pas. Elle devrait d'autre part proposer un système de certification global pour éviter les contrôles redondants.

Appliquée de manière systématique au cours de la programmation actuelle, la règle du dégagement d'office à n + 2 consiste à annuler les décisions de subvention d'un projet dès lors qu'elles ne sont pas suivies dans les deux ans d'un commencement d'exécution. Cela incite à l'action les porteurs du projet dès que le soutien d'un fonds leur est acquis. Cela évite aussi que le projet change de nature entre le moment où il est soumis à approbation et celui où il commence d'être exécuté. Certaines voix se sont élevées au Parlement européen pour obtenir un assouplissement de la règle à n + 3(5). Il semble aujourd'hui qu'elles n'aient guère de chance d'aboutir. Les deux rapporteurs estiment quant à eux qu'il est bon de maintenir cette règle qui a fait ses preuves.

La Commission devrait d'autre part innover en proposant aux Etats membres d'agréer ou d'avaliser d'avance leur propre système de gestion et de contrôle financier. Il leur reviendrait ainsi de concevoir un dispositif de suivi des programmes avant de le faire reconnaître par la Commission. Avec leurs cinq cents fonctionnaires, les bureaux européens de la Direction générale de la politique régionale ne sauraient de toute façon tout contrôler par eux-mêmes. Par exemple, une région comme le Nord Pas-de-Calais pourrait recevoir une enveloppe de 150 millions d'euros pour couvrir tous ses programmes d'innovation, de développement et d'accessibilité aux transports. Les opérations ne seraient ensuite plus remboursées par tranches, mais en une fois, par un clearing global. L'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) resterait néanmoins compétent pour enquêter sur tout usage des fonds communautaires.

Enfin, les autorités communautaires ne devraient plus définir à l'avance les zones où l'intervention des fonds est possible, ce qui devrait faciliter grandement leur mise en œuvre.

B. Mais un enjeu financier à négocier

Les ambitions de la Commission pour la politique régionale paraissent cependant difficiles à tenir au vu des exigences budgétaires mises en avant par de nombreux Etats membres. Le prochain accord sur les perspectives financières devrait conduire à tout le moins à réviser l'équilibre entre les différents volets envisagés.

1) Le second volet de la politique régionale, variable d'ajustement ?

La Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale a confié à MM. René André et Marc Laffineur un rapport sur les perspectives financières. Les deux auteurs du présent rapport se limitent donc ici à rappeler la place qu'y occupe la politique régionale, sans prendre position globalement.

Les fonds structurels, et particulièrement l'objectif de compétitivité régionale et d'emploi, apparaissent à de nombreux observateurs comme une source d'économies possibles si des restrictions budgétaires sont nécessaires. Les crédits agricoles sont en effet garantis par l'accord de Luxembourg de juin 2003 à hauteur de 301 milliards d'euros. D'un autre côté, il semble politiquement difficile de diminuer substantiellement l'effort de solidarité envers les nouveaux Etats membres, qui représentent environ 162 milliards d'euros de fonds structurels. Partant, les fonds destinés aux anciens Etats membres pourraient faire les frais d'un accord budgétaire a minima.

C'est toute l'architecture des propositions de la Commission qui se trouverait ainsi remise en cause. L'équilibre ne serait plus respecté entre anciens et nouveaux Etats membres. La politique régionale deviendrait le domaine réservé de quelques Etats, ce qui remettrait en cause sa pérennité même, bien que l'exigence de cohésion et de solidarité soit au cœur même du projet européen. Ainsi, le second objectif de compétitivité régionale et d'emploi ne saurait être considéré, d'un point de vue strictement budgétaire comme un simple volant de crédits susceptibles de redéploiement. Il doit au contraire apparaître comme le signe d'un engagement durable de l'Union européenne en faveur des territoires.

La présidence luxembourgeoise a déjà proposé de réviser la répartition des crédits entre les différents volets, dans le cas d'une réduction globale. Selon les derniers chiffres, le premier objectif recevrait 82 % des fonds, le deuxième seulement 15 %, tandis que le troisième resterait stable à 3 %. Cette redistribution marque sans doute la limite des redéploiements acceptables. Au-delà, le deuxième objectif ne subsisterait qu'à titre résiduel. Les rapporteurs, tout comme les autorités françaises, souhaitent précisément éviter cette éventualité.

Il ne s'agit pas seulement d'une querelle de chiffres. Les échos des discussions au Conseil font nettement apparaître que les opposants les plus déterminés à la politique régionale ne poursuivent pas tant un objectif de réorientation financière ou stratégique qu'un plan déterminé d'asphyxie des institutions européennes. Supprimer ou largement amputer la politique régionale reviendrait à rétrécir de manière drastique le domaine d'action de l'Union européenne. En taillant dans les ressources de l'Union, ses adversaires espèrent sans conteste reprendre sur le plan budgétaire le terrain perdu dans les discussions plus générales.

Tout en reconnaissant que des aménagements financiers sont sans doute inéluctables, les rapporteurs mettent donc en garde contre une réduction radicale qui serait une remise en cause pure et simple de l'acquis communautaire en matière de cohésion.

2) Un pôle de résistance pour le Conseil

L'une des issues aux discussions budgétaires sur la politique régionale pourrait être de confier un rôle accru au Conseil dans la définition des objectifs de cohésion. Certains Etats membres sont inquiets de laisser échapper tout contrôle sur des masses budgétaires trop importantes, mais seraient prêts à ce qu'elles restent consacrées à la politique régionale s'ils pouvaient, à travers le Conseil des ministres, garder un droit de regard sur leur affectation finale. A Bruxelles, l'idée circule ainsi de « politiser la cohésion » pour mieux la sauvegarder.

Les fonds structurels ont en effet pour avantage de conserver une destination géographique précise, contrairement à des dépenses d'éducation ou d'administration. Chacune des interventions porte pour ainsi dire un drapeau national - voire plusieurs, s'il s'agit d'un projet de coopération internationale. Il semble donc judicieux d'impliquer encore davantage les Etats dans leur défense. Pour ce faire, le Conseil des ministres constitue sans conteste l'axe de mobilisation indispensable.

Ces efforts de réorganisation administrative et de concentration budgétaire ne trouveront cependant tout leur sens que si la politique régionale parvient à percer vraiment dans la conscience des opinions publiques. La notoriété et la popularité de la future politique régionale mérite à l'avenir d'être à la mesure de son envergure budgétaire.

DEUXIEME PARTIE :
UNE ALCHIMIE A IMAGINER ENTRE SOLIDARITE, COHESION ET CROISSANCE

Chaque nouveau cycle de programmation structurelle reflète l'évolution des besoins dans l'Europe des territoires, mais aussi des modes de l'intervention publique européenne.

Les dernières propositions de la Commission ne font pas exception à la règle, tant dans la gestion que dans le choix des domaines d'intervention. De plus en plus, la Commission invite ses interlocuteurs à réfléchir en termes de projets de territoire orientés vers l'innovation, plutôt que de définir de manière rigide des secteurs sur lesquels les soutiens sont répartis d'avance. Pour mettre en œuvre cette approche, elle encourage les collectivités territoriales responsables, principalement les autorités régionales, à répondre aux appels à projet susceptibles de mettre en concurrence plusieurs candidats afin de les départager sur la base de leur capacité à faire avancer l'objectif poursuivi de la manière plus efficace possible.

Loin d'être une question purement technique, la suppression du zonage dans la programmation d'Objectif 2 consacrée à la compétitivité régionale et à l'emploi marque ainsi un changement d'approche très profond, dont les conséquences se feront particulièrement sentir dans les anciens Etats membres. Chacun y sera désormais a priori invité à apporter sa contribution au processus de la croissance. Seuls les plus convaincants recevront cependant un soutien dispensé sous de strictes conditions de résultat.

II. L'OBJECTIF DE CONVERGENCE : LA NECESSAIRE SOLIDARITE

Dans les projections de la Commission, 270 milliards d'euros devraient être consacrés à la poursuite de l'Objectif 1 de convergence. L'effort de rattrapage des économies nationales les moins avancées se concentre sur cet objectif, qui sera mis en œuvre en Europe centrale et orientale, mais aussi dans les régions occidentales dont le produit intérieur brut sera inférieur à 75 % du niveau européen moyen. Habilement employés, ces fonds pourraient faire naître un cycle vertueux d'investissements et de croissance dont les effets se feraient sentir dans toute l'Europe. Si des coupes budgétaires doivent être pratiquées sur cet objectif, il est très important qu'elles ne remettent pas en cause cette dynamique d'ensemble.

A. Une dynamique favorable à l'ensemble de l'Union européenne

La recherche d'une convergence économique réelle entre les économies nationales ne se borne pas à des transferts de fonds à sens unique. Le principe de solidarité qui est aux fondements de l'Objectif 1 s'entend à la fois dans un sens politique et organisationnel : l'effort budgétaire des pays contributeurs nets témoigne d'une fraternité renouvelée entre les peuples au sein de l'Union européenne ; il trouve d'autre part sa pleine justification dans l'interdépendance entre des systèmes économiques nationaux de plus en plus imbriqués entre eux.

1) Les moyens d'un rattrapage efficace

Outre le fonds de cohésion, deux fonds sont principalement à l'œuvre pour financer la programmation d'Objectif 1 : le fonds social soutient l'investissement dans le capital humain ; le fonds de développement régional se concentre davantage sur les grandes infrastructures et les équipements.

a) Fonds social et performances professionnelles

La qualification de la main-d'œuvre est un facteur déterminant de réussite dans le monde économique contemporain. Aussi le fonds social européen favorise-t-il l'investissement dans ce que les économistes appellent le capital humain. Ses programmes ont déjà donné, en Irlande notamment, des résultats spectaculaires. Le produit intérieur brut de ce pays se situe désormais nettement au-dessus de la moyenne européenne, à environ 106 % de ce dernier. Nombreux sont au demeurant les pays d'Europe centrale et orientale qui ont fait appel, dans le cadre des programmes PHARE de pré-adhésion, à des conseillers venus de ce pays.

Pour renforcer l'efficacité du fonds, la proposition de règlement cible quatre domaines clefs lorsqu'elle définit le champ des mesures éligibles :

- la capacité d'adaptation des travailleurs et des entreprises ;

- l'emploi et l'augmentation de la participation au marché du travail, sous l'ensemble de leurs aspects (amélioration de l'accès à l'emploi, prévention du chômage, prolongement de la vie active) ;

- la lutte contre l'exclusion sociale, par le soutien à l'intégration dans l'emploi des personnes désavantagées et à la lutte contre la discrimination(6). En ce qui concerne la lutte contre les discriminations, l'engagement de l'Union en faveur de l'élimination des inégalités entre les femmes et les hommes est renforcé par l'obligation, pour les Etats membres, comme pour les autorités de gestion, de s'assurer que les programmes opérationnels interviennent en ce sens ;

- la promotion pour le partenariat et les réformes en matières d'emploi et d'inclusion sociale.

S'agissant plus spécifiquement des régions et Etats membres éligibles à l'Objectif 1, le fonds social européen devra en outre s'attacher à soutenir et à améliorer les systèmes d'éducation et de formation, ainsi qu'à développer la capacité d'action des administrations publiques, aux niveaux national, régional et local. Il convient en effet de prendre en compte que l'appareil administratif n'est pas aussi développé dans tous les Etats, certains d'entre eux, comme la Slovaquie, n'ayant qu'une douzaine années d'existence.

b) Développement régional et grandes infrastructures

Le fonds européen de développement régional contribue, quant à lui, au financement des investissements productifs et des infrastructures. De manière significative, la présente proposition de règlement met l'accent sur les grands réseaux susceptibles d'améliorer la fluidité de la circulation économique.

La programmation a en effet pour principe de « stimuler l'esprit d'entreprise » (article 4, point 1). Pour ce faire, elle s'appuie sur la promotion des réseaux économiques à la fois matériels et immatériels. Dans le domaine des transports, il est prévu que le fonds intervienne au profit d'une « répartition modale plus équilibrée », ce qui passe par le soutien aux réseaux transeuropéens et aux transports urbains propres. Mais l'économie numérique est également au centre de l'attention, à travers la promotion des nouvelles technologies de l'information et de la communication.

A contrario, la Commission du développement régional du Parlement européen avait initialement demandé que soient ajoutées les dépenses de sécurité publique au nombre des dépenses éligibles à un financement du fonds. Cela aurait pu conduire aussi bien à payer l'installation de certains postes frontières que la mise en place de caméras de surveillance dans les villes. L'amendement 11 du rapport de Claudio Gianni Fava, dans sa première version, a finalement été supprimé. Non seulement la police intérieure est le domaine réservé des Etats, mais le FEDER n'est de toute façon pas conçu pour soutenir le type de projets évoqués. Car ces dépenses ne peuvent en définitive être considérées comme des dépenses d'investissement puisqu'elles ne permettent pas d'améliorer la prospérité économique en favorisant la circulation des richesses et leur emploi optimal.

2) Une source de croissance en Europe de l'Ouest

Il serait erroné d'envisager le rattrapage économique de l'Europe centrale sous le seul angle des transferts budgétaires. Contrairement aux craintes parfois exprimées, les bénéfices économiques à attendre de ces investissements en Europe centrale seront peut-être tout aussi importants pour l'emploi et les entreprises à l'Ouest qu'à l'Est.

Cet élément vaut d'être particulièrement pris en compte pour la France. Elle possède de grandes entreprises dans le secteur des transports ou des travaux publics. La direction des relations économiques extérieures du ministère des Finances a analysé l'impact des fonds structurels sur elles, dans un document précisément intitulé : Elargissement de l'Union européenne, un nouveau marché(7). Selon cette publication, qui rejoint les idées de nombreux économistes, « il est clair que les projets importants d'investissement ou de rénovation des infrastructures de transports et d'environnement [seront] une source importante d'opportunités ». Si les entreprises françaises savent faire valoir leurs atouts, elles devraient donc être capables de remporter beaucoup d'appels d'offres ouverts grâce à l'afflux des fonds structurels.

Plus généralement, le développement économique de partenaires commerciaux très proches ouvrira des débouchés sûrs et vastes à nos entreprises. Leur rattrapage fait déjà naître aujourd'hui des opportunités d'exportation liées au progrès industriel dans le secteur de l'automobile, mais aussi de la plasturgie, de l'emballage et de la métallurgie de pointe. Ce mouvement ne peut que se poursuivre et s'accélérer à l'avenir. L'investissement en infrastructures en Europe centrale a de fait toute chance de se révéler bénéfique à notre pays, que ce soit à court ou à moyen terme.

B. Les raisons d'une certaine modération budgétaire

Dans l'hypothèse d'une réduction budgétaire globale de la politique régionale, l'Objectif 1 de convergence serait celui qui devrait être le mieux préservé. Il n'en demeure pas moins qu'il devrait contribuer lui aussi à l'effort général, même s'il le ferait dans des proportions raisonnables.

1) Dans les nouveaux Etats membres

Toute réduction des fonds destinés aux nouveaux Etats membres est particulièrement délicate sur le plan politique, parce qu'elle pourrait faire naître le sentiment que la solidarité européenne serait prise en défaut au moment même où sa nécessité s'impose avec le plus d'évidence. Pour être acceptable, une diminution des crédits ne peut donc s'appuyer que sur une base très objective, dans le respect le plus strict des principes de l'équité.

(1) Ecarts substantiels entre Etats membres

Or les nouveaux Etats membres présentent précisément entre eux des différences assez nettes de richesse. Selon les chiffres d'Eurostat, le produit intérieur brut par habitant s'établit ainsi à un niveau deux fois plus élevé en Hongrie qu'en Roumanie, tandis que Malte creuse un écart encore plus important avec la Bulgarie. Serait-il juste dès lors que tous ces nouveaux Etats membres soient aidés de manière indifférenciée, sans prendre en compte le décalage notable qui les sépare sur le plan économique ?

Si l'on prend en considération que le taux de soutien à un pays ne doit pas, en tout état de cause, dépasser 4 % de son produit intérieur brut, il peut apparaître tout à fait justifié de transférer un montant un peu inférieur aux pays qui se distinguent par une aisance relative. La politique régionale doit apporter une réponse graduée au besoin spécifique de chaque région européenne considérée dans sa situation propre, plutôt que d'imposer une cote unique. Le cas échéant, cela permettrait au demeurant de prendre en considération la hiérarchie réelle des besoins entre les nouveaux Etats membres.

(2) Une implication nécessaire des bénéficiaires

Sur le plan du cofinancement, il semble en tout cas indispensable de résister aux appels à faire financer par l'Union européenne la quasi-totalité de certaines opérations. Au Parlement européen, un amendement au rapport sur la proposition de règlement général de la politique régionale, signé de M. Jan Brezina, propose en effet « que le taux de cofinancement pour les régions couvertes par les programmes d'Objectif 1 des pays de cohésion soit porté à 85 %, comme dans le cas des régions ultrapériphériques » (amendement 189).

Cet amendement individuel, qui relaie une opinion plus largement partagée, tendrait cependant, s'il était adopté, à dégager les Etats membres de toute responsabilité réelle en matière de financement. Il convient au contraire, particulièrement dans un contexte de durcissement budgétaire, que les bénéficiaires des programmes restent partie prenante de leur financement. Ils sont en effet les meilleurs juges de leur intérêt et ne pourront faire la preuve de leur discernement, au bénéfice de l'Union européenne, que s'ils ont l'occasion de s'engager sur la viabilité du projet par un apport propre.

Les marges budgétaires qui apparaissent dans les nouveaux Etats membres sont toutefois forcément inférieures à celles qui pourront être dégagées chez les anciens bénéficiaires d'un soutien très intensif du fonds de cohésion.

2) Non à la reconduction automatique dans les anciens Etats membres

Contrairement aux autres fonds, le fonds de cohésion ne distribue pas en principe de soutien de transition lorsqu'une région à laquelle il venait en aide parvient à sortir de sa situation. La Commission a annoncé d'emblée qu'un phasing-out n'était de fait pas prévu non plus pour la prochaine programmation. Elle s'est heurtée sur ce sujet à une vive protestation au Parlement européen. Le feu des critiques paraît cependant retomber lentement à mesure que la Commission du développement régional s'achemine vers l'adoption d'un rapport de compromis. Dans une première version de son rapport sur le fonds de cohésion, M. Alfonso Andria estimait ainsi « que le règlement relatif au Fonds de cohésion doit définir les conditions et les modalités d'un mécanisme transitoire de suppression progressive de l'aide octroyée aux Etats membres bénéficiaires dont le revenu national brut par habitant est supérieur à 90 % de la moyenne communautaire ».

A l'appui de sa proposition, il invoquait l'éventualité de « chocs économiques graves résultant d'une réduction de l'aide ». Dans cette première version publiée, l'argument était même avancé que « la suppression risque d'annuler les progrès réalisés grâce au Fonds de cohésion et d'avoir des répercussions non seulement pour le pays concerné, mais également pour la stabilité de la Communauté en ce qui concerne la cohésion économique et sociale ». L'excès même de cette approche catastrophiste est sans doute à l'origine du retrait de la formule dans la version plus récente du début du mois de mai 2005.

Ces propos n'en révèlent pas moins la fragilité des revendications de certains pays, comme l'Espagne, visant à obtenir une reconduction de l'aide alors que l'amélioration de leur situation ne leur y donne plus droit. Avec un bel esprit de résistance, Mme Danuta Hübner, Commissaire à la Politique régionale, a récemment redit devant le Comité des Régions son opposition à toute solution de ce type. Les rapporteurs saluent sa fermeté et l'appellent solennellement à persévérer dans cette voie.

A l'inverse, la Commissaire a tenu à plusieurs reprises à apporter des garanties aux régions ultrapériphériques que leur position géographique et leur niveau de développement économique encore insatisfaisant mettent dans la dépendance d'un financement extérieur, notamment européen. L'enveloppe supplémentaire qui est prévue en plus pour eux, sous la forme d'une allocation spécifique, s'élève à 0,42 % du total des crédits proposés au titre de l'objectif de convergence, soit environ 1100 millions d'euros. Les autorités espagnoles comme les autorités françaises se sont montrées très fermement attachées à son maintien.

III. L'OBJECTIF DE COMPETITIVITE : CAP SUR LA CROISSANCE DURABLE

L'objectif de compétitivité régionale et de croissance intéresse la France au premier chef, parce qu'il entre sans conteste dans l'orbite des interventions attendues et désirées par la plupart de ses régions, notamment en territoire métropolitain. Les régions françaises reçoivent au titre de l'actuel Objectif 2 environ onze milliards d'euros sur la période 2000-2006. Il faut s'attendre à ce que ces sommes ne soient pas reconduites à l'avenir dans leur intégralité. Il ne serait cependant pas acceptable que ce soutien descende après 2007 sous la barre du milliard d'euros par an, soit sept milliards d'euros entre 2007 et 2013. Sous ce seuil symbolique, l'Union européenne perdrait en effet une large part de sa crédibilité auprès des régions françaises, toute considération mise à part sur la viabilité même des programmes susceptibles d'être engagés.

A. Poursuivre et redynamiser la stratégie de Lisbonne ?

Au moment où les propositions de la Commission ont été élaborées, le rapport Sapir, rédigé à la demande du président Prodi sous la direction de l'économiste belge du même nom, venait de mettre en cause l'efficacité des dépenses de politique régionale. Bien qu'il n'ait finalement pas été publié sous le couvert officiel de la Commission, ses analyses très controversées ont conduit à une réorientation de certaines priorités, encore visible dans les textes ici examinés.

De leur côté, d'autres institutions européennes ont repris à leur compte certaines des idées du rapport Sapir, mais en les réinterprétant pour faire ressortir que la réalisation des objectifs de Lisbonne, une politique de cohésion crédible et un cadre financier adapté constituent les trois volets indissociables d'un même triptyque. Ainsi, le Comité des Régions a adopté le 28 février 2005 une résolution sur la redynamisation de la stratégie de Lisbonne(8) qui « relève l'appel de la Commission européenne aux collectivités locales et régionales européennes de participer dans le cadre de la politique des fonds structurels à l'élaboration de projets qui permettront de mettre en phase cette dernière et la stratégie de Lisbonne » (alinéa 6).

Cette prise de position prolonge au demeurant les conclusions mêmes du Conseil européen de Lisbonne qui ont prévu que l'approche retenue pour la mise en œuvre de la stratégie serait « totalement décentralisée, conformément au principe de subsidiarité », en ajoutant que « l'Union, les Etats membres, les collectivités régionales et locales, ainsi que les partenaires sociaux et la société civile seraient activement associés dans diverses formes de partenariat ».

1) Les fonds structurels au service de l'innovation

En concourant à améliorer la compétitivité des régions, les fonds structurels pourraient servir également à remplir les objectifs définis par la stratégie de Lisbonne, adoptée par le Conseil européen pour stimuler l'innovation et la recherche dans l'Union européenne et les mettre au service de la croissance : telle est l'une des inspirations perceptibles dans les propositions de la Commission.

Selon le projet de règlement relatif au FEDER, les « réseaux de coopération entre les universités et les entreprises » constituent ainsi des destinataires possibles des soutiens dispensés par le Fonds (article 5). Vu l'implantation régionale forte des établissements de recherche et d'enseignement supérieur dans la plupart des Etats membres de l'Union européenne, et de plus en plus en France, la formule donne en effet un bon exemple de l'apport que la politique régionale pourrait consentir au service de la recherche et de l'innovation, en parallèle des efforts plus spécialement engagés dans le cadre des programmes-cadres recherche développement (PCRD) successifs.

Récemment, l'un des rapporteurs a déjà eu l'occasion de marquer son intérêt pour ce type de soutien, qui semble en effet susceptible de s'inscrire dans une démarche harmonieuse alliant le développement régional et le progrès plus global de l'innovation en Europe(9). Vu les pressions qui s'exercent sur le budget communautaire, il semble de fait judicieux aux deux rapporteurs de rationaliser autant que faire se peut la dépense européenne en la faisant concourir, partout où c'est possible, au service de plusieurs objectifs à la fois.

2) Des critères réels à prendre aussi en compte

De toute évidence, tous les fonds du futur Objectif 2 ne sauraient cependant servir à des fins de recherche sans risquer de mettre en cause l'impératif de solidarité qui constitue la raison d'être de la politique régionale. Les régions les plus défavorisées, même si elles ne sont pas nécessairement hors concours lorsqu'il s'agit de stimuler l'innovation, n'en demeureraient pas moins désavantagées par rapport aux autres si les fonds structurels venaient à être principalement distribués sur ce critère.

Il ne serait pas admissible que certaines régions françaises se trouvent privées de l'aide européenne, au titre d'un prétendu retard de développement scientifique et technologique, alors même que les fonds structurels sont conçus pour combler les écarts entre les différentes régions d'Europe. La Délégation à l'Aménagement du Territoire (DATAR) ne paraît pas au demeurant envisager d'exclure a priori quelque région française que ce soit de l'éligibilité aux fonds structurels, fussent-ils en baisse significative en métropole. Le souci d'équité exprimé par la DATAR imposera néanmoins de ne pas multiplier les opérations éligibles.

Pour que les zones les plus défavorisées continuent de bénéficier d'un soutien approprié, il conviendra de définir un panel de critères permettant de garantir qu'elles ne seront pas oubliées. Parmi les indicateurs les plus souvent cités, la densité de population, le faible niveau de qualification de la main-d'œuvre, le taux de chômage local et le revenu par habitant paraissent les mieux à même d'assurer une répartition équitable des fonds. Si intéressante soit-elle, la technique de l'appel à projets qui met en concurrence les demandes de crédits en leur demandant de faire la preuve arithmétique de leur valeur ajoutée, ne saurait donc être employée pour tous les programmes du futur Objectif 2, quoiqu'il semble bon d'habituer dès aujourd'hui les collectivités territoriales à un mode de fonctionnement qui devrait devenir de plus en plus la règle de l'intervention européenne.

3) Les aides d'Etat à finalité régionale, outil à préserver

Les aides d'Etat à finalité régionale représentent sans doute un bon moyen supplémentaire de moduler l'intervention publique en fonction des besoins observables. La Commission européenne vient d'entreprendre la révision de la réglementation qui leur est applicable, afin de l'adapter aux nouveaux objectifs de la politique de cohésion. Elle devrait s'employer à aller au-delà d'une simple réduction généralisée des plafonds d'aides, qui ne tient pas compte des différentes situations que cela entraîne sur le territoire européen ni des incidences sur la cohésion territoriale. En outre, elle devrait se pencher sur la nécessité de mesures transitoires qui éviteraient de faire retomber sur quelques régions le poids de l'élargissement de l'Europe. L'existence de mesures d'aide transitoire suffisamment généreuses permettrait aux régions concernées d'atteindre pendant la période 2007-2013 les niveaux moyens de convergence européenne sans porter préjudice à la réalisation des engagements pris lors des Conseils européens.

Dans le contexte européen, il convient d'opérer une distinction entre deux situations bien différentes: celle de certaines parties du territoire européen qui souffrent de handicaps importants empêchant une convergence avec la moyenne européenne, et celle d'autres régions qui ont réussi à croître, tout en ayant besoin d'améliorer leur compétitivité. Il est proposé d'appliquer un traitement différent à chaque situation, en graduant les plafonds tant en ce qui concerne les lignes directrices sur les aides à finalité régionale (pour les régions moins développées économiquement et souffrant de handicaps structurels, démographiques et naturels) que pour l'encadrement des aides à finalité horizontale (pour les régions non assistées dans le cadre régional). En outre, pour apprécier avec plus d'exactitude les différentes situations régionales, il convient de prendre en considération, outre l'indicateur traditionnel qu'est le PIB, d'autres indicateurs tels que le taux d'emploi.

B. Une compétitivité respectueuse d'un développement équilibré et durable des territoires

Dans la palette des opérations pouvant prétendre à un soutien européen, certaines retiennent plus spécialement l'attention des rapporteurs, parce qu'elles paraissent capables de modeler le territoire européen dans le sens le plus favorable à son développement durable et à la solidarité organique entre ses régions.

1) Le transport non polluant

Pour renforcer les liaisons entre les territoires et soutenir de manière globale la compétitivité de l'Europe, le transport s'impose comme un domaine d'intervention privilégié pour l'Union européenne et pour sa politique régionale. Mais, pour que les nouveaux réseaux s'intègrent pleinement dans leur environnement, leur caractère non polluant doit également être garanti. Les efforts déjà entrepris dans cette direction doivent être prolongés.

Les autoroutes de la mer constituent l'un des éléments clés de la stratégie européenne des transports et leur promotion apparaît dès lors essentielle pour réduire la congestion des réseaux routiers et la pollution qu'elle engendre. Alors que l'article 6 de la proposition de règlement relative au FEDER mentionne seulement l'accessibilité aux réseaux transeuropéens comme axe d'intervention du fonds, M. Gianni Claudio Fava, rapporteur du Parlement européen sur ce texte, a donc proposé d'insérer la « création et le développement d'autoroutes de la mer » qui permettent de reporter le trafic de marchandises sur les voies maritimes, en favorisant notamment le cabotage (amendement 17). Cette initiative recueille l'approbation sans réserve des rapporteurs.

La navigation fluviale et le recours au fret ferroviaire méritent pareillement d'être encouragés. Dans son Avis sur la proposition de règlement, le Comité des régions recommande ainsi à juste titre d' « ajouter à l'article 5, paragraphe 3 a) le cabotage et les liaisons aériennes transversales entre aéroports de classe 1 et 2 » parmi les opérations susceptibles de recevoir un soutien financier de cet objectif (Recommandation 5).

2) Faut-il couvrir les risques naturels avec l'objectif de compétitivité?

En revanche, il semble plus difficile d'exiger des crédits du FEDER qu'ils serviraient à couvrir les risques naturels ou à financer leur prévention, ce qui serait s'engager sur une pente en vérité très glissante. Potentiellement, cela représenterait en effet un droit quasi-illimité sur le FEDER.

Ces considérations n'ont, semble-t-il, pas tout à fait échappé à la Commission du développement régional du Parlement européen. Alors que dans la première version du rapport Fava, les « éruptions volcaniques », « les incendies de forêt et la désertification » avaient été ajoutés à la liste des cas d'intervention du FEDER (amendements 16 et 18), ils ont été supprimés dans sa version plus récente. Non seulement le Fonds de solidarité de l'Union européenne existe déjà pour apporter un soutien ponctuel aux régions touchées par une catastrophe naturelle, mais engager le FEDER sur la voie du remboursement ou de la prévention de ces risques reviendrait peu ou prou à exiger de lui qu'il remplisse un nouveau tonneau des Danaïdes. Les rapporteurs saluent donc la suppression survenue entre la première et la seconde version.

Dans cette dernière cependant, il subsiste encore la mention du « changement climatique », formule générale qui semble ouvrir droit à toutes les revendications financières. Malgré les bonnes intentions dont elle procède, il serait sans aucun doute utile de la supprimer elle aussi pour les mêmes raisons que les précédentes.

3) Le renouveau de la dimension urbaine

La dimension urbaine s'avère être un autre aspect traditionnellement trop négligé de la politique régionale européenne. L'expérience du programme d'initiative communautaire URBAN fait cependant ses preuves et appelle sans conteste un prolongement. En France, dans des régions aussi différentes que Le Havre, Clichy/Montfermeil, Grenoble, Strasbourg ou Bastia, il a permis d'améliorer l'offre culturelle dans les quartiers, d'apporter un soutien spécialisé aux familles en danger de dislocation, d'accompagner les premiers pas des très jeunes entreprises ou encore de lutter de manière ciblée contre l'illettrisme.

Les espaces urbains font l'objet d'une attention toute particulière de la part du Parlement européen. Loin de se contenter d'une simple déclaration de principe en faveur d'un renforcement de la dimension urbaine, ce à quoi se réduit trop souvent le soutien de la Commission, le rapport Fava souligne au contraire que la dimension urbaine ne peut être renforcée que si un niveau suffisant d'investissement dans le développement urbain durable est garanti et demande en conséquence l'insertion de cette exigence dès les considérants du projet de règlement (amendement 3). Le Comité des régions a lui aussi souligné dans son avis du 13 avril 2005 sur la proposition de règlement relatif au FEDER qu'il « accueille favorablement le fait que les zones urbaines, dans lesquelles il existe une plus grande capacité d'innovation et des possibilités accrues d'inclusion sociale, puissent bénéficier de ressources plus importantes pour des actions ciblées et de qualité dans le cadre des programmes opérationnels ».

A l'heure où les jeunes PME recourent de plus en plus aux nouvelles technologies de l'information et de la communication pour se développer, l'« accès aux services de transport et de télécommunications » (amendement 14) paraît ainsi un point d'intervention privilégié pour leur garantir les meilleures chances de réussite. Il est en effet de tradition que les services municipaux soient chargés de l'approvisionnement en eau des habitants. De plus en plus, l'accès au haut débit apparaît comme un service de première nécessité susceptible de justifier lui aussi, si le secteur privé ne l'assure pas lui-même de manière satisfaisante, une intervention adéquate des pouvoirs publics locaux.

Quant à la gestion des programmes en zone urbaine, les rapporteurs constatent que les autorités locales souhaitent souvent avoir la possibilité de bénéficier de subdélégation pour la prendre directement en charge. Le Comité des régions s'est au demeurant solennellement prononcé en ce sens dans l'avis cité plus haut (Observation 12). La formule représente de toute évidence une forme de mise en œuvre très intéressante de la subsidiarité sur le plan local.

Dans un rapport de la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale sur le soutien au développement rural, M. Jean-Marie Sermier a eu du reste récemment l'occasion de souligner combien il était nécessaire, dans la mise en œuvre des programmes, de rechercher l'échelle d'intervention la plus efficace(10). Les rapporteurs souscrivent à cette approche, qui vaut tant en milieu rural qu'en milieu urbain.

IV. LA COOPERATION TERRITORIALE : RESSERRER LES LIENS ENTRE REGIONS D'EUROPE ?

Traditionnellement, les fonds structurels ne viennent pas seulement au soutien des territoires européens envisagés isolément ; ils favorisent la coopération entre eux pour faire naître de nouvelles synergies interrégionales, transnationales et transfrontalières. En multipliant les possibilités de contact, l'élargissement a rendu nécessaire un renforcement de cet élément de la politique régionale, qu'elle propose d'élever au rang d'objectif à part entière. Pour le mettre en œuvre, elle propose d'instituer des groupements européens de coopération transfrontalière (apparemment, l'idée ne reçoit pas le soutien escompté par l'Allemagne et l'Espagne), idée qui a particulièrement retenu l'attention au Parlement européen et mérite en tout état de cause d'être creusée.

A. Un objectif à part entière

Dans les programmations précédentes, la coopération interrégionale ne constituait pas un objectif à part entière, mais principalement un volet de l'Objectif 2 et un programme d'initiative communautaire, ce qui renforçait le rôle des services de la Commission dans son pilotage. Le nouvel Objectif 3 proposé reprendrait de préférence l'acquis de cette dernière expérience, mais en élargissant sa base budgétaire pour qu'elle puisse gagner en intensité.

1) L'héritier du programme Interreg III

Le programme Interreg III montre déjà des premiers résultats très encourageants, malgré une dotation budgétaire plutôt faible, puisqu'elle ne représente que cinq milliards d'euros sur la période 2000-2006. Grâce à ces fonds, des projets concrets ont déjà vu le jour, qui peuvent servir de point de repère pour la prochaine programmation.

Entre autres exemples, on pourrait citer comme particulièrement typique le projet qui, aux confins de la France, du Luxembourg et de la Belgique, unit dans une même démarche la région française de Lorraine, la région luxembourgeoise de Wallonie belge et le Luxembourg pour affronter en commun les mêmes défis économiques et écologiques. Ces régions ont en effet mis en place une coopération qui sait prendre en compte l'unité du territoire qu'elles partagent au-delà des clivages anciens. Vingt-quatre millions d'euros ont été alloués à ce programme, dont les réalisations vont du traitement et de la prévention commune de la pollution au soutien concerté aux jeunes entreprises, en passant par la mise en place d'heures de formation conjointe à destination de la population active.

Ces réalisations ne doivent cependant pas faire oublier les critiques parfois justifiées qui ont été adressées à d'autres programmes financés par Interreg III. Dans un récent rapport, la Cour des comptes européenne a ainsi critiqué certains types de coopération factices ou peu convaincants au vu des résultats obtenus(11). Selon la Cour, « il en résulte souvent des programmes très larges comprenant des mesures regroupées de manière artificielle, ce qui aboutit à la formulation de priorités et d'objectifs abstraits dont l'atteinte ne peut pas être mesurée » (al. 60). Elle ajoute que « la valeur ajoutée de certains est (...) faible, parce qu'ils ne sont pas orientés vers l'action » (al. 69).

Les interlocuteurs des rapporteurs ont relayé certaines de ces critiques, notamment celle touchant les projets « limités presque exclusivement à un échange d'expérience (...) : échange d'expérience entre cultivateurs, création d'un réseau de support aux entreprises par l'organisation de séminaires communs, échange d'expérience en matière de lutte contre l'érosion des littoraux » (al. 68). Prenant bonne note de ces observations, les rapporteurs rappellent, avec la Cour des comptes, que la coopération interrégionale doit naturellement aller au-delà de la simple caution mutuelle de projets séparés distribués de part et d'autre de la frontière. Car le soutien financier européen ne se justifie qu'à ce prix.

2) Une volonté de renouvellement

Ces cas isolés ne doivent cependant pas remettre en cause la volonté d'approfondir la coopération interrégionale dans l'Union européenne d'après 2006. La Commission européenne a proposé que les crédits qui lui sont alloués passent à 13,5 milliards d'euros pour la prochaine programmation.

Selon l'article 18 du projet de règlement général, les fonds se distribueraient à peu près également entre coopération transfrontalière proprement dite et coopération transnationale plus largement entendue. D'après les informations qu'ont recueillies les rapporteurs, les fonds consacrés à la coopération transfrontalière seraient moins susceptibles de pâtir d'un redéploiement que les fonds prévus pour la coopération transnationale, dont les contours paraissent parfois plus flous. Conscient de la difficulté, M. Claudio Gianni Fava, rapporteur du Parlement européen sur le projet de règlement relatif au FEDER, a proposé de supprimer la mention de l'échange d'expérience parmi les actions ouvrant droit à un soutien européen au titre de la coopération transnationale (amendement 7).

Les rapporteurs soutiennent cette initiative, dont ils pourraient reprendre à leur compte presque mot pour mot la justification : « La coopération territoriale ne saurait se limiter à de simples échanges d'expérience ; elle doit au contraire gagner en intensité ». Sur ce point, la Cour des comptes européenne semble avoir été entendue. C'est le gage d'une gestion améliorée et, partant, d'une efficacité accrue de la prochaine programmation.

B. Une formule de coopération prometteuse

La coopération territoriale cesserait de relever après 2006 d'un Programme d'Initiative Communautaire, tandis qu'il ne pourrait y avoir d'Etat membre comme interlocuteur unique, puisqu'il s'agit précisément de projets transfrontaliers. Aussi convient-il de trouver désormais la formule de gestion adéquate. En proposant d'instituer des groupements européens de coopération transfrontalière, la Commission paraît avoir ouvert une piste hautement digne d'intérêt. Il n'est au demeurant pas exclu que sa mise en place rende nécessaire un changement de la législation française.

1) La nécessité d'un cadre simple...

La Commission a proposé que les groupements européens de coopération transfrontalière deviennent après 2006 le pivot de la politique européenne de coopération interrégionale.

Chaque programme s'appuierait sur le groupement européen de coopération idoine, disposant de la personnalité juridique et permettant d'isoler d'un point de vue comptable, administratif et pratique toutes les opérations liées au programme. Cette formule présente un double avantage : elle est plus respectueuse de la subsidiarité que l'initiative communautaire qui laissait à la Commission la haute main sur les programmes précédents ; elle n'accorde pourtant pas de priorité juridique à un participant sur les autres, puisqu'elle est commune à chacun d'entre eux.

L'institution a suscité assez d'intérêt auprès de M. Jan Olbrycht, rapporteur du Parlement européen sur la proposition de règlement relative aux groupements européens de coopération, pour qu'il propose de rendre la formule obligatoire dans toutes les hypothèses de coopération interrégionale issue d'une initiative européenne (amendements 9 et 18). Si son analyse était retenue, un programme de coopération pourrait être géré directement par un groupement ou bien par l'un de ses membres, désigné par lui. Dans un cas comme dans l'autre, le secrétariat serait assuré en un lieu unique, tandis l'existence du groupement consacrerait le partage des responsabilités, mais aussi la nécessaire autonomie opérationnelle du programme.

Selon le rapporteur du Parlement européen, les groupements devraient au demeurant s'intituler, pour que la terminologie retenue soit plus cohérente, « groupements européens de coopération territoriale », plutôt que « groupements européens de coopération transfrontalière ». Les rapporteurs ne voient pour leur part aucun inconvénient à ce changement d'appellation et estiment même que le nouveau nom serait plus simple et sans aucun doute plus approprié. Encore faut-il cependant s'entendre sur ce qu'il recouvre précisément.

2) ... qui ne soit pas forcément un cadre unique

Le groupement européen de coopération territorial pourrait avoir l'intérêt de ne pas être une structure supplémentaire s'ajoutant à toutes celles qui existent déjà, mais de s'appuyer au contraire sur les différents droits nationaux en vigueur, afin d'y puiser les ressources utiles à la reconnaissance de son existence juridique.

Cette idée semble déjà à l'œuvre dans la proposition de règlement de la Commission, mais le rapporteur du Parlement européen la reprend pour en tirer toutes les conséquences, ouvrant ainsi une voie qui paraît particulièrement intéressante. Selon M. Jan Olbrycht, le règlement relatif aux groupements pourrait se contenter en effet de définir un tronc commun juridique à l'ensemble des groupements, en laissant pour le reste à la discrétion de ses membres le choix de leur système organisationnel, sous réserve de veiller à ce que chaque groupement dispose bien entendu d'une assemblée représentant l'ensemble des membres du groupement (amendement 34).

Le groupement territorial suivrait au demeurant le droit applicable aux associations dans l'Etat membre concerné, ou plus simplement dans le lieu où il est enregistré. Il suivrait en effet les mêmes procédures d'enregistrement et acquerrait la personnalité juridique selon les mêmes modalités qu'elles (amendement 31). Le groupement européen revêtirait ainsi des formes différentes selon les lieux d'enregistrement, mais la forme adoptée serait à chaque fois pleinement reconnaissable par tous les interlocuteurs du groupement. Partant, l'Etat membre d'accueil jouirait aussi d'un droit de contrôle spécial sur le groupement, constitué selon des règles en partie édictées par lui (amendement 16).

La formule permettrait de dépasser la diversité juridique des droits nationaux, voire du droit des associations à l'intérieur d'un même Etat. Le droit des associations n'est-il pas, en France, différent à Strasbourg et à Royan ? Au lieu d'imposer à tout prix une uniformité qui n'existe même pas toujours à l'échelle nationale, l'Union européenne peut offrir, à travers le groupement territorial, un exemple de bonne technique législative, là où il lui est si souvent reproché de rechercher l'harmonisation par la contrainte.

Enfin, tous ces groupements d'inspiration européenne gagneraient à être recensés de manière indépendante au niveau européen. Le Comité des régions apparaît comme l'institution toute désignée pour mener cette tâche à bien. Les rapporteurs soutiennent l'amendement 33 du rapport Olbrycht visant à demander à chaque groupement de se faire également enregistrer, dès sa constitution, auprès du Comité des régions.

CONCLUSION

L'élargissement de l'Union européenne exigeait une refonte de sa politique territoriale que les propositions de la Commission devraient permettre de mener à bien, si les moyens budgétaires disponibles sont à la hauteur des attentes. Les rapporteurs estiment en effet que ces propositions évitent les trois principaux écueils qui pourraient mettre en péril une authentique politique territoriale à destination de toutes les régions d'Europe.

Tout d'abord, ces propositions auraient précisément pu se concentrer seulement sur certaines d'entre elles, en privant la politique régionale d'une vraie dimension communautaire et en la condamnant même à terme à disparaître.

Ensuite, elles auraient pu vouloir se focaliser exclusivement, notamment pour la répartition des fonds dans les anciens Etats membres, sur des critères de performance technologique et économique qui se révèlent parfois incompatibles avec la lutte efficace contre les inégalités territoriales qui sont un frein à la croissance du continent et constituent la raison d'être de l'intervention européenne.

Enfin, les procédures proposées témoignent d'une réelle volonté de simplification qui fait espérer aux rapporteurs que la future politique régionale parviendra à ne pas être centralisée et bureaucratisée à l'excès, ce qui rafraîchirait l'image parfois caricaturale imposée aux institutions européennes.

Car la politique régionale constitue sans conteste un outil privilégié pour instaurer ou restaurer le lien politique entre les Européens et leurs institutions, et resserrer les liens de tous les Européens entre eux. Puisse le prochain accord sur les perspectives financières permettre à l'Union européenne de s'appuyer efficacement sur tous ses territoires de 2007 à 2013. Puisse-t-elle continuer d'y trouver le relais d'influence indispensable pour la faire encore mieux connaître et mieux aimer de ses citoyens.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

1) Audition de M. Jacques Barrot, Commissaire européen, sur la réforme de la politique régionale, le mercredi 6 octobre 2004

Le Président Pierre Lequiller a remercié le Commissaire Jacques Barrot d'avoir accepté l'invitation de la Délégation. Il s'est déclaré très heureux d'accueillir un ancien collègue, désormais responsable de la politique régionale au sein de la Commission européenne, avant de devenir au début de mois de novembre commissaire aux Transports.

Le Commissaire Jacques Barrot s'est félicité qu'un dialogue puisse s'instaurer ainsi entre la Délégation pour l'Union européenne et les membres de la Commission, en souhaitant qu'il puisse se poursuivre et s'approfondir à l'avenir. Cette confrontation des points de vue traduit l'esprit de la nouvelle constitution, qui prévoit non seulement de mieux faire respecter le principe de subsidiarité, mais aussi de faire participer davantage les parlements nationaux à l'élaboration des orientations communautaires.

Dans le domaine de la politique régionale, le travail déjà engagé par M. Michel Barnier a été repris pour aboutir à la publication des cinq propositions présentées par la Commission : un règlement général, trois règlements particuliers à chaque fonds (Fonds européen de développement régional (FEDER), Fonds social et Fonds de cohésion) et un règlement proposant un nouvel instrument pour faciliter la coopération, notamment transfrontalière.

La convergence reste au cœur de la future politique régionale. Plus de 78 % des 336 milliards de crédits y seraient consacrés, en particulier dans les nouveaux Etats membres. En France, selon les dernières statistiques disponibles, les quatre départements d'outre-mer seraient concernés par ces programmes, la Martinique n'en bénéficiant toutefois que de justesse, son PIB par habitant se situant à la limite du seuil d'éligibilité. L'effet statistique de l'élargissement touchera d'autres régions, hors de France, pour lesquelles un traitement spécifique et approprié est proposé, y compris en matière d'aides d'Etat.

La compétitivité et l'emploi constituent le deuxième objectif du plan proposé. Les fonds structurels serviraient ainsi aux régions à renforcer leur compétitivité, dans l'esprit des stratégies définies à Lisbonne et à Göteborg en faveur de l'économie de la connaissance et du développement durable. Toutes les régions françaises pourraient bénéficier d'un programme particulier de compétitivité financé par le FEDER.

La coopération transfrontalière et transnationale constitue le troisième volet du plan proposé. Elle se développe déjà dans la programmation actuelle, mais la coordination est parfois difficile à établir au sein de cercles qui ne regroupent pas toujours les mêmes Etats. Tous les programmes interrégionaux peuvent passer désormais par un groupement européen de coopération transfrontalière, spécialement créé à cet effet, si les autorités nationales et régionales concernées en sont d'accord.

D'autres innovations sont à signaler. Le rôle des villes dans le développement régional sera valorisé, notamment des villes moyennes. En s'appuyant sur l'expérience acquise dans la conduite du programme URBAN, elles devraient pouvoir gérer leur propre programme urbain. Les zones rurales et de pêche continueront de recevoir des soutiens de la part du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), et du Fonds européen pour la pêche (FEP), nouvellement créés. Ce financement n'entre cependant pas à proprement parler dans le cadre de la politique de cohésion, de sorte qu'il sera placé sous les responsabilités respectives de la Commissaire à l'Agriculture et du Commissaire à la Pêche.

Les sept régions ultrapériphériques parmi lesquelles les quatre départements français d'outre-mer bénéficieront, quant à elles, d'une allocation supplémentaire spécifique de 1,1 milliard d'euros. Enfin, les zones à handicap naturel et géographique comme les îles, les montagnes et les zones à faible et très faible densité de population recevront des soutiens versés à un coefficient plus élevé qu'ailleurs.

Les deux principales innovations de gestion porteront sur la simplification générale du système et sur la localisation des interventions. Un règlement d'exécution unique régira désormais tous les transferts, tandis que le zonage et ses découpages compliqués seront supprimés. Chaque région élaborera son propre programme, où les équipements envisagés devront servir moins à l'amélioration de la qualité de la vie qu'à l'accroissement de la compétitivité des territoires et à leur taux d'emploi. Pour atteindre ce dernier objectif, le Fonds social européen allouera en France des soutiens qui resteront gérés au niveau national.

Deux enjeux politiques se dégagent finalement de cet ensemble. D'abord, la politique régionale n'est pas possible sans les ressources nécessaires pour pourvoir à ses besoins. Certains pays, dont la France, se sont opposés à ce que le budget communautaire dépasse le seuil de 1 % du PIB européen, alors que la Commission voudrait obtenir qu'il en représente, en crédits de paiement, 1,14 %. De toute évidence, la politique proposée ne pourra être ambitieuse qu'à la condition que le budget général tende à se rapprocher de ce pourcentage. Deuxièmement, quelques Etats membres, par exemple l'Allemagne ou le Royaume-Uni, laissent poindre une certaine lassitude qui les pousse à envisager d'un œil critique le maintien d'une politique régionale européenne à l'Ouest. Selon eux, chaque Etat membre devrait être libre d'aider ses propres régions s'il le souhaite. C'est compter sans la double valeur ajoutée du financement européen, qui garantit d'une part une constance dans la poursuite des soutiens et se centre d'autre part sur des objectifs très ciblés. Aussi une renationalisation de la politique régionale serait-elle regrettable.

M. Jérôme Lambert, évoquant la suppression de la politique de zonage, s'est enquis des conditions de son remplacement et a souhaité savoir si désormais chaque région aurait une enveloppe pour élaborer des projets.

Constatant que la France était en matière de politique régionale en situation de contributrice et non de bénéficiaire, il s'est demandé s'il était de son intérêt qu'elle accroisse le montant de sa contribution.

Enfin, il a demandé au Commissaire quel était le montant attribué à la France au titre de l'Objectif 2 et quel sera celui qui lui sera versé au titre de l'Objectif 1 pour la période 2007/2013.

M. Edouard Landrain a constaté que pour l'opinion publique, la France contribuait beaucoup plus au budget communautaire qu'elle n'en bénéficiait, alors que la Grande-Bretagne se trouve dans une situation particulièrement favorable grâce à ce que l'on a appelé le « chèque britannique ». Il a dès lors souhaité savoir si, au sein de la Commission, il était envisagé de revoir ce statut particulier de la Grande-Bretagne qui n'est plus tolérable à ses yeux, ou si elle continuera à pouvoir prétendre détenir un brevet d'européanisme sérieux.

Evoquant l'Objectif 2, il a rappelé que la politique de zonage avait pour effet d'exclure fréquemment les régions les plus performantes du bénéfice des aides, ce qui pouvait aboutir à la sous-utilisation des crédits par la France. Il a souhaité savoir si la suppression de la politique de zonage incitera la Commission à attribuer les aides sur la base de thèmes ou de projets.

En réponse aux intervenants, le Commissaire a apporté les précisions suivantes :

- le fait que la politique de zonage soit supprimée n'implique pas que les régions seront dispensées d'établir des priorités géographiques et thématiques. Mais plutôt qu'une vérification comptable qui prévalait dans le cadre de la politique de zonage, la Commission examinera si le programme présenté a bien tenu compte des priorités établies par la région et si ce programme est correctement ciblé. En application du principe de subsidiarité, il serait toutefois préférable que les régions puissent identifier elles-mêmes les faiblesses qu'elles corrigeront ;

- il est vrai que la France fait partie des contributeurs nets, étant toutefois observé qu'en raison du principe de solidarité, les Etats les plus riches payent plus que les pays les plus pauvres. Le calcul des contributions des Etats membres est cependant faussé par la prise en compte du chèque britannique qu'il serait justifié de réexaminer, eu égard au fait notamment que le Royaume-Uni a défendu l'élargissement, tout en refusant que les dépenses corrélatives soient calculées selon une clé de répartition établie sur les réelles capacités contributives de chaque Etat membre ;

- la France est bénéficiaire au titre de la PAC et de la politique régionale. Elle a reçu pour les DOM et le Nord 4 milliards d'euros au titre de l'Objectif 1 pour la période 2000-2006 ; 7 milliards d'euros pour l'Objectif 2, dotation qui doit générer des investissements publics et privés d'un montant de 14 milliards d'euros ; 4,71 milliards d'euros pour l'Objectif 3 ; 1 milliard d'euros au titre d'initiatives communautaires (URBAN 2, INTERREG 3 et LEADER PLUS). La dotation que la France recevra au titre de l'Objectif 2 pour la période 2007-2013 n'a pas encore été calculée, mais la France devrait être bien placée en raison des critères qui seront retenus, tels que la densité de la population ou le taux de chômage ;

- la question est de savoir si l'Union européenne doit être un simple marché ou une véritable union fondée sur le principe de solidarité, dont l'application ne bénéficie pas moins aux Etats contributeurs. Dans le cadre de la réalisation des projets financés par les Fonds structurels en faveur des régions et des pays les plus pauvres, le retour pour les Etats membres plus prospères en termes d'exportations pourraient aller jusqu'à 30% de la dépense totale. Par exemple, le financement d'infrastructures de transports en Pologne par l'Union est une opportunité pour les grandes sociétés françaises de ce secteur. L'exemple de l'Espagne est également typique puisque la France a pu bénéficier d'échanges avec cet Etat membre qui, à son tour, a pu se hisser à un niveau de développement nettement plus élevé grâce en partie à la politique de cohésion. Celle-ci - y compris l'Objectif 2 - mérite d'être soutenue car elle permet à l'Europe d'atteindre un niveau de compétitivité dont profitent tous les Etats membres ;

- concernant les contributions nettes au budget, la Commission a commencé ses travaux sur un système de correction généralisée qui s'appliquerait à chacun des Etats membres. Selon la proposition de la Commission au Conseil pour la prochaine période, dans certaines hypothèses, celle de l'Allemagne peut passer de 0,54 % de son PIB à 0,49 %. Celle de la France, de 0,37 % à 0,34%. Le niveau de la contribution des Pays-Bas, à raison de 0,56 % du PIB, passerait à 0,50%. Par ailleurs, la contribution du Royaume-Uni passerait de 0,25 % à 0,46% si le système proposé par la Commission est mis en œuvre. La question de la réforme des modalités de contribution doit être séparée de celle du niveau des dépenses, tant il serait dommageable de procéder à des coupes claires dans les perspectives financières établies par la Commission, en raison des difficultés à trouver un accord sur le niveau de l'effort financier net de chacun ;

- s'agissant de l'Objectif 2, les projets seront examinés par la Commissaire compétente, selon des critères qualitatifs, dans le respect du principe de subsidiarité et des choix des régions. La fragilité du territoire concerné par un projet, urbain ou rural, sera prise en compte.

Mme Anne-Marie Comparini a estimé que les efforts croissants de l'Union en matière de compétitivité et de croissance économique exigeaient, compte tenu de la diversité des domaines abordés, une amélioration des méthodes de gouvernance de la Commission et un renforcement de sa cohésion. La réflexion stratégique relève en effet d'une mission collective.

En ce qui concerne le niveau du prélèvement européen, elle a jugé que la nature des objectifs de l'Union, favoriser le développement des nouveaux Etats membres et faciliter la croissance des quinze pays plus anciens, imposait un effort substantiel, regrettant que l'économie européenne dépende actuellement d'une manière trop importante de la croissance américaine. Elle a souhaité par ailleurs connaître les actions qui seraient concernées par le plafonnement des perspectives financières à un niveau intermédiaire entre celui de 1% du PIB souhaité par certains Etats membres et celui de 1,14% actuellement sollicité.

M. Jacques Floch a indiqué qu'il souscrivait aux orientations présentées par le Commissaire s'agissant de la réforme et de la simplification des fonds structurels. La logique de projet présente un grand intérêt, notamment pour les équipements majeurs. L'obtention d'un financement communautaire valorise les opérations concernées.

Après avoir indiqué souscrire à la conception de l'Europe comme espace de solidarité permettant de favoriser le développement des territoires les moins développés, il a souhaité savoir si des critères permettraient d'opérer une péréquation entre les régions, rappelant que l'obtention des crédits dépendait également de leur capacité à présenter des dossiers, et que les régions riches ne sont pas les plus mal placées à cet égard. De même, certains projets antérieurement déclarés éligibles et situés dans les zones défavorisées localisées dans des régions riches auraient pu être réalisés dans le cadre d'une simple péréquation au sein des collectivités territoriales concernées.

Concluant son intervention, il a noté l'intérêt d'une réorientation des investissements étrangers vers des Etats européens plutôt que vers des pays situés hors d'Europe.

M. Christian Paul s'est intéressé aux tensions budgétaires, qu'il a estimées difficilement soutenables, entre les besoins financiers issus de l'élargissement et la limite fixée par les Chefs d'Etat et de Gouvernement, ainsi qu'aux conséquences de la réforme des procédures relatives aux fonds structurels sur les relations tripartites entre la Commission, les Etats membres et les collectivités territoriales, notamment les conseils régionaux, et aux modalités de détermination des enveloppes régionales.

Il a également demandé des précisions sur les incidences de la sanctuarisation des l'enveloppe prévue en faveur des régions ultrapériphériques, ainsi que sur les modalités d'une péréquation entre les territoires en France et dans les autres Etats membres.

M. Daniel Garrigue a considéré que la volonté de certains Etats membres de ne pas augmenter le ratio de la contribution budgétaire était compréhensible, notamment du fait du lancinant problème de la contribution britannique, même s'il est évident que des moyens supplémentaires devront être attribués à la construction européenne. Il a souhaité savoir si une différenciation des instruments employés dans les quinze anciens Etats membres et dans les dix nouveaux Etats adhérents était envisageable dans le domaine de la politique régionale. S'agissant du problème des délocalisations, qui soulève la question d'un éventuel dumping fiscal dans les dix nouveaux Etats membres, on peut se demander s'il n'est pas préférable, à la limite, que ces délocalisations aient lieu au sein de l'Union européenne plutôt que, par exemple, vers l'Asie.

M. Jérôme Lambert a demandé s'il n'était pas envisageable que la Commission s'oppose aux délocalisations à l'intérieur même de l'Union européenne.

En réponse aux différents intervenants, M. Jacques Barrot a précisé que :

- l'efficacité de l'action de la Commission impose obligatoirement une coordination entre les différents Commissaires, sans que cela puisse être qualifié de gouvernance économique. La qualité des programmes régionaux soumis à la Commission doit être jugée par plusieurs Commissaires, même s'il est évident que celui en charge de la politique régionale conserve le dernier mot ;

- la Commission ne souhaite pas entrer dans le jeu du marchandage de la marge d'augmentation du budget européen, car les Etats membres ne demanderaient pas mieux. La Commission a formulé des propositions sérieuses au regard desquelles les Etats doivent se décider, tout en étant en droit d'exiger que les sommes concernées soient gérées avec efficacité et rigueur ;

- les crédits accordés au titre des politiques régionales devront être ciblés sur les régions qui en ont le plus besoin et ce critère n'exclut pas les régions des quinze anciens Etats membres. Ce ciblage devra tenir compte particulièrement de la situation de l'emploi et de la fragilité des zones urbaines et rurales. Il est certain qu'un projet bénéficiant du label européen est valorisé et cela milite d'ailleurs pour le maintien de l'Objectif 2 ;

- les tensions constatées sur la question de l'augmentation du budget européen sont en grande partie imputables au défaut d'une clé de répartition équitable des contributions ;

- le fonds social européen devra accompagner les efforts touchant à l'employabilité des populations, condition indispensable pour assurer l'efficacité des crédits de reconversion industrielle dans certaines régions ;

- les régions n'ont pas à craindre une perte d'influence et, au contraire, le rôle des responsables régionaux devrait être accru dans la conception des programmes ;

- une « sanctuarisation » a effectivement pu être réalisée pour les aides aux régions ultrapériphériques. Les DOM français pourront bénéficier à la fois de crédits au titre de l'objectif de convergence et au titre de l'enveloppe spécifique ;

- il n'appartient pas à la Commission d'assurer une péréquation des aides entre les différentes régions d'un Etat membre, puisque juridiquement la répartition des aides de la politique régionale doit se faire au niveau national. Toutefois, la Commission continuera de formuler des recommandations sur la répartition entre les différentes régions ;

- en ce qui concerne les délocalisations, la Commission a déjà proposé qu'une entreprise ayant bénéficié d'une aide communautaire devra la rembourser si elle délocalise ses activités dans les sept années qui suivent, ce qui constitue un frein significatif. Par ailleurs, la Commission recommande aux Etats susceptibles d'accueillir ces entreprises délocalisées de ne pas leur accorder une aide communautaire. La question du dumping fiscal a déjà donné lieu à des débats au sein de la Commission, mais il importe de souligner que juridiquement, on ne peut lier la politique régionale à la politique d'harmonisation fiscale, cette dernière exigeant l'unanimité. Par ailleurs, il convient de rappeler, comme le font certains Commissaires des nouveaux Etats membres, que ces Etats bénéficient bien moins des investissements étrangers que certains autres pays de l'Union européenne. A titre d'exemple, ces investissements s'élèvent à 2,5 milliards de dollars en République tchèque, contre 47 milliards de dollars en France. La Commission doit donc se limiter à la formulation de règles d'éthique, n'empêchant pas le développement économique des nouveaux adhérents ;

- il ne faut pas que les nouveaux Etats membres donnent l'impression d'encourager les délocalisations, mais les autres Etats ne doivent pas non plus les soupçonner ou les accuser sans justification ;

- une étude récente a montré que la fiscalité n'est pas un critère essentiel dans le choix d'une implantation d'entreprise. Bien entendu, une plus grande harmonisation fiscale et sociale au sein de l'Union européenne demeure souhaitable.

2) Réunion de la Délégation du mercredi 15 juin 2005

La Délégation s'est réunie le mercredi 15 juin 2005, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

M. Jacques Myard s'est déclaré dubitatif sur la méthode même des fonds structurels qui peut être assimilée à une « usine à gaz ». On ne peut que souscrire à la nécessité de soutenir les territoires en difficulté des anciens Etats membres et d'aider les nouveaux adhérents, mais il faudrait éviter le saupoudrage des aides ou encore l'octroi de fonds publics européens pour l'achat de wagons japonais pour le métro de Dublin, par exemple. Une autre méthode serait envisageable, celle des protocoles financiers, qui permettrait d'accorder des aides avec une structure de contrôle, tout en évitant de transiter par Bruxelles pour des projets de niveau communal. Il importe donc d'engager, au préalable, une réflexion d'ensemble sur les moyens mis en œuvre pour la politique régionale.

M. Didier Quentin, rapporteur, a confirmé que la politique des fonds structurels était l'objet de nombreuses critiques, qu'il avait pu entendre exprimer, par exemple, lors d'un entretien au Bundestag l'an passé avec des parlementaires CDU/CSU.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que les propositions initiées par l'ancien commissaire européen Michel Barnier visaient justement à éviter le saupoudrage des aides, qui a conduit au financement communautaire de salles polyvalentes ou de piscines.

M. Jérôme Lambert a indiqué que même s'il n'avait pas le sentiment que les fonds communautaires accordés à son département de la Charente avaient été gaspillés, il devait convenir que leur répartition au niveau local avait soulevé des difficultés par le passé et était source d'incertitudes pour l'avenir. L'ensemble du département étant éligible, le préfet de région, en accord avec quelques élus locaux, a eu recours à la technique du découpage, qui a créé de nombreuses insatisfactions dans les zones écartées du dispositif. Or, l'annonce des nouveaux critères d'utilisation des fonds communautaires risque de conforter ce sentiment d'injustice puisqu'il ne sera plus possible de construire des équipements que les collectivités voisines ont pourtant réussi à obtenir.

Le rapporteur a expliqué l'accueil parfois réservé des élus locaux en raison de la lourdeur des procédures administratives pour des résultats souvent incertains. Il arrive en outre que les fonds européens financent des réalisations sans véritable lien avec la cohésion économique et territoriale.

Le Président Pierre Lequiller a toutefois précisé que la réforme envisagée visait à réorienter l'attribution des fonds structurels vers des projets davantage tournés vers la compétitivité, la recherche et la création d'emplois.

M. Jacques Myard a déploré les rigidités propres aux financements croisés et le coût pour la collectivité d'une telle bureaucratie. Mis à part l'outre-mer, la France est essentiellement concernée par l'Objectif 2, ce qui représente environ 15% des crédits. Mais en raison des règles d'attribution des fonds, notre pays devrait sensiblement augmenter sa contribution au budget de l'Union pour bénéficier d'une masse financière similaire dans les prochaines années.

M. Jean-Marie Sermier a regretté que la politique régionale ne se soit pas imposée comme un facteur identitaire propre à l'Union européenne, dès lors que les bénéficiaires des fonds structurels affichent leur mécontentement. Il est vrai que l'administration française ne facilite pas la fluidité des procédures et il serait souhaitable de permettre aux collectivités territoriales de contractualiser directement avec l'Union européenne, sans passer par l'échelon national. L'Europe ne doit pas être une simple organisation de redistribution ; il faut se donner les moyens de construire une Europe politique capable de donner une ambition nouvelle à la politique régionale.

Le Président Pierre Lequiller a alors rappelé les progrès économiques considérables réalisés, notamment par l'Irlande, l'Espagne et le Portugal, grâce à la politique régionale européenne.

M. Jérôme Lambert a néanmoins considéré que les conditions de rattrapage des nouveaux pays membres sont bien différentes de celles de l'Espagne et du Portugal, du fait de la mondialisation et de ses conséquences.

Le Président Pierre Lequiller a cependant fait le pari d'un rattrapage économique et social très rapide des anciens pays de l'Est.

Le rapporteur a rejoint cette analyse, évoquant un déplacement récent dans les Pays baltes qui lui a permis de mesurer la réalité du décollage économique de ces Etats - dont la croissance du PIB atteint 5 à 10 % par an - qui contraste fortement avec la situation de l'enclave de Kaliningrad, qui ne fait pas partie de l'Union européenne.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté la proposition de résolution, dont le texte figure ci-après :

PROPOSITION DE RESOLUTION

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil portant dispositions générales sur le Fonds européen de Développement régional, le Fonds social Européen et le Fonds de cohésion (COM (2004) 492/E 2647),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au Fonds de développement régional (COM (2004) 495/E 2660),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au Fonds social européen (COM (2004) 493/E 2668),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'institution d'un groupement européen de coopération transfrontalière (COM (2004) 496/E 2661),

1. Approuve l'ambition de renforcer l'assise territoriale de l'Union européenne à travers une politique régionale équilibrée sur le plan géographique et réaliste sur le plan budgétaire ;

2. Souligne les besoins révélés par l'élargissement, justifiant un engagement fort de l'Union européenne dans les régions des nouveaux Etats membres ;

3. S'oppose à toute éventuelle réduction des crédits prévus pour ces nouveaux Etats membres, dans la mesure où elle entraverait de manière significative la capacité réelle d'intervention des fonds structurels sur leur territoire et ne serait pas calculée à due proportion de leurs taux comparés de revenu national brut par habitant ;

4. Affirme la nécessité de maintenir aux régions des anciens Etats membres un soutien communautaire qui ne subsiste pas qu'à titre résiduel, mais témoigne au contraire de la volonté de l'Union européenne de s'ancrer durablement dans tous les territoires ;

5. Appuie les propositions de la Commission mettant l'accent sur la dimension urbaine du futur Objectif 2, qui justifierait la possibilité pour les villes de mettre en œuvre directement certains des programmes conçus à leur intention, par application de procédures appropriées de subdélégation ;

6. Demande que les autoroutes de la mer figurent expressément dans la liste des opérations susceptibles d'un soutien de la part du FEDER, conformément aux engagements pris par les institutions européennes en faveur du développement durable, notamment à Göteborg ;

7. Estime que les groupements européens de coopération territoriale peuvent constituer un outil très utile pour mener à bien des projets impliquant des régions de différents Etats membres dans le cadre de l'Objectif 3, à la condition que leur contenu juridique ne soit pas intégralement défini a priori au niveau communautaire, mais puisse au contraire s'adapter aux dispositions en vigueur relativement aux associations dans le lieu même où ils sont constitués ;

8. Demande que ces groupements soient tenus de s'enregistrer également auprès du Comité des régions, qui puisse ainsi centraliser à l'avenir toutes les initiatives permettant de rapprocher entre elles toutes les collectivités territoriales de l'Union européenne.

ANNEXE :
Liste des personnes entendues par les rapporteursAnnexe-1

Les rapporteurs tiennent à renouveler leurs remerciements aux personnalités qu'ils ont eu l'occasion de rencontrer.

Première série d'auditions (janvier 2004-octobre 2004)

A Berlin :

- Son Exc. M. Claude MARTIN, Ambassadeur de France en Allemagne ;

- Mme Ulrike HÖFKEN, M. Rainder STEENBLOCK, députés allemands (Alliance 90/Verts) ;

- MM. Michael KRETSCHMER, Albert RUPPRECHT, Thomas SILBERHORN, Michael STÜBGEN, députés allemands (CDU/CSU) ;

- MM. Axel SCHÄFER et Martin SCHWANHOLZ, députés allemands (SPD) ;

- M. Jürgen TÜRK, député allemand (FDP) ;

A Bruxelles :

- Son Exc. M. Pierre SELLAL, Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne ;

- M. Gilles PÉLURSON, Conseiller aux affaires de politique régionale à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne ;

- M. Jean-Charles LEYGUES, Directeur à la Direction générale « Politique régionale » de la Commission européenne ;

- M. Alexandre GIORGINI, Conseiller à la Direction de la coopération européenne du ministère des Affaires étrangères ;

A Paris :

- Mme Pascale ANDRÉANI, Secrétaire générale du Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne ;

- Mme Marie-Claude LESAGE KIECHEL, Adjointe au chef du secteur transports et politique régionale du SGCI ;

- M. Michaël CHRISTOPHE, Adjoint au chef du secteur des affaires économiques et financières ;

A Poitiers :

- M. Bernard PREVOST, Préfet de la Région Poitou-Charentes, Préfet de la Vienne ;

- M. Frank LE GUEN, Secrétaire général de la Préfecture ;

- Mme Sandrine BEAU, Chargée de mission du pôle Europe.

Deuxième série d'auditions (novembre 2004-avril 2005)

A Paris :

- M. Jean-Benoît ALBERTINI, Directeur, adjoint Directeur de la Délégation à l'Aménagement du Territoire (Datar) ;

- M. Jérôme FEHRENBACH, Inspecteur des Finances, conseiller aux affaires européennes au cabinet de M. Hervé GAYMARD, ministre de l'Économie et des Finances ;

A Bruxelles :

- M. Eric von BRESKA, Conseiller pour la France au cabinet de Mme Danuta HÜBNER, Commissaire pour la politique régionale ;

- M. Pedro CYMBRON, conseiller aux affaires de politique régionale au cabinet de M. José Manuel BARROSO, Président de la Commission européenne ;

- M. Joost KORTE, Directeur du Cabinet de Mme Danuta HÜBNER, Commissaire pour la politique régionale ;

- M. Jean-Charles LEYGUES, Directeur à la Direction générale « Politique régionale » de la Commission européenne ;

- M. Marc-Etienne PINAULDT, Conseiller aux affaires de politique régionale à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne.

1 () Cf. Vers un nouveau dessein pour les campagnes européennes, rapport n° 2286 de M. Jean-Marie-Sermier, paru en mai 2005.

2 () Compte rendu n°122 de la réunion de la Délégation pour l'Union européenne tenue le mardi 5 avril 2005.

3 () Cf. Troisième rapport sur la cohésion économique et sociale publié par la Commission européenne en février 2004.

4 () Par « soutien substantiel », il faut entendre une aide financière qui se chiffre en centaines plutôt qu'en dizaines d'euros par an et par habitant. Seules les régions entrant dans l'Objectif 1 bénéficient actuellement de pareils taux de soutien.

5 () Cf. notamment le rapport de M. Alfonso Andria sur la proposition de règlement du Conseil instituant le Fonds de cohésion, dans sa version provisoire du 6 avril 2005.

6 () Sur le plan européen, on rappellera que la notion actuellement d'usage est celle d'inclusion sociale.

7 () Dossiers de la DREE, Les enjeux économiques internationaux, Elargissement de l'Union européenne : un nouveau marché, avril 2004.

8 () Résolution 518/2004 du Comité des Régions.

9 () Rapport d'information de la Délégation pour l'Union européenne n° 2102, présenté par MM. Michel Delebarre et Daniel Garrigue le 16 février 2005.

10 () Cf. Vers un nouveau dessein pour les campagnes européennes, rapport n° 2286 de M. Jean-Marie-Sermier, paru en mai 2005, p. 46.

11 () Cf. Rapport spécial de la Cour des comptes relatif à la programmation de l'initiative communautaire de coopération transfrontalière  III, accompagné des réponses de la Commission, in Journal officiel de l'Union européenne, JO C 303 du  7 décembre 2004.

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