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N° 2887

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 février 2006

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur les changements démographiques et
la nouvelle solidarité entre générations

(COM [2005] 94 final / E 2848),

ET PRÉSENTÉ

par Mme Arlette FRANCO,

Députée.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe-Armand Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

_____

Pages

INTRODUCTION 7

I. A L'EXCEPTION DE QUELQUES PAYS DONT LA FRANCE, L'EUROPE EST ENGAGÉE DANS UN DÉCLIN DÉMOGRAPHIQUE QUI MENACE SON DYNAMISME ÉCONOMIQUE COMME LA PÉRENNITÉ DE SES SYSTÈMES SOCIAUX 13

A. La faiblesse de la fécondité européenne depuis quelque trente ans a accru le vieillissement et menace même la plupart de ses membres, à échéance plus ou moins rapprochée, d'une diminution de la population 13

1) Tous les pays européens ont depuis un grand nombre d'années une natalité inférieure au seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme et le niveau actuel de 1,46 est l'un des plus faibles jamais atteint par le passé, en temps de paix 13

2) L'Europe n'a plus de « moteur démographique », même si un petit nombre d'Etats membres, parmi lesquels la France, est encore relativement proche de ce seuil 15

3) Le vieillissement de la population s'accélère, le baby boom de l'Europe de l'Ouest débouchant plus de soixante ans après sur un papy boom 18

a) L'augmentation des plus de 65 ans 19

b) La chute du nombre des moins de vingt-cinq ans 20

c) Une forte croissance de l'âge moyen de la population 21

d) Des pyramides des âges souvent rétrécies à la base, la France faisant notamment exception 21

4) L'hypothèse d'un déclin démographique, déjà considérée comme certaine pour l'Est et le centre de l'Europe, menace par conséquent la plupart des Etats membres 26

a) A la suite de l'Allemagne, qui a franchi cette étape dès les années 1970, et à l'exception de la France notamment, la plupart des Etats membres ont un solde naturel négatif, les décès excédant les naissances 26

b) Les simulations d'Eurostat montrent un déclin à terme plus ou moins rapproché de la population dans la plupart des Etats membres 27

B. Les pays européens doivent préserver les conditions démographiques de leur dynamisme économique ainsi que les grands équilibres de leurs systèmes sociaux, sachant que le recours à l'immigration ne peut être envisagé qu'à titre de complément 35

1) La réussite de la stratégie de Lisbonne comme les grands équilibres à long terme des systèmes de protection sociale deviennent incertains 35

a) Les piliers de la stratégie de Lisbonne, et donc de la croissance, sont menacés par le vieillissement démographique 35

b) L'ampleur du vieillissement pose à terme des problèmes d'équilibre des régimes sociaux de santé et de retraite, ainsi que de financement de la dépendance 37

2) L'immigration ne peut jouer qu'un rôle de complément 38

a) L'immigration ne peut assurer un autre rôle que celui d'un appoint dans une société où l'espérance de vie s'accroît 38

b) Le monde évolue autour de l'Europe, plus de la moitié de la population vivant désormais dans un pays où la fécondité est basse 42

c) Le Japon, la Russie et sutout la Chine, sont dans des logiques de déclin démographique 43

II. L'UNION EUROPÉENNE DOIT DONC ASSURER SON AVENIR PAR UNE CONVERGENCE VERS LE HAUT DE LA FÉCONDITÉ DE SES ETATS MEMBRES AUTOUR D'UN MODÈLE DE LIBRE CHOIX DÉMOGRAPHIQUE, COMPLÉTÉ PAR UN RECENTRAGE DE LA SOLIDARITÉ ENVERS LES RETRAITÉS 49

A. L'Union européenne doit prévoir à brève échéance le cadre d'une coordination souple permettant aux foyers de chacun des Etats membres d'avoir le nombre d'enfants qu'ils désirent 50

1) Le phénomène d'inertie démographique impose d'engager rapidement des actions pour assurer à long terme l'avenir de l'Europe 50

2) Des mesures peuvent efficacement intervenir puisque la faiblesse actuelle de la fertilité n'est pas le résultat d'un refus de l'enfant, mais d'un retard croissant de l'âge fécond 50

a) Le nombre d'enfants déclarés désirés dans les enquêtes reste supérieur au nombre d'enfants qui naissent effectivement 50

b) Le recul de l'âge de maternité apparaît comme un facteur important de la baisse de la fécondité 51

c) La descendance finale reste donc supérieure à l'indice de fécondité, même si le renouvellement des générations n'est pas assuré dans de nombreux Etats d'Europe avec 1,8 enfant par foyer au total 55

3) L'exemple des pays dont la fécondité est parmi la plus élevée en Europe, comme la France et la Suède, permet d'identifier les contours d'une intervention publique efficace, conçue autour des besoins de l'enfant et du libre choix des femmes 57

a) L'effort public en faveur des familles a en Europe des résultats très inégaux qui révèlent l'exigence d'une adaptation 57

b) L'analyse des différents Etats européens, ainsi que des Etats-Unis, permet d'identifier les conditions de l'emploi féminin comme l'un des éléments clefs d'une natalité plus élevée, dans le respect du libre choix des foyers 59

4) Les taux de fécondité devraient donc spontanément remonter dès lors que, sous la coordination de l'Union, l'ensemble des Etats membres auront mis en œuvre des politiques conformes aux valeurs de parité, de libre choix démographique et de conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale 67

a) Les politiques familiales doivent donc être modernisées et converger vers un modèle européen, où l'enfant est perçu comme un investissement de la société 67

b) Au-delà du respect du principe de subsidiarité, l'essentiel des actions ne peut être mené qu'au niveau des Etats membres 71

c) L'Union européenne doit donc favoriser, en s'appuyant le cas échéant sur le dialogue social européen, la convergence des politiques familiales de ses Etats membres grâce à une coordination effective 75

B. L'Union peut également contribuer à un passage optimal à la société des quatre générations, orienté sur un recentrage de la solidarité sur les personnes les plus âgées 79

1) Les objectifs, définis dans le cadre de la stratégie de Lisbonne et de l'Agenda social européen, d'élévation du taux d'emploi des plus de 55 ans doivent être poursuivis, notamment en France 79

a) Chaque Etat doit faire face à cette obligation inéluctable, qui est également une faculté à saisir 79

b) La France a encore l'âge légal d'ouverture des droits à la retraite le plus faible en Europe, et fait partie des Etats membres où le taux d'emploi des « seniors » est le moins élevé 81

c) Une modification des anticipations sur l'âge de départ en retraite est donc indispensable pour compléter les mesures d'incitation à l'emploi des seniors qui s'inscrivent dans une perspective européenne 87

2) L'Union européenne doit par ailleurs engager une réflexion de fond sur la dépendance, de manière à prendre en compte, notamment, les conséquences à long terme de l'installation des retraités dans d'autres Etats membres que ceux où ils ont exercé leur activité professionnelle 88

TRAVAUX DE LA DELEGATION 91

ANNEXES 95

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnées 97

Annexe 2 : Une opinion sur l'efficacité des politiques natalistes 99

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

De tous temps, la démographie a été l'une des grandes préoccupations du politique. Cette constance ne saurait toutefois occulter que les termes de la réflexion qu'elle a nourrie ont profondément évolué.

Dans les sociétés traditionnelles, fortement rurales et marquées par une fécondité très élevée, une très forte mortalité et une espérance de vie limitée, l'obsession du nombre comme facteur de puissance économique, fiscale ou encore militaire, ainsi que comme élément de pérennité des peuples après les grands fléaux comme la peste noire ou les grandes catastrophes telles que la guerre de Trente ans, a alterné, selon les circonstances ou le tempérament des hommes, enclins à l'optimisme ou bien au pessimisme, avec la peur de l'excès face à l'insuffisance de terres, aux calamités agricoles et à la famine.

Aux appels de la Bible à une fertilité généreuse et à l'expansion, à l'aphorisme de Jean Bodin, à la Renaissance, « Il n'y a de richesse que d'hommes », répondent en contrepoint la stabilité de la population pour la cité idéale imaginée par Platon dans Les lois ou, plus récemment, le pessimisme mécanique de Malthus, dont l'Essai sur la population, publié en 1798, prédit l'apocalypse en mettant simplement en regard la croissance de la population et les limites qu'il estime absolues et intangibles des ressources terrestres.

Deux siècles après, les événements ont largement démenti le pronostic de Malthus.

Au milliard d'habitants que comptait le monde vers 1810 ont ainsi succédé les 6,5 milliards qui y vivent actuellement et bien mieux qu'à l'époque, dans l'ensemble naturellement.

Cette « explosion démographique » a été permise par les révolutions agricoles, qui ont considérablement accru les rendements, à l'essor sans précédent des progrès techniques dans l'utilisation des hommes, dans la connaissance des ressources géologiques et minières comme dans l'usage des matières premières. Ont ainsi été progressivement repoussées par la science Les limites de la planète, selon l'expression d'Hervé le Bras, titre d'un ouvrage publié en 1994.

Parallèlement, les comportements des peuples ont également évolué. Les Européens d'abord, notamment les Français dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les autres nations ensuite, au fur et à mesure de la diffusion du modèle européen puis des progrès médicaux et de l'hygiène publique, ont fait l'expérience de la « transition démographique » caractérisée par :

- la forte chute de la mortalité, notamment de la mortalité infantile ;

- la baisse, avec un décalage, de la natalité, par la diffusion progressive du contrôle des naissances, lequel est depuis l'après guerre facilité par les nouvelles méthodes contraceptives ;

- la progression de la population, qui se prolonge après la diminution de la natalité en raison de l'augmentation de l'espérance de vie (en pratique trois voire quatre générations sont simultanément en vie contre deux et rarement trois auparavant).

A l'issue de cette transition, l'espérance de vie continue à augmenter, de moins en moins vite toutefois, et le nombre d'enfants par femme s'établit à une valeur proche de 2,1, qui est le seuil de renouvellement de la population (Il est en fait de l'ordre de 2,07, mais on conservera par souci de simplicité le chiffre de 2,1, le plus communément utilisé, pour la suite du rapport).

Les données collectées par l'ONU illustrent bien cette transition, et le décalage de l'Afrique par rapport à l'Amérique latine et à l'Asie, où tant le Japon que la Chine ont réalisé pour des raisons diverses leur transition dans des délais beaucoup plus brefs que les longs deux siècles et demi de la France, du Royaume-Uni et de la Suède.

Après la phase du baby boom, qui a marqué les pays occidentaux après la Seconde guerre mondiale, l'Europe a, quant à elle, atteint, semble-t-il, ce que certains démographes qualifient de « modernité démographique » ou de « seconde transition démographique », caractérisée par une fécondité très faible, de quelque1,5 enfant par femme actuellement, bien inférieure au seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme.

Même si elle n'est pas seule dans cette situation, puisqu'il en est de même de la Chine, en raison de la politique de l'enfant unique mise en place en 1979 après plusieurs années de mesures moins contraignantes de planification des naissances, et du Japon, notamment, l'Europe ne peut s'en satisfaire.

Celle-ci porte, en effet, en elle-même les germes d'un déclin qui menace son dynamisme économique et son modèle social.

Les 4,73 millions de nouveaux nés de l'Europe des Vingt-cinq de l'année 2003, compensent à peine, dans l'immédiat, nombre pour nombre, les 4,53 millions de décès. Le solde positif de 185 000 individus qui permet la poursuite de l'augmentation continue de la population ne doit pas faire illusion : il est le résultat du seul allongement de l'espérance de vie. La population européenne vieillit donc et, dans cette optique, les nouveaux nés ne sont pas suffisamment nombreux pour assurer l'avenir des peuples de l'Europe. Le seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme n'est plus atteint depuis environ une génération, soit 30 ans, dans une grande partie de ses Etats.

Sur le plan politique, une action s'impose donc, dans la perspective et au-delà de la nécessaire prise de conscience à l'émergence de laquelle d'abord le Pacte européen pour la jeunesse, intervenu à l'initiative de l'Allemagne, de l'Espagne, de la France et de la Suède avant le Conseil européen du printemps 2005, puis le Livre vert lancé par la Commission européenne au printemps dernier « Face aux changements démographiques, une nouvelle solidarité entre les générations », qui sert de base au présent rapport, apportent une importante contribution.

Sur le fond, la démarche de la Commission est essentielle dans un dossier délicat qui touche l'humain. Sur la forme, toutefois, on peut regretter l'intitulé des questions du Livre vert, qui empêche, dès lors que l'on s'attache à y répondre par question d'avoir la vision d'ensemble nécessaire à la compréhension globale d'un sujet aussi large. C'est pourquoi a été pris le parti d'un rapport qui repose sur une présentation globale du problème et de la capacité d'intervention de l'Union en la matière.

Ces grands thèmes autour duquel le questionnaire est articulé ont donc été seuls pris en compte pour sa structuration :

- les défis de la démographie européenne : défi d'une natalité faible, contribution possible de l'immigration ;

- une nouvelle solidarité entre les générations ;

- quel rôle pour l'Union ?

Une action politique en matière démographique est cependant complexe à mettre en œuvre, car tous les Etats membres ne se trouvent pas dans la même situation.

La France, dont le nombre des naissances fluctue autour de 800.000 depuis le début du XXe siècle, qui conserve actuellement un solde naturel positif, et dont le taux de fécondité est de 1,9 enfant par femme, fait exception. Elle n'est cependant pas seule et certains pays scandinaves sont proches d'elle.

La situation est en revanche préoccupante dans quatre autres des six pays les plus peuplés de l'Europe : Allemagne, Italie, Espagne et, enfin, Pologne, dont les soldes naturels sont négatifs et où la fécondité est basse, inférieure à 1,4 enfant par femme.

Etabli à la suite notamment d'un entretien avec le Commissaire européen pour l'emploi, les affaires sociales et l'égalité des chances, M. Vladimir _pidla, qui a également évoqué le cas de la République tchèque, le 13 septembre 2005, d'une mission en Suède, les 23 et 24 novembre 2005, puis d'une autre en Allemagne, les 19 et 20 décembre, le présent rapport vise à établir un constat d'ensemble et à envisager certains des éléments de réflexion qui doivent intervenir au niveau européen.

Partant naturellement de ce qu'une politique nataliste classique fondée sur la diminution de l'activité professionnelle des femmes et les incitations à la procréation serait si anachronique qu'elle ne peut être qu'écartée d'emblée, il propose que l'Union favorise une convergence vers le haut de la fécondité de l'ensemble des Etats membres. Il s'agirait ainsi d'assurer la diffusion de principes en vigueur dans les pays, la France et la Suède notamment, où la fécondité s'est maintenue à un bien meilleur niveau et fait l'objet de politiques adaptées, permettant de dépasser le stade de la « seconde transition » pour entrer dans une véritable modernité grâce à la parité, aux mesures de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle et à des aides financières adéquates.

En contrepoint, pour tenir compte des conséquences de l'augmentation de l'espérance de vie, il propose une coordination de même nature pour un recentrage de la solidarité envers les personnes âgées, et l'engagement d'une réflexion de fond sur la dimension européenne de la dépendance.

L'objectif est que dans un monde qui passerait à 9 milliards en 2050, selon l'INED, l'Europe garde toute sa place, notamment un minimum de jeunesse.

Au-delà des éléments techniques, en outre, la rapporteure tient naturellement à rappeler le rôle essentiel de l'humain dans un domaine où la valeur et l'affection que la société porte à l'enfant est un élément essentiel de la décision des parents.

I. A L'EXCEPTION DE QUELQUES PAYS DONT LA FRANCE, L'EUROPE EST ENGAGÉE DANS UN DÉCLIN DÉMOGRAPHIQUE QUI MENACE SON DYNAMISME ÉCONOMIQUE COMME LA PÉRENNITÉ DE SES SYSTÈMES SOCIAUX

A. La faiblesse de la fécondité européenne depuis quelque trente ans a accru le vieillissement et menace même la plupart de ses membres, à échéance plus ou moins rapprochée, d'une diminution de la population

1) Tous les pays européens ont depuis un grand nombre d'années une natalité inférieure au seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme et le niveau actuel de 1,46 est l'un des plus faibles jamais atteint par le passé, en temps de paix

Le baby boom qui a marqué l'Europe de l'Ouest après la Seconde guerre mondiale et connu son acmé dans les années 1960, restera dans l'histoire comme une exception, avec un indicateur conjoncturel de fécondité compris entre 2,6 et 3 enfants par femme en France.

D'une part, il s'est inscrit en rupture avec la faible fécondité des années 1930. D'autre part, il a été suivi, d'une période similaire où l'indicateur conjoncturel de fécondité, qui a diminué dès 1965, est durablement passé en dessous du seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme. S'agissant de l'Europe des Quinze, cette mutation est intervenue entre 1970 et 1975, à raison de 2,38 enfants par femme, en moyenne en 1970 et à 1,96 en 1975. Cet indicateur démographique n'a depuis cessé de diminuer, ayant atteint le niveau, particulièrement faible, de 1,5 enfant par femme en 2002. Pour les nouveaux adhérents, qui n'ont pas connu le baby boom mais ont connu les effets des politiques natalistes des pays communistes, le passage en dessous du seuil de renouvellement est intervenu entre 1985 et 1990. L'évolution a été plus rapide, qu'à l'Ouest, mais également plus brutale, car le nombre d'enfants par femme est dorénavant inférieur à celui des anciens Etats membres.

Globalement, l'Europe avec 1,46 enfant par femme est dans une situation démographique déprimée.

Evolution de l'indicateur conjoncturel de fécondité (nombre d'enfant par femme) en Europe

 

1970

1975

1980

1985

1990

1995

1998

1999

2000

2001

2002

UE 15

2,38

1,96

1,82

1,60

1,57

1,43

1,45

1,47

1,5

1,49

1,50

UE25

-

2,02

1,88

1,70

1,64

1,45

1,45

1,46

1,48

1,46

1,46

NEM 2004

-

2,29

2,16

2,18

2,00

1,53

1,36

1,32

1,31

1,26

1,24

Source : Institut national d'études démographiques.

Cette chute générale de la natalité est cependant intervenue avec quelques décalages dans le temps, reflet pour l'essentiel des variations culturelles ou religieuses. C'est ce qu'illustre la comparaison des courbes à long terme des principaux pays européens depuis 1950.

Source : Institut national d'études démographiques

L'Irlande, pour laquelle les données de la série qui a servi de base à ces courbes ne commencent qu'en 1960 et où la tradition catholique rurale est plus présente, n'est ainsi passée sous le seuil de 2,1 qu'en 1989, soit près de 20 ans après l'Allemagne (1970) laquelle a été successivement suivie par le Royaume-Uni en 1973, la France en 1975 et l'Italie en 1977. Tous les Etats membres sont dorénavant sous ce seuil de renouvellement, les derniers tels que Chypre ayant franchi ce seuil au cours des années 1996.

Une telle situation est exceptionnelle. Des taux de fécondité aussi faibles n'ont été atteints par le passé que de manière temporaire et dans des circonstances très particulières telles que les guerres ou les épidémies.

2) L'Europe n'a plus de « moteur démographique », même si un petit nombre d'Etats membres, parmi lesquels la France, est encore relativement proche de ce seuil

Même s'ils sont tous en dessous du seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme, les Etats membres de l'Union ne se trouvent pas dans la même situation. Les données diffusées par Eurostat sur le taux de fertilité total(1), permettent de distinguer plusieurs groupes d'Etats, en se fondant sur l'année 2004.

Le premier est celui des Etats qui se situent à un niveau qui n'est pas très éloigné du seuil de 2,1 enfants par femme. Il s'agit, selon les données relatives à 2004, de l'Irlande (1,99) et de la France (1,90) (ce qui laisse d'ailleurs penser que derrière leur pessimisme, les Français pensent que tout ne va pas si mal), ainsi que dans une moindre mesure de la Finlande (1,80), puis du Danemark (1,78) et de la Suède (1,75). Le cas de la Suède est, parmi ces Etats, un peu particulier. Ce pays retrouve en effet un taux de fertilité parmi les plus élevés de l'Europe, après avoir connu une forte chute dans les années 1990, généralement expliquée par une situation économique dégradée, ainsi que par les effets retardés de la « prime à la rapidité » des années 1980, qui avait entraîné des anticipations de naissance.

Dans une situation intermédiaire, on trouve un deuxième groupe avec le Royaume-Uni (1,74), les Pays Bas (1,73) et le Luxembourg (1,70), et enfin, la Belgique (1,64).

On constate un fort écart avec les pays du troisième groupe, ceux dont la fertilité se situe à un peu moins de 1,5 enfant par femme : Chypre (1,49) ; l'Autriche (1,42) ; le Portugal (1,42 également) ; l'Estonie (1,40).

On peut rattacher à ce groupe trois Etats : l'Allemagne, la Hongrie et Malte, avec 1,37 enfant par femme en 2004 (toutefois, la faiblesse de la natalité dans les deux premiers au cours des années antérieures conduirait plutôt à les rattacher à la catégorie qui suit).

Le quatrième groupe comprend les pays dont la natalité est la plus faible, à savoir l'Italie (1,32), l'Espagne (1,32), la Grèce (1,29), la Hongrie (1,28), la Lituanie (1,26), la Slovaquie (1,25), la Lettonie (1,24), la Pologne (1,23) et la République tchèque (1,23 également) ainsi que la Slovénie (1,22).

Le tableau suivant récapitule pour les années récentes l'évolution du taux de fertilité total dans les différents Etats membres de l'Union.

Taux de fertilité total dans l'Union européenne

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

UE (25 pays)

1,52

1,48

1,44

1,44

1,44

1,43

1,42

1,48

1,46

1,46(e)

1,48(e)

1,50(e)

UE (15 pays)

1,47

1,44

1,42

1,44

1,45

1,45

1,45

1,50

1,49

1,50(e)

1,52(e)

1,52(e)

Zone euro

1,40

1,36

1,36

1,39

1,40

1,39

1,38

1,46

1,46

1,46(e)

1,47(e)

1,48(e)

Belgique

1,61

1,56

1,55(e)

1,59

1,61

1,59

1,61 (e)

1,66

1,64 (e)

1,62(e)

1,64

1,64(e)

Rép. tchèque

1,67

1,44

1,28

1,18

1,19

1,16

1,13

1,14

1,14 (e)

1,17(e)

1,18

1,23

Danemark

1,75

1,81

1,80

1,75

1,75

1,72

1,73

1,77

1,74

1,72

1,76

1,78

Allemagne

1,28

1,24

1,25

1,32

1,37

1,36

1,36

1,38(e)

1,35 (p)

1,31(e)

1,34

1,37(e)

Estonie

1,45

1,37

1,32

1,30

1,24

1,21

1,24

1,34

1,34

1,37

1,37

1,40(e)

Grèce

1,34

1,35

1,32

1,30

1,31

1,29

1,28 (p)

1,29(e)

1,25 (p)

1,27(e)

1,28

1,29

Espagne

1,27

1,21

1,18

1,17

1,19

1,15

1,20(p)

1,24 (p)

1,26 (p)

1,27(ep)

1,30

1,32(e)

France

1,65

1,66

1,70

1,72

1,71(p)

1,75(p)

1,79(p)

1,88(p)

1,89 (p)

1,88(p)

1,89

1,90(p)

Irlande

1,90

1,85

1,84

1,88(p)

1,94(p)

1,95(p)

1,91(p)

1,90(p)

1,94 (p)

1,97(p)

1,98(p)

1,99(e)

Italie

1,25

1,21

1,18

1,20

1,22

1,19(p)

1,22(p)

1,24(e)

1,25 (e)

1,26 (e)

1,28

1,33

Chypre

2,27

2,23

2,13

2,08

2,00

1,92

1,83

1,64 e)

1,57 (e)

1,49

1,50

1,49

Lettonie

1,51

1,39

1,26

1,16

1,11

1,10

1,18(p)

1,24

1,21(p)

1,24(e)

1,29

1,24

Lituanie

1,74

1,57

1,55

1,49

1,47

1,46

1,46(p)

1,39

1,30(e)

1,24

1,26

1,26

Luxembourg

1,70

1,72

1,69

1,76

1,71

1,68

1,73

1,76

1,66

1,63

1,63

1,70

Hongrie

1,69

1,65

1,58

1,46

1,38

1,33

1,29

1,32

1,31(p)

1,30(p)

1,27

1,28

Malte

2,01

1,89

1,83

2,10

1,95

:

1,72

1,72

1,72(e)

1,46

1,46

1,37

Pays-Bas

1,57

1,57

1,53

1,53

1,56

1,63

1,65(e)

1,72

1,71

1,73(p)

1,75

1,73

Autriche

1,50

1,47

1,42

1,45

1,39

1,37

1,34(e)

1,36

1,33

1,40(e)

1,38

1,42

Pologne

1,85

1,80

1,61

1,58

1,51

1,44

1,37

1,34

1,29

1,24

1,22

1,23

Portugal

1,51

1,44

1,41

1,44

1,47

1,48

1,50(e)

1,55

1,45

1,47 (p)

1,44

1,42(e)

Slovénie

1,34

1,32

1,29

1,28

1,25

1,23

1,21

1,26

1,21

1,21

1,20(p)

1,22(e)

Slovaquie

1,92

1,66

1,52

1,47

1,43

1,38

1,33

1,30

1,20

1,18

1,20

1,25

Finlande

1,81

1,85

1,81

1,76

1,75

1,70

1,74

1,73

1,73

1,72

1,76

1,80

Suède

1,99

1,88

1,73

1,60

1,52

1,50

1,50

1,54

1,57

1,65

1,71

1,75

(e) estimation.

(p) provisoire.

Source : Eurostat.

3) Le vieillissement de la population s'accélère, le baby boom de l'Europe de l'Ouest débouchant plus de soixante ans après sur un papy boom

Le vieillissement actuel de la population de l'Europe résulte actuellement de trois composantes :

- l'allongement de la durée de vie, qui augmente mécaniquement la proportion de personnes âgées dans la population (vieillissement par le haut). L'espérance de vie a atteint en Europe, en 2000, 75 ans pour les hommes (75,1 ans en 2003 pour les Vingt-cinq et 75 ans pour les Quinze) et 81 ans pour les femmes (81,2 ans et 81,7 ans respectivement en 2003), soit une année de plus qu'aux Etats-Unis, sous l'effet de l'amélioration des conditions sanitaires et des conditions de vie ;

- la faible fécondité, qui rétrécit la pyramide des âges à la base (vieillissement par le bas). Sur une même période, plus l'écart entre le taux de fécondité et le seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femmes est élevé, plus l'effet des deux autres composantes du vieillissement est un peu amplifié. La très faible natalité de certains pays européens depuis plusieurs années accroît par conséquent pour ces pays la progression de l'âge moyen de la population, son vieillissement ;

- l'effet retard du baby boom, dont les générations plus nombreuses que celles qui les précèdent et que celles qui les suivent, provoque un papy boom quelque soixante ans après.

Les moins de 19 ans représentaient, en 1960, 31,7 % de la population des quinze anciens Etats membres de l'Union européenne, et 23,1 % en 1999. Pour les années récentes, l'accélération de ce phénomène ressort clairement des données collectées par Eurostat.

a) L'augmentation des plus de 65 ans

En 1950, les personnes âgées de plus de soixante cinq ans représentaient 9,1 % de la population de pays actuellement membres de l'Union européenne.

Cette proportion était de 12,7 % en 1975. Elle augmente depuis à un rythme beaucoup plus élevé, à raison de 14,5 % en 1993, 15,7 % en 2000 et 16,5 % en 2004 (et même 17 % pour les quinze anciens Etats membres), comme l'indique le tableau suivant.

Evolution de la proportion des plus de 65 ans dans l'Union européenne

 

1950

1975

1993

2000

2004

2025

2050

 

UE 25

UE 25

UE 25

UE 15

UE 25

UE 25

UE 15

UE 25

UE 25

65 à 79 ans

7,9

10,7

11,0

11,3

12,3

12,5

12,8

16,2

18,5

Plus de 80 ans

1,2

2,0

3,5

3,7

3,4

4,0

4,2

6,5

11,8

Total

9,1

12,7

14,5

15

15,7

16,5

17,0

22,7

30,3

Source : Etabli d'après les données d'Eurostat.

On observera que de manière significative, la proportion des personnes âgées de plus de 80 ans a fortement augmenté. Elle est passée de 3,5 % en 1995 à 40 % en 2004, dans les Quinze anciens Etats membres. Selon les projections de la Commission européenne, la proportion de personnes de plus de 65 ans continuerait à croître, dépassant 20 % vers 2020 (22,7 % en 2025) et atteignant 30,3 % en 2050. A cette date, les plus de 80 ans représenteraient 10 % de la population (11,8 %), à savoir plus que la proportion de 65 ans en 1950.

b) La chute du nombre des moins de vingt-cinq ans

Par quasi symétrie avec l'augmentation de la proportion des personnes âgées, la part des enfants et plus généralement des jeunes de moins de 25 ans a fortement diminué dans les Etats membres de l'Union européenne. Les moins de 25 ans ne représentaient plus ainsi en 2004 qu'un gros quart de la population (29,1 %) des actuels Etats membres, contre 32,9 % plus de dix ans auparavant, en 1993, 39,2 % en 1975 et 40,7 % en 1950. Cette évolution est similaire pour les deux composantes traditionnellement distinguées par les démographes, celle des enfants jusqu'à 14 ans, et celle de 15 ans ou plus, comme l'indique le tableau suivant.

Evolution de la proportion des moins de 25 ans
dans l'Union européenne

 

1950

1975

1993

2000

2004

2025

2050

 

UE 25

UE 25

UE 25

UE 15

UE 25

UE 25

UE 15

UE 25

UE 25

Moins de 15 ans

24,9

15,5

18,6

17,9

17,1

16,4

16,3

14,4

13,3

15-24 ans

15,8

23,7

14,3

14,1

13,0

12,7

12,2

10,5

9,7

Total

40,7

39,2

32,9

33,0

30,1

29,1

28,5

24,9

23,0

Source : Etabli d'après les données d'Eurostat.

Selon les projections de la Commission, la proportion des moins de 25 ans passerait en dessous de 25 % vers 2025 (24,9 %) et ne serait plus que de 23 % en 2050.

c) Une forte croissance de l'âge moyen de la population

Quelques chiffres résument cette évolution. En 1950, l'Européen avait en moyenne 33 ans. Selon les projections de la Commission européenne, il en aura 48 en moyenne en 2050. En 1950, c'est à 31 ans que l'on entrait dans la moitié la plus âgée de la population. C'est actuellement à 38 ans. En 2050, ce sera à 48 ans, si les prévisions se réalisent.

d) Des pyramides des âges souvent rétrécies à la base, la France faisant notamment exception

Les pyramides de âges de 25 Etats membres ont été publiées dans le numéro 298 de la revue de l'INED, Populations & sociétés.

Lorsque la natalité est faible, les pyramides ont une base rétrécie, comme on le constate pour l'Europe des Vingt-cinq comme pour les Quinze, et plus particulièrement pour l'Allemagne, où le baby boom prend la forme d'une pointe importante, l'Autriche, l'Espagne, l'Italie, la Pologne (où le pic démographique des années 1980 est très marqué), ainsi que pour l'ensemble des nouveaux membres, à l'exception de Chypre et Malte, où la chute de la natalité est plus récente.

S'agissant de la France, on constate deux exceptions :

- d'une part, le baby boom a été plus précoce, plus stable et plus marqué que dans les autres Etats ;

- d'autre part, il n'y a pas à proprement parler de rétrécissement pour les années récentes. Dans une optique de plus long terme, les naissances sont revenues, après le baby boom, à des niveaux d'avant cette période.

Les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, la Danemark, les Pays-Bas, la Finlande présentent à des degrés divers un profil où le la diminution de l'effectif des nouvelles générations est moindre.

4) L'hypothèse d'un déclin démographique, déjà considérée comme certaine pour l'Est et le centre de l'Europe, menace par conséquent la plupart des Etats membres

a) A la suite de l'Allemagne, qui a franchi cette étape dès les années 1970, et à l'exception de la France notamment, la plupart des Etats membres ont un solde naturel négatif, les décès excédant les naissances

Depuis 1972, le solde naturel de l'Allemagne (des deux Allemagnes à l'époque) est négatif : les décès y dépassent les naissances.

Progressivement, les différents Etats se rapprochent de cette situation, leur solde naturel devenant négatif, cas de l'Italie depuis 1993, ou s'amenuisant, à l'exception de la France, où il a été de l'ordre de 200 à 250.000 personnes ces dernières années, des Pays-Bas, où il est de l'ordre de 60.000 personnes, et du Royaume-Uni, où il est de l'ordre de 100.000 personnes. L'essentiel du solde positif de pays européens provient actuellement de la France, comme le rappelle le tableau suivant.

Comme l'a indiqué à la rapporteure M. François Héran, directeur de l'INED, la situation française correspond à une stabilité à long terme du nombre de naissances et du nombre de décès.

Soldes naturels des Etats membres (en milliers d'habitants)

 

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

UE 25

254,9

282,6

318,6

224,4

199,8

332,4

287,2

230,6

185,2

452,8

UE 15

277,0

309,0

359,8

285,4

284,0

393,7

360,1

315,2

283,9

528,1

Zone euro

174,3

203,9

257,8

194,2

215,4

316,8

288,4

246,3

186,3

376,0

Belgique

10,6

12,1

12,3

9,9

8,6

11,4

10,6

5,6

5,1

14,1

Rép. Tchèque

-21,8

-22,4

-22,0

-19,0

-20,3

-18,1

-17,1

-15,4

-17,6

-9,5

Danemark

6,7

6,6

7,7

7,7

7,0

9,1

7,2

5,5

7,1

8,8

Allemagne

-119,4

-86,8

-48,2

-67,4

-75,6

-71,8

-94,0

-122,5

-147,2

-112,7

Estonie

-7,3

-5,8

-6,0

-7,2

-6,0

-5,3

-5,9

-5,4

-5,2

-3,8

Grèce

1,3

0,0

2,3

-1,8

-2,7

-1,9

-0,3

-0,3

-1,1

0,0

Espagne

17,3

11,2

19,5

4,7

9,0

37,2

46,3

50,2

57,1

82,6

France

198,0

198,5

196,5

204,1

207,1

243,9

239,9

226,5

211,5

261,0

Irlande

16,5

19,0

21,2

22,4

21,3

23,4

27,7

31,1

32,7

33,5

Italie

-31,1

-26,5

-26,7

-58,8

-30,5

-17,0

-21,6

-22,2

-42,4

15,9

Chypre

4,3

4,0

3,4

3,5

3,4

3,0

3,4

2,7

2,9

3,1

Lettonie

-17,3

-14,5

-14,7

-15,8

-13,4

-12,0

-13,3

-12,5

-11,4

-11,7

Lituanie

-4,1

-3,8

-3,3

-3,8

-3,6

-4,8

-8,9

-11,1

-10,4

-10,9

Luxembourg

1,6

1,8

1,6

1,5

1,8

1,9

1,8

1,6

1,2

1,9

Hongrie

-33,3

-37,8

-39,0

-43,6

-48,6

-38,0

-35,2

-36,0

-41,2

-37,4

Malte

1,9

2,1

1,9

1,5

1,2

1,3

1,0

0,7

1,0

1,0

Pays-Bas

54,8

51,9

56,6

61,9

59,9

66,1

62,2

59,7

58,4

57,4

Autriche

7,5

8,0

4,6

2,9

-0,1

1,5

0,7

2,3

-0,3

4,7

Pologne

47,0

42,7

32,4

20,2

0,6

10,3

5,0

-5,7

-14,1

-7,4

Portugal

3,3

3,1

7,8

6,9

8,1

14,6

7,7

8,1

3,7

7,3

Slovénie

0,0

0,2

-0,7

-1,1

-1,4

-0,4

-1,0

-1,2

-2,2

-0,6

Slovaquie

8,7

8,9

7,0

4,4

3,8

2,5

-0,9

-0,7

-0,5

1,8

Finlande

13,8

11,5

10,2

7,8

8,3

7,4

7,6

6,2

7,6

10,2

Suède

9,4

1,2

-2,8

-4,3

-6,5

-3,1

-2,3

0,8

6,2

10,4

Royaume-Uni

86,5

97,4

97,1

87,7

68,1

70,9

66,8

62,6

84,3

132

Source : Eurostat.

b) Les simulations d'Eurostat montrent un déclin à terme plus ou moins rapproché de la population dans la plupart des Etats membres

Selon les simulations opérées par Eurostat pour les 25 actuels Etats membres de l'Union européenne, ainsi que pour les deux Etats dont l'adhésion était prévue lorsque les simulations ont été faites (la Roumanie et la Bulgarie, qui présentent d'ailleurs un profil tout aussi déprimé que celui du reste de l'Europe), la plupart d'entre eux connaîtraient un déclin démographique dans la première moitié du siècle. Le tableau qui suit en récapitule les données.

Projections démographiques établies par Eurostat (en millions d'habitants)

 

2005

2010

2015

2020

2025

2030

2035

2040

2045

2050

UE 25

458,5

464,1

467,3

469,3

470,1

469,4

467,0

463,0

457,3

449,8

UE 15

384,5

390,7

394,7

397,5

398,8

398,7

397,3

394,6

390,3

384,4

Zone euro

310,2

315,1

317,9

319,4

319,7

318,9

317,1

314,3

310,0

304,4

Belgique

10,4

10,6

10,7

10,8

10,9

11,0

11,0

11,0

11,0

10,9

Rép. Tchèque

10,2

10,1

10,0

9,9

9,8

9,7

9,5

9,3

9,1

8,9

Danemark

5,4

5,5

5,5

5,5

5,6

5,6

5,6

5,5

5,5

5,4

Allemagne

82,6

82,8

82,9

82,7

82,1

81,1

79,9

78,4

76,7

74,6

Estonie

1,3

1,3

1,3

1,2

1,2

1,2

1,2

1,2

1,1

1,1

Grèce

11,1

11,3

11,4

11,4

11,4

11,3

11,2

11,1

10,9

10,6

Espagne

42,9

44,6

45,3

45,6

45,6

45,4

45,1

44,6

43,9

42,8

France

60,2

61,5

62,6

63,6

64,4

65,1

65,7

66,0

65,9

65,7

Irlande

4,1

4,3

4,6

4,8

4,9

5,1

5,2

5,3

5,4

5,5

Italie

58,2

58,6

58,6

58,3

57,8

57,1

56,3

55,3

54,2

52,7

Chypre

0,7

0,8

0,8

0,9

0,9

0,9

0,9

1,0

1,0

1,0

Lettonie

2,3

2,2

2,2

2,1

2,1

2,0

2,0

1,9

1,9

1,9

Lituanie

3,4

3,3

3,3

3,2

3,1

3,1

3,0

3,0

2,9

2,9

Luxembourg

0,5

0,5

0,5

0,5

0,5

0,6

0,6

0,6

0,6

0,6

Hongrie

10,1

10,0

9,8

9,7

9,6

9,5

9,4

9,2

9,1

8,9

Malte

0,4

0,4

0,4

0,5

0,5

0,5

0,5

0,5

0,5

0,5

Pays-Bas

16,3

16,7

17,0

17,2

17,4

17,6

17,7

17,6

17,5

17,4

Autriche

8,1

8,3

8,4

8,4

8,5

8,5

8,5

8,4

8,3

8,2

Pologne

38,1

37,8

37,4

37,1

36,8

36,5

36,1

35,4

34,5

33,7

Portugal

10,5

10,7

10,8

10,8

10,7

10,7

10,6

10,4

10,2

10,0

Slovénie

2,0

2,0

2,0

2,0

2,0

2,0

2,0

2,0

1,9

1,9

Slovaquie

5,4

5,3

5,3

5,3

5,2

5,2

5,1

5,0

4,9

4,7

Finlande

5,2

5,3

5,4

5,4

5,4

5,4

5,4

5,4

5,3

5,2

Suède

9,0

9,2

9,4

9,6

9,8

9,9

10,0

10,1

10,1

10,2

Royaume-Uni

59,9

60,9

61,9

62,9

63,8

64,4

64,7

64,7

64,6

64,3

Selon Eurostat, « les projections de population consistent à fournir des estimations ou les "chiffres les plus plausibles" de population pour les prochaines années. Les estimations sont effectuées à l'aide des derniers chiffres disponibles sur la population au 1er janvier. En général, les principales hypothèses sont dressées à partir de la mortalité, de la fécondité et des migrations par sexe et âge, et en faisant "vieillir" la pyramide des âges d'année en année. ».

Par ailleurs, la rapporteure insiste sur le fait qu'il s'agit de projections. Celles d'Eurostat lui ont semblé les plus adaptées au présent rapport, notamment en raison de leur accès aisé à l'ensemble des européens. Néanmoins, d'autres projections sont beaucoup plus pessimistes, notamment celles d'une population de 36 millions d'habitants en Italie et 60 millions en Allemagne, en 2050, avancées par Mme Béatrice Majnoni d'Intignano, Professeur des Universités à Paris XII Val-de-Marne, Membre du Conseil d'analyse économique, dans L'Iceberg féminin (2002, Institut de l'entreprise). Toute projection démographique dépend des hypothèses qui le sous-tendent. Un comparatif entre les différentes projections dépasserait le cadre du présent rapport.

Dans l'ensemble, la population de l'Union, qui est de 458 millions d'habitants actuellement, progresserait encore un peu jusqu'en 2005, pour atteindre un maximum de 470 millions d'habitants en 2025, puis diminuerait ensuite de manière lente au début puis plus rapide ensuite, jusqu'à 449,8 millions d'habitants en 2050. Le graphique en donne l'illustration pour l'ensemble des 25 Etats membres de l'Union, ainsi que pour les Etats membres de la zone euro et les Quinze anciens Etats membres.

Source : Etabli d'après les données d'Eurostat

Selon ces projections, un seul Etat membres aurait en 2050 une population supérieure à son maximum l'Irlande, qui représente moins d'1 % de la population actuelle de l'Union avec 4,1 millions d'habitants.

Tous les Etats membres sont donc, à terme, susceptibles d'entrer dans une phase de déclin démographique. Son amorce est en l'état prévue, par Eurostat, pour la France autour de 2040.

L'arithmétique de la diminution de la population

A la génération 1 de 100 personnes adultes (soit 48 femmes en âge de procréer), il faut que ces 48 femmes mettent au monde 2,1 enfants chacune afin que la génération 2 soit renouvelée et comprenne à son tour 48 x 2,1 = 100 personnes.

Si la fécondité de cette génération 1 n'est que 1,4 enfant par femme, la génération 2 sera donc de (100/2,1) x 1,4 = 48 x 1,3, soit 67 personnes.

A fécondité constante, les effectifs des générations suivantes se réduisent de la même manière :

A la génération 3, il y aura (67/2,1) x 1,4 = 45 personnes.

A la génération 4, (45/2,1) x 1,4 = 30 personnes auront succédé aux 100 personnes de la génération 1.

Ce calcul permet de comprendre les conséquences d'une insuffisante fécondité.

Les évolutions envisagées par Eurostat ne sont cependant pas les mêmes selon les pays. Il faut en effet distinguer quatre groupes. Ceux pour lesquels le déclin est acquis représentent la moitié de la population des Vingt-cinq. A l'opposé, ceux qui restent encore dynamiques et qui ne sont menacés d'un déclin qu'à plus long terme, tel est le cas de la Suède et de la France, ne représentent qu'un petit tiers de l'Europe.

· Les pays d'Europe centrale et orientale, qui représentent 15,4 % de la population des Vingt-cinq (70,8 millions d'habitants) sont d'ores et déjà en déclin

Le premier groupe est celui des Etats d'Europe centrale et orientale (à l'exception de la Slovénie), dont le déclin démographique est d'ores et déjà considéré comme acquis et dont la population devrait diminuer continûment jusqu'en 2005. Il s'agit plus précisément de la Pologne, la Hongrie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la République tchèque et la Slovaquie. La Roumanie et la Bulgarie se rattachent d'ailleurs à cette catégorie.

Pour ces pays, l'effet de la faible natalité est en outre amplifié par un fort mouvement d'émigration vers les autres Etats membres notamment. La frange orientale de l'Europe se vide donc progressivement.

· Les Etats dont la population devrait encore un peu progresser avant de diminuer, comme l'Allemagne et l'Italie, qui devraient respectivement perdre 8 et 5,5 millions d'habitants d'ici 2050, représentent 35,9 % de la population actuelle des Vingt-cinq (164 millions d'habitants)

Le deuxième groupe d'Etats comprend un tiers de l'Europe, notamment la plupart des anciens Etats membres. C'est celui des Etats dont la population devrait continuer de croître avant de régresser et se trouver en 2050 à un niveau inférieur à l'actuel : l'Allemagne (74,6 millions d'habitants en 2050 contre 82,6 millions actuellement) ; l'Italie (52,7 contre 58,2) ; ainsi que la Grèce, le Portugal et, dans une moindre mesure, la Slovénie. La seule perte de population de l'Allemagne et de l'Italie représenterait plus de 13 millions d'habitants.

D'autres simulations fondées sur d'autres hypothèses sont d'ailleurs plus pessimistes. S'agissant de l'Allemagne, la note du Cerfa n° 16 « Allemagne 2020 : l'avenir démographique de la nation », de MM. Steffen Kröhnert, Nienke van Olst et Reiner Klinghloz, dans le cadre du Comité d'études des relations franco-allemandes de l'Ifri, estime que « le nombre d'habitants en Allemagne devrait baisser d'environ 700.000 d'ici 2030 si la natalité n'augmente pas, et ce, malgré une immigration annuelle de 200.000 personnes. Cette baisse, modérée dans un premier temps, se chiffrera probablement à 10 millions d'ici 2050. »

· Quatre pays charnières représentant 13,4 % de la population européenne (61,6 millions d'habitants) devraient voir leur population stagner à long terme

Un troisième groupe comprend les pays qui pourraient, après une certaine progression, avoir un niveau de population similaire à l'actuel : le Danemark ; l'Espagne ; l'Autriche ; la Finlande.

· Le groupe des Etats membres encore démographiquement dynamiques, parmi lesquels la France, ne représente que moins d'un tiers de l'Europe (32,2 % de sa population et 161 millions d'habitants) et n'est pas en situation de rétablir la situation d'ensemble

Le dernier groupe concerne, outre l'Irlande dont la population devrait continuer à croître, les pays dont la population serait en 2050 certes à un niveau intérieur à son maximum, mais en tout état de cause supérieure au niveau actuel : la Belgique, les Pays-Bas, la Suède, le Royaume-Uni et la France, avec pour celle-ci une population estimée à 65,7 millions d'habitants en 2050, contre 60,2 selon le chiffre utilisé par Eurostat, mais 62,9 millions selon le bilan annuel publié en janvier 2006 par l'INSEE (le chiffre de 2050 devrait être en toute rigueur réévalué en conséquence)(2), ainsi que plusieurs Etats de taille plus réduite, le Luxembourg, Chypre et Malte.

En tout état de cause, ce groupe d'Etats n'est pas en mesure de servir de moteur démographique à l'Europe.

En outre, au-delà de ces constats, deux conclusions, incidentes, sont importantes :

- sur le plan géographique, l'Europe qui se vide déjà et où les éléments du déclin sont les plus forts est à l'Est ; l'Europe de la croissance ou du maintien à l'Ouest, proche de l'Atlantique ou en Scandinavie ;

- sur le plan de l'influence, les rapports entre les six Etats membres les plus peuplés, qui représenteraient toujours 74 % de la population des Vingt-cinq, devraient se modifier avec, comme l'indique le graphique suivant, le déclin relatif du plus peuplé et du moins peuplé des grands Etats, l'Allemagne et la Pologne, et un écart accru entre l'Italie et les deux autres Etats qui sont actuellement à parité avec elle, le Royaume-Uni et la France.

Source : Etabli d'après les données d'Eurostat.

B. Les pays européens doivent préserver les conditions démographiques de leur dynamisme économique ainsi que les grands équilibres de leurs systèmes sociaux, sachant que le recours à l'immigration ne peut être envisagé qu'à titre de complément

1) La réussite de la stratégie de Lisbonne comme les grands équilibres à long terme des systèmes de protection sociale deviennent incertains

Comme l'a rappelé le Commissaire européen chargé de l'emploi, des affaires sociales et de l'égalité des chances, M. Vladimir _pidla, citant Alfred Sauvy, « il n'y a pas de déclin démographique heureux ». Pour l'Europe, la prolongation d'une fécondité insuffisante menace directement la pérennité de ses acquis économiques et sociaux.

a) Les piliers de la stratégie de Lisbonne, et donc de la croissance, sont menacés par le vieillissement démographique

Afin de conserver à l'Europe une place de premier rang dans l'économie mondiale, et également de la préserver d'un déclin économique relatif en comblant l'écart de croissance et de richesse par rapport aux Etats-Unis, le Conseil européen de Lisbonne a établi en 2000 une stratégie, dont l'objectif était de faire évoluer les pays européens vers la société de la connaissance, avec un important effort de recherche et d'innovation, ainsi qu'un haut niveau d'emploi, notamment d'emplois hautement qualifiés.

Le Conseil européen de mars 2004 a ensuite chargé M. Wim Kok, ancien Premier ministre des Pays- Bas, de constituer un groupe de haut niveau chargé de dresser le bilan à mi-parcours de cette stratégie et de formuler des propositions en vue du Conseil européen de mars 2005. Ce rapport a été publié au début du mois de novembre 2004. Au-delà de la nécessité d'une relance du processus afin d'éviter un échec sinon prévisible, il a estimé que le principal défi était le vieillissement démographique de l'Europe, qui réduit la population active à âge de départ en retraite inchangé. Il rappelait que les projections de la Commission européenne estimaient la perte du potentiel de croissance économique chaque année, à un niveau situé entre 0,75 % et 1 %, la croissance potentielle de l'Europe chutant alors de 2 à 2,25 % à l'époque à 1,25 % d'ici à 2040. L'écart de richesse à terme était estimé à 20 %, à terme.

Sous un autre angle, le rapport du Conseil d'analyse économique présenté par Mme Evelyne Sullerot et M. Michel Godet, La Famille, une affaire publique, estime que les quatre cinquièmes de l'écart de croissance entre la France et les Etats-Unis s'expliquent par le différentiel de dynamique démographique.

Au-delà de ce constat global, il faut aussi se poser la question des liens entre la démographie et les éléments de la croissance, notamment de l'innovation et l'épargne. A cet égard, si les travaux du Conseil d'analyse économique, Démographie et économie, rapport de Michel Aglietta, Didier Blanchet et François Héran (février 2002), ne sont malheureusement pas concluants, d'autres travaux laissent planer un doute important et font même état d'un lien négatif entre croissance et vieillissement. Dans son commentaire annexé à ce rapport, M. Patrick Artus, de CDC Ixis, rappelle qu'un certain nombre d'éléments peuvent valablement nourrir les craintes d'un affaiblissement profond et structurel de l'économie européenne :

- même si le vieillissement n'affecte pas en lui-même la production par tête, donc l'efficacité des personnes qui travaillent (l'expérience permettant des gains de productivité qui compensent l'effets d'autres facteurs), ce constat s'avère erroné dès que l'on prend en compte l'effet des investissements internationaux, qui vont là où la croissance, notamment en raison de l'expansion démographique, est forte ;

- ce raisonnement valant particulièrement pour les investissements en nouvelles technologies, on peut le compléter en l'appliquant à l'innovation, laquelle dépend notamment, comme le montre l'exemple des Etats-Unis, de la capacité à accueillir une partie la jeunesse la plus qualifiée originaire des pays étrangers.

Pour sa part, dans sa note de Benchmarking international, publiée dans le cadre de l'Institut de l'entreprise, L'Iceberg féminin, Mme Béatrice Majnoni d'Intignano, Professeur des Universités à Paris XII-Val de Marne et membre du Conseil d'analyse économique, estime que le dynamisme démographique et la croissance économique sont liés. Elle s'appuie sur une étude comparative de MM. P. Baudry et D.A. Green, de l'Université de Columbia, Population growth, Technological adoption and Economic outcome in the information era, réalisée en 2000, démontrant que la croissance démographique facilite la diffusion des techniques modernes et la création d'emplois, surtout dans les services depuis 1975. L'explication tient en grande partie à l'arrivée sur le marché du travail de nouvelles générations directement formées à ces techniques, les autres pays devant quant à eux assumer le coût de formation des salariés plus anciens.

Par ailleurs, selon une récente étude de l'INSEE, citée dans la réponse de la France au Livre vert, le vieillissement démographique pourrait constituer un manque à gagner 0,6 point de croissance annuelle du produit par tête dans les trente prochaines années. L'esprit d'entreprise et le goût pour l'initiative seraient particulièrement affectés.

Telle est également l'opinion de M. Heincke, de la fondation Rober Bosch, qui a en outre insisté sur l'importance de l'innovation en matière culturelle.

b) L'ampleur du vieillissement pose à terme des problèmes d'équilibre des régimes sociaux de santé et de retraite, ainsi que de financement de la dépendance

D'une manière générale, on constate que les consommations se modifient avec l'âge. D'une part, l'augmentation du nombre de retraités se traduit par une certaine déformation de la consommation courante, au profit de la consommation de loisirs. D'autre part, et surtout, elle entraîne une augmentation des dépenses de santé. 80 % des dépenses de santé interviennent dans les dernières années de la vie.

Comme en parallèle le poids des dépenses de retraites augmente et que celles-ci sont pour une large part financées sur fonds publics, les Etats européens devront faire face dans un avenir proche à une augmentation des dépenses sociales.

L'ampleur de ce problème est d'autant plus grande que la population active, c'est-à-dire la population en âge de travailler diminue. Le taux de dépendance, qui est le rapport du nombre des plus de 65 ans par rapport aux 15-64 ans, passerait ainsi d'un peu plus de 20 % en 2000 à un peu plus de 40 % en 2050, pour l'Europe des 25. Il était d'un peu moins de 20 % en 1970. Selon, le rapport précité du Groupe de haut niveau sur le révision à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne, les dépenses liées aux retraites et aux soins de santé devront être majorées pour un montant allant vers 2050 de 4 % à 8 % du PIB, selon les hypothèses, en raison de l'impact du vieillissement démographique. Dès 2020, les dépenses liées aux retraites et aux soins de santé seraient majorées de l'équivalent de 2 % du PIB, et 4 % à 5 % vers 2030. Une étude plus détaillée réalisée par l'OFCE et la DREES corrobore ces éléments, à politique inchangée. Pour l'Allemagne et la France, le niveau de ces dépenses passerait d'un peu plus de 20 % du PIB en 2000 à 30 % du PIB en 2050.

On ne manquera pas d'ailleurs d'observer que pour la France, le poids des plus de 80 ans serait en 2050 équivalent à celui des plus de 65 ans en 1950, un siècle avant. Les charges liées à la dépendance risquent donc d'exploser.

Le constat est donc général : la démographie doit être redressée pour éviter que l'actuelle dégradation ne se poursuive à terme ; des réformes structurelles doivent être opérées pour maintenir la population active, d'autant que l'immigration ne peut venir combler les vides d'une société déclinante.

2) L'immigration ne peut jouer qu'un rôle de complément

a) L'immigration ne peut assurer un autre rôle que celui d'un appoint dans une société où l'espérance de vie s'accroît

Pour faire face à la situation démographique, notamment à la faible natalité et à la diminution de la population active, l'immigration est-elle la solution ?

La réponse paraît aller de soi, notamment en France où l'immigration est rétrospectivement perçue comme l'élément qui a permis d'éviter le déclin au XIXe et au début du XXe siècle.

Pourtant tel n'est pas le cas, sans même aborder la question de l'intégration et des nécessaires efforts qu'il convient d'entreprendre en la matière, car dans ce domaine l'exigence de la réussite s'impose tant l'idée d'un éventuel échec ne peut être ni humainement ni socialement admise. Le recours à l'immigration ne peut donc être utilisé qu'à titre de complément, selon des modalités qui relèvent d'autant moins du présent rapport qu'elles ont été traitées par notre collègue M. Thierry Mariani, dans le cadre du rapport d'information (n° 2365) sur le Livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques(COM [2004] 811 final / E 2813) et sur les expériences de certains pays de l'OCDE en matière de migrations à des fins d'emploi.

Trois éléments doivent être évoqués, qui rappellent comment l'avis d'Alfred Sauvy suivant lequel « La croissance, modérée mais continue, de la population totale, et de la population active, grâce à une natalité soutenue et un recours intelligent à l'immigration, est un bon critère de réussite d'une politique », conserve toute sa pertinence.

Ce constat s'inscrit d'ailleurs, pour la France, dans une perspective historique large, rappelée par M. Guy Desplanques, chef du département des études démographiques de l'INSEE à la rapporteure : à l'exception de l'après Première guerre mondiale, les périodes de dynamisme démographique ont également été, pour la France, des périodes d'immigration importante.

· L'équilibre entre la population active et les retraités ne peut être durablement assuré par l'immigration

L'idée du maintien d'un ratio constant entre la population en âge de travailler et les plus de 65 ans, étant régulièrement avancée, le Conseil de l'Europe a fait part en avril 2005 des conclusions d'une étude qui montre qu'il serait illusoire de vouloir contrebalancer le déclin démographique. Il faudrait en effet à l'Europe, dans son ensemble, estime le rapport, « 1,8 million de migrants par an » d'ici à 2050 pour maintenir sa population à son niveau de 1995, « 3,6 millions d'immigrants par an » pour maintenir à son niveau la population en âge de travailler, et même « 25,2 millions d'immigrés par an » pour maintenir le rapport entre les actifs et les retraités.

De la même manière, l'ONU avait calculé en 2000, comme le rappelle M. Michel Loriaux, Professeur de démographie à l'Université catholique de Louvain, dans un entretien au magazine L'express (juillet 2005), que l'Europe des Quinze devait accueillir 800 millions de personnes, soit plus du double de sa population active, d'ici 2050, ce qui est irréaliste. Même si tel n'était pas le cas, le prélèvement sur les ressources humaines serait, selon lui, comparable aux prélèvements sur les matières premières opérés à l'époque coloniale.

Au-delà de ces chiffres, augmenter la population active aujourd'hui, c'est augmenter la population retraitée de demain et donc s'engager dans une spirale sans fin.

Ce constat a été très clairement rappelé à la rapporteure par l'un de ses auteurs, M. Didier Blanchet, qui l'a précédemment exposé dans « Immigration et avenir démographique », in Commissariat général du Plan, « Immigration, marché du travail, intégration », Rapport du séminaire présidé par François Héran, octobre 2002, p. 361-362. Une augmentation importante de la population en âge de travailler aggrave pour le futur le problème des retraites, avec une cohorte supplémentaire de pensionnés dont l'intégration n'aura pas été prévue. Le seul recours à l'immigration ne reviendrait donc qu'à surseoir au problème du vieillissement : « Doubler la population active demain, c'est quadrupler la population retraitée d'après-demain par rapport à son niveau actuel, donc devoir quadrupler la population active d'après-demain et ainsi de suite ».

L'appel aux populations étrangères ne peut donc à elle seule résoudre les difficultés résultant du vieillissement de la population. Dès lors, il convient pour l'Europe d'envisager d'autres hypothèses et de considérer que les flux migratoires conserveront un rôle majeur, mais essentiellement complémentaire dans le rétablissement des équilibres démographiques. C'est ce que rappelle le programme de la Commission, présenté le 21 décembre dernier sur l'immigration économique. L'Europe ne se ferme pas au reste du monde. Le Livre vert relève qu'entre 2000 et 2003, plus d'un million d'immigrants sont arrivés chaque année dans les Quinze anciens Etats membres, soit plus double du chiffre des années 1985-1989.

· L'écart de fécondité des femmes issues de l'immigration reste assez réduit et les immigrantes ont une fécondité moindre que dans leurs pays d'origine

Si l'immigration donne aux populations européennes un plus grand dynamisme démographique que celui qui serait sinon constaté, ce n'est pas cet écart qui peut permettre d'envisager un véritable rééquilibrage démographique de l'Europe. M. Laurent Toulemon dans son article « La fécondité des immigrées : nouvelles données, nouvelle approche », in Populations & Sociétés (n° 400, avril 2004), rappelle deux éléments clefs :

- d'une part, l'enquête de l'Etude d'histoire familiale montre que les immigrées entrées jeunes en France, avant l'âge de 13 ans, ont à peine plus d'enfants que celles nées en métropole. La différence reste intérieure à 0,4 enfant par femme en moyenne. Cela corrobore le constat suivant lequel les comportements des populations présentes sur un même territoire finissent par s'uniformiser ;

- d'autre part, si les femmes immigrées arrivent en France avec moins d'enfants que celles nées en France, et compensent leur écart, et même au-delà après leur arrivée en France, elles ont en tout état de cause un niveau de fécondité intermédiaire entre celui de leur pays d'origine, et celui de femmes nées en France.

· Le cas américain où natalité et immigration se conjuguent ne peut être, en l'état, un exemple pour l'Europe

Avec une population qui a augmenté de presque 30 millions d'habitants entre 1994 et 2003, passant de 263 à 291 millions, tant en raison d'un accroissement naturel, c'est-à-dire d'un excédent des naissances sur les décès, de l'ordre de 1,6 million par an que d'un solde migratoire du même ordre jusqu'en 1999 et de quelque 1,3 million de personnes depuis 2000, les Etats-Unis sont souvent présentés comme un modèle. Il est vrai que l'on y constate une concomitance entre une forte immigration et un nombre élevé de naissances. L'indice conjoncturel de fécondité est entre 2 et 2,1 selon les années (2,03 en 2001). Cependant, la décomposition de la fécondité entre les différentes populations, montre une forte différence entre les américaines non hispaniques d'origine blanche, avec 1,8, les afro-américaines avec 2,2 et les hispaniques avec 3 enfants au cours de leurs vie. Porteuses de fortes tensions contraires à l'esprit de cohésion, ces divergences de type communautaire sont préoccupantes, à long terme.

b) Le monde évolue autour de l'Europe, plus de la moitié de la population vivant désormais dans un pays où la fécondité est basse

Dans les années 1950, seuls l'Autriche, le Luxembourg et deux Etats baltes alors intégrés dans l'URSS, la Lettonie et l'Estonie, avaient un taux de fécondité inférieur au seuil de 2,1 enfants par femmes. Le baby boom ayant influé, les deux premiers sont passés au-dessus de ce seuil dans les années 1960, mais sont ensuite repassés en dessous dans le vaste mouvement de déclin de la fécondité évoqué. Les deux autres ont temporairement franchi ce même seuil plus tard. Ce qui faisait ainsi exception il y a presque deux générations tend à se généraliser. Ainsi, les travaux des Nations Unies montrent une chute rapide de la fécondité selon les grandes régions du monde.

Evolution de la fécondité par grandes régions

Indice spécifique de fécondité (nombre d'enfants par femme)

 

1950-1955

2000-2005

Afrique

6,6

5,2

Amérique du Nord

5,5

2,0

Amérique latine

5,9

2,7

Asie

5,9

2,6

Europe

2,6

1,4

Océanie

3,8

2,4

Monde

5

2,7

Source : Nations Unies, World population Prospects, in La Population mondiale, Jean-Louis Mathieu (2004).

D'une manière plus précise, MM. Chris Wilson et Gilles Pison relèvent dans Population & Sociétés (n° 405, octobre 2004), « la majorité de l'humanité vit dans un pays dont la fécondité est basse ».

C'est en 2003 que les pays où la fécondité est inférieure au seuil de 2,1 enfants par femme, ont pour la première fois représenté plus de la moitié de la population mondiale. Toutefois, la Chine et l'Inde qui représentent respectivement 21 % et 17 % du total, n'ont pas été traitées chacune comme un seul Etat, mais province par province pour tenir compte de leur diversité.

Le deux auteurs remarquent que l'essentiel de la Chine est au dessous de ce niveau, seules quelques provinces de l'intérieur telles que le Tibet, le Yunnan et le Guizhou faisant exception. C'est également le cas de trois Etats du Sud de l'Inde (le Kérala, le Tamil Nadu et l'Andra Pradesh) qui sont sous le seuil de renouvellement, ainsi que parmi les pays en développement, le Brésil (2,01 enfants), la Thaïlande (1,91), et la Tunisie (1,90).

En Afrique du Nord, la fécondité recule en raison d'un recul de l'âge du mariage, passé de 15 à 28 ans, en trente ans, selon les informations communiquées à la rapporteure.

A terme, la généralisation progressive de la famille au nombre d'enfants réduit ne fait guère de doute, et il serait illusoire de penser que les larges excédents des uns pourront indéfiniment, et à long terme, compenser les déficits des autres.

c) Le Japon, la Russie et sutout la Chine, sont dans des logiques de déclin démographique

· Le Japon : des problèmes similaires à ceux de l'Europe, mais d'une plus grande ampleur

L'évolution de la population du Japon est similaire à celle de l'Europe, mais présente deux différences significatives avec l'Europe.

La première est que le Japon a connu un freinage très rapide et très significatif de sa démographie au début des années 1950, sous l'effet des lois établies pendant la période de l'occupation américaine. Entre 1900 et 1950, la population avait presque doublée : 44 millions en 1900, 84 millions en 1950. Elle n'a ensuite atteint 127 millions qu'en 2000.

L'indice synthétique de fécondité qui était encore de 3,65 enfants par femmes en 1950 est passé durablement sous le seuil de 2,1 en 1957 et y est resté, à l'exception d'un léger dépassement dans les années 1967 à 1973. Il a ensuite connu une évolution similaire à celle des Etats européens. Il était de 1,36 en 2000.

Source : INED

Selon les projections de la Banque mondiale citée dans « Santé et économie en Europe », de Mme Béatrice Majnoni d'Intignano (PUF), la part des plus de 60 ans devait passer de 20 % en 1995 à 31 % en 2015 et à 35 % en 2035, soit des niveaux comparables à l'Allemagne et à l'Italie et par conséquent supérieurs à la moyenne européenne.

Les projections réalisées en 2002 par les Nations Unies, mentionnées par la Commission européenne dans le Livre vert, conduisent à envisager que le poids des plus de 65 ans ferait plus que doubler. Il passerait de quelque 15 % en 2000, soit un niveau comparable à celui de l'Union, à plus de 35 % en 2050, soit un niveau supérieur, de plus de 5 points, à celui de l'Union, en moyenne. Le même écart se constate pour les plus de 80 ans, dont la proportion, inférieure à 5 % en 2000 au Japon comme en Europe, passerait à quelque 15 % vers 2040 au Japon, alors qu'elle dépasserait un peu 10 % en Europe. La Commission constate corrélativement que la proportion des moins de 25 ans serait au Japon inférieure à celle de l'Europe, sur ces mêmes périodes.

Le taux de dépendance, c'est-à-dire de rapport entre le nombre de personnes ayant de 65 ans et celui des 15-64 ans, passerait de quelque 25 % en 2000 à plus de 50 % en 2050. Il était 10 % en 1970.

· La Russie : une régression démographique

La Russie est depuis plus de dix ans un Etat en dépeuplement. Alors qu'elle comptait presque 148 millions d'habitants en 1994, elle n'en comprenait plus que 144,5 en 2004 et 143 au milieu de l'année 2005, selon les données publiées par l'INED. Les projections publiées par ce même organisme font état d'une population réduite à 130 millions d'habitants en 2025. Les facteurs à l'origine d'une telle évolution sont de deux ordres. D'une part, l'excédent des décès sur les naissances est d'environ 800 000 personnes par an. Le taux de fécondité est très faible, même s'il a un peu remonté à raison de 1,32 enfant par femme en 2004 contre 1,17 en 1999. C'est le résultat de la chute du niveau de vie et de la grande incertitude sur l'avenir après la chute du régime communiste. La mortalité y est en revanche élevée, à raison de 16,4 pour mille. L'espérance de vie y est plus faible qu'en Europe occidentale, de plus de dix ans pour les femmes (71,9 ans en 2002) et de près de 18 ans pour les hommes à raison de 58,8 ans en 2002. Par rapport au maximum de 66 ans en 1988, la régression est forte. C'est le résultat d'une très grande dégradation de la situation sociale et sanitaire, avec l'alcoolisme, les suicides et la réapparition d'affections telles que la tuberculose et la diphtérie en raison de l'effondrement du système de santé publique. D'autre part, le solde migratoire russe, encore positif en raison des retours des anciennes républiques soviétiques, tend à se réduire. Les russes émigrent à l'ouest.

Une Russie qui se vide laisse certes un espace aux abords de d'une Chine surpeuplée, mais cette dernière connaît également une crise démographique d'une ampleur et d'une brutalité sans précédent.

· La Chine : des difficultés d'une ampleur inégalée en raison de l'extrême rapidité (18 ans seulement) de durée de la transition d'une population adulte à une population âgée

En ce qui concerne la Chine, un rapport a récemment été établi par un Think Tank américain sous le titre The Graying of the Middle Kingdom (L'Empire du Milieu grisonne), par MM. Richard Jackson et Neil Howe (Center for Strategic and international Studies - Washington). Il fait le bilan de la politique de l'enfant unique mise en place sous l'impulsion de Deng Xiao Ping en 1979.

En 2030, la Chine ne devrait plus être le pays le plus peuplé, ayant cédé la première place à l'Inde, et sa population devrait commercer à baisser. Le ratio entre les retraités et les actifs, qui est actuellement de 1 à 6, se réduirait à 1 pour 2, voire moins dans les grandes métropoles industrielles. En 2050, la moitié des chinois auraient 45 ans ou plus. Le nombre des plus de soixante ans devrait atteindre 397 millions de personnes en 2040 et celui des plus de 80 ans, 100 millions de personnes. La baisse de la croissance résultant de ce vieillissement progressif est estimée à 1 %. Répondant à la question sur l'évènement qui devrait se produire le premier, il apparaît que la Chine sera âgée avant d'être riche.

Une telle situation n'est pas sans poser de problèmes pour les autres pays, notamment les Etats-Unis. Ceux-ci sont d'une ampleur accrue étant donnée la rapidité de passage d'une population adulte à une population âgée. La Chine parcourt en 18 ans une transition qui a duré 115 ans en France, 60 ans au Etats-Unis et 45 ans au Royaume-Uni. D'une part, elle impose à la Chine de mettre en place un système de retraite, puisque moins de 20 % des 700 millions d'actifs bénéficient actuellement d'un tel mécanisme. D'autre part, le report de 60 ans à 65 ans de l'âge de la retraite, devrait également intervenir. Il est prévu à terme, même si pour l'instant des mises à la retraite interviennent dès 45 ans pour les industries de l'Etat. Enfin, la situation financière de la Chine, qui investit actuellement son importante épargne en raison de la prévoyance de ses foyers, devrait changer. L'un des principaux modes de financement de l'actuel déficit courant des paiements américains devrait se tarir.

Le problème d'une correction des déséquilibres démographiques chinois est d'autant plus difficile à régler que l'on constate un important déséquilibre entre les hommes et les femmes à la naissance à raison de 118 hommes pour 100 femmes, contre 105 habituellement, et que toute politique visant à permettre aux foyers d'avoirs deux enfants devrait provoquer le dépassement du plafond de 1,6 milliard d'habitants actuellement fixé par le Gouvernement.

La Chine risque donc d'avoir grand besoin du reste du monde pour organiser son économie qui sera petit à petit réorientée vers le secteur de la santé, lié au vieillissement de la population.

II. L'UNION EUROPÉENNE DOIT DONC ASSURER SON AVENIR PAR UNE CONVERGENCE VERS LE HAUT DE LA FÉCONDITÉ DE SES ETATS MEMBRES AUTOUR D'UN MODÈLE DE LIBRE CHOIX DÉMOGRAPHIQUE, COMPLÉTÉ PAR UN RECENTRAGE DE LA SOLIDARITÉ ENVERS LES RETRAITÉS

S'agissant des questions de démographie, il est clair qu'une coordination entre les Etats membres s'impose. Le risque d'effondrement démographique d'un grand nombre d'Etats membres concerne également les autres Etats.

Au-delà des objectifs reconnus à l'Europe en matière d'emploi, de santé et de protection sociale, ainsi que de respect de la parité entre les hommes et les femmes, ce sont donc autant d'éléments qui légitiment d'éventuelles actions communes, dans le respect naturellement de la subsidiarité.

Naturellement, les éléments techniques ne peuvent jouer qu'au-delà des éléments humains essentiels, qui commandent le désir d'enfants et qui relèvent d'une conception très globale de l'intégration des jeunes dans la société.

A. L'Union européenne doit prévoir à brève échéance le cadre d'une coordination souple permettant aux foyers de chacun des Etats membres d'avoir le nombre d'enfants qu'ils désirent

1) Le phénomène d'inertie démographique impose d'engager rapidement des actions pour assurer à long terme l'avenir de l'Europe

L'Europe est dans une situation difficile depuis 2000, année où son inertie démographique est devenue négative. Cette conclusion de l'étude intitulée Demographic : Enhanced : Europe's population at a turning point, publiée le 28 mars 2003 dans la revue Science et menée sous la direction de M. Wolfgang Lutz, de l'Institut démographique de Vienne (Autriche), impose une action rapide, car une inertie négative en matière démographique implique que même si la fécondité remonte, la tendance au déclin se prolongera en raison de la diminution du nombre de femmes en âge de procréer. Plus la fécondité restera durablement basse, plus les risques de déclin de l'Europe à long terme seront importants.

2) Des mesures peuvent efficacement intervenir puisque la faiblesse actuelle de la fertilité n'est pas le résultat d'un refus de l'enfant, mais d'un retard croissant de l'âge fécond

a) Le nombre d'enfants déclarés désirés dans les enquêtes reste supérieur au nombre d'enfants qui naissent effectivement

Au niveau communautaire, l'écart entre le nombre d'enfants désirés et le nombre d'enfants qui naissent dans les foyers a été mentionné dès 2004 parmi les éléments significatifs à prendre en compte dans toute étude démographique, par le Rapport du Groupe de haut niveau sur l'avenir de la politique sociale dans l'Europe élargie.

Il est actuellement de 0,8 enfant par foyer, à raison de 2,3 enfants contre 1,5. On observe des différences entre les pays, à raison d'un écart de 0,5 en Grèce, en Italie et en Espagne, de 0,7 en Finlande, en Suède, en Belgique, en France, en Allemagne et en Irlande, et de 0,8 au Danemark et au Royaume-Uni. S'agissant de la France, les intentions de fécondité ont fait l'objet d'une étude récente de M. Laurent Toulemon et Mme Rita Testa, Fécondité envisagée, fécondité réalisée : un lien complexe (Population & Sociétés, n° 415, septembre 2005). Celle-ci, réalisée sur cinq ans, relativise à juste titre la valeur des intentions déclarées d'enfants, qui ne permettent pas de prévoir avec fiabilité la fécondité effective des personnes interrogées. 41 % des souhaits fermes d'enfants ne se concrétisent pas dans les cinq ans. A contrario cependant, les 58 % d'hésitants ont donné naissance à 45 % des enfants nés.

Ce constat global d'un écart entre le nombre d'enfants désirés et le nombre d'enfants présents est corroboré par une étude réalisée par MM. Werner Holzer et Rainer Münz, sur Le désir d'avoir des enfants en Autriche. Il en ressort qu'en 1993 plus de la moitié (56 %) des Autrichiens, femmes et hommes, âgés de 20 à 39 ans désiraient avoir à l'avenir au moins un enfant ou un enfant de plus. Seule une petite minorité (8 %) pensait rester sans enfant. Plus de la moitié (52 %) souhaitait deux enfants. 24 % désirait élever trois à quatre enfants (24 %). 15 % ne désirait avoir qu'un seul enfant. Le nombre moyen d'enfants désirés de 1,99 se situait toutefois nettement au-dessus du niveau constaté, de 1,44 enfant par femme, en1994.

b) Le recul de l'âge de maternité apparaît comme un facteur important de la baisse de la fécondité

Les effets de calendrier permettent de comprendre une large part de la baisse de la fécondité européenne. Les naissances interviennent toujours en Europe en nombre dans la plupart des foyers, mais elles interviennent plus tard.

Le premier constat est celui d'une augmentation de l'âge moyen de la maternité. Actuellement, la naissance intervient en moyenne en Europe, selon Eurostat, à plus de 29,2 ans (année 2002) pour l'ensemble des 25 Etats membres de l'Union européenne. Cet âge s'accroît encore, étant passé pour les quinze anciens Etats membres de l'Union, de 28,46 ans en 1992 à 29,50 en 2003. S'agissant de la France, les données disponibles en longue période permettent de situer la début de ce recul de l'âge auquel les mères ont leurs enfants à 1977. Comme le rappelle l'étude de M. Gilles Pison La population de la France en 2002 (Population & sociétés, n° 388, mars 2003), cet âge a d'abord connu une forte régression après la Seconde guerre mondiale, passant de 28 ans en 1975 à 26,5 ans en 1977. Après ce minimum, le niveau d'après-guerre a été atteint à la fin des années 1980, puis dépassé depuis.

L'âge moyen de la maternité est maintenant de 29,5 ans en France, soit un peu moins de trente ans. On y observe corrélativement, selon les données de l'INSEE, une augmentation importante des grossesses au-dessus de 40 ans. Elles représentaient 8,07 % des maternités en 1980, et 16,68 % en 2001. Toutefois, comme l'a observé, dans sa communication présentée lors de la XXVe Conférence internationale sur la population, organisée par l'Union internationale des études scientifiques sur la population, à Tours, en juillet 2005, M. Daniel Devolder, du Centre d'études démographiques de l'Université de Barcelone, le rythme du déplacement de la fécondité sur les générations plus âgées se ralentit.

Ce décalage de l'âge moyen à la maternité est, naturellement, dû à l'accroissement de l'âge de la première maternité, lequel décale ensuite les maternités suivantes. Les travaux de M. Daniel Devolder ont mis en évidence que dans la plupart des pays d'Europe, l'âge du premier enfant a d'abord diminué, pour les générations nées entre 1930 et 1940, avant d'augmenter ensuite, assez rapidement. S'agissant de la dernière génération pour laquelle le constat est possible, l'écart atteint et dépasse les trois ans dans beaucoup de pays. En France, l'âge moyen de la première maternité est passé de 26,6 ans en 1975 à presque 28 ans actuellement, comme l'observent Mme Evelyne Sullerot et M. Michel Godet dans le Conseil d'analyse économique, La famille une affaire publique (juin 2005). En Suède, l'âge moyen du premier enfant est passé de 24 ans en 1970 à 28 ans actuellement pour les mères, et de 26 ans à 31 ans pour les pères.

Ce constat est cohérent avec ce qu'a observé le rapporteur du Conseil économique et social, M. Jean Billet, dans le rapport de 2004 intitulé « Rééquilibrer les structures d'âge en France : natalité, fécondité, quelle politique de long terme ? », la fécondité planifiée a progressé, passant de 80 % des naissances dans les années 1960 à 90 % dans les années 1990. La contraception n'interdit pas aux femmes d'avoir des enfants. Elle leur permet de les avoir quand elles estiment que les circonstances s'y prêtent mieux, c'est-à-dire, en l'état, plus tard.

L'une des conséquences de ces stratégies est d'ailleurs une accentuation de la tendance à la concentration de la taille des familles sur deux enfants, ce qui rappelle l'importance du nombre d'enfants de rang trois pour atteindre le seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme. Selon Eurostat, seules 24 % des mères allemandes ont trois enfants ou plus contre 35 % pour les Françaises.

D ans un article déjà ancien, de 1996, La parenthèse du baby boom (INSEE Première n° 479), Mme Fabienne Daguet précisait :

« Plus que le niveau moyen de la fécondité, c'est la composition des familles qui a profondément changé au cours du XX e siècle. La proportion de couples sans enfant a baissé : 15 % des femmes nées en 1925-1929 sont restées sans descendance et 10 % seulement de celles nées en 1940-1944. Cependant, une légère remontée se dessine pour les générations récentes. La norme de deux enfants s'est répandue : elle a été observée par 28 % des mères nées en 1925-1929 et par 38 % de celles nées en 1940-1944. Cet accroissement s'est effectué au détriment des familles nombreuses, tandis que la part des mères d'enfant unique se maintenait à 21 % ».

Près de dix ans après, ce constat reste le même.

Les effets de calendrier sont également avancés pour l'explication de l'augmentation de l'infécondité, notamment en Allemagne.

Une grande part de la baisse de la fécondité de l'Allemagne s'explique par la forte proportion du nombre de femmes, et d'hommes également, restant sans enfant. Tel est le résultat des travaux de M. Christian Schmitt, du Deutsche Institut für Wirtschaft de Berlin, présentés lors d'un séminaire sur l'infécondité en Allemagne et en France, organisé par l'Ambassade de France, le 13 décembre 2005. En effet, 22 % des femmes allemandes restent sans enfant contre 8 % en France.

Pour la génération née en 1960, ce taux est même de 26 %. Il est beaucoup plus élevé que dans le reste de l'Europe, comme l'indique le graphique suivant :

Femmes sans enfants, nées en 1960 (en %)

Source : Ministère allemand de la famille.

L'infécondité des Allemandes, dont une part importante reste sans enfant, semble due des reculs successifs en raison des circonstances de la vie, d'une maternité qui n'est pas refusée. D'une part, les études se terminent en Allemagne plus tard. D'autre part, la nécessité pour celles qui travaillent de s'insérer dans le monde du travail, dans un pays où les structures collectives de garde d'enfant sont insuffisantes, favorise ces reculs jusqu'à ce que l'âge fécond soit le cas échéant, dépassé. Comme le rappelle, pour la France, mais d'une manière générale, le rapport du Haut Conseil de la Population et de la famille « Avoir un enfant de plus en plus tard : ce choix n'est pas sans risque » (avril 2005), le premier de ces risques est « pour avoir trop attendu, de ne jamais avoir d'enfant ».

c) La descendance finale reste donc supérieure à l'indice de fécondité, même si le renouvellement des générations n'est pas assuré dans de nombreux Etats d'Europe avec 1,8 enfant par foyer au total

Dès le début des années 1990 alors que de nombreux démographes, notamment Gérard Calot, directeur de l'INED, donnaient l'alerte sur la nécessité d'un programme démographique, M. Hervé Le Bras, assurait qu'au contraire le renouvellement était assuré puisque la descendance finale, c'est-à-dire le nombre total d'enfants pour chaque foyer une fois l'âge de fertilité dépassé, était en France de l'ordre de ce seuil. On constate effectivement que pour la France la descendance finale des femmes nées au début des années 1960 est proche du seuil de renouvellement. Pour les dernières générations pour lesquelles il est possible de calculer cet indice, les femmes nées en 1961 ont ainsi eu en moyenne 2,1 enfants, et celles nées peu après, dont quelques unes auront d'ailleurs encore des enfants, sont proches de seuil, à raison de 2,08 pour les femmes nées en 1962, 2,06 pour celles nées en 1963 et 2,04 pour celles nées en 1964. Néanmoins, le pronostic d'Hervé Le Bras ne vaut pas pour le reste de l'Europe, où la descendance finale est inférieure au seuil de renouvellement dans la plupart des Etats européens. Elle est en moyenne de 1,8 enfant par femme, comme l'indique le tableau suivant.

Descendance finale par génération
dans l'Union européenne

 

1961

1962

1963

1964

UE 25

:

1,82

1,80

1,77

UE 15

1,81

1,78

1,76

1,74

Zone euro

:

:

:

:

Belgique

1,85

1,82

1,81

1,79

République tchèque

2,01

1,99

1,96

1,94

Danemark

1,91

1,92

1,92

1,93

Allemagne

1,63

1,60

1,57

1,54

Estonie

1,98

1,94

1,91

1,90

Grèce

1,88

1,81

1,78

1,76

Espagne

1,71

1,65

1,65

1,64

France

2,10

2,08

2,06

2,04

Irlande

2,35

2,30

2,27

2,23

Italie

1,63

1,60

1,57

1,52

Chypre

2,43

2,46

2,50

2,53

Lettonie

1,92

1,88

1,83

1,78

Lituanie

1,83

1,78

1,74

1,73

Luxembourg

1,77

1,80

1,82

1,82

Hongrie

2,03

2,02

2,00

1,98

Malte

2,08

2,07

2,06

2,03

Pays-Bas

1,84

1,82

1,81

1,79

Autriche

1,68

1,67

1,66

1,65

Pologne

2,14

2,11

2,07

2,03

Portugal

1,87

1,86

1,84

1,82

Slovénie

1,85

1,84

1,81

1,79

Slovaquie

2,17

2,14

2,11

2,07

Finlande

1,95

1,94

1,94

1,93

Suède

2,03

2,02

2,02

2,00

Royaume-Uni

1,95

1,93

1,91

1,90


Il s'agit du nombre moyen d'enfants nés de femmes d'une génération donnée à la fin de leurs années de fécondité. Ce chiffre est calculé en ajoutant les taux de fécondité par âge de la mère observés pendant plusieurs années, jusqu'à ce que la cohorte ait atteint l'âge en question (en général, on ne tient compte que des années comprises entre 15 et 49 ans). En pratique, les taux de fécondité des femmes plus âgées peuvent être estimés à l'aide des taux observés chez les générations précédentes, sans attendre que la cohorte ait atteint la fin de la période de reproduction.

Source : Eurostat.

Par ailleurs, ce pronostic néglige le fait que même dans les Etats membres où les foyers ont en définitive une descendance finale suffisante, le retard est maintenant tel qu'une génération de cohortes moins nombreuses aura, de toute évidence, même si sa fertilité remonte, moins d'enfant que si elle avait été plus nombreuse. Un important effet de « classes creuses », plus long que les déficits des naissances dus traditionnellement aux guerres, est donc irréversible.

3) L'exemple des pays dont la fécondité est parmi la plus élevée en Europe, comme la France et la Suède, permet d'identifier les contours d'une intervention publique efficace, conçue autour des besoins de l'enfant et du libre choix des femmes

a) L'effort public en faveur des familles a en Europe des résultats très inégaux qui révèlent l'exigence d'une adaptation

Dans leur rapport intitulé La famille, une affaire publique, présenté dans le cadre des travaux du Conseil d'analyse économique en juin 2005, Mme Evelyne Sullerot et M. Michel Godet observent qu'au sein des pays de l'OCDE, la France apparaît faire un important effort en faveur de familles, à raison de 3 % du PIB contre 2 % en moyenne.

S'agissant de l'Europe, ce résultat est corroboré par l'étude sur les dépenses publiques en faveur des familles, dont le champ est un peu différent de celui de l'OCDE, réalisée par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de l'emploi et de la solidarité pour l'ensemble des 15 anciens Etats membres, Les transferts sociaux en faveur des familles : une évaluation macroéconomique(3), (Etudes et résultats, n° 408, juin 2005), dont les auteurs sont M. Pierre Courtioux, Mmes Nadine Laïb et Sylvie Le Minez, ainsi que M. Benoît Mirouse.

La France se trouve dans une position médiane en Europe, avec un effort de 2,7 % du PIB en 2001 pour les dépenses sociales en faveur des familles. Au niveau supérieur, on trouve le Danemark (3,8 %), la Finlande (3 %) et la Suède (2,9 %), ainsi que le Luxembourg (3,4 %). L'Allemagne et l'Autriche sont un peu en retrait, avec respectivement 3 % et 2,9 %. La Belgique, avec quelque 2,4 %, se trouve dans une position intermédiaire.

Les Etats où l'effort est le plus restreint sont, d'une part, l'Irlande, le Royaume-Uni et la Grèce (1,8 %) et, d'autre part, le Portugal (un peu plus de 1 %), ainsi que l'Italie (1 %) et l'Espagne (0,5 %).

Le grand paradoxe est que cet effort, qui ne recouvre cependant pas l'ensemble des dépenses en faveur de l'enfant, semble avoir une influence très inégale selon le pays considéré.

Dans son édition datée du 30 janvier 2006, le magazine allemand Der Spiegel a d'ailleurs mise en évidence cette discordance par un tableau reproduit ci-après.

Dépenses publiques en faveur des familles
en pourcentage du PIB

 

Prestations en nature

Prestations en espèces

Nombre d'enfants

par femme

Danemark

2,23

1,54

1,8

Suède

1,68

1,63

1,7

Finlande

1,44

1,92

1,8

Norvège

1,38

2,23

1,8

France

1,23

1,46

1,9

Autriche

1,11

1,92

1,4

Allemagne

0,80

1,93

1,3

Grande-Bretagne

0,49

1,73

1,6

Pays-Bans

0,40

0,81

1,8

Italie

0,30

0,58

1,3

Source : OCDE - Banque mondiale.

L'écart entre la France et l'Allemagne en terme de fécondité est en effet important (1,90 et 1,37 en 2004, respectivement), en dépit d'un effort voisin, dans l'ensemble.

L'étude sur les tendances et les déterminants du taux de fécondité dans les pays membres de l'OCDE : le rôle des politiques (novembre 2005), qui consacre un paragraphe aux effets simulés des différents instruments de la politique familiale selon les Etats, confirme ce sentiment d'une moindre adaptation de certaines politiques aux besoins de parents, car il est des pays où des mesures précises ne sont pas efficaces, alors qu'elles le sont ailleurs.

Les mesures étudiées sont les aides en espèces aux foyers, l'augmentation du congé parental, l'accroissement des structures d'accueil et l'augmentation du temps partiel.

Comme l'indique le graphique suivant, c'est en Espagne et en Allemagne que l'efficacité de chacune d'entre elles est moindre.

Impact potentiel des mesures politiques familiales sur la fertilité

Source : Etabli d'après les données de l'OCDE.

b) L'analyse des différents Etats européens, ainsi que des Etats-Unis, permet d'identifier les conditions de l'emploi féminin comme l'un des éléments clefs d'une natalité plus élevée, dans le respect du libre choix des foyers

Une explication convaincante de l'évolution de la natalité dans les pays développés a été avancée par Mme Béatrice Majnoni d'Intignano, professeur des Universités à Paris XII-Val de Marne et membre du Conseil d'analyse économique depuis 1997, et synthétisée dans la note diffusée par l'Institut de l'entreprise en janvier 2002, L'Iceberg féminin. L'objectif est d'éclaircir le paradoxe de l'activité féminine, suivant lequel « les pays dont les femmes sont les plus actives semblent avoir plus d'enfants », alors que « les femmes ayant plus d'enfants sont souvent moins actives ».

Partant du constat que l'emploi se concentre, surtout en France en raison d'un faible taux d'activité après 50 ans, pendant l'âge de la maternité, naissance et enfance, entre 25 et 55 ans, ce sont les conditions dans lesquelles les femmes peuvent et doivent opérer l'arbitrage entre l'emploi et le travail, qui influent sur la natalité :

- dans les sociétés traditionnelles, la femme se spécialise dans les travaux domestiques ou les soins à la famille. La fécondité est élevée ;

- le développement de l'emploi des femmes les place ensuite, dans une phase ultérieure du développement économique dans une situation de dilemme entre le travail et la famille. Par conséquent, la natalité baisse. On constate au demeurant l'échec des politiques qui contraignent la femme à renoncer soit au travail, soit à la maternité ;

- dans une phase ultérieure, dans laquelle se situent les pays européens à la plus forte natalité, France et pays scandinaves notamment, la fécondité se maintient ou remonte grâce aux mesures qui permettent de concilier la vie professionnelle et la vie familiale.

La chute, jusqu'à 1,55 enfant par femme, du taux de fécondité de la Suède dans les années 1990, au moment où de fortes restrictions budgétaires ont conduit à remettre en cause certains éléments de sa politique familiale et sa remontée après, permet de mesurer l'effet concret des dispositifs correspondants.

Mme Majnoni d'Intignano a donc dressé une typologie qui distingue quatre modèles.

Le premier d'entre eux est le modèle scandinave, directement inspiré de thèses exposé par les économistes Alva et Günnar Myrdal, en 1934, dans leur ouvrage : « La crise de la population ».

Il repose sur l'égalité des sexes, dans le cadre du droit du travail, et un système de protection sociale fondé sur des allocations familiales indépendantes du revenu, les crèches et le congé parental.

L'enfant est perçu comme un investissement pour la vie sociale future. Le coût de la famille est donc en partie pris en charge par l'Etat.


La politique familiale en Suède

Comme il l'a été présenté à la rapporteure lors de sa mission à Stockholm, la politique familiale suédoise est fondée sur les principes d'universalité, d'égalité des genres et de prise en compte de l'intérêt de l'enfant, dans la perspective d'ailleurs de la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant.

Elle repose sur le versement d'allocations, l'assurance parentale et un réseau d'équipement d'accueil des enfants. Sur le plan financier, elle vise à réduire les différences entre les familles avec enfants et les familles sans enfant, à rendre compatibles les responsabilités familiales et la vie professionnelle ainsi qu'à donner un soutien aux familles en situation difficile. L'essentiel de l'effort financier en faveur des familles concerne l'assurance parentale (43 % du total). Viennent ensuite les allocations familiales (35 %), les pensions (7 %), l'allocation logement (6 % du total) les allocations de soins pour les enfants handicapés (4 %) du total et l'avance sur pension alimentaire (3 %)

Les allocations familiales sont servies aux enfants de moins de 16 ans( 20 ans pour ceux qui poursuivent des études). Leur montant est de 1.050 couronnes par mois (environ 110 euros). Des majorations sont versées à partir du 2ème enfant (depuis 2005, car c'était auparavant à partir du 3e enfant).

L'allocation logement, versée aux familles avec enfants, dépend du revenu, du nombre d'enfants et du coût du logement. L'avance sur pension alimentaire est versée sur la base de 1.173 couronnes (120 €) par enfant et par mois, en cas de séparation des parents. Il s'agit d'une garantie de l'Etat, car le débiteur de la pension est tenu de rembourser l'Etat.


L'assurance parentale comprend en Suède trois branches : l'assurance maternité ; le congé parental ; le congé temporaire pour enfant malade de moins de 12 ans. Sur le plan financier, elle repose sur le principe de versements égaux à 80 % du salaire, avec cependant un plafonnement à 648 couronnes par jour (64 euros).

Le congé parental est la mesure la plus intéressante. Les parents ont droit à 480 jours de congés (15 mois), qui leur permettent de s'absenter de leur travail jusqu'au huitième anniversaire de l'enfant. Ils peuvent le fractionner sous forme de demi-journée ou même sous forme de tranches horaires plus courtes. Les 390 premiers jours sont indemnisés sur la base de 80 % du salaire. Les parents qui ont un revenu peu élevé ou pas de revenu du tout ont un minimum de 180 couronnes (18 euros environ) par jour. Les 90 derniers jours donnent droit à une garantie forfaitaire de 60 couronnes (environ 6 euros), par jour. Le père et la mère ont chacun un quota qui leur est propre de 60 jours et se répartissent entre eux les 360 jours restants. L'objectif est de favoriser la participation des pères à l'éducation des enfants. Il est actuellement envisagé de porter à un tiers des 15 mois le quota du père, le quota de la mère étant également d'un tiers et le reste étant librement réparti entre les parents. 18,7 % des pères font actuellement usage de leur congé parental (donnée 2004), pour une durée de 3 mois en moyenne, contre 3 % en 1974.

Le congé temporaire pour enfant malade permet, quant à lui, de s'absenter de son emploi, avec droit à une indemnisation égale à 80 % du salaire, lorsqu'un enfant de moins de 12 ans est malade. Sa durée maximale est de 120 jours. En moyenne, elle est de 7 jours par an.

Enfin, les « jours du père » ouvrent droit à 10 jours de congés indemnisés, dans les 90 jours après la naissance, aux pères. 75 % d'entre eux ont usé de cette faculté en 2003.

En ce qui concerne l'accueil des enfants, le développement intensif des structures d'accueil dans les années 1970 et 1980 n'a pas été suffisant, malgré la faculté de faire appel à des structures privées ou à des assistantes maternelles agrées. C'est en 1995 qu'a été prévue l'obligation pour les communes de mettre des places à la disposition des enfants dont les parents travaillent ou font des études. De nouvelles réformes sont intervenues de 2001 à 2003 pour étendre l'accès aux services d'accueil à des catégories qui n'en bénéficiaient pas jusque-là. Les communes ont l'obligation de fournir des places en école maternelle ou en crèche familiale aux enfants de 1 à 5 ans. Les droits d'inscription aux crèches familiales, écoles maternelles et centres périscolaires ont également été plafonnés. Les communes versent des subventions aux services d'accueil privés. La subvention équivaut au coût d'accueil d'un enfant dans une structure communale. L'âge de la scolarité obligatoire est de 7 ans en Suède, mais les enfants de 6 ans qui n'ont pas été déjà scolarisés suivent en général une classe préparatoire. Actuellement, plus de 80 % des enfants de 1 à 5 ans fréquentent l'école maternelle et les trois quarts de ceux qui ont entre 6 et 9 ans sont inscrits dans un centre périscolaire. On ne constate, semble-t-il, des manques de structures d'accueil que pour les périodes de loisirs des 10-12 ans.

Visitant les services de l'arrondissement de Maria-Gamla-Stan, de la ville de Stockholm, et la crèche de Nicolaigården, où des activités d'enseignement sont également dispensées, la rapporteure a pu examiner la grande qualité de l'organisation municipale ainsi que la disponibilité des personnels : par exemple, les horaires de fermeture, le soir, sont décidés en concertation avec les parents.

Cette politique permet d'avoir un taux élevé d'activité professionnelle des femmes : 85,5 % des femmes âgées entre 25 et 54 ans étaient actives en 2004 en Suède et seules 4,4 % étaient au chômage, contre respectivement 72,9 % et 7,9 % pour les Quinze anciens Etats membres de l'Europe.

Le second modèle est celui du dilemme que l'on peut résumer par la formule « Que sacrifier ? », constaté dans les Etats méditerranéens (Italie, Espagne, Portugal), ainsi que l'Allemagne, où les valeurs familiales, avec la force de l'image de la mère au foyer, et l'absence de soutien de l'Etat, ainsi que de l'école, obligent les femmes à faire un choix. Elles font ce choix, mais ne le font pas dans le même sens.

Le coût de la famille est donc pris en charge par elles et se traduit par du travail domestique, gratuit.


Les observations de l'Observatoire européen de l'emploi
sur le manque de structures de garde adaptées en Allemagne,
Espagne et Italie

Dans son Bilan du printemps 2004, l'Observatoire recense certaines difficultés pour la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale en Allemagne, en Italie et en Espagne, notamment.

L'Allemagne est l'un des Etats où l'écart entre le taux d'emploi des femmes avec enfants et des femmes sans enfant est le plus important : 18 points. A l'Ouest, le nombre des structures d'accueil des enfants de moins de trois ans est particulièrement faible (2,8 %), contre 36,3 % à l'Est. Pour les enfants entre 3 et 6 ans, l'obligation légale de créer les jardins d'enfants, depuis 1996, assure un taux de couverture plus satisfaisant (86,8 % à l'Ouest), mais ces structures ne sont ouvertes qu'en matinée, ce qui exclut les plein temps et rend même difficiles les temps partiels en raison des temps de trajet. A l'Est, ces structures restent ouvertes toute la journée.

En Espagne, 11 % seulement des familles ayant des enfants de moins de trois ans ont accès à des structures de garde d'enfants, alors que les enfants de 3 à 5 ans sont scolarisés dans plus de 92 % des familles concernées. Les femmes peu qualifiées pour lesquelles le coût de la garde de l'enfant reste trop élevé, restent donc, lorsqu'elles sont mères, à l'écart du marché du travail. Une allocation de 100 euros par mois (ou un abattement fiscal annuel de 1.200 euros) a été mise en place pour les femmes actives qui ont un enfant de moins de trois ans. Les soins aux personnes âgées sont par ailleurs effectués par les femmes, ce qui engendre des incompatibilités avec le travail.

S'agissant de l'Italie, le nombre de places dans les équipements préscolaires publics n'est pas satisfaisant. Seuls 6,5 % des enfants de moins de 2 ans y ont accès, et les structures privées sont trop onéreuses pour permettre à 22 % des femmes, qui restent inactives, de prendre un emploi ou de suivre des études. Les mesures prises pour encourager les crèches dans les villes, les entreprises ou les quartiers n'ont pas eu leur effet. Le congé parental, mis en place en 2000, et les mesures d'aides aux entreprises qui aménagent le temps de travail ne compensent pas la pénurie d'équipements publics.

Le troisième modèle est celui dit du « féminisme d'Etat français ».

Il se fonde sur une longue tradition de soutien à la famille et une gamme très complète d'instruments, dans le domaine fiscal et social : quotient familial, réductions d'impôt ; allocations familiales, structures d'accueil des enfants.

Il aurait pu être amélioré à la fin des années 1990, lorsque la mise en place des trente-cinq heures est intervenue. Comme l'indique Mme Majnoni d'Intignano, il a alors été décidé de faire bénéficier de l'effet des gains de productivité l'ensemble de la population active. C'était pourtant là une occasion unique de traiter la question de fond : réserver le bénéfice de cet avantage, en termes de souplesse dans l'organisation du travail, à une catégorie précise de la population qui assure l'avenir de la société, celle des mères. Celle-ci n'a malheureusement même pas été effleurée.


Les principaux éléments de la politique familiale en France

Au-delà des financements publics des structures de garde d'enfants et des établissements d'enseignement, la politique familiale repose en France sur une gamme très complète d'instruments fiscaux et sociaux.

S'agissant de l'impôt sur le revenu, sur la base de l'imposition commune des couples, qui permet d'imposer un foyer en fonction du revenu par tête, selon sa capacité contributive, le système du quotient familial permet de tenir compte de la présence d'enfants au foyer. Chaque enfant compte pour une demi-part supplémentaire, qui s'ajoute aux parts de son foyer de rattachement. Cependant, pour les foyers monoparentaux, le premier enfant compte pour deux demi-parts. A la suite d'une concentration des efforts de la politique familiale sur le troisième enfant à la fin des années 1970 (dans une société où le modèle de la famille avec deux enfants se généralise, le troisième enfant est celui qui permet à l'indice de fécondité d'atteindre le seuil de 2,1 enfants par femme), les enfants de rang trois et plus comptent pour deux demi parts. Depuis 1982, l'effet du quotient familial est plafonné. Le plafond de droit commun est de 2.159 euros en 2006. Les deux demi-parts du premier enfant d'un foyer monoparental relèvent d'un plafond spécifique de 3.736 euros.

Par ailleurs, deux réductions d'impôt doivent être mentionnées : celle sur l'emploi d'un salarié à domicile, au taux de 50 % des dépenses engagées dans la limite d'un plafond de 12.000 euros à partir de l'imposition en 2006 des revenus de 2005, et avec une majoration de 1.500 euros par enfant à charge (ou par personne de plus de 65 ans) ; celle sur les frais de garde des enfants de moins de 7 ans à l'extérieur du domicile, à hauteur de 25 % des sommes dépensées prises en compte dans la limite de 2.300 euros par enfant.

Pour leur part, les entreprises bénéficient d'un crédit d'impôt de 25 % des sommes engagées depuis le 1er janvier 2004 en faveur de leurs salariés ayant des enfants à charge, dans la limite de 500.000 euros par an et par entreprise.

En ce qui concerne les prestations familiales, les allocations familiales sont versées, sans condition de ressources, aux familles qui ont deux enfants ou plus, selon le barème suivant (2 enfants : 117,72 euros ; 3 enfants : 268,55 euros ; 4 enfants 419,37 euros ; 5 enfants : 570,20 euros ; puis par enfant supplémentaire : 150,83 euros), jusqu'à 18 ans ou 20 ans en cas d'études. Une majoration est prévue pour les enfants de 11 ans et plus.

En complément, plusieurs prestations sous condition de ressources peuvent être versées, notamment : l'allocation de rentrée scolaire (263,35 euros par enfant) ; la prestation d'accueil au jeune enfant (PAJE), mise en place après le 1er janvier 2004 en remplacement pour les nouveaux nés d'anciennes allocations, se décomposant en une prime à la naissance ou à l'adoption, une allocation de base, un complément de libre choix d'activité ; l'allocation de parent isolé, qui dépend du nombre d'enfants et peut-être majorée selon le logement.

Le dernier modèle est le modèle anglo-saxon, où selon les termes de Mme Majnoni d'Intignano, les femmes se situent entre « productivisme et trappe à pauvreté ».

Pour le Royaume-Uni, la rareté des crèches, l'instauration du droit au congé de maternité de 14 semaines uniquement après l'intervention d'une directive communautaire, ne facilite guère le travail des femmes. Les anglaises qualifiées optent plutôt pour le travail à temps partiel, dans un cadre peu propice à l'égalité des sexes. Celles qui sont les moins qualifiées se réfugient dans l'aide aux plus démunis. Par ailleurs, le régime des prestations familiales prévoit, dans certaines circonstances, le versement d'allocations de parent isolé.

Aux Etats-Unis, les femmes qualifiées sacrifient leur droit à avoir des enfants. Les non qualifiées, leur droit au travail. Une grande partie des mères, dans la pauvreté, vit des aides publiques minimales.

4) Les taux de fécondité devraient donc spontanément remonter dès lors que, sous la coordination de l'Union, l'ensemble des Etats membres auront mis en œuvre des politiques conformes aux valeurs de parité, de libre choix démographique et de conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale

a) Les politiques familiales doivent donc être modernisées et converger vers un modèle européen, où l'enfant est perçu comme un investissement de la société

L'effet des politiques publiques sur la fécondité est particulièrement complexe. Celle-ci résulte, en effet, de comportements individuels et familiaux dont les composantes sont particulièrement nombreuses et en définitive mal connues, ainsi que la manière dont on anticipe l'avenir comme le rappelle l'exemple de l'ancienne RDA, où l'indice de fécondité a fortement chuté, jusqu'à 0,8 enfant par femme dans les années qui ont suivi la « chute du mur de Berlin ». Nul ne peut donc être certain des effets d'une politique familiale.

Même si aucun Etat membre ne peut prétendre servir de modèle absolu aux autres Etats membres, car aucun n'atteint le seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme s'agissant de l'indice conjoncturel, les exemples suédois et français permettent de bien déceler les trois orientations qu'il appartient aux Gouvernements européens de mettre en œuvre d'une manière coordonnée pour créer les conditions mais d'une amélioration spontanée de la démographie européenne.

Il convient donc d'agir par infléchissements et corrections des situations actuelles, de préférence.

Il va sans dire que ces politiques exigent des moyens financiers, peut-être même au-delà de ce que permettra dans tel ou tel pays la restructuration de l'effort déjà en cours.

Néanmoins, comme l'a rappelé Michel Louis Lévy, directeur de l'INED, dans l'éloge qu'il a prononcé peu après sa mort, Alfred Sauvy estimait qu'il était erroné de ne pas considérer les dépenses consacrées aux enfants, qu'il s'agisse de celles engagées par les parents, ou de celles prises en charge par l'Etat au titre de l'éducation nationale par exemple, comme des investissements.

Le premier pilier d'une politique européenne est indéniablement la création des conditions d'une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, en levant les actuels obstacles. Celle-ci exige que les femmes n'aient pas à choisir entre l'activité professionnelle et l'enfant, car l'évolution démographique a montré combien ce choix était coûteux pour la société. Elle y perd son avenir. Au-delà de cet argument, il est aussi nécessaire pour faire face au vieillissement, et conserver comme on l'a vu un rapport satisfaisant entre le nombre d'actifs et le nombre de retraités, que les personnes en âge de travailler, soient sur le marché du travail. Les femmes représentent dans l'optique de la stratégie de Lisbonne notamment un gisement de main-d'œuvre à mobiliser.

Dans cette configuration, les sociétés européennes ne peuvent plus se permettre de refuser au nom d'une approche idéologique, les moyens de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale. Les femmes qui préfèrent avoir actuellement des enfants, mais souhaitent quand même travailler, dans l'absolu, et pouvoir concilier les deux, doivent pouvoir le faire. Les femmes qui désirent continuer à travailler, et veulent des enfants, doivent pouvoir, elles aussi, assumer les deux en même temps. Il y va de notre avenir commun.

Les deux pistes pour ce faire sont simples : d'une part, celle des structures d'accueil, avec des horaires compatibles avec ceux des parents ; un régime d'emploi flexible, comme en Suède, permettant des absences indemnisées par l'Etat, et non par l'employeur comme c'est de fait le cas en France pour les jours de RTT, de manière à pouvoir assurer la présence de l'un de ses parents auprès des enfants lorsqu'ils en ont besoin.

Il ne faut pas non plus négliger les conditions de la scolarité. Ainsi que l'a indiqué à la rapporteure le directeur de l'INED, M. François Héran, le taux de scolarisation des enfants de 2 et 3 ans est en France exceptionnel, avec respectivement 35% et 100%, et peut en partie expliquer la spécificité de notre démographie.

Mme Evelyne Pichenot, la présidente de la délégation à l'Union européenne du Conseil économique et social, rapporteure sur le Livre vert, a ajouté le rôle de la restauration scolaire, considérée comme un modèle en France, notamment pour éviter la préparation des repas froids le matin par les familles (outre son rôle positif pour l'équilibre alimentaire de l'enfant), ainsi que celui des colonies de vacances, à la charge des entreprises, pour les périodes extra scolaires.

Une variante de la flexibilité est donnée par les Pays-Bas, où le travail à temps partiel est très développé, notamment pour les femmes, selon les travaux précités de Mme Majnoni d'Intignano.

Le deuxième pilier d'une nouvelle politique est celui du libre choix de l'enfant par les parents, grâce à une certaine prise en charge du coût de l'enfant par la combinaison d'allocations sociales, certaines universelles, d'autres sous conditions de ressources, et de mesures fiscales. A cet égard, c'est le modèle français le plus achevé, même s'il ne compense pas l'intégralité des coûts de l'enfant comme le rappellent dans leur rapport précité, Mme Evelyne Sullerot et M. Michel Godet, et si le niveau de vie des familles baisse avec le nombre d'enfants. L'avantage du dispositif français est qu'il distingue bien dans la redistribution et les transferts qu'il opère entre la politique familiale et la politique sociale. La première organise des transferts au profit des familles avec enfants, de manière à éviter qu'à niveau de revenu identique, une famille avec enfant ne soit pénalisée par rapport à une famille sans enfant. Ainsi, le versement des allocations familiales à l'ensemble des foyers, sans conditions de ressources, et le quotient familial, dont les effets sont d'ailleurs plafonnés depuis 1982, permettent aux parents avec enfants de ne pas avoir une trop forte chute de leur niveau de vie, par rapport aux foyers sans enfant, qu'il s'agisse des célibataires ou des couples sans enfants, que les anglo-saxons appellent les DINKS (Double income no kids), lorsque les deux travaillent. Dans l'ensemble, d'ailleurs, le régime français d'impôt sur le revenu, qui est l'un des acquis de la Libération, permet d'imposer le revenu par tête. Il est donc plus juste que tout autre régime d'imposition. Comme l'on calculé il y a plus de soixante ans les statisticiens qui ont mis au point l'échelle d'Oxford, chaque personne dans une famille ne compte pas nécessairement comme une unité de consommation à part entière, mais pour qu'une famille ait un niveau de vie équivalent à celui de personnes seules ou de couples sans enfant, son revenu doit être supérieur. Le Luxembourg applique aussi d'ailleurs le quotient familial.

Le deuxième élément de la politique familiale française est, comme on l'a vu, l'existence de prestations familiales sous conditions de ressources, ce qui permet d'éviter la paupérisation des personnes modestes ayant des enfants à charge. La vocation sociale rejoint ici la vocation familiale. En revanche, comme le souligne le rapport du Conseil économique et social présenté au nom de la Délégation pour l'Union européenne, dans le cadre de sa contribution au Livre vert, la France n'a pas de système de garantie de l'Etat pour les pensions alimentaires, contrairement à l'Allemagne ou à la Suède.

Le troisième pilier est enfin la parité, c'est-à-dire l'égalité entre les hommes et les femmes, et la capacité à éviter la pénalisation des femmes en raison de la maternité.

Cette action est importante, notamment pour résoudre l'une des questions assez peu abordée, celle de la moindre fécondité des femmes ayant un haut niveau de qualification, qui repose pour une large part dans l'esprit des femmes sur des anticipations négatives des conséquences professionnelles de la maternité, ce que l'on appelle le « plafond de verre » en France.

Pour la France, ce phénomène a été décrit par Mme Evelyne Sullerot et M. Michel Godet, dans le cadre de leur rapport précité. 24 % des diplômées de l'enseignement supérieur restent en France sans enfant, contre 10 % pour celles titulaires du BEPC. Le même phénomène se retrouve en Suisse, où 40 % des diplômées de l'enseignement supérieur n'ont pas d'enfant à 40 ans, et en Allemagne (50 % à 35 ans). Ce sentiment d'une insuffisante prise en compte de la parité est corroboré par le fait que, selon une étude de 2005, de Magali Mazuy et Isabelle Robert-Bobé (INED), les femmes les plus diplômées sont plus nombreuses à n'avoir jamais vécu en couple. C'est le contraire chez les hommes : les moins diplômés rencontrent plus de difficulté à trouver une conjointe.

Il n'est cependant pas certain qu'il y n'ait pas également un problème de mentalité, plus difficile à régler, les hommes choisissant de préférence une femme ayant une formation inférieure ou égale à la leur. Ce sentiment, corroboré par les observations de M. Christian Schmitt, du DIW, permet de mesure combien sont importantes les actions sur les valeurs.

Il est donc évident que dans une telle perspective, l'exemple du Royaume-Uni, parfois avancé car il privilégie les études courtes, ce qui permet de réduire la durée des incompatibilités entre la vie professionnelle et la vie familiale, doit être considéré avec précaution. Il convient de ne pas cantonner les femmes dans les travaux les moins qualifiés, mais de permettre aux plus qualifiées d'avoir également des enfants.

b) Au-delà du respect du principe de subsidiarité, l'essentiel des actions ne peut être mené qu'au niveau des Etats membres

· L'importance d'une prise de conscience qui ne peut intervenir qu'au niveau national : l'exemple de l'Allemagne

L'Allemagne montre que l'essentiel est une prise de conscience au niveau national. Celle-ci est réelle puisque le thème a été largement évoqué au cours de la dernière campagne électorale. Lors de son déplacement à Berlin, la rapporteure a pu en constater la teneur. La Fondation Robert Bosch a d'ailleurs fait une étude sur la démographie, dont l'un des éléments clés est le calcul de ce que rapporte à la société un enfant : l'évaluation donne 77.000 euros en moyenne. Ses propositions, qui rejoignent d'ailleurs celles des associations familiales, entre autres, concernent la fiscalité, pour laquelle la France est citée en exemple, la retraite, la protection des emplois féminins contre le licenciement, et plus généralement l'accroissement des droits des parents, et le rôle des collectivités territoriales. D'une certaine manière, il s'agit pour l'Allemagne de résoudre le problème de l'insuffisance des structures d'accueil des enfants, l'école s'arrêtant à midi, et de s'aligner sur les modèles français - le quotient familial suscite un grand intérêt - et scandinave, sans méconnaître deux difficultés essentielles. L'une tient au fédéralisme, ce qui fait que les résultats dépendent des Länder. L'autre aux mentalités, le modèle de la femme allemande qui doit rester au foyer étant encore très présent, selon le mot d'ordre « Kinder, Kirche, Küche ». Les femmes qui travaillent et ont des enfants sont d'ailleurs parfois surnommées les mères corbeaux (« Rabenmutter »).

L'enjeu d'une restructuration de la politique familiale allemande, dont il faut rappeler qu'elle est actuellement plus coûteuse que celle menée en France, est important. Actuellement, on rappellera que, pour l'essentiel, les allocations familiales sont versées sur une base particulièrement généreuse dès le premier enfant (154 euros par mois par enfant, soit plus qu'en France, jusqu'au troisième et 179 euros par mois pour les suivants). Une allocation parentale d'éducation de 300 euros par mois, cumulable avec un temps partiel jusqu'à 30 heures, est perçue jusqu'à deux ans, qui s'articule partiellement avec le congé parental qui peut être pris jusqu'au troisième anniversaire de l'enfant. Par ailleurs, comme la Suède, l'Allemagne a établi un mécanisme d'avance sur pension alimentaire, fonction de l'âge de l'enfant, mais selon un barème différent entre l'Est et l'Ouest. Sur le plan fiscal, l'abattement pour enfant à charge et l'abattement pour charge éducative permettent de prendre en compte les effets de la fiscalisation des allocations familiales.

Par ailleurs, afin de régler le problème de fond qui est celui de la garde des enfants d'âge préscolaire et même scolaire, en raison de l'absence d'école l'après-midi, la loi TAG de 2005, présentée par Mme Renate Schmidt, alors ministre de la famille, a décidé une augmentation significative (230.000) du nombre des places dans les structures de garde d'enfants d'ici à 2010. A été également prévue à partir de 2007 la mise en place d'une allocation parentale (Elterngeld). Celle-ci doit compenser pendant un an 67 % de la perte de revenus, dans la limite de 1.800 euros par mois.

Le débat se concentre maintenant sur un nouvel effort concernant les structures et modes de gardes d'enfants et les allégements fiscaux correspondants, l'actuelle ministre de la famille estimant qu'il faut aller au-delà de l'Elterngeld qui ne pourra tout seul renverser la tendance. Déjà évoquée, la question de l'absence d'école l'après-midi (la demi-journée pédagogique) est essentielle. Elle concerne également la Grèce, l'Autriche et certaines régions de l'Italie, notamment.

Enfin, dans une optique plus large, afin de recréer des liens entre les générations, des Maisons plurigénérationnelles sont mises en place, dans le cadre d'un projet pilote en cours de lancement, avec une enveloppe de 80 millions d'euros au niveau fédéral. Il s'agit notamment de faire prendre conscience de ce que les différents âges ne sont pas indépendants les uns des autres, de ce qu'il existe une certaine cohésion de la société et que des simples contacts humains intergénérationnels, voire des entraides sont indispensables.

· La nécessité d'une adaptation au contexte de chaque pays, compte tenu des diversités d'approches de l'enfant et du caractère très concret des thèmes abordés

Par leur niveau de détail, les questions du Livre vert ont montré combien les politiques susceptibles d'avoir des incidences sur les familles et les enfants étaient concrètes.

Ces politiques conduisent à aborder des éléments tels que les rythmes de vie, qui sont différents selon les pays, les modes de garde d'enfants, les rythmes scolaires, qu'il s'agisse des rythmes quotidiens, hebdomadaires ou même annuel, des modes de logements, ainsi les différents modes d'organisation du travail.

Elle conduisent également à aborder le mode d'intégration des jeunes sur le marché de l'emploi, qui est différent d'un Etat membre à l'autre, ne serait-ce qu'en raison de la différence de statut qui est donné à l'apprentissage, assez répandu dans les pays germaniques, et pose, d'une manière plus générale, le problème de la formation des jeunes et des transitions entre la vie scolaire et la vie professionnelle.

Enfin, en arrière-plan, on distingue aussi la question des liens familiaux, qui ne sont pas les mêmes dans les Etats où domine la famille nucléaire, à l'Ouest, et ceux où les structures plus collectives aux solidarités intergénérationnelles plus étroites sont encore présente, à l'Est.

En définitive, il s'agit de reprofiler, pour l'âge en principe fécond, un cycle de vie, selon le terme du Livre vert. Une telle opération ne peut intervenir que sous la responsabilité directe de chaque Etat membre, le niveau européen ayant un rôle de coordination et d'identification des grands principes. Pour la France, la rapporteure considère que les réponses qui ont été apportées par le Conseil économique et social, dans le rapport établi par Mme Evelyne Pichenot, présidente de la Délégation pour l'Union européenne, permettent de bien identifier les termes de la réflexion.

· La prise en compte des différences culturelles

Dans l'effet des politiques publiques sur la natalité, les opinions, et même d'une manière plus large, la culture jouent un rôle essentiel. Comme le rappelle l'exemple des naissances hors mariage, les peuples européens n'ont pas la même sensibilité.

La graphique suivant, établi par l'INSEE, fait apparaître que globalement, le taux de fécondité est d'autant plus élevé que les naissances hors mariage sont importantes, c'est-à-dire bien tolérées sur le plan social.

Corrélation entre l'indice conjoncturel de fécondité (ICF)
et la proportion des naissances hors de mariage

Source : INSEE.

En définitive, la définition d'une politique adéquate ne peut intervenir qu'au niveau national.

Il faut donc allier un mélange de spécificités nationales et de modèle européen. Tel est d'ailleurs le message délivré par M. Massimo Livi Bacci, de l'Université de Florence, dans le cadre de la Conférence précitée qui s'est tenue à Tours en juillet dernier, lors de la table ronde sur l'efficacité des politiques familiales. Il donne une bonne perception intuitive de ce qu'un jeune couple, qui souhaite un enfant, attend d'un Etat dont la dépense publique atteint entre 40 % et 50 % du PIB, pour qu'il lève les obstacles à la maternité.

c) L'Union européenne doit donc favoriser, en s'appuyant le cas échéant sur le dialogue social européen, la convergence des politiques familiales de ses Etats membres grâce à une coordination effective

Dans sa réponse au Livre vert, le Gouvernement propose la création d'une « Conférence européenne organisée annuellement par la Commission ». Elle rassemblerait, outre des représentants des Etats membres, de la Commission, du Parlement européen et des autres institutions européennes intéressées, des représentants des partenaires sociaux, des parlements nationaux, des collectivités locales et de la société civile, ainsi que des experts en sciences économiques et sociales. Elle pourrait chaque année être consacrée à un thème particulier.

La rapporteure souscrit pleinement à cette proposition, qui n'en exclut naturellement pas d'autres.

· La mise en place d'une structure de pilotage et d'indicateurs de suivis, selon une méthode semblable à la méthode ouverte de coordination

Pour la définition d'un cadre européen de la politique familiale, la mise en œuvre de modalités semblables à la méthode ouverte de coordination (MOC), déjà en vigueur en matière sociale depuis le Conseil européen sur l'emploi de Luxembourg en 1997, paraît assez adaptée, si ce n'est qu'elle doit donner assez vite des résultats compte tenu, comme on l'a vu de la nécessité d'une action urgente.

Une structure de pilotage doit définir des lignes directrices avec des calendriers, établir des indicateurs qualitatifs et quantitatifs avec des critères d'évaluation, assurer le suivi des politiques nationales et régionales prises en conséquence et veiller à un réexamen périodique et à une évaluation par les pairs.

S'il n'appartient pas à la rapporteure de préciser la liste des indicateurs qui seront pris en compte, celle-ci estime que l'évolution des prix de logements devra nécessairement y figurer. Toute réflexion qui serait déconnectée du suivi de l'évolution des loyers, mais aussi du coût des logements à l'achat, neuf et ancien, négligerait un élément essentiel à moyen terme de l'environnement des personnes en âge d'avoir des enfants.

Il en est de même des indicateurs qui doivent retracer les infléchissements et les corrections des politiques en faveur d'une meilleure intégration des jeunes générations, en retraçant la situation dans laquelle se trouve, par rapport aux autres, leurs classes d'âge spécifiques.

Ainsi que l'a indiqué à la rapporteure le directeur de l'INED, M. François Héran, la faible natalité de l'Europe méditerranéenne s'explique en partie par l'absence de logements adaptés et des cohabitations entre parents et enfants qui durent beaucoup plus longtemps que dans le reste de l'Europe.

De même, sur un autre plan, l'évolution de l'endettement privé, notamment des jeunes, doit être étudiée avec attention. Il ne faudrait pas qu'une dégradation continue des conditions économiques qui ne sera pas perçue suffisamment tôt, ait in fine des incidences négatives sur la fécondité, dès lors que les anticipations des foyers seraient pessimistes.

Par ailleurs, il sera essentiel que les Etats membres jouent pleinement le jeu. Aussi la rapporteure suggère-t-elle que la démographie fasse dorénavant l'objet d'un examen par chaque Conseil européen de printemps, sur la base d'un rapport de la Commission qui serait présenté au moins trois mois auparavant, de manière à pouvoir faire l'objet d'une étude approfondie par les Parlements nationaux.

· Un rôle essentiel pour l'information et les actions pilotes

Au-delà de la structure de pilotage, il appartient à l'Europe, de veiller, par des actions de communication, ainsi que par des projets pilotes à ce que les deux piliers du nouveau modèle démographique européen qui relèvent des compétences, la parité et la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, soient partagés par les populations européennes.

Des programmes tels que Progress, qui œuvre notamment en faveur de la parité, peuvent servir de support à de telles actions.

Les actions pilotes peuvent par ailleurs prendre la forme de structures d'accueil de l'enfance qui seraient labellisées par l'Union, selon un modèle qui pourrait ainsi se diffuser.

· La possibilité de mesures communautaires dans des domaines ciblés

Ainsi que l'a précisé à la rapporteure le Commissaire européen à l'emploi, aux affaires sociales et à l'égalité des chances, M. Vladimir _pidla, la forte fécondité des pays scandinaves, où la parité est plus développée qu'ailleurs, permet d'envisager, dans certains domaines très spécifiques, l'intervention de directives communautaires lorsqu'il apparaîtra qu'elles seront nécessaires.

En outre, l'Union européenne peut agir au nom de ses compétences en matière de conditions de travail, pour fixer des prescriptions minimales.

· Le rôle des partenaires sociaux

S'agissant de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, il ne faut pas négliger le rôle des partenaires sociaux, très attachés à ce thème.

En outre, l'article 138 du traité instituant la Communauté européenne, leur reconnaît un rôle de choix, puisque la Commission doit les consulter sur l'orientation possible d'une action communautaire avant de présenter des propositions dans le domaine de la politique sociale. Cette procédure leur laisse également la faculté de conclure des accords européens.

B. L'Union peut également contribuer à un passage optimal à la société des quatre générations, orienté sur un recentrage de la solidarité sur les personnes les plus âgées

Du point de vue français, la situation est en matière de participation des personnes ayant entre 55 et 64 ans (les « travailleurs âgés ») à la vie professionnelle, l'inverse de ce qu'elle est pour la natalité. La France fait toujours exception dans le paysage européen, mais elle n'est plus un modèle. Elle est au contraire en retard, et le reste en dépit des efforts entrepris depuis 2002 par le Gouvernement.

La question du rôle de l'Europe se pose donc moins, d'autant plus que la coordination est déjà assurée dans le cadre du suivi de la stratégie de Lisbonne, qui fixe à 50 % en 2010 l'objectif du taux d'emploi des travailleurs âgés.

1) Les objectifs, définis dans le cadre de la stratégie de Lisbonne et de l'Agenda social européen, d'élévation du taux d'emploi des plus de 55 ans doivent être poursuivis, notamment en France

a) Chaque Etat doit faire face à cette obligation inéluctable, qui est également une faculté à saisir

Comme l'Europe doit investir sur sa jeunesse pour assurer son avenir, elle ne peut faire un effort supplémentaire sur le haut de la pyramide des âges. En outre, le maintien de son modèle social, fondé sur une large gratuité dans l'accès aux soins et sur le financement public, et à un niveau décent, des ressources des personnes qui ne sont plus en âge de travailler, exige des niveaux d'emplois élevés. Certes, faciliter l'accès des femmes au marché du travail par la politique qui vient d'être présentée en faveur de la famille, permettra d'augmenter le taux d'emploi féminin, mais cela ne suffira pas. Le maintien d'un haut niveau d'emploi par rapport à la population, dans une population où les personnes de plus de 55 ans représentent un poids croissant, passe par un recul de l'âge de cessation d'activité.

Le maintien d'une offre de travail à un niveau acceptable implique un ajustement structurel important. En 1900, en France, il y avait 1 personne de plus de soixante cinq ans pour 8 personnes ayant entre 15 et 64 ans. Actuellement, le rapport est de 1 à 4. Il sera de 1 à 2 en 2050. L'Italie connaît une évolution plus brutale, avec un rapport de 1 à 8 en 1950 et une évaluation de 1 à moins de 2 pour 2050. Ce phénomène n'est d'ailleurs pas dû à la faiblesse de la natalité, qui en accentue seulement les effets. Il est dû au simple allongement de la durée de vie.

Dans l'absolu, cette évolution ne représente pas un recul social, mais une faculté intéressante pour la société. La population est en meilleure santé et les emplois sont physiquement moins pénibles. Le maintien d'une activité jusqu'à au moins soixante cinq ans est plus légitime qu'auparavant. Les systèmes de retraite ont été mis en place à une époque où l'espérance de vie était moins élevée. Or celle-ci continue à croître. L'âge de la vieillesse physique a reculé. Nombreux sont ceux qui partent en retraite en étant parfaitement aptes au travail, alors qu'ils pourraient contribuer par leurs talents à l'activité économique L'espérance de vie à la retraite s'est par ailleurs accrue. En 1910, un Français qui prenait sa retraite à 60 ans avait une espérance de vie de 14,4 ans, et celui qui la prenait à 65 ans avait une espérance de vie de 10,6 ans. En 1950, les durées respectives étaient de 20,4 ans et 16,1 an. En 1970, elles étaient de 23 ans et 18 ans, et elles se sont encore accrues.

Selon les données d'Eurostat, l'espérance de vie à 65 ans est en Europe de 16 ans pour les hommes et de 20 ans pour les femmes, et en France de 17 ans pour les premiers et 21 ans pour les secondes.

Un rapide calcul, fondé sur les actuels taux d'activité par âge, permet d'ailleurs de constater qu'en moyenne, un français travaille 32,52 années, à raison de 35,7 années pour les hommes et 29,4 années pour les femmes. A l'heure actuelle, chaque français travaille en moyenne moins de la moitié de sa vie. Une telle situation est assez exceptionnelle. En outre, elle se traduit par le schéma paradoxal où, dans une société où quatre générations coexistent, une seule est dans la tranche active. Il faut donc s'adapter progressivement à cette généralisation de la société des quatre générations, où seuls les plus âgés et les plus jeunes sont inactifs.

b) La France a encore l'âge légal d'ouverture des droits à la retraite le plus faible en Europe, et fait partie des Etats membres où le taux d'emploi des « seniors » est le moins élevé

· L'ouverture des droits dans les régimes vieillesse à financement public intervient d'une manière générale à 65 ans en Europe, et cet âge tend à reculer

Avec une ouverture des droits à 60 ans sans exception, la France faisait figure d'exception majeure dans le paysage européen, avant les mesures intervenues dans le cadre de la loi « Fillon » du 24 juillet 2003, qui ont entrepris un certain alignement.


La réforme des retraites présentée par la France
dans sa réponse au Livre vert

« Dans le choix fait par la France pour réformer son système de retraite, l'obtention de la durée de référence nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein prime sur la question spécifique de l'âge légal qui n'est pas modifié. En effet, la loi de 2003 prévoit l'harmonisation de la durée d'assurance entre les régimes de fonctionnaires et les régimes du secteur privé, jusqu'en 2008. Puis, au-delà de 2008 et jusqu'en 2020, l'évolution sera liée au rapport constaté entre la durée de référence et l'espérance de vie en retraite en 2012 et 2016.

« Afin d'améliorer la transition entre vie active et retraite tout en favorisant la prolongation de la vie active, la réforme facilite l'accès à la retraite progressive après l'âge de 60 ans en donnant un caractère provisoire à la liquidation de la pension partielle de sorte que des droits à pension supplémentaires peuvent désormais être acquis dans le cadre du maintien partiel d'activité. Parallèlement, les possibilités de cumul d'une pension de retraite totale avec un revenu d'activité sont assouplies et harmonisées dans l'ensemble des régimes de vieillesse.

Le recours à des emplois à temps partiel n'est pas pénalisant grâce à un dispositif de surcotisation volontaire permettant de rétablir une assiette de cotisation à temps plein.

« Dans le but d'encourager la prolongation de l'activité, une « surcote » (majoration) de 3  % du montant de la pension servie, pour chaque année supplémentaire d'activité et sans limitation de durée, a été instaurée dans les régimes de base du secteur privé et ceux des fonctionnaires, pour les assurés de 60 ans et plus disposant d'au moins la durée d'assurance de référence lors de la liquidation de leur pension.


« Afin de dissuader les salariés des départs précoces, l'âge auquel l'employeur peut, selon le droit du travail, mettre un salarié en retraite « d'office » (sans que l'accord de ce dernier soit requis), s'il remplit les conditions pour bénéficier d'une retraite à taux plein, est repoussé à 65 ans afin de faciliter la poursuite de l'activité. Par ailleurs, afin de limiter le recours aux dispositifs de pré-retraites, les allocations versées aux salariés sont désormais soumises à une contribution à la charge des employeurs. Enfin, une minoration du montant de la pension servie ou « décote » s'applique aux assurés qui souhaitent partir avant d'avoir atteint la durée de référence nécessaire.
 »

Selon les éléments publiés par M. Pierre-Gilles Bellin, dans Les retraites en Europe, Editions de Vecchi (juin 2005), l'âge légal d'ouverture des droits était de 65 ans pour les hommes dans la plupart des Quinze anciens Etats membres.

Les observations de Willi Leibfritz, du Département des affaires économiques, publiées en janvier 2003, dans l'Observateur de l'OCDE restent encore largement d'actualité :

« L'âge ouvrant droit à une pension de régime public est actuellement fixé, dans la plupart des pays de l'OCDE, à 65 ans. Font exception la Corée et la France, où l'âge officiel de la retraite a été fixé à 60 ans, et la Norvège, où il est de 67 ans. Plusieurs pays ont mis en place des systèmes de départ anticipé à la retraite qui permettent aux travailleurs de prendre leur retraite de deux à cinq ans avant l'âge normal. Et, dans un certain nombre de pays, les conditions d'admission au bénéfice des pensions d'invalidité et des indemnités de chômage pour les travailleurs âgés sont plutôt généreuses. Les indemnisations prévues par les régimes professionnels de cessation anticipée d'activité permettent aussi à certains travailleurs âgés de faire le saut sans que cela ait guère, pour eux, de conséquences négatives sur un plan financier.

« Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'âge moyen effectif de départ à la retraite soit souvent de trois à cinq ans inférieur à l'âge officiel. Il n'y a qu'aux États-Unis où l'âge moyen effectif de départ à la retraite coïncide avec l'âge actuellement fixé, officiellement, pour le départ à la retraite (en l'occurrence, 65 ans). Malgré tout, les États-Unis sont en train de relever légèrement l'âge normal de départ à la retraite à 67 ans et débattent sur les mérites d'un départ à la retraite différé. En Corée et au Japon, les travailleurs prennent leur retraite en moyenne respectivement à 67 et 69 ans, soit sept et quatre ans après l'âge officiel. Mais ce sont là des exceptions. En Europe, moins d'un homme sur deux, âgé de 55 à 64 ans, travaille ».

Les seuls ajustements intervenus à l'étranger sont plutôt vers un recul de l'âge de la sortie de la vie active.

Pour ne citer que trois exemples récents, l'Espagne a soumis en novembre dernier aux partenaires sociaux un projet pour inciter à la poursuite d'activité, au-delà de l'âge légal de 65 ans, jusqu'à 70 ans. Le programme de la coalition entre la CDU-CSU en Allemagne avait prévu de relever progressivement l'âge de la retraite de 65 à 67 ans, d'un mois par an entre 2012 et 2037. Le Conseil des ministres du 1er février 2006 a décidé d'accélérer cet échéancier, avec un mois de plus par an jusqu'en 2023, puis deux mois par an ensuite. Au Royaume-Uni, la Commission présidée par l'ancien président du patronat, a suggéré de relever à 67 ans l'âge de la retraite.

· La France a encore, actuellement, un taux d'emploi des « seniors » parmi les plus bas de l'Europe des Quinze et de l'OCDE

Le rapport sur « Les seniors et l'emploi en France », établi par MM. Antoine d'Autume, Jean-Paul Betbèze et Jean-Olivier Hairault, dans le cadre des travaux du Conseil d'analyse économique et publié en janvier 2006, constate que la France est actuellement parmi les pays les moins bien placés en ce point.

Taux d'emploi de la population par âge, en 2003

Ordre décroissant pour les 50-64 ans, en  %

 

50-64 ans

50-54 ans

55-59 ans

60-64 ans

25-49 ans

Suède

74,37

84,51

78,33

56,85

83,35

Danemark

68,75

84,61

75,81

38,95

83,28

Japon

68,34

78,95

72,54

50,66

78,13

Etats-Unis

66,82

77,02

68,38

48,86

79,14

Royaume-Uni

63,86

78,53

67,45

40,02

81,37

Canada

62,91

77,49

63,38

39,3

81,21

G7

61,66

76,4

64,7

38,64

78,63

Finlande

61,36

79,31

65,95

27,5

81,54

Australie

59,47

73,98

59,43

37,79

77,46

Pays-Bas

55,42

75,02

58,71

22,97

83,37

Euro15

53

72,93

56,26

25,71

78,01

France

52,75

75,24

54,15

13,23

79,93

Allemagne

51,66

75,88

60,12

22,61

78,61

Espagne

48,57

62,04

49,2

30,69

72,75

Autriche

45,9

75,59

50,22

11,71

85,05

Italie

42,98

65,06

41,12

19,83

71,78

Belgique

42,48

65,47

39,45

13,79

78,08

Source : Calculs des auteurs, données : OCDE, statistiques de la force de travail.

« La France, avec un taux de 53 %, se trouve 22 points en dessous de la Suède, mais se situe pratiquement au niveau moyen de l'Europe à 15. Le Danemark, le Royaume-Uni et la Finlande font nettement mieux que nous, respectivement 16, 11 et 9 points de plus. Les Pays-Bas ne font que 3 points de mieux. L'Allemagne fait 1 point de moins que nous et l'Espagne 4. »

« En haut du tableau se trouvent les pays scandinaves, avec la Suède à 74 %, le Japon à 68 % et les Etats-Unis à 67 %. En queue de peloton se trouvent l'Italie et la Belgique aux alentours de 42 %. »

« Ce classement somme toute honorable de la France, notamment si l'on met à part les pays extra-européens, ne doit pourtant pas faire illusion. »

« En effet, comme l'illustre le tableau suivant, qui présente la situation de la population masculine, notre taux d'activité féminine élevé à tous les âges améliore notre situation relative. De manière générale, les différences internationales de taux d'activité féminine restent importantes. La hiérarchie des taux d'emploi masculins s'éloigne donc de celle qui concerne l'ensemble de la population. Le Japon est maintenant en tête du classement, avec un taux de 83 %, alors que la France se retrouve en bas du classement, avec 58 %, soit 5 points en dessous de la moyenne de l'Europe à 15. Les écarts se creusent au détriment de notre pays dont le taux d'emploi est maintenant inférieur de 13, 10 et 9 points à ceux du Royaume-Uni, de l'Espagne et des Pays-Bas. Seules l'Italie, l'Autriche et la Belgique font moins bien que nous. »

Taux d'emploi des hommes par âge, en 2003

Ordre décroissant pour les 50-64 ans, en  %

 

50-64 ans

50-54 ans

55-59 ans

60-64 ans

25-49 ans

Japon

82,88

92,06

88,81

64,66

91,98

Suède

76,1

85,3

79,61

60,17

85,3

Danemark

74,59

88,15

80,69

49,94

87,93

Etats-Unis

72,46

92,31

74,17

54,5

86,5

Royaume-Uni

71,82

83,8

73,83

53,27

88,29

G7

70,51

84,8

73,81

47,36

87,47

Canada

70,16

82,83

70,63

48,94

86,09

Australie

68,91

81,9

69,92

48,4

86

Espagne

68,26

83,43

70,65

45,46

86,4

Pays-Bas

67,83

87,03

74,34

31,1

90,62

Euro15

63,24

83,56

66,8

34,65

86,97

Finlande

62,04

78

65,24

31,53

84,57

Allemagne

59,24

82,38

68,26

30,38

84,56

France

58,49

84,04

60,15

14,49

87,49

Italie

58,17

84,21

55,27

30,57

86,93

Autriche

55,49

83,6

65,76

16,38

91,6

Belgique

53,7

77,1

52,27

21,25

85,74

Source : Calculs des auteurs, données : OCDE, statistiques de la force de travail.

« De plus, une décomposition par âge plus fine éclaire notre situation. La retraite à 60 ans dans notre pays explique que nous soyons tout à fait en queue de peloton en ce qui concerne les 60/64 ans. De fait notre taux d'emploi dans cette catégorie n'est que de 13 %, alors que le taux moyen dans l'Europe des 15 s'élève à 26 %. Le même taux atteint 57 % en Suède, 51 % au Japon, 49 % aux Etats-Unis, 40 % au Royaume-Uni. »

« En revanche, la France bénéficie d'un taux d'emploi élevé dans la tranche d'âge des 50-54 ans, ce qui contribue à maintenir notre taux d'emploi global des seniors, dès lors que l'on fait partir cette catégorie de 50 ans. »

Pour l'emploi des 55-59 ans, la France se situe donc très bas, aussi bas en ce qui concerne la population totale que les hommes. Nos taux d'emplois dans cette catégorie sont respectivement de 54 et 60 % alors que les moyennes européennes sont de 56 et 67 %.

· L'âge moyen pondéré de sortie du marché du travail est également en France le plus faible de l'Union européenne

Comme l'indique le tableau suivant, avec un peu moins de 59 ans, la France est le pays de l'Union européenne où l'âge moyen de sortie du marché du travail est le plus faible.

Âge moyen de sortie du marché du travail - total - pondéré par
la probabilité de sortie du marché du travail

 

2001

2002

2003

2004

UE 25

59,9

60,4

61,0

60,7 (p)

UE 15

60,3

60,8

61,3

61,0 (p)

Belgique

56,8

58,5

58,7

59,4

Rép. tchèque

58,9

60,2

60,1

60,0

Danemark

61,6

60,9

62,2

62,1

Allemagne

60,6

60,7

61,6

61,3

Estonie

61,1

61,6

60,8

62,3

Grèce

59,3

61,3

62,7

59,5

Espagne

60,3

61,5

61,5

62,2

France

58,1

58,8

59,6

58,9

Irlande

63,2

63,1

62,9

62,8

Italie

59,8

59,9

61,0

:

Chypre

62,3

61,4

62,7

62,7

Lettonie

62,4

:

60,3 (b)

62,9

Lituanie

58,9

:

63,3 (b)

60,8

Luxembourg

56,8

59,3

58,2 (b)

57,7

Hongrie

57,6

59,1

61,6

60,5

Malte

57,6

58,2

58,8

57,7

Pays-Bas

60,9

62,2

60,5

61,1

Autriche

59,2

59,3

58,8

:

Pologne

56,6

56,9

57,9

57,7

Portugal

61,9

63,0

62,1

62,2

Slovénie

:

56,6

56,2

:

Slovaquie

57,5

57,5

57,8

58,5

Finlande

61,4

60,5

60,4

60,5

Suède

61,8

63,3

63,1

62,8

Royaume-Uni

62,0

62,3

63,0

62,1

(b) rupture de série

(p) provisoire

Source : Eurostat.

c) Une modification des anticipations sur l'âge de départ en retraite est donc indispensable pour compléter les mesures d'incitation à l'emploi des seniors qui s'inscrivent dans une perspective européenne

Les auteurs du Rapport précité du Conseil d'analyse économique sur l'emploi des seniors insistent, d'une manière générale, sur trois éléments pour expliquer le faible taux d'emploi :

- l'important recours aux préretraites, ce que les auteurs appellent « le syndrome des préretraites ». La France a largement usé de cette formule depuis 1981 ;

- les difficultés à intégrer le progrès technique ;

- la proximité de la retraite.

Ce dernier élément est essentiel et révèle, comme l'a indiqué dans l'entretien qu'elle a accordée dans le cadre de la préparation du présent rapport, Mme Majnoni d'Intignano, professeur des Universités à Paris XII, Val-de-Marne, membre du Conseil d'analyse économique, l'importance des anticipations.

Les exemples étrangers montrent bien qu'il est l'un des éléments clés des seniors : tant l'employeur que l'employé ne peuvent pas ne pas garder ce terme à l'esprit, le premier pour refuser un emploi, le second pour se résigner à ne point en avoir.

On peut donc en conclure, comme le proposent les auteurs du rapport précité, à un nécessaire approfondissement de la réforme des retraites, qui serait plus flexible. L'hypothèse de la suppression d'un âge maximum de référence pour l'activité (il est de 65 ans en France) peut même être envisagée, dans le cadre de nouvelles transitions entre l'activité et la retraite. Elle est d'ailleurs complémentaire de l'éventuelle faculté d'une prolongation d'activité ou d'un cumul emploi-retraite, dans des conditions telles que la perte de revenu d'activité interviendrait progressivement. La retraite serait par exemple proratisée, de manière que le revenu d'un temps partiel (50 % pour un mi-temps, par exemple) soit complété à due concurrence (50 % de la retraite serait versée).

Ces différents éléments, qui ouvrent des réflexions de grande ampleur qui dépassent le cadre du présent rapport, devront être pris en compte dans la perspective des mesures qui interviendront dans le cadre de l'action entreprise par le Gouvernement, en vue d'un plan national d'action concertée pour les plus de 50 ans. Lors de sa présentation en janvier 2006 des mesures envisagées en faveur des seniors, le Premier ministre a, en effet, repris certaines des pistes auparavant annoncées aux partenaires sociaux par le ministre délégué à l'emploi, Gérard Larcher : élargissement du cumul emploi-retraite, renforcement de la surcote en cas de départ après l'âge d'ouverture de droits à retraite et extension de la retraite progressive.

2) L'Union européenne doit par ailleurs engager une réflexion de fond sur la dépendance, de manière à prendre en compte, notamment, les conséquences à long terme de l'installation des retraités dans d'autres Etats membres que ceux où ils ont exercé leur activité professionnelle

S'agissant de la dépendance, la problématique est actuellement nationale, qui tend, comme l'a indiqué la réponse française au Livre vert, d'une part, à assurer la solvabilité des personnes concernées et, d'autre part, assister les familles de manière à les soulager dans la charge que représente une personne dépendante.

Le rapport précité du Conseil économique et social a ouvert dans cette perspective des pistes intéressantes.

Néanmoins, la rapporteure considère que cette question de fond doit faire l'objet d'une réflexion d'ensemble au niveau communautaire, car plusieurs de ses aspects débordent le cadre strictement national.

En effet, conformément à la typologie sur Les processus de prise en charge des la dépendance cognitive des personnes âgées dans les pays membres de l'Union européenne, réalisée par Vincent Coutton, de l'Université de Louvain, la dépendance est actuellement gérée en France, comme en Espagne, selon un système mixte, qui repose sur l'assurance et sur les mécanismes de l'aide sociale, financés par les collectivités publiques. Tel est le cas de l'Allocation personnalisée à l'autonomie (APA) en France, à la charge des départements.

Or, dès lors que l'on assiste depuis quelques années à d'importantes migrations intracommunautaires de personnes qui viennent prendre leur retraite dans les Etats du Sud de l'Europe, il faut se poser dès maintenant la question de la répartition du poids financier futur des équipements et charges résultant de la présence plusieurs années auprès d'une population vieillissante et dont les besoins en services sociaux et médico-sociaux s'accroissent.

L'aide sociale risque de prendre une ampleur d'autant plus grande dans les pays d'accueil que, comme le rappelle la dernière étude de Mmes Christiane Delbès, Joëlle Gaymu et Sapine Springer, de l'INED, publiée dans Population & Sociétés (n° 449, janvier 2006), « Les femmes vieillissent seules, et les hommes vieillissent à deux ». Or, les femmes seules ont moins de ressources que les couples, notamment celles de la génération qui entre actuellement en phase de dépendance, qui n'a pas connu de taux d'activité professionnelle élevé, et dispose donc pour l'essentiel de droits de réversion.

Contrairement aux dépenses de sécurité sociale, les charges d'aide sociale, notamment, ne donnent pas lieu à compensation entre Etats membres.

Ce phénomène est encore trop récent pour être à l'origine de difficultés importantes, mais il convient d'en anticiper d'ores et déjà les conséquences, et faire au niveau de l'Union une étude pour savoir s'il convient ou non d'en mutualiser une partie des coûts, dans le futur, ou si la question ne se posera pas en termes trop aigus.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le 22 février 2006, sous la présidence du Président Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

Un débat a suivi l'exposé de la rapporteure.

Le Président Pierre Lequiller a souligné l'importance de ces questions, qui ne sauraient se réduire à des chiffres. Il a indiqué qu'elles avaient été évoquées lors de la dernière réunion des présidents des commissions des affaires européennes, à Vienne, le 20 février dernier, et qu'à cette occasion tous les intervenants ont cité la France comme un modèle en raison de la continuité de sa politique familiale.

M. Pierre Forgues a dénoncé le fait que, sur ces problèmes de natalité et de démographie, on trompe souvent l'opinion publique. Il n'est pas honnête de lier ainsi le problème du financement des retraites et le vieillissement à ces problèmes démographiques. La population vit plus longtemps, ce dont on doit se réjouir. Pour autant, doit-elle avoir plus d'enfants ? Non. La raison mise en avant est le financement des retraites. Or il ne faut pas rester fixés sur le schéma dans lequel d'une part, seul le travail finance les retraites, et d'autre part, tous les travailleurs partent à la retraite au même âge. Dans certaines professions, il est tout à fait concevable de ne partir à la retraite qu'à 65 ou 68 ans. Les arguments habituels sur les conséquences du vieillissement sont contestables. Charles Quint a dû abdiquer à 55 ans parce qu'à cet âge il était déjà un vieillard ; mais il était alors dans une situation que l'on n'atteint aujourd'hui qu'à 70 ans. La population vieillit mais elle peut travailler davantage. Puisque l'espérance de vie moyenne est autour de 80 ans, la population se découpe logiquement entre environ 50 % qui a moins de 40 ans, un quart qui a entre 40 et 60 ans, et un quart qui a entre 60 et 80 ans. C'est une répartition naturelle, dont il n'y a pas lieu de s'étonner.

Quelle est la politique qui doit être menée ? C'est celle qui permet d'arriver au seuil de renouvellement de la population, et non pas celle qui cherche à faire augmenter la population. Car si la population augmente dans son ensemble, le nombre de personnes dont il faudra financer la retraite progressera aussi dans des proportions élevées. L'Europe est très peuplée en termes de densité de population sur son territoire. Il faut donc seulement viser le renouvellement de sa population. Si l'on crée les conditions pour permettre l'accueil des enfants, notamment en créant des crèches, en France comme ailleurs, les couples essayeront naturellement d'avoir plus d'un enfant. Il ne faut plus tromper l'opinion, et il convient pour cela de dissocier clairement le problème de la natalité du problème des régimes de retraite.

La rapporteure a souligné qu'en aucun cas elle n'a préconisé d'avoir des enfants à n'importe quel prix, mais qu'aujourd'hui, étant donné les caractéristiques actuelles du système des retraites, il est normal que la question de son financement se pose en ces termes.

M. Daniel Garrigue a fait remarquer qu'il faut être lucide concernant les possibilités d'immigration intra-européenne, qui reviennent à faire diminuer la population d'un pays pour permettre à la population d'un autre pays d'augmenter : le problème démographique concerne tous les pays européens.

Il existe un lien étroit entre l'augmentation de la durée de vie et la baisse de la fécondité, pour deux raisons : d'une part, au niveau individuel, lorsque quelqu'un a la possibilité de vivre 75 ou 80 ans, d'une certaine façon il se perpétue à travers lui-même et non pas à travers des enfants ; d'autre part, collectivement une société qui vit dans le danger a besoin de produire de nombreux enfants, tandis que dans une société caractérisée par la sécurité, les individus n'éprouvent pas ce besoin. Toutes les phases de la vie se ré-étagent en fonction de la durée de la vie : l'âge du mariage, l'âge du premier enfant, reculent au fur et à mesure que l'âge moyen du décès augmente.

Pour autant, M. Daniel Garrigue s'est déclaré favorable à une politique très nataliste car à tous points de vue une « société de jeunes » est plus agréable qu'une « société de vieux ».

M. Jérôme Lambert s'est associé à ces derniers propos. Il s'est notamment dit sensible au fait que la jeunesse soit porteuse d'idées neuves, d'évolutions et de révolutions. A l'inverse, une société vieillissante risque de se replier sur elle-même, ce qui conduit à terme à son appauvrissement.

Mais en l'état, il a indiqué ne pas être particulièrement préoccupé par le vieillissement de la population dès lors que celui-ci va de pair avec un accroissement de la richesse produite, notamment en raison des progrès scientifiques et techniques qui accompagnent l'évolution humaine. Pour cette raison, il s'est démarqué des partisans d'une politique nataliste à tout prix qui, si elle devait être appliquée à l'échelle de l'humanité, ne serait pas sans poser de réelles difficultés en termes de ressources disponibles sur la planète.

Evoquant l'allongement de l'espérance de vie, M. Jérôme Lambert s'est félicité de cette donnée objective, estimant que les personnes âgées ne doivent pas être mises à l'écart de la société. A 60 ans, en l'absence de pénibilité du travail, nombreux sont celles et ceux qui peuvent encore avoir des activités ; quant aux personnes qui ont quitté la vie active, elles n'en demeurent pas moins des consommateurs qui génèrent de la production de richesse.

En réponse, la rapporteure a précisé que l'objet de son rapport concernait avant tout la situation démographique des pays européens et mis en avant l'enjeu consistant à redonner aux couples l'envie d'avoir des enfants afin de rompre avec une diminution continue du taux de natalité.

ANNEXES

Annexe 1 :
Liste des personnes auditionnées

¬ A Bruxelles :

M. Vladimir _PIDLA, commissaire européen à l'emploi, aux affaires sociales et à l'égalité des chances.

¬ A Paris :

Mme Evelyne PICHENOT, présidente de la délégation du Conseil économique et social pour l'Union européenne, rapporteure sur le Livre vert sur les perspectives démographiques ;

Mme Béatrice MAJNONI D'INTIGNANO, professeur des universités à l'Université de Paris XII, Val-de-Marne, membre du Conseil d'analyse économique ;

M. François HERAN, directeur de l'Institut national d'études démographiques (INED) ;

M. Guy DESPLANQUES, INSEE, chef du département de la démographie ;

M. Didier BLANCHET, INSEE, chef du département des études économiques d'ensemble.

¬ A Stockholm (23 - 24 novembre 2005) :

- Ministère de la santé et des affaires sociales :

Mme Kristina REINHOLDSSON, directrice, division des assurances sociales ;

M. Ola NYGREN, chargé des analyses, bureau de coordination ;

Mme Maria HELLING, conseillère, secrétariat international.

- Agence nationale de la sécurité sociale :

M. Niklas LÖFGREN, chargé des analyses, division famille ;

- Démographes :

M. Petter GRÖNWALL, chargé des analyses, coordonnateur, division famille ;

Mme Birgit ARVE-PARES, ancienne secrétaire du conseil suédois de la recherche scientifique, chargée de nombreuses missions dans le domaine de la politique familiale auprès de Ministres suédois des affaires sociales, membre du Conseil scientifique de la Ville de Paris.

- Riksdag, commission de la sécurité sociale :

Mme Anna LILLIEHÖÖK, députée (parti conservateur) ;

Mme Solveig HELLQUIST, députée (parti libéral) ;

M. Kenneth LANTZ, député (parti chrétien-démocrate).

- Ville de Stockholm :

Mme Britt Marie KYNDEL, directrice des services de l'arrondissement de Maria-Gamla Stan ;

Mme Anita KEUTER, responsable de l'accueil de l'enfance dans l'arrondissement ;

Mme Lotta RAJALIN, directrice de la crèche « Nicolaigården ».

¬ A Berlin (19 - 20 décembre 2005)

Dr HEINCKE, démographe, fondation Robert Bosch ;

Dr Marcus OSTERMANN, secrétaire général de l'Association familiale allemande ;

M. Fabien DELL, INSEE, chercheur ;

Mme Katharina WROHLICH, démographe, Deutsche Institut für Wirtschaft (DIW) ;

M. Christian SCHMITT, chercheur, Deutsche Institut für Wirtschaft (DIW) ;

Dr H. Werner KAMMANN, Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend ;

Dr Thomas METKE, Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend.

Annexe 2 :
Une opinion sur l'efficacité des politiques natalistes

Les politiques natalistes dans les pays à bas taux de natalité peuvent-elles être efficaces ?

Massimo Livi Bacci, Université de Bologne, au XXVe congrès international de la population de l'International Union for the Scientific Study of Population (IUSSP)

(Traduction de courtoisie à partir du texte anglais)

Chers amis et collègues,

(...) Laissez-moi vous raconter l'histoire de Maria et de Mario, jeunes adultes d'une vingtaine d'années. Ils ont une « relation sérieuse » et envisagent un projet de vie commune. Avant cela, ils souhaitent terminer leurs études, trouver un emploi convenable et s'assurer d'un double revenu plus ou moins stable. Dans l'immédiat, ils vivent chacun chez leurs parents, un arrangement qui réussit relativement bien, dans la mesure où ce sont des gens relativement jeunes, tolérants et affectueux. Cet état de choses ne restreint pas la liberté d'action du couple ; il se voient souvent, passent leurs vacances et leurs week-ends ensemble. A la fin de leurs études, Mario et Maria commencent à chercher un emploi. Mais le marché du travail est étroit ; pendant des décennies, les gouvernements et les syndicats ont tout fait pour protéger le traditionnel salarié syndiqué, et la conséquence, inattendue mais inéluctable, a été que les jeunes peuvent difficilement accéder au marché du travail. Une vague récente de dérégulation a rendu ce marché plus flexible, mais les emplois disponibles sont, dans la plupart des cas, des emplois à durée déterminée (et courte) ; mal payés et peu sûrs. Le système de protection sociale est généreux avec le salarié traditionnel, mais le filet de sécurité pour les nouvelles formes d'emploi ouvertes aux jeunes est très mince, si tant est qu'il existe. Maria et Mario rejoignent les files d'attente pour obtenir des emplois moins précaires, plus stables ou mieux payés. Ils sont aussi à la recherche d'un appartement, mais les loyers sont très chers, car l'offre est limitée. Dans leur pays, quatre familles sur cinq sont propriétaires de leur résidence principale, mais acheter un appartement est très au-delà de leurs possibilités car les banques exigent des garanties et un apport personnel important. Les parents aident souvent, mais même dans ces cas, il faut du temps pour qu'une transaction soit conclue. Enfin, un minimum de stabilité financière est atteint, Maria et Mario ont maintenant une maison et ils commencent à vivre ensemble ; le système de protection sociale, cependant, ne fournit qu'une maigre protection en cas de perte de certains emplois, et, ennemis du risque, Maria et Mario décident d'attendre avant de faire leur premier enfant. La petite Carmen naît enfin, pour la plus grande joie de ses parents. Cependant, dans leur pays, les transferts à destination des familles et des enfants sont parmi les plus bas d'Europe - à coup sûr, les amis qu'ils se sont faits au cours du programme Erasmus, Philippe et Françoise, ou Ingrid et Günnar reçoivent bien plus de deniers publics de leurs pays, sous la forme d'allocations familiales et d'aides de toutes sortes. Les structures publiques pour les enfants sont en sous financement et la tendance à long terme de la baisse des naissances rend les parents avec enfants moins attractifs, en tant que consommateurs, aux yeux du secteur privé, sans compter qu'ils sont un groupe de pression moins nombreux et, de ce fait, moins exigeant, sur l'action des gouvernements. La société, tant dans sa composante privée que dans sa composante publique, apparaît organisée pour les adultes, et pas pour les gamins. Maria et Mario ont atteint le milieu de la trentaine, et leur décision d'avoir un deuxième enfant se fait plus hésitante. Ils deviennent attentistes, mais chaque mois passé diminue marginalement la possibilité que Carmen ait un petit frère ou une petite sœur.

Est-ce que des politiques pourraient modifier la vie des nombreux Marias et Marios de ce pays anonyme, accélérant leur passage à l'âge adulte et à l'autonomie, en levant certaines des contraintes qui retardent leurs choix reproductifs, pour faire coïncider leurs aspirations et la réalité ? Il n'y a aucune raison d'être pessimiste, pour autant que nous nous souvenions que les décisions en matière de natalité sont la conséquence de trois paramètres, et seul l'un d'entre eux est modifiable par ces politiques.

En premier lieu, la biologie. Après avoir connu des centaines de milliers d'années d'évolution, la biologie de la reproduction peut être considérée comme établie - à notre échelle temporelle. La biologie, filtrée pas des facteurs sociaux et culturels, génère quelque chose que, faute d'une meilleure définition, j'appellerai "l'instinct de reproduction", ce qui est, il faut l'admettre, un concept vague. Cet instinct, peut-être immuable, est assez stable au fil du temps- même si, dans les situations les plus critiques, la proportion de reproduction est minimale - et aucune politique ne peut le modifier.

Le deuxième facteur d'importance est la représentation idéale et culturelle de ce que la reproduction représente pour chacun d'entre nous : un bon indicateur est, par exemple, la taille de la famille, désirée ou rêvée. Si l'on doit croire les enquêtes, il semble assez stable : car depuis plus d'un demi siècle, la norme de la famille idéale est restée la même, toujours autour ou légèrement au-dessus du taux de remplacement, et ce dans toutes les classes de la société et dans tous les pays. Alors, on oublie d'essayer de manipuler les esprits des gens : ils feront ce qu'ils pensent bon pour eux, pas ce qu'on leur dit de faire. Toute exhortation visant à changer les esprits des gens est soit inutile, soit contreproductive.

En troisième facteur, les contraintes transformant les idéaux et les désirs en comportement reproductif dans les faits : la douleur, la peur, l'anxiété, le temps, l'espace, l'argent, les biens matériels pour n'en nommer que quelques uns. L'impact variable de cette contrainte et la durée de leurs cycles constitue l'essentiel des causes de variation du taux de fertilité, qui s'échelonne aujourd'hui en Europe entre 1,2 et 2 enfants par femme. Je soumets à votre opinion l'idée que des politiques appropriées peuvent réduire ces différences.

Combien y a-t-il de Marias et de Marios ? Ils sont de plus en plus nombreux, avec la dérégulation du marché du travail et la nécessité d'avoir deux revenus, alors qu'aucune modification structurelle du système de transferts publics n'est organisée. Des politiques visant à renverser partiellement la tendance, vieille de plusieurs décennies, à différer la venue d'un enfant et à convaincre une femme sur cinq d'avoir un enfant supplémentaire augmenteraient le taux et fertilité d'un demi point, de sorte qu'un taux de fertilité de 1,7 à 1,8 pourrait être atteint. Trois gros points d'interrogations au sujet desdites politiques. Primo : est-ce qu'elles existent ? Secundo : coûtent-elles trop cher ? Tertio : est-ce qu'elles marcheront ? Qu'on me laisse répondre brièvement. Ces politiques existent certes et elles peuvent être définies comme des politiques permettant l'indépendance des jeunes. Elles impliquent une transition plus rapide dans la vie adulte ; une entrée plus précoce dans la vie sociale et économique ; une plus grande sécurité des revenus, avec un filet de sécurité spartiate mais efficace ; une facilitation de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle ; une redistribution des transferts sociaux vers les familles avec enfants. On peut facilement trouver à l'étranger les meilleures méthodes en la matière. Plus de pouvoir pour ces jeunes veut dire plus d'autonomie, plus de responsabilité, moins de contraintes pour faire sa vie, y compris en matière d'idéaux reproductifs. Ces politiques coûtent-elles trop cher ? Ca dépend. Ouvrir le marché du travail aux jeunes implique plus d'emplois, plus de revenus et plus de ressources pour le système. La redistribution des transferts plus pour les familles, moins pour les personnes ayant terminé leur vie reproductive, peut avoir un coût politique élevé, mais, d'un point de vue économique, ce pourrait être un jeu à somme nulle. Ces politiques marcheraient-elles ? Nous pouvons débattre de l'efficacité des politiques précédentes, pour savoir si elles ont encouragé des changements de comportements ou s'il est mieux d'attendre qu'une main invisible restaure l'équilibre de la balance démographique. Mais le passé n'est que rarement un bon indicateur pour prédire le futur : dans le cas de ces politiques, leurs effets cumulés à long terme doit être évalué sans tenir compte du conditionnement de l'environnement général social, économique et culturel, ce qui est, au mieux, difficile. De plus, le transfert net de ressources opéré par ces politiques a été soit de courte durée, soit de faible montant. Enfin, les conditions extérieures changent, de même que les réactions des hommes face aux politiques. Des expériences pendant un temps donné peuvent être renversées pendant une autre période.

Un dernier point général avant de conclure. Parmi les nombreux facteurs responsables du faible taux de fertilité dans de nombreux pays européens, vraisemblablement le plus important est "la tendance à une fertilité négative", conséquence des principaux systèmes de protection sociale et la moindre générosité avec laquelle les familles avec de jeunes enfants sont traitées par rapport aux familles sans enfants ou au delà de l'âge de la reproduction. Aujourd'hui les dépenses publiques en Europe représentent jusqu'à 50 % du PNB, et la manière dont les gouvernements redistribuent ces 50 % entre les générations affecte énormément le coût relatif de l'enfant. Ces transferts inéquitables ont un impact plus important maintenant qu'autrefois - il y a 100 ans, seuls 10 % du PNB était redistribué par l'Etat, et il y a cinquante ans, il s'agissait de 25 %.

Des politiques bien coordonnées, avec des ressources appropriées (ce qui n'a pas besoin d'augmenter la dépense publique globale pour autant) mise en oeuvre sur une longue durée, pourraient avoir un impact considérable. Si vous ne me croyez pas, demandez à Mario et à Maria.

Merci.

1 () Il s'agit du nombre d'enfants nés d'une femme qui traverserait ses années de vie féconde en se conformant aux taux de fécondité par âge d'une année donnée. C'est donc la descendance finale d'une génération fictive, calculée en cumulant les taux de fécondité par âge des femmes pour l'année considérée (les effectifs de femmes à chaque âge étant supposé égaux).

2 () Selon les divers scénarii de l'INSEE, la population française à l'horizon 2030 pourrait atteindre entre 63,9 millions et 68,1 millions de personnes (Réponse du gouvernement français au Livre vert).

3 () Comme le précisent ses auteurs, cette étude ne recouvre pas tout l'effort public en faveur des familles. En sont exclus les transferts fiscaux, ainsi que quelques éléments comme les versements aux établissements hospitaliers au titre des soins de maternité.

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