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N° 3132

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 juin 2006

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur le développement de la politique européenne de voisinage
et la question des frontières de l'Union européenne
(COM [2004] 628 final / E 2725)
,

ET PRÉSENTÉ

par M. Thierry MARIANI,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe-Armand Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LES ORIENTATIONS ET LES INSTRUMENTS DE LA POLITIQUE DE VOISINAGE 7

A. Trois orientations 8

1) Une approche unifiée des relations de l'Union européenne avec un ensemble de 16 pays 8

2) Une stratégie d'intégration économique et de coopération politique sans perspective d'adhésion 9

3) Une méthode de différenciation par pays pour dynamiser l'approche régionale 11

B. Trois instruments 11

1) L'appui sur le cadre contractuel existant 11

2) La création des plans d'action 13

3) La fusion des instruments financiers Meda et Tacis dans un instrument unique 13

II. LES DEFIS D'UNE MISE EN œUVRE DANS UN CONTEXTE DE CRISES ET DE FORTES ATTENTES A L'EST COMME AU SUD 19

A. Les voisins de l'Est partagés entre les deux politiques de voisinage de la Russie et de l'Union européenne 19

1) La Russie dans un rapport de puissance avec son étranger proche 19

2) Une aspiration majoritaire des voisins à la démocratie et à l'Europe 22

B. Les voisins arabes du Sud partagés entre une volonté de modernisation et la montée de l'islamisme fondamentaliste 24

1) La difficile relance du Processus de Barcelone dans un contexte de crises multiples 24

2) Des ambiguïtés à dissiper 26

III. LA QUESTION DES FRONTIÈRES DE L'UNION EUROPÉENNE 27

A. Un risque de contradiction en l'absence de choix sur le projet de l'Union européenne 27

B. La création d'un Espace économique multilatéral européen avec le voisinage, perspective donnant le temps à l'Union de choisir son projet et de définir ses frontières 30

C. L'Union européenne devant le choix soit de la différenciation des deux projets, soit de leur réconciliation 31

TRAVAUX DE LA DELEGATION 35

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION 49

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La proposition de règlement créant un instrument européen de voisinage et de partenariat est l'une des composantes de la réforme des instruments de l'action extérieure de l'Union européenne en vue de les regrouper en six dispositifs : aide humanitaire, stabilité, aide macrofinancière, aide de pré-adhésion, aide de voisinage et de partenariat, coopération en développement et coopération économique. Les débats qui ont eu lieu entre le Conseil et le Parlement européen devraient aboutir à l'adoption de la réforme sous présidence autrichienne et permettre son entrée en vigueur au 1er janvier 2007 dans le cadre des perspectives financières 2007-2013.

Cet examen est surtout l'occasion de présenter la nouvelle politique de voisinage de l'Union européenne, ses orientations, ses instruments et les défis de sa mise en œuvre dans un contexte de crises et de fortes attentes chez les voisins de l'Est comme du Sud, et d'engager la réflexion sur la définition des frontières de l'Union européenne, avant le Conseil européen des 15 et 16 juin.

I. LES ORIENTATIONS ET LES INSTRUMENTS DE LA POLITIQUE DE VOISINAGE

L'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres le 1er mai 2004 a modifié la géographie politique de l'Union dans une proportion considérable, avec le déplacement vers l'Est de 6 000 kms de frontières de Koper en Slovénie jusqu'à Narva en Estonie, et nécessité la redéfinition des relations de l'Union avec ses voisins à l'Est et au Sud.

La Commission européenne avait anticipé cette évolution en présentant en mars 2003 une communication intitulée « L'Europe élargie - Voisinage : un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l'Est et du Sud », à la suite d'une lettre conjointe adressée en 2002 au Conseil par M. Javier Solana, Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, et M. Chris Patten, alors Commissaire aux relations extérieures. En juillet 2003, la Commission a présenté une nouvelle communication qui a été suivie par le dépôt, en octobre 2004, d'une proposition de règlement portant création d'un instrument européen de voisinage et de partenariat. Enfin, la Commission a soumis au Conseil, en mai 2004, une communication intitulée « Politique européenne de voisinage - document d'orientation » déterminant les objectifs et principes, la portée géographique, ainsi que les méthodes pour mettre en œuvre cette politique.

La politique de voisinage repose sur trois orientations et trois instruments.

A. Trois orientations

1) Une approche unifiée des relations de l'Union européenne avec un ensemble de 16 pays

Cette politique s'adresse à tous les Etats disposant de frontières terrestres ou maritimes avec l'Union européenne élargie, à l'Est et au Sud, en donnant au terme de voisin une définition extensive.

Son champ géographique couvre 16 pays : 9 pays du Sud : Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël, Autorité palestinienne, Jordanie, Syrie et Liban ; 5 pays de l'Est : Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan ; 2 pays ont vocation à participer lorsqu'ils auront normalisé leurs relations avec l'Union : Biélorussie et Libye.

La liste a évolué depuis sa fixation par le Conseil « Affaires générales » en juin 2003. Le Conseil européen de juin 2004 a exclu la Russie de son champ à la demande de ce pays, pour développer un partenariat stratégique spécifique dans le cadre des « quatre espaces communs » définis lors du sommet de Saint-Pétersbourg en mai 2003.

En revanche, le même Conseil européen a décidé d'inclure l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie dans la politique européenne de voisinage.

Il convient enfin de rappeler que cette politique ne concerne pas les 12 autres voisins de l'Union :

- 4 pays européens qui pourraient adhérer à l'Union mais ne le veulent pas pour le moment : les 3 membres liés à l'Union dans l'Espace économique européen (Islande, Liechtenstein, Norvège) et la Suisse ;

- les 8 pays auxquels l'Union offre une perspective d'adhésion plus ou moins rapprochée : Bulgarie, Roumanie, Croatie, Turquie, Ancienne République yougoslave de Macédoine, Albanie, Serbie-et-Monténégro, Bosnie-Herzégovine.

2) Une stratégie d'intégration économique et de coopération politique sans perspective d'adhésion

La politique de voisinage introduit une nouvelle stratégie de projection de la sécurité et de la prospérité de l'Union sur son pourtour et prend le relais de la stratégie d'élargissement continu poursuivie jusqu'à présent pour réaliser cet objectif.

Afin d'éviter que ne se crée une nouvelle division entre l'Union et ses voisins, elle leur propose d'adopter une approche commune pour surmonter quatre grands défis(1) :

le défi démocratique : le Conseil a rappelé en juin 2004 que les progrès de la relation avec chaque voisin dépendront de son engagement à respecter les valeurs communes, dans des régions où l'indépendance des médias, la régularité des élections et le respect des partis de l'opposition se sont imposés difficilement, du moins jusqu'aux révolutions démocratiques intervenues en Géorgie et en Ukraine ;

le défi économique pour résorber les disparités de niveau de vie qui risquent de s'accroître, à l'Est entre les nouveaux membres de l'Union et leurs voisins, et au Sud qui n'attire pas les investisseurs étrangers au moment où les entrées sur leur marché du travail vont culminer entre 2000 et 2010 ;

le défi énergétique autour de la stabilisation et de l'intégration de deux régions essentielles pour la sécurité énergétique de l'Union. L'inclusion du Caucase en juin 2004 dans la politique de voisinage est largement motivée par la nécessité de stabiliser les pays producteurs et de transit du pétrole de la mer Caspienne vers l'Europe. Au Sud, une logique d'interdépendance prévaut également avec l'Algérie (2,9 % des réserves mondiales de gaz) et la Libye (2,9 % des réserves mondiales de pétrole) ;

le défi migratoire : l'Union européenne s'efforce de compléter ses efforts internes sur l'intégration des migrants légaux, la coordination des procédures d'asile, la création d'une Agence européenne de surveillance des frontières et la lutte contre l'immigration clandestine par la négociation avec ses partenaires d'accords de réadmission des immigrés clandestins. Ceux-ci demandent en contrepartie un assouplissement de la politique des visas et un accès plus aisé aux marchés européens du travail.

Pour répondre à ces quatre défis, l'Union européenne propose à ses voisins une offre économique et une offre en matière de sécurité.

L'offre économique propose aux voisins de les aider à adopter progressivement l'acquis communautaire, grâce à une harmonisation législative et réglementaire, pour participer à terme à au moins trois des quatre libertés du marché intérieur de l'Union européenne sur les mouvements de capitaux, de biens et de services. En revanche, le Conseil a écarté la libre circulation des personnes qui faisait partie de la proposition initiale de la Commission.

L'offre porte également sur l'instauration de zones de libre-échange à moyen terme, la mise en place de politiques macroéconomiques solides pour soutenir des réformes en matière de privatisation, fiscalité et politique monétaire et enfin le renforcement des liens dans le domaine des transports, des télécommunications et de l'énergie.

Le développement de la coopération transfrontalière est au centre des préoccupations économiques et de sécurité de la politique de voisinage. Elle s'articule autour de quatre objectifs : le développement de l'économie locale des zones frontalières, souvent parmi les plus pauvres de leurs pays respectifs ; le travail conjoint pour faire face aux défis communs dans les domaines tels que l'environnement, la santé et la lutte contre le crime organisé ; la garantie de frontières efficaces et sûres à l'aide d'actions conjointes ; la promotion d'actions locales favorisant les contacts entre les personnes.

La mise aux normes européennes de la nouvelle frontière orientale de l'Union et l'introduction de visas pour les ressortissants de la Communauté des Etats indépendants (CEI) ont nourri le reproche d'une Europe-forteresse en train d'ériger un nouveau mur de papier.

Le président Ukrainien a réagi en supprimant, par décret du 28 juillet 2005, l'obligation de visas pour les citoyens des pays membres de l'Union européenne et de la Suisse.

Le Parlement européen a adopté le 14 février 2006, en première lecture, une législation créant un visa spécial pour faciliter le franchissement régulier de la frontière par les résidents frontaliers pour un séjour de sept jours à trois mois, selon les cas.

L'offre en matière de sécurité porte également sur le développement d'une responsabilité commune en matière de prévention et de résolution des conflits qui obèrent depuis très longtemps les possibilités de développement, tant à l'Est qu'au Sud. La coopération politique concerne également des objectifs essentiels de la politique étrangère tels que la lutte contre le terrorisme et la non-prolifération des armes de destruction massive.

3) Une méthode de différenciation par pays pour dynamiser l'approche régionale

La politique de voisinage tire les leçons de la lenteur du processus de réforme aussi bien à l'Est qu'au Sud dans le cadre du processus de Barcelone et de la réussite de la méthode des partenariats pour l'adhésion suivie pour les dix nouveaux membres. Certes la motivation de l'adhésion a pu expliquer en partie l'effort des pays candidats, mais il manquait manifestement un maillon entre les accords avec les voisins et les programmes financiers Meda et Tacis pour stimuler les partenaires. Les nouveaux plans d'action joueront ce rôle d'aiguillon et permettront à chaque pays de progresser à son rythme.

B. Trois instruments

1) L'appui sur le cadre contractuel existant

La politique de voisinage s'appuie sur les actuels accords d'association avec les partenaires euro-méditerranéens et sur les accords de partenariat et de coopération avec les pays issus de l'ex-Union soviétique.

La différenciation entre pays apparaît dès la comparaison des dates d'entrée en vigueur de ces accords : certains accords sont en attente de ratification (Syrie) quand d'autres atteindront bientôt leur échéance de dix ans renouvelables (Tunisie, Ukraine, Moldavie) et seront renégociables.

Pays partenaires de la PEV

Relations contractuelles avec la CE - entrée en vigueur

Rapport de PEV

Plan d'action de la PEV

Adoption par l'UE

Adoption par le pays partenaire

Algérie

AA - 2005

En préparation

--

--

--

Arménie

APC - 1999

Mars 2005

En préparation

--

--

Azerbaïdjan

APC - 1999

Mars 2005

En préparation

--

--

Belarus

--

--

--

--

--

Egypte

AA - juin 2004

Mars 2005

En préparation

--

--

Géorgie

APC - 1999

Mars 2005

En préparation

--

--

Israël

AA - juin 2000

Mai 2004

Arrêté fin 2004

21.02.2005

11.04.2005

Jordanie

AA - mai 2002

Mai 2004

Arrêté fin 2004

21.02.2005

11.01.2005

Liban

AA - avril 2006

Mars 2005

En préparation

--

--

Libye

--

--

--

--

--

Moldavie

APC - juillet 1998

Mai 2004

Arrêté fin 2004

21.02.2005

22.02.2005

Maroc

AA - mars 2000

Mai 2004

Arrêté fin 2004

21.02.2005

27.07.2005

Autorité palestinienne

AA intérimaire - juillet 1997

Mai 2004

Arrêté fin 2004

21.02.2005

04.05.2005

Syrie

AA - en attente de ratification

--

--

--

--

Tunisie

AA - mars 1998

Mai 2004

Arrêté fin 2004

21.02.2005

04.07.2005

Ukraine

APC - mars 1998

Mai 2004

Arrêté fin 2004

21.02.2005

21.02.2005

APC : accord de partenariat et de coopération.

AA : accord d'association.

Source : Commission européenne.

2) La création des plans d'action

Les plans d'action sont établis par la Commission sur la base de documents de stratégie et de rapports par pays, décrivant leurs progrès dans la mise en œuvre des accords et des réformes correspondantes.

D'une durée de trois à cinq ans, les plans d'action fixent des priorités pour les deux parties en fonction des spécificités de chaque pays voisin et font l'objet d'une évaluation régulière permettant leur adaptation.

Le Conseil du 21 février 2005 a adopté sept plans d'action avec Israël, la Jordanie, la Moldavie, le Maroc, l'Autorité palestinienne, la Tunisie et l'Ukraine.

Le Conseil du 25 avril 2005 a décidé l'ouverture de négociations sur cinq autres avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan, l'Egypte, la Géorgie et le Liban.

Les institutions financières internationales commencent à se fonder sur les plans d'action pour établir le programme stratégique de leurs opérations avec les pays partenaires.

3) La fusion des instruments financiers Meda et Tacis dans un instrument unique

L'instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) comporte le mot partenariat dans son titre pour couvrir également la Russie, en plus des pays voisins. Il remplacera, à compter du 1er janvier 2007, les programmes géographiques et thématiques existants et simplifiera les procédures de la coopération transfrontalière, en finançant des programmes conjoints d'Etats membres et de pays partenaires ayant une frontière terrestre ou maritime commune. Il s'appuiera largement sur les principes des fonds structurels : programmation, partenariat et cofinancement multiannuels. Il présentera l'avantage de combiner les objectifs de la politique étrangère et de la politique de cohésion économique et sociale, opération actuellement difficile en raison de la séparation des programmes européens internes et externes.

Cet instrument est par ailleurs incitatif puisque les critères d'allocation des ressources prendront en compte le niveau d'ambition du partenariat de chaque pays avec l'Union européenne.

Les Etats membres ont été très attentifs à la comitologie, c'est-à-dire à leur pouvoir de contrôle sur les décisions de la Commission. Le texte initial prévoit que les documents de stratégie et la programmation indicative pluriannuelle déterminant les priorités de l'aide et les enveloppes financières sont adoptées par la Commission sur avis du comité des Etats membres dans le cadre de la procédure de gestion. Les programmes d'action annuels, par pays et par région, sont adoptés par la Commission, conformément à la programmation pluriannuelle, sans intervention du comité de gestion avec transmission pour information, afin d'alléger une procédure d'examen de tous les programmes actuellement très lourde. Enfin, les mesures prises par la Commission en dehors de toute programmation pluriannuelle approuvée par les Etats membres seraient soumises pour avis au comité de gestion lorsque le montant serait supérieur à 15 millions d'euros.

Les Etats membres ont souhaité dans leur grande majorité que la procédure du comité de gestion s'applique à tous les documents de programmation, y compris les programmes d'action, pour l'ensemble des instruments de l'action extérieure. La France souhaite que le seuil d'un passage au comité de gestion pour les mesures exceptionnelles soit de 5 millions d'euros, et non de 15 dans l'IEVP.

Le Parlement européen a proposé de scinder l'instrument de coopération pour le développement et la coopération économique (ICDCE) en quatre instruments : droit de l'homme, programmes thématiques, programmes géographiques pour les pays en développement et coopération avec les pays développés. Cette modification nécessiterait une adaptation de tous les instruments, notamment de l'IEVP auquel s'appliquent des programmes thématiques, ainsi que dans le domaine des droits de l'homme en tant que priorité transversale de tous les instruments.

Le financement de la politique de voisinage a subi les aléas des négociations sur les perspectives financières 2007-2013. La Commission proposait à l'origine 14,9 milliards d'euros pour
2007-2013, soit sensiblement plus que le total de 8,5 milliards résultant de l'enveloppe Meda de 5,3 milliards et de l'enveloppe Tacis de 3,2 milliards pour la période 2000-2006.

A l'issue des conclusions du Conseil européen de décembre 2005 et des négociations avec le Parlement européen depuis janvier 2006, l'IEVP voit l'enveloppe fixée en décembre augmenter de 200 millions d'euros et devrait disposer finalement de 11,967 milliards d'euros de 2007 à 2013. Ce montant figure dans une proposition de compromis de la Présidence autrichienne du 2 mai et doit encore être confirmé.

Cette enveloppe n'est qu'indicative, ses montants annuels pourront varier en fonction des décisions de l'autorité budgétaire, c'est-à-dire du Conseil et du Parlement européen, et elle doit être approuvée, avec l'ensemble de l'accord sur les perspectives financières, par le Parlement et le Conseil en juin 2006.

Le débat le plus difficile sur l'IEVP a concerné la répartition géographique indicative des crédits par région entre l'Est et le Sud.

L'Allemagne, et avec plus de souplesse le Royaume-Uni, ont très fermement contesté toute approche régionale dans le nouvel instrument. Ils ont été suivis par les nouveaux membres de l'Est et la plupart des membres nordiques pour défendre la conception d'une politique de voisinage totalement indifférenciée reposant sur le principe de conditionnalité et l'aide aux pays selon leurs mérites propres.

La France, avec le soutien des membres du sud de l'Union, a défendu la nécessité de donner des assurances claires aux partenaires méditerranéens sur les engagements de l'Union européenne de ne pas les négliger au bénéfice des voisins de l'Est.

Le Conseil est parvenu à un compromis fondé sur une déclaration de la Commission annexée à l'IEVP. Elle comporte plusieurs engagements dont le premier apporte la garantie essentielle sur le respect de l'équilibre actuel que demandaient la France et les membres du sud de l'Union :

- la répartition pluriannuelle entre pays et régions prendra pour base le niveau d'assistance prévu dans les perspectives financières actuelles, soit deux tiers pour le Sud et un tiers pour l'Est ;

- la marge d'accroissement des financements sera fonction de la mise en œuvre des objectifs agréés bilatéralement entre l'Union européenne et les pays voisins ;

- les documents de stratégie pluriannuels reflèteront les politiques régionales existantes de l'Union, leurs priorités et leurs engagements, et comporteront ainsi une référence indirecte au partenariat euro-méditerranéen ;

- la programmation budgétaire annuelle précisera la répartition entre l'Est et le Sud.

Au total, seule la mise en œuvre de la politique de voisinage permettra de lever un certain nombre d'incertitudes.

Le tropisme de l'Union élargie au profit de l'Est et au détriment du Sud a en principe été résolu par la déclaration de la Commission sur la répartition des crédits entre l'Est et le Sud. Mais les partenaires méditerranéens doivent prendre conscience qu'ils ne bénéficient plus au sein de l'Union d'une majorité acquise automatiquement à une relation privilégiée avec eux et qu'ils devront redoubler d'efforts de réformes pour justifier un accroissement de l'aide de l'Union. De grands contributeurs budgétaires nets ainsi que les nouveaux membres qui ont accompli d'immenses efforts de réforme, sont encore relativement pauvres et ont de forts intérêts communs avec les voisins de l'Est, seront certainement d'une extrême exigence.

La deuxième incertitude porte sur le risque qu'une différenciation par pays poussée à l'extrême ne contrarie l'intégration régionale entre les partenaires méditerranéens qui est l'un des principaux objectifs du processus de Barcelone. La Commission a toujours assuré aux partenaires méditerranéens que la politique de voisinage était le complément bilatéral du processus de Barcelone régional et qu'elle le renforçait mais ne le remplaçait pas. Une conditionnalité excessive par pays pourrait devenir un instrument de divergence et non plus de convergence entre pays partenaires méditerranéens.

Enfin, l'absence de perspective d'adhésion pour les voisins pose la question de savoir s'ils se contenteront des contreparties offertes par la politique de voisinage et accepteront d'adopter les normes européennes pour les seuls bénéfices de la modernisation économique et administrative. En d'autres termes, l'Union européenne peut-elle transformer ses voisins tout en les tenant à distance(2) ?

II. LES DEFIS D'UNE MISE EN œUVRE DANS UN CONTEXTE DE CRISES ET DE FORTES ATTENTES A L'EST COMME AU SUD

La politique de voisinage devra relever les défis d'une mise en œuvre dans un contexte de crises et de fortes attentes à l'Est comme au Sud.

Les voisins de l'Est sont partagés entre les deux politiques de voisinage de la Russie et de l'Union européenne, dont la compatibilité reste incertaine.

Les voisins du Sud sont partagés entre la volonté de modernisation et la montée de l'islamisme fondamentaliste.

A. Les voisins de l'Est partagés entre les deux politiques de voisinage de la Russie et de l'Union européenne

1) La Russie dans un rapport de puissance avec son étranger proche

La Russie rétablit progressivement un rapport de puissance avec son étranger proche sur les plans économique, militaire et énergétique.

Au plan économique, la Russie a fait plusieurs tentatives pour établir une union douanière avec ses voisins et reconstituer un territoire disposant d'une politique commerciale extérieure commune. Dans le cadre de la Communauté des Etats indépendants créée à Minsk le 8 décembre 1991, après les échecs du traité de l'union économique des pays de la CEI de septembre 1993 que l'Ukraine n'avait pas signé, puis de la communauté économique eurasienne lancée le 10 octobre 2000 avec la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et la Tadjikistan, la Russie a signé le 19 septembre 2003 avec la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine un accord pour la formation d'un Espace économique commun (EEC). Il prévoit la mise en place progressive d'une zone de libre-échange puis d'une union douanière.

La participation de l'Ukraine à une zone de libre-échange régionale avec l'Union européenne serait en principe compatible avec cette zone de libre-échange à condition que les règles administratives sur le cumul d'origine soient harmonisées. Elle serait beaucoup moins compatible avec une union douanière restreignant la marge de manœuvre de l'Ukraine et obligeant l'Union européenne à négocier directement avec l'EEC. Enfin, la participation de l'Ukraine à l'union douanière de l'EEC contredirait sa volonté d'adhérer à terme à l'Union européenne, car nul ne peut participer à deux unions douanières ayant des politiques commerciales différentes et des implications politiques, économiques et monétaires en arrière-plan.

L'Ukraine et les autres voisins de l'Est devront décider de la cohérence des diverses politiques commerciales qu'ils sont en train de négocier aux niveaux multilatéral, dans le cadre de leur adhésion à l'OMC, et régional, avec la création d'un Espace commun avec la Russie et d'une zone de libre-échange avec l'Union européenne(3).

En second lieu, la Russie a maintenu une présence militaire en Transnistrie, après sa séparation de la Moldavie en 1992, et en Géorgie et a adopté une position très ambiguë à l'égard des séparatismes et des conflits gelés dans la région depuis une décennie.

Sur la Moldavie, la Russie a indiqué sa disponibilité à contribuer à un règlement, confirmée par la tenue d'une conférence, les 28 et 29 octobre 2005, et avancé par ailleurs des propositions sur une opération multinationale de maintien de la paix et d'observation, mais sans mentionner la démocratisation de la Transnistrie ni le retrait de ses troupes.

Au Sud-Caucase, la conclusion d'un accord avec la Géorgie sur un retrait des bases militaires russes d'ici 2008, conformément aux engagements de l'accord d'Istanbul en 1999, est un développement très positif. En revanche, l'opposition de la Russie, en décembre 2004, au renouvellement du mandat de l'OSCE sur l'observation de la frontière russo-géorgienne, en place depuis 2000, de même que le soutien persistant aux entités séparatistes en Ossétie du Sud et en Abkhazie, ne sont pas des éléments de progrès.

Enfin, la crise du gaz russo-ukrainienne a été le point d'orgue de la volonté de la société russe Gazprom de mettre fin aux tarifs préférentiels du gaz consentis aux voisins de la Russie et de prendre le contrôle des voies d'approvisionnement du gaz vers l'Europe.

Cette nouvelle politique n'a pas seulement concerné la Géorgie et l'Ukraine après leurs révolutions démocratiques de 2003 et 2004, mais aussi des pays proches ou alliés de la Russie comme l'Arménie et la Biélorussie. Après une brève interruption de ses livraisons à la Biélorussie en février 2004, Gazprom avait obtenu la cession de la moitié du capital de l'entreprise publique Beltransgaz, qui contrôle les oléoducs de transit biélorusses en contrepartie d'un prix du gaz de 47 dollars les 1 000 m3. Un désaccord sur la valeur de l'entreprise a bloqué la transaction et Gazprom a menacé, après les élections présidentielles de mars 2006, de quintupler le prix du gaz à partir de 2007 en l'alignant sur le prix du marché mondial de 230 dollars, si le Président Loukachenko ne lui cédait pas le contrôle des oléoducs.

L'accord gazier russo-ukrainien conclu le 9 janvier 2006 après une interruption brutale des livraisons a abouti à un doublement à 95 dollars du mètre cube, loin de la demande initiale de 230 dollars, grâce à un mélange complexe de gaz russe et d'Asie centrale, et à une augmentation des tarifs de transit de 1,09 à 1,6 dollar.

La Russie a donné l'impression d'avoir cédé sur les tarifs, car elle ne pouvait pas perdre sa crédibilité de fournisseur fiable de l'Europe en fermant trop longtemps les oléoducs ukrainiens par lesquels transitent 80 % du gaz russe exporté en Europe. Mais elle a pris le monopole de la fourniture de gaz à l'Ukraine par le canal d'une société contrôlée par des filiales de Gazprom et d'une banque autrichienne. Cet accord met fin à une aide indirecte de la Russie à l'Ukraine évaluée à plus de 3 milliards de dollars, qui la maintenait artificiellement dans une économie de gaspillage de l'énergie et la rendait peu apte à affronter la concurrence internationale aux conditions réelles du marché. L'Ukraine consomme cinq à sept fois plus que l'Union européenne par unité de PNB et elle devra, comme les autres voisins, améliorer son efficacité énergétique.

Cette crise a également fait prendre conscience à l'Union européenne de sa dépendance énergétique, au moment où la parenthèse de la Mer du Nord prend fin et où les entreprises de deux des principaux producteurs mondiaux de gaz, la Russie et l'Algérie, se rapprochent.

Le Conseil européen de mars 2006 ne s'est pas encore accordé sur une politique commune de l'énergie, mais il a approuvé le développement d'une politique extérieure commune de l'énergie. Les Etats membres n'ont pas retenu l'idée d'une OTAN de l'énergie proposée par la Pologne, mais marquent globalement leur volonté de renforcer la coopération énergétique avec la Russie sur des bases équilibrées, nécessitant la ratification par la Russie de la Charte européenne de l'énergie adoptée en 1991.

La question énergétique a été l'un des principaux sujets de discussion lors du sommet UE-Russie le 25 mai à Sotchi sur la Mer Noire, et le sera au sommet du G8, les 17 et 18 juillet à Saint-Pétersbourg, sous la présidence pour un an de la Russie.

2) Une aspiration majoritaire des voisins à la démocratie et à l'Europe

La Biélorussie est le seul pays de la région à tourner le dos à l'Union européenne depuis l'élection du Président Alexandre Loukachenko en 1994 et le gel des relations de l'Union avec ce régime depuis 1996. Le déroulement irrégulier des élections présidentielles de mars 2006 et la répression contre l'opposition ont été condamnés par le Conseil de l'Europe et l'OSCE et entraîné le renforcement des sanctions de l'Union européenne contre les responsables de ce régime, souvent qualifié de dernière dictature de l'Europe. Mais ce pouvoir pourrait bien être fragilisé par l'ambiguïté de son seul soutien. En effet, après avoir offert une perspective d'union entre les deux pays, la Russie retire à ce pays isolé le régime pétrolier de faveur qui constituait le socle d'une croissance de 11 % en 2004 et de 7 % en 2005.

L'aspiration des autres pays de la région à la démocratie et à l'Europe a mis plus de dix ans pour prendre consistance. Sous la présidence de M. Leonid Koutchma, l'Ukraine affirmait son souhait d'adhérer dans le futur à l'Union européenne sans le traduire en actes, hormis une période de réformes entreprises par le Premier ministre, M. Victor Ioutchenko. Cette aspiration a commencé à devenir crédible avec les révolutions démocratiques et les élections des Présidents Saakachvili en Géorgie, en janvier 2004, et Ioutchenko en Ukraine, en décembre 2004.

Ces révolutions démocratiques sont l'expression d'un choix de toute la société indépendant de toute influence étrangère, mais elles traduisent aussi la volonté d'une majorité au sein des populations d'appartenir à la communauté euro-atlantique. Le souhait d'adhérer à l'Union européenne accompagne celui d'adhérer à l'OTAN. Les Etats-Unis ont soutenu activement le mouvement de démocratisation à travers de puissantes ONG et ne cachent pas leur volonté d'attirer ces pays dans la sphère d'influence euro-atlantique en considération de leur importance géopolitique.

Jusqu'à présent, la Russie a refusé d'admettre que la démocratisation de son étranger proche était une aspiration populaire spontanée et n'a vu dans les révolutions géorgienne et ukrainienne que le résultat d'un complot de l'étranger contre son influence dans la région.

L'intérêt de la Russie serait d'admettre que son influence ne peut plus reposer sur la conservation de systèmes politiques anciens mais sur l'acceptation de leur transformation démocratique.

L'intérêt des pays de la région est de disposer de leur destin en entretenant une double relation apaisée avec leurs deux grands voisins. Mais elle ne s'apaisera avec la Russie que si elle est équilibrée. Les protagonistes ne sont pas actuellement dans cet état d'esprit : crise du gaz et arrêt des importations de vins géorgiens décidés par la Russie, annonce par les Présidents ukrainien et géorgien d'une intention de retirer leur pays de la CEI à la conférence de Vilnius du 4 mai rassemblant une dizaine de chefs d'Etat des pays de la Baltique et de la Mer Noire et le Vice-président des Etats-Unis.

L'intérêt de l'Union européenne pourrait être de constituer une zone d'équilibre dans laquelle l'Union européenne et la Russie entretiendraient des relations avec ces pays dans le respect mutuel des préoccupations des deux partenaires.

L'Union ne réalisera en effet pleinement l'objectif de prospérité et de sécurité de sa politique de voisinage qu'avec le règlement des conflits gelés dont la Russie détient en partie les clés. La prochaine adhésion de la Roumanie placera l'Union européenne au plus près de tous les trafics favorisés par la séparation de la Transnistrie. L'Union a confié à l'agence Frontex une mission de coopération avec l'Ukraine et la Moldavie et a lancé la mission (EUBAM) d'assistance à la frontière entre ces deux pays au titre de la PESD pour lutter contre ces trafics. Mais une solution globale impliquerait un accord avec la Russie.

Le développement d'une coopération énergétique avec les pays du Caucase est une priorité de l'Union européenne dans la région. La conférence ministérielle énergétique UE-Mer Noire-Caspienne, prévue à Astana en novembre 2006, devrait favoriser ce dialogue. Mais la région ne pourra se développer dans la stabilité sans un règlement des conflits avec l'accord d'une Russie inquiète d'une menace de contournement et d'encerclement dans son étranger proche.

B. Les voisins arabes du Sud partagés entre une volonté de modernisation et la montée de l'islamisme fondamentaliste

1) La difficile relance du Processus de Barcelone dans un contexte de crises multiples

Le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement euro-méditerranéens, réunis à Barcelone en novembre 2005, s'est efforcé de relancer un partenariat euro-méditerranéen dont le bilan était mitigé dix ans après sa création.

Il a adopté deux décisions majeures relatives à un code de lutte contre le terrorisme et un plan quinquennal renforçant la coopération dans des secteurs-clés comme l'éducation. Un cumul des règles d'origine euro-méditerranéennes a également été adopté pour favoriser les échanges commerciaux et la création d'une grande zone de libre-échange euro-méditerranéenne.

L'absence de la plupart des chefs d'Etat et de gouvernement des pays partenaires n'en a pas moins traduit leur insatisfaction face aux perspectives offertes par la superposition du processus de Barcelone et de la politique de voisinage.

La relance du processus de Barcelone est d'autant plus difficile dans un contexte marqué par quatre crises.

La région subit une instabilité croissante en raison des nombreux conflits qui la déchirent ou la côtoient : le conflit israélo-palestinien, la Syrie et le Liban, l'Algérie et le Maroc, l'Irak, l'Iran, mais aussi la menace d'un terrorisme diffus contre la plupart des régimes en place.

La concurrence de la Chine et de l'Inde sur le textile a réduit les avantages comparatifs de partenaires qui avaient beaucoup misé sur ce secteur et la hausse des prix du pétrole et du gaz a accru l'écart entre les pays pétroliers qui se désendettent, comme l'Algérie, et les autres qui s'appauvrissent.

Les élections récentes ont favorisé l'islamisme politique radical et risquent de bloquer la volonté de réforme et d'ouverture à la société civile des régimes autoritaires laïcs en place. Ceux-ci, faute d'avoir organisé à temps un espace de liberté pour une opposition démocratique et laïque, sont désormais confrontés au risque d'une alternance démocratique au profit de l'islamisme extrémiste.

Enfin, la crise des caricatures de Mahomet s'est progressivement transformée en une caricature des fondements de la démocratie européenne. Elle aurait pu creuser un fossé entre le Nord et le Sud sur les valeurs si l'alliance des modérés des deux rives n'avait pas contré l'offensive des extrémistes. Néanmoins, la complaisance de certains gouvernements à l'égard des débordements pourrait s'interpréter comme l'utilisation d'une opportunité pour faire barrage à la démocratisation du Moyen-Orient en délégitimant la démocratie européenne. Il faudra dans ce cas s'interroger sur la volonté de réforme de certains gouvernements, fondement de la dynamique du partenariat euro-méditerranéen et de la politique de voisinage.

2) Des ambiguïtés à dissiper

Les voisins du Sud veulent des contreparties plus substantielles à leurs efforts de réforme en termes d'accès au marché agricole européen, d'aide à l'essor des PME, d'investissement direct, d'aide à l'éducation et à la réduction de la fracture numérique et d'immigration. Ils demandent des compensations à la perte de leurs recettes douanières et des protections transitoires pour leurs PME naissantes face au choc concurrentiel de la libéralisation progressive des marchés européen et méditerranéen. Ils réclament enfin un partenariat équilibré qui prenne mieux en compte leurs souhaits sans s'ingérer en permanence dans leurs affaires intérieures. Ils se prononcent pour la réforme mais à leur rythme et selon leur voie.

Les rapports annuels des experts arabes du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ont montré que la modernisation de ces pays nécessitait le développement d'une société civile et d'un secteur privé non contrôlés par le pouvoir et capables de prendre des initiatives économiques, culturelles mais aussi politiques dans le cadre d'alternances ouvertes.

L'expérience montre que la plupart des gouvernements laïcs autoritaires n'ont pas renoncé à gouverner en s'appuyant sur des forces de sécurité dont la puissance s'est encore renforcée avec la lutte contre le terrorisme. Ces gouvernements sont en effet soumis à une demande contradictoire des Etats-Unis et, dans une moindre mesure, de l'Union européenne, qui tantôt les pressent de démocratiser rapidement, tantôt leur demandent d'accorder la priorité à la lutte contre le terrorisme. Cette contradiction a pu constituer une aubaine pour certains gouvernements peu pressés de réformer, mais l'Union européenne devra, à cet égard, hiérarchiser ses propres objectifs dans ses relations de voisinage.

Enfin, la combinaison du partenariat euro-méditerranéen et de la politique de voisinage pourrait favoriser une différenciation selon l'approche régionale, intéressant les voisins qui ont créé une zone de libre-échange avec l'accord d'Agadir (Maroc, Tunisie, Egypte, Jordanie), ou selon l'approche bilatérale avec l'Union, intéressant notamment l'Algérie pour une coopération directe en faveur de la diversification de son économie.

III. LA QUESTION DES FRONTIÈRES DE L'UNION EUROPÉENNE

Le Conseil européen des 15 et 16 juin devrait être amené à débattre de l'avenir de l'Union européenne et, par conséquent, de ses frontières. Une discussion a lieu entre les Etats membres pour déterminer s'il convient de se prononcer sur la délimitation des frontières de l'Union européenne. Les débats qui ont eu lieu à Bruxelles les 8 et 9 mai entre parlementaires européens et parlementaires nationaux sur le futur de l'Europe ont montré la diversité des opinions sur ce sujet.

Une définition des frontières dès maintenant serait prématurée. Il paraît en effet difficile de définir des frontières sans avoir choisi au préalable le projet de l'Union qui les détermine.

A. Un risque de contradiction en l'absence de choix sur le projet de l'Union européenne

L'Union européenne a pu s'élargir jusqu'à présent sans se poser la question des frontières parce que le critère géographique de l'Etat européen suffisait pour répondre à des demandes d'adhésion présentées par des pays au Nord, à l'Ouest et au Sud de l'Union européenne, sur le fondement de l'article 49 du traité sur l'Union européenne. La candidature du Maroc fut rejetée en 1987 en appliquant ce critère géographique.

L'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie et les nouvelles possibilités d'élargissement à l'Est posent désormais la question de la définition des frontières de l'Union européenne, dans la mesure où celles-ci ne peuvent plus reposer sur un critère géographique trop flou dans cette région mais sur des choix politiques se référant à un projet commun.

Les débats de ratification du Traité constitutionnel dans les Etats membres ont montré que cette question préoccupait l'opinion publique européenne. Or, faute de pouvoir se figurer le projet européen, l'opinion publique désorientée se raccroche à l'Europe géographique et ne comprend pas les décisions prises au coup par coup à l'égard de sa périphérie, sans vision d'ensemble(4).

L'opinion exprime en tous cas son rejet du projet d'une Europe sans frontière à l'élargissement indéfini, conçue comme la version régionale d'une communauté mondiale des démocraties de marché.

L'Union européenne a-t-elle vocation à s'étendre à toute l'Europe des 46 Etats comme l'a définie le Conseil de l'Europe ?

Même incomplet comme actuellement, le projet de l'Union européenne est d'une autre nature que celui des autres organisations internationales européennes comme le Conseil de l'Europe puisque, dans sa version la plus ambitieuse, l'Union européenne aurait vocation d'engendrer à terme un acteur global de plus en plus intégré. C'est la raison pour laquelle la définition des frontières de l'Europe posée par la résolution 1247 (1994) du Conseil de l'Europe, s'étendant à 46 pays(5) (dont la Russie, la Biélorussie, l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Turquie), ne peut pas s'appliquer à l'Union européenne.

En réalité, le temps est peut-être venu de reconnaître que l'Union européenne ne peut pas définir ses frontières avant de définir son projet, qu'il y a deux projets de l'Union et que les deux projets n'ont pas nécessairement les mêmes frontières.

Une zone de libre-échange et des politiques communes réduites à l'aide aux membres les plus pauvres n'exigent pas le même partage des souverainetés qu'une union politique et peuvent avoir des frontières plus extensibles. De même une union politique n'a pas nécessairement les mêmes frontières selon qu'elle se conçoit comme une puissance régionale ou mondiale.

Mais faute d'avoir fait ce choix, l'Union européenne a pour l'instant donné une réponse ambiguë à ses voisins et risque de se trouver face à une contradiction insoluble.

En effet, d'une part elle a fourni un début de réponse positive à la Turquie en lui reconnaissant le statut de pays candidat et en ouvrant les négociations d'adhésion. Les parties n'auront cependant la fin de la réponse que dans dix ans à la conclusion des négociations.

Mais d'autre part, elle a fourni un début de réponse négative à l'Ukraine, à la Moldavie et aux trois Etats du Caucase en les classant dans la nouvelle politique de voisinage comme des voisins n'ayant pas vocation à adhérer à l'Union européenne.

Cependant, cette réponse de l'Union européenne aux voisins de l'Est ne peut être considérée comme définitive.

La Commissaire aux relations extérieures chargée de la politique de voisinage, Mme Benita Ferrero-Waldner, a expliqué que la politique de voisinage avait pour objet d'éviter de nouvelles divisions aux frontières de l'Union européenne, mais qu'elle n'était pas censée déterminer la qualité de candidat qui relève d'un autre processus de décision.

Il semblerait en effet incohérent de dire définitivement non maintenant à l'Ukraine si l'Union européenne devait dire oui dans dix ans à la Turquie.

Mais il serait difficile de repousser de dix ans la définition des frontières de l'Union européenne et de laisser sans réponse une demande de l'opinion publique européenne.

B. La création d'un Espace économique multilatéral européen avec le voisinage, perspective donnant le temps à l'Union de choisir son projet et de définir ses frontières

La politique de voisinage contribue à cette ambiguïté de l'Union européenne mais elle lui donne une clé pour en sortir.

La politique de voisinage mêle en effet des voisins européens et des voisins non européens pour lesquels elle n'a pas la même signification symbolique.

La politique de voisinage ne change pas symboliquement la relation de partenariat euro-méditerranéenne née du processus de Barcelone en 1995. Elle se borne à la dynamiser en la différenciant grâce à des plans d'action adaptés aux besoins et aux rythmes de chaque partenaire. Elle offre une perspective ultime de partenariat privilégié euro-méditerranéen à des Etats du Sud qui se savent non européens et ne demandent pas l'adhésion. Elle correspond dans son stade ultime à la demande que le roi du Maroc, Sa Majesté Hassan II, avait adressée à l'Union européenne : plus que l'association, moins que l'adhésion.

En revanche, la politique de voisinage change symboliquement la perspective de l'Ukraine, de la Moldavie et des trois Etats du Caucase, sinon par rapport à une promesse d'adhésion que l'Union ne leur a jamais faite, du moins par rapport à leurs espoirs. Ces Etats qui se considèrent comme faisant partie de la famille européenne se voient dégradés au rang de voisins.

Cependant, elle leur offre une perspective ambitieuse puisqu'elle pourrait déboucher sur un réseau d'accords européens de voisinage susceptibles de constituer, ou d'accompagner, la relation multilatérale étroite mentionnée dans la résolution du Parlement européen du 16 mars 2006 sur le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission(6).

Le président de la Commission des affaires étrangères du Parlement européen, M. Elmar Brok, a présenté cette relation privilégiée comme un Espace économique multilatéral européen sans intégration politique mais avec des consultations politiques étroites dans certains domaines, se situant entre le voisinage et l'adhésion. Cette relation privilégiée constituerait le point d'arrivée ultime du rapprochement des voisins sans perspective d'adhésion, mais elle pourrait être également la dernière étape obligatoire avant l'adhésion pour les pays bénéficiant actuellement d'une perspective d'adhésion.

La réalisation d'un tel projet prendrait sans doute au moins une décennie et donnerait le temps aux voisins européens de se rapprocher d'une situation permettant à l'Union européenne de leur ouvrir éventuellement une perspective d'adhésion.

Elle donnerait aussi le temps à l'Union européenne de se réformer et, par conséquent, de choisir son projet et de définir ses frontières en toute connaissance de cause.

C. L'Union européenne devant le choix soit de la différenciation des deux projets, soit de leur réconciliation

Le désaccord sur les frontières et les candidatures vient du fait que les Etats membres (et les candidats éventuels) ne parlent pas de la même Union. Le débat pourrait sortir de la confusion si l'Union, loin d'éliminer l'un des deux projets, les faisait cohabiter en son sein dans le cadre d'une différenciation assumée.

Un grand ensemble régional à la mesure des autres ensembles régionaux du XXIe siècle pourrait se constituer progressivement autour de trois cercles clairement articulés entre eux :

- le cercle des amis rassemblant dans un grand espace économique et de sécurité paneuropéen et euro-méditerranéen l'Union et ses voisins sur le mode de la coopération la plus étroite ;

- le cercle de la famille étendue, fondé sur l'Union européenne actuelle du grand marché européen et des politiques communes, combinant intégration économique et coopération politique ;

- le cercle de la famille proche, regroupant ceux des membres de l'Union européenne qui voudraient réaliser l'Union économique et monétaire et l'union politique sur le mode de l'intégration la plus approfondie, sans nécessairement créer un super Etat fédéral.

Cette organisation en trois cercles n'enfermerait pas leurs membres dans des cloisonnements étanches, car les membres des trois cercles pourraient participer à des actions ou des politiques communes sur le mode volontaire dans le cadre des mécanismes de la coopération.

Cependant, deux évolutions sont peut-être en train de rapprocher les deux projets de l'Union et d'élever les ambitions des membres les plus modestes.

D'une part, la volonté d'adhésion de la Turquie et des voisins de l'Est confronte désormais l'Union européenne à des enjeux stratégiques et géopolitiques qui ne sont plus ceux d'une simple organisation de marché mais ceux d'une puissance en formation. L'Union doit en particulier se poser quatre questions :

de quelle manière l'Union doit-elle prendre en considération le rôle de carrefours stratégiques que jouent la Turquie et l'Ukraine entre l'Union européenne et le monde méditerranéen et turcophone d'Asie centrale, d'une part, l'Union et l'ensemble russe de l'autre ?

- l'importance géopolitique de la Turquie, de l'Ukraine et des trois pays du Caucase s'est encore accrue en tant que zones de transit (et de production pour l'Azerbaïdjan) du pétrole et du gaz à destination de l'Occident. La Chancelière d'Allemagne, Mme Angela Merkel, a annoncé que la Présidence allemande de l'Union européenne au premier semestre 2007 porterait une attention particulière au Caucase. Mais l'Union est-elle prête à participer au grand jeu auquel se livrent les puissances dans cette région et en Asie Centrale pour le contrôle des approvisionnements énergétiques ?

- la politique de voisinage de l'Union européenne à l'Est est en concurrence avec celle de la Russie, en train de renaître sous la forme d'une superpuissance énergétique de plus en plus impérieuse sinon impériale avec son étranger proche. Dans quelle mesure l'Union doit-elle prendre en considération son partenariat avec la Russie pour définir la nature de ses relations avec l'Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie et les trois Etats du Caucase ?

- La Turquie est un allié déterminant pour les Etats-Unis au flanc sud de l'OTAN et l'Ukraine, comme la Moldavie et les Etats du Caucase, n'envisagent leur adhésion à l'Union européenne qu'en complément de leur adhésion à l'OTAN. Dans quelle mesure l'adhésion de ces pays à l'Union européenne renforcerait-t-elle l'autonomie et les capacités de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) par rapport à l'OTAN, et plus globalement le projet de l'Europe politique par rapport à celui de l'Europe marché ?

D'autre part les bouleversements dans le secteur de l'énergie ont amené les tenants de l'Europe marché à approuver l'adoption par le Conseil européen d'une politique extérieure commune de l'énergie. La question est de savoir si l'Union européenne veut être le garant ultime de sa sécurité énergétique et de ses approvisionnements ou si elle laisse ce rôle à son allié américain.

La réconciliation des deux projets de l'Union européenne a peut-être enfin commencé.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mercredi 7 juin 2006, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le rapport d'information de M. René André sur les conditions de l'élargissement futur de l'Union européenne (AN n° 3133) et le présent rapport d'information. Elle a suivi cet ordre logique pour examiner des thèmes qui sont liés : élargissement puis voisinage et frontières.

M. René André, rapporteur, a indiqué que la proposition de règlement créant un instrument d'aide de préadhésion était l'une des composantes de la réforme des instruments de l'action extérieure de l'Union européenne en vue de les regrouper en six dispositifs : aide humanitaire, stabilité, aide macrofinancière, aide de préadhésion, aide de voisinage et de partenariat, coopération au développement et coopération économique. Les débats qui ont eu lieu entre le Conseil et le Parlement européen devraient aboutir à l'adoption de la réforme sous présidence autrichienne et permettre son entrée en vigueur au 1er janvier 2007 dans le cadre des perspectives financières 2007-2013. Le rapporteur a proposé d'approuver la création de l'instrument d'aide de préadhésion au point 1 de la proposition de conclusions qu'il a soumise à la Délégation.

Le rapporteur a ensuite expliqué que cet examen était surtout l'occasion d'engager la réflexion sur les conditions de l'élargissement futur de l'Union européenne, avant le Conseil européen des 15 et 16 juin, à la lumière de la place centrale qu'a prise l'élargissement dans le débat sur l'avenir de l'Europe et des préoccupations de l'opinion publique.

L'élargissement s'est d'abord trouvé au centre des enjeux au moment de l'élaboration du traité constitutionnel, afin de répondre à une double ambition.

La première était d'établir le plus juste équilibre entre le nombre d'Etats membres et la taille de leur population dans les mécanismes de décision à la majorité qualifiée, de manière à éviter le blocage d'un ensemble démocratique de 450 millions d'habitants. La fragmentation de l'Ex-yougoslavie qui continue avec l'indépendance du Monténégro et pourrait se poursuivre avec le Kosovo et peut-être même avec une séparation de la République serbe d'avec la Bosnie-Herzégovine conduit à s'interroger sur leur poids respectif dans la future Union élargie.

La deuxième s'efforçait de développer une union politique à côté de l'union économique et monétaire, qu'il est difficilement envisageable de réaliser à vingt-cinq.

L'élargissement s'est également trouvé au centre des débats de ratification du traité constitutionnel, en particulier sur deux autres thèmes : la question des frontières de l'Union européenne et l'avenir incertain du modèle social européen.

Le rapporteur a proposé à la Délégation, au point 2 des conclusions, de considérer que l'Union devait confirmer à l'ensemble des pays des Balkans occidentaux la perspective européenne qu'elle leur a promise à Thessalonique mais à la condition que chacun respecte complètement les critères d'adhésion généraux et spécifiques à cette région.

Cette nouvelle exigence s'est d'ailleurs peut-être exercée pour la première fois non pas pour l'adhésion à l'Union mais pour l'adhésion à l'euro. La candidature de la Lituanie à l'euro a été rejetée avec une extrême sévérité parce qu'elle a dépassé de 0,2 point le seuil requis en matière d'inflation (2,7 % au lieu de 2,5 % entre avril 2005 et mars 2006), alors qu'elle remplissait les quatre autres critères. C'est un signal politique qui pourrait s'adresser à tout candidat à l'adhésion à un système communautaire européen : être presque parfait ne suffit plus, il faut répondre parfaitement aux conditions.

A cet égard, les autres pays des Balkans occidentaux bénéficient d'une perspective d'élargissement, offerte par les Conseils européens de Feira en juin 2000 et de Thessalonique en juin 2003. Ces pays devront s'engager dans un long processus de réformes avant l'adhésion mais il faudra veiller à ne pas les décourager.

Cependant, avant d'accueillir tous ces pays qui ont vocation à entrer dans l'Union européenne, celle-ci devra réformer ses institutions et définir sa capacité d'assimilation de nouveaux Etats membres. Le rapporteur a proposé à la Délégation d'adopter sur ce thème, dans ses conclusions, les quatre points suivants :

- la Délégation estime que la réforme des institutions de l'Union européenne est une condition préalable à tout nouvel élargissement après l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, sous réserve d'un examen ultérieur du cas de la Croatie ;

- elle demande que le critère énoncé par le Conseil européen de Copenhague en 1993 relatif à « la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne » soit précisé pour s'appliquer désormais à tout nouvel élargissement ;

- elle définit ce critère comme la capacité d'organiser la convergence, la cohérence, la cohésion et la confiance des anciens membres avec un nouvel Etat dont l'adhésion accroît l'hétérogénéité de l'Union, afin que celle-ci fonctionne efficacement, préserve ses valeurs et ses acquis et progresse vers l'intégration des politiques ;

- elle rappelle que la liberté d'expression, la laïcité et l'existence de médias libres et indépendants sont des valeurs auxquelles la société démocratique européenne est indéfectiblement attachée et souligne que tout pays candidat doit s'engager à respecter et à promouvoir les libertés de l'Union et non à demander leur limitation.

Le rapporteur a considéré que l'adhésion de la Bulgarie, de la Roumanie et, dans quelques années, de la Croatie, étaient déjà acquises.

Pour les autres pays des Balkans occidentaux, il est compréhensible que l'Union ai interrompu la négociation d'un accord de stabilisation et d'association avec la Serbie et décidé de ne la reprendre qu'après l'arrestation de Mladic. Elle devrait cependant faire attention à ne pas décourager les démocrates serbes et à ne pas laisser ce pays retomber dans ses errements en raison d'un sentiment de rejet largement répandu dans la population.

L'indépendance du Monténégro, approuvée à 55,4 % lors du référendum du 21 mai 2006, risque d'entraîner des répercussions sur les négociations engagées depuis février 2006 entre les autorités serbes et kosovares sur le statut définitif du Kosovo, ainsi que sur la stabilité de toute la région. Les Serbes vont devoir accepter une solution se situant entre l'autonomie substantielle et l'indépendance du Kosovo.

Le rapporteur a déclaré exprimer une opinion personnelle, mais la République serbe de Bosnie-et-Herzégovine risque de ne pas accepter longtemps de faire partie de la Bosnie-Herzégovine après l'indépendance du Monténégro et du Kosovo. Avec la Serbie, l'Union européenne doit manier l'espérance et la fermeté, mais ne doit pas lui couper tout espoir.

Le Président Pierre Lequiller a insisté sur l'importance du point n° 3 des conclusions présentées par le rapporteur : si l'Europe s'élargit sans cesse, elle n'aura plus les moyens de fonctionner, de décider. A vingt-cinq, à vingt-sept, demain peut-être à trente, il est évident qu'une réforme des institutions est nécessaire, et que cette réforme doit être préalable à tout élargissement au-delà de la Bulgarie et de la Roumanie. C'est d'ailleurs ce qui est prévu par le traité de Nice, concernant la composition de la Commission. Il est important aussi d'insister sur le nouveau concept qui est celui de la « capacité d'absorption » ou « d'assimilation ».

M. René André, rapporteur, a souligné que, s'agissant du point n° 3 des conclusions, on en arrive à préconiser, comme l'avait fait le Président Valéry Giscard d'Estaing, que l'approfondissement précède l'élargissement. On ne peut que constater, pour le regretter, que c'est la conception britannique qui l'a emporté ces dernières années. Il faut que l'Europe devienne une véritable force politique face aux géants qui existent ou qui apparaissent au niveau mondial. Certes, devenir une telle force ne devra pas se faire sans respecter le rôle des Etats, voire des régions. En tout état de cause, une telle évolution passe par une réforme des institutions, notamment pour convaincre les citoyens européens.

M. Jacques Myard a reconnu que le rapport présenté par M. René André pose une question fondamentale. Nous avons changé de monde. Le problème, c'est que les positions du rapporteur s'inscrivent encore dans un modèle qui est la logique de l'intégration. Ce modèle est dépassé. La question est désormais : qui veut faire quoi sur tel ou tel sujet ? L' « A.D.N », le « logiciel » des traités, surtout depuis l'Acte unique, est que l'on a voulu tout harmoniser, tout intégrer. Ainsi est-on passé d'une Communauté volontaire à une Communauté intégrée dans laquelle tous ont l'obligation de s'aligner. Mais ce fût une grave erreur, et ça l'est encore plus dans une Europe à vingt-cinq, à vingt-sept... C'est un échec assuré. Aussi faut-il augmenter considérablement la flexibilité, pour prendre en compte le fait que tous n'avanceront pas à la même vitesse. L'Europe constitue un enjeu de solidarité régionale, pas un enjeu mondial. En-dehors de l'objectif de paix, les différents Etats européens n'ont pas les mêmes intérêts. C'est pourquoi la méthode doit changer.

Enfin, s'agissant de l'indépendance du Monténégro, il faut s'attendre à des effets dramatiques de ce phénomène de dislocation des Etats. Ce processus pourrait bien encourager ceux qui sont prêts à redessiner la carte de l'Europe pour y inscrire la Catalogne, un district Strasbourg-Kehl... C'est une vision extrêmement dangereuse. On ne peut pas à la fois poursuivre l'intégration et encourager les régionalismes et les « roitelets » locaux. M. Jacques Myard a conclu en indiquant qu'il ne pouvait donc pas adhérer aux conclusions qui préconisent une intégration accrue pour élargir l'Union.

M. René André, rapporteur, a observé que ses positions et celles de M. Jacques Myard n'étaient en réalité pas si éloignées. Certes, il est clair qu'une union politique n'est pas réalisable à vingt-cinq, ni a fortiori à vingt-sept ou à trente. Mais il s'est dit persuadé que les Etats membres de l'Union ont au moins quelques valeurs communes et que, tout en respectant les particularités de chacun, ils doivent les faire partager à tous les Européens. Elles ne sont pas encore partagées par tous en Europe, et notre intérêt est de les faire partager. Quant à l'objectif de paix, il ne doit pas être dévalorisé car il demeure essentiel.

M. René André s'est dit certain que l'on peut avoir une Europe à géométrie variable, une « Europe à la carte », avec une sorte de « noyau dur » de pays qui décideront de travailler ensemble et que d'autres pourront ensuite rejoindre.

Il serait tout à fait inexact de considérer que l'Union européenne porte la responsabilité du problème du Kosovo. C'est un problème qui dépasse l'Union et qui est dû en grande partie aux Etats-Unis d'Amérique.

S'agissant du désir de « casser » les Etats-nations pour faire une « Europe des régions », il faut souligner que certains pays le souhaitent (l'Espagne, la Belgique, le Royaume-Uni), mais que d'autres comme la France ne le veulent pas. Mais pourquoi ne pas envisager la coexistence de plusieurs organisations, des organisations de type national et des organisations de type régional ?

Enfin, M. René André a souligné que l'Europe doit présenter un front uni au plan mondial. Dans la guerre économique en cours, face aux Etats-Unis, à la Chine, au Brésil, à l'Inde, il ne faut surtout pas que les Etats européens soient divisés. C'est pour cela qu'une réforme des institutions est indispensable.

Le Président Pierre Lequiller a souligné qu'il s'agit d'un débat récurrent, et que sur un certain nombre de points il apparaît qu'un réel consensus existe entre les membres de la Délégation : il faut que l'Europe s'organise selon des modalités différentes selon les problèmes à résoudre.

Il a cité le Président de la Commission, M. José Manuel Barroso, rencontré la veille à Bruxelles. Celui-ci, faisant référence à la démarche du président tchèque, M. Vaclav Klaus auprès du Président russe, M. Vladimir Poutine afin que la Russie ne prive pas l'Europe de son approvisionnement énergétique, a fait observer : « quel poids pèse dans ce genre de situation la demande d'un Président isolé ? Il est impératif de parler d'une seule voix ».

M. Jacques Myard a observé que cela se fait naturellement quand les Etats membres ont des intérêts communs, mais que c'est loin d'être le cas quand ils ont des intérêts divergents.

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M. Thierry Mariani, rapporteur, a indiqué que l'examen de la proposition de règlement créant un instrument européen de voisinage et de partenariat était surtout l'occasion de présenter la nouvelle politique de voisinage de l'Union européenne, ses orientations, ses instruments et les défis de sa mise en œuvre dans un contexte de crises et de fortes attentes chez les voisins de l'Est comme du Sud, et d'engager la réflexion sur la définition des frontières de l'Union européenne, avant le Conseil européen des 15 et 16 juin.

La politique de voisinage poursuit trois orientations. Elle repose d'abord sur une approche unifiée des relations de l'Union européenne avec un ensemble de 16 pays : 9 pays du Sud : Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël, Autorité palestinienne, Jordanie, Syrie et Liban ; 5 pays de l'Est : Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan ; 2 pays ont vocation à participer lorsqu'ils auront normalisé leurs relations avec l'Union : Biélorussie et Libye.

La liste a évolué depuis sa fixation par le Conseil « Affaires générales » en juin 2003. Le Conseil européen de juin 2004 a exclu la Russie de son champ à la demande de ce pays, pour développer un partenariat stratégique spécifique dans le cadre des « quatre espaces communs » définis lors du sommet de Saint-Pétersbourg en mai 2003. En revanche, le même Conseil européen a décidé d'inclure l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie dans la politique européenne de voisinage.

Elle propose ensuite à ces pays une stratégie d'intégration économique et de coopération politique sans perspective d'adhésion, afin de surmonter quatre défis : démocratique, économique, énergétique et migratoire. Pour répondre à ces quatre défis, l'Union européenne propose à ses voisins une offre économique et une offre en matière de sécurité, avec un développement de la coopération transfrontalière.

Enfin, la politique de voisinage tire les leçons de la lenteur du processus de réforme aussi bien à l'Est qu'au Sud et introduit une méthode de différenciation par pays pour dynamiser l'approche régionale.

La politique de voisinage met en œuvre trois instruments. Elle s'appuie d'abord sur le cadre contractuel existant : les accords d'association avec les partenaires euro-méditerranéens et les accords de partenariat et de coopération avec les pays issus de l'ex-Union soviétique.

Elle crée des plans d'action. D'une durée de trois à cinq ans, ils fixent des priorités pour les deux parties en fonction des spécificités de chaque pays voisin et font l'objet d'une évaluation régulière. Sept plans d'action ont été adoptés avec Israël, la Jordanie, la Moldavie, le Maroc, l'Autorité palestinienne, la Tunisie et l'Ukraine. Cinq autres sont en négociation avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan, l'Egypte, la Géorgie et le Liban.

Enfin, elle fusionne les instruments financiers Meda et Tacis dans un instrument unique. Le débat le plus difficile sur l'IEVP a concerné la répartition géographique indicative des crédits par région entre l'Est et le Sud. Le Conseil est parvenu à un compromis apportant la garantie essentielle sur le respect de l'équilibre actuel que demandaient la France et les membres du sud de l'Union : la répartition pluriannuelle entre pays et régions prendra pour base le niveau d'assistance prévu dans les perspectives financières actuelles, soit deux tiers pour le Sud et un tiers pour l'Est.

Au total, seule la mise en œuvre de la politique de voisinage permettra de lever un certain nombre d'incertitudes. Une différenciation par pays poussée à l'extrême pourrait contrarier l'intégration régionale entre les partenaires méditerranéens qui est l'un des principaux objectifs du processus de Barcelone. Enfin, l'absence de perspective d'adhésion pour les voisins pose la question de savoir s'ils se contenteront des contreparties offertes par la politique de voisinage et si l'Union européenne peut transformer ses voisins tout en les tenant à distance.

La politique de voisinage devra relever les défis d'une mise en œuvre dans un contexte de crises et de fortes attentes à l'Est comme au Sud.

En premier lieu, les voisins de l'Est sont partagés entre les politiques de voisinage de la Russie et de l'Union européenne. La Russie rétablit en effet progressivement un rapport de puissance avec son étranger proche sur les plans économique, militaire et énergétique.

La Russie a signé le 19 septembre 2003 avec la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine un accord pour la formation d'un Espace économique commun (EEC). Il prévoit la mise en place progressive d'une zone de libre-échange puis d'une union douanière. L'Ukraine et les autres voisins de l'Est devront décider de la cohérence des diverses politiques commerciales qu'ils sont en train de négocier aux niveaux multilatéral, dans le cadre de leur adhésion à l'OMC, et régional, avec la création d'un Espace commun avec la Russie et d'une zone de libre-échange avec l'Union européenne.

Ensuite, la Russie a maintenu une présence militaire en Transnistrie, après sa séparation de la Moldavie en 1992, et en Géorgie et a adopté une position très ambiguë à l'égard des séparatismes et des conflits gelés dans la région depuis une décennie.

Enfin, la crise du gaz russo-ukrainienne a été le point d'orgue de la volonté de la société russe Gazprom de mettre fin aux tarifs préférentiels du gaz consentis aux voisins de la Russie et de prendre le contrôle des voies d'approvisionnement du gaz vers l'Europe. Cette crise a également fait prendre conscience à l'Union européenne de sa dépendance énergétique, au moment où la parenthèse de la Mer du Nord prend fin et où les entreprises de deux des principaux producteurs mondiaux de gaz, la Russie et l'Algérie, se rapprochent. Le Conseil européen de mars 2006 ne s'est pas encore accordé sur une politique commune de l'énergie, mais il a approuvé le développement d'une politique extérieure commune de l'énergie.

En dehors de la Biélorussie qui est le seul pays de la région à tourner le dos à l'Union européenne, l'aspiration des autres pays de la région à la démocratie et à l'Europe a commencé à devenir crédible avec les révolutions démocratiques et les élections des Présidents Saakachvili en Géorgie, en janvier 2004, et Ioutchenko en Ukraine, en décembre 2004. Ces révolutions démocratiques sont l'expression d'un choix de toute la société mais elles traduisent aussi la volonté d'une majorité au sein des populations d'appartenir à la communauté eurotlantique. Le souhait d'adhérer à l'Union européenne accompagne celui d'adhérer à l'OTAN. Les Etats-Unis ont soutenu activement le mouvement de démocratisation à travers de puissantes ONG et ne cachent pas leur volonté d'attirer ces pays dans la sphère d'influence euroatlantique en considération de leur importance géopolitique.

L'intérêt de l'Union européenne pourrait être de constituer une zone d'équilibre dans laquelle l'Union européenne et la Russie entretiendraient des relations avec ces pays dans le respect mutuel des préoccupations des deux partenaires. L'Union ne réalisera en effet pleinement l'objectif de prospérité et de sécurité de sa politique de voisinage qu'avec le règlement des conflits gelés dont la Russie détient en partie les clés.

En second lieu, les voisins arabes du Sud sont partagés entre une volonté de modernisation et la montée de l'islamisme fondamentaliste.

La relance du processus de Barcelone est difficile dans un contexte marqué par quatre crises : une instabilité régionale croissante ; la concurrence de la Chine et de l'Inde sur le textile et la hausse des prix du pétrole et du gaz qui a accru l'écart entre les pays pétroliers et les autres ; la montée de l'islamisme politique radical lors des élections récentes ; enfin, la crise des caricatures de Mahomet.

Des ambiguïtés doivent être dissipées. Les voisins du Sud se prononcent pour la réforme mais à leur rythme et selon leur voie. L'expérience montre que la plupart des gouvernements laïcs autoritaires n'ont pas renoncé à gouverner en s'appuyant sur des forces de sécurité dont la puissance s'est encore renforcée avec la lutte contre le terrorisme. Ces gouvernements sont en effet soumis à une demande contradictoire des Etats-Unis et, dans une moindre mesure, de l'Union européenne, qui tantôt les pressent de démocratiser rapidement, tantôt leur demandent d'accorder la priorité à la lutte contre le terrorisme. Cette contradiction a pu constituer une aubaine pour certains gouvernements peu pressés de réformer, mais l'Union européenne devra, à cet égard, hiérarchiser ses propres objectifs dans ses relations de voisinage.

Le Conseil européen des 15 et 16 juin devrait être amené à débattre de l'avenir de l'Union européenne et, éventuellement, de ses frontières. Une définition des frontières dès maintenant serait prématurée. Il paraît en effet difficile de délimiter des frontières sans avoir choisi au préalable le projet de l'Union qui les détermine.

L'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie et les nouvelles possibilités d'élargissement à l'Est posent désormais la question de la définition des frontières de l'Union européenne. Or, faute de pouvoir se figurer le projet européen, l'opinion publique désorientée se raccroche à l'Europe géographique et ne comprend pas les décisions prises au coup par coup à l'égard de sa périphérie, sans vision d'ensemble.

En réalité, le temps est peut-être venu de reconnaître que l'Union européenne ne peut pas définir ses frontières avant de définir son projet, qu'il y a deux projets de l'Union et que les deux projets n'ont pas nécessairement les mêmes frontières.

Mais faute d'avoir fait ce choix, l'Union européenne a pour l'instant donné une réponse ambiguë à ses voisins et risque de se trouver face à une contradiction insoluble. En effet, d'une part elle a fourni un début de réponse positive à la Turquie en lui reconnaissant le statut de pays candidat et en ouvrant les négociations d'adhésion. Mais d'autre part, elle a fourni un début de réponse négative à l'Ukraine, à la Moldavie et aux trois Etats du Caucase en les classant dans la nouvelle politique de voisinage comme des voisins n'ayant pas vocation à adhérer à l'Union européenne.

Cependant, la Commissaire aux relations extérieures chargée de la politique de voisinage, Mme Benita Ferrero-Waldner, a expliqué que la politique de voisinage n'était pas censée déterminer la qualité de candidat qui relève d'un autre processus de décision.

Il semblerait en effet incohérent de dire définitivement non maintenant à l'Ukraine si l'Union européenne devait dire oui dans dix ans à la Turquie. Mais il serait difficile de repousser de dix ans la définition des frontières de l'Union européenne et de laisser sans réponse une demande de l'opinion publique européenne.

La création d'un Espace économique multilatéral européen avec le voisinage donnerait le temps à l'Union de choisir son projet et de définir ses frontières. La politique de voisinage offre en effet une perspective ambitieuse puisqu'elle pourrait déboucher sur un réseau d'accords européens de voisinage susceptibles de constituer, ou d'accompagner, la relation multilatérale étroite mentionnée dans la résolution du Parlement européen du 16 mars 2006 sur le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission.

L'Union européenne est devant le choix soit de la différenciation des deux projets, soit de leur réconciliation.

Dans le cadre d'une différenciation assumée, un grand ensemble régional à la mesure des autres ensembles régionaux du XXIe siècle pourrait se constituer progressivement autour de trois cercles clairement articulés entre eux : le cercle des amis rassemblant dans un grand espace économique et de sécurité paneuropéen et euro-méditerranéen l'Union et ses voisins sur le mode de la coopération la plus étroite ; le cercle de la famille étendue, fondé sur l'Union européenne actuelle du grand marché européen et des politiques communes, combinant intégration économique et coopération politique ; le cercle de la famille proche, regroupant ceux des membres de l'Union européenne qui voudraient réaliser l'Union économique et monétaire et l'union politique sur le mode de l'intégration la plus approfondie, sans nécessairement créer un super Etat fédéral.

Cependant, des évolutions sont peut-être en train de rapprocher les deux projets de l'Union et d'élever les ambitions des membres les plus modestes. D'une part, la volonté d'adhésion de la Turquie et des voisins de l'Est confronte désormais l'Union européenne à des enjeux stratégiques et géopolitiques qui ne sont plus ceux d'une simple organisation de marché mais ceux d'une puissance en formation. D'autre part les bouleversements dans le secteur de l'énergie ont amené les tenants de l'Europe marché à approuver l'adoption par le Conseil européen d'une politique extérieure commune de l'énergie. La réconciliation des deux projets de l'Union européenne a peut-être enfin commencé.

Estimant que l'on ne pouvait maintenant que mesurer les contradictions dans lesquelles est enfermée l'Union européenne, M. Jacques Myard s'est déclaré convaincu que la question se dénouerait à terme avec la mise en place d'un Conseil de sécurité européen, à l'échelle du continent. Il n'est en effet pas possible d'ignorer, sur le plan géostratégique et énergétique, ni la Russie, ni la Turquie, pas plus que la situation en Ukraine. L'avenir se chargera donc d'écrire les compléments à l'actuel texte du rapport, compléments qu'il n'est pas encore possible d'anticiper avec précision. L'OSCE ne représente de ce point de vue qu'une avancée encore embryonnaire.

S'agissant des crédits européens de la politique de voisinage, les modalités de leur emploi doivent faire l'objet d'une grande attention, car ils doivent servir les intérêts européens et non contribuer, à l'occasion de l'attribution d'appels d'offres sur des projets, par exemple, au développement de l'influence d'organisations anglo-saxonnes. A l'occasion des « révolutions de couleur » dans les pays d'Europe orientale ou du Caucase, certaines ONG américaines dont les membres ont pu avoir des liens avec de grandes agences fédérales ont ainsi cherché à accroître leur influence sous le couvert de la démocratisation. Il faut se garder d'un certain aventurisme politique américain qui pourrait prendre corps avec la complaisance voire la connivence de certains de nos partenaires, lesquels risqueraient par conséquent, comme la Pologne, d'être considérés comme de véritables têtes de pont en Europe.

M. René André a préalablement indiqué faire siennes, sur de nombreux points, les observations de M. Jacques Myard, estimant par ailleurs que l'Union européenne avait fait une erreur de vouloir inclure sur le même pied des Etats aussi différents que la Russie et la Moldavie ou la Libye dans sa politique de voisinage. La Russie souhaite une discussion directe avec l'Union européenne et pourrait en outre considérer comme insultant de méconnaître le chemin qu'elle a parcouru depuis la crise économique et financière de 1998. Grâce aux recettes pétrolières, elle est une très grande puissance. Ce que l'on appelle les révolutions démocratiques s'est effectivement accompagné d'un renforcement de l'influence d'ONG américaines. Le refus des pays membres de l'Union de suivre la proposition polonaise d'une OTAN de l'énergie a, par ailleurs, et heureusement, évité de mettre notre politique énergétique sous une certaine influence américaine. Il faut donc rester vigilant.

S'agissant du point n° 9 de la proposition de conclusions (« Considère qu'il serait incohérent de dire définitivement non maintenant à une perspective d'adhésion pour l'Ukraine si l'Union européenne devait dire oui dans dix ans à l'adhésion de la Turquie et qu'il serait prématuré de délimiter ses frontières avant qu'elle ait défini son projet »), M. René André a souhaité que ce point sur les perspectives d'adhésion et les adhésions futures distingue bien le cas de l'Ukraine de celui de la Turquie. Ceux-ci sont complètement différents. Kiev est notamment considérée comme la mère de toutes les villes russes et l'Ukraine a d'une manière générale une très forte proportion de sa population qui est russophone. Le texte écrit du rapport rappelle d'ailleurs fort à propos que l'on ne pourra traiter le cas de l'Ukraine sans tenir compte des préoccupations mutuelles de l'Union européenne et de la Russie.

En conclusion, M. René André a estimé que celui-ci serait d'un grand intérêt pour les membres de la mission d'information « énergie et géopolitique ».

M. Jérôme Lambert a estimé que le sujet méritait une réflexion approfondie, sachant qu'il faut insister sur la nécessité pour l'Union européenne d'adopter des institutions plus efficaces avant de procéder, dans le futur, à des élargissements.

Le Président Pierre Lequiller a relevé la qualité des analyses du rapporteur, notamment sur l'énergie avant d'indiquer qu'il partageait le point de vue de M. René André sur le dispositif de la proposition de conclusions s'agissant de l'Ukraine et de la Turquie. Une telle mention ne doit pas figurer dans les conclusions, même si l'on partage, comme c'est son cas, le contenu de la communication sur ce point. En effet, le problème de l'Ukraine se pose également pour la Moldavie et la Biélorussie, entre autres.

En réponse, le rapporteur a indiqué que l'influence des ONG précédemment mentionnées avait également pu être perçue à Minsk, et qu'il fallait par ailleurs accorder une grande attention au rôle et à la composition des équipes de l'OSCE chargées des missions d'observation des élections, car l'équilibre entre les anglo-saxons et les autres ne semble pas aller de soi.

Sur un autre plan, la Russie bénéficie effectivement de ressources pétrolières qui lui permettent de financer sa modernisation.

Après modification, à l'initiative du rapporteur, de son dispositif de manière à supprimer toute mention de la question des adhésions de la Turquie et de l'Ukraine, la Délégation a approuvé les conclusions dont le texte figure ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION

La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil établissant un instrument d'aide de préadhésion (COM (04) 627 final du 29 septembre 2004 - document E 2724),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant dispositions générales concernant la création d'un instrument européen de voisinage et de partenariat (COM (04) 628 final du 29 septembre 2004 - document E 2725),

Vu le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission du 9 novembre 2005 (COM (05) 561 final),

Vu la communication de la Commission du 27 janvier 2006 intitulée « les Balkans occidentaux sur la voie de l'Union européenne : renforcer la stabilité et la prospérité » (COM (05) 27 final),

Vu la résolution du Parlement européen du 16 mars 2006 sur le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission, notamment ses points 5, 6 et 10,

Sur les conditions de l'élargissement futur de l'Union européenne
 :

1. Approuve la création de l'instrument d'aide de préadhésion pour remplacer plusieurs programmes existants et rationaliser l'assistance financière à compter du 1er janvier 2007 ;

2. Considère que l'Union doit confirmer à l'ensemble des pays des Balkans occidentaux la perspective européenne qu'elle leur a promise à Thessalonique mais à la condition que chacun respecte complètement les critères d'adhésion généraux et spécifiques à cette région ;

3. Estime que la réforme des institutions de l'Union européenne est une condition préalable à tout nouvel élargissement après l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, sous réserve d'un examen ultérieur du cas de la Croatie ;

4. Demande que le critère énoncé par le Conseil européen de Copenhague en 1993 relatif à « la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne » soit précisé pour s'appliquer désormais à tout nouvel élargissement ;

5. Définit ce critère comme la capacité d'organiser la convergence, la cohérence, la cohésion et la confiance des anciens membres avec un nouvel Etat dont l'adhésion accroît l'hétérogénéité de l'Union, afin que celle-ci fonctionne efficacement, préserve ses valeurs et ses acquis et progresse vers l'intégration des politiques ;

6. Rappelle que la liberté d'expression, la laïcité et l'existence de médias libres et indépendants sont des valeurs auxquelles la société démocratique européenne est indéfectiblement attachée et souligne que tout pays candidat doit s'engager à respecter et à promouvoir les libertés de l'Union et non à demander leur limitation ;

Sur la politique européenne de voisinage et la définition des frontières de l'Union européenne
 :

7. Approuve la création de l'instrument européen de voisinage et de partenariat à compter du 1er janvier 2007, à condition qu'il renforce le partenariat euro-méditerranéen et maintienne la répartition actuelle des crédits entre les voisins du Sud et ceux de l'Est ;

8. Demande que l'Union européenne définisse un modèle de relations privilégiées avec son voisinage, susceptible de constituer le point d'arrivée ultime du rapprochement des voisins sans perspective d'adhésion, mais aussi la dernière étape obligatoire avant l'adhésion pour les pays bénéficiant actuellement d'une perspective d'adhésion.

1 () Voir M. Gilles Lepesant : « L'Union européenne et son voisinage : vers un nouveau contrat », Politique étrangère, 4/2004.

2 () Voir M. Dov Lynch : « Voisinage commun ou nouvelle ligne de front ? Le carrefour de la Moldavie. », Russie-CEI-Visions n° 2, IFRI, avril 2005.

3 () Voir M. Vitaliy Denysyuk : « « Wider Europe » contre « Wider Russia » : l'UE prône une coopération Sud-Sud accrue pour réussir le partenariat avec les NEIO ». Revue du Marché commun et de l'Union européenne, n° 493, décembre 2005.

4 () Voir M. Gilles Finchelstein : « Projet flou et frontières molles » - La Croix - 27 décembre 2005. Une enquête, commandée à TNS Sofres par Yes (Yalta European Strategy) auprès des populations de six pays (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Espagne et Pologne) représentant 70 % de la population de l'Union européenne, montre un soutien à l'adhésion : de l'Ukraine (51 %), de la Russie (45 %), de la Turquie (40 %), du Maroc (31 %).

5 () Cette liste comprend, en plus des 25 Etats membres de l'Union européenne : Ancienne République Yougoslave de Macédoine, Andorre, Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Géorgie, Islande, Liechtenstein, Moldavie, Norvège, Roumanie, Russie, Saint-Marin, Serbie-et-Monténégro, Suisse, Turquie et Ukraine.

6 () Extrait : « 10. le Parlement européen... prie donc la Commission et le Conseil, dans l'hypothèse où cette perspective (à long terme de l'Union européenne) requerrait d'élargir l'éventail des possibilités concrètes, de soumettre à tous les pays européens actuellement sans perspective d'adhésion à l'Union européenne, des propositions pour une relation multilatérale étroite avec celle-ci ; souligne qu'il incombe à tous les pays ayant comme perspective reconnue d'adhérer à l'Union, de rejoindre ce cadre multilatéral et de considérer une telle démarche comme un pas supplémentaire sur la voie de l'adhésion pleine et entière ».

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