Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 3133

_______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 juin 2006

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur les conditions de l'élargissement futur
de l'Union européenne
(COM [2004] 627 final / E 2724)
,

ET PRÉSENTÉ

par M. René ANDRE,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe-Armand Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

_____

Pages

INTRODUCTION 5

I. L'ÉLARGISSEMENT DE L'UNION AU CENTRE DU DÉBAT EUROPÉEN ET DES PREOCCUPATIONS DE L'OPINION PUBLIQUE 7

A. Les débuts d'un élargissement évitant le choc redouté 8

B. L'enjeu : un rattrapage économique des Dix sans rompre l'équilibre entre concurrence et solidarité atteint par l'Union 9

C. Une opinion inquiète d'un délitement du modèle protecteur européen face à la mondialisation 11

D. La portée politique de l'adhésion de la Slovénie à l'euro 12

II. LE RENFORCEMENT DE LA STRATEGIE APPLICABLE AUX NOUVEAUX CANDIDATS ET CANDIDATS POTENTIELS 15

A. L'achèvement du précédent cycle d'élargissement avec l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie 15

B. Le renforcement du cadre des négociations ouvertes avec la Turquie et la Croatie 16

C. Une perspective d'élargissement plus ou moins lointaine pour les autres pays des Balkans occidentaux 18

D. La fusion de plusieurs programmes d'assistance financière dans un instrument unique 23

III. UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES INTERETS ET DES CAPACITES DE L'UNION EUROPEENNE 25

A. La réforme préalable des mécanismes institutionnels 25

B. La définition de la capacité d'assimilation de l'Union européenne 26

TRAVAUX DE LA DELEGATION 31

1) Audition de M. Olli Rehn, commissaire européen à l'élargissement, sur la stratégie de l'Union sur l'élargissement, le mardi 6 juin 2006 31

2) Réunion de la Délégation du mercredi 7 juin 2006 41

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION 55

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La proposition de règlement créant un instrument d'aide de préadhésion est l'une des composantes de la réforme des instruments de l'action extérieure de l'Union européenne en vue de les regrouper en six dispositifs : aide humanitaire, stabilité, aide macrofinancière, aide de préadhésion, aide de voisinage et de partenariat, coopération au développement et coopération économique. Les débats qui ont eu lieu entre le Conseil et le Parlement européen devraient aboutir à l'adoption de la réforme sous présidence autrichienne et permettre son entrée en vigueur au 1er janvier 2007 dans le cadre des perspectives financières 2007-2013.

Cet examen est surtout l'occasion d'engager la réflexion sur le renforcement des conditions de l'élargissement futur de l'Union européenne, avant le Conseil européen des 15 et 16 juin, à la lumière de la place centrale qu'a prise l'élargissement dans le débat sur l'avenir de l'Europe et des préoccupations de l'opinion publique.

I. L'ÉLARGISSEMENT DE L'UNION AU CENTRE DU DÉBAT EUROPÉEN ET DES PREOCCUPATIONS DE L'OPINION PUBLIQUE

L'élargissement s'est d'abord trouvé au centre des enjeux dont ont débattu la Convention et la Conférence intergouvernementale au moment de l'élaboration du traité constitutionnel.

Le traité s'est efforcé de répondre à une double ambition :

établir le plus juste équilibre entre le nombre d'Etats membres et la taille de leur population dans les mécanismes de décision à la majorité qualifiée, de manière à éviter le blocage d'un ensemble démocratique de 450 millions d'habitants dans lequel des pays peu ou moyennement peuplés devenaient largement majoritaires en nombre ;

développer une union politique à côté de l'union économique et monétaire de manière que l'Union européenne marche sur deux jambes et acquière une influence politique internationale à la mesure de sa puissance économique.

L'élargissement s'est également trouvé au centre des débats de ratification du traité constitutionnel, en particulier sur deux autres thèmes qui n'avaient pas dominé les débats de la Convention ou de la Conférence intergouvernementale, même s'ils avaient été abordés :

la question des frontières de l'Union européenne et du rapport entre l'extension de l'espace européen et l'ambition de son projet ;

l'avenir incertain du modèle social européen en raison des craintes sur les menaces supposées que ferait peser l'élargissement en termes de délocalisations, concurrence fiscale et dumping social.

A. Les débuts d'un élargissement évitant le choc redouté

L'élargissement aux dix nouveaux membres a accru l'hétérogénéité économique et sociale de l'Union puisque sa population a augmenté de 20 %, mais son PIB de seulement 5 % et que les écarts de richesse entre les régions ont été multipliés par deux.

Pour autant, le choc redouté ne s'est pas produit.

Malgré quelques retards dans leur préparation à l'adhésion (principalement en matière de sécurité alimentaire, de contrôle aux frontières, de réforme de la justice, de lutte contre la corruption et de sécurité maritime), l'intégration de ces pays s'est déroulée dans de bonnes conditions. Il est remarquable qu'à ce jour, la Commission n'ait recouru à aucune des trois clauses de sauvegarde contenues dans le traité d'adhésion (clause de sauvegarde économique générale, clause de protection du marché intérieur, clause dans le domaine de la justice et des affaires intérieures). En cas de « manquements graves », la Commission a la possibilité d'activer ces clauses jusqu'au 1er mai 2007, pour prendre les mesures de sauvegarde appropriées.

Il est vrai que douze des quinze anciens Etats membres ont appliqué à l'égard des nouveaux Etats membres (sauf Chypre et Malte) la période transitoire de deux ans (pouvant aller jusqu'à cinq ans et même sept ans en cas de perturbations graves) pendant laquelle la libre circulation de leurs travailleurs souhaitant exercer une activité salariée dans l'Union européenne des Quinze est suspendue. Ces personnes se sont vu appliquer des mesures nationales d'accès à l'emploi. Au 1er mai 2006, aux trois Etats qui avaient déjà ouvert leur marché du travail (Irlande, Royaume-Uni, Suède) sont venus s'ajouter quatre nouveaux Etats (Espagne, Finlande, Grèce et Portugal). Six autres ont opté pour une ouverture partielle ou graduée (Belgique, Danemark, Italie, France, Luxembourg, Pays-Bas). Deux ont maintenu les mesures transitoires intactes mais souvent avec un quota de permis de travail élevé (Allemagne et Autriche).

Un rapport de la Commission sur la mobilité des travailleurs dans l'Union européenne après 2004 montre que les marchés de l'emploi sont restés stables après l'élargissement par rapport aux deux années précédentes, avec une augmentation modérée de 0,1 % chaque année au Royaume-Uni et un doublement en Autriche pour atteindre 1,4 %. Les flux ont été indépendants des mesures transitoires et n'ont pas entraîné d'éviction des travailleurs, car ils ont comblé des vides sur les marchés de l'emploi, avec des permis de travail délivrés souvent pour des emplois de courte durée ou saisonniers.

Cependant, un rapport de l'Item Club du Cabinet Trust and Young constate que si cette nouvelle immigration a eu un effet positif au Royaume-Uni sur la croissance (+ 0,2 %), le maintien des taux d'intérêt à un niveau plus bas (- 0,5 %), le rajeunissement et la mobilité de la main d'œuvre, elle a également pesé sur les salaires, en particulier des chômeurs revenant sur le marché du travail à des conditions inférieures à leur précédent emploi.

C'est aussi en Suède qu'a surgi un premier contentieux contre une entreprise de maçons lettonne, annonçant les controverses sur la directive Bolkestein et la défense de la règle du pays d'accueil contre l'introduction de celle du pays d'origine en matière de libéralisation des échanges de services.

B. L'enjeu : un rattrapage économique des Dix sans rompre l'équilibre entre concurrence et solidarité atteint par l'Union

Cependant, l'enjeu principal est ailleurs et il est double. La clé de la réussite de l'élargissement repose sur un processus de rattrapage économique des dix, dans une perspective de gains de croissance pour l'ensemble de l'Union et d'effacement progressif des disparités entre Etats membres. Mais elle repose également sur la perspective d'un rattrapage vers le haut et non vers le bas, c'est-à-dire ne rompant pas l'équilibre entre concurrence et solidarité atteint par l'Union à quinze.

L'élargissement place également l'Union devant deux choix fondamentaux pour son avenir.

D'une part, la négociation sur les perspectives financières 2007-2013 a défini le degré de solidarité financière au sein de l'Union élargie. Les anciens Etats membres ont choisi de pratiquer une solidarité financière limitée à l'égard des nouveaux et se sont exposés à ce que ceux-ci jouent d'autant plus de leurs avantages comparatifs et pratiquent une forte concurrence fiscale et sociale. Trop de concurrence fiscale des nouveaux membres pour attirer les investissements directs étrangers pourrait ruiner le financement des biens collectifs censés les retenir, mais la réussite du modèle irlandais fascine toujours, même si sa généralisation à l'ensemble de l'Union risquerait d'aviver la compétition.

D'autre part, l'adhésion des dix a aggravé le vieillissement démographique de l'Union et rend encore plus nécessaire de relancer la stratégie de Lisbonne, afin que l'Union qui est la région la plus vieille du monde réalise son ambition de devenir la région la plus compétitive du monde. Mais les démarches nationales n'ont pas suffi et une impulsion collective serait nécessaire.

Dans une communication sur un premier bilan de l'élargissement, la Commission souligne que l'élargissement est un succès économique partagé par tous les Etats membres. La croissance économique a atteint 3,75 % entre 1997 et 2005 dans les nouveaux Etats membres, contre 2,5 % en moyenne dans l'Union européenne à quinze. La part de l'Union européenne à quinze dans le total des échanges de l'Union européenne à dix est passée de 56 % en 1993 à 62 % en 2005, avec pour corollaire chez les dix nouveaux membres des déficits commerciaux importants, quoique décroissants, représentant environ 3 % du PIB en 2005 et générant des emplois chez les quinze anciens membres. Les investissements directs étrangers se sont élevés à 191 milliards d'euros en 2004, soit 40 % du PIB total de l'Union européenne à dix. En revanche, avec 13,4 % de la population active, le taux de chômage des dix dépasse encore celui des quinze de 5,5 points.

Enfin, s'agissant des effets de l'élargissement sur les délocalisations d'entreprises et les pertes d'emplois, la Commission estime que les craintes dans les anciens Etats membres sont exagérées. Si des délocalisations peuvent avoir un impact significatif dans certains secteurs comme le textile, les matériels de transport ou la production de technologies d'information, il n'y a pas de raisons de croire qu'un transfert massif d'activités et d'emplois des anciens vers les nouveaux membres est en cours.

C. Une opinion inquiète d'un délitement du modèle protecteur européen face à la mondialisation

Pour autant, si le choc tant redouté ne s'est pas produit dans les chiffres, il s'est réalisé dans les esprits. Le décalage des perceptions de l'élargissement entre l'Europe d'en haut et l'Europe d'en bas doit être analysé si l'Union veut réussir l'élargissement futur de l'Union européenne.

La Commission a raison de vouloir mieux communiquer sur les avantages de l'élargissement et le coût politique, économique et social du non-élargissement, car l'élargissement aux dix nouveaux membres n'a pas été suffisamment expliqué aux peuples.

Ses grandes étapes ont été décidées aux Conseils européens de Copenhague en 1993, de Luxembourg en 1997 et d'Helsinki en 1999 lors de grandes négociations diplomatiques entre chefs d'Etat et de gouvernement et les parlements ne sont intervenus qu'en fin de processus pour ratifier leurs résultats. De plus, l'offre d'une perspective européenne en faveur de la Turquie et des Balkans est restée à l'arrière-plan pour ne pas brouiller le déroulement du processus de négociation avec les dix.

Mais l'opinion est désorientée non seulement par un manque d'explication, mais aussi par un manque de vision globale de l'avenir qui lui est proposé.

A tort ou à raison, elle a eu l'impression que ce cinquième élargissement était en train d'introduire, pour la première fois, une compétition entre Etats membres de nature à rompre l'équilibre jusque-là préservé entre concurrence et solidarité au sein de l'Union. Dès lors, l'Union ne pourrait plus jouer son rôle protecteur face à la mondialisation si elle introduisait en son sein la même logique de concurrence inégale destructrice des solidarités.

Dans ces conditions, la perspective d'un élargissement continu à de nouveaux candidats, susceptibles d'accroître l'hétérogénéité des conditions de concurrence au sein de l'Union, ne pouvait que susciter dans une partie de l'opinion une demande d'arrêt de l'élargissement et de délimitation des frontières de l'Union.

Ce message a été entendu puisque l'élargissement futur de l'Union européenne reposera, d'une part, sur un renforcement de la stratégie applicable aux nouveaux candidats et aux candidats potentiels, d'autre part, sur la prise en compte des intérêts et des capacités de l'Union.

D. La portée politique de l'adhésion de la Slovénie à l'euro

Cette nouvelle exigence s'est d'ailleurs peut-être exercée pour la première fois non pas pour l'adhésion à l'Union mais pour l'adhésion à l'euro.

La candidature de la Lituanie à l'euro a été rejetée par la Commission européenne et la Banque centrale européenne parce qu'elle a dépassé de 0,2 point le seuil requis en matière d'inflation (2,7 % au lieu de 2,5 % entre avril 2005 et mars 2006), alors qu'elle remplissait les quatre autres critères en matière de déficit, dette, taux d'intérêt à long terme et participation au mécanisme de change européenne depuis deux ans. C'est un signal politique qui pourrait s'adresser à tout candidat à l'adhésion à un système communautaire européen : être presque parfait ne suffit plus, il faut répondre parfaitement aux conditions.

L'admission de la Slovénie dans la zone euro le 1er janvier 2007 est aussi l'occasion de saluer la réussite extraordinaire de ce pays de deux millions d'habitants au destin exceptionnel. Ce peuple n'a jamais disposé d'un Etat souverain et indépendant durant toute son histoire millénaire, il a préservé son identité culturelle et linguistique et conquis son autonomie au sein de l'empire austro-hongrois, s'en est détaché après la première guerre mondiale pour rejoindre la Yougoslavie, s'est détaché de la Yougoslavie en 1991 pour devenir, pour la première fois de son histoire, un Etat souverain et indépendant. Cet Etat a été qualifié dans la première vague de négociation en 1997, a adhéré à l'Union européenne le 1er mai 2004 et est le premier des dix nouveaux membres à rejoindre l'euro.

Cette qualification de la Slovénie à l'euro montre que l'Union européenne sait reconnaître les mérites propres d'un pays quelle que soit sa taille. Elle donne aussi la mesure du retard que les autres pays des Balkans occidentaux ont pris dans leur marche vers l'Union européenne à cause de la guerre fratricide entre les Slaves du Sud. La Slovénie entre dans le saint des saints de l'Union européenne alors que l'ex-Yougoslavie n'a pas encore fini de se fragmenter et que certaines de ses parties sont encore en quête d'un statut final, préalable à toute préparation à une adhésion future à l'Union européenne.

II. LE RENFORCEMENT DE LA STRATEGIE APPLICABLE AUX NOUVEAUX CANDIDATS ET CANDIDATS POTENTIELS

L'Union européenne élargie offre désormais une perspective d'élargissement plus ou moins rapprochée à huit pays (et bientôt neuf depuis l'indépendance du Monténégro approuvée par référendum le 21 mai 2006) : la Bulgarie et la Roumanie avec lesquelles les négociations sont closes et le traité d'adhésion est en cours de ratification ; la Turquie et la Croatie avec lesquelles les négociations sont ouvertes ; enfin, les autres pays des Balkans occidentaux, soit candidat confirmé comme l'Ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM), soit candidats potentiels, comme l'Albanie, la Serbie-et-Monténégro, la Bosnie-et-Herzégovine.

A. L'achèvement du précédent cycle d'élargissement avec l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie

Le 25 avril 2005, la Bulgarie et la Roumanie ont signé un traité d'adhésion fixant leur entrée dans l'Union européenne au 1er janvier 2007. Ce traité n'entrera en vigueur qu'après sa ratification, en cours, par les deux candidats et les vingt-cinq Etats membres actuels. Le traité d'adhésion renforce les sauvegardes par rapport à celles prévues pour les dix nouveaux membres. Il prévoit en effet une clause de report de l'adhésion d'une année, au 1er janvier 2008, en cas de préparation manifestement insuffisante dans un certain nombre de domaines importants. Le Conseil en décide à l'unanimité sur recommandation de la Commission ou, pour la Roumanie, à la majorité qualifiée dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ou de la concurrence. Le traité contient également, comme pour les dix, trois clauses de sauvegarde (économique générale, de protection du marché intérieur, de suspension de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice) autorisant la Commission à prendre des mesures jusqu'à trois ans après l'adhésion.

Le 16 mai dernier, la Commission a décidé de reporter à octobre sa recommandation finale aux Etats membres de retenir le 1e janvier 2007 comme date d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie. Cette date ne pourra être maintenue que si, au cours des cinq prochains mois, les deux pays parviennent à corriger des déficits préoccupants.

La Bulgarie doit agir dans six domaines au lieu de seize en octobre 2005 et la Roumanie dans quatre au lieu de quatorze. Ils concernent la lutte contre le crime organisé, la corruption et le blanchiment d'argent, la gestion de l'agriculture et le contrôle financier des fonds structurels, la législation sur l'encéphalopathie spongiforme transmissible et, pour la Roumanie, l'interopérabilité de la collecte de la TVA et de la fiscalité directe avec celle de l'Union. La décision finale sera prise, en principe, au Conseil européen du 20 octobre 2006 à Lahti sous présidence finlandaise.

B. Le renforcement du cadre des négociations ouvertes avec la Turquie et la Croatie

Le Conseil européen des 16 et 17 décembre 2004 avait considéré que la Turquie remplissait suffisamment les critères politiques d'adhésion pour que des négociations s'ouvrent le 3 octobre 2005, à condition que ce pays ait mis en vigueur six lois identifiées par la Commission, ce qu'il a fait le 1er juin 2005.

Le Conseil a adopté, le 3 octobre 2005, un cadre de négociations particulièrement exigeant fondé sur les principes définis par le Conseil européen de décembre 2004, de manière à assurer aux Etats membres la maîtrise totale du processus de négociation. La négociation a pour objet un alignement intégral du pays candidat sur l'acquis communautaire. Elle est précédée d'un passage au crible de l'acquis, et se déroule d'Etat à Etat au sein d'une conférence intergouvernementale entre la Turquie et chacun des vingt-cinq membres, y compris Chypre.

Chacun des trente-cinq chapitres devra être ouvert puis refermé par un vote à l'unanimité des Etats membres, avant un vote final sur l'adhésion éventuelle, également à l'unanimité. L'ouverture des négociations sur les chapitres pertinents dépendra du respect préalable par le pays candidat de ses obligations contractuelles envers l'Union européenne et la clôture provisoire d'un chapitre dépendra de la mise en œuvre effective de la législation adoptée et non plus seulement d'un engagement de l'appliquer. Le Conseil, en cas de violation grave et persistante des droits de l'homme, pourra suspendre les négociations à la majorité qualifiée, à l'initiative de la Commission. Par ailleurs, la capacité de l'Union européenne à absorber un pays candidat s'affirme comme le quatrième critère d'adhésion à côté des critères politiques, économiques et de mise en œuvre de l'acquis communautaire que doit respecter le candidat.

L'objectif final est l'adhésion, mais le processus reste ouvert et sans garantie de résultat. En cas d'échec, l'Union européenne devra s'assurer de l'ancrage de la Turquie dans les structures européennes par le « lien le plus fort », allusion à un partenariat privilégié. Les progrès de la Turquie dans la normalisation de ses relations bilatérales avec la République de Chypre et la mise en œuvre de l'accord d'union douanière étendu aux dix nouveaux Etats membres seront évalués en 2006. Les négociations ne pourront s'achever au plus tôt qu'après 2014 et l'adoption des perspectives financières pour la période 2014-2020.

Le Conseil a également décidé, le 3 octobre 2005, d'ouvrir les négociations d'adhésion avec la Croatie, signataire d'un Accord de stabilisation et d'association (ASA) en 2001, dont la candidature déposée en 2003 avait été reconnue par le Conseil européen de juin 2004. L'Union européenne avait toutefois décidé, le 16 mars 2005, de reporter l'ouverture des négociations prévue initialement le 17 mars jusqu'à ce que le Conseil puisse constater la pleine coopération de ce pays avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, désormais effective.

Le lancement concomitant des négociations avec les deux pays donnera probablement lieu à un futur débat sur une dissociation à un terme non encore prévisible. Les premières étapes de la négociation sur le chapitre « science et recherche » ont été engagées sans difficultés début février, mais l'ouverture du deuxième chapitre sur « l'éducation et la culture » montre que les deux candidatures ne posent pas les mêmes difficultés de négociation.

Un débat a eu lieu en effet entre des Etats membres demandant que l'examen de ce chapitre implique une amélioration des droits des minorités, notamment dans les manuels scolaires (position de la France, de l'Allemagne, du Danemark, de la Grèce et de Chypre) et des Etats membres considérant que les critères politiques ne devaient pas être mêlés aux négociations techniques sur chaque chapitre (positions notamment du Royaume-Uni, de la Finlande et de l'Espagne). Ce débat concerne la Turquie plus que la Croatie, même s'il couvre officiellement les deux pays. Un compromis a été trouvé pour poursuivre le processus et inviter la Turquie et la Croatie à présenter leurs positions de négociation respectives sur ce chapitre. Mais le débat pourrait resurgir lorsque le Conseil devra approuver à l'unanimité le projet de position commune de l'Union proposé par la Commission.

Des voix s'élèvent au Parlement européen, notamment celle du Président de la Commission des affaires étrangères, M. Elmar Brok, pour rompre le lien entre les processus de négociation avec la Turquie et la Croatie, de façon à permettre à cette dernière de rejoindre l'Union pour participer aux élections au Parlement européen en 2009 et de servir de modèle aux autres pays des Balkans occidentaux.

C. Une perspective d'élargissement plus ou moins lointaine pour les autres pays des Balkans occidentaux

Les Conseils européens de Feira en juin 2000 et de Thessalonique en juin 2003 ont offert à tous les pays des Balkans occidentaux une perspective d'adhésion à l'Union européenne, fondée sur les mérites de chacun et le respect des critères de Copenhague de 1993 et des critères définis dans le contexte du processus de stabilisation et d'association pour cette région. Au moment où certaines hésitations apparaissent dans l'Union sur la poursuite de l'élargissement, il apparaît nécessaire de confirmer cette perspective européenne pour l'ensemble des Balkans occidentaux. Elle constitue pour ces pays le seul point d'ancrage pour sortir par le haut du marasme dans lequel les a plongés les guerres de l'ex-Yougoslavie. L'autre option du repli sur soi et du ressentiment face à un rejet de l'Union créerait un trou noir pour la stabilité et la prospérité de cette région, mais aussi de l'Union européenne elle-même. Diviser les Balkans occidentaux entre les reçus et les rejetés rallumerait le feu des passions balkaniques que l'Union européenne s'est donné mission d'éteindre dans l'intérêt de toute l'Europe.

Mais ces pays devront s'engager dans un long processus de réformes avant l'adhésion, fondé sur le respect des critères et des procédures et la mise en œuvre des projets.

Le respect des critères d'adhésion porte sur les trois critères de Copenhague (politiques, économiques et de mise en œuvre de l'acquis communautaire), mais aussi sur les critères spécifiques définis dans les conclusions du Conseil « Affaires générales » des 29 et 30 avril 1997. Les conditions générales applicables aux cinq pays concernent, en particulier, le retour des personnes déplacées sur leur lieu d'origine, la coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), le respect des droits de l'homme, des minorités et des procédures démocratiques et de l'indépendance des médias, l'établissement de relations de bon voisinage et d'une coopération régionale.

L'Union européenne vient de faire une application stricte d'un de ces critères. Elle a interrompu la négociation d'un accord de stabilisation et d'association avec la Serbie, en raison de la collaboration insuffisante des autorités serbes avec le TPIY pour l'arrestation de Ratko Mladic. De même avait-elle reporté l'ouverture des négociations avec la Croatie jusqu'à l'arrestation du général Anton Gotovina. Toutefois, l'Union devrait être très attentive aux conséquences d'une interruption prolongée des négociations avec la Serbie, sur son équilibre interne entre forces pro et anti-européennes, mais aussi sur la stabilité régionale dont la Serbie est la clé.

Dans sa communication du 9 novembre 2005, intitulée « Document de stratégie pour l'élargissement », la Commission a rappelé les étapes de la procédure conduisant à l'adhésion à l'Union européenne. Elles comportent :

- la décision du Conseil d'ouvrir la négociation d'un accord de stabilisation et d'association (ASA) pour préparer l'adhésion, sur la recommandation de la Commission après un examen du degré suffisant de stabilisation préalable du pays concerné ;

- la conclusion de l'ASA après que le pays a réalisé des progrès généraux suffisants pour la mise en œuvre de l'accord, soumis à la ratification du pays associé, de l'Union européenne et de l'unanimité des Etats membres ;

- après le dépôt d'une demande d'adhésion, le Conseil européen peut, sur la base d'un avis de la Commission, décider d'accorder au pays le statut de pays candidat :

- le Conseil européen décide ultérieurement, sur la base d'une recommandation de la Commission, d'ouvrir des négociations d'adhésion, si le pays candidat satisfait aux critères politiques de Copenhague et de 1997 et est capable de respecter les critères économiques et de se conformer à ses obligations de futur Etat membre. Une conférence intergouvernementale est ensuite convoquée pour se prononcer sur un cadre de négociation adopté par le Conseil, sur proposition de la Commission.

Enfin, dans une communication du 27 janvier 2006, la Commission propose des projets pour améliorer la stabilité et la prospérité des Balkans occidentaux et en particulier :

- de créer une zone de libre-échange entre les pays de la région (l'accord en cours de négociation pourrait entrer en vigueur en 2007) et de mettre en place un cumul des règles d'origine entre l'Union et la région pour lui permettre d'intégrer ensuite le système de cumul euroméditerranéen ;

- de relancer la charte européenne des petites et moyennes entreprises au profit de la région ;

- de mettre en œuvre à compter du second semestre 2006 le traité instituant la Communauté de l'énergie entre l'Union et les pays partenaires de la région ;

- de faciliter la délivrance des visas, en commençant par les chercheurs, les étudiants et le trafic frontalier local, et d'engager des pourparlers sur ce sujet en fonction des progrès dans la conclusion d'accords de réadmission des immigrés illégaux dans leur pays d'origine ;

- d'augmenter le nombre des programmes européens pour les étudiants et chercheurs de la région et de créer une nouvelle école supérieure régionale d'administration dispensant des formations à partir de 2006.

L'ordre de progression des pays de la région vers leur intégration dans l'Union européenne distingue ceux dont le statut n'est pas encore réglé et les autres.

La Croatie est suivie par l'Ancienne république yougoslave de Macédoine, signataire d'un ASA en 2001 et reconnue candidate le 15 décembre 2005 mais ne bénéficiant pas encore d'une décision d'ouverture des négociations d'adhésion. Au troisième rang figure l'Albanie, qui vient d'achever la négociation d'un ASA dont la ratification par l'Union et les Etats membres va commencer.

La négociation d'un ASA a été officiellement ouverte le 10 octobre 2005 avec la Serbie-et-Monténégro et le 25 novembre 2005 avec la Bosnie-et-Herzégovine, mais ces pays n'ont toujours pas définitivement réglé la question préalable de leur statut.

L'indépendance du Monténégro, approuvée à 55,4 % lors du référendum du 21 mai 2006, scelle la fin de l'ex-Yougoslavie dont les autres républiques s'étaient détachées lors des conflits de la décennie quatre-vingt-dix. Ce petit pays de 650 000 habitants disposait déjà d'une autonomie considérable avec l'utilisation d'une monnaie et d'un système douanier différents, mais des incertitudes pèsent sur sa viabilité économique et sur les droits reconnus à la population serbe du Monténégro. Le Président du Parlement de la République du Monténégro, M. Ranko Krivokapic, a déclaré à la Commission des affaires étrangères du Parlement européen, réunie les 2 et 3 mai derniers, que la population serbe de Monténégro n'aurait pas le droit de vote mais garderait tous les droits dont elle jouit actuellement et que le Monténégro était également disposé à lui accorder la double citoyenneté, offre que la Serbie a toujours refusée.

Des incertitudes pèsent également sur les répercussions que ce divorce pourrait entraîner sur les négociations engagées depuis février 2006 entre les autorités serbes et kosovares sur le statut définitif du Kosovo. Cette province de Serbie, peuplée de deux millions d'habitants à 90 % d'origine albanaise et comptant 100 000 Serbes, est placée sous la tutelle des Nations unies depuis 1999 et jouit d'une indépendance de fait vis-à-vis de la Serbie. Les autorités kosovares revendiquent la création d'un Etat indépendant tandis que la Serbie ne concède qu'une large autonomie.

Un premier cycle de négociations « techniques » sur la décentralisation des pouvoirs, les garanties attribuées aux minorités serbes et roms et la protection du patrimoine culturel et religieux orthodoxe a été mené sous la supervision de l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Martti Ahtisaari. Celui-ci a rappelé à la Commission des étrangères du Parlement européen, le 2 mai, les critères retenus en janvier 2006 par les six membres du groupe de contact (Etats-Unis, Russie, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni) pour définir le statut final : pas de partition au Kosovo, recherche d'une solution avant la fin de 2006 et mise au point d'une solution acceptable par la population du Kosovo, auxquels certains membres ont ajouté depuis le fait que le retour sous l'administration serbe ne serait pas une solution viable et que la responsabilité devait être attribuée à Milosevic et non au leadership démocratique actuel. M. Ahtisaari a précisé qu'en cas d'indépendance, les frontières du Kosovo devraient respecter les frontières actuelles, notamment avec la Macédoine.

Enfin, la Bosnie-et-Herzégovine ne parvient pas à s'émanciper du régime transitoire défini par les accords de paix de Dayton en novembre 1995 et à passer d'un système fondé sur la représentation ethnique à un système fondé sur la représentation citoyenne. La Chambre des représentants du Parlement bosniaque a en effet rejeté, le 26 avril, la réforme constitutionnelle visant à réformer les institutions du pays avant les élections d'octobre 2006. Ce n'est un signal positif ni pour l'Union européenne au moment où ce pays négocie un ASA dont l'application nécessitera un Etat en ordre de marche, ni pour la communauté internationale qui souhaiterait transférer progressivement les pouvoirs de son Haut représentant, M. Christian Schwarz-Schilling, à un Etat pleinement responsable.

D. La fusion de plusieurs programmes d'assistance financière dans un instrument unique

Le nouvel instrument d'aide de préadhésion remplacera, à compter du 1er janvier 2007 les programmes Phare (assistance générale aux pays d'Europe centrale et orientale), Sapard (développement agricole et rural), Ispa (environnement et transports), Phare CBC (coopération transfrontalière), Cards (pour les Balkans occidentaux) et le programme Turquie.

Le nouvel instrument distingue deux catégories de bénéficiaires.

Les pays candidats potentiels (Albanie, Bosnie-et-Herzégovine, Serbie-et-Monténégro) continueront de recevoir une aide conformément aux axes actuels du programme Cards : renforcement et démocratisation, développement économique et social, coopération régionale et transfrontalière, alignement progressif sur l'acquis communautaire.

Les pays candidats (Croatie, Turquie et Ancienne république yougoslave de Macédoine) recevront le même type d'aides et bénéficieront en plus d'une aide pour la préparation à la mise en œuvre des fonds structurels et de développement rural après l'adhésion et pour la mise en œuvre intégrale de l'acquis communautaire.

Un pays ne peut passer de l'annexe 1 (candidats potentiels) à l'annexe 2 (candidats) que par une décision préalable du Conseil, à l'unanimité, lui conférant le statut de candidat en application de l'article 49 du traité sur l'Union européenne, puis par une décision du Conseil, à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, sur le transfert de l'annexe 1 à l'annexe 2.

L'aide sera programmée en cinq volets :

- l'aide à la transition et au renforcement des institutions, volet crucial qui porte aussi sur les autres mesures de coopération non couvertes par les autres volets, ainsi que sur la participation des pays bénéficiaires aux programmes communautaires ;

- la coopération transfrontalière et régionale entre les pays bénéficiaires et les Etats membres, ainsi qu'entre les pays bénéficiaires, les Etats membres et les pays tiers gérés par d'autres instruments comme l'instrument européen de voisinage et de partenariat ;

- le développement régional ;

- le développement des ressources humaines ;

- le développement rural.

Les pays candidats auront accès à l'ensemble des cinq volets, notamment aux trois derniers qui les familiariseront avec les dispositifs qu'ils auront à mettre en œuvre après l'adhésion. Les pays candidats potentiels seront limités aux premier et deuxième volets.

La Commission sera responsable de la mise en œuvre de l'aide et sera assistée par cinq comités composés des représentants des Etats membres.

L'aide sera accordée par la Commission selon un cadre indicatif pluriannuel par volet et par pays. Le document politique de base pour déterminer les priorités en matière de programmation de l'aide sera le partenariat : partenariat pour l'adhésion avec les pays candidats et partenariat européen avec les pays candidats potentiels.

Le Conseil, sur proposition de la Commission, pourra adapter ou suspendre l'aide lorsqu'un pays bénéficiaire viole les principes fondamentaux de la démocratie, de l'Etat de droit, des droits de l'homme ou des minorités, ou lorsque les progrès concernant les partenariats européens ou les partenariats pour l'adhésion sont insuffisants.

La Commission proposait une enveloppe de 14,65 milliards d'euros pour la période 2007-2013, mais la conclusion des discussions sur les perspectives financières a ramené ce montant à 11,56 milliards d'euros pour l'instrument d'aide à la préadhésion pour la période 2007-2013. Ce montant figure entre crochets dans la version révisée de la proposition en date du 22 mai 2006 et devra être confirmé.

III.

IV. UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES INTERETS ET DES CAPACITES DE L'UNION EUROPEENNE

Les débats sur le traité constitutionnel dans les Etats membres, qu'ils se soient conclus positivement ou négativement, ont montré que les peuples européens demandent majoritairement une pause dans l'élargissement. Il faut les rassurer sur la maîtrise d'un processus qui leur paraît sans fin et sur l'avenir de l'Union européenne qui leur paraît flou.

A. La réforme préalable des mécanismes institutionnels

La réforme préalable des mécanismes institutionnels est une priorité. Les débats sur le traité constitutionnel ont en effet montré que les règles actuelles, de majorité qualifiée notamment, ne donnent pas une capacité suffisante pour décider et faire avancer dans une direction clairement définie un ensemble démocratique de plus de 450 millions d'habitants, et de 25 à 27 pays de plus en plus hétérogènes.

L'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne le 1er janvier 2007 déclenchera en principe un débat sur la composition de la Commission et, par extension, sur les règles de majorité qualifiée, car tout est lié.

Même si la Bulgarie et la Roumanie ont encore des progrès à faire dans la mise en œuvre de l'acquis communautaire, différer d'un an leur adhésion n'aurait aucun intérêt puisque le traité d'adhésion ne prescrit dans cette hypothèse rien de plus que des clauses de sauvegarde sectorielles en matière d'économie et de justice qui peuvent s'appliquer sans le déclenchement du délai d'un an.

En l'absence de solution pour le traité constitutionnel à la date du 1er janvier 2007, l'adhésion de ces deux pays entraînera la mise en œuvre du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole 1 sur l'élargissement du traité de Nice. Il prévoit que la première Commission postérieure à la date d'adhésion du vingt-septième Etat membre, c'est-à-dire la prochaine Commission en 2009, comprendra moins de Commissaires que d'Etats membres selon une rotation égalitaire dans le respect des équilibres géographique et démographique, dont le Conseil définira les modalités à l'unanimité.

Le débat institutionnel reprendra et fera face aux questions nouvelles posées par les futurs élargissements.

La candidature de la Turquie place pour la première fois l'Union européenne dans l'hypothèse où l'Etat membre le plus peuplé serait aussi l'un des plus pauvres (au moins actuellement). Les règles de majorité qualifiée devront faire en sorte que soit la pondération des voix (selon les règles actuelles), soit le double critère du nombre et de la population (selon le traité constitutionnel), évitent que cet Etat membre exerce une influence déterminante sur la minorité qualifiée et dispose ainsi d'une capacité de blocage. La question se pose à un moindre degré dans la représentation au Parlement européen co-législateur.

A l'inverse, dans les Balkans occidentaux, la multiplication du nombre d'Etats membres par fragmentation d'un Etat disparu, la Yougoslavie, ou d'un Etat actuel, la Serbie-et-Monténégro, comprenant également le Kosovo, pose également la question de l'équilibre entre Etats membres dans les mécanismes de décision.

B. La définition de la capacité d'assimilation de l'Union européenne

La définition rapide des capacités d'absorption de l'Union européenne pour intégrer de nouveaux Etats membres est une deuxième condition préalable à tout nouvel élargissement. La résolution du Parlement européen du 16 mars 2006 sur le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission demande la clarification du quatrième critère d'adhésion de Copenhague qui a été jusqu'à présent négligé(1).

Le Conseil européen de Copenhague des 21 et 22 juin 1993 avait défini les trois critères applicables aux pays candidats et le quatrième critère applicable à l'Union européenne en ces termes :

« L'adhésion requiert de la part du pays candidat qu'il ait des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection, l'existence d'une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union. L'adhésion présuppose la capacité du pays candidats à en assumer les obligations, et notamment de souscrire aux objectifs de l'union politique, économique et monétaire.

La capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne constitue également un élément important répondant à l'intérêt général aussi bien de l'Union que des pays candidats. »

Le texte français utilise le terme « assimilation » préférable à la transposition du terme « absorption » de la version en anglais. Il y a une nuance en français : l'Union assimile mais n'engloutit pas.

La capacité d'assimilation ne se limite pas à la capacité de fonctionnement, même si la capacité institutionnelle et budgétaire de l'Union sont deux éléments essentiels à prendre en compte. L'Union européenne pourrait fonctionner a minima sans progresser vers plus d'intégration européenne.

La capacité d'assimilation dépend également de l'acceptation des peuples de l'Union européenne. En particulier, la révision de la Constitution française au printemps 2005 rend désormais obligatoire le recours au référendum pour la ratification des traités d'adhésion, à l'exclusion des Etats candidats avec lesquels le Conseil européen a décidé avant le 1er juillet 2004 d'ouvrir des négociations d'adhésion. Cette disposition ne s'appliquera pas à la Bulgarie, à la Roumanie ni à la Croatie, mais à la Turquie et aux autres pays candidats des Balkans.

Cet aspect psychologique est étroitement lié à la capacité de l'Union européenne à préserver ses valeurs et ses acquis et à progresser vers un objectif commun avec le futur Etat membre. La transparence et l'éthique du marché et du modèle social européens devront notamment être préservées par rapport au poids de l'économie informelle chez les futurs candidats pour qu'elle ne fausse pas le marché unique ni l'équité des politiques communes redistributives.

La capacité d'assimilation doit également s'étendre à la protection et à la promotion des valeurs de la société démocratique européenne. La crise des caricatures de Mahomet a montré que la liberté d'expression, la laïcité et l'existence de médias libres et indépendants pouvaient faire l'objet d'une contestation absolue. La Turquie a fait des efforts remarqués pour renforcer le dialogue entre les civilisations entre les deux rives de la Méditerranée. Mais elle est aussi membre et assure le secrétariat général de l'Organisation de la Conférence islamique (OCI) dont les 57 pays ont déposé un texte à l'ONU afin de rendre « la diffamation des religions et des prophètes incompatible avec le droit à la liberté d'expression ». Tout candidat devrait s'engager à respecter et à promouvoir les valeurs et les libertés de l'Union et non à demander leur limitation.

Ce qui est au centre de la capacité d'assimilation d'une Union dont les disparités s'accroissent, c'est sa capacité à organiser la convergence, la cohérence, la cohésion et la confiance entre anciens et nouveaux Etats membres pour forger le plus rapidement possible une volonté commune. La capacité d'assimilation se définit comme la capacité de surmonter une hétérogénéité croissante pour que les élargissements futurs renforcent les liens qui ont été patiemment construits depuis un demi-siècle et n'entraînent pas l'Union européenne dans un processus de délitement.

La capacité d'assimilation est donc éminemment liée au projet poursuivi par l'Union européenne. Son exigence s'accroît en fonction de l'ambition du projet de l'Union européenne.

Si le projet de l'Union se limite à créer une zone de libre-échange avec des politiques communes minimales d'aide aux Etats les plus pauvres et à accepter une concurrence fiscale maximale en son sein, le niveau d'exigence dans la recherche de l'homogénéité se réduit et la capacité d'assimilation s'élargit.

Si le projet de l'Union ambitionne de créer un acteur politique et économique de premier plan sur la scène internationale et d'affirmer un modèle économique et social performant et équilibré, le niveau d'exigence s'élève en terme d'homogénéité et la capacité d'assimilation se resserre.

Le projet de l'Union balance entre ces deux options au moins depuis l'entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne. L'Union européenne a cependant réussi, depuis cinquante ans, à s'entendre sur des compromis à chaque fois plus ambitieux en mettant de côté les divergences de ses Etats membres sur les fins qu'ils poursuivaient. C'est ce qu'on a appelé la démarche des « ambiguïtés constructives ». Les doutes sur la poursuite de l'élargissement de l'Union montrent que celle-ci est peut-être arrivée à une phase de son évolution où les Etats membres doivent clarifier leurs vrais objectifs parce que les compromis portent désormais sur les sujets concernant les fins ultimes de l'Union européenne.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

1) Audition de M. Olli Rehn, commissaire européen à l'élargissement, sur la stratégie de l'Union sur l'élargissement, le mardi 6 juin 2006

Le Président Pierre Lequiller a remercié le commissaire européen à l'élargissement, M. Olli Rehn, de venir s'exprimer devant la Délégation et a rappelé qu'elle avait donné un avis favorable à l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne. Il traduit un consensus assez large entre ses membres en faveur de l'adhésion de ces deux pays au 1er janvier 2007 pour des raisons politiques, même si la Délégation restera attentive à l'avis définitif de la Commission sur leur conformité aux critères de Copenhague.

Il a ensuite interrogé M. Olli Rehn sur la définition de la capacité d'absorption de l'Union européenne, sur l'éventualité de dissocier, à terme, les négociations d'adhésion avec la Turquie et la Croatie pour permettre à celle-ci de rejoindre l'Union dans un avenir pas trop lointain et sur la perspective européenne pour les autres pays des Balkans occidentaux.

M. Olli Rehn, commissaire européen à l'élargissement, a exprimé ses remerciements pour la nouvelle occasion de débattre de l'élargissement, après son audition par la commission des affaires étrangères, le 6 décembre 2005, et a salué la régularité métronomique avec laquelle l'Assemblée nationale entend se tenir informée des derniers développements de ce dossier, en cette période critique pour le projet européen.

Le 1er mai dernier, l'Union a célébré le deuxième anniversaire de l'élargissement à dix nouveaux pays d'Europe centrale et méridionale. Cet évènement de dimension politique et historique exceptionnelle a réuni pour la première fois, de manière pacifique, dans un espace commun de droit, de démocratie et de libertés, l'Est et l'Ouest de notre continent. Le 1er mai 2004, après soixante ans de divisions, l'Europe tournait enfin la page du XXe siècle.

Que sont devenues les catastrophes annoncées avant l'adhésion ? Les « plombiers polonais » n'ont pas submergé nos marchés du travail, y compris dans les pays ayant complètement ouvert leurs frontières aux travailleurs salariés, et la France a décidé d'ouvrir son marché du travail à certaines professions, dont le bâtiment.

Les nouveaux pays membres n'ont pas tiré l'Europe sociale vers le bas, comme en témoigne le compromis atteint sur l'ex-directive Bolkestein sur les services, qui vient d'être adoptée. Enfin, nos institutions ne sont pas paralysées par le nombre et continuent de travailler, de fonctionner et décider.

Nous n'avons pas à rougir de ce bilan, même si nous n'ignorons pas la lassitude, les craintes, le vertige des citoyens vis-à-vis de l'élargissement. Mais il faut reconnaître la valeur ajoutée, pour l'ensemble des Européens, d'un processus d'adhésion géré avec prudence et rigueur.

Faut-il poursuivre les adhésions comme si de rien n'était ? Après la Bulgarie et la Roumanie, qui ont conclu un traité d'adhésion en 2005, aucune autre adhésion nouvelle n'est prévue au cours des prochaines années, pas avant la fin de la décennie en tout cas.

Le prochain pays sur la liste sera probablement la Croatie, mais ce pays devra au préalable avoir rempli toutes les conditions requises.

Au-delà, tout pronostic est impossible : les négociations avec la Turquie ont certes débuté, mais tout le monde sait, y compris les Turcs, que le processus sera long et sans garantie sur son issue.

C'est la même situation pour les pays des Balkans occidentaux, qui se situent à un stade plus précoce encore de leurs relations avec l'Union.

L'Union européenne dispose donc d'une période amplement suffisante pour réfléchir et décider sereinement sur son projet, sa nature et son avenir, et notamment pour régler les questions institutionnelles en souffrance. Cette phase de respiration lui permettra aussi, pour reprendre les propos de M. Jacques Delors, de « créer ce minimum d'esprit de famille, de compréhension des autres, de connaissance de leur psychologie et de leurs traditions nationales, et de consolider et enrichir le contrat de mariage à 25 ».

Pour répondre aux préoccupations des citoyens sur le rythme de l'élargissement, M. Olli Rehn a proposé de construire un nouveau consensus sur l'élargissement, basé sur deux principes : d'abord, défendre l'intérêt stratégique de l'Europe qui est d'étendre et de consolider l'espace de paix, de liberté et de prospérité, et donc de respecter les engagements pris ; ensuite, s'assurer dans le même temps que l'Union, à tout moment, maintient et développe sa capacité de décision et d'action, à l'intérieur aussi bien qu'à l'extérieur de ses frontières.

Le premier principe sur la consolidation des engagements déjà consentis signifie qu'à ce stade, et pour un avenir prévisible, l'Union ne peut pas prendre d'engagements nouveaux. Mais cela signifie aussi qu'elle respecte la parole donnée et réaffirme la perspective offerte aux pays des Balkans occidentaux et à la Turquie.

Ce n'est pas pour autant une garantie : ces pays devront, au préalable, respecter à la lettre les conditions posées par les critères de Copenhague, qui définissent la capacité du candidat à adhérer. La conditionnalité stricte est un principe cardinal de cette politique. Ceux qui douteraient de la détermination de l'Union doivent se souvenir de la décision de la Commission de reporter toute négociation avec Belgrade tant que le criminel de guerre Ratko Mladic n'aura pas été localisé ni transféré au Tribunal pénal international de La Haye. Sa récente position sur la Bulgarie et la Roumanie est un autre signal.

L'objectif de l'Union européenne, rappelé par le Conseil européen lui-même, est l'adhésion de ces deux pays en 2007. Le devoir de la Commission, en tant que gardienne des traités, est de s'assurer qu'ils sauront faire face à leurs obligations une fois membres de l'Union. Un examen minutieux et détaillé a conduit la Commission à considérer que la Bulgarie et la Roumanie pourront rejoindre l'Union le 1er janvier 2007, pour autant qu'ils auront comblé les dernières lacunes. La Commission évaluera leurs efforts et leurs progrès au cours du mois de septembre et dira alors si, oui ou non, l'adhésion en 2007 peut être maintenue.

Elle accordera une attention particulière à la réforme de la justice et au combat contre la corruption, au plus haut niveau. Ces efforts sont d'autant plus urgents et nécessaires qu'ils doivent assurer le fonctionnement de l'état de droit, pierre angulaire de l'économie et de la société dans son ensemble. Cela dit, il faut saluer les progrès réels effectués par ces deux pays depuis octobre 2005. Les domaines particulièrement préoccupants sont ainsi passés de 16 à 6 dans le cas de la Bulgarie, de 14 à 4 dans celui de la Roumanie.

Le second grand principe est d'assurer à tout moment notre capacité de décision et d'action, appelée « capacité d'absorption » ou « capacité d'assimilation ».

La capacité d'absorption détermine dans quelle mesure l'Union européenne peut accueillir de nouveaux membres tout en restant efficace. Il s'agit donc avant tout d'un concept opérationnel et non pas d'un concept géographique. Il tient compte de deux facteurs : la transformation des candidats en Etats membres respectant pleinement leurs obligations, et le développement des politiques et institutions de l'Union.

Le concept de la capacité d'absorption est apparu pour la première fois sous la plume des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne au Conseil européen de Copenhague en 1993. Il comprend plusieurs dimensions : économique, financière, institutionnelle et démocratique. Il ne s'agit donc pas d'un concept nouveau, dont il n'aurait nullement été tenu compte au cours du dernier élargissement.

Par exemple, dès 1997, la Commission présentait une stratégie globale intitulée Agenda 2000, incluant la réforme des politiques communes (agriculture, fonds structurels) et du budget de l'Union européenne, qui ouvrait ainsi la voie à l'élargissement de 2004.

L'Union procédera, en 2008 ou 2009, à une révision de son budget. La Commission présentera alors des propositions de réforme globale du budget et des politiques communes.

Au plan institutionnel, le dernier élargissement a été préparé par le traité de Nice, qui fixe les règles de fonctionnement d'une Union à vingt-sept membres. Vingt-cinq plus la Bulgarie et la Roumanie font vingt-sept : nous y voilà. Il nous faut donc songer à un nouvel accord institutionnel, et le plus tôt sera le mieux. Non pas à cause des élargissements à venir, mais parce que c'est déjà nécessaire aujourd'hui pour faire mieux, tout simplement.

M. Olli Rehn a insisté sur ce point : les réformes de l'Union sont de toute façon indispensables pour l'Europe et les Européens d'aujourd'hui, et ne doivent pas dépendre des futures adhésions.

Quant à la légitimité démocratique, elle est cruciale. M. Olli Rehn a rappelé que toute décision en matière d'élargissement est prise à l'unanimité par les Gouvernements démocratiquement élus des Etats membres, qui représentent leurs citoyens à Bruxelles. Tous les Parlements nationaux sont tenus de ratifier les traités d'adhésion, comme la France s'apprête à le faire s'agissant de la Bulgarie et de la Roumanie. Le Parlement européen élu au suffrage universel doit donner son avis conforme. On le constate, toute décision majeure nécessite le blanc-seing de toutes les institutions démocratiques compétentes, que ce soit au niveau de l'Union européenne ou de chaque Etat membre.

Nous disposons d'un bien précieux avant les prochains élargissements : le temps. Profitons-en dès maintenant pour améliorer la capacité de fonctionnement de notre Union européenne. Mais laissons aux pays candidats leur chance, la chance de démontrer qu'eux aussi peuvent intégrer les valeurs démocratiques qui fondent notre projet, mettre en œuvre nos politiques, respecter nos règles. Il y va de notre intérêt propre, il s'agit de la stabilité du Sud-Est de l'Europe et, partant, de tout le continent.

Les pays candidats ne sont pas au seuil de notre porte. Leur route est encore longue avant de pouvoir entrer dans notre maison commune. Mais nous agirions contre nos propres principes et notre propre intérêt stratégique si nous leur donnions l'impression que leur route ne les mène nulle part.

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Olli Rehn de s'être exprimé en français, soulignant combien les membres de la Délégation sont attachés à la défense du français en Europe et dans le monde.

M. Bernard Deflesselles a indiqué qu'il s'était rendu les 22 et 23 mai en Finlande, dans le cadre de la série de missions de la Délégation sur l'avenir du traité constitutionnel et la stratégie de l'élargissement. A cette occasion, et à quelques semaines du début de la présidence finlandaise, il a trouvé intéressant de rencontrer des parlementaires des trois principaux partis politiques et de recueillir des informations sur les positions du Gouvernement finlandais, à un moment où le processus européen est en panne.

M. Bernard Deflesselles a relevé que, bien entendu, M. Olli Rehn ne représente pas aujourd'hui la Finlande, dont il est ressortissant, mais uniquement la Commission, dont il membre. Il a souhaité lui soumettre la question suivante : puisque la politique d'élargissement doit bénéficier du large soutien de l'opinion publique, quel est le message de la Commission pour les années à venir, au-delà de la Bulgarie et de la Roumanie, et au-delà de la question des Balkans ? Lors de sa mission à Helsinki, les interlocuteurs de M. Deflesselles ont paru bien peu préoccupés par la question de la capacité d'absorption, et envisageaient sans réticence un élargissement futur à l'Ukraine, et à d'autres pays. On peut donc s'interroger sur la vision qui est celle de la Commission à l'horizon de plusieurs années.

M. Jean-Claude Lefort, qui se trouvait quant à lui en Finlande, le 5 juin, avec M. Dominique de Villepin, Premier ministre, a confirmé les informations présentées par M. Bernard Deflesselles concernant la position des autorités finlandaises. La notion d'absorption, ou d'assimilation, n'a pas en Finlande et sûrement dans d'autres pays les mêmes répercussions ni les mêmes conséquences qu'en France.

M. Jean-Claude Lefort a relevé que M. Olli Rehn a parlé de « période de respiration », et qu'il a reporté à la fin de la décennie l'idée d'un quelconque progrès du processus d'élargissement. Mais quel message tient-il alors aux pays comme le Monténégro, qui se croient quasiment déjà dans l'Union européenne, et aux pays comme l'Ukraine, qui considèrent leur adhésion comme imminente ? M. Jean-Claude Lefort a indiqué qu'il partage la volonté que l'Union fasse une pause dans son élargissement, mais a interrogé le commissaire sur la teneur des propositions qu'il est possible de faire à ces pays : quel début de réponse peut-on leur apporter qui ne soit pas l'intégration ?

Enfin, M. Jean-Claude Lefort a évoqué le cas de la Turquie. En vérité il n'y a qu'un seul pays avec lequel l'Union discute d'absorption : c'est la Turquie. Une clause de rendez-vous avait été fixée, pour obliger la Turquie, impérativement, à reconnaître les 25 Etats membres. La Turquie aurait dû le faire au plus tard au premier semestre 2006. M. Jean-Claude Lefort a précisé qu'il est favorable à l'adhésion de la Turquie, mais de manière rigoureuse : la reconnaissance par la Turquie de chacun des 25 Etats membres doit être un préalable. Que va faire la Finlande, au second semestre 2006, pour que la Turquie reconnaisse la République de Chypre ?

M. Michel Herbillon a approuvé le fait que M. Olli Rehn ait évoqué dès le début de son intervention les craintes des Français vis-à-vis de l'élargissement. L'élargissement a absolument besoin du soutien de l'opinion publique, et ce soutien a manqué. Il n'y a pas eu suffisamment de pédagogie auprès des Français. C'est pourquoi le « plombier polonais » est devenu le récipiendaire de toutes les peurs françaises. Des initiatives pédagogiques sont nécessaires, elles seraient utiles. Par conséquent, quelles sont les initiatives concrètes qui vont être prises ?

Derrière la question de l'élargissement, on trouve beaucoup d'autres questions : le débat récurrent élargissement / approfondissement ; la question des frontières de l'Europe ; la question du contenu du projet européen. De plus, la question de l'élargissement ne se pose pas dans les mêmes termes dans tous les Etats membres : le point de vue des Etats fondateurs des Communautés est différent de celui des Etats qui ont bénéficié ensuite de l'élargissement. Ainsi par exemple, le Portugal, qui exercera la présidence du Conseil en 2007 après l'Allemagne, n'a pas la même position que celle-ci sur le sujet. Il est donc indispensable de mieux communiquer sur les élargissements futurs.

Mme Anne-Marie Comparini a souligné la complexité de la problématique de l'élargissement. Le commissaire a insisté à juste titre sur les conditions qui devront être remplies lors des prochains élargissements. Il conviendrait d'évoquer également les relations que l'Union européenne doit entretenir avec les autres grands ensembles territoriaux, car elle ne saurait être une forteresse. Le projet européen ne doit pas entrer en conflit avec les stratégies développées par les pays voisins, par la Russie en matière de politique énergétique par exemple ou par le continent africain dans le domaine de l'immigration. C'est pourquoi la politique de voisinage est indispensable.

M. Jérôme Lambert a rappelé que tous les chapitres des négociations avec la Bulgarie ont été clôturés, les uns après les autres, après un examen rigoureux, et que le traité d'adhésion a été signé. La Commission semble « découvrir » que des difficultés subsistent, en matière judiciaire et de lutte contre la corruption notamment. M. Jérôme Lambert a souhaité savoir si la Commission irait jusqu'à recommander l'usage de la clause de sauvegarde et, dans cette hypothèse, si l'unanimité requise pourrait être atteinte. Il a souligné que cela déclencherait une nouvelle crise, qui s'ajouterait à celle que traverse déjà l'Union. Une adhésion dès le 1er janvier 2007 serait plus appropriée qu'un délai supplémentaire d'un an, pour permettre à la Bulgarie de résoudre ses difficultés. M. Jérôme Lambert a également interrogé le commissaire au sujet de la révision constitutionnelle imposant à la France d'organiser un référendum sur chaque nouvelle adhésion, après celles de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Croatie. Ces référendums seront sans doute délicats. Il a souhaité connaître le sentiment du commissaire sur le fonctionnement du collège de la Commission à vingt-cinq et sur la nécessité de réduire le nombre de commissaires, comme le prévoit le traité constitutionnel.

M. Jacques Myard a estimé que l'élargissement est inéluctable. Les rapports techniques de la Commission n'auront qu'un impact très limité, face à la nécessité d'organiser le continent européen. Une fois élargie, l'Union européenne devra s'amaigrir. L'élargissement remet en cause le fonctionnement actuel de l'Union et rend la logique d'intégration obsolète. Dans une Europe élargie, il faut s'en tenir à l'essentiel, c'est-à-dire à quelques règles et politiques communes, dans le respect du principe de subsidiarité. L'Union n'a pas pris la mesure du précédent élargissement, comme l'illustre l'augmentation de l'acquis communautaire, passé de 80 000 à 90 000 pages. La coopération européenne est indispensable, mais doit être remise à plat.

M. Robert Lecou a constaté un changement d'attitude à l'égard de l'élargissement au cours de la mission sur l'avenir de l'Europe qu'il a effectuée en Irlande. Les Irlandais, qui ont ouvert leur marché du travail sans restriction aux travailleurs des nouveaux Etats membres lors du précédent élargissement, n'en feront sans doute pas de même lors de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, par exemple. Il a souhaité connaître le sentiment du commissaire sur cette évolution vers une approche prudente et pragmatique.

M. André Schneider s'est dit sensible à l'utilisation, par M. Olli Rehn, de la langue française tout au long de son audition et lui a demandé s'il pouvait intervenir pour consolider le siège du Parlement européen à Strasbourg.

M. Olli Rehn a répondu aux différents intervenants, après avoir précisé qu'un commissaire européen ne perdait pas sa citoyenneté lors de sa nomination et qu'à titre personnel, il disposait donc de la double identité finlandaise et européenne.

sur la position de la future présidence finlandaise en matière d'élargissement, il est certain qu'elle aura à acter la « clause du rendez-vous » avec la Turquie qui s'achèvera fin 2006, et donc à demander à ce pays de normaliser ses relations avec Chypre, ce qui implique la mise en œuvre du protocole additionnel à l'accord d'Ankara visant à étendre à la République de Chypre l'accord d'union douanière qui lie la Turquie à l'Union européenne. Cette question sera d'ailleurs abordée dès la semaine prochaine lors de la réunion du conseil d'association avec la Turquie. Il importe surtout que le processus avance, même lentement, car ce dossier est important pour les relations entre l'Europe et le monde islamique, grand défi de l'avenir.

Néanmoins, il est évident que la Turquie ne pourra adhérer que si elle satisfait à tous les critères. Dans un tel cas, qui repousse les échéances à 15 ou 20 ans, des référendums pourront peut-être être approuvés par les populations de l'Union ;

sur la définition de la politique d'élargissement, il est probable que le prochain Conseil européen de juin demandera un approfondissement du débat, ce qui conduira la Commission à élaborer un rapport pour novembre 2006, précisant en particulier les éléments relatifs à la défense de nos intérêts stratégiques et à notre capacité d'absorption. Il est évident que l'Union européenne devra désormais faire preuve de circonspection avant de prendre de nouveaux engagements et donner la priorité aux engagements déjà donnés envers la Bulgarie, la Roumanie, les pays des Balkans occidentaux et la Turquie ;

sur la politique de voisinage, il faut effectivement rendre plus attractive une telle politique pour les pays du Sud et, en particulier, pour les pays de l'Est, notamment l'Ukraine et la Moldavie, afin d'éviter les demandes d'adhésion de leur part. Il faut d'ailleurs souligner que le Président José Manuel Barroso et la commissaire en charge des relations extérieures et de la politique de voisinage européen, Mme Benita Ferrero-Waldner, sont favorables également à un renforcement de cette politique de voisinage ;

sur les Balkans occidentaux, l'Union européenne, par l'entremise notamment de M. Javier Solana, Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, a établi les règles du référendum sur l'indépendance du Monténégro. Ces règles ayant été respectées par les Monténégrins, l'Union doit tenir pour légitime le résultat obtenu. Il est d'ailleurs probable que les Etats membres vont reconnaître le Monténégro le 12 juin prochain. Il faut surtout encourager les dirigeants serbes et monténégrins à travailler en commun pour aboutir à une « séparation de velours ». La Serbie est clairement le pays clef dans la zone des Balkans occidentaux et il faut en tenir compte pour assurer l'équilibre de cette région. En tout état de cause, les perspectives européennes de la Serbie dépendront de sa pleine coopération avec le Tribunal pénal international, ce qui implique l'arrestation et le transfert de Ratko Mladic à La Haye ;

sur l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, il faut rappeler que la Commission européenne a prévu la procédure de la clause de sauvegarde fin 2004, car elle estimait qu'il subsistait encore beaucoup de problèmes en matière de réforme judiciaire, de lutte contre la corruption et contre la criminalité. Cette pression a été efficace s'agissant de la Roumanie, qui a engagé des réformes approfondies et mène des actions contre la corruption de haut niveau. La Bulgarie a tardé à agir pour des raisons tenant peut-être à son calendrier électoral, mais elle a néanmoins commencé un bon travail qui s'intensifie et qui pourrait lui permettre de satisfaire au critère touchant au système judiciaire. Il serait souhaitable que tous les Etats membres - notamment la France et l'Allemagne - ratifient au plus vite le traité d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, ce qui permettrait peut-être à la Commission d'établir son rapport final sur ces deux pays avant même le mois d'octobre ;

sur la communication en matière d'élargissement, il faut souligner qu'il s'agit d'un défi non seulement pour la Commission européenne mais aussi pour l'ensemble des responsables politiques dans l'Union et dans les Etats membres. De façon générale, chaque action de l'Union - et pas seulement la politique d'élargissement - doit bénéficier du soutien des citoyens. De son côté, la Commission s'efforce de dialoguer avec les principaux acteurs des médias, du monde universitaire et plus globalement de la société civile. Elle vient aussi d'élaborer un document expliquant la politique d'élargissement, intitulé « 20 mythes et réalités au sujet de l'élargissement », qui sera transmis aux membres de la Délégation ;

sur le siège du Parlement européen, M. Olli Rehn a observé qu'en tant qu'ancien membre du Conseil de l'Europe, il était attaché à la ville de Strasbourg.

Le Président Pierre Lequiller, après avoir indiqué que M. Michel Herbillon avait eu l'occasion de remettre au Premier ministre un rapport sur le développement de l'information et de la sensibilisation sur l'Europe, a souligné les progrès réalisés par l'Assemblée nationale dans ce domaine lors de la présente législature.

2) Réunion de la Délégation du mercredi 7 juin 2006

La Délégation s'est réunie le mercredi 7 juin 2006, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information et celui de M. Thierry Mariani sur le développement de la politique européenne de voisinage et la question des frontières de l'Union européenne (AN n° 3132). Elle a suivi cet ordre logique pour examiner des thèmes qui sont liés : élargissement puis voisinage et frontières.

M. René André, rapporteur, a indiqué que la proposition de règlement créant un instrument d'aide de préadhésion était l'une des composantes de la réforme des instruments de l'action extérieure de l'Union européenne en vue de les regrouper en six dispositifs : aide humanitaire, stabilité, aide macrofinancière, aide de préadhésion, aide de voisinage et de partenariat, coopération au développement et coopération économique. Les débats qui ont eu lieu entre le Conseil et le Parlement européen devraient aboutir à l'adoption de la réforme sous présidence autrichienne et permettre son entrée en vigueur au 1er janvier 2007 dans le cadre des perspectives financières 2007-2013. Le rapporteur a proposé d'approuver la création de l'instrument d'aide de préadhésion au point 1 de la proposition de conclusions qu'il a soumise à la Délégation.

Le rapporteur a ensuite expliqué que cet examen était surtout l'occasion d'engager la réflexion sur les conditions de l'élargissement futur de l'Union européenne, avant le Conseil européen des 15 et 16 juin, à la lumière de la place centrale qu'a prise l'élargissement dans le débat sur l'avenir de l'Europe et des préoccupations de l'opinion publique.

L'élargissement s'est d'abord trouvé au centre des enjeux au moment de l'élaboration du traité constitutionnel, afin de répondre à une double ambition.

La première était d'établir le plus juste équilibre entre le nombre d'Etats membres et la taille de leur population dans les mécanismes de décision à la majorité qualifiée, de manière à éviter le blocage d'un ensemble démocratique de 450 millions d'habitants. La fragmentation de l'Ex-yougoslavie qui continue avec l'indépendance du Monténégro et pourrait se poursuivre avec le Kosovo et peut-être même avec une séparation de la République serbe d'avec la Bosnie-Herzégovine conduit à s'interroger sur leur poids respectif dans la future Union élargie.

La deuxième s'efforçait de développer une union politique à côté de l'union économique et monétaire, qu'il est difficilement envisageable de réaliser à vingt-cinq.

L'élargissement s'est également trouvé au centre des débats de ratification du traité constitutionnel, en particulier sur deux autres thèmes : la question des frontières de l'Union européenne et l'avenir incertain du modèle social européen.

Le rapporteur a proposé à la Délégation, au point 2 des conclusions, de considérer que l'Union devait confirmer à l'ensemble des pays des Balkans occidentaux la perspective européenne qu'elle leur a promise à Thessalonique mais à la condition que chacun respecte complètement les critères d'adhésion généraux et spécifiques à cette région.

Cette nouvelle exigence s'est d'ailleurs peut-être exercée pour la première fois non pas pour l'adhésion à l'Union mais pour l'adhésion à l'euro. La candidature de la Lituanie à l'euro a été rejetée avec une extrême sévérité parce qu'elle a dépassé de 0,2 point le seuil requis en matière d'inflation (2,7 % au lieu de 2,5 % entre avril 2005 et mars 2006), alors qu'elle remplissait les quatre autres critères. C'est un signal politique qui pourrait s'adresser à tout candidat à l'adhésion à un système communautaire européen : être presque parfait ne suffit plus, il faut répondre parfaitement aux conditions.

A cet égard, les autres pays des Balkans occidentaux bénéficient d'une perspective d'élargissement, offerte par les Conseils européens de Feira en juin 2000 et de Thessalonique en juin 2003. Ces pays devront s'engager dans un long processus de réformes avant l'adhésion mais il faudra veiller à ne pas les décourager.

Cependant, avant d'accueillir tous ces pays qui ont vocation à entrer dans l'Union européenne, celle-ci devra réformer ses institutions et définir sa capacité d'assimilation de nouveaux Etats membres. Le rapporteur a proposé à la Délégation d'adopter sur ce thème, dans ses conclusions, les quatre points suivants :

- la Délégation estime que la réforme des institutions de l'Union européenne est une condition préalable à tout nouvel élargissement après l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, sous réserve d'un examen ultérieur du cas de la Croatie ;

- elle demande que le critère énoncé par le Conseil européen de Copenhague en 1993 relatif à « la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne » soit précisé pour s'appliquer désormais à tout nouvel élargissement ;

- elle définit ce critère comme la capacité d'organiser la convergence, la cohérence, la cohésion et la confiance des anciens membres avec un nouvel Etat dont l'adhésion accroît l'hétérogénéité de l'Union, afin que celle-ci fonctionne efficacement, préserve ses valeurs et ses acquis et progresse vers l'intégration des politiques ;

- elle rappelle que la liberté d'expression, la laïcité et l'existence de médias libres et indépendants sont des valeurs auxquelles la société démocratique européenne est indéfectiblement attachée et souligne que tout pays candidat doit s'engager à respecter et à promouvoir les libertés de l'Union et non à demander leur limitation.

Le rapporteur a considéré que l'adhésion de la Bulgarie, de la Roumanie et, dans quelques années, de la Croatie, étaient déjà acquises.

Pour les autres pays des Balkans occidentaux, il est compréhensible que l'Union ai interrompu la négociation d'un accord de stabilisation et d'association avec la Serbie et décidé de ne la reprendre qu'après l'arrestation de Mladic. Elle devrait cependant faire attention à ne pas décourager les démocrates serbes et à ne pas laisser ce pays retomber dans ses errements en raison d'un sentiment de rejet largement répandu dans la population.

L'indépendance du Monténégro, approuvée à 55,4 % lors du référendum du 21 mai 2006, risque d'entraîner des répercussions sur les négociations engagées depuis février 2006 entre les autorités serbes et kosovares sur le statut définitif du Kosovo, ainsi que sur la stabilité de toute la région. Les Serbes vont devoir accepter une solution se situant entre l'autonomie substantielle et l'indépendance du Kosovo.

Le rapporteur a déclaré exprimer une opinion personnelle, mais la République serbe de Bosnie-et-Herzégovine risque de ne pas accepter longtemps de faire partie de la Bosnie-Herzégovine après l'indépendance du Monténégro et du Kosovo. Avec la Serbie, l'Union européenne doit manier l'espérance et la fermeté, mais ne doit pas lui couper tout espoir.

Le Président Pierre Lequiller a insisté sur l'importance du point n° 3 des conclusions présentées par le rapporteur : si l'Europe s'élargit sans cesse, elle n'aura plus les moyens de fonctionner, de décider. A vingt-cinq, à vingt-sept, demain peut-être à trente, il est évident qu'une réforme des institutions est nécessaire, et que cette réforme doit être préalable à tout élargissement au-delà de la Bulgarie et de la Roumanie. C'est d'ailleurs ce qui est prévu par le traité de Nice, concernant la composition de la Commission. Il est important aussi d'insister sur le nouveau concept qui est celui de la « capacité d'absorption » ou « d'assimilation ».

M. René André, rapporteur, a souligné que, s'agissant du point n° 3 des conclusions, on en arrive à préconiser, comme l'avait fait le Président Valéry Giscard d'Estaing, que l'approfondissement précède l'élargissement. On ne peut que constater, pour le regretter, que c'est la conception britannique qui l'a emporté ces dernières années. Il faut que l'Europe devienne une véritable force politique face aux géants qui existent ou qui apparaissent au niveau mondial. Certes, devenir une telle force ne devra pas se faire sans respecter le rôle des Etats, voire des régions. En tout état de cause, une telle évolution passe par une réforme des institutions, notamment pour convaincre les citoyens européens.

M. Jacques Myard a reconnu que le rapport présenté par M. René André pose une question fondamentale. Nous avons changé de monde. Le problème, c'est que les positions du rapporteur s'inscrivent encore dans un modèle qui est la logique de l'intégration. Ce modèle est dépassé. La question est désormais : qui veut faire quoi sur tel ou tel sujet ? L' « A.D.N », le « logiciel » des traités, surtout depuis l'Acte unique, est que l'on a voulu tout harmoniser, tout intégrer. Ainsi est-on passé d'une Communauté volontaire à une Communauté intégrée dans laquelle tous ont l'obligation de s'aligner. Mais ce fût une grave erreur, et ça l'est encore plus dans une Europe à vingt-cinq, à vingt-sept... C'est un échec assuré. Aussi faut-il augmenter considérablement la flexibilité, pour prendre en compte le fait que tous n'avanceront pas à la même vitesse. L'Europe constitue un enjeu de solidarité régionale, pas un enjeu mondial. En-dehors de l'objectif de paix, les différents Etats européens n'ont pas les mêmes intérêts. C'est pourquoi la méthode doit changer.

Enfin, s'agissant de l'indépendance du Monténégro, il faut s'attendre à des effets dramatiques de ce phénomène de dislocation des Etats. Ce processus pourrait bien encourager ceux qui sont prêts à redessiner la carte de l'Europe pour y inscrire la Catalogne, un district Strasbourg-Kehl... C'est une vision extrêmement dangereuse. On ne peut pas à la fois poursuivre l'intégration et encourager les régionalismes et les « roitelets » locaux. M. Jacques Myard a conclu en indiquant qu'il ne pouvait donc pas adhérer aux conclusions qui préconisent une intégration accrue pour élargir l'Union.

M. René André, rapporteur, a observé que ses positions et celles de M. Jacques Myard n'étaient en réalité pas si éloignées. Certes, il est clair qu'une union politique n'est pas réalisable à vingt-cinq, ni a fortiori à vingt-sept ou à trente. Mais il s'est dit persuadé que les Etats membres de l'Union ont au moins quelques valeurs communes et que, tout en respectant les particularités de chacun, ils doivent les faire partager à tous les Européens. Elles ne sont pas encore partagées par tous en Europe, et notre intérêt est de les faire partager. Quant à l'objectif de paix, il ne doit pas être dévalorisé car il demeure essentiel.

M. René André s'est dit certain que l'on peut avoir une Europe à géométrie variable, une « Europe à la carte », avec une sorte de « noyau dur » de pays qui décideront de travailler ensemble et que d'autres pourront ensuite rejoindre.

Il serait tout à fait inexact de considérer que l'Union européenne porte la responsabilité du problème du Kosovo. C'est un problème qui dépasse l'Union et qui est dû en grande partie aux Etats-Unis d'Amérique.

S'agissant du désir de « casser » les Etats-nations pour faire une « Europe des régions », il faut souligner que certains pays le souhaitent (l'Espagne, la Belgique, le Royaume-Uni), mais que d'autres comme la France ne le veulent pas. Mais pourquoi ne pas envisager la coexistence de plusieurs organisations, des organisations de type national et des organisations de type régional ?

Enfin, M. René André a souligné que l'Europe doit présenter un front uni au plan mondial. Dans la guerre économique en cours, face aux Etats-Unis, à la Chine, au Brésil, à l'Inde, il ne faut surtout pas que les Etats européens soient divisés. C'est pour cela qu'une réforme des institutions est indispensable.

Le Président Pierre Lequiller a souligné qu'il s'agit d'un débat récurrent, et que sur un certain nombre de points il apparaît qu'un réel consensus existe entre les membres de la Délégation : il faut que l'Europe s'organise selon des modalités différentes selon les problèmes à résoudre.

Il a cité le Président de la Commission, M. José Manuel Barroso, rencontré la veille à Bruxelles. Celui-ci, faisant référence à la démarche du président tchèque, M. Vaclav Klaus auprès du Président russe, M. Vladimir Poutine afin que la Russie ne prive pas l'Europe de son approvisionnement énergétique, a fait observer : « quel poids pèse dans ce genre de situation la demande d'un Président isolé ? Il est impératif de parler d'une seule voix ».

M. Jacques Myard a observé que cela se fait naturellement quand les Etats membres ont des intérêts communs, mais que c'est loin d'être le cas quand ils ont des intérêts divergents.

*

* *

M. Thierry Mariani, rapporteur, a indiqué que l'examen de la proposition de règlement créant un instrument européen de voisinage et de partenariat était surtout l'occasion de présenter la nouvelle politique de voisinage de l'Union européenne, ses orientations, ses instruments et les défis de sa mise en œuvre dans un contexte de crises et de fortes attentes chez les voisins de l'Est comme du Sud, et d'engager la réflexion sur la définition des frontières de l'Union européenne, avant le Conseil européen des 15 et 16 juin.

La politique de voisinage poursuit trois orientations. Elle repose d'abord sur une approche unifiée des relations de l'Union européenne avec un ensemble de 16 pays : 9 pays du Sud : Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël, Autorité palestinienne, Jordanie, Syrie et Liban ; 5 pays de l'Est : Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan ; 2 pays ont vocation à participer lorsqu'ils auront normalisé leurs relations avec l'Union : Biélorussie et Libye.

La liste a évolué depuis sa fixation par le Conseil « Affaires générales » en juin 2003. Le Conseil européen de juin 2004 a exclu la Russie de son champ à la demande de ce pays, pour développer un partenariat stratégique spécifique dans le cadre des « quatre espaces communs » définis lors du sommet de Saint-Pétersbourg en mai 2003. En revanche, le même Conseil européen a décidé d'inclure l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie dans la politique européenne de voisinage.

Elle propose ensuite à ces pays une stratégie d'intégration économique et de coopération politique sans perspective d'adhésion, afin de surmonter quatre défis : démocratique, économique, énergétique et migratoire. Pour répondre à ces quatre défis, l'Union européenne propose à ses voisins une offre économique et une offre en matière de sécurité, avec un développement de la coopération transfrontalière.

Enfin, la politique de voisinage tire les leçons de la lenteur du processus de réforme aussi bien à l'Est qu'au Sud et introduit une méthode de différenciation par pays pour dynamiser l'approche régionale.

La politique de voisinage met en œuvre trois instruments. Elle s'appuie d'abord sur le cadre contractuel existant : les accords d'association avec les partenaires euro-méditerranéens et les accords de partenariat et de coopération avec les pays issus de l'ex-Union soviétique.

Elle crée des plans d'action. D'une durée de trois à cinq ans, ils fixent des priorités pour les deux parties en fonction des spécificités de chaque pays voisin et font l'objet d'une évaluation régulière. Sept plans d'action ont été adoptés avec Israël, la Jordanie, la Moldavie, le Maroc, l'Autorité palestinienne, la Tunisie et l'Ukraine. Cinq autres sont en négociation avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan, l'Egypte, la Géorgie et le Liban.

Enfin, elle fusionne les instruments financiers Meda et Tacis dans un instrument unique. Le débat le plus difficile sur l'IEVP a concerné la répartition géographique indicative des crédits par région entre l'Est et le Sud. Le Conseil est parvenu à un compromis apportant la garantie essentielle sur le respect de l'équilibre actuel que demandaient la France et les membres du sud de l'Union : la répartition pluriannuelle entre pays et régions prendra pour base le niveau d'assistance prévu dans les perspectives financières actuelles, soit deux tiers pour le Sud et un tiers pour l'Est.

Au total, seule la mise en œuvre de la politique de voisinage permettra de lever un certain nombre d'incertitudes. Une différenciation par pays poussée à l'extrême pourrait contrarier l'intégration régionale entre les partenaires méditerranéens qui est l'un des principaux objectifs du processus de Barcelone. Enfin, l'absence de perspective d'adhésion pour les voisins pose la question de savoir s'ils se contenteront des contreparties offertes par la politique de voisinage et si l'Union européenne peut transformer ses voisins tout en les tenant à distance.

La politique de voisinage devra relever les défis d'une mise en œuvre dans un contexte de crises et de fortes attentes à l'Est comme au Sud.

En premier lieu, les voisins de l'Est sont partagés entre les politiques de voisinage de la Russie et de l'Union européenne. La Russie rétablit en effet progressivement un rapport de puissance avec son étranger proche sur les plans économique, militaire et énergétique.

La Russie a signé le 19 septembre 2003 avec la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine un accord pour la formation d'un Espace économique commun (EEC). Il prévoit la mise en place progressive d'une zone de libre-échange puis d'une union douanière. L'Ukraine et les autres voisins de l'Est devront décider de la cohérence des diverses politiques commerciales qu'ils sont en train de négocier aux niveaux multilatéral, dans le cadre de leur adhésion à l'OMC, et régional, avec la création d'un Espace commun avec la Russie et d'une zone de libre-échange avec l'Union européenne.

Ensuite, la Russie a maintenu une présence militaire en Transnistrie, après sa séparation de la Moldavie en 1992, et en Géorgie et a adopté une position très ambiguë à l'égard des séparatismes et des conflits gelés dans la région depuis une décennie.

Enfin, la crise du gaz russo-ukrainienne a été le point d'orgue de la volonté de la société russe Gazprom de mettre fin aux tarifs préférentiels du gaz consentis aux voisins de la Russie et de prendre le contrôle des voies d'approvisionnement du gaz vers l'Europe. Cette crise a également fait prendre conscience à l'Union européenne de sa dépendance énergétique, au moment où la parenthèse de la Mer du Nord prend fin et où les entreprises de deux des principaux producteurs mondiaux de gaz, la Russie et l'Algérie, se rapprochent. Le Conseil européen de mars 2006 ne s'est pas encore accordé sur une politique commune de l'énergie, mais il a approuvé le développement d'une politique extérieure commune de l'énergie.

En dehors de la Biélorussie qui est le seul pays de la région à tourner le dos à l'Union européenne, l'aspiration des autres pays de la région à la démocratie et à l'Europe a commencé à devenir crédible avec les révolutions démocratiques et les élections des Présidents Saakachvili en Géorgie, en janvier 2004, et Ioutchenko en Ukraine, en décembre 2004. Ces révolutions démocratiques sont l'expression d'un choix de toute la société mais elles traduisent aussi la volonté d'une majorité au sein des populations d'appartenir à la communauté eurotlantique. Le souhait d'adhérer à l'Union européenne accompagne celui d'adhérer à l'OTAN. Les Etats-Unis ont soutenu activement le mouvement de démocratisation à travers de puissantes ONG et ne cachent pas leur volonté d'attirer ces pays dans la sphère d'influence euroatlantique en considération de leur importance géopolitique.

L'intérêt de l'Union européenne pourrait être de constituer une zone d'équilibre dans laquelle l'Union européenne et la Russie entretiendraient des relations avec ces pays dans le respect mutuel des préoccupations des deux partenaires. L'Union ne réalisera en effet pleinement l'objectif de prospérité et de sécurité de sa politique de voisinage qu'avec le règlement des conflits gelés dont la Russie détient en partie les clés.

En second lieu, les voisins arabes du Sud sont partagés entre une volonté de modernisation et la montée de l'islamisme fondamentaliste.

La relance du processus de Barcelone est difficile dans un contexte marqué par quatre crises : une instabilité régionale croissante ; la concurrence de la Chine et de l'Inde sur le textile et la hausse des prix du pétrole et du gaz qui a accru l'écart entre les pays pétroliers et les autres ; la montée de l'islamisme politique radical lors des élections récentes ; enfin, la crise des caricatures de Mahomet.

Des ambiguïtés doivent être dissipées. Les voisins du Sud se prononcent pour la réforme mais à leur rythme et selon leur voie. L'expérience montre que la plupart des gouvernements laïcs autoritaires n'ont pas renoncé à gouverner en s'appuyant sur des forces de sécurité dont la puissance s'est encore renforcée avec la lutte contre le terrorisme. Ces gouvernements sont en effet soumis à une demande contradictoire des Etats-Unis et, dans une moindre mesure, de l'Union européenne, qui tantôt les pressent de démocratiser rapidement, tantôt leur demandent d'accorder la priorité à la lutte contre le terrorisme. Cette contradiction a pu constituer une aubaine pour certains gouvernements peu pressés de réformer, mais l'Union européenne devra, à cet égard, hiérarchiser ses propres objectifs dans ses relations de voisinage.

Le Conseil européen des 15 et 16 juin devrait être amené à débattre de l'avenir de l'Union européenne et, éventuellement, de ses frontières. Une définition des frontières dès maintenant serait prématurée. Il paraît en effet difficile de délimiter des frontières sans avoir choisi au préalable le projet de l'Union qui les détermine.

L'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie et les nouvelles possibilités d'élargissement à l'Est posent désormais la question de la définition des frontières de l'Union européenne. Or, faute de pouvoir se figurer le projet européen, l'opinion publique désorientée se raccroche à l'Europe géographique et ne comprend pas les décisions prises au coup par coup à l'égard de sa périphérie, sans vision d'ensemble.

En réalité, le temps est peut-être venu de reconnaître que l'Union européenne ne peut pas définir ses frontières avant de définir son projet, qu'il y a deux projets de l'Union et que les deux projets n'ont pas nécessairement les mêmes frontières.

Mais faute d'avoir fait ce choix, l'Union européenne a pour l'instant donné une réponse ambiguë à ses voisins et risque de se trouver face à une contradiction insoluble. En effet, d'une part elle a fourni un début de réponse positive à la Turquie en lui reconnaissant le statut de pays candidat et en ouvrant les négociations d'adhésion. Mais d'autre part, elle a fourni un début de réponse négative à l'Ukraine, à la Moldavie et aux trois Etats du Caucase en les classant dans la nouvelle politique de voisinage comme des voisins n'ayant pas vocation à adhérer à l'Union européenne.

Cependant, la Commissaire aux relations extérieures chargée de la politique de voisinage, Mme Benita Ferrero-Waldner, a expliqué que la politique de voisinage n'était pas censée déterminer la qualité de candidat qui relève d'un autre processus de décision.

Il semblerait en effet incohérent de dire définitivement non maintenant à l'Ukraine si l'Union européenne devait dire oui dans dix ans à la Turquie. Mais il serait difficile de repousser de dix ans la définition des frontières de l'Union européenne et de laisser sans réponse une demande de l'opinion publique européenne.

La création d'un Espace économique multilatéral européen avec le voisinage donnerait le temps à l'Union de choisir son projet et de définir ses frontières. La politique de voisinage offre en effet une perspective ambitieuse puisqu'elle pourrait déboucher sur un réseau d'accords européens de voisinage susceptibles de constituer, ou d'accompagner, la relation multilatérale étroite mentionnée dans la résolution du Parlement européen du 16 mars 2006 sur le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission.

L'Union européenne est devant le choix soit de la différenciation des deux projets, soit de leur réconciliation.

Dans le cadre d'une différenciation assumée, un grand ensemble régional à la mesure des autres ensembles régionaux du XXIe siècle pourrait se constituer progressivement autour de trois cercles clairement articulés entre eux : le cercle des amis rassemblant dans un grand espace économique et de sécurité paneuropéen et euro-méditerranéen l'Union et ses voisins sur le mode de la coopération la plus étroite ; le cercle de la famille étendue, fondé sur l'Union européenne actuelle du grand marché européen et des politiques communes, combinant intégration économique et coopération politique ; le cercle de la famille proche, regroupant ceux des membres de l'Union européenne qui voudraient réaliser l'Union économique et monétaire et l'union politique sur le mode de l'intégration la plus approfondie, sans nécessairement créer un super Etat fédéral.

Cependant, des évolutions sont peut-être en train de rapprocher les deux projets de l'Union et d'élever les ambitions des membres les plus modestes. D'une part, la volonté d'adhésion de la Turquie et des voisins de l'Est confronte désormais l'Union européenne à des enjeux stratégiques et géopolitiques qui ne sont plus ceux d'une simple organisation de marché mais ceux d'une puissance en formation. D'autre part les bouleversements dans le secteur de l'énergie ont amené les tenants de l'Europe marché à approuver l'adoption par le Conseil européen d'une politique extérieure commune de l'énergie. La réconciliation des deux projets de l'Union européenne a peut-être enfin commencé.

Estimant que l'on ne pouvait maintenant que mesurer les contradictions dans lesquelles est enfermée l'Union européenne, M. Jacques Myard s'est déclaré convaincu que la question se dénouerait à terme avec la mise en place d'un Conseil de sécurité européen, à l'échelle du continent. Il n'est en effet pas possible d'ignorer, sur le plan géostratégique et énergétique, ni la Russie, ni la Turquie, pas plus que la situation en Ukraine. L'avenir se chargera donc d'écrire les compléments à l'actuel texte du rapport, compléments qu'il n'est pas encore possible d'anticiper avec précision. L'OSCE ne représente de ce point de vue qu'une avancée encore embryonnaire.

S'agissant des crédits européens de la politique de voisinage, les modalités de leur emploi doivent faire l'objet d'une grande attention, car ils doivent servir les intérêts européens et non contribuer, à l'occasion de l'attribution d'appels d'offres sur des projets, par exemple, au développement de l'influence d'organisations anglo-saxonnes. A l'occasion des « révolutions de couleur » dans les pays d'Europe orientale ou du Caucase, certaines ONG américaines dont les membres ont pu avoir des liens avec de grandes agences fédérales ont ainsi cherché à accroître leur influence sous le couvert de la démocratisation. Il faut se garder d'un certain aventurisme politique américain qui pourrait prendre corps avec la complaisance voire la connivence de certains de nos partenaires, lesquels risqueraient par conséquent, comme la Pologne, d'être considérés comme de véritables têtes de pont en Europe.

M. René André a préalablement indiqué faire siennes, sur de nombreux points, les observations de M. Jacques Myard, estimant par ailleurs que l'Union européenne avait fait une erreur de vouloir inclure sur le même pied des Etats aussi différents que la Russie et la Moldavie ou la Libye dans sa politique de voisinage. La Russie souhaite une discussion directe avec l'Union européenne et pourrait en outre considérer comme insultant de méconnaître le chemin qu'elle a parcouru depuis la crise économique et financière de 1998. Grâce aux recettes pétrolières, elle est une très grande puissance. Ce que l'on appelle les révolutions démocratiques s'est effectivement accompagné d'un renforcement de l'influence d'ONG américaines. Le refus des pays membres de l'Union de suivre la proposition polonaise d'une OTAN de l'énergie a, par ailleurs, et heureusement, évité de mettre notre politique énergétique sous une certaine influence américaine. Il faut donc rester vigilant.

S'agissant du point n° 9 de la proposition de conclusions (« Considère qu'il serait incohérent de dire définitivement non maintenant à une perspective d'adhésion pour l'Ukraine si l'Union européenne devait dire oui dans dix ans à l'adhésion de la Turquie et qu'il serait prématuré de délimiter ses frontières avant qu'elle ait défini son projet »), M. René André a souhaité que ce point sur les perspectives d'adhésion et les adhésions futures distingue bien le cas de l'Ukraine de celui de la Turquie. Ceux-ci sont complètement différents. Kiev est notamment considérée comme la mère de toutes les villes russes et l'Ukraine a d'une manière générale une très forte proportion de sa population qui est russophone. Le texte écrit du rapport rappelle d'ailleurs fort à propos que l'on ne pourra traiter le cas de l'Ukraine sans tenir compte des préoccupations mutuelles de l'Union européenne et de la Russie.

En conclusion, M. René André a estimé que celui-ci serait d'un grand intérêt pour les membres de la mission d'information « énergie et géopolitique ».

M. Jérôme Lambert a estimé que le sujet méritait une réflexion approfondie, sachant qu'il faut insister sur la nécessité pour l'Union européenne d'adopter des institutions plus efficaces avant de procéder, dans le futur, à des élargissements.

Le Président Pierre Lequiller a relevé la qualité des analyses du rapporteur, notamment sur l'énergie avant d'indiquer qu'il partageait le point de vue de M. René André sur le dispositif de la proposition de conclusions s'agissant de l'Ukraine et de la Turquie. Une telle mention ne doit pas figurer dans les conclusions, même si l'on partage, comme c'est son cas, le contenu de la communication sur ce point. En effet, le problème de l'Ukraine se pose également pour la Moldavie et la Biélorussie, entre autres.

En réponse, le rapporteur a indiqué que l'influence des ONG précédemment mentionnées avait également pu être perçue à Minsk, et qu'il fallait par ailleurs accorder une grande attention au rôle et à la composition des équipes de l'OSCE chargées des missions d'observation des élections, car l'équilibre entre les anglo-saxons et les autres ne semble pas aller de soi.

Sur un autre plan, la Russie bénéficie effectivement de ressources pétrolières qui lui permettent de financer sa modernisation.

Après modification, à l'initiative du rapporteur, de son dispositif de manière à supprimer toute mention de la question des adhésions de la Turquie et de l'Ukraine, la Délégation a approuvé les conclusions dont le texte figure ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION

La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil établissant un instrument d'aide de préadhésion (COM (04) 627 final du 29 septembre 2004 - document E 2724),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant dispositions générales concernant la création d'un instrument européen de voisinage et de partenariat (COM (04) 628 final du 29 septembre 2004 - document E 2725),

Vu le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission du 9 novembre 2005 (COM (05) 561 final),

Vu la communication de la Commission du 27 janvier 2006 intitulée « les Balkans occidentaux sur la voie de l'Union européenne : renforcer la stabilité et la prospérité » (COM (05) 27 final),

Vu la résolution du Parlement européen du 16 mars 2006 sur le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission, notamment ses points 5, 6 et 10,

Sur les conditions de l'élargissement futur de l'Union européenne
 :

1. Approuve la création de l'instrument d'aide de préadhésion pour remplacer plusieurs programmes existants et rationaliser l'assistance financière à compter du 1er janvier 2007 ;
2. Considère que l'Union doit confirmer à l'ensemble des pays des Balkans occidentaux la perspective européenne qu'elle leur a promise à Thessalonique mais à la condition que chacun respecte complètement les critères d'adhésion généraux et spécifiques à cette région ;

3. Estime que la réforme des institutions de l'Union européenne est une condition préalable à tout nouvel élargissement après l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, sous réserve d'un examen ultérieur du cas de la Croatie ;

4. Demande que le critère énoncé par le Conseil européen de Copenhague en 1993 relatif à « la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne » soit précisé pour s'appliquer désormais à tout nouvel élargissement ;

5. Définit ce critère comme la capacité d'organiser la convergence, la cohérence, la cohésion et la confiance des anciens membres avec un nouvel Etat dont l'adhésion accroît l'hétérogénéité de l'Union, afin que celle-ci fonctionne efficacement, préserve ses valeurs et ses acquis et progresse vers l'intégration des politiques ;

6. Rappelle que la liberté d'expression, la laïcité et l'existence de médias libres et indépendants sont des valeurs auxquelles la société démocratique européenne est indéfectiblement attachée et souligne que tout pays candidat doit s'engager à respecter et à promouvoir les libertés de l'Union et non à demander leur limitation ;

Sur la politique européenne de voisinage et la définition des frontières de l'Union européenne
 :

7. Approuve la création de l'instrument européen de voisinage et de partenariat à compter du 1er janvier 2007, à condition qu'il renforce le partenariat euro-méditerranéen et maintienne la répartition actuelle des crédits entre les voisins du Sud et ceux de l'Est ;

8. Demande que l'Union européenne définisse un modèle de relations privilégiées avec son voisinage, susceptible de constituer le point d'arrivée ultime du rapprochement des voisins sans perspective d'adhésion, mais aussi la dernière étape obligatoire avant l'adhésion pour les pays bénéficiant actuellement d'une perspective d'adhésion.

1 () Extrait : «Le Parlement européen : 5. rappelle que la capacité d'absorption de l'Union européenne, telle que définie lors du Conseil européen de Copenhague en 1993, demeure l'une des conditions de l'adhésion de nouveaux pays ; estime qu'il est essentiel, pour saisir la notion de capacité d'absorption, de définir la nature de l'Union européenne, en ce compris ses frontières géographiques ; demande à la Commission de présenter avant le 31 décembre 2006 un rapport exposant les principes sur lesquels cette définition se fonde ; invite la Commission à tenir compte de cet élément pour l'ensemble de son calendrier de négociations ; souhaite que la commission des affaires étrangères du Parlement européen, ainsi que sa commission des affaires constitutionnelles, soient autorisées à élaborer un rapport d'initiative sur cette question ;

6. estime que l'enlisement du processus de ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe empêche l'Union européenne d'accroître sa capacité d'absorption ; »

© Assemblée nationale