COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 3

Jeudi 3 mars 2005
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, M. Bernard Cieutat, président de la sixième chambre, M. Christian Babusiaux, président de la 1ère section de la sixième chambre, de Mme Rolande Ruellan, présidente de la 2è section de la sixième chambre, et de M. Michel Braunstein, conseiller maître à la sixième chambre, rapporteur général chargé de l'élaboration du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale

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- Audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère des solidarités, de la santé et de la famille

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- Audition de M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu, M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, M. Bernard Cieutat, président de la sixième chambre, M. Christian Babusiaux, président de la 1ère section de la sixième chambre, Mme Rolande Ruellan, présidente de la 2è section de la sixième chambre, et M. Michel Braunstein, conseiller maître à la sixième chambre, rapporteur général chargé de l'élaboration du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir et l'honneur d'accueillir M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, qui nous fera part de ses réflexions sur le champ des travaux de la MECSS et sur leur articulation avec les travaux de la Cour des comptes. Notre souhait est que s'instaure une étroite collaboration avec la Cour des comptes, afin de développer une véritable culture publique de l'évaluation, pour le plus grand profit de nos concitoyens.

M. Philippe Séguin : Merci tout d'abord de l'accueil que vous voulez bien me réserver, ainsi qu'à M. Bernard Cieutat, président de la 6e chambre, à Mme Rolande Ruellan et à M. Christian Babusiaux, présidents de section, et à M. Michel Braunstein, rapporteur général du rapport annuel de la Cour des comptes sur la sécurité sociale.

Je suis moi-même très heureux d'intervenir aujourd'hui devant vous à l'occasion de la deuxième réunion de la MECSS. J'aurais aimé, comme vous me l'aviez proposé, participer à la séance d'installation de la MECSS qui a eu lieu le 10 février, mais cela ne m'a pas été possible en raison de la tenue, ce jour là, de la chambre du Conseil qui a examiné et approuvé le rapport annuel 2004 de la Cour. Je pense que vous aurez bien voulu me comprendre et m'excuser.

C'est la loi sur l'assurance maladie du 13 août 2004 qui a donné la possibilité aux deux assemblées de mettre en place une MECSS, et je salue le volontarisme dont a fait preuve le président Dubernard, qui a souhaité mettre en œuvre cette opportunité nouvelle sans délai, avec son efficacité coutumière et en associant la Cour à sa démarche.

La réunion de travail que nous avons eue à ce sujet en novembre dernier a, à cet égard, été très utile. Elle a permis d'avoir un dialogue franc et sans langue de bois sur cette question et la Cour a notamment pu faire valoir ses points de vue liés à la nécessité de procéder à une programmation de ses travaux et à son souhait - qui était, au demeurant, partagé par votre commission - de tenir le plus grand compte des travaux déjà effectués, ne serait-ce que pour optimiser le travail de chacun.

Il avait été convenu à cette occasion qu'un protocole préciserait le cadre de cette collaboration. Ce protocole vient d'être mis au point comme en témoigne notre récent échange de lettres. Sa disposition principale prévoit le principe de deux rencontres annuelles en mai et en octobre. La première de ces réunions ainsi organisée, bien en amont de la détermination du programme de travail annuel de la Cour, permettrait tant à la Cour qu'à la MECSS d'avoir un échange d'une part sur les travaux envisagés par la Cour, d'autre part sur les propres souhaits de votre commission des affaires sociales. Cet échange devrait permettre, tout en tenant compte de nos contraintes, d'identifier les thèmes parmi ceux que vous auriez inventoriés qui pourraient être inscrits dans notre programmation. Pour éclairer cet échange, je vous communiquerai d'ailleurs, avant cette réunion, nos prévisions de contrôles et d'enquêtes pour les deux prochaines années.

La réunion d'octobre serait consacrée, quant à elle, à l'évaluation des suites données à nos travaux respectifs. Pour que cette évaluation ait un sens, elle devrait s'appliquer à des travaux pour lesquels les administrations ou organismes concernés auront eu un délai raisonnable - au moins un an - pour décider des suites données aux recommandations de la Cour ou de la MECSS.

Cela dit, les thèmes choisis par la MECSS pour l'année 2005 nous conviennent. Comme ils tiennent compte de notre calendrier de travail, ils permettront à votre commission de s'appuyer sur les analyses de la Cour et de vérifier si ses recommandations ont été suivies d'effet.

Votre premier thème de travail, qui devrait mobiliser la MECSS jusqu'en mai, a fait l'objet d'une longue et substantielle insertion dans le tout dernier rapport sur la sécurité sociale que j'ai eu l'honneur de vous présenter le 16 septembre dernier. J'y reviendrai plus longuement dans un instant.

Fin mai, la MECSS sera en mesure d'examiner le rapport établi par la Cour sur le plan Biotox. En effet, comme je vous l'avais indiqué en novembre dernier, ce dossier est en cours d'instruction suite à une saisine faite par le Sénat en novembre 2003. Le traitement de ce sujet sensible a pris plus de temps que prévu et il en a été de même s'agissant de la phase de contradiction. Celle-ci, en raison du sujet, est en effet soumise à une procédure formelle plus lourde en raison de la confidentialité qui s'y attache. Mais nous sommes maintenant au terme du processus qui sera achevé d'ici la fin mars. La 6e chambre délibérera ensuite dans les meilleurs délais. Le document définitif devrait donc pouvoir être envoyé au Sénat dans le courant du mois d'avril et, dans la foulée, à votre commission. L'examen par la MECSS de ce dossier pourrait donc s'achever, je l'imagine, avant les congés d'été.

J'ai moins de visibilité, je le confesse, sur l'harmonisation dans le temps de nos travaux respectifs relatifs au financement des établissements d'hébergement des personnes âgées. Comme vous le savez, la Cour a prévu de publier durant le dernier trimestre 2005 un rapport public particulier sur un sujet qui recoupe très largement vos préoccupations puisqu'il concerne les personnes âgées dépendantes. La date prévisionnelle de sortie de ce rapport est le mois d'octobre. La Cour fera tout son possible pour que nous tenions cette date. Nous en sommes au stade de l'envoi aux administrations de relevés de constatations provisoires sur chacun des aspects du dossier. L'envoi de ces relevés devrait être achevé dans les tout prochains jours. Tout dépendra alors du respect du délai de réponse par les administrations. Nous leur enverrons ensuite, avant l'été, la synthèse de nos travaux, destinée à être publiée. Vous serez destinataires de ces travaux dès qu'ils auront été contredits et synthétisés.

Par ailleurs, il me semblerait dommage et, à certains égards, démobilisateur pour tout le monde, que vos travaux démarrent avant que vous ayez pris connaissance de ce rapport public particulier. Nous avons là une petite difficulté à gérer au cours de l'automne prochain. Nous la réglerons ensemble le moment venu. Dans l'immédiat, peut-être pourra-t-il être précisé à nos correspondants, avec encore plus de vigueur qu'à l'accoutumée, que j'attacherai personnellement le plus grand prix et la plus grande attention à un strict respect des délais.

Le second point que je souhaiterais évoquer devant vous a trait au projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale. Ce projet de loi, qui devrait être prochainement examiné en première lecture par le Sénat, a des ambitions très larges. Pour mettre fin aux difficultés et aux limites que chacun a pu constater dans la mise en œuvre de ces lois de financement, le projet qui va être soumis au Parlement vise à donner à ces lois plus de cohérence et de crédibilité, notamment en leur conférant une dimension pluriannuelle et en y introduisant une démarche « objectifs-résultats ». Le projet vise aussi à renforcer la portée du vote sur l'ONDAM et à favoriser l'équilibre financier de la sécurité sociale, en permettant au Parlement de se prononcer sur le solde des régimes obligatoires de base et sur celui du régime général.

Je tiens à souligner que ce projet de loi correspond très largement aux analyses et aux positions que la Cour a présentées dans ses derniers rapports annuels sur la sécurité sociale. Il a vocation à remplacer l'actuelle loi organique votée en 1996. Celle-ci, qui a certes représenté un progrès considérable, a aussi montré depuis ses limites dans la conjoncture économique et financière difficile de la sécurité sociale.

La Cour a ainsi dénoncé à plusieurs reprises l'impossibilité de rapprocher les objectifs de dépenses et les prévisions de charges, en raison de la non-concordance des champs et du mode de présentation retenu pour les recettes. Elle a aussi critiqué le périmètre de l'ONDAM et ses relations confuses avec l'objectif de la branche maladie. Le projet de loi corrige beaucoup des défauts ainsi dénoncés en prévoyant notamment un vote sur les soldes des branches et en calant les objectifs de dépenses sur les engagements pluriannuels annexés au projet de loi de finances. Il enrichit également l'information donnée au Parlement en confiant à la Cour la charge de certifier les comptes des branches du régime général et de donner un avis sur les tableaux d'équilibre par branches de tous les régimes, ce qui permettra notamment de rapprocher les résultats comptables des objectifs.

Cette disposition s'inscrit dans la continuité de l'article 64 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 qui a prévu l'élaboration de comptes combinés de branche et de régimes par les agents comptables nationaux. Le périmètre, circonscrit au régime général, de la certification confiée à la Cour a été déterminé en concertation étroite entre la Cour et les services du ministère chargé de la sécurité sociale. La certification des comptes combinés des régimes autres que le régime général devrait être prévue par une loi ordinaire et confiée à des réviseurs extérieurs à l'État, comme c'est déjà le cas dans le régime agricole.

En dernier lieu, je souhaite évoquer le thème qui nous réunit aujourd'hui, à savoir la gestion et le coût des organismes de sécurité sociale du régime général. Je ne vais pas rappeler les principales conclusions faites par la Cour car vous ne manquerez pas d'y revenir, j'imagine, dans les questionnements qui vont suivre mon intervention. J'aimerais cependant mettre en relief plus particulièrement trois points.

Certains des organismes évoqués dans le rapport ont estimé que la Cour avait été trop ou, du moins, très sévère à propos des appréciations d'ensemble qui ont été formulées à cette occasion. Il est vrai qu'ils ont été impressionnés à la fois par une couverture de presse importante qui n'a pas toujours su résister à la tentation de titres quelque peu provocateurs et par des réactions syndicales parfois vives. Mais ces réactions ont également montré que le rapport de la Cour a suscité le débat au sein du régime général.

Pour ma part, je voudrais rappeler tout d'abord, l'atout essentiel dont disposent actuellement les différentes branches pour assurer leur pilotage et leur gestion au travers des conventions d'objectifs et de gestion, les fameuses COG. Mises en place à partir de 1996, après une période d'apprentissage parfois difficile, celles-ci ont maintenant acquis une légitimité très forte et la troisième génération de COG actuellement en cours de discussion sera, je l'espère, celle de la maturité. A cet égard, les organismes de sécurité sociale ont une avance incontestable sur bien des administrations comme en témoigne la mise au point délicate des indicateurs d'efficacité, d'efficience et de qualité de service prévus dans les missions et les programmes, déterminés en application des nouvelles dispositions de la loi organique relative aux lois de finances.

Cela étant, les prochaines COG doivent fixer des objectifs de gestion plus clairs et plus exigeants. Elles doivent notamment aboutir à une meilleure organisation territoriale des différentes branches. Celle-ci n'est pas bonne. Elle ne l'est pas au niveau de l'organisation institutionnelle des branches qui est en effet fondée, sauf dans la branche retraite, sur des réseaux pléthoriques de caisses, dotées de conseils d'administration, dont la carte est restée figée depuis 1945, à quelques rares exceptions près.

Je n'ignore pas, et pour cause, l'attention qu'en votre qualité d'élus locaux vous portez à la mise à disposition du public de services de proximité mais il n'est plus possible aujourd'hui d'en rester à la situation actuelle. Il faut à l'évidence utiliser les possibilités offertes par les nouvelles technologies et aussi les possibilités largement sous-utilisées de mutualiser certaines tâches entre caisses. Les branches ont besoin d'un pilotage fort par les caisses nationales. C'est loin d'être le cas actuellement, et notamment parce que l'organisation territoriale actuelle ne le permet pas. A titre d'exemple, la caisse nationale d'assurance maladie ne peut assurer correctement cette fonction avec les 129 caisses primaires qui sont en prise directe avec elle. Les réseaux denses des caisses des branches maladie mais aussi des branches famille et recouvrement - je vous rappelle qu'il n'y a pas moins de 122 caisses d'allocations familiales et de 104 URSSAF !  - doivent donc être reconfigurés.

Regrouper les caisses ne signifie évidemment pas supprimer la présence de terrain, nécessaire pour les fonctions qui relèvent véritablement du niveau local. Ceci m'amène à évoquer une autre observation de la Cour. Aux réseaux des caisses locales, s'ajoutent les très nombreuses structures de proximité qui ont été multipliées ces dernières années dans chaque branche : il en existe environ 1 500 dans la branche maladie, et plus de 2 000 dans les branches famille et vieillesse. Ces structures de proximité ont dans certains cas une véritable utilité mais elles ont été le plus souvent mises en place sans pilotage d'ensemble, sans prise en compte des réalités économiques et financières et trop souvent sans véritable analyse des besoins réels des assurés sociaux.

Le dernier point que je souhaite évoquer a trait à un meilleur équilibre à rechercher entre deux objectifs qui, loin de s'opposer, doivent être complémentaires, en l'occurrence la qualité de service et la productivité. Chacun s'accorde à dire que, sauf exception, la productivité a été jusqu'à présent une préoccupation secondaire dans les COG. II est essentiel que ce rééquilibrage soit effectué dans les conventions en cours de révision, notamment dans celles qui ont été, jusqu'à présent, les plus frileuses sur cette question. C'est en particulier le cas de la branche maladie et des 90 000 agents qui travaillent à la CNAMTS et dans les caisses locales. Les données chiffrées sont sans appel : globalement, le pôle production des caisses primaires qui traite plus d'un milliard de feuilles de soins par année n'a pour l'instant pas tiré parti des gains de productivité très importants induits par les procédures totalement automatisées permises par SESAM-Vitale. La productivité a même baissé de 21 % entre 1999 et 2002 puisque le nombre de décomptes non automatisés restant effectivement à la charge des agents est passé de 21 800 par agent en 1999 à 17 100 en 2002, soit une baisse nettement supérieure à l'effet mécanique de l'aménagement et de la réduction du temps de travail.

Sur ce seul sujet des dépenses de gestion, la Cour a fait dans son rapport 2004, dix-neuf recommandations précises et argumentées. Je ne méconnais pas les difficultés que peut présenter la mise en œuvre de certaines d'entre elles, mais je ne doute pas, Messieurs les présidents, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les députés qu'avec votre aide et grâce à la MECSS, ces idées puissent progresser.

Je vous remercie de votre attention. Je suis, ainsi que Bernard Cieutat,  Christian Babusiaux, Rolande Ruellan et Michel Braunstein, à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, Monsieur le Premier Président, de cet exposé à la fois synthétique et exhaustif.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Je vous remercie également de ces précisions qui ne manqueront pas de nourrir nos travaux.

Ma première question a trait à la nouvelle convention d'objectifs et de gestion entre l'État et l'assurance maladie, qui doit être conclue avant la fin de l'année. Quels seraient, selon vous, les indicateurs qu'il conviendrait d'y insérer ? Doivent-ils comporter une forme d'intéressement, voire, inversement, de sanction ?

Vous avez d'autre part évoqué le rapport de 1995, qui pointait des écarts de performance importants entre les organismes locaux, et contenait des recommandations qui n'ont guère été suivies. Pourquoi ne l'ont-elles pas été, et que faudrait-il faire pour qu'elles le soient à l'avenir ? Je note que vous avez conclu votre propos sur une note assez pessimiste quant à l'efficacité des outils de pilotage...

M. Philippe Séguin : Si telle est l'impression que j'ai donnée, je souhaite la corriger. La COG est un outil de pilotage intéressant, qui arrive à maturité, et dont la troisième génération constitue un enjeu important. Il s'agit de mieux prendre en compte l'impératif de productivité, tout en maintenant un haut niveau de qualité du service, notamment pour ce qui est de l'accueil du public, sur lequel a porté une grande partie de l'effort jusqu'à présent. La période d'apprentissage qui s'achève a donné, c'est vrai, des résultats variables, mais les choses devraient pouvoir changer.

La convention entre l'État et le régime général d'assurance maladie revêt une importance particulière, car cette branche emploie 63 % des agents travaillant pour le régime général ; de son succès dépend donc une très large part des gains de productivité que l'on peut espérer. La réforme de l'assurance maladie d'août 2004 donne au directeur général de la CNAMTS des pouvoirs accrus ; c'est une condition importante pour que la nouvelle COG soit plus volontariste que les précédentes. Nous sommes en effet à un moment où l'on peut espérer réaliser des gains de productivité considérables, notamment grâce à la généralisation de la télétransmission, tandis que le nombre des départs à la retraite va s'accélérer ; il y a là une concomitance dont il faut tirer parti.

Il serait bon, en outre, que la nouvelle COG couvre l'ensemble des métiers de l'assurance maladie, contrairement aux précédentes, muettes sur le fonctionnement du contrôle médical, lequel emploie quelque 10 000 personnes et a une forte incidence sur le niveau des remboursements.

Quant à l'effet des recommandations de la Cour des comptes, on peut le mesurer au fil de ses rapports successifs, dont plusieurs se sont penchés sur la gestion des organismes de sécurité sociale. La Cour ne prétend toutefois pas être à l'origine de toutes les mesures prises à la suite de ses recommandations, consciente qu'elle est que tout processus de décision est complexe par nature.

M. Bernard Cieutat : La Cour des comptes ne prétend nullement non plus que la COG soit un mauvais instrument de pilotage : c'est au contraire le seul concevable. On y a parfois vu, pour la redouter, une volonté de centraliser ou d'étatiser la sécurité sociale par ce biais. Il n'en est rien ! Il s'agit d'une relation contractuelle, qui ménage à la fois l'intérêt général, notamment sur le plan financier, et l'autonomie du système mis en place à la Libération.

Le propos était de faire le bilan des deux premières COG avant que soit élaborée la troisième, afin de présenter des recommandations de nature à remédier aux défauts constatés et de donner plus d'efficacité à l'outil. Ce que nous avons constaté, c'est que l'État, définissant mal la stratégie, a du mal à inscrire celle-ci dans la COG, et que, faute d'une pression suffisante, les caisses du régime général ne sont guère incitées à progresser en efficacité et en productivité. C'est principalement sur ces deux points que portent les recommandations de la Cour des comptes.

Le rapport de septembre 2004 a donné quelques indications précises, qui s'appuient sur des études, souvent très détaillées, portant sur les différentes branches. Le Premier Président a cité l'assurance maladie, mais l'analyse de la Cour porte aussi sur les autres branches, comme le recouvrement. C'est ainsi que le chèque emploi-service n'a pas permis tous les gains de productivité attendus, car une part non négligeable des particuliers employeurs n'y recourt pas ; il en va de même de la procédure de versement en lieu unique (VLU) pour les groupes possédant plusieurs établissements.

S'agissant du cadrage budgétaire, il faut souligner la qualité du dialogue entre la direction du Budget et les caisses nationales, responsabilisées au moyen d'enveloppes fermées en contrepartie de souplesses de gestion importantes : caractère fongible et reportable des crédits, suppression des contrôles a priori, mécanismes d'intéressement... Le constat est donc positif : les enveloppes ont été respectées, et lorsque des mesures non imputables aux branches, sur le temps de travail par exemple, ont conduit à les dépasser, cela a donné lieu à des avenants. Il reste cependant que les enveloppes ont été jusqu'ici fixées de façon trop large, en prenant pour référence la dernière année ; or la sous-consommation des crédits, importante, provoque des reports qui s'aggravent et s'accumulent d'année en année, ce qui fait naturellement perdre de l'efficacité au dispositif.

M. Christian Babusiaux : Je voudrais apporter des précisions sur les indicateurs d'une part, sur l'intéressement d'autre part.

La question des indicateurs de gestion est naturellement très importante, mais moins que ne le sont la contrainte budgétaire, qu'évoquait à l'instant le président Cieutat, et la réorganisation territoriale. Quant aux indicateurs eux-mêmes, certains font défaut, d'autres sont inadaptés. Le Premier Président soulignait ainsi, voici un instant, que la COG de l'assurance-maladie était muette sur le contrôle médical. J'irai même plus loin : il n'y a pas d'indicateurs d'activité des services du contrôle médical ! On dispose bien de quelques données, mais qui sont très fragmentaires, et on n'a, a fortiori, pas d'objectifs. Et parmi les indicateurs inadaptés figurent ceux relatifs à la productivité : les caisses, celles d'assurance maladie en particulier, utilisent généralement le BAP - « bénéficiaire actif pondéré » -, qui n'est pas un bon instrument de mesure, et nous en avons d'ailleurs analysé les lacunes et les faiblesses.

Mais une fois choisis les bons indicateurs, quels objectifs doit-on se fixer, notamment en termes de liquidation ? Les indicateurs actuels de productivité de l'assurance maladie sont centrés sur un objectif : se rapprocher des résultats obtenus par les cinquante caisses les plus performantes. Outre que ce n'est guère incitatif pour les cinquante caisses en question, c'est un optimum de second rang, et l'on devrait afficher au moins l'ambition de rattraper les dix caisses les plus performantes. Par ailleurs, on observe dans les caisses primaires une certaine dégradation de la productivité pour tout ce qui n'est pas les feuilles de soins électroniques. Il semble donc que les gains soient exclusivement dus à l'extension de la télétransmission, et c'est pourquoi il faut bâtir un indicateur de productivité pour les feuilles traitées manuellement, ne serait-ce que dans le but d'éviter une nouvelle dégradation.

S'agissant de l'intéressement, il faut rappeler que les COG n'en fixent que le principe, et non les modalités. Celles-ci, en effet, ne relèvent pas d'accords entre l'État et les caisses, mais de la négociation collective entre partenaires sociaux. Deuxième remarque : c'est l'UCANSS qui négocie, et non pas chaque réseau, ce qui fait certainement problème. Il y a, certes, une unité de fond de la sécurité sociale, mais le métier du recouvrement, par exemple, n'est pas le même que celui de la CNAF. Il faut prendre acte de cette professionnalisation des branches, qui évoluent vers des métiers spécifiques, et concevoir des mécanismes différents d'une branche à l'autre. Or, la part du national et du local dans les mécanismes d'intéressement est la même partout... Pour aller dans le même sens, il faudrait responsabiliser davantage les directeurs de caisses nationales, leur donner plus de leviers pour agir sur la gestion des ressources humaines, et en particulier pour piloter les négociations sur l'intéressement. On ne peut plus poser la question de l'intéressement sans poser celle du lieu de la négociation. Actuellement, l'intéressement est accordé en fonction de résultats nationaux plus que locaux. Or la productivité est très différente selon les caisses. Il faut donc majorer la part calculée à partir des résultats locaux.

Les indicateurs de référence ne portent pas sur la réduction des coûts dans les organismes de base. Il y a des indicateurs de la qualité du service, qui sont très utiles, mais il est paradoxal qu'il n'y ait rien sur la réduction des coûts, et que l'intéressement puisse donc être accordé même si les coûts de l'organisme sont parmi les plus élevés de la branche. Dans un premier temps, des indicateurs peu incitatifs étaient sans doute nécessaires, mais le moment est sans doute venu d'en choisir de plus incitatifs.

Mme Rolande Ruellan : Je consacrerai mon intervention à la question du suivi, ce qui conduit à relire les rapports qui se sont succédés depuis dix ans. Dans le premier de ces rapports, celui de 1995, antérieur donc à la mise en œuvre des COG, la Cour des comptes s'était préoccupée des coûts de gestion, et nous sommes heureux que la MECSS le fasse à son tour. On peut évidemment considérer que 4 % du total des dépenses, soit moins de 10 milliards d'euros, ce n'est pas beaucoup, mais c'est tout de même important, pas seulement en soi, mais sur un plan plus général, psychologique notamment. Il faut observer au passage que ce sont, à 70 %, des frais de personnel.

Quant au sort réservé aux recommandations de la Cour des comptes, il faut souligner que celle-ci ne traite pas systématiquement le même sujet à chaque rapport, surtout lorsque les pouvoirs publics prennent des initiatives de leur côté. C'est ainsi que l'instauration des COG a rompu la continuité, dans la mesure où il a fallu attendre un temps de mise en œuvre suffisant pour réexaminer les choses au vu de l'expérience. Reste que nous voyons parfois certaines de nos recommandations reprises, comme sur l'intéressement, ou sur l'implication des directeurs de caisses dans la gestion des ressources humaines et dans les négociations des accords au niveau de l'UCANSS - mesure reprise dans la réforme de 2002. Nous ne nous en attribuons naturellement pas la paternité exclusive, mais nous contribuons à faire passer des idées, et nous alimentons la réflexion des pouvoirs publics.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Puisque vous préconisez une responsabilisation accrue des directeurs de caisses primaires, j'ai une première question un peu brutale : l'UCANSS a-t-elle encore une raison d'être ? C'est une entité qui emploie tout de même 230 salariés...

Ma deuxième question porte sur les indicateurs de réorganisation territoriale : peut-on avancer davantage vers la mutualisation, vers la réorganisation des caisses, y compris au niveau infra-départemental ?

Mme Paulette Guinchard-Kunstler : Ma question a trait aux mêmes sujets, car je suis persuadée que la question territoriale est essentielle, en termes de gestion comme de service rendu, d'où l'importance des indicateurs d'efficacité au niveau territorial. Dispose-t-on d'études comparatives entre caisses ? La Mutualité sociale agricole (MSA), par exemple, gère toutes les branches, et est très performante, de l'avis général, en termes de service rendu, mais je manque d'éléments chiffrés là-dessus.

M. Georges Colombier : Je suis conscient de ce qu'il y a sans doute des économies à faire sur la réorganisation des caisses locales, dont la carte date de 1945, mais j'ai aussi entendu le Premier Président nous dire qu'il ne fallait pas supprimer les services de proximité. L'Isère, par exemple, est un département à la fois très étendu et très peuplé : il faut une heure et demie pour relier Vienne à Grenoble. Il ne faudrait pas que l'usager supporte les conséquences de la réorganisation.

M. Philippe Séguin : Ce point me donne l'occasion de fixer les limites des compétences respectives de chacun. Notre métier à nous est de dire où il est objectivement possible de faire des économies. Votre responsabilité politique est d'en apprécier l'opportunité. S'il en était autrement, nous tomberions dans une forme de gouvernement des juges.

Mme Rolande Ruellan : Faut-il maintenir l'UCANSS ? Nous sommes persuadés qu'elle a son utilité, car elle couvre toutes les branches, ce qui permet d'avoir une convention collective pour l'ensemble du régime général et d'organiser la mobilité des agents, de direction en particulier, entre les branches. Cela dit, nous avons dit aussi que les caisses devaient davantage s'impliquer dans la gestion des ressources humaines. Il faut donc trouver plusieurs niveaux de négociation : inter-branches, branche, voire local. C'est forcément compliqué, parce que les conventions collectives doivent être agréées, et que les avantages n'y sont pas soumis à des planchers comme dans le droit commun du travail, mais à des plafonds, dans la mesure où il s'agit d'argent public. Il faut prendre en compte la spécificité des métiers sans détruire le niveau inter-branches.

Les directeurs de caisses nationales doivent être les copilotes de la négociation. Ils sont mieux à même de connaître les besoins et peuvent faire passer des choses très concrètes dans les conventions ; c'est une façon de les responsabiliser. La politique des pouvoirs publics, au fil des ans, a consisté à accroître les pouvoirs des caisses nationales. La gestion des ressources humaines est sans doute le dernier domaine où cela reste encore à faire.

La mutualisation n'est pas facile, que ce soit au niveau d'une ville ou d'une région. Certes, il y a la MSA, et il y aura peut-être les indépendants demain. Pour ces professions qui ont une certaine unité - à la fois géographique, liée au métier, au mode de vie - et qui sont habituées à une certaine forme d'organisation qui avait été voulue en 1945 pour le régime général mais qui n'a pas pu être mise en œuvre, la question ne se pose pas de la même façon que pour le régime général, où l'autonomisation des branches est allée croissant, depuis les ordonnances de 1967 et plus encore depuis l'instauration des lois de financement de la sécurité sociale. Les branches font des métiers très différents, même si la MSA parvient à les concilier. De plus, les assurés sociaux n'ont pas besoin d'informations sur toutes les branches à la fois, du guichet unique dont tout le monde rêve, et qu'on n'a jamais su faire. L'accès à l'information devient d'ailleurs plus facile, notamment grâce à l'Internet, que tout le monde n'a pas, mais qui se répand. Enfin, la mutualisation des tâches se heurte à la difficulté de ménager des passerelles, du fait de l'étanchéité des budgets. Ce serait déjà bien d'arriver à faire la mutualisation entre les caisses primaires d'une même branche ou d'une même région, mais nous en sommes encore loin, tant l'autonomie a été conçue de façon défensive : chaque directeur de caisse primaire s'estime maître chez lui. La loi du 13 août 2004 va, de ce point de vue, dans le bon sens, car elle introduit un peu de cohérence au niveau national.

M. Christian Babusiaux : Sur la restructuration des services à l'usager, il y a un équilibre à respecter : quand nous parlons de regroupement des caisses, cela ne veut pas dire suppression des implantations locales. Avoir 129 conseils d'administration et 129 politiques locales du contrôle médical n'est pas satisfaisant du point de vue du pilotage. Ce qu'il faut, c'est un regroupement de caisses tel que l'a fait la MSA, mais sans supprimer d'implantations.

La mutualisation est importante, d'abord parce que c'est une étape vers la réorganisation. A l'heure actuelle, elle n'est pas très avancée. Or, on peut, sans nuire à la qualité du service, mutualiser, par exemple, les plateformes d'appel téléphonique. En faut-il 129 ? Sûrement pas. D'abord parce que cela coûte cher, ensuite parce que cela ne permet pas une amplitude horaire suffisante. Et le raisonnement vaut aussi pour les services du contentieux - il est irrationnel qu'il y en ait 129 ! -, les ateliers d'imprimerie, ou les services d'audit interne.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie de ces réponses. On le voit, la mutualisation est un élément fort. Comme le rappelait le premier président, l'un des nœuds gordiens est la gestion prévisionnelle des effectifs, qui peut fournir une excellente occasion d'économiser les deniers de nos concitoyens. C'est pourquoi, en tant que coprésident de la MECSS et que président du conseil national de surveillance de la CNAMTS, je vous pose la question : avez-vous des éléments chiffrés sur la gestion prévisionnelle des emplois, sur la capacité à optimiser l'utilisation de la technologie informatique par la télétransmission, qui concerne actuellement les deux tiers des feuilles de soins ? Ou encore sur les services de contrôle médical, qui emploient quelque 10 000 personnes, dont 2 400 praticiens-contrôleurs, une moitié étant, semble-t-il, occupée à des tâches éloignées de leur cœur de métier ?

Mme Rolande Ruellan : Nous avions fait, en 1999, un rapport où nous déplorions la faible anticipation de la gestion des effectifs, et le rapport de 2004 de la Cour sur la sécurité sociale n'a pas constaté de progrès considérables... Or, nous sommes à la veille d'un choc démographique. L'UCANSS a fait des études, notamment sur les agents de direction, mais nous avons le sentiment qu'on ne tient pas vraiment compte de la perspective démographique. Que deviendront les organismes après ces départs massifs à la retraite ? Il faut profiter de cette inversion de tendance pour réorganiser, mais le problème est que nous n'avons aucune visibilité. Il y a une sorte de politique de l'autruche...

Certaines branches, qui ont des gains de productivité considérables devant elles, ont eu des difficultés à les réaliser jusqu'à présent, car il y avait peu de départs à la retraite et elles ont dû garder leur personnel. A l'assurance maladie, il sera possible de ne remplacer qu'une partie des départs, mais l'assurance vieillesse subira un effet de ciseaux : beaucoup de départs à la retraite parmi le personnel, et beaucoup plus de retraites à liquider dans le pays. La COG a mis en place un plan de formation ; c'était indispensable, car il faut deux ans pour former un liquidateur de pensions.

M. Michel Braunstein : J'ajoute que le renouvellement démographique conduira à recruter des personnels beaucoup plus qualifiés, à remplacer des gens du niveau CAP ou brevet par des gens du niveau bac ou bac + 2. C'est un élément qui pèsera lourd dans la réorganisation des services.

S'agissant du contrôle médical, la répartition régionale des 2 500 médecins n'est pas logique, le taux d'encadrement varie du simple au double, et les départs à la retraite qui ont eu lieu n'ont pas été mis à profit pour réfléchir aux nouvelles tâches : on s'est contenté de remplacer les départs nombre pour nombre.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler : Comment expliquez-vous qu'on ne s'interroge pas davantage sur les prochains départs massifs en retraite et la gestion prévisionnelle des emplois ? En Franche-Comté, peu d'organisations, dans le public comme dans le privé, s'y intéressent.

M. Christian Babusiaux : Ce qui nous a frappés, c'est que dans l'assurance maladie, qui emploie 106 000 salariés au total, soit les deux tiers de l'ensemble, il n'y a aucune direction des ressources humaines, et donc pas de gestion prévisionnelle possible. Depuis un an, il y a tout de même un progrès : il existe une DRH du réseau, et une DRH de l'établissement public au sens large, c'est-à-dire incluant le contrôle médical. Quand l'instrument administratif n'existe pas, il ne faut pas s'étonner que la gestion des ressources n'existe pas ! Le nombre important de personnels administratifs par rapport aux médecins au sein du contrôle médical est une survivance du passé, lorsqu'il fallait passer beaucoup plus de temps à manipuler du papier. Il y a un vrai recentrage, un vrai rééquilibrage à opérer.

M. Philippe Séguin : Les problèmes évoqués par Mme Guinchard-Kunstler et par nous-mêmes dépassent très largement le cadre de la sécurité sociale. Nombreux, très nombreux sont les secteurs pour lesquels le choc démographique sera à la fois un défi et une chance. Le problème est de savoir si l'on se met en situation de répondre le plus efficacement et le plus intelligemment possible.

M. Pierre Morange, coprésident : La question de Mme Guinchard-Kunstler est on ne peut plus pertinente, et nous renvoie à notre fonction d'interpellation. La réforme de 2004 vise à pallier l'absence de pilote dans l'avion, et la création d'une direction des ressources humaines peut être une façon d'introduire de la responsabilité là où il n'y avait qu'un payeur aveugle.

M. Jean-Luc Préel : J'ai une question assez générale : quelles sont les responsabilités des uns et des autres ? Qui négocie la COG ? Le directeur de la caisse nationale ? Le conseil d'administration ? Le conseil de surveillance ? Et ensuite, lorsqu'il y aura des problèmes de gestion, à qui le directeur général de l'assurance maladie, nommé pour cinq ans et inamovible, rendra-t-il compte ?

Autre question : si j'ai bien compris, l'intéressement est global, général, que les caisses fonctionnent bien ou mal. Peut-on évoluer vers une modulation par service, voire selon les individus ?

M. Pierre Morange, coprésident : Vous pourrez reposer cette pertinente question au directeur de la sécurité sociale tout à l'heure...

M. Philippe Séguin : Cela fait trente ans qu'on la pose...

M. Christian Babusiaux : Il y a une part locale d'intéressement, mais elle est très minoritaire. Rien, dans les textes, n'interdit de moduler davantage, y compris entre les services.

M. Jean-Luc Préel : Pourquoi n'est-ce pas le cas ?

M. Christian Babusiaux : C'est une question de négociation entre les partenaires sociaux. Actuellement, la modulation est très marginale.

Mme Rolande Ruellan : La COG est signée par l'État et par le président ou le directeur de la caisse nationale. Parce que la COG n'est pas un simple instrument de gestion administrative, la loi de 2004 maintient la signature du président du conseil - qui n'est plus d'administration - de la CNAMTS. Quant au conseil de surveillance, il a, comme son nom l'indique, une mission de surveillance de l'application et de la mise en œuvre de la COG, et se réunit deux fois par an ; nous n'avons pas eu l'impression que cela apportait quelque chose de fondamental. Les rapports étant présentés par le directeur de la caisse nationale, le débat manque peut-être un peu de contradiction...

M. Pierre Morange, coprésident : Merci, au nom de tous les membres de notre mission, pour ces éclaircissements.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur Libault, je vous souhaite la bienvenue.

M. Dominique Libault : Je vous remercie de m'avoir invité et me réjouis que la MECSS s'intéresse à l'important sujet de la gestion de la sécurité sociale, dont le coût est de 10 milliards d'euros et les effectifs de quelque 200 000 personnes.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Le sujet est d'une actualité brûlante, puisque L'Expansion publie un classement des caisses, ville par ville qui semble résulter d'un audit interne à la CNAMTS elle-même - dont on peut d'ailleurs se demander comment il s'est retrouvé dans la presse...

J'ai une première série de questions sur les conventions d'objectifs et de gestion. Quelle appréciation portez-vous sur les COG actuelles ? Sur les indicateurs ? Sur ceux qu'il faudrait introduire ? Sur les objectifs ? Savez-vous également quand la nouvelle COG sera signée et quel est le degré d'avancement de la négociation ?

Quel est votre sentiment, par ailleurs, sur le regroupement des caisses locales ? Sur la mutualisation et la coopération au niveau départemental ou infra-départemental ? Sur l'organisation du réseau de proximité dans chaque branche ?

M. Jean-Luc Préel : Peut-être le directeur de la sécurité sociale pourrait-il également nous expliquer quel est son rôle aujourd'hui ?

M. Dominique Libault : Sur le bilan des COG, mon discours sera assez différent de celui de la Cour des comptes. Mon appréciation est tout à fait favorable, et se résume en trois formules : un pilotage modernisé, un personnel capable d'adaptation, un bon équilibre entre qualité et productivité.

Un pilotage modernisé : la COG est un contrat, un accord entre l'État et les caisses, représentées par le directeur et le conseil, sur les objectifs et sur les moyens. L'État ne décide pas tout seul : je négocie pour son compte, avec le concours de la direction du Budget, mais il faut aussi obtenir l'accord du conseil d'administration, sauf dans le cas de l'assurance maladie, où le conseil approuve les orientations mais n'a plus à signer la convention elle-même. J'ajoute que le MEDEF est revenu dans les branches maladie, accidents du travail et recouvrement, mais reste absent des branches vieillesse et famille, dont les conseils sont composés de partenaires sociaux certes responsables, mais à la représentativité lacunaire de ce fait...

L'État, donc, ne fait pas ce qu'il veut, mais une fois signée la convention, il y a appropriation de celle-ci par l'ensemble des acteurs. Il y a une volonté de laisser une vraie autonomie aux gestionnaires pour atteindre leurs objectifs. Le rôle de la direction de la sécurité sociale n'est pas d'intervenir dans la gestion quotidienne, ni dans l'organisation interne, ni dans les choix de gestion. Et je crois que ce pilotage modernisé a donné des résultats positifs.

Un personnel capable d'adaptation : le service public de la sécurité sociale a dû récemment faire face à de nombreuses évolutions, et il l'a fait avec succès. Évolutions technologiques comme la télétransmission des feuilles de soins ou les plateformes téléphoniques, évolutions législatives comme la réforme des retraites, celle de l'assurance maladie, la CMU, l'APA, la PAJE... Les gestionnaires nous reprochent d'ailleurs volontiers de modifier trop souvent la législation, mais si la charge de travail s'accroît, ce n'est pas seulement parce que la législation évolue, c'est aussi parce que la population elle-même évolue - elle vieillit, la précarité se développe beaucoup - et les caisses doivent faire face à cette évolution. Il y a aussi le souci d'une meilleure qualité de service, d'une disponibilité croissante, qu'elle soit physique ou téléphonique, et ce dans toutes les caisses.

Un bon équilibre, enfin, entre qualité et productivité. Je parlais à l'instant de la disponibilité, mais il y a aussi la proximité. On parle peu du fonctionnement du service public de la sécurité sociale, et c'est plutôt bon signe. On a fait un gros effort de proximité pour les retraites, en se donnant pour objectif de liquider les pensions le plus près possible des futurs retraités. Il y a une volonté de faciliter l'exercice des droits et des devoirs par nos concitoyens, de leur faire connaître leurs droits, mais aussi de leur expliquer leurs devoirs, notamment dans la branche recouvrement. Le chèque service facilite la tâche des particuliers employeurs, mais il faut aussi développer la fonction de contrôle, car il ne faut pas perdre de vue que les sommes en jeu sont considérables, et que la tentation de la fraude existe toujours.

S'agissant de la productivité, les COG se sont montrées raisonnables quant aux possibilités des organismes. Je rejoindrais la Cour des comptes pour dire que, tout en maintenant une qualité de service élevée, nous avons des marges de productivité. La télétransmission a diminué la charge de travail, mais il va y avoir prochainement des départs à la retraite très nombreux, qui offrent l'occasion d'harmoniser les coûts entre les caisses, car il y a des différences considérables.

M. Jean-Luc Préel : Il y a certaines choses que je n'ai pas bien comprises. Quel est le rôle de l'État et quels sont ses moyens ? Un principe semblait acquis depuis longtemps : celui de l'autonomie des caisses. La réforme de 2004 a institué un directeur général de l'assurance maladie, nommé pour cinq ans et inamovible. Il n'y a plus de conseil d'administration, mais seulement un conseil tout court, qui n'a plus aucun pouvoir. Qui préparera la COG ? A qui le directeur général rendra-t-il compte ? J'observe que la personne qui a été nommée est l'ancien directeur du cabinet du ministre, et qu'il a pris pour directeur de cabinet l'ancien directeur adjoint du cabinet... Comment, dans ces conditions, le directeur de la sécurité sociale pourra-t-il contrôler le directeur général de l'assurance maladie ?

Autre question importante : celle des moyens humains du ministère de la santé. Je suis de ceux qui considèrent que ces moyens sont assez limités. Va-t-on renforcer ceux affectés au contrôle ? Et si l'évolution ne va pas dans le sens souhaité, comment fera-t-on ? Quels sont les rôles respectifs de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins et de la direction générale de la santé ? Y a-t-il quelqu'un qui coordonne la CNAMTS, la Haute autorité de santé et le comité d'alerte ? Comment le ministère coordonne-t-il et contrôle-t-il tout cela ?

M. Pierre Morange, coprésident : C'est une interpellation très intéressante, mais qui dépasse largement le cadre de notre sujet, et le champ de compétences du directeur de la sécurité sociale. Sans doute serait-il plus pertinent de reposer ces questions au ministre quand nous l'entendrons ?

M. Dominique Libault : S'agissant des caisses elles-mêmes, l'organisation du ministère est simple : la direction de la sécurité sociale est seule compétente en termes de tutelle, même si la direction générale de l'action sociale intervient sur les politiques d'action sociale dans le champ de l'assurance vieillesse et des allocations familiales. Nous avons donc la chance que, d'une part, le champ soit assez clairement délimité, et que, d'autre part, il existe une pluralité de réseaux et de caisses, qu'il est relativement facile de comparer entre eux et de faire travailler ensemble, car le risque induit par l'organisation de la sécurité sociale est le cloisonnement. Or, l'un des grands enjeux du service public de la sécurité sociale est la possibilité de mieux travailler ensemble.

S'agissant des conventions, nous négocions au nom de l'État, nous arrêtons un calendrier et des thèmes de négociation, puis je m'assure que le pouvoir politique approuve la façon dont nous négocions, tandis que le conseil d'administration - ou, pour l'assurance maladie, le conseil - rend compte de son côté. La réforme récente de l'assurance maladie distingue davantage la fonction de gestion et celle de surveillance. Le directeur général rend compte au conseil. L'État n'a pas à gérer en direct, mais à négocier des objectifs et à évaluer s'ils sont atteints.

Quant aux moyens, je dirais qu'ils ne sont pas nuls, mais qu'ils ne sont pas non plus suffisants. La direction de la sécurité sociale emploie 250 personnes, et comporte un bureau où trois ou quatre personnes s'occupent de la négociation des COG : ce n'est pas considérable, mais c'est mieux que rien. Nous bénéficions aussi de l'appui de l'IGAS, qui fait des enquêtes au terme de chaque COG, ainsi que des services déconcentrés : les personnels chargés de la protection sociale au sein des DRASS ont été en partie reconvertis dans l'évaluation des COG, et je vous ferai parvenir des documents sur cette évaluation. Les moyens, donc, ne sont pas considérables, mais je milite pour que l'État joue un rôle accru dans le pilotage des finances sociales.

Le comité d'alerte vit sa vie : la loi dispose qu'il est informé par l'administration, et la direction de la sécurité sociale lui fournit donc, à sa demande, toutes informations sur l'évolution des choses. Il s'agit d'ailleurs, généralement, de données publiques, comme les chiffres mensuels de la CNAMTS. 

La Haute autorité de santé, enfin, est également indépendante, ainsi que l'a voulu le Parlement. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de rapports avec l'État, au contraire : elle en a avec plusieurs directions du ministère, comme la direction générale de la santé ou la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Je voudrais qu'on recentre la discussion, car on s'écarte un peu du sujet, qui est la COG. La Cour des comptes dit que la prochaine COG sera celle de la maturité, et a fait à cet effet 19 recommandations. Vous allez être signataire de cette COG. Quelles améliorations comptez-vous lui apporter ? Le premier président de la Cour a particulièrement insisté sur deux points : les gains de productivité de la gestion et la réorganisation territoriale. Le planning financier qui accompagnait la réforme d'août 2004 prévoyait que les économies sur les coûts de gestion contribueraient au retour à l'équilibre de la CNAMTS à hauteur de 200 millions d'euros, et le gain attendu de la réorganisation territoriale est évalué à 100 millions d'euros. Qu'en est-il ?

Mme Paulette Guinchard-Kunstler : Je voudrais savoir, moi aussi, quels sont, parmi les recommandations de la Cour des comptes, les points que vous reprendrez dans la COG ? Peut-on, par ailleurs, avoir accès aux bilans régionaux des COG faits par les DRASS ? Ce serait très intéressant pour nourrir nos réflexions sur la territorialité.

M. Dominique Libault : Il y a, sur ce dernier point, des documents publics, mais qui sont une synthèse nationale des travaux des DRASS, et non pas des synthèses régionales.

Sur les progrès à apporter aux COG, nous sommes tout à fait en phase avec la Cour des comptes. Je me distinguerai toutefois un peu de la Cour en disant que les gains de productivité passent en grande partie par les enveloppes budgétaires, et non pas seulement par le contenu des conventions. Il faut examiner le budget au regard de l'augmentation de la charge de travail. Il y aura beaucoup plus de charges dans la branche vieillesse, à cause du « papy-boom » bien sûr, mais aussi de la nouvelle loi qui prévoit des pré-liquidations dès 54 ou 55 ans. La CRAM Nord-Picardie a évalué cette charge supplémentaire à 50 %. Les conventions, j'y insiste, sont des documents contractuels, qui ne sont pas signées à ce stade, ni avec l'assurance vieillesse ni avec l'assurance maladie. Vous comprendrez donc que je ne préjuge pas de la position des caisses... Sachez en tout cas que l'État a le souci d'une plus grande productivité.

S'agissant de la qualité, les caisses ont beaucoup progressé sur l'accueil, qu'il soit physique ou téléphonique, mais il faut travailler davantage sur l'écrit, sur la façon d'expliquer les choses au public. Un autre objectif est de mieux faire travailler les caisses ensemble, car cela permet de gagner à la fois en productivité et en qualité. C'est ce que font, par exemple, le GIP « Info-Retraite », grâce auquel les futurs retraités peuvent accéder à toutes les informations sans devoir interroger trois ou quatre caisses, ou encore le nouveau GIP « Modernisation des déclarations sociales ».

M. Pierre Morange, coprésident : Je ne puis que me réjouir de cette orientation, mais, si je comprends naturellement que vous ne puissiez préjuger du résultat des négociations, la MECSS a tout de même besoin de disposer d'éléments plus précis. Y aura-t-il, dans la nouvelle COG, des éléments contraignants ? Y aura-t-il une gestion prévisionnelle des effectifs, compte tenu du grand nombre de départs à la retraite prévus ? Y aura-t-il des directions des ressources humaines plus structurées ? A-t-on une estimation fiable des chiffres, qu'il s'agisse des effectifs, de la rationalisation des procédures, du recouvrement ? Peut-on estimer, même grossièrement, le pourcentage d'économies susceptible d'être atteint ?

M. Dominique Libault : La négociation de la COG ne porte pas directement sur l'évolution des effectifs, mais sur celle de la masse salariale, ce qui signifie que l'arbitrage entre effectifs et rémunérations est laissé à l'autonomie des caisses, sachant que la rémunération n'est pas déterminée, comme dans la fonction publique, par la valeur du point, mais par la convention collective de l'UCANSS. Je ne peux donc pas être beaucoup plus précis à ce stade. Quoi qu'il en soit, pour la période 2004-2008, il n'y a aucune raison objective pour que les effectifs augmentent, malgré l'augmentation de la charge de travail. Reste à déterminer le quantum. Je comprends que vous souhaitiez des précisions, mais je ne peux vous en dire plus à ce stade.

Les achats sont un autre axe d'économies possible. Un audit a été confié, outre les DRASS, aux services de la comptabilité publique, qui travaillent depuis longtemps au sein des Comités régionaux d'examen des comptes des organismes de sécurité sociale (COREC) avec les services du ministère de la protection sociale, car il est devenu moins important de travailler sur la régularité des comptes que sur l'efficacité des dépenses.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous comprendrez que nous ne soyons pas satisfaits, malgré toute la courtoisie qui vous est due, de cette réponse très générale, dépourvue d'éléments chiffrés comme de toute précision sur les critères qui structureront les conventions ou sur les objectifs de rationalisation des moyens. On parle d'une contribution de 200 millions de la CNAMTS à la réduction du déficit de l'assurance maladie. Qu'en est-il ?

M. Dominique Libault : Je comprends votre question, mais la négociation avec les caisses n'est pas terminée.

M. Pierre Morange, coprésident : Le problème n'est pas là. Je ne vous demande pas de nous faire le point de la négociation, mais de nous indiquer le pourcentage d'économies susceptibles d'être réalisées, sachant qu'un compromis sera probablement nécessaire, au cours de la négociation, entre le souhaitable et le possible. Quand vous négociez, vous avez sûrement certains fondamentaux en tête ; il est essentiel que la représentation nationale soit éclairée.

M. Dominique Libault : L'objectif de l'État est d'obtenir des gains de productivité de 2 à 3 % par an au minimum dans l'ensemble des caisses. Il faut savoir, cela dit, que la charge de travail n'évoluera pas de la même façon dans toutes les branches : elle s'accroîtra beaucoup dans la branche vieillesse, aussi n'y aura-t-il peut-être qu'une légère diminution des effectifs, tandis que la branche famille pourra les réduire davantage compte tenu de la moindre progression de sa charge de travail.

M. Pierre Morange, coprésident : Ces 2 à 3 % sont un premier point, mais qui devra avoir une traduction très concrète sur les marges de manœuvre budgétaire supplémentaires, marges qui pourront être consacrées soit à améliorer la qualité du service rendu, soit à réaliser des économies nettes. Cela dit, ce chiffre global nous laisse un peu sur notre faim. Nous avons besoin d'éléments concrets sur les économies de frais de gestion. Nous ne demandons évidemment pas à connaître par avance le résultat de la négociation, mais, la Cour des comptes ayant signalé certains dysfonctionnements et la nécessité d'y remédier, nous avons besoin d'une estimation, même grossière, du gisement d'économies possibles.

M. Dominique Libault : Je suis désolé de ne pouvoir vous satisfaire. Prenons l'exemple de la redistribution des gains de productivité. Le 1er janvier 2005, la gestion des prestations familiales des fonctionnaires a été transférée aux caisses d'allocations familiales, sans moyens budgétaires supplémentaires : c'est un gain de productivité, mais qui a bénéficié à l'administration elle-même. La branche famille n'a pas fait d'économies de gestion, mais a pris en charge des dépenses nouvelles.

Quant aux 200 millions d'euros que vous évoquez, ce chiffre sera tenu.

M. Pierre Morange, coprésident : Comment ?

M. Dominique Libault : Grâce à l'évolution du budget de la branche maladie, qui sera plus faible de 200 millions. Il appartiendra aux gestionnaires de l'assurance maladie de faire les économies adéquates, soit sur le personnel, soit sur le fonctionnement.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Le temps passe, et je reste moi aussi sur ma faim. Aussi je propose que nous vous adressions un questionnaire écrit, auquel vous auriez l'amabilité de nous répondre dans les jours qui viennent, et que nous annexions votre réponse au rapport. Il y a une COG qui va être négociée dans la branche maladie, sans doute avec des objectifs de qualité, mais aussi avec des objectifs de gains de productivité et d'économies de gestion. Je souhaite donc que vous disiez quels indicateurs-clés vous souhaitez y introduire. Pouvons-nous procéder ainsi ?

M. Dominique Libault : Tout à fait.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela permettra à l'ensemble des parlementaires d'être informés, car j'insiste sur le fait que nous ne pouvons nous satisfaire de ce que vous nous avez dit ce matin. Nous avons besoin d'éléments chiffrés précis, et le rôle d'investigation de la MECSS n'est pas contradictoire avec le fait que vous soyez en train de négocier.

Un dernier point : nous vous remercions de vous être rendu à notre invitation et d'avoir répondu, dans les limites que je viens toutefois de rappeler, à nos questions, mais je vous prie de faire savoir fermement à votre collaborateur M. François Godineau, adjoint au sous-directeur de la gestion et des systèmes informatiques de la sécurité sociale, qui devait vous accompagner ce matin, que s'il avait quelque indisposition justifiant son absence, il eût été pour le moins courtois qu'il la fasse connaître à la représentation nationale.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin le président Fragonard, que je n'ai pas besoin de présenter aux membres de la MECSS. Vous connaissez, monsieur le Président, l'objet de la MECSS. Le premier thème qu'elle a choisi est la rationalisation des frais de gestion de la sécurité sociale. Vous avez été directeur de la CNAF, ainsi que de la CNAMTS. Nous espérons donc bénéficier, en vous entendant, de vos compétences et de votre expérience.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Mes questions seront très simples. Le rapport de janvier 2004 du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, publié sous votre présidence, n'abordait pas la question des coûts de gestion. Pourquoi ? Quelles orientations faut-il selon vous privilégier ? Quel est votre avis sur ces coûts ? Autre question : avez-vous participé à la négociation d'une COG, et si oui, pouvez-vous nous en décrire le processus concret ? Enfin, la carte des organismes locaux est figée depuis 1945. Faut-il enfin prendre le risque de faire bouger les choses, comme le conseille la Cour des comptes ?

M Bertrand Fragonard : Je suis un peu embarrassé, car en tant que président du Haut conseil je n'ai pas grand-chose à dire sur cette question, dont je n'ai pas eu à traiter. J'ai certes des casquettes antérieures, mais elles vieillissent vite... J'ai dirigé la CNAF entre 1980 et 1987, et brièvement la CNAMTS entre 1997 et 1998. Mes souvenirs ne sont donc pas forcément en phase avec la réalité d'aujourd'hui.

Si le Haut conseil n'a pas traité des frais de gestion, c'est parce que le calendrier dans lequel nous travaillions ne le permettait pas ; c'est aussi parce que sa composition n'était pas adéquate ; c'est enfin parce que son objet est surtout d'apprécier l'armature globale du système. Quant à la négociation de la COG, il va de soi que nous n'y sommes pas impliqués, et le Haut conseil se garde bien d'intervenir sur des sujets en cours de négociation et d'approfondissement, comme la convention médicale ou le cheminement actuel de la COG de l'assurance maladie. La force du Haut conseil, s'il en a une, c'est de choisir des thèmes de moyen terme, afin de dégager sinon un consensus, du moins des références communes.

S'agissant des coûts de gestion, mon intuition d'ancien directeur de la CNAMTS est que je ne les ai jamais considérés comme le problème majeur de la sécurité sociale. Je suis conscient qu'il y a sûrement des gains de productivité à faire, mais tout bien considéré, quand j'ai été directeur de la CNAF, cela ne m'a jamais meurtri. Il me semblait que la priorité était d'améliorer le service rendu, la relation avec les usagers. En plus, ce n'est pas une variable qui change radicalement la problématique financière.

Peut-on garder la même qualité de service pour un coût de 10 % inférieur ? C'est possible, mais je n'ai pas aujourd'hui les références qui me permettraient de l'affirmer. A charge de travail constante, les gains de productivité sont importants. Mais il faut bien voir que l'on gère des processus extrêmement complexes. Il faut choisir ses priorités : quand je dirigeais la CNAMTS, nous achoppions sur l'actualisation de la carte d'assuré social. Je trouvais ubuesque et ruineux d'entretenir tout un réseau de bornes. On m'expliquait qu'il fallait vérifier qu'à seize ans les enfants restaient à la charge de leurs parents, et vérifier aussi régulièrement à quelle caisse était rattaché chaque assuré, alors même que l'assurance maladie était généralisée à tous les Français et que tous les enfants devaient être couverts. J'ai donc demandé à la direction de la sécurité sociale si l'on ne pouvait pas passer à une périodicité de trois ans au lieu d'un an. Et c'est ce qui a été fait. On a estimé l'économie ainsi réalisée à 2 000 équivalents temps plein.

On ne peut pas avoir à la fois des prestations sophistiquées et une gestion rustique. Ces dernières années, on a introduit des paramètres de ressources pour la CMU, des plafonnements, un euro d'ordre public, etc. Ce sont des choses qui provoquent des surcoûts administratifs. Une chose est la discussion salariale, une autre est le processus de production des caisses, et ma conviction est que ces processus sont générateurs de coûts. La carte Vitale a permis un gain de productivité, mais qui a été trop lent parce qu'on a poursuivi trop longtemps la chimère de Vitale 2. Multiplier les dispositifs de ciblage a un coût. C'est pour cela que je ne porte pas d'appréciation négative sur la productivité. Dans la branche du recouvrement, par exemple, on atteint un taux de recouvrement remarquable - il est vrai qu'il y a une prérogative de puissance publique - si on fait la comparaison avec les autres pays. Dans la branche vieillesse, nous avons des gains de productivité énormes, mais si, d'un autre côté, on veut améliorer l'information des assurés, c'est un facteur de coût.

M. Jean-Luc Préel : Je suis assez d'accord pour dire que ce n'est pas le problème majeur, qu'en tout cas il n'est pas à la hauteur des milliards d'euros de déficit de la retraite ou de la santé, et que ce n'est pas là-dessus que sera jugée la réforme de l'assurance maladie. Mais il y a aussi le problème du contrôle médical. Est-il efficace ? Est-ce qu'il contrôle vraiment ? J'ai compris qu'on se propose de le renforcer, notamment pour l'accès aux spécialistes en secteur 1, le contrôle des affections de longue durée (ALD), la contrainte du parcours de soins. Pensez-vous que le contrôle médical tel qu'il existe actuellement en soit capable ? Est-ce que cela fera faire des économies ?

Avant de conclure, une question à laquelle je pense que vous ne voudrez pas répondre : pensez-vous que le dossier médical personnel, utile pour la qualité des soins, fera faire une économie de 3,5 milliards d'euros, ou qu'il sera onéreux et long à mettre en place ? Enfin, le directeur général de la CNAMTS a-t-il une vraie autonomie vis-à-vis de l'État ? Par qui doit-il être contrôlé ? Mais je crains que vous ne me répondiez pas non plus là-dessus...

M. Bertrand Fragonard : En effet, je me garderai de vous répondre sur le dernier point... Quant au dossier médical personnel, l'opinion générale est que ce sera un facteur d'économies, qu'il évitera notamment les actes redondants. Nous verrons bien...

M. Jean-Luc Préel : Vous avez déjà vécu la mise en place de la carte Vitale. C'était compliqué aussi...

M. Pierre Morange, coprésident : Je rappelle que la MECSS a trois thèmes d'étude pour 2005 : l'organisation et le coût de gestion des branches de la sécurité sociale ; le plan Biotox ; le financement des établissements d'hébergement des personnes âgées.

M. Jean-Luc Préel : Est-ce que le contrôle médical et le dossier médical personnel ne font pas partie de la gestion de la sécurité sociale ? Si on ne peut plus poser de questions, ce n'est pas la peine de se réunir !

M. Pierre Morange, coprésident : Il est toujours possible d'élargir le sujet à des questions périphériques, mais M. Fragonard, en tant que président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, n'est pas dans une position où il puisse vous répondre de façon aisée.

M. Jean-Luc Préel : Laissez-le donc me le dire lui-même.

M. Pierre Morange, coprésident : Quand nous entendrons le ministre, nous pourrons élargir le sujet, mais M. Fragonard lui-même a souhaité tempérer son propos sur les coûts de gestion. Nous n'avons pas choisi ce sujet pour fournir le remède universel au déficit de la sécurité sociale, mais pour contribuer à la rationalisation d'un poste budgétaire pointé par le rapport de la Cour des comptes. Votre propos, donc, est intéressant et pertinent, mais il s'adresse à l'autorité politique, c'est-à-dire au ministre de la santé.

M. Bertrand Fragonard : Le contrôle médical fait évidemment partie des coûts de gestion. Il emploie 10 000 personnes, dont un fort pourcentage de cadres. La vraie question est : les tâches qu'on lui assigne sont-elles pertinentes en termes de qualité des soins et d'économie sur le risque ? Pour moi, la priorité du contrôle médical, c'est l'accumulation des connaissances et l'analyse des pratiques, car le vrai déficit est là. Après vient la question : peut-on dégager une rentabilité nette par les contrôles ?

Prenons le cas de l'ordonnancier bizone pour les affections de longue durée. On est parvenu, assez récemment d'ailleurs, à une estimation approximative de ce que coûte le non-respect de la règle : c'est de l'ordre de 500 millions d'euros. Mais tout le problème est de savoir comment les récupérer. Par une gestion quasi automatisée, ou bien par un dialogue confraternel entre praticiens et médecins-conseils ? C'est la même chose pour les arrêts de travail : la vraie question est de savoir si le contrôle médical permet de faire de vraies économies. Le Haut conseil a la question des ALD à son programme, et doit l'évoquer dans trois semaines. Je crois personnellement qu'il s'agit d'un processus d'admission assez passif. Il y a des gens qui préconisent une visite annuelle approfondie, mais avec 1 000 médecins contrôleurs pour quelque 8 millions de personnes concernées, c'est assez illusoire.

Pour les arrêts de maladie, les ministres font régulièrement des déclarations sur la nécessité de réorienter le contrôle médical vers le contrôle des arrêts de maladie discutables. Je ne suis pas sûr que ce soit ce qu'il faille faire. Si je reprends, par exemple, le cas du bizone, nous ne savons pas si les déviations sont une pratique diffuse ou si elles sont le fait d'une minorité de médecins. Dans le premier cas, il est évident que les processus actifs de contrôle seront d'une rentabilité très faible au regard des 500 millions espérés, compte tenu du fait qu'il y a 8 millions d'ALD, car tout processus de contrôle non sélectif est ruineux. Pour moi, il n'y a pas lieu d'orienter le corps médical dans un processus de contrôle dont la rentabilité serait négative. Mais si l'on trouve une méthode de ciblage qui permette de freiner les abus, alors oui. En tout cas, il ne faut pas compter qu'on va faire 500 millions d'euros d'économies immédiates sur le bizone sans dire quel processus suivre. La Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs indépendants (CANAM) fait de la liquidation automatisée, mais au vu d'éléments objectifs, en définissant le type de médicament qui entre ou n'entre pas dans le champ d'une ALD. Mais serait-il acceptable que la CNAMTS se dote d'une gestion automatisée, où un logiciel de liquidation arrêterait la liste des biens et des services soumis ou non à exonération ? La solution ne passe-t-elle pas plutôt par des échanges de vues plus sophistiqués entre médecins et médecins-conseils ? Il faut se méfier de l'illusion du contrôle, et se demander si les méthodes utilisées aboutissent au résultat souhaité - sauf si on y tient absolument pour des raisons emblématiques, ce qui peut se comprendre aussi. En mars 1998, la dernière instruction que j'ai signée avant de démissionner expliquait que beaucoup d'instructions des médecins-conseils n'avaient pas une rentabilité suffisante et n'amélioraient pas la qualité des soins. L'avenir du contrôle médical réside davantage dans un dialogue confraternel permettant d'améliorer les pratiques. Mais si des contrôles ciblés utiles sont possibles, faisons-les.

M. Pierre Morange, coprésident : Il semble que, sur 10 000 personnes travaillant dans le contrôle, 2 000 à 2 500 soient des médecins, dont un gros millier seulement seraient affectés à des tâches opérationnelles ! Cela pose tout de même un problème... Le premier président de la Cour des comptes nous a également dit que l'on constate une baisse de la productivité du traitement des feuilles de soins non télétransmises. Ces exemples, parmi d'autres, de gisements de productivité ne sont sûrement pas à la hauteur de l'ensemble des éléments macro budgétaires, mais il y a là une rationalisation qui serait très appréciable, notamment aux yeux de nos concitoyens, car ce qu'on applique aux autres est plus légitime quand on se l'applique à soi-même.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler : Je remercie beaucoup M. Fragonard d'avoir dit que poser la question des coûts de gestion n'a qu'un intérêt relatif si l'on ne pose pas la question du sens, du pourquoi. Le contrôle médical en est le meilleur exemple, et pour moi, la question de M. Préel n'est pas déconnectée de nos travaux d'aujourd'hui. Nous n'avons pas assez travaillé, par exemple, sur les antibiotiques. J'aurais aimé qu'on analyse en détail la politique qu'a menée à un certain moment la caisse de Bourgogne-Franche-Comté, en se plaçant du double point de vue du sens et de la gestion, en cherchant à comprendre pourquoi les généralistes ne disaient pas non à leurs patients et comment les y aider. Je peux aussi citer l'exemple d'un réseau de soins gérontologiques, qui regroupe quatre-vingts personnes âgées et parvient à économiser 230 euros de soins par mois. Cela vaut peut-être la peine d'investir dans ces réseaux.

M. Bertrand Fragonard : Ce n'est pas le même argent. Quand on parle de gestion des soins, il y a les gros bataillons de la liquidation dans les caisses, et c'est là que se font les gains massifs de productivité, grâce à la dématérialisation. Là, il n'y a pas de problème de sens, il faut évidemment continuer, déceler les zones de sous-productivité, trouver comment les améliorer, ce qui passe évidemment par le dialogue social. Mais on doit aussi se demander s'il n'y a pas d'autres gisements d'économies, non plus sur la gestion administrative, mais sur le risque lui-même, qui est l'enjeu financier majeur de l'assurance maladie. Celle-ci a notamment des progrès à faire dans l'accumulation des connaissances qui lui permettraient de faire des économies sur le risque.

Je crois encore à ce que j'écrivais en 1998 sur le contrôle médical : la première priorité est d'investir sans barguigner pour avoir des soins de meilleure qualité ; la deuxième est d'investir - en argent, mais aussi en personnel - là où les gains attendus sur le risque sont les plus forts ; la troisième concerne la gestion courante des caisses, l'absentéisme, les flux d'embauche, la formation, etc.

On peut sûrement travailler avec des coûts de gestion administrative moindres, mais cela n'a pas de sens de les chiffrer a priori, et cela en a encore moins de croire qu'on puisse les réduire à l'infini. Par exemple, il n'est sans doute pas rationnel qu'il y ait deux payeurs - la sécurité sociale et les mutuelles ou assurances privées - dont les frais de gestion s'additionnent, mais c'est ainsi : c'est l'héritage de l'histoire. On nous dit qu'on peut faire 10 ou 15 % d'économies sur la gestion administrative. Pourquoi pas ? Ce serait déjà ça. Je ne dis pas qu'il faille y être indifférent : s'il y a des économies à faire, il faut les faire, mais il ne faut pas en surestimer le montant. Pour les prestations familiales, on pourrait évidemment réduire les frais de gestion de façon radicale, jusqu'à zéro virgule quelque chose pour cent, en fixant les allocations à tant par enfant, avec versement automatique ! Nous avons une législation qui est de plus en plus ciblée, de plus en plus complexe et donc coûteuse, mais qui est tout de même meilleure qu'un dispositif trop simpliste, qui permettrait certes de réduire le coût mais au détriment du sens.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : La Cour des comptes a tout de même émis quelques critiques et recommandations. Il y a la question de la gestion du risque, il y a aussi celle de l'organisation du réseau. Il n'y a peut-être pas tant que cela à grignoter, mais c'est l'un des thèmes d'étude de la MECSS. Vous avez une expérience de la réorganisation territoriale. A-t-on besoin d'autant de caisses ? Des regroupements sont-ils possibles ? Des comparaisons sont-elles possibles entre régions ? Entre le régime général et le régime agricole ? Entre la sécurité sociale et les mutuelles ? Enfin, le coût du dossier par bénéficiaire est très variable : de 40 à 90 euros selon les caisses. Quel est votre avis, en tant qu'ancien directeur de caisses nationales ?

M. Bertrand Fragonard : Ce que dit la Cour des comptes est forcément bon, je vote d'ailleurs régulièrement ses rapports sur la sécurité sociale en chambre du conseil... Il est indéniable que, quand la disparité des coûts est très forte, cela veut dire qu'il y a des améliorations à apporter à la gestion. On pourrait d'ailleurs commencer par examiner comment les choses se passent à l'hôpital...

Si l'on fait des analyses comparatives, par caisse primaire par exemple, on constate des différences significatives. La première question est : sait-on les expliquer ? Est-ce qu'il y a, par exemple, un effet de taille ? Est-ce qu'il y a une taille optimale, qui ne serait ni trop grande ni trop petite ? Je me souviens des difficultés terribles qui sont apparues lorsqu'on a voulu déconcentrer la caisse d'allocations familiales de la région parisienne... On s'aperçoit au bout d'un certain temps que beaucoup de processus nous échappent.

Des directeurs de caisses nous disent : chez moi ça marche bien parce que nous avons une bonne équipe depuis vingt ans... La réponse classique est : « on va faire converger les coûts », en ramenant ceux des caisses les plus coûteuses vers ceux des moins coûteuses. L'ennui, c'est que les caisses primaires coûteuses, ces derniers temps, ont perdu peu de salariés par le jeu démographique ; il aurait fallu un plan de préretraites, non pas au niveau national, mais ciblées en fonction de la disparité des situations.

Ma conviction est qu'il y a des marges, de 10 à 15 %, ce qui n'est pas rien. Mais derrière, il y a des problèmes de statuts, de négociations salariales, dans le privé comme dans le public, qui rendent les évolutions difficiles. Faire bouger la carte des caisses se heurte à une difficulté réelle, parce qu'on touche à une substance vécue très importante, vécue par les salariés, mais aussi par les administrateurs, si bien qu'on finit par se demander si le jeu en vaut la chandelle, s'il faut vraiment consacrer tant d'énergie, par exemple, à obtenir qu'il y ait un même agent comptable pour deux caisses... Je crois qu'il faut surtout développer le contrôle interne de la qualité des liquidations et de la productivité, et se concentrer, lorsqu'il y a de fortes oppositions, sur quelques dossiers prioritaires. Quand j'étais directeur de la CNAMTS, je considérais que l'enjeu stratégique était de tirer des gains de productivité de SESAM-Vitale, et non pas de regrouper les caisses - mais je comprendrais très bien que mes successeurs aient une appréciation différente... Certes, nous avons, en poursuivant la chimère de Vitale 2, perdu du temps sur Vitale 1, mais celle-ci a tout de même amené des gains de productivité réels.

M. Pierre Morange, coprésident : Il est clair que les coûts de gestion ne sont pas le poste numéro un sur lequel faire des économies, et la MECSS se penchera certainement sur l'hôpital, mais pour cela il faut attendre qu'un premier bilan puisse être fait de la tarification à l'activité.

Vous avez-vous-même pu constater, cela dit, que SESAM-Vitale avait apporté des gains de productivité réels ; il faut également les rechercher dans le traitement papier, non pas seulement pour faire des économies, mais aussi au titre du sens que vous invoquez à juste titre. Les marges de manœuvre sont réelles, même si elles se heurtent à certaines résistances.

C'est pourquoi je souhaite vous demander quelles sont, parmi les dix-neuf recommandations de la Cour des comptes, celles qui vous semblent les plus efficaces. Sur 140 milliards d'euros de chiffre d'affaires de l'assurance maladie, les frais de gestion s'élèvent à quelque 10 milliards ; 10 % de 10 milliards, ce n'est tout de même pas rien !

M. Bertrand Fragonard : Il faut voir aussi comment évoluent les charges. Celles-ci s'alourdissent, tant en termes de liquidations que de complexification des processus. Il faut donc être prudent sur l'évolution de la masse salariale. Il y a une course de vitesse entre les gains de productivité potentiels, la possibilité de les concrétiser, et l'alourdissement des charges. Pour moi, la vertu, c'est de fixer des priorités. De temps en temps, ne peut-on pas réaliser des économies en pesant sur la législation plutôt que sur l'outil de travail ? Gratter un milliard, oui, mais pas au détriment du sens ni de la qualité.

J'ai voté la recommandation sur la rationalisation du réseau des caisses, qui est objectivement souhaitable, mais il faut avoir conscience de la quantité d'énergie qu'absorberait une telle entreprise : le temps disponible des gestionnaires, des cadres, des administrateurs n'est pas illimité... Il faut choisir ses priorités.

Pour moi, le contrôle médical doit être moins un contrôle des personnes, et davantage une relation confraternelle. Mais si d'autres considèrent qu'il faut l'orienter en priorité vers le contrôle des arrêts de travail, je suis prêt à entendre leurs arguments... On peut aussi se demander au passage pourquoi il y a des indemnités journalières dès le premier jour et pourquoi le ticket modérateur a été supprimé.

Il ne peut y avoir de dialogue sur la recherche d'économies de gestion que s'il y a une vision globale de ce que doit être la sécurité sociale. Les syndicats partagent avec les directeurs le souci de la qualité du service, même si chacun a évidemment son rôle propre, les syndicats ayant tendance à se méfier des discours sur la productivité. Il faut sans doute se donner des objectifs - au moins celui, par exemple, que le coût de la gestion administrative n'évolue pas plus vite que le PIB ou que le risque -, mais un discours centré sur les économies de gestion trouve vite ses limites, et on ne réussit à passer en force, compte tenu des questions de statuts, de la vie syndicale, du poids des administrateurs, que sur des dossiers à la fois argumentés et bénéficiant d'un soutien politique fort. Nous ne sommes pas dans une gestion purement technocratique : nous sommes dans le monde réel. Discutez de la rationalisation du réseau des caisses avec des administrateurs, et vous verrez que le sujet n'est pas si simple.

M. Pierre Morange, coprésident : Il me reste à vous remercier d'avoir contribué à notre réflexion.

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