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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 10

Jeudi 2 février 2006
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de Mme Paulette Guinchard et M. Pierre Morange, coprésidents

SOMMAIRE

 

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Auditions sur le financement des établissements d'hébergement des personnes âgées

 

- Mme Mireille Elbaum, directrice de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) au ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, et Mme Nicole Roth, sous-directrice de l'observation de la solidarité à la DREES, Mme Anne-Marie Léger, inspectrice à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et M. Michel Laroque, inspecteur général à l'IGAS

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- M. Claude Martin, directeur de recherche au CNRS, directeur du Laboratoire d'analyse des politiques sociales et sanitaires de l'École nationale de la santé publique

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- Mme Josiane Blanc, membre du bureau de l'Union confédérale des retraités UCR-CGT, et Mme Micheline Laroze, membre de la commission exécutive de l'UCR-CGT, M. Richard Tourisseau, conseiller fédéral à la Fédération des services de santé et des services sociaux CFDT, Mme Josette Ragot, membre du bureau et responsable du secteur de l'aide à domicile de la Fédération nationale de l'action sociale Force ouvrière (CGT-FO), MM. Gilles Calvet et Jean-Pierre Oulhen, membres du bureau du syndicat national des cadres hospitaliers Force ouvrière, représentants de la Fédération Force ouvrière des personnels des services publics et des services de santé (CGT-FO), M. André Hoguet, membre du conseil confédéral de la Fédération nationale des syndicats chrétiens des services de santé et des services sociaux (CFTC), M. Jean-Claude Thomas, délégué national pour les établissements d'hébergement des personnes âgées de la Fédération de la santé, de la médecine et de l'action sociale CFE-CGC

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu Mme Mireille Elbaum, directrice de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) au ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement et Mme Nicole Roth, sous-directrice de l'observation de la solidarité à la DREES ; ainsi que Mme Anne-Marie Léger, inspectrice générale à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et M. Michel Laroque, inspecteur général à l'IGAS.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite à tous la bienvenue et je laisse immédiatement la parole à notre rapporteure.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Cette audition est importante à nos yeux car nous attendons beaucoup des informations que vous allez nous donner. S'agissant d'abord des coûts, nous travaillons sur ce qui reste à la charge des personnes âgées dans les maisons de retraite et nous aimerions disposer d'éléments de comparaison entre les établissements ; nous nous intéressons également aux compétences en matière d'investissements et nous cherchons à savoir si ces derniers sont suffisants, notamment pour la mise aux normes ; nous aimerions aussi connaître le regard que vous portez sur la réforme de la tarification.

Le lien entre le médico-social et le sanitaire est un de nos autres axes de travail.

Nous nous penchons aussi sur la question du revenu des retraités : au cours de nos auditions, certains nous ont dit que ces derniers avaient de l'argent et qu'on pouvait leur demander de payer tandis que d'autres ont affirmé que les choses n'étaient pas aussi simples.

Disposez-vous par ailleurs d'informations sur les variations du prix de journée selon que les départements mènent ou non d'une politique d'aide à la pierre ?

M. Pierre Morange, coprésident : J'ajouterai qu'alors que la DREES procède à des évaluations pour établir une sorte de compte social et que la Cour des Comptes produit également des rapports, nos interlocuteurs ont tous observé les lacunes de nos systèmes d'information, qui entraînent une méconnaissance du financement et de la prise en charge de la dépendance. Nous aimerions donc connaître vos suggestions concrètes pour parvenir à une collecte homogène des informations permettant non seulement de faire un état des lieux mais aussi de fixer des règles pertinentes.

En ce qui concerne l'impact de l'aide à la pierre sur les tarifs hébergement, nous souhaiterions obtenir quelques éclaircissements sur les disparités constatées entre les coûts de construction en région parisienne et en province.

Mme Mireille Elbaum : L'activité de la DREES ne porte pas sur les questions de financement. Nous menons plutôt de grandes enquêtes sociétales sur les capacités des établissements, les personnels et les caractéristiques des usagers. Ce qui relève des exercices budgétaires est davantage du ressort des directions opérationnelles du ministère et il ne nous paraît pas souhaitable d'accroître exagérément les demandes d'informations statistiques aux établissements. Il me semble que les questions que vous posez relèvent donc davantage de la direction générale de l'action sociale (DGAS) et, à l'avenir, de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), qui développera des logiciels pour cela. Nous récupérerons toutefois des informations grâce à notre convention avec cette dernière.

Les établissements sont déjà surchargés de demandes statistiques et nous avons dû négocier des délais pour la dernière enquête EHPA - Établissements d'hébergement pour personnes âgées - , qui a eu du mal à passer, mais il est vrai qu'elle intervenait peu après la canicule. Nous comptons donc beaucoup sur la mise en place de la CNSA pour rationaliser tout cela et nous attendons les négociations à venir pour récupérer les informations nécessaires.

Nous nous sommes spécialisés dans les grandes enquêtes quadriennales quasi exhaustives et nous travaillons ensuite par échantillonnage sur les personnels et sur les usagers. Dans ce cadre, il est extrêmement difficile de récupérer les informations sur le reste à charge. La seule solution pour aborder la question des ressources est de mener des enquêtes directement auprès des personnes et des familles mais, outre qu'elles sont coûteuses, elles procèdent de techniques totalement différentes et posent des problèmes de confidentialité.

Des quelques éléments dont nous disposons grâce à l'enquête HID - Handicap, Incapacité, Dépendance - , il ressort que le reste à vivre ne représente pas grand-chose une fois que tout a été payé, mais il convient bien sûr d'être prudent.

Nous nous spécialisons aussi dans les enquêtes auprès des usagers, mais celle qui a été menée sur les établissements pour personnes âgées en 2000 ne visait pas à obtenir des informations financières. Celle qui sera conduite en 2007 concernera surtout la qualité de vie et des droits des usagers, mais si vous insistez sur cette question du reste à charge, nous pouvons essayer de l'y intégrer.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : C'est effectivement un point important. Mais mes questions portaient principalement sur le prix d'hébergement : j'ai reçu la semaine dernière une lettre d'une femme dont le mari est hébergé dans un établissement spécialisé pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et qui est elle-même en maison de retraite. Ces deux hébergements leur reviennent au total à 3 000 euros par mois. Si nous avons besoin de savoir quel est le reste à vivre, la question du prix d'hébergement est au cœur de nos travaux et nous cherchons à comprendre pourquoi il est aussi élevé.

Mme Mireille Elbaum : Ce travail n'est pas de notre ressort, mais il sera effectué dans le cadre de la mise en place de la CNSA et nous nous efforcerons de l'y aider. Cela étant, on peut se demander s'il était souhaitable d'interroger les établissements avant que la réforme de la tarification ait été menée à son terme.

M. Michel Laroque : Nous travaillons dans le cadre de nos missions, avec leurs limites. Mais j'ai mené une étude de préfiguration sur les investissements qui m'a permis d'observer que la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) avait conduit une étude sur les coûts en 2004. Je ne sais pas si vous y avez eu accès, mais il faut la prendre avec une certaine prudence car elle part des tarifs et des personnes qui relèvent de la caisse.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Nous recevrons dans quelques jours les représentants de la CNAVTS et nous leur poserons la question.

Mme Mireille Elbaum : Sur les investissements, nous ne disposons pas de données financières directes, mais un grand pas a été fait avec la dernière enquête EHPA, qui a fait le point sur les locaux, leur degré de modernité, les équipements, les toilettes, les douches, l'accessibilité, etc. Nous avons donc une approche plutôt physique, que nous entendons poursuivre et qui donne une idée des besoins en investissements. Je sais par ailleurs que le Centre d'analyse stratégique (ex-Commissariat général du Plan) réfléchit aux besoins de modernisation. À partir de l'étude que nous menons depuis 2005, nous espérons parvenir à une typologie plus fine, par établissement et non plus seulement en moyenne générale, de ces notions d'équipement et de confort.

Mme Nicole Roth : Jusqu'à maintenant, notre système d'information sur les établissements s'est plutôt focalisé sur l'activité, le personnel et la clientèle. Nous réfléchissons à la façon d'utiliser les autres informations, mais nous avons préféré attendre la stabilisation des différentes institutions avec l'installation de la CNSA.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Il n'existe donc pour l'instant aucun observatoire des prix par établissement.

Mme Mireille Elbaum : Non, mais nous veillerons à ce que les informations que la CNSA demandera aux établissements le permette.

Mme Anne-Marie Léger : La première évaluation de la réforme de la tarification que j'ai menée en 2002 devait permettre d'isoler clairement le coût d'hébergement et éventuellement le reste à charge pour les personnes âgées. En fait, je me suis rendu compte que ces dernières payaient souvent plus qu'auparavant, mais parce que la réforme s'était accompagnée d'une démarche d'amélioration de la qualité dans les établissements, en particulier sous l'effet du conventionnement. L'hôtellerie étant concernée, comme la médicalisation et la prise en charge de la dépendance, par cet effort de qualité, l'augmentation des coûts s'est répercutée sur les tarifs d'hébergement.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Mais, alors que des mesures sont faites en ce qui concerne la qualité, on ne dispose toujours pas d'information sur le reste à vivre et sur le prix d'hébergement.

Mme Anne-Marie Léger : On peut savoir quel prix d'hébergement a été décidé dans un département donné, mais il n'y a aucune collecte ni exploitation nationale de ces données : les départements font remonter celles qui portent sur l'aide sociale, pas sur la tarification.

Mme Mireille Elbaum : Nous nous consacrerons à cette tâche à l'avenir, mais il n'est pas anormal qu'on se soit jusqu'ici concentré sur la mise en œuvre de la réforme de la tarification, avant de chercher à en faire un bilan. D'ailleurs les départements et les établissements n'auraient sans doute pas très bien réagi à une évaluation dans une période de tension liée aussi aux transferts de la décentralisation.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Mais sur quoi s'appuie-t-on quand on dit que le prix moyen de l'hébergement est de 50 euros par jour ?

Mme Anne-Marie Léger : La Fédération hospitalière de France (FHF) obtient des informations de ses adhérents.

M. Pierre Morange, coprésident : Il me semble que les services ministériels ont quand même davantage vocation à collecter les informations qu'une organisation professionnelle. Je regrette qu'on ne dispose pas de données sur la ventilation de la solidarité entre le budget des établissements et la prise en charge par les personnes âgées et par leurs familles.

Mme Mireille Elbaum : C'est quand même un sujet assez difficile à aborder dans le cadre de l'enquête HID car les personnes âgées et leur entourage sont assez réticents à donner des informations sur leurs revenus et sur les transferts familiaux. Nous parvenons tout juste à savoir si la personne gère elle-même ses comptes. Mais nous essaierons à nouveau de collecter ces données.

M. Jean-Luc Préel : Vous dressez des cartes du taux d'équipement des établissements et des services de soins infirmiers libéraux, département par département, qui montrent que le nord de la France est très équipé en établissements et le sud en services de soins infirmiers et libéraux. Mais il y a quand même un grand nombre de personnes âgées dans le sud et vous n'expliquez pas vraiment cette différence.

J'aimerais par ailleurs savoir sur quelles bases ont été calculés ce que vous appelez les taux théoriques et les besoins. Car mon département apparaît comme suréquipé, alors que nous avons de vrais problèmes de placement, en particulier de personnes en GIR 1 et 2. Il conviendrait donc aussi de faire apparaître les besoins, car vos cartes pourraient faire croire qu'il n'est plus nécessaire d'investir, alors que nous avons besoin de le faire pour les personnes très dépendantes. Prenez-vous en compte les services de soins de longue durée et de soins de suite, qui jouent malheureusement souvent le rôle de soupapes ?

S'agissant par ailleurs de la médicalisation et du taux d'encadrement des personnes âgées hébergées, disposez-vous d'éléments de comparaison avec les autres pays européens ? Estimez-vous que ce taux est bon dans notre pays ?

Mme Mireille Elbaum : On sait bien qu'un grand nombre d'infirmiers libéraux sont installés dans le sud de la France et que les tâches n'y sont pas aussi techniques que dans le nord.

Par ailleurs, nous avons pris en compte les unités de soins de longue durée (ULSD) mais pas les soins de suite. Il est vrai que nous avons une vision globale et qu'il peut y avoir à un endroit donné un problème particulier pour tel ou tel type de prise en charge. Simplement, au lieu de faire une comparaison par rapport à la moyenne, nous avons cherché à tenir compte d'autres caractéristiques de la population des départements. Il ne s'agit pas de montrer les besoins ou de dire qu'un département est sur ou sous-équipé, mais d'intégrer des effets de structure comme l'âge de la population et le degré de dépendance. Nous sommes incapables de définir précisément les besoins mais nous pouvons toutefois aller un peu plus loin qu'une simple photographie des départements et calculer un taux théorique, non pas par rapport aux besoins, mais par rapport à ce que serait la situation d'un département donné si ses caractéristiques étaient dans la moyenne de celles des autres départements.

Il n'y a pas de comparaison internationale scientifiquement valable des taux d'encadrement, car ni les établissements, ni les populations, ni les règles, ni les modes de prise en charge ne peuvent être directement comparés.

En France, le taux moyen d'encadrement est de 45 équivalents temps pleins (ETP) pour 100 places en moyenne pour l'ensemble des secteurs, soit 14 % de plus qu'en 1996. Hors administrations et services généraux, ce taux est de 33 ETP pour 100 places pour l'ensemble du secteur, de 69 ETP dans les USLD. Dans les établissements ayant signé une convention tripartite, les taux d'encadrement sont en moyenne supérieurs de 10 points.

M. Pierre Morange, coprésident : Ces comparaisons sont-elles faites à périmètre médical constant et à taux de dépendance similaires ? Car si ces éléments ne sont pas comparables, on voit mal pourquoi vos chiffres seraient plus fiables que ceux que vous venez de critiquer pour les comparaisons internationales...

Mme Mireille Elbaum : Au moins sommes-nous sûrs des échantillons, mais il est vrai que la population des personnes âgées a changé entre 1996 et aujourd'hui.

Mme Nicole Roth : Nous sommes en train d'étudier le taux d'encadrement par GIR moyen pondéré, afin de disposer bientôt de résultats plus fins.

M. Jean-Marie Le Guen : Nous commençons à avoir une idée de ce que pourra conclure notre mission à propos des organes d'études car, quelle qu'en soit la complexité, il est quand même incroyable, au regard des milliards investis dans ce secteur, de ne pas disposer d'au moins quelques éléments de connaissance de l'évolution de la demande. Vous n'avez par exemple pas les moyens de répondre à la question de M. Jean-Luc Préel sur d'éventuelles différences de comportements culturels entre le nord et le sud, alors que c'est fondamental en termes d'investissements. La moindre entreprise connaît l'état de son marché, or, dans ce secteur où des sommes colossales sont en jeu, on ne sait rien.

Dans un autre registre, dispose-t-on d'informations sur des postes disponibles non pourvus, comme j'ai pu constater qu'il y en avait en Île-de-France ? Existe-t-il une étude sur les besoins en personnel dans la perspective du papy boom, alors que la tension est déjà forte sur le personnel de service ?

Mme Mireille Elbaum : L'enquête HID, qui était la première sur les caractéristiques des personnes connaissant des problèmes d'autonomie, a quand même apporté des éléments de connaissance de la demande. Elle a permis de caractériser les personnes, leur état de santé, leur entourage familial, leur situation sociale, même si nous manquons d'éléments sur les revenus parce qu'il est difficile de les collecter. Nous avons bien sûr comme objectif de la renouveler et de l'enrichir en 2008-2009.

M. Jean-Marie Le Guen : Il y a quand même des écarts de 50 % entre les offres des départements, et vous êtes incapables de dire si cela résulte d'une pénurie ou d'un excès d'offre.

Mme Mireille Elbaum : On connaît les caractéristiques sanitaires de la population et son âge, et on constate qu'elles n'expliquent qu'imparfaitement les variations entre les départements, qui tiennent donc aussi aux choix de ces derniers.

M. Michel Laroque : Il y a à l'évidence des lacunes dans le recueil des informations, mais il ne paraît pas possible d'avoir un système exhaustif et il est donc souhaitable de développer des enquêtes par échantillons, qui permettent tout à fait d'élaborer des politiques. On a fait en France le choix de la décentralisation, mais on ne sait pas bien gérer des politiques décentralisées et assurer les relations entre les niveaux central et décentralisés : nous ne disposons même pas d'une conférence annuelle de l'action sociale.

M. Jean-Marie Le Guen : C'est très juste !

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : D'importants travaux ont été menés sur la qualité de la prise en charge mais nous nous rendons compte, audition après audition, qu'il n'y a rien sur cette question des coûts. On pouvait nourrir l'espoir que la réforme de la tarification aiderait à réduire les écarts mais on n'arrive pas savoir si les départements qui pratiquent l'aide à la pierre maîtrisent mieux les coûts d'hébergement. On dit que les subventions d'exploitation sont plus efficaces sur les prix d'hébergement, mais on n'a aucun élément d'information précis. Pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ?

M. Michel Laroque : Il n'y a aucun travail de fond sur ce sujet. Tout juste s'est-on récemment intéressé, en lien avec la canicule, à la prise en charge sociale et médico-sociale des personnes âgées et a-t-on interrogé les conseils généraux sur leur politique. Certains paraissent réticents à développer leurs investissements car cela a des répercussions sur le pouvoir d'achat des personnes âgées et de leurs familles, donc de leur électorat, ou sur les finances des départements, au titre de l'aide sociale, donc sur les contribuables.

Il y a aussi un problème comptable classique : les investissements entrent dans les amortissements, donc dans le coût supporté par les personnes. Peut-être en effet les formules d'aide à la pierre permettent-elles d'alléger ce poids. Mais au total il faut bien que quelqu'un supporte le financement

Mme Nicole Roth : Les obstacles ont été analysés dans une note de préfiguration aux travaux du Centre d'analyse stratégique.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Pourquoi n'a-t-on jamais appliqué le dispositif de financement des travaux dans les hôpitaux, - c'est-à-dire la subvention d'exploitation - à ceux effectués dans les maisons de retraite ?

Mme Anne-Marie Léger : Cela passe aussi par l'amortissement, mais la prise en charge financière incombe à la sécurité sociale alors que, dans les établissements pour personnes âgées, cela relève de l'hébergement et reste donc à la charge des personnes.

M. Noël Diricq, conseiller maître à la Cour des comptes : Tout ceci dépend peut-être de l'état différent de sous-équipements des départements et des régions : certains sont surtout préoccupés de s'équiper.

M. Michel Laroque : Il y a quand même une réglementation, qui ne prévoit pas le régime de la subvention d'exploitation. En outre les départements, qui ont déjà à leur charge l'aide sociale aux personnes âgées, ne souhaitent pas nécessairement se lancer dans le versement de subventions d'exploitation régulières, d'autant qu'elles concerneraient obligatoirement l'ensemble des résidents, y compris ceux dont les ressources sont importantes.

M. Jean-Marie Rolland : Je ne suis pas convaincu que la subvention d'exploitation aurait sur les prix de séjour un effet plus important que la subvention d'investissement : il faudrait prendre en compte le taux de l'argent et l'année d'investissement pour s'en assurer. En outre, il serait plus compliqué pour les départements de programmer des aides annuelles qu'un programme d'investissement canton par canton, maison de retraite par maison de retraite.

M. Michel Laroque : Il faut aussi tenir compte des établissements privés et, éventuellement, de la prise en charge par l'aide sociale.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Dans les départements qui pratiquent de façon importante l'aide à la pierre, comme les Landes et les Vosges, il n'y a pas de structures privées à but lucratif.

M. Jean-Marie Rolland : Ce qui prouve que leur prix de journée est plus bas.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Parce qu'ils ont fait le choix d'une aide à la pierre importante.

Je souhaite qu'on en vienne maintenant à la question du niveau de revenu des retraités dans les années à venir.

Mme Mireille Elbaum : S'agissant de leur niveau de vie actuel, nous avons procédé à une étude pour le prochain rapport de l'Observatoire de la pauvreté, dont nous pourrons vous communiquer les résultats. Il faut toutefois savoir qu'on ne prend en compte que les revenus monétaires et non ce qu'on appelle les « loyers fictifs », qui améliorent la situation d'un certain nombre de retraités pauvres, propriétaires de leur logement.

Nous avons aussi fait des projections importantes dans le cadre des travaux du Conseil d'orientation des retraites, qui publiera également en avril un rapport dont nous pouvons vous fournir des éléments. Nos travaux ont porté notamment sur les besoins de financement qui restent à couvrir, notamment en fonction des réformes déjà intervenues. Nous disposons donc de prévisions jusqu'en 2050 sur l'évolution du pouvoir d'achat des retraités, qui va en moyenne continuer à augmenter. Pour autant leur situation va se détériorer, dans toutes les hypothèses, par rapport au pouvoir d'achat moyen des actifs.

Mais on peut aussi étudier la question non plus en moyenne mais en dispersion, pour pouvoir analyser les risques de pauvreté dans l'avenir, compte tenu d'un certain nombre de difficultés liées au chômage, au temps partiel, à l'éclatement des familles. Cet exercice de modélisation individuelle est plus difficile, mais nous allons nous y atteler pour chercher à prévoir le risque de pauvreté éventuelle de certaines catégories de retraités, par exemple ceux qui ont eu des carrières difficiles ou des ruptures familiales.

Mme Anne-Marie Léger : Ce sont des sujets sur lesquels on n'a pas encore beaucoup travaillé et qui sont pourtant particulièrement intéressants. Ainsi il apparaît que pour une dépendance importante, de GIR 1 ou 2, l'accueil en établissement revient moins cher que le maintien à domicile. Il faut donc prendre en compte le fait que ce sont les personnes âgées les moins aisées qui sont amenées à rester chez elles. Cela avait déjà été relevé dans l'enquête HID et c'est tout le problème du reste à charge.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Cela va à l'encontre de ce que nous avons entendu jusqu'ici.

Disposez-vous d'éléments qui montrent que l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) joue en faveur du maintien à domicile ? Pensez-vous que son développement contribue au niveau élevé des coûts d'hébergement ?

Mme Anne-Marie Léger : On constate en tout cas que les personnes entrent de plus en plus tard dans les établissements : l'APA le leur permet.

Mme Mireille Elbaum : C'est une tendance ancienne. L'augmentation de l'APA est surtout liée au GIR 4.

Mme Nicole Roth : Ces dix dernières années, l'âge moyen d'entrée dans les établissements a été retardé de deux ans pour atteindre désormais 84 ans.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Si les longs séjours diminuent fortement, qu'en est-il de la durée moyenne de séjour ?

Mme Anne-Marie Léger : Elle se stabilise, voire augmente légèrement.

M. Jean-Marie Rolland : L'allongement de l'espérance de vie de trois mois par an s'accompagne d'une amélioration de la qualité de vie et d'une arrivée plus tardive de la dépendance.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Nous avons récemment reçu les représentants d'établissement offrant une prise en charge différente, qui ont fait état d'un phénomène de « grabatisation », les personnes arrivant dans l'établissement pour y passer les quinze derniers jours de leur vie.

Mme Mireille Elbaum : La question de savoir si les personnes âgées disposeront de retraites suffisantes à l'avenir va aussi se poser.

M. Jean-Luc Préel : Il ne faut pas négliger l'aspect psychologique : l'idée d'entrer dans un établissement d'accueil est insupportable à de nombreuses personnes âgées.

Mme Mireille Elbaum : Nous disposons d'un baromètre de l'opinion qui montre que, si les adultes sont prêts à envisager l'accueil en établissement pour leurs proches, les plus vieux, donc plus proches de l'âge concerné, aspirent à rester à domicile le plus longtemps possible. Ce clivage me paraît susceptible d'engendrer un conflit de générations.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Je vous remercie vivement d'avoir participé à cette audition, et je vous invite à nous communiquer tous les éléments dont vous disposez, en particulier sur le reste à charge et sur le reste à vivre, car nous cherchons vraiment à comprendre le décalage entre ce qui nous est dit et ce que vivent les gens sur le terrain.

Mme Mireille Elbaum : Puisque tel est le souhait de la représentation nationale, nous ferons tout pour que la prochaine enquête sur les usagers comporte un volet sur ces questions, même si nous ne pouvons bien sûr pas garantir la qualité des réponses individuelles.

M. Michel Laroque : J'insiste pour qu'on ne néglige pas la dimension patrimoniale dans l'analyse des revenus des personnes âgées.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu M. Claude Martin, directeur de recherche au CNRS, directeur du Laboratoire d'analyse des politiques sociales et sanitaires de l'École nationale de la santé publique.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Je vous souhaite la bienvenue. Nous vous entendrons avec intérêt commenter l'étude que vous avez menée sur les systèmes étrangers de prise en charge des personnes âgées dépendantes.

M. Claude Martin : Je tiens à préciser d'emblée que je ne suis pas un spécialiste de la prise en charge en établissement. Ce que j'ai tenté d'analyser, c'est le mode de prise en charge, dans différents pays européens, de ce que nous appelons « la dépendance » et que l'on appelle ailleurs « les soins de longue durée », la France ayant la particularité d'appliquer un critère d'âge. Il est important d'avoir une vision d'ensemble, car le maintien à domicile et l'hébergement en établissement s'articulent ; le choix du seuil qui implique de choisir un mode ou l'autre est donc crucial. La question psychologique l'est également, car si les familles envisagent assez aisément l'hébergement, les personnes proches d'une prise en charge de longue durée aspirent, toutes, à rester chez elles.

J'ai commencé par recenser les points communs aux différents pays étudiés. On voit que la pression du vieillissement et de ses effets est partout la même, que les mêmes questions doivent être tranchées, que les mêmes principes sont partagés. On voit aussi qu'il y a des idéaux types. Mais c'est là une approche comparative globale. La méthode de comparaison de cas type, très précieuse, consiste à adopter un point de vue plus proche de celui de l'usager. Dans ce cas, on ne compare plus des systèmes établis au plan national et d'application locale, mais des paniers de services.

Je ne m'appesantirai pas sur le rythme du vieillissement de la population, question d'une importance évidente lorsque l'on traite du choix du mode de prise en charge. On le constate déjà en Suède, pays qui connaît un vieillissement accéléré : un virage y a été pris à la fin des années 1990, période à laquelle on a transféré pour beaucoup la prise en charge des soins de longue durée du domicile aux établissements, la répartition s'établissant désormais par moitié.

Il faut aussi évoquer le risque futur de ce que les Anglo-Saxons appellent le « care deficit », le manque de soutien familial. Cette hypothèse tient une grande place dans leur réflexion. Pendant les « Trente Glorieuses », les soins aux personnes âgées dépendantes étaient, dans leur très grande majorité, assurés par les proches ; une angoisse collective se fait jour, qui tient à ce que ce mode de prise en charge a toute chance de s'affaisser. Cette angoisse diffuse conduit à anticiper la mutation, mais aussi à aborder la question de la disponibilité des femmes, dont beaucoup travaillent, à prendre en charge la dépendance. Vous verrez, dans le document à votre disposition, qu'à partir de 2020, la courbe de la dépendance croise celle du nombre de femmes inactives. Le « ciseau » qui se creuse mesure le care deficit probable. Et encore considère-t-on, dans ce calcul, que toutes les femmes inactives âgées de 50 à 64 ans sont désignées d'office pour s'occuper de leurs proches devenus dépendants...

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Peut-être, en 2020, les hommes participeront-ils davantage à cette prise en charge ! Peut-être, aussi, la dépendance ne sera-t-elle pas aussi grave qu'on veut bien le dire.

M. Claude Martin : C'est possible, puisque les projections ont été faites toutes choses égales par ailleurs. Les Anglo-Saxons sont beaucoup plus avancés que nous dans la réflexion philosophique, morale et sociologique sur l'évolution du « devoir se consacrer à l'autre », sur le désir de sollicitude, dont il faut mieux cerner comment il se structure dans la pratique.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Cela vaut-il aussi pour la prise en charge des enfants ?

M. Claude Martin : Oui. En France, nous opérons un clivage, alors que la prise en charge des jeunes enfants et celle des personnes âgées ont bien des points communs. Les pays nordiques et les pays anglo-saxons traitent d'ailleurs la question en un bloc.

Les politiques menées dans les pays européens sont fondées sur quelques principes communs. Partout, l'organisation de la prise en charge de la dépendance se fait à l'échelle locale, même si des orientations nationales ont été définies. Pour autant, les territoires varient. Ainsi, il s'agit d'une responsabilité municipale dans les pays nordiques, départementale en France. Mais, partout, il faut organiser la politique de prise en charge par un mécanisme qui se gère au plus près. On constate aussi, dans tous les pays étudiés, une combinaison entre health care et social care - et il est intéressant de constater que ces termes n'ont pas d'équivalents exacts en français -, prise en charge alliant le médico-social, le social, le paramédical et le sanitaire, partout emboîtés.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Je l'ai moi-même constaté au Danemark.

M. Claude Martin : On constate encore que, partout, priorité est donnée à l'aide à domicile, pour faire droit à une préférence qui a peu de chance d'évoluer, sauf si l'image de l'hébergement en établissement se modifie radicalement. Pour l'instant, les personnes dépendantes souhaitent rester dans leur univers domestique. Cela ne signifie pas que, si l'on trouve un moyen de donner une meilleure image de ce que peut être le « chez soi » en établissement, que l'on démontre qu'il y a moyen d'y restructurer son intimité, on ne parviendra pas à surmonter les peurs. C'est une des recommandations que je formulerai. Le souvenir puissant demeure dans les esprits de l'époque où les maisons de retraite étaient des mouroirs, et ce sédiment fait qu'elles sont ressenties comme des repoussoirs. C'est ce qui explique que, au cours des années 1970, dans les pays anglo-saxons, le community care a été conçu comme une alternative. Il faut impérativement travailler cette question.

On note également, partout, l'obligation de l'individualisation de la réponse aux besoins, la nécessité du sur-mesure en fonction de besoins qui varient très vite dans le temps.

Il y a donc des principes communs, mais il y aussi des différences d'approche, qui portent en premier lieu sur l'évaluation du niveau de dépendance. Si certains pays ont standardisé les niveaux d'accès aux droits et aux services, les pays nordiques et anglo-saxons laissent au gestionnaire local, le care manager, le choix discrétionnaire de définir la composition du panier de services ; c'est lui qui a la responsabilité de l'évaluation des soins nécessaires. Je ne m'attarderai pas sur les autres différences, qui sortent du cadre dont nous traitons aujourd'hui.

La comparaison montre que chaque mode de prise en charge de la dépendance s'inscrit dans une tradition. J'en ai recensé quatre grands types.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Que pensez-vous, à ce sujet, de la création du prêt hypothécaire renouvelable annoncé par le Gouvernement ? Ces prêts servent souvent à financer la prise en charge de la dépendance dans les pays anglo-saxons. Avez-vous étudié ce qu'il en est en Grande-Bretagne ?

M. Claude Martin : Non. Je sais que le système existe en Grande-Bretagne mais je n'en connais pas l'ampleur. D'ailleurs, je n'insisterai pas davantage sur l'approche par systèmes, car l'approche par la méthode des cas type apprend des choses différentes et complémentaires, même si elle a ses limites. Elle permet de comparer, à caractéristiques identiques, les outils d'évaluation des besoins et, une fois l'évaluation faite, les paniers de service proposés. On appréhende ainsi à la fois la mise en œuvre locale de la prise en charge de la dépendance et les réponses pratiques apportées aux besoins. Les interrogations préalables à la comparaison ont porté sur la manière dont les localités considérées standardisent la réponse aux besoins dans une logique d'ayants droits : faut-il un critère objectivable explicite ou faut-il au contraire laisser une grande marge discrétionnaire aux gestionnaires locaux ? Quelle part laisse-t-on à l'usager et à sa famille ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Voilà ce qui nous intéresse !

M. Claude Martin : Pour définir des cas types, j'ai établi le niveau de dépendance, le niveau relationnel, l'existence ou l'absence de cohabitation avec un tiers et le niveau de ressources de la personne dépendante. Un panier des services nécessaires apparaît alors, et l'on voit quelle part est laissée à l'usager, part qui varie assez largement selon les localités considérées. On constate ainsi que Rome et Barcelone standardisent très peu les niveaux de dépendance. On y fait du sur-mesure mais, faute d'alternatives, on recourt beaucoup à l'hospitalisation ou à l'hôpital psychiatrique. On laisse donc peser sur l'usager une très forte pression. À l'inverse, l'Allemagne standardise fortement les niveaux de besoins, qui donnent accès à des niveaux de prestation monétaire également très standardisés, ce qui réduit beaucoup la pression sur l'usager. Le cas de Stockholm est encore différent, car la standardisation est faible, mais la pression exercée sur l'usager est également réduite par l'ampleur du panier de services offerts.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Pourquoi la faiblesse de la standardisation en Suède permet-elle de maintenir une faible pression sur l'usager et ses proches ?

M. Claude Martin : Parce que le panier de services potentiel est très important à Stockholm. En Italie et en Espagne, il est pratiquement inexistant, si bien que l'on reporte une charge considérable sur l'usager et sa famille.

M. Noël Diricq, conseiller maître à la Cour des comptes : Il faut dire qu'il y a, dans les pays d'Europe du Sud, une longue tradition de prise en charge familiale.

M. Claude Martin : C'est exact, mais c'est aussi définir une certaine politique de la famille que de ne rien faire pour créer une alternative. L'absence de politique, c'est une politique !

M. Noël Diricq, conseiller maître à la Cour des comptes : Certes, mais la tradition de prise en charge familiale y est historique.

M. Claude Martin : Sans doute, mais c'est aussi parce que l'on n'apporte pas de réponse mutualisée aux besoins que la famille reste un levier si puissant. S'agissant de la petite enfance, le résultat de cette absence de politique, c'est une chute impressionnante du taux de fécondité aussi bien en Espagne qu'en Italie.

En Italie, justement, on constate une incroyable disparité des réponses aux besoins. Il y a d'abord une politique nationale, qui se traduit par le versement, sans limite d'âge, de l'indennità d'accompagnamento, allocation détournée de sa cible première, les adultes handicapés, et servie de manière extrêmement discrétionnaire, avec une très forte variation territoriale. En complément viennent des politiques régionales, elles-mêmes très disparates. Ainsi, en Ligurie, un dispositif prévoit quatre niveaux de chèques service, eux-mêmes assortis d'un co-paiement par l'usager ou sa famille dont le montant varie selon les ressources. Le troisième niveau est le niveau communal et, là encore, les disparités territoriales jouent. Ainsi, à Modène, ville plutôt aisée, la municipalité a décidé le versement d'une prestation d'un montant assez significatif, soumise à condition de ressources. On le voit, le système italien est très fortement segmenté et la carte territoriale est d'une complexité inouïe, au point que d'un quartier de Rome à l'autre l'offre de services varie. Inutile de dire qu'il y a là un véritable défi à l'analyse comparative. Un débat de fond sur l'évolution de ce système est en germe en Italie, où l'indennità d'accompagnamento suscite de vives critiques et où l'idée fait son chemin qu'il est impératif de réduire les disparités en standardisant l'accès au panier de services. Certains partis sont fascinés par le système assurantiel allemand, qui laisse un grand choix dans l'usage de la prestation de services. Au centre gauche, la préférence va au chèque service et au contrôle de l'effectivité de l'aide. Cependant, aucune enquête nationale n'a été menée qui permettrait de connaître avec un semblant d'exactitude le nombre de personnes à soutenir. De ce fait, les chiffres avancés varient de 1,1 million de personnes, les allocataires de l'indennità d'accompagnamento, à 2,8 millions de dépendants autoproclamés...

Vingt ans de débats et une dizaine de propositions de loi ont été nécessaires pour mettre sur pied le modèle allemand assurantiel, qu'appliquent aussi le Luxembourg, l'Autriche et le Japon. L'Allemagne a fini par trancher pour réduire un budget d'aide sociale considérable et pour soulager les familles. Dans ce dispositif, la condition de ressources est supprimée et l'on constate que le choix majoritaire des personnes est de recevoir une prestation monétaire moindre pour conserver le libre choix de son usage.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Il reste à s'assurer de la bonne qualité des soins dispensés.

M. Claude Martin : C'est vrai, et les autorités y travaillent.

Le cas le plus intéressant pour nous est, à mon sens, le cas suédois. Le pays a une très longue tradition politique dans ce domaine, puisque le social care y est pratiqué depuis plus de cinquante ans. Les personnes âgées de plus de 80 ans représentent maintenant plus de 5 % de la population, ce qui crée une forte pression. La décentralisation est très poussée et le pouvoir de décision des 289 communes considérable, mais les municipalités ont l'obligation d'apporter une solution aux besoins qui se manifestent, qu'il s'agisse de la prise en charge de la petite enfance ou de celle du grand âge. Dans les années 1975 à 1980, le nombre des personnes âgées maintenues à domicile était deux fois supérieur à celui des personnes hébergées en établissement. Comme je vous l'ai dit, depuis les années 1990, les deux courbes ont convergé.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Pourquoi, précisément ?

M. Claude Martin : En raison des politiques mises en place pour faire face à l'accroissement des besoins lié au vieillissement accéléré de la population. En premier lieu, on a fait la chasse aux bed-blockers, les malades chroniques hospitalisés pendant une longue période parce qu'ils ont besoin de soins constants, qui imposaient une charge trop lourde à l'hôpital public, et on les a renvoyés vers les municipalités. Ce virage a entraîné la montée en charge des établissements d'hébergement. S'agissant du maintien à domicile, les ressources municipales ont été ciblées vers l'amélioration de la prise en charge des personnes dont les besoins sont les plus grands, et l'on a renvoyé aux proches la prise en charge des niveaux moyens de dépendance.

La France connaît une situation assez faste depuis l'entrée en vigueur de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), servie à 911 000 des 950 000 personnes estimées éprouver des besoins liés à la dépendance. Mais ces besoins vont être ceux d'une population croissante. On risque donc une pression plus forte sur les proches, les services à domicile et les établissements, qui pourrait conduire, comme en Suède, à la répartition de la prise en charge par moitié entre maintien à domicile et hébergement en établissement. Une telle évolution suppose une conception de la prise en charge en institution très différente de ce qu'est la nôtre actuellement. En privilégiant les places en appartements dans des immeubles collectifs pourvus de services communs, on permettrait aux personnes âgées d'accepter plus volontiers l'idée d'un hébergement en un lieu où elles retrouveraient un « chez soi ».

M. Pierre Morange, coprésident : L'emboîtement entre sanitaire et social est-il le même en Suède et en France ?

M. Claude Martin : La comparaison est plus facile avec l'Espagne et l'Italie, où la médicalisation sert à compenser les insuffisances des dispositifs de prise en charge sociale de la dépendance. En Suède, l'enjeu n'est pas là ; on ne parle pas du volet sanitaire, parce qu'il va de soi.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Avez-vous comparé le reste à charge, à niveaux de dépendance et de ressources équivalents, en cas d'hébergement en établissement, selon les pays ?

M. Claude Martin : Non. Ce travail reste à faire.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : En Suède, le financement de l'investissement est-il aussi à la charge des communes ?

M. Claude Martin : Oui, mais la commune, en fixant le montant de l'impôt, peut décider celui du reste à charge.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : La comparaison a-t-elle été faite des effectifs présents dans les établissements ? Est-ce aussi la commune qui a la charge du personnel ?

M. Claude Martin : Cette comparaison n'a pas encore été faite, car elle suppose de recenser les pratiques de 289 communes.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez évoqué l'obligation faite aux municipalités de répondre aux besoins. Mais que se passe-t-il quand les communes sont pauvres ? Quels sont les mécanismes de compensation ?

M. Claude Martin : La très longue tradition de protection sociale scandinave est fondée sur le principe de fournir un niveau égal et élevé de prestations publiques à toute la population en contrepartie d'une imposition elle aussi élevée. Même si le dispositif a été sérieusement modifié au cours des années 1990, il demeure uniforme. Il y a certes des disparités, particulièrement entre villes et campagnes, mais le niveau de prise en charge est beaucoup plus standardisé qu'en France, ce qui s'explique aussi par la considérable différence du nombre de communes dans les deux pays. Il faut aussi tenir compte, j'y reviens, de la représentation que l'usager lambda se fait de la prise en charge en établissement. Or, tous les Européens n'ont pas le sentiment qu'ils peuvent recréer un « chez soi » en établissement. Les enquêtes d'opinion conduites en Suède révèlent que les personnes âgées préfèrent recourir aux services de professionnels plutôt que d'être un poids pour leurs proches. Cela n'empêche pas la permanence des liens affectifs. La moindre résistance à l'idée d'un hébergement a un impact en soi : comme on considère que c'est une option raisonnable, on planifie l'entrée et on la prépare sur le plan financier. En France, rien n'est préparé, et l'hébergement advient quand il est inéluctable, sans que les intéressés l'aient eux-mêmes décidé.

Aussi longtemps que l'on n'aura pas convaincu les personnes âgées qu'elles pourront recréer un univers personnel en établissement, la résistance à l'hébergement demeurera et des gens de plus en plus dépendants arriveront de plus en plus tard, contribuant eux-mêmes à perpétuer l'image de la maison de retraite comme dernière demeure. En résumé, les enjeux financiers dépendent aussi de l'absence d'anticipation, elle-même déterminée par des préférences liées à des représentations.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Nous avons bien entendu que le libre choix doit primer l'enjeu financier.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions. Toutes vos propositions d'amélioration du dispositif seront les bienvenues.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Particulièrement si elles portent sur la formation des travailleurs sociaux. Il nous serait aussi utile de savoir à quels types de personnels les pays que vous avez étudiés font appel.

*

* *

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu lors d'une table ronde avec les syndicats de salariés :

- Mme Josiane Blanc, membre du bureau de l'Union confédérale des retraités UCR-CGT, et Mme Micheline Laroze, membre de la commission exécutive de l'UCR-CGT ;

- M. Richard Tourisseau, conseiller fédéral à la Fédération des services de santé et des services sociaux CFDT ;

- Mme Josette Ragot, membre du bureau et responsable du secteur de l'aide à domicile de la Fédération nationale de l'action sociale Force ouvrière (CGT-FO) ;

- MM. Gilles Calvet et Jean-Pierre Oulhen, membres du bureau du syndicat national des cadres hospitaliers Force ouvrière, représentants de la Fédération Force ouvrière des personnels des services publics et des services de santé (CGT-FO) ;

- M. André Hoguet membre du conseil confédéral de la Fédération nationale des syndicats chrétiens des services de santé et des services sociaux (CFTC) ;

- M. Jean-Claude Thomas, délégué national pour les établissements d'hébergement des personnes âgées de la Fédération de la santé, de la médecine et de l'action sociale CFE-CGC.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite à tous la bienvenue. J'informe les membres de la mission que Mme Dominique Ravey est remplacée par M. André Hoguet, au titre de la CFTC et que M. Thierry Ott, délégué national du Syndicat national autonome du personnel de l'aide à domicile en milieu rural, membre de l'Union nationale des syndicats autonomes, empêché, m'a prié de bien vouloir excuser son absence.

Vous connaissez l'objet de nos travaux. Dans ce cadre, nous aimerions que vous dressiez un tableau complet des différentes catégories de personnels intervenant dans les établissements d'hébergement et de soins pour personnes âgées.

Nous souhaitons également savoir dans quelle mesure vous considérez que les différences de prix d'hébergement observées selon les établissements et les services sont imputables au coût des personnels.

Mme Josiane Blanc : Merci de nous consulter.

Nous tenons à rappeler l'importance de la place de la personne âgée dans le champ solidaire des principes de la sécurité sociale, qui visent à un service de qualité pour tous, du commencement à la fin de la vie, indépendamment de l'âge et des moyens de la personne. Or, même si le mot solidarité figure toujours dans le nom « Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie », cette dernière ne tient pas ses engagements...

M. Pierre Morange, coprésident : Je me permets d'insister, compte tenu du nombre de participants à cette audition et de l'importance du sujet, pour que vous vous concentriez sur les réponses à nos questions et sur les suggestions que vous souhaitez nous faire.

Mme  Josiane Blanc : Nous vous avons déjà fait parvenir nos propositions.

Selon le secrétariat d'État aux personnes âgées, entre 5 et 10 % des 1 000 maisons de retraite françaises sont indignes et 20 % de leurs 650 000 lits sont totalement inadaptés. Un rapport de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) montre d'ailleurs la nécessité d'un fort développement de ce secteur dans les années à venir, dans la mesure où le nombre des personnes dépendantes est appelé à augmenter fortement.

Vous nous interrogez sur le financement, qui concerne à la fois les usagers, les proches et les contribuables. Pour nous, le choix du gouvernement de transférer les charges de l'assurance maladie vers les usagers et les contribuables exclut de fait les plus humbles de l'accès aux maisons de retraite. En effet, quand un retraité touche une pension de 2 000 à 2 300 euros par mois, la totalité sert à financer son séjour en maison de retraite, un tiers des membres de son entourage étant en outre obligés de le soutenir financièrement.

Cela amène bien sûr à s'interroger sur le rôle et la place des établissements publics. On assiste aujourd'hui en effet à un développement des maisons de retraite privées à but lucratif. Ainsi, la totalité des 12 établissements qui vont ouvrir dans le Val-d'Oise sont privés, avec un taux de rentabilité exigé de 5 à 10 %. Faire ainsi de l'argent sur la dépendance des personnes âgées est scandaleux. Comment s'étonner que les grands groupes financiers interviennent aujourd'hui dans ce secteur ? Il faut absolument stopper cette tendance à la financiarisation de la dépendance et revenir à une logique sociale pour offrir à chacun la possibilité d'accéder à une maison de retraite de qualité.

Face à cette situation, les personnels et les professionnels se découragent et s'épuisent.

M. Pierre Morange, coprésident : Ces questions de principe sont au cœur de notre réflexion et je dirais même que la part de la prise en charge financière par les familles est une de nos obsessions.

Mais il est aussi important pour nous de connaître les catégories de personnel affectées à ces établissements afin d'apprécier la capacité de répondre à la problématique sociale et sanitaire, ainsi que l'impact de la masse salariale sur le prix de journée.

Mme Josiane Blanc : Les personnels qualifiés sont en nombre tout à fait insuffisant pour répondre aux besoins. Alors que nous estimons qu'il faudrait créer 250 000 emplois et développer fortement la formation, 15 000 créations seulement sont envisagées d'ici 2007.

M. Pierre Morange, coprésident : Mais quelle serait la ventilation de ces 250 000 emplois ? Par rapport aux besoins sanitaires, a-t-on besoin plutôt des compétences d'auxiliaires de vie, d'aides-soignantes ou d'infirmières ?

Mme Micheline Laroze : Il est assez difficile de répondre. Les conventions devraient permettre une première estimation des besoins en personnel, mais nous aurions besoin, sans attendre cinq ans, d'un véritable état des lieux pour pouvoir faire des propositions concrètes. Il conviendrait en particulier que nous connaissions les effets du GIR moyen pondéré (GMP).

M. Pierre Morange, coprésident : Je m'étonne que même les représentants des salariés n'aient pas une connaissance fine de ces besoins.

Mme Micheline Laroze : Quand je me rends dans les maisons de retraite, je vois bien que le premier problème n'est pas l'hôtellerie mais le personnel, surtout le personnel soignant. Tout le monde me dit qu'il manque des heures. Il faut donc se préoccuper à la fois des recrutements, du temps de travail et de la formation.

M. Richard Tourisseau : Pour la catégorie la plus nombreuse, celle des aides-soignants et des aides médico-psychologiques (AMP), dans les établissements publics, associatifs et commerciaux, la formation est une obligation, en particulier en raison de la médicalisation. Mais, quand un jeune sort de l'éducation nationale avec un BEP sanitaire et social et qu'il postule pour un de ces emplois, l'employeur exige le diplôme professionnel d'aide-soignant (DIPAS) ou le certificat d'aptitude aux fonctions d'AMP (CAFAMP). Ces formations de 12 ou 18 mois coûtent de 5 000 à 6 000 euros. Il avait donc été proposé qu'un nouveau partenariat avec l'éducation nationale permette de prolonger, gratuitement, le BEP, pour éviter que les familles soient obligées d'emprunter pour compléter la formation.

Par ailleurs, pour la CFDT, le ratio d'aides-soignants et d'AMP par lit doit aujourd'hui se situer autour de 0,4 pour permettre un fonctionnement 365 jours par an, 24 heures sur 24.

En dehors des soins, on a besoin d'infirmières car un certain nombre de personnes hébergées sont malades, mais aussi de personnels de rééducation - ergothérapeutes, psychomotriciens, kinésithérapeutes - qui jouent un rôle important dans la prévention et la prise en charge.

L'intervention des psychologues peut se faire sous différentes formes - salariés ou libéraux - selon la taille de l'établissement.

Il convient également de ne pas oublier le personnel administratif et logistique.

Les dépenses de personnel représentent environ la moitié du coût global de l'hébergement - nous reviendrons sur ce qui explique le coût élevé dans l'autre moitié. Sur le tarif dépendance, le personnel représente 80 %, les 20 % restants servant globalement à l'achat des couches. Pour le tarif soins dans les établissements médicalisés, la part des dépenses en personnels est de 66 %, pour le reste, sans doute faudra-t-il réfléchir à la part des médicaments. Or quand on parle de reste à charge, il ne faut pas s'intéresser uniquement à l'hébergement et à la dépendance, il faut aussi s'intéresser à la façon dont sont pris en charge les tarifs soins : est-on dans un tarif partiel ou global ? Les coûts sont-ils inclus dans le forfait soins ou restent-ils à la charge de la personne ?

Mme Josette Ragot : Développer la prévention permettrait de faire des économies. On a parlé tout à l'heure de la prise en charge de personnes de plus en plus lourdement dépendantes. Mais quand les personnes âgées sont prises correctement en charge à domicile, on peut les y maintenir beaucoup plus longtemps et beaucoup plus facilement et la dépendance s'installe bien plus lentement. Le coût d'une prise en charge très lourde est ainsi retardé.

Il est important de savoir comment les choses se passent entre le domicile et établissement. M. Claude Martin a évoqué tout à l'heure la possibilité d'« avoir un chez-soi en établissement », mais il a aussi parlé de « dernière demeure », et je n'ai pas envie que les choses se passent comme cela, pour moi comme pour tous ceux qui vieillissent. Je souhaite donc une prise en charge progressive, plus globale.

Et puisqu'on parle d'argent, j'affirme que le maintien à domicile est onéreux mais qu'il permet de faire de la prévention et que, à long terme, cela revient moins cher que l'accueil en établissement.

On a parlé de la formation des soignants. Il faut aussi s'intéresser à celle des personnes qui font de l'accompagnement hors soins, en particulier au diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS). Sans doute ce type de personnels est-il aussi nécessaire en établissement, car la dépendance ne relève pas seulement du soin mais aussi de l'aide.

Je suis persuadée qu'il faut s'intéresser de plus près, - autour d'une idée de passage - aux questions de savoir comment on vieillit, comment on devient dépendant, comment on va vers un établissement.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Vous n'avez entendu que la fin de son intervention et je vous invite à vous reporter au compte rendu de l'audition de M. Claude Martin, qui a dit à ce propos des choses qui vous intéresseront sans doute.

M. Jean-Pierre Oulhen : Je précise que, pour un établissement en tarif partiel, les coûts de personnel sur le tarif soins sont plus proches de 95 que de 60 %.

Force ouvrière souhaite qu'on aille vers un ratio d'encadrement de 0,5 agent - aides-soignants, infirmiers et auxiliaires médicaux  - par lit.

Les établissements ont également besoin de nouvelles compétences, en particulier d'ergothérapeutes et de psychomotriciens.

J'espère que nous aurons le temps de revenir sur la répartition des coûts des personnels dans les différents tarifs.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Nous referons un tour de table pour que vous puissiez nous faire part de vos propositions.

Vous êtes aujourd'hui dans une situation de pénurie, mais la prévision des emplois vous paraît-elle maîtrisée ?

M. Gilles Calvet : Non, pas plus en qualité qu'en quantité. Jean-Pierre Oulhen et moi-même sommes directeurs de maisons de retraite depuis janvier 2002. Nous avons tous deux vu augmenter très fortement le GMP - de 100 points en quatre ans dans son établissement et de 75 points dans le mien. Nous avons donc logiquement besoin de personnel supplémentaire et, surtout, de personnel bien formé. Or nous sommes inquiets face aux perspectives de recrutements qui nous sont offertes : d'une part, avec les conventions tripartites, nous ne sommes pas assurés d'avoir les effectifs suffisants, d'autre part, nous nous trouvons, en particulier en Île-de-France, face à une pénurie en infirmières, en aides-soignantes, en kinésithérapeutes. Et les choses commencent à devenir difficiles aussi pour les AMP et les animateurs. Nous ne sommes donc absolument pas sereins.

M. André Hoguet : Ce sujet est extrêmement important pour notre syndicat. Il y a quelques années, nous avons soutenu la mise en place du maintien à domicile. Aujourd'hui, les personnes âgées entrent de plus en plus tard, donc de plus en plus dépendantes, en maison de retraite. Cela entraîne une forte augmentation des besoins aussi bien en environnement qu'en prise en charge globale. Les différents aspects de la dépendance, physique, psychologique et psychiatrique, amènent chacun a une vision différente des besoins des personnes âgées en établissement.

S'agissant des personnels, sept corps de métiers interviennent. Personne n'a jusqu'ici parlé des médecins. Or il faut le faire, car les maisons de retraite ne sont pas à égalité en termes de sécurité et d'environnement médical. Les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) rattachés à un établissement de court séjour bénéficient plus facilement d'un environnement de spécialistes.

Quand on parle de besoins en personnel, il faut aussi être conscient que les 35 heures n'ont pas été entièrement compensées et que les établissements traînent encore ce problème.

On a évoqué le ratio de 0,4 agent par lit. Mais les choses ont changé en profondeur : auparavant, les personnes âgées arrivaient sur leurs deux pieds dans une maison de retraite, aujourd'hui elles sont toutes sur des brancards. Il faut absolument prendre en compte cette évolution de la dépendance. Ne conviendrait-il pas également, pour fixer un ratio, de disposer d'un référentiel de qualité des prestations à servir ? Tout le monde sait qu'un grand nombre de décès pendant la canicule étaient liés à la déshydratation, non pas du moment mais acquise. Dès 2000, une étude très sérieuse conduite dans une soixantaine de maisons de retraite insistait sur les problèmes de nutrition et d'hydratation. Il est bien évident que nous avons pas suffisamment d'aides-soignantes pour conduire une démarche qualité des prestations à servir aux personnes âgées.

Il faudrait par ailleurs revoir le forfait soins dans le cadre des GIR pour mieux prendre en compte tous ces aspects.

Bien évidemment, on ne saurait séparer cela de la question du financement et de la tarification à l'activité, mais je pense que nous y reviendrons.

M. Jean-Claude Thomas : Je suis aussi directeur d'un EHPAD. Je suis d'accord avec beaucoup de ce qui vient d'être dit. Je pense même qu'il faut aller plus loin : on parle de dépendance, mais il s'agit de soins de santé. Or nos tarifs sont constitués essentiellement à partir de la dépendance alors que je ne vois pas le rapport entre l'assurance maladie et cette dernière. On mélange tout, mais, dans la grille AGGIR, le travail infirmier n'apparaît pas. Et on ne prend pas en compte le problème de la surcharge des infirmiers par rapport aux soins de santé.

Aujourd'hui, on part de l'enveloppe et on emploie les effectifs que l'on peut payer, pas ceux dont on a vraiment besoin. Bien sûr, l'assurance maladie ne se porte pas bien. Mais ne faut-il pas trouver d'autres sources de financement. La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) en est une, mais elle ne sera pas suffisante car il manque des places en établissements et, même lorsque les créations sont autorisées par les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS), les préfets les bloquent, faute de financement. Il manque aussi de l'argent dans les établissements existants pour pouvoir recruter du personnel qualifié, en particulier de soins.

Or, nous sommes confrontés à un certain nombre de contraintes qui nous sont imposées par les pouvoirs publics. Par exemple, il est interdit de demander à un agent de service de préparer des médicaments. Mais, dans mon établissement de 107 lits, cette tâche représente 1,4 équivalent temps plein (ETP), sur un total de 2,7 ETP-infirmiers. Nous n'avons pas d'infirmier la nuit. Aussi, quand on est à 20 km du premier hôpital, qu'on dispose uniquement d'une aide-soignante - quand elle n'est pas malade - et d'un agent, que croyez-vous qu'on fasse ?

Nous parlons de l'ensemble des tarifs alors que je croyais qu'on n'allait s'intéresser qu'à ce qui relevait de la sécurité sociale, c'est-à-dire du forfait soins. Il y a des différences de salaire considérables entre les établissements publics territoriaux et ceux qui relèvent de la fonction publique hospitalière, mais aussi, au sein des établissements privés, entre les établissements à but non lucratif, qui relèvent de plusieurs conventions collectives, et les établissements commerciaux où ne s'applique que la convention collective unique.

Faut-il aller vers le moins-disant social pour un personnel surchargé de travail, en état de souffrance, qui s'occupe de personnes dont il sait, à la différence de ses collègues hospitaliers, qu'il ne va pas les voir sortir en pleine forme au bout de trois semaines ? Ce personnel est aussi très sollicité, quand ce n'est pas agressé, par des familles qui voudraient toujours plus, parce que ce sont elles qui payent, la partie hôtelière, pas les soins. Il est également sous la pression des cadres, confronté à l'insuffisance des moyens. Cela a des effets pervers pour l'assurance maladie car notre personnel, épuisé, se trouve de plus en plus souvent en arrêt de travail. Pour faire une économie d'un côté, on dépense donc de l'autre, et je ne vous parle même pas des accidents du travail et des dorsalgies, parfois invalidantes, des infirmiers et des aides-soignants.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Disposez-vous d'un bilan sur ce point ?

Par ailleurs, est-il possible de comparer l'incidence des différents dispositifs conventionnels sur la situation des personnels, donc sur les coûts ?

M. Jean-Claude Thomas : Je ne dispose pas d'un bilan exhaustif des accidents du travail et des maladies professionnelles ; je parlais plutôt de ce qui se passe dans l'établissement que je dirige et dans les établissements voisins.

La comparaison entre les systèmes conventionnels serait intéressante, mais elle n'est pas aisée et la DREES a une mission difficile. Par exemple, dans les établissements commerciaux du secteur sanitaire, à la différence des établissements publics, les médecins ne sont ni dans la masse salariale ni dans les ratios.

M. Richard Tourisseau : Nous nous sommes battus en vain pour obtenir l'extension du DEAVS à la fonction publique hospitalière. Il est en revanche opérationnel dans la fonction publique territoriale et dans le secteur associatif, et il s'agit d'un point d'achoppement dans la convention collective unique.

Nous commençons à rencontrer les présidents de conseils régionaux pour parler de formation. Mais cela ne date que du 1er janvier 2006 et peut-être n'en ont-ils pas encore mesuré toute l'importance. Au moins le président du conseil régional d'Île-de-France est-il convaincu qu'il s'agit d'une priorité. Mais l'État garde la mainmise sur les volumes : la région paie, mais l'État détermine le nombre de places et le besoin en formation pour les aides-soignantes et pour les infirmières, mais pas pour les AMP. La décentralisation n'est donc pas totale et, selon les catégories, nous allons devoir négocier avec des interlocuteurs différents.

Compte tenu du calendrier législatif, nous avons saisi les sénateurs plutôt que les députés de nos propositions en matière de fiscalité. Il est évident, compte tenu de la nécessité de rénover une part importante des établissements, que le relèvement de 5,5 à 19,6 % du taux de TVA sur les travaux aurait un impact sur nos investissements, donc sur le prix de journée. Peut-être serait-il temps que le Parlement réfléchisse à l'assujettissement à la TVA des établissements publics. Cela nous rapprocherait d'une certaine égalité entre les établissements, dans la mesure où ceux du secteur commercial ne paient pas la taxe sur les salaires mais récupèrent la TVA et où ceux du secteur associatif bénéficient d'une franchise sur la taxe sur les salaires, tandis que les établissements publics paient cette taxe et ne récupèrent pas la TVA. L'article 279 du code général des impôts permet un assujettissement au taux de 5,5 %, il faut le mettre en œuvre et prévoir une option dans le cadre de l'article 256 B pour qu'au moins les personnes choisissent entre les établissements en fonction de la qualité de la prise en charge du confort et non pas des tarifs.

On ne peut continuer de dire que l'endroit où l'on ira vivre sera déterminé par le fait qu'il y a tel établissement ou tel autre à proximité ! Le législateur ne doit pas reconstituer des ghettos. La CFDT a rédigé des projets d'amendement à ce sujet qu'elle se fera un plaisir de vous transmettre - à vous, ensuite, de les adopter.

Par ailleurs, il est intéressant de parler de qualification en ce jour de grève dans la fonction publique. Cela permet de dire, par exemple, que la situation d'un diplômé est la même que celle d'un non diplômé. Pour les agents de la catégorie C, la seule perspective, en matière salariale, est d'espérer voir se réduire la période pendant laquelle ils sont payés au SMIC. Quant ils sont à l'échelle 2, elle est longue de 7 ans, et de 5 ans pour les aides-soignants, qui sont à l'échelle 3. On ne peut se satisfaire d'une rémunération bloquée sur le SMIC pour 40 % de l'effectif, les infirmières étant payées 10 % de plus ! Aussi longtemps que cette situation se perpétuera, il sera difficile de mobiliser les personnels. Comment, dans ces conditions, les attirer vers un secteur où l'on côtoie sans cesse la mort ? Il faut agir pour que ceux qui choisissent de travailler dans les EHPAD y restent. Dans le secteur lucratif, le personnel est mieux payé.

M. Pierre Morange, coprésident : Les conventions tripartites ont-elles pour effet de privilégier le recours aux professionnels libéraux, ou aux salariés ?

M. Richard Tourisseau : Tout dépend de l'établissement. Certains recourent aux infirmières libérales pour des toilettes, ce qui ne serait pas le cas si l'on instituait un point « GIR » et un point « dépendance ».

M. André Hoguet : Cela ne se produirait pas non plus s'il existait un référentiel de soins obligatoires à dispenser en établissements.

M. Pierre Morange, coprésident : Il semble que les professionnels libéraux aient été amenés à quitter les EHPAD. Comment expliquez-vous ce mouvement de départ ?

M. Richard Tourisseau : Par l'accroissement du besoin de prise en charge. Ils ne peuvent rester en permanence dans les établissements.

M. André Hoguet : Ils sont payés à l'acte. Si les psychologues et d'autres spécialistes étaient mutualisés entre différents établissements, leur activité entrerait dans le forfait soins.

M. Pierre Morange, coprésident : Donc, selon vous, les professionnels libéraux n'ont pas été poussés dehors ?

M. Gilles Calvet : Certes non. On a beaucoup de mal à trouver des médecins coordonnateurs.

M. Pierre Morange, coprésident : Je faisais surtout allusion aux infirmières.

M. Richard Tourisseau : S'il s'agit de soins techniques, elles trouvent naturellement leur place et un partenariat est défini. Mais si, au-delà, on recherche une démarche préventive ou s'il s'agit d'accompagner la fin de vie, les infirmières libérales ne peuvent passer plusieurs heures auprès d'une personne âgée. C'est bien pourquoi le maintien à domicile coûte si cher - de 3 000 euros à 3 800 euros - plus cher que l'hébergement en établissement. J'ajoute que si le confort des personnes âgées est incontestablement amélioré par la construction de chambres à un lit mesurant 25 m² chacune, le travail des agents n'en est pas facilité. Dans ce cas, il faut un agent pour 10 à 12 personnes. Le ratio d'encadrement dépend donc aussi du projet architectural, et mieux vaudrait en rester à des chambres à deux lits.

M.  Jean-Claude Thomas : Actuellement, tout repose sur la grille AGGIR, mais les besoins de soins de santé ne sont nulle part évalués. Mais je peux citer le cas de cette résidente qui, bien qu'en GIR 6, a besoin d'une heure de travail infirmier par jour, car elle a un ulcère. Pourquoi est-elle hébergée dans mon établissement, puisqu'elle n'est pas du tout dépendante, me demanderez-vous ? Parce qu'elle est isolée chez elle. C'est à vous, législateurs, de modifier cela.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Pas seulement à nous, M. Thomas, car il s'agit d'enjeux collectifs et de choix de vie, et vous êtes aussi responsables que nous. C'est d'ailleurs parce que vous avez une part de responsabilité que nous avons tenu à vous entendre. Actuellement, les taux d'encadrement dépendent des enveloppes allouées par l'ONDAM. Ne faudrait-il pas commencer par définir l'ONDAM nécessaire, puis avoir la volonté politique de l'appliquer ? S'agissant justement du taux d'encadrement, j'ai constaté que vous avez tous une approche similaire, ce qui est un progrès.

M. André Hoguet : Les taux d'encadrement, qui n'ont pas été revus depuis des années, ne tiennent pas compte du vieillissement de la population. Cela vaut particulièrement pour les AMP et les aides-soignantes. Dans un autre domaine, je ne partage pas le point de vue de M. Tourisseau sur les chambres. Si l'on veut que les personnes âgées acceptent l'hébergement sur la base des prestations offertes, il ne faut pas en rester aux chambres à deux lits : elles ne sont pas souhaitées. Certes, elles sont plus faciles à nettoyer, mais que veut-on privilégier ? Ce qui correspond au coût économique que peut payer la nation, ou ce que souhaitent les individus ? C'est un choix politique. S'agissant de la fiscalité, nous serions tout à fait d'accord pour qu'elle soit allégée si le réemploi des sommes est contrôlé.

Mme Josiane Blanc : L'important est que les personnes hébergées jouissent du plus grand confort possible et que le personnel ait le temps de leur parler. Pour l'instant, ce temps se limite à 10 minutes ! Il est indispensable d'en venir à un ratio d'encadrement de 0,5.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Ce sujet revient de manière récurrente. Hormis le problème des effectifs, n'y a-t-il pas aussi une question d'organisation du travail ?

Mme Josette Ragot : Les problèmes de fond sont le manque de personnel et le manque de formation.

M. Richard Tourisseau : Lors de la renégociation de la convention tripartite, qui vient à échéance, j'ai l'intention de demander 50 minutes du temps d'une aide soignante pour une toilette. Mais lorsqu'une personne est très handicapée, ce sont 12 heures d'aide chaque jour qu'il lui faut et cela, qu'elle soit âgée de 59 ans et 11 mois ou de 60 ans et un mois. Et pour répondre à une question précédente, c'est l'investissement qui pèse le plus dans le reste à charge.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Avez-vous des propositions à formuler ?

M. Richard Tourisseau : Oui : que l'on supprime notre assujettissement à la TVA. Je viens de faire réaliser des travaux d'un montant de 60 millions, pour lesquels j'ai obtenu une subvention de 3 millions, mais j'ai reversé 12 millions de TVA à l'État. Que penser d'un tel système ? Par ailleurs, le coût moyen d'un lit est de 100 000 euros, mais le subventionnement maximal est de 50 000 euros. Or, tous les établissements n'ont pas de capacité d'autofinancement. Ils doivent donc recourir à l'emprunt, ce qui entraîne des surcoûts qui se retrouvent aussi dans le prix de journée.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Quelle est la part du coût des travaux ?

M. Richard Tourisseau : Paradoxalement, quand l'établissement est vieillot et vétuste, rien, mais quand il est dynamique, 30 %, sans même parler des mises aux normes et encore moins des groupes électrogènes qui vont nous être imposés pour un coût variant de 400 000 à 500 000 euros. Pour ce qui est du tarif soins, j'ai proposé un dépassement du tarif global pour permettre la prise en charge du coût du transport et des honoraires des médecins spécialistes. Que se passe-t-il, par exemple, en cas de suspicion de fracture du col du fémur ? Si la fracture est avérée, l'assurance maladie prend en charge l'ensemble des soins et le transport. Mais, dans le cas contraire, le transport reste à la charge de la personne. De même, un patient qui ne peut régler la consultation chez un spécialiste n'est pas pris en charge. Les établissements dont j'ai la responsabilité ont choisi le tarif global, si bien que tout est pris en charge dans le cadre du forfait soins. Voilà qui relativise certains discours sur les coûts comparés. Il faut savoir que, lorsque quelqu'un est hospitalisé en médecine, il devra payer, pendant les 30 premiers jours, 20 % d'un tarif souvent légèrement supérieur à celui demandé par une maison de retraite. De ce fait, les gens refusent souvent de se faire hospitaliser, car ils n'en ont pas les moyens. Nous avons donc été conduits à négocier un contrat de couverture complémentaire avec une compagnie d'assurance et obtenu que, pour les gens qui sont à la charge de l'aide sociale, cette dépense, dans la limite de 50 euros, soit considérée comme une dépense obligatoire. Ainsi ne s'impute-t-elle pas sur les 10 % de ressources qui leur sont laissées. À ce sujet, comment ne pas parler des ressources des ménages ? Après qu'ils ont payé loyer et impôts, ils n'ont plus d'argent et ne peuvent envisager le maintien à domicile, au point que certains conjoints valides sont poussés à entrer eux aussi en établissement. Il y a là un vrai problème de société.

M. Pierre Morange, coprésident : Toutes vos propositions seront les bienvenues.

M. Richard Tourisseau : Nous en faisons depuis quinze ou vingt ans. Nous aimerions, maintenant, les voir aboutir, et nous aimerions aussi savoir quelles seront les suites données à vos travaux.

M. Pierre Morange, coprésident : Il est de notre mission de faire que les recommandations soient appliquées. Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

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