COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 15

Jeudi 30 mars 2006
(Séance de 9 h 30)

12/03/95

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

SOMMAIRE

 

pages

Auditions sur la tarification à l'activité dans les établissements de santé :

 

- Sur le rapport de la mission d'appui concernant la convergence tarifaire public-privé, de janvier 2006 : M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales

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- Sur le rapport d'enquête IGF-IGAS concernant le pilotage des dépenses hospitalières, de juillet 2005 : Mme Marguerite Bérard, M. Gilles Clavreul et M. Guillaume Sarlat, inspecteurs des finances ; M. François Mercereau, inspecteur général des affaires sociales, et M. Gautier Maigne, inspecteur des affaires sociales

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- Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud, directrice des finances et du contrôle de gestion du Centre hospitalier de Saint-Malo, M. Serge Bernard, directeur du Centre hospitalier de la région annecienne, et M. Michel Perrot, directeur du Centre hospitalier d'Auxerre

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu, sur le rapport de la mission d'appui concernant la convergence tarifaire public-privé de janvier 2006, M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous accueillons M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, sur le rapport de la mission d'appui concernant la convergence tarifaire public-privé, de janvier 2006. Ce sujet important est au cœur des réflexions du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie dont le président, M. Bertrand Fragonard, devrait être entendu prochainement par la MECSS.

Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et je laisse immédiatement la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Peut-être pourriez-vous commencer par rappeler les enjeux et le poids comparé des deux secteurs, public et privé, avant de présenter les principales analyses et propositions de votre rapport.

M. Pierre-Louis Bras : En 2004, l'objectif de dépenses d'assurance maladie pour les soins de médecine, chirurgie et obstétrique (ODMCO) s'établissait à 39 milliards d'euros, en 2004, dont 30 milliards pour le secteur public et 8 milliards pour le secteur privé.

Pour repérer les enjeux de la convergence tarifaire, nous avons essayé de voir quels étaient les écarts actuels de tarifs. Il nous a donc fallu reconstituer des tarifs puisque ceux du privé n'incluent pas les honoraires et la biologie. Nous avons ainsi estimé que, par GHS, groupes homogènes de séjour, les tarifs du public représentaient 1,8 fois ceux du privé. Mais cela ne préjuge en rien de l'homogénéité de ces GHS et des contraintes particulières qui peuvent peser sur le secteur public.

Notre travail a ensuite été organisé en fonction de l'exigence de convergence posée par la loi. Nous nous sommes donc d'abord demandé si cette convergence devait aller vers le haut, vers le bas ou vers la moyenne. Nous avons constaté qu'elle s'était opérée en 2005 vers la moyenne, c'est-à-dire que ce qu'avait gagné l'un avait été perdu par l'autre. Cela nous est apparu comme une très mauvaise méthode, comme si un acheteur public confronté à deux offres, au lieu de prendre le mieux-disant, l'alignait sur le plus cher. S'il faut augmenter les tarifs des cliniques, il faut le faire au regard de leur situation et non pas de l'inefficience du secteur public. Or, si on continue la convergence vers la moyenne, plus le public sera inefficient, plus les tarifs des cliniques augmenteront, ce qui n'a aucun sens.

Dans la mesure où le sens de la convergence n'était pas précisé dans la loi, nous avons considéré que le législateur n'avait pas voulu d'une convergence inflationniste, d'autant qu'une des difficultés de la tarification à l'activité est de parvenir à récupérer de l'argent chez les perdants. Nous avons donc fortement plaidé pour que la convergence aille vers le plus efficient, c'est-à-dire pour l'instant vers les cliniques.

Cela signifierait que le tarif des cliniques deviendrait taux directeur pour tout le système hospitalier et qu'il faudrait donc le fixer de manière précise, alors qu'il n'y a pour l'instant ni données, ni critères permettant d'asseoir les décisions de tarif vis-à-vis des cliniques sur un indicateur et des objectifs. Le Parlement vote une enveloppe hospitalière décomposée en plusieurs sous-enveloppes, dont une à l'activité. Ensuite, on formule des hypothèses de volume et on en déduit des tarifs. Or, dès lors que l'on prétend réguler un secteur qui obéit aux règles du privé, il importe de prendre en considération sa situation économique. Il nous paraît nécessaire de définir une règle à la fois pour que le contrôle, notamment du Parlement, puisse s'exercer sur le régulateur ; pour que le régulé sache à quoi il doit s'attendre de la part du régulateur ; enfin, pour que le régulateur ait lui-même une règle de décision.

Pour le moment, on est plutôt dans le registre du marchandage. Nous avons essayé de proposer une règle de régulation et de fixation des tarifs pour les cliniques, en partant de l'objectif qui nous semble être celui des pouvoirs publics : si on considère que les cliniques privées sont une composante importante et incontournable de notre système de santé et qu'il faut qu'elles perdurent, il faut que les investisseurs y trouvent une rentabilité suffisante. Mais comme on est dans un secteur où les prix sont fixés par l'administration, il faut aussi éviter de constituer des rentes à ces investisseurs. Pour apprécier cet objectif, nous avons proposé de créer, comme variable de contrôle de la pertinence de la politique hospitalière et de l'attitude du régulateur, le ratio « résultat net sur capitaux propres ». Ce ratio peut être critiqué, mais c'est celui qui donne une meilleure idée de la rentabilité pour un investisseur.

Pour l'instant, les données nécessaires à son établissement font défaut : fin 2005, les données sur la rentabilité des cliniques dataient de 2003. Mais il devrait être possible de construire des modèles permettant d'approcher la rentabilité des cliniques et de prendre en toute connaissance de cause des décisions de tarification transparentes et contrôlables. Toutefois, cela suppose une modification des textes relatifs aux modes de tarification. Aujourd'hui, il est prévu que le Parlement fixe une enveloppe et qu'ensuite l'exécutif fasse une prévision de volume et en déduise les tarifs, mais la manière de fixer l'enveloppe et les contrôles n'obéissent à aucune règle : c'est un arbitrage proposé par le Gouvernement au Parlement, qui tient compte de considérations budgétaires générales n'ayant rien à voir avec la situation économique des cliniques. Selon nous, il faut partir de cette situation et se donner une règle de décision transparente correspondant à un objectif de rentabilité des capitaux propres investis.

Se pose ensuite la question, tout aussi fondamentale, des écarts de coûts salariaux qui sont sans doute à l'origine des écarts de tarifs et de productivité entre les deux secteurs. On peut distinguer un écart de rémunération à qualification équivalente, un écart dans la structure des qualifications, un écart dans le volume de travail et un écart de productivité qui aurait vocation, par la pression que la convergence exercerait sur les hôpitaux publics, à être progressivement réduit. D'ailleurs tout l'intérêt de la convergence est de servir d'étalon de productivité pour le secteur public, pour le pousser vers l'efficience et donc permettre de réaliser des économies au profit du cotisant et du contribuable.

Sur les rémunérations, on dispose des écarts nets, mais pas des éléments sur le coût global du travail, alors que c'est ce qui permettrait des comparaisons. On sait par ailleurs que la qualification est plus élevée en moyenne dans le public. Certes, il s'agit d'écarts globaux qui ne sont pas ramenés à la structure par GHS, mais ils sont tels que l'on peut en tirer des conclusions. En revanche, on est incapable de porter un jugement sur l'écart des qualifications : est-il le signe d'une moindre efficience du public, qui conduit à faire effectuer certains travaux par des gens trop qualifiés ? Est-on, dans le privé, en deçà de la qualité et de la sécurité des soins nécessaires ? Personne ne peut le dire et des études devraient être réalisées dans ce domaine.

Il y a des questions de principe autour des écarts de salaires. Les cliniques, à partir de l'idée que leurs salariés sont moins bien payés que dans le public, prônent l'homogénéisation des rémunérations grâce à une augmentation de leurs tarifs. Dans la mesure où il s'agit de faire respecter le principe « à travail égal, salaire égal », cette homogénéisation relève d'un choix éminemment politique. Dans ce cadre, les pouvoirs publics fixeraient les salaires dans le public, mais aussi dans le privé. On peut également considérer, de façon plus libérale, que, dès lors qu'il existe un secteur privé, les décisions doivent être prises par les gestionnaires des cliniques, que leur recherche de la rentabilité les conduira à maîtriser leur masse salariale et qu'au lieu de vouloir homogénéiser, il faut laisser perdurer ce mode de décision, qui est gage de maîtrise des coûts. Si le privé, handicapé par rapport au public en raison de salaires plus faibles, était amené à les augmenter, la nécessité que je viens d'évoquer de garantir une rentabilité suffisante au privé obligerait les pouvoirs publics à tenir compte de ces hausses de rémunération dans les tarifs futurs. Il y a donc vraiment un choix à faire entre le mode de décision décentralisé actuel pour les salaires et la volonté d'homogénéisation. La Fédération de l'hospitalisation privée plaide pour l'homogénéisation afin de pouvoir augmenter ses tarifs.

A priori, le coût global du travail semble supérieur dans le public. Faut-il homogénéiser les tarifs sans en tenir compte, ou faut-il admettre un sur-tarif ? Ne pas prendre en compte cette différence de coût revient à demander aux établissements publics, qui n'ont pas la maîtrise de leurs rémunérations, de compenser par un surcroît d'efficience le handicap que constituent des salaires plus élevés. Ce peut être une manière de faire pression sur les salaires dans le secteur public, mais les décisions étant prises lors de négociations générales, on n'est pas sûr que cela soit très pertinent. Notre recommandation est donc plutôt que l'on tienne compte des différences de rémunérations et qu'on réalise la convergence au moyen de ce sur-tarif, comme cela a été fait avec les coefficients géographiques, qui tiennent effectivement compte des différences de coûts salariaux entre les régions. Avant de prendre cette décision il faudra décider de l'ampleur qu'on veut donner à la convergence.

De même, il faut décider si la structure des qualifications peut être une variable gérée directement par les établissements publics. La réponse est oui à long terme, mais non à court terme, car cela ne saurait se faire en un an ou deux. Là aussi, un sur-tarif, mais cette fois transitoire, serait nécessaire pour permettre aux hôpitaux publics de rejoindre la structure de qualification du privé. Mais avant même de leur donner cet objectif, il faudrait vérifier - ce que l'on ne sait pas faire aujourd'hui -, par des études monographiques établies à partir de certains GHS, si la structure du privé est optimale ou si l'on n'observe pas une certaine sous-qualification par rapport aux exigences de qualité et de sécurité des soins.

Nous avons aussi constaté que de nombreuses questions se posaient quant aux contraintes spécifiques du secteur public qui pourraient éventuellement justifier des écarts dans les tarifs.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Mais dans le privé il existe aussi une échelle importante de tarifs ; comment les représentants des cliniques l'expliquent-ils ?

M. Pierre-Louis Bras : Les tarifs reposent sur une tarification historique qui n'est pas la tarification par GHS, mais qui mêle des éléments très disparates comme le prix de journée et le forfait salle d'opération. Puisqu'on est passé à la tarification à l'activité, le tarif historique doit tendre progressivement vers le tarif cible. Même si les écarts sont assez limités, les cliniques privées doivent donc converger et un coefficient de transition doit les y amener. Car s'il y a la convergence public-privé, il y en a aussi deux autres, au sein du privé et au sein du public. Et les choses sont plus compliquées dans le privé car nous aurons, fin 2007, une échelle de coûts autour de laquelle devra se faire la convergence. Les établissements privés sont donc en train de converger vers des tarifs historiques dont on n'est pas sûr qu'ils correspondront aux coûts des GHS. Des recalages seront donc peut-être nécessaires à ce moment là.

Notre mission nous a permis de porter une appréciation définitive sur les éléments qui pourraient justifier des écarts de tarif entre le public et le privé, qui doivent faire l'objet d'études cette année et au début de l'année prochaine. On observe toutefois dans le public une part plus importante de l'activité non programmée ; une part plus grande de la précarité ; des obstacles tenant au processus de spécialisation et de gamme ; des variations entre les GHM, les groupes homogènes de malades, ou en leur sein, le privé étant spécialisé dans les cas les moins lourds ; un problème de bonne affectation des MIGAC, les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation ; des problèmes de fiscalité aussi. Je n'y insiste pas.

Nous avons exprimé dans le rapport un certain scepticisme quant à la capacité, dans l'organisation actuelle, de parvenir à objectiver toutes ces données à l'échéance prévue de fin 2007. Le processus de pilotage de tous ces travaux nous paraît bien fragile par rapport aux enjeux. En particulier, le fait que tous ces travaux soient conduits dans une concertation permanente avec les quatre fédérations d'établissements peut être pesant, car elles ont des intérêts directs dans ces études, qui risquent d'être ainsi moins techniques et scientifiques que politiques. Le calendrier pourrait être malaisé à tenir dans ces conditions et il risque d'être difficile de satisfaire l'exigence posée par le législateur d'une convergence à 50 % en 2008.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quel serait selon vous le bon rythme ?

M. Pierre-Louis Bras : Même si nous comprenons qu'il faille faire preuve de volontarisme dans ce dossier, nous ne nous risquons pas à fixer un calendrier, dans la mesure où nous ne disposons pas de toutes les données et où la volonté politique n'a pas été clairement exprimée. Tout dépendra de l'écart : s'il y a 5 % d'écart à la fin, la convergence sera sans doute réalisable en cinq ans ; s'il y a 20 %, ce sera impossible, car derrière il y a une question d'emploi. Aujourd'hui, on raisonne sur la convergence sans se demander quelles vont être les exigences d'évolution de l'emploi hospitalier. Afin d'éclairer le débat et, peut-être, de modérer certaines ardeurs, nous proposons simplement que l'on formule des hypothèses sur les emplois qu'il faudra supprimer dans le public en considération des progrès d'efficience qui lui seront demandés. Aujourd'hui, implicitement, la base de tous les modèles de détermination du budget hospitalier est une reconduction des effectifs actuels, tandis qu'on affirme vouloir faire des économies sur les achats. Mais cela fait dix ans que l'on dit cela et, si l'on peut espérer que certaines économies ont déjà été réalisées, elles ne sont pas à la hauteur des progrès d'efficience qu'exigerait une convergence à 20 % ou à 30 % vers le privé. Tout ceci dépend aussi de la générosité générale dont on fera preuve vis-à-vis de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie. Bien évidemment, plus celui-ci sera élevé dans les années qui viennent, plus il sera facile de réaliser la convergence.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Les écarts de tarifs ne sont pas de 20 à 30 % : dans votre rapport on voit qu'ils vont de 48 à 93 % !

M. Pierre-Louis Bras : Je dis que, quand on aura écarté ce qui justifie une partie de ces écarts, on pourra être bien en deçà, mais je ne sais pas à quelle hauteur d'autant, comme je l'ai rappelé, que de très nombreux facteurs interviennent. Il est prévu un recueil des coûts suivant une méthodologie commune au public et au privé, qui servira de base à l'analyse des écarts. Parallèlement, des études complémentaires seront menées en 2006 et en 2007, l'idée étant que l'on dispose de tous les éléments d'information début 2008. Mais je vous ai fait part de mon scepticisme quant à la possibilité de tenir ce calendrier.

Notre mission s'est déroulée de septembre à décembre 2005 et nous avons observé comment ce dossier était piloté et comment il évoluait. Nous avons constaté des retards, ne serait-ce que parce qu'on regroupe quatre fédérations qui sont elles-mêmes directement intéressées, ce qui rend les discussions techniques très difficiles.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans le cadre du processus de convergence, vous avez évoqué la réduction des effectifs. À quelle hauteur devrait-elle intervenir selon vous ?

M. Pierre-Louis Bras : Nous sommes sur l'hypothèse d'une convergence vers le plus efficient. Après qu'on aura pris en compte les écarts de coûts qui pourraient être justifiés, les choses seront très différentes selon que l'écart résiduel sera de 5 ou de 20 %. Cela dépend aussi de la croissance des volumes : sous le régime de la T2A, un accroissement de l'activité hospitalière permettrait d'augmenter les paiements à l'hôpital et de compenser ainsi les effets de la convergence. Pour l'instant l'activité n'évolue guère, mais la convergence elle-même peut y inciter. C'est en prenant en compte tous les facteurs que l'on pourra formuler des hypothèses concernant les effectifs. Nous n'y sommes pas parvenus au cours de notre mission et la balle est maintenant dans le camp de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Précisément, de quels outils devrait se doter la DHOS pour assurer une tarification pertinente des cliniques ?

M. Pierre-Louis Bras : Il faudrait déjà savoir à partir de quels principes et pour quels objectifs on veut tarifer. Nous avons proposé que l'objectif soit de garantir la rentabilité des capitaux investis et de ne pas constituer de rente, avec comme critère le ratio rentabilité nette sur capitaux propres. Il faut donc parvenir à disposer de cette information. Or, fin 2005, les dernières données établies par la DREES portaient sur l'année 2003. Il serait pourtant tout à fait possible, à partir des données que produit le système d'information sur les volumes des facteurs et sur les volumes d'activité, de constituer des modèles, de faire des prévisions, et donc de tarifer en fonction d'un objectif. Mais encore faut-il, je le répète, qu'on se soit donné un objectif et une règle.

Tel n'est pas le cas aujourd'hui, où tout ceci relève surtout du marchandage entre les pouvoirs publics et les fédérations, dans le cadre global des objectifs de dépenses fixés par le Parlement. Si l'on veut que la concertation soit encadrée, qu'il y ait une règle transparente et un étalon permettant de dire si les tarifs sont trop ou pas assez élevés, il faut conduire différemment la politique hospitalière et les politiques de régulation. Pour l'heure, on continue à privilégier la souplesse qui permet à l'État de serrer un peu la vis quand il en a besoin pour maîtriser l'évolution des dépenses de la sécurité sociale et aux fédérations de se prévaloir des résultats obtenus dans le marchandage.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Nous n'avons pas encore parlé de la qualité des prestations qui est un élément important.

M. Pierre-Louis Bras : Pour le moment, nous n'avons aucun moyen d'évaluer globalement la qualité relative des prestations du secteur public par rapport au secteur privé. Nous disposons uniquement des données établissement par établissement, à travers l'accréditation. De ce point de vue, aucun secteur ne paraît supérieur à l'autre. Nous disposons aussi des appréciations des patients, mais elles sont très générales. Nous avons donc fait l'hypothèse que la qualité était équivalente.

Mais je ne suis pas sûr que la tarification doive être conditionnée par la qualité : d'une part on en est incapable, d'autre part admettre une différence de tarif reviendrait à tolérer une « mauvaise » qualité, ce qui serait contraire aux principes mêmes de notre politique hospitalière. Être bon est normal, être mauvais doit être sanctionné.

M. Jean-Luc Préel : Politiquement, on est obligé d'aller vers la convergence puisque, les recettes étant socialisées, il est insupportable, par exemple, que le coût d'une appendicectomie soit trois fois plus élevé dans un secteur que dans l'autre. Mais on ressent chez vous un grand scepticisme : pensez-vous qu'on y parviendra un jour ?

Par ailleurs, vous l'avez souligné, les différences viennent essentiellement des rémunérations, des qualifications et des ratios de personnels. Quand on sait que les dépenses de personnel représentent environ 80 % des budgets hospitaliers et que le personnel est sous statut de la fonction publique, on voit mal comment un hôpital pourrait réduire ses coûts en jouant sur les rémunérations, d'autant qu'elles sont fixées par des négociations nationales et non établissement par établissement.

Pouvez-vous également nous en dire plus sur la qualité ? Par exemple, alors que le public est quasiment seul à disposer des IBOD, les infirmières de bloc opératoire diplômées, a-t-on constaté plus de mortalité et d'infections nosocomiales dans le privé ? Si tel n'est pas le cas, cela signifie-t-il que le personnel non qualifié obtient des résultats équivalents, donc qu'il est inutile de disposer d'un personnel aussi qualifié ?

Par ailleurs, pratique-t-on aujourd'hui une sélection des malades ? Autrement dit, peut-on aller vers la convergence des tarifications en soignant les mêmes patients ? Et si tel n'est pas le cas, comment en tenir compte dans la tarification ?

Enfin, il y a eu ces derniers jours un débat intéressant sur l'intégration des dispositifs médicaux dans la tarification des cliniques. Peut-on dire que cette intégration joue sur la qualité des soins ?

M. Pierre-Louis Bras : Nous ne disposons pas d'informations sur la qualification, et l'une des propositions du rapport est précisément que des études soient conduites à ce propos, GHS par GHS, afin de s'intéresser à des services qui traitent les mêmes types de patients et d'essayer de voir ce qui est fait par une infirmière dans le secteur public et par un ASH, un agent de service hospitalier, dans le privé. L'idéal serait que l'étude ne soit pas seulement descriptive, mais aussi normative. Je ne mésestime pas la difficulté de ce que je propose, mais il faut absolument avancer. D'un point de vue technique, peut-être faudrait-il couper les GHS, au risque d'alourdir le système. La FHF, la Fédération hospitalière de France, a montré de manière convaincante que le privé se spécialise dans les cas les moins lourds, ce qui ne signifie pas qu'il sélectionne les patients. Je ne dispose d'ailleurs pas de données permettant d'affirmer qu'on procède à une sélection.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous des propositions pour rendre l'étalonnage plus fiable afin d'éviter les marchandages dont vous avez parlé ?

M. Pierre-Louis Bras : Nous avons fait nos propositions il y a deux mois et nous n'avons pas encore de retour. J'ignore quel est l'objectif poursuivi pour l'étalonnage des tarifs.

Nous avons par ailleurs souligné le problème que pose le fait que les honoraires des médecins soient régulés de manière distincte dans le privé, alors qu'ils sont dans l'enveloppe de dépenses pour le public. On peut craindre ainsi que des décisions prises dans le cadre de l'UNCAM ne soient en contradiction avec les objectifs généraux de la T2A. On voit quelles seraient les solutions techniques, mais il s'agit d'une question politiquement sensible...

Par ailleurs, les explorations biologiques et radiologiques de péri-hospitalisation peuvent être réalisées en ville, avant ou après le séjour hospitalier, et il semble que cela risque de fausser la comparaison des écarts de coût des GHS entre établissements publics et établissements privés. L'importance du phénomène n'étant pas mesurée avec exactitude à ce jour, nous avons recommandé la réalisation d'une étude de faisabilité du recueil des charges péri-hospitalières rattachables à un séjour. La FHF a en effet demandé que toute étude de convergence se fasse en intégrant un même périmètre d'analyse de ces coûts.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : L'accueil des personnes en situation précaire est-il pris en compte ?

M. Pierre-Louis Bras : L'argument selon lequel les personnes en situation précaire vont à l'hôpital et non dans les cliniques privées est régulièrement avancé, mais il est faux car, dans ce domaine aussi, il existe des « zones de chalandise ». En réalité, on ne sait pas précisément quel surcoût induit l'accueil de cette patientèle. La seule étude réalisée sur ce sujet l'a évalué à un tiers mais les critères d'analyse retenus ne permettent pas d'emporter la conviction. Et bien que toutes les questions à ce sujet aient déjà été posées par la mission Marrot-Gilardi, il y a cinq ans, nous ne disposons d'aucun élément supplémentaire.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Vous insistez sur la nécessité d'un coût « tous financeurs ».

M. Pierre-Louis Bras : Une clinique peut avoir des ressources supplémentaires si les praticiens qui exercent en son sein sont en secteur 2. Dans ce cas, la convergence aura été faite sur une base qui n'est pas la bonne. On peut en effet penser que, si la clinique a d'autres ressources, la sécurité sociale doit payer moins. Je ne dis pas que tout le dispositif actuel doive être modifié, mais qu'un regard clair est nécessaire sur tout ce qui est présenté au remboursement, car si certains établissements ont des ressources externes, il y a fort à parier que les autres feront valoir que, puisqu'ils n'en disposent pas, ils doivent percevoir davantage. Cela dit, étant donné l'ampleur des études qu'il nous faut mener à bien, celle-là n'est pas au nombre de nos priorités.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Peut-on imaginer un mécanisme de péréquation pour les perdants ?

M. Pierre-Louis Bras : Si l'on décide qu'il y aura péréquation, ce n'est pas la peine de passer à la tarification à l'activité ! Mais des exceptions seront nécessaires car si l'application de la tarification à l'activité met un hôpital en difficulté, il faudra bien prendre des mesures spécifiques pour assurer sa survie. Pour éviter de trop grandes difficultés, il ne faut pas aller trop vite. À cet égard, ce serait confronter les établissements publics « perdants » à deux problèmes cumulés que d'ajouter à l'obligation de convergence tarifaire public-public la convergence public-privé car, dans ce cas, la moyenne du public devrait converger vers celle du privé.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Comment s'assurer de la bonne utilisation des marges de manœuvre nouvelles des établissements qui ont gagné à l'application de la tarification à l'activité ?

M. Pierre-Louis Bras : Je ne sais ce qu'ils en font, c'est un vrai mystère Peut-être avaient-ils préalablement des difficultés, qui sont ainsi résorbées.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu, sur le rapport d'enquête IGF-IGAS de juillet 2005 concernant le pilotage des dépenses hospitalières, Mme Marguerite Bérard, M. Gilles Clavreul et M. Guillaume Sarlat, inspecteurs des finances ; M. François Mercereau, inspecteur général des affaires sociales, et M. Gautier Maigne, inspecteur des affaires sociales.

M. Pierre Morange, coprésident : Madame, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. La mission a souhaité entendre les auteurs du rapport d'enquête IGF-IGAS concernant le pilotage des dépenses hospitalières, de juillet 2005.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Pouvez-vous nous exposer les principales analyses et conclusions de ce rapport d'enquête conjoint ?

M. Guillaume Sarlat : Nous sommes intervenus lors du lancement de la réforme, ce qui explique certaines de nos critiques sur la gestion d'un projet dont les difficultés de réalisation étaient alors patentes. J'espère qu'elles ont été résolues. La tarification à l'activité tend à l'objectivation des prix, qui doit, elle-même, permettre d'améliorer la gestion des établissements hospitaliers. Le dispositif doit donc se caractériser par sa transparence et par sa lisibilité. Or, sa complexité conduit à dire que le mieux est parfois l'ennemi du bien. Nous nous sommes en effet rendu compte que la faible lisibilité du mécanisme sur certains points - calcul des bases, tarifs, évolution des tarifs... - est un obstacle à son efficacité et rend difficile la mise en œuvre de la réforme.

Le changement de mode de rémunération des établissements n'est pas une fin en soi. La tarification à l'activité doit révéler la plus ou moins grande efficacité des établissements, et l'on en attend un gain en matière de gestion et d'organisation. Mais comment traite-t-on les « gagnants » et les « perdants » ? Quel est le rôle des ARH ? Sur ces points aussi, nous avons formulé des critiques et des propositions.

S'agissant de l'organisation globale du système, c'est-à-dire de la régulation des dépenses hospitalières, quelle est la répartition des responsabilités entre l'assurance maladie et l'État en matière de codage, de contrôle des médicaments onéreux (MO) et des dispositifs médicaux implantables (DMI) ? Huit mois se sont écoulés depuis la publication du rapport, mais je pense que ces questions sont toujours d'actualité.

Comment, enfin, s'assurer que la tarification à l'activité permet un meilleur contrôle des dépenses hospitalières et qu'elle s'articule avec l'ONDAM sans faire courir le risque qu'il ne soit pas respecté ?

Le dispositif présente donc certaines fragilités, et les propositions que nous avons avancées tendent à l'encadrer. Cela reste à faire.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : De quelle qualité sont les informations dont dispose la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) ? Comment se fait le contrôle des codages ? Quelles difficultés anticipez-vous ?

M. Guillaume Sarlat : Différentes catégories de données sont nécessaires. Il y a d'abord l'étude nationale des coûts, mais l'échantillon utilisé est restreint et les moyens mis en œuvre ne sont pas véritablement à la hauteur des enjeux. Il y a ensuite le retraitement comptable annuel, mais le gain potentiel d'ajustement à la marge qu'il permet exige une grande mobilisation d'énergie et de temps. Voilà pour l'amont. En aval, il y a le contrôle du codage, sujet qui restait à traiter en juillet 2005, et les remontées macroéconomiques dont la DHOS doit disposer pour prendre des décisions de gestion en milieu ou en fin d'année. Dans ce domaine aussi, j'espère que les choses se sont améliorées.

Mme Marguerite Bérard : Nous avons constaté l'effet positif de la tarification à l'activité sur le programme de médicalisation des systèmes d'information, le PMSI dans les établissements qui s'intéressent vraiment au codage et dont ils perçoivent l'intérêt. Il est manifeste que la pratique du codage s'ancre, mais nous sommes arrivés trop tôt pour observer l'optimisation d'une pratique qui n'était pas encore généralisée. En revanche, nous nous sommes beaucoup inquiétés de constater que le contrôle du codage n'était nullement mis en œuvre et qu'aucune méthode n'était définie, non plus que le rôle des tutelles. Bref, on ne savait pas à qui incombe le contrôle.

M. Gilles Clavreul : Les outils sont moins en cause que la propension des acteurs à les utiliser. En dépit de ses imperfections, le PMSI a permis de repérer des évolutions dans les activités des établissements, avec un décalage d'un trimestre seulement. La question de fond est de savoir quelle utilisation on fait des données.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Les textes réglementaires parus après la remise de votre rapport concernant le contrôle du codage de l'activité et les contrats de bon usage des médicaments correspondent-ils à vos attentes ?

M. Guillaume Sarlat : Tout dépendra des forces investies pour faire respecter les contrats de bon usage. Si l'on veut faire un travail sérieux sur ce sujet, il faudra non seulement des accords de bon usage mais aussi des accords sur le respect des prescriptions et sur celui des autorisations de mise sur le marché (AMM). Les médecins doivent être investis d'une mission à ce sujet.

M. Pierre Morange, coprésident : Des amendements visant à renforcer les contrôles, établis à la demande de l'assurance maladie, ont été votés au Sénat lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Les problèmes techniques de facturation individuelle ont-ils été résolus ?

M. François Mercereau : Les problèmes auxquels vous faites allusion ont pour l'essentiel touché les établissements privés, qui n'entraient pas dans le champ de ce rapport. Dans les établissements publics, la facturation est encore très parcellaire. Les hôpitaux devront réapprendre un métier largement oublié et mettre au point la télétransmission avec la sécurité sociale, soit par le biais de la carte SESAM-Vitale, soit par celui de la norme B2 - hypothèse qui n'est pas satisfaisante car ce système n'est pas sécurisé. Des chantiers sont en cours, et nous avons constaté l'amorce d'une approche commune à la DHOS et à la sécurité sociale pour la définition des outils nouveaux, à présent nécessaires. Reste en suspens la facturation des séjours, actuellement collective. La question est de savoir si l'on se lance dans la facturation individuelle sur le modèle de ce qui se fait dans les cliniques privées. Nous considérons qu'il faut y réfléchir à deux fois, car la facturation individuelle suppose des connexions informatiques entre l'hôpital et l'assurance maladie, qui sont très loin d'exister. Dans ce contexte, la facturation individuelle sera d'un faible intérêt, si elle ne permet pas que l'assurance maladie puisse renseigner en temps réel les établissements sur l'existence et l'étendue des droits. Lancer cette vaste mécanique aurait un effet perturbant pour des hôpitaux qui n'ont plus l'habitude de facturer depuis l'institution de la dotation globale. On sait que les cliniques ont eu les pires difficultés à instaurer ce système. Le risque serait réel de confusion des factures, d'augmentation des irrecouvrés et d'autres anomalies.

M. Pierre Morange, coprésident : Après que les systèmes informatiques des hôpitaux nous ont été décrits comme obsolètes et parcellaires, vous vous interrogez sur la mise en œuvre et l'efficacité du codage des actes. Cet ensemble ne peut que susciter, au minimum, la perplexité sur la fiabilité de données collectées et sur le suivi du dispositif.

M. Guillaume Sarlat : Si on souhaite contrôler le codage des actes, on dispose des instruments pour le faire. En matière de gestion des dépenses hospitalières, le problème n'est pas tant celui des systèmes d'information, aussi important soit-il, que celui de la clarification des rôles respectifs. Ainsi, celui des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) ne m'est pas apparu clairement.

M. François Mercereau : Je renforcerai ce propos en soulignant que si les outils sont effectivement imparfaits, c'est par leur non utilisation que l'on pêche le plus. Nous rappelons dans le rapport que rien de ce qui est attendu de la tarification à l'activité n'était interdit dans le cadre de la dotation globale, mais que rien n'a été fait.

Il ne faudrait pas, maintenant, chercher à contrebalancer les effets de la tarification à l'activité, dispositif mis au point au terme d'un remarquable travail. Les difficultés de la presque totalité des établissements « perdants » auxquels nous nous sommes intéressés au cours de cette enquête étaient connues et identifiées auparavant. Or, les discours entendus étaient que les médecins devraient mieux coder ; aucun, ou presque, n'en tirait la conclusion qu'ils devraient se restructurer ou améliorer leur gestion, sinon l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Pour autant, nous plaidons en faveur d'une pause dans la montée en charge de la tarification à l'activité. Vouloir aller vite n'aurait pas d'effet redistributif plus important.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Nous sommes vraiment dans le vif du sujet...

Vous écrivez dans le rapport que la T2A n'est ni un outil de régulation de la dépense, ni un instrument favorisant la restructuration ou la planification sanitaire et vous jugez les mécanismes de contrôle insuffisants et les enveloppes inflationnistes. Mais pourquoi n'est-elle pas un outil de restructuration ? Est-ce parce que les établissements ne s'en sont pas encore emparés ou y a-t-il d'autres explications ?

M. Guillaume Sarlat : Nous pouvons faire état devant vous de ce que l'on ressent dans les établissements et dans les ARH. On nous avait dit que nous allions rencontrer des directeurs stressés, des perdants qui ne savaient pas comment boucler leurs fins de mois. Or, nous avons plutôt trouvé des gens heureux d'en finir avec l'opacité et le flou quant aux dates de déblocage des enveloppes et assez peu inquiets pour la bonne raison qu'il n'y a eu jusqu'ici que fort peu d'exemples où l'on a utilisé le couperet de la sanction, voire de la fermeture définitive, contre un établissement chroniquement en difficulté. Ils voient donc mal pourquoi la T2A rendrait subitement crédible l'impératif de bonne gestion... D'ailleurs, il n'a été dit nulle part que tous les perdants devraient proposer des restructurations à la fin de l'année et qu'à défaut ils seraient sanctionnés : faute d'une doctrine claire, on ignore ce que deviendront les gagnants comme les perdants. Si nous avons ressenti une certaine tension liée à l'incompréhension technique du système, nous n'en avons donc guère perçu quant aux risques liés à la gestion.

M. Pierre Morange, coprésident : La volonté politique est d'aller vers une optimisation et une rationalisation des moyens.

L'intervention de l'assurance maladie dans le cadre du contrôle et de l'évaluation de la prescription médicale par les acteurs hospitaliers est un champ qu'elle n'avait jusqu'ici jamais exploré et qui s'ouvre à elle avec la réforme de l'assurance maladie et la dernière loi de financement de la sécurité sociale. Certes, votre rapport date de juillet 2005 et il ne tient pas compte de cette nouvelle dimension qui va aboutir à une sorte de contractualisation et à un partenariat beaucoup plus fort entre les agences régionales de l'hospitalisation et les caisses régionales d'assurance maladie. Mais, de votre point de vue, s'agit-il de la façon la plus opérationnelle de répondre à votre observation, M. Mercereau, sur le fait qu'il ne suffit pas de mettre cela sur le papier, mais qu'il faut fixer les objectifs et s'y tenir ?

M. François Mercereau : La T2A est inflationniste parce que les chiffres de la première année de fonctionnement l'ont montré et parce que, dans le phasage de sa mise en œuvre, on a fait passer en premier lieu les éléments de libération de dépenses. Au moment de notre mission, aucun des instruments de contrôle n'avait été mis en place, alors qu'ils étaient pourtant déjà prévus par les lois antérieures.

Nous avons aussi trouvé que ces instruments de contrôle des volumes étaient insuffisants, notamment au regard des expériences étrangères. Sur une vingtaine de pays qui se sont engagés dans la tarification à l'activité, la France est le seul qui n'ait pas aussi lancé une planification des volumes ou, comme l'Allemagne, un écrêtement des gains qui fait que 75 % restent à l'établissement, tandis que 25 % sont mutualisés au niveau fédéral. Il est donc tout à fait normal qu'on constate chez nous des dépassements, puisque 25 % du court séjour était financé en 2005 en fonction de l'activité ; que les médicaments onéreux, les MO, et les dispositifs médicaux implantables, les DMI, étaient remboursés à l'euro près, sans limitation de montant ; que les MIGAC, les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation, étaient remboursées sur facture, à l'euro près et sur simple déclaration des établissements, sans aucun contrôle.

Dans ces conditions, nous avons constaté, sur la base du simple bon sens, qu'il n'y avait aucune raison pour que nous soyons plus malins que les autres et qu'il était urgent de stabiliser le dispositif et d'en profiter pour le compléter par des instruments de régulation destinés à contrôler les volumes.

En effet, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 a fait en ce sens un pas que nous ne pouvons que saluer. Néanmoins, les techniciens que nous sommes observent que cette planification est pluriannuelle, puisqu'elle se fait dans le cadre des conventions d'objectifs et de moyens et de la nouvelle génération des schémas régionaux d'organisation sanitaire. Or, les budgets, eux, sont annuels et le dérapage est infra annuel. Il y a donc lieu de continuer à réfléchir à une régulation plus courte, avec une bride plus tendue.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Peut-être pourrions-nous revenir sur les normes inflationnistes. Tout le monde a bien le sentiment que la MIGAC payée à l'euro près n'est pas un instrument de régulation. Mais sur les autres enveloppes - les aides à la contractualisation, les missions d'enseignement, de recherche, de recours et d'innovation, ou MERRI -, quel est votre sentiment ?

M. Guillaume Sarlat : Nous avons été frappés que sur des enveloppes aussi importantes que celles des MERRI, les modes de rémunération soient essentiellement forfaitaires et nationaux. Les pays étrangers, notamment les États-Unis, ont fait des choses un peu plus fines. Alors qu'on a préparé une réforme pendant de longues années, on ne dispose toujours pas d'un document de référence sur le coût du service public d'enseignement et de recherche, ni d'une définition précise de ses finalités. Du coup, on a une tuyauterie très raffinée pour 35 % des enveloppes, mais pour le reste on s'en tient à la rémunération forfaitaire.

Quand on met en regard, d'un côté les MERRI et les enveloppes discrétionnaires données aux établissements, et de l'autre la part T2A et la part de modulation des ARH, on se dit que les ordres de grandeur sont assez similaires et qu'on consacre beaucoup d'énergie à des raffinements de classification sans s'intéresser à ce qui se passe juste à côté et qui a un poids très important. On n'a pas vraiment tracé de perspectives à ce sujet : on n'a précisé ni le chemin qu'on allait suivre dans la rémunération, ni les études qu'on allait lancer, ni l'évaluation qui serait conduite, ni le rôle des ARH.

Alors que la T2A est un outil qui se fonde économiquement sur la concurrence entre les établissements et qui repose sur un concept sous-jacent de décentralisation, sa mise en œuvre est très descendante et on explique aux ARH qu'elles ne peuvent jouer que sur une petite partie de leurs bases. Il est quand même un peu étonnant que le régulateur local n'ait qu'un pouvoir restreint sur les MERRI et sur les MIGAC.

Pour les autres MIGAC, notre principale critique tient à la rémunération sur facture sans normalisation des coûts, en dépit des écarts types constatés.

M. Gautier Maigne : Le principal reproche qu'on faisait aux aides à la contractualisation était d'avoir à la fois gelé et sanctuarisé les aides existantes, sans examiner forcément leur pertinence et en restreignant fortement les marges de manœuvre laissées aux agences régionales. Ce qui semblait légitime, c'était qu'il y ait un volant d'aides à la contractualisation et une marge de manœuvre régionale, mais prévue ex ante, avec une sorte de mode d'emploi de ces aides, de façon à ce qu'elles ne servent pas systématiquement à rattraper les perdants et sans que cela n'aide à la restructuration du tissu hospitalier.

M. Guillaume Sarlat : Je peux comprendre le modèle passif dans lequel on fixe des règles : on regarde ce qui se passe, on laisse jouer la concurrence entre les établissements, comme dans le système Medicare, et on compte les survivants à la fin de l'année. Je comprends aussi le modèle plus actif de gestion déconcentrée aux ARH, dans lequel on leur donne une enveloppe, on leur laisse une grande latitude de gestion de cette enveloppe, on leur fixe des objectifs quantifiés et on les suit très précisément.

Ce qui me perturbe, c'est qu'on reste un peu entre les deux : on affiche des tarifs, mais pas de règle ex ante, et on tient aux ARH un discours que je n'avais toujours pas bien compris à la fin de la mission, selon lequel elles disposent d'une part dont elles peuvent faire ce qu'elles veulent, mais avec des bases totalement descendantes. Du coup, l'établissement ne sait pas d'où va venir la sanction : elle ne viendra ni d'une règle brutale, ni de son régulateur de terrain, auquel on n'a pas fixé d'objectif.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est un problème qui n'est pas propre aux ARH. L'assurance maladie a aussi observé qu'elle avait, dans sa position de payeur aveugle, uniquement une maîtrise du secteur ambulatoire, mais en aucun cas un droit de regard sur la partie hospitalière.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Pour vous, la T2A à la française serait donc plus inflationniste que régulatrice ?

Un de ses buts était aussi la convergence. Compte tenu de tout ce que vous avez dit, peut-on encore imaginer que cet objectif soit réalisable ? Que faudrait-il faire pour qu'il le devienne ?

M. Guillaume Sarlat : Il y a deux éléments de réponse. Le premier, faussement technique, consiste à faire le constat que l'écart type autour des coûts du système hospitalier demeure assez important, même avec une classification relativement fine de l'activité, et à l'expliquer par le fait que la nomenclature n'est pas encore mature et qu'il faut remédier à cette dispersion.

L'autre réponse, davantage gestionnaire, consiste à se demander quel est vraiment notre objectif. En clair, est-ce qu'un hôpital égale un hôpital ? Est-ce qu'un GHM, groupe homogène de malades, égale un autre GHM ? Est-ce qu'il n'y a pas des facteurs objectifs de variation des coûts ? Que doit-on tolérer ou pas ? Doit-on vraiment réaliser à 100 % la convergence public-public ?

Nous avons pensé que le mieux était l'ennemi du bien, que ce dernier objectif était peut-être trop ambitieux, que chercher à l'atteindre risquait de décrédibiliser l'ensemble de la démarche, et qu'il valait sans doute mieux aller vers quelque chose de moins satisfaisant sur le plan esthétique, mais de plus efficace concrètement et de plus clair en terme de message.

Car il y a des facteurs objectifs de variation des coûts entre les établissements : il y a les GHM que l'on cite toujours en exemple à propos de la convergence public-privé, mais il faut bien voir que les thérapeutiques et les actes varient de l'un à l'autre. C'est bien pour cela que du temps du point ISA, on mettait en exergue le poids moyen du cas traité pour prendre en compte le fait que l'on ne pratique pas la même médecine et la même chirurgie selon les établissements.

M. Gilles Clavreul : Il me semble que je n'ai pas assez insisté tout à l'heure sur la difficulté à concilier d'une part les effets de la T2A et l'analyse des gagnants et des perdants, d'autre part l'exercice de la planification sanitaire. Nous avons vu sur le terrain que cette dernière était tellement difficile à conduire que les deux tâches étaient menées de façon parallèle, sans véritablement se croiser. Cela a des effets fâcheux car les facteurs de variations des coûts peuvent être objectifs, mais aussi discrétionnaires, au sens où des priorités de santé publique peuvent conduire à souhaiter spécialiser un hôpital et à conserver à un autre une vocation généraliste que l'hospitalisation privée ne pourrait avoir. Dès lors qu'on a défini ces objectifs, il faut les faire entrer dans la grille de lecture T2A et donc assumer le fait qu'on va faire peser des coûts sur certains établissements, tandis qu'on permettra à d'autres de maximiser leurs gains.

Il me semble important de le souligner car, au moment de notre mission, les ARH n'avaient pas totalement intégré la nécessité de conduire les deux exercices, elles ignoraient selon quels critères elles auraient à arbitrer et quel discours elles devraient tenir aux établissements.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : J'aurais aussi aimé que l'on parle des divergences entre les deux inspections au sujet des éléments macro-économiques de la régulation.

M. Guillaume Sarlat : C'est le seul point sur lequel nous ne nous sommes pas complètement rencontrés, au milieu du tunnel des dépenses hospitalières.

Pour nous, l'une des ambiguïtés de la T2A est sémantique, autour des mots « tarif » et « coûts ». On est sur le principe d'une rémunération selon les tarifs, qui sont calibrés dans leur échelle relative à partir d'une enquête nationale sur un échantillon, puis en valeur absolue pour que cela rentre dans l'enveloppe. Ensuite interviennent diverses mesures, comme la diminution de 1 % des tarifs, la convergence public-privé, etc.

L'objectif de la T2A est de mettre les établissements et leur tutelle en position de s'interroger sur la bonne gestion des établissements, à partir de l'écart entre leurs coûts réels et des coûts cibles. Quant à nous, nous avons voulu faire passer le message que la T2A est inflationniste, mais qu'en utilisant les outils micro-économiques que nous détaillons dans le rapport - bon usage des MO et des DMI, responsabilisation des ARH, bon contrôle du codage - on peut tout à fait tenir la T2A et qu'on n'a donc pas besoin d'un outil macro-économique supplémentaire de régulation prix-volume, qui pourrait avoir comme effet désastreux d'entraîner une décorrélation entre les tarifs et les coûts. En effet, tel est bien le risque, au-delà du manque de visibilité du dispositif, si l'on fait varier les tarifs chaque année pour entrer dans une enveloppe soumise à des impératifs politiques sur l'ONDAM et techniques sur la répartition des mesures nouvelles et sur le calcul des bases. Nous avons donc craint que l'on perde ainsi de vue l'objectif unique de la T2A.

Notre seule divergence porte donc sur la nécessité de garder cette deuxième « lame », que, pour notre part, nous avons jugée ébréchée et dangereuse.

M. François Mercereau : Une seule divergence sur 700 pages, ce n'est pas énorme... Nous sommes d'accord sur l'essentiel, c'est-à-dire sur la nécessité de contrôler les volumes : aucun pays n'a pu s'en passer. La divergence porte sur un aspect tactique, sur notre intuition de la probabilité d'utilisation des outils. Pour notre part, nous avons simplement dit qu'il ne serait pas prudent de se séparer d'un outil avant que les autres n'aient fait la preuve de leur efficacité. Nous ne contestons pas la pertinence de l'analyse de l'Inspection des finances, mais l'expérience nous conduit à nous montrer administrativement plus prudents et à proposer qu'on attende de voir si la régulation des volumes marche, avant de renoncer définitivement à une régulation prix-volume.

Au départ, la T2A n'a pas été conçue comme un moyen d'accroître l'enveloppe ONDAM consacrée aux hôpitaux, mais comme un moyen d'allocation de cette enveloppe. Deux ans après, plus personne ne parle de cet objectif initial. Pour faire coïncider le respect du volume national des dépenses et la liberté pour chaque établissement de moduler selon son activité, on entendait précisément utiliser l'ajustement des tarifs. Nous nous sommes aperçus que cette conséquence de la T2A avait été un peu passée sous silence par l'ensemble des acteurs et nous avons simplement dit qu'il ne serait pas prudent que le législateur en tire la conséquence qu'il faut supprimer ce moyen tant qu'il n'aura pas constaté que les autres instruments mis en place pour contrôler le volume des dépenses hospitalières auront été efficaces, c'est-à-dire tant qu'il n'aura pas vérifié que l'ONDAM qu'il a voté est parfaitement respecté en fin d'année.

M. Pierre Morange, coprésident : Il ne me reste plus qu'à vous remercier d'avoir répondu de façon exhaustive à l'ensemble de nos questions.

*

* *

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud, directrice des finances et du contrôle de gestion du Centre hospitalier de Saint-Malo, M. Serge Bernard, directeur du Centre hospitalier de la région annecienne, et M. Michel Perrot, directeur du Centre hospitalier d'Auxerre

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite à tous la bienvenue et je laisse immédiatement la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Après avoir entendu les représentants de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), il est important de revenir à la réalité du terrain, et c'est pour cela que nous vous avons invités.

Pour commencer, j'ai envie de vous demander ce que change la tarification à l'activité pour vos établissements, quels bouleversements elle a entraînés, quelle formation vous avez dû proposer à votre personnel, quelles actions vous avez dû mener vis-à-vis du personnel médical.

Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud : Le centre hospitalier de Saint-Malo est un établissement de 1 000 lits et places, dont 40 % seulement de lits de court séjour en médecine, chirurgie et obstétrique, qui représentent 60 % de notre budget et entrent dans le champ de la T2A. Nous avons par ailleurs un gros secteur de psychiatrie, de moyen séjour, et beaucoup de personnes âgées.

Sur le plan budgétaire et financier, la tarification à l'activité a représenté pour nous un gros avantage. En effet, le fonctionnement en dotation globale nous était extrêmement préjudiciable, car il s'agit d'un établissement relativement jeune dans sa configuration actuelle, qui a décollé sur les activités de médecine et de chirurgie après le passage à la dotation globale. Or, le budget global avait tendance à figer les situations. Malgré un accompagnement important de l'autorité de tutelle au moment où les activités se mettaient en place, nous avions vu notre situation budgétaire se dégrader à tel point que nous étions arrivés à 3 % de notre budget en report de charges, ce qui correspondait en fait à un déficit. Nous avions d'ailleurs été l'objet de plusieurs missions d'enquête, dont une de l'Inspection générale des affaires sociales, qui avait montré que l'établissement ne respectait pas ses enveloppes, puisqu'il avait continué à développer une activité qui ne cadrait pas avec sa dotation globale.

Le passage à la tarification à l'activité a donc été tout à fait positif, puisque dès la première année, avec simplement 10 % de T2A, nous avons reçu une dotation supplémentaire très importante. La  deuxième année, nous  avons pu, pour  la première fois depuis douze ans - nous étions entrés en report de charges en 1993 - clôturer un budget sans déficit, tout en améliorant notre situation financière. Certes, nous avons aussi profité d'accompagnements conjoncturels, mais la T2A y est pour beaucoup.

L'établissement est entré, depuis quelques années déjà, dans une politique de contrôle de gestion déconcentré. C'est-à-dire que je rencontre, avec la cellule d'analyse et de gestion, les différents chefs de service pour faire le point des résultats de leur activité par rapport à la prévision et des consommations de ressources qui s'y rapportent. Nous avons des calculs d'unités d'œuvre, en entrées et en journées, pour un certain nombre de dépenses sur lesquelles ils peuvent avoir une influence, et nous avons d'ailleurs passé quelques contrats à ce titre avec certains d'entre eux, avant même d'entrer dans le dispositif de nouvelle gouvernance en pôles. Il est vrai qu'à partir du moment où nous sommes passés à la T2A, avec une possibilité d'objectiver et de valoriser directement l'activité, nous avons senti un regain d'intérêt de la part des chefs de service, qui ne nous ont plus identifiés comme des censeurs, mais comme des partenaires leur permettant de mettre en valeur une activité qui leur était jusqu'alors plutôt reprochée.

Qui plus est, cela a créé une certaine émulation entre les services, qui ont intérêt à doper une activité à meilleur coût, tout en garantissant la qualité de la prestation aux usagers. Donc, avec la T2A, on arrive à quelque chose comme : « Travailler plus, pourquoi pas ? Travailler mieux, bien entendu, et si vous pouvez le faire à moindre coût, on pourra par ailleurs vous financer autre chose ». C'est un discours très positif qui a bien entendu sa limite : nous le gérons avec les chefs de service sur un modèle de tarification 100 % qui n'est pas celui effectivement appliqué. Par ailleurs, il y a quand même un risque de dérive, car une interprétation rapide pourrait amener à dire : « Il faut que je travaille plus à n'importe quel prix pour avoir des recettes ». Or, le message que nous sommes en train de faire passer est qu'il faut travailler plus, non pas à n'importe quel prix, mais en optimisant la ressource dont on dispose.

La T2A a donc eu un effet très positif en termes budgétaires, mais aussi sur la relation de l'équipe de direction avec les chefs de service, les praticiens hospitaliers nous considérant désormais davantage comme des partenaires que comme des « flics ».

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons bien compris qu'il y a eu un rééquilibrage budgétaire grâce à la dotation supplémentaire liée à la mise en œuvre de la T2A. Mais cette dernière doit être un instrument de rationalisation et d'optimisation. Dans la pratique, a-t-elle abouti à une restructuration de l'offre de soins ?

Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud : On sent très bien que la communauté médicale s'est approprié la notion et s'interroge sur le maintien de certaines activités redondantes avec des offres existant ailleurs. Mais on n'en est encore qu'au stade de l'interrogation. Et c'est là que nous allons rencontrer la limite du système, qui tient à son caractère extrêmement contraint, notamment en raison des statuts des personnels médicaux et non médicaux, qui rigidifient notre offre de soins.

À l'inverse, on peut se réjouir qu'au sein de chacun des nouveaux pôles, la réflexion sur les orientations soit facilitée par le fait que le développement d'une activité pourra désormais être accompagné, sans se heurter comme auparavant à la barrière du financement.

M. Pierre Morange, coprésident : En dépit de cette contrainte du dispositif statutaire, le coût de prise en charge d'un lit hospitalier classique n'est pas le même que celui d'un lit d'unités de soins de longue durée (USLD), alors qu'ils mobilisent le même personnel, qui relève de la fonction publique hospitalière. La mise en œuvre de la T2A aurait pu être l'occasion de reventiler l'offre de soins et de montrer, par exemple, que des lits disponibles pourraient être reconvertis, en particulier pour répondre aux besoins de prise en charge de la dépendance.

Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud : Cela peut être vrai dans des établissements aux profils d'activité différents du nôtre. Dans nos services de court séjour, le taux d'occupation moyen est pratiquement de 90 %. Notre problème est donc plutôt celui du manque de place pour faire face à l'activité de court séjour. Quand nous avons un excédent en chirurgie, les lits sont occupés par des patients médicaux. Mais le besoin que nous avons est surtout en médecine gériatrique aiguë et nous couvrons largement nos besoins en USLD.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : M. Bernard, quel est votre sentiment sur la difficulté de mise en place de la T2A dans votre établissement ?

M. Serge Bernard : Je dirige l'hôpital d'Annecy depuis le 1er août 2005, après avoir exercé les mêmes fonctions à l'hôpital de Mâcon, site expérimentateur de la T2A. L'hôpital d'Annecy regroupe un peu plus de 700 lits de court séjour. Il a aussi un grand service de cardiologie interventionnelle qui réalise 2 000 actes par an, ainsi qu'un service de cancérologie, et il s'engage dans l'hématologie aiguë. Par ailleurs, un projet d'hôpital neuf a vu le jour. Il sera financé pour partie par la vente du site actuel, qui n'est plus fonctionnel. Enfin, sa très importante activité étant mal compensée par la dotation globale, l'hôpital est depuis 2005 l'objet d'un plan de retour à l'équilibre. Le plan est respecté, mais si la part de tarification à l'activité dans le financement permettra de combler le déficit structurel, cela ne se fera pas à une vitesse telle que le retour à l'équilibre puisse être envisagé dès 2006. Et si nous nous félicitons que la part de tarification à l'activité passe à 50 % en 2007, nous savons que nous subirons cette année-là de considérables coûts de déménagement.

Mais nous avons mis à profit ce prochain transfert pour mobiliser l'ensemble de la communauté hospitalière sur les nécessaires réflexes de connaissance des coûts et des dépenses, en essayant d'améliorer les systèmes d'information et en scindant l'activité en neuf pôles. La nouvelle organisation de gestion a dynamisé les équipes, les mentalités ont évolué, et la recherche de valorisation des recettes est désormais patente.

En 2006, il nous faut à la fois suivre le plan de retour à l'équilibre et élaborer l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD), exercice particulièrement difficile, puisqu'il est prévu que chaque établissement hospitalier concoure au rééquilibrage des comptes de l'assurance maladie. Nous avons créé des ateliers, rattachés à chaque pôle, dans lesquels a été expliquée la notion de connaissance des coûts. Cet effort pédagogique a produit des effets remarquables tous azimuts et notamment sur le poste « achats ». J'observe que l'on parle peu de ce chapitre de dépenses, sur lequel, pour ce qui nous concerne, des gains substantiels ont pourtant été réalisés.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : En quoi la nouvelle organisation a-t-elle modifié la vie quotidienne des personnels ?

M. Serge Bernard : L'approche des dépenses est désormais faite à l'euro près, et une réelle émulation s'est instaurée. Mais nous sommes encore en phase d'expérimentation et il faut savoir si cette dynamique se perpétuera. À cet égard, 2006 sera une année importante.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Vos établissements ont-ils une comptabilité analytique médicalisée ?

M. Serge Bernard : Oui, mais l'obsolescence du logiciel fait que nous éprouvons des difficultés à lui intégrer les nouvelles fonctionnalités qui nous sont nécessaires, tout en assurant la comptabilité courante. C'est un problème majeur et nous attendons avec impatience le changement de logiciel prévu pour 2007, qui devrait nous éviter de nombreuses heures supplémentaires.

Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud : Notre système d'information permet une comptabilité analytique médicalisée correcte, mais il n'est pas assez évolué pour donner une comptabilité analytique par séjour, ce qui nous pose problème. Le fait que le logiciel ne soit pas assez abouti a les mêmes conséquences pour nous que pour l'hôpital d'Annecy : le recensement des données demande un très nombreux personnel.

M. Michel Perrot : Nous avons mis en place une comptabilité analytique à l'hôpital d'Auxerre, et les chefs de service sont très attentifs aux coûts et aux recettes, mais cette comptabilité ne va pas jusqu'au coût du séjour, et je ne sais d'ailleurs pas si cela nous apporterait tant d'éléments supplémentaires.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quel est l'impact de la tarification à l'activité sur la qualité des soins ?

M. Michel Perrot : La T2A a entraîné une restructuration. Notre établissement était en déficit du fait d'une dotation figée depuis un certain temps et sans plus de rapport avec l'activité réelle de l'hôpital. Nous allions à la catastrophe. La tarification à l'activité et son pendant, la comptabilité analytique, ont permis de détecter les services déficitaires, que sont la réanimation, la néonatalogie et la pédiatrie. Nous avons réalisé un audit du service de réanimation pour définir comment le rendre plus rentable, c'est-à-dire plus efficace. Au terme de cet audit, nous avons décidé de réduire le nombre de lits de réanimation, l'idée force étant de raccourcir la durée des séjours dans ce service en ouvrant, en parallèle, des lits de soins intensifs. Nous avons également analysé la situation du court séjour. Avec un taux d'occupation de 90 %, nous sommes constamment débordés. Pour résoudre ce problème permanent, il fallait ouvrir des lits de soins de suite. Nous avons donc décidé de convertir des lits de long séjour - activité dont nous n'avons pas la vocation - en lits supplémentaires de moyen séjour, ce qui a pour effet, par ricochet, que le parc de lits de court séjour est mieux utilisé. Dans la même optique, nous projetons de développer l'hospitalisation à domicile.

Par ailleurs, nous avons ouvert, fin 2005, un service de coronarographie. Si nous étions toujours sous le régime de la dotation globale, je ne doute pas que nous aurions eu l'autorisation de le faire, mais plusieurs années auraient été nécessaires pour disposer des moyens correspondants. En l'espèce, ils ont été immédiatement couverts.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avant l'ouverture de ce nouveau service, les Bourguignons dont l'état de santé demandait la réalisation d'une coronarographie étaient transportés en hélicoptère à Dijon ou à Paris. Avez-vous une idée de l'impact financier qu'a eu l'interruption de ces transports ?

M. Michel Perrot : Je ne saurais vous répondre précisément sur ce point, mais ce dont je suis certain, c'est que la tarification à l'activité nous a permis de répondre rapidement à des besoins évidents, ce que n'aurait pas permis le régime de la dotation globale, et qu'elle a aussi permis un changement bénéfique dans la prise en charge des patients.

M. Pierre Morange, coprésident : Les observations relatives aux services de réanimation et de pédiatrie ont-elles été faites ailleurs ?

Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud : Le service de réanimation est structurellement déficitaire, comme le sont certains services de chirurgie. Certaines activités sont déficitaires par nature en raison de contraintes réglementaires d'effectif minimal, parfois disproportionné au regard du niveau d'activité moyen. Actuellement, certains pôles d'activité sont déficitaires, d'autres excédentaires, et je voudrais pouvoir consentir des MIGAC internes à ceux dont le déficit s'explique par des contraintes ou des surcoûts spécifiques. Mais il existe aussi des services déficitaires qui n'ont pas ces contraintes, ce qui doit pousser à s'interroger sur une éventuelle coopération avec le secteur privé ou à maintenir l'activité considérée en réduisant un peu les moyens qui lui sont alloués. Une comptabilité analytique par séjour révélerait les déficits admissibles et ceux qui ne le sont pas ; mais c'est mettre à nouveau l'accent sur les insuffisances du logiciel.

Le service de diabétologie-endocrinologie avait fait état de la forte demande d'hospitalisation de jour exprimée par les patients. Nous y avons répondu. Les tarifs de la tarification à l'activité sont beaucoup moins rémunérateurs dans ce cas, mais nous avons choisi d'accorder des moyens nouveaux - un poste d'infirmière supplémentaire - en tablant sur l'augmentation concomitante du nombre des passages. L'enquête de satisfaction en cours auprès des patients fait apparaître des résultats intermédiaires très favorables, pour une initiative qui n'aurait pas été possible sous le régime de la dotation globale.

M. Serge Bernard : Si nous avons pu mettre au point une organisation performante en cardiologie interventionnelle à l'hôpital d'Annecy, c'est que nous avons géré toute la filière et, après avoir longuement hésité, tranché en faveur d'une coopération étroite avec le secteur privé en établissant des circuits distincts selon la gravité des pathologies.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La tarification à l'activité a-t-elle accéléré la coopération entre le secteur public et le secteur privé ?

M. Serge Bernard : Oui, car quand l'activité est très coûteuse, comme c'est le cas pour la réanimation, ils ont besoin de nous, et nous d'eux pour les cas les moins graves. La proximité et la réactivité sont déterminantes pour le pronostic vital et pour l'agrégation des coûts.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Qu'en est-il de la tarification à l'activité pour les services d'urgence ? Les hôpitaux publics soulignent leur rôle particulier dans l'accueil des populations en situation difficile. Qu'en pensez-vous ?

Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud : La tarification à l'activité a permis de mettre en évidence certains coûts jusqu'à présents non valorisés. Pour ce qui concerne plus largement le service des urgences, nos équipements, qui peuvent paraître surdimensionnés, sont en fait sous-dimensionnés pendant les week-ends et les vacances scolaires, ce qui n'est pas pris en compte. Ce qui nous revient au titre des MIGAC est très faible, car le centre hospitalier de Saint-Malo n'est pas un établissement universitaire.

M. Serge Bernard : Il convient en premier lieu de distinguer services d'urgence et SAMU, dont les missions ne sont pas les mêmes. On dénombre quelques 45 000 passages par an à l'hôpital d'Annecy, sans saisonnalité particulière, si ce n'est une baisse de la fréquentation touristique en octobre et novembre. La tarification à l'activité oblige à être très attentifs à la qualité des soins dispensés au service des urgences, et nous avons insisté sur la nécessité d'une réflexion sur les processus et l'organisation. Nous avons analysé le flux de patients et leurs parcours pour mettre au point une organisation très stricte, qui sera encore améliorée dans le nouveau bâtiment. Les urgences pédiatriques et psychiatriques restent une des bases des services d'urgence.

M. Michel Perrot : La tarification à l'activité a mis en évidence des phénomènes déjà connus. Ainsi, l'hôpital d'Auxerre a un service de médecine qui est l'un des grands gagnants de la T2A. C'est heureux, car cela permet de compenser les services qui y perdent mais, quand on se penche sur l'organisation de ce service, on constate que le médecin-chef, dont on savait qu'il n'aime que les activités programmées, n'admet pas les urgences. Il y a donc un hiatus : parce qu'elles désorganisent les services, les urgences contredisent l'objectif de rentabilité absolue, mais elles doivent être prises en charge.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous idée d'autres exemples d'effets pervers pouvant découler de l'application de la tarification à l'activité ?

M. Serge Bernard : Le secteur privé s'oriente vers l'ambulatoire ; ce qui oblige le secteur public à prendre des dispositions particulières. Le plus grand risque est celui-là : que les patients atteints de pathologies graves soient orientés vers l'hôpital public et les autres vers le secteur privé. Mais si c'est le prix à payer pour assurer la qualité des soins, je m'y résoudrai sans état d'âme.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quel a été l'impact de la tarification à l'activité sur les achats ?

M. Michel Perrot : Tous les achats sont regroupés au niveau régional et se font sur appels d'offres. La question est donc sans objet pour l'hôpital d'Auxerre.

M. Serge Bernard : Pour l'hôpital d'Annecy, la création d'une direction des achats et la mise au point de procédures tenant compte des nouvelles dispositions du code des marchés publics ont conduit à une économie de 20 %. Cependant, nous ne connaissons pas les bases d'achat du secteur privé et il est probable que sa réactivité, sans doute meilleure, nous prive de quelques occasions.

Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud : Pour l'hôpital de Saint-Malo, la tarification à l'activité a été sans effet sur les achats, qui sont également regroupés à l'échelon régional.

S'agissant des éventuels effets pervers de la tarification à l'activité, je constate que le PMSI est un outil de classification qui ne prend pas en considération l'environnement familial et socio-économique des patients. Il en résulte que le secteur privé, anticipant une perte de recettes potentielle, et parce qu'il peut sélectionner sa clientèle, ne recevra pas les patients dont il subodore que le retour à domicile sera difficile, sachant que ces malades occuperont un lit plus longtemps. On ressentait déjà cela dans l'ancien système, mais le phénomène risque de s'aggraver. Le facteur « environnement familial et social » doit être introduit dans le PMSI. Qu'une personne âgée se casse le col du fémur et que sa famille l'entoure, soit prête à s'occuper des suites, c'est une chose, mais s'il en va autrement, elle restera dans le service jusqu'à ce que l'on trouve une structure de soins de suite. Or, on sait que les structures d'aval font défaut.

M. Pierre Morange, coprésident : Est-ce ce qui pousse au développement de la chirurgie ambulatoire ?

M. Michel Perrot : La tarification à l'activité nous impose de développer la chirurgie ambulatoire - à laquelle la dotation globale n'incitait aucunement - pour des raisons qui vont au-delà la prise en compte de la population en situation précaire. Il s'agit de revoir les habitudes de gestion des blocs et l'organisation générale des services.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Parviendrez-vous sans difficulté à passer à l'EPRD cette année ?

M. Serge Bernard : La première difficulté est le mois de retard de la publication de la circulaire budgétaire, mais on progresse puisque l'an dernier, le retard était de deux mois ! Sur le fond, l'exercice sera assez délicat car l'année 2006 sera celle où se conjugueront les effets significatifs de la tarification à l'activité et des éléments de gestion traditionnelle. L'année 2007 devrait être plus sereine, si l'on a réglé d'ici là la question des reports de charges.

M. Michel Perrot : Mon seul souci est celui de l'augmentation des ressources. Les délais sont de peu d'importance.

Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud : L'élaboration d'un EPRD n'est pas un problème en soi. Ce qui est gênant, c'est que la période intermédiaire est complexe car la coexistence des deux systèmes rend les choses peu compréhensibles. De plus, on risque d'imputer à la tarification à l'activité les difficultés budgétaires que créeront les allocations annoncées. Là est le problème de fond.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Dans leur rapport conjoint sur le pilotage des dépenses hospitalières de juillet 2005, l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection des finances décrivent la réforme comme complexe et peu transparente. Avez-vous des suggestions de simplification et d'amélioration ?

M. Serge Bernard : La fonction financière devra se muscler, et particulièrement le contrôle de gestion. Or, les contrôleurs de gestion sont peu nombreux, et le traitement que peut leur offrir la fonction publique hospitalière est dissuasif. Toutefois, une dynamique objective s'est créée au sein des établissements, qui suscite un désir de plus grande transparence. Ce changement de mentalité incite à l'optimisme à long terme.

M. Michel Perrot : Le mélange des objectifs complique une réforme qui pourrait être plus simple. Pourquoi viser déjà la convergence tarifaire avec le secteur privé ? Parvenir à la convergence entre établissements publics serait déjà bien. Il n'est pas bon de poursuivre deux lièvres à la fois. Cela aura pour conséquence que l'on imputera à la tarification à l'activité des difficultés qui n'ont rien à voir avec cette réforme.

M. Serge Bernard : La réforme dans la réforme qu'a été l'obligation de coder montre que les établissements peuvent s'accommoder de ces télescopages, et l'on en est déjà à la version 10 de la classification.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : À ce sujet, qu'en est-il du contrôle du codage ? Les relations avec la tutelle se sont-elles modifiées ? Comment la réforme s'articule-telle avec les schémas régionaux d'organisation des soins de troisième génération ?

M. Serge Bernard : Les contrôles sont attendus et normaux, et les établissements ont tout à y gagner. Ceux des chambres régionales des comptes auront lieu au courant de l'année.

M. Michel Perrot : Il y a quand même, dans les SROS 3, une contradiction, puisqu'on prévoit le maintien d'activités dans certains établissements dont on sait pertinemment qu'ils ne seront pas rentables en T2A. Aucune réponse n'a été prévue sur ce point.

Mme Claude-Anne Doussot-Laynaud : La tarification à l'activité est en soi un bon principe, mais elle se télescope avec d'autres réformes qui la rendent moins lisible, surtout dans cette phase de transition, ainsi qu'avec les objectifs quantifiés qui reposent sur un autre raisonnement. On risque ainsi de faire peser sur elle des choses qui n'en relèvent pas directement.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Je vous remercie. Au cas où vous auriez des éléments supplémentaires à nous apporter ou si vous ressentiez quelque frustration à l'issue de cette audition, n'hésitez pas à nous faire parvenir une note complémentaire.

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