COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 18

Jeudi 18 mai 2006
(Séance de 9 h 30)

12/03/95

Présidence de Mme Paulette Guinchard et M. Pierre Morange, coprésidents

SOMMAIRE

 

pages

Auditions sur la tarification à l'activité dans les établissements de santé :

 

- M. Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), M. Yves Gaubert, responsable des budgets-finances à la FHF, et M. le docteur Bernard Garrigues

2

- M. le docteur Roger Ken Danis, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

11

- M. Yves-Jean Dupuis, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif (FEHAP), et M. Jérôme Antonini, directeur du secteur sanitaire de la FEHAP

16

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu M. Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), accompagné  de M. Yves Gaubert, responsable des budgets-finances à la FHF, et du docteur Bernard Garrigues.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France, ainsi que M. Yves Gaubert, responsable des budgets et des finances de la FHF, et le docteur Bernard Garrigues.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue, et donne tout de suite la parole à notre rapporteur afin qu'il vous pose une première série de questions.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Nous en sommes à peu près à la moitié de nos auditions consacrées à la tarification à l'activité, et les avis sont passablement différents selon les personnes que nous rencontrons. Nous voudrions donc connaître le sentiment de la FHF, et savoir si celle-ci a été associée à la mise en place de la tarification à l'activité (T2A).

M. Gérard Vincent : Notre président, M. Claude Évin, étant député, il a souhaité, afin de ne pas être juge et partie, que je présente moi-même les positions de la FHF. Je voudrais en outre préciser que le docteur Garrigues, qui préside la commission médicale du centre hospitalier d'Aix-en-Provence, est également président du collège des responsables des départements d'information médicale, et apporte à ce titre à la FHF ses compétences en matière de systèmes d'information médico-hospitaliers.

C'est probablement la FHF qui a relancé, il y a sept ans, le débat sur ce qu'on appelait alors la tarification à la pathologie. Je me souviens de discussions, entre son président de l'époque, M. Gérard Larcher, et M. Claude Évin avant un conseil d'administration, devant lequel ils ont décidé ensemble de porter le sujet. M. Claude Évin, lorsqu'il était ministre, avait fait inscrire le principe dans la loi de 1991, mais son application est restée en sommeil pour différentes raisons, sur lesquelles je ne m'étendrai pas. C'est donc la FHF qui a ressorti le débat des limbes, et même si je suis assez critique, je continue de penser que la T2A est un bien meilleur système que l'ancienne dotation globale hospitalière.

La T2A visait, dans un contexte économique assez tendu, à impulser une nouvelle dynamique, dans une logique de redynamisation des hôpitaux. Lorsque j'explique cela aux personnels hospitaliers, j'utilise volontiers la métaphore de la « pelote de laine » : on tire sur un fil, et tout vient. La T2A n'est pas seulement une réforme du financement, mais appelle, à terme, une refonte en profondeur du fonctionnement et de l'organisation des hôpitaux. En tirant un premier fil, on aboutit à la mise en place d'une comptabilité analytique et à la pratique du benchmarking, c'est-à-dire au fait de se comparer à la fois à soi-même - au fil du temps - et aux autres. Et sans doute un jour débouchera-t-on sur les problèmes statutaires - sans remise en cause, bien sûr, du service public, auquel nous sommes tous attachés.

Lorsque la T2A a été mise en place, le seul désaccord fondamental entre la FHF et les pouvoirs publics tenait à la convergence entre le public et le privé. Je crois qu'on a voulu trop en faire en même temps, et que cette question a complètement pollué le dossier, faute d'avoir su définir les missions spécifiques au service public, et qui le différencient du privé commercial. Le dossier de la T2A est gravement mis à mal par le principe de la convergence, sur lequel on a insisté pour diverses raisons, et qui aura plutôt pour effet de bloquer les choses que de les faire progresser. Deux ans après la mise en place de la T2A, d'ailleurs, la réforme n'est pas perçue comme positive par le milieu hospitalier, même si la FHF considère toujours, je le répète, qu'il s'agit d'une bonne réforme, en dépit de ses difficultés de mise en œuvre.

Cette réforme arrive, il est vrai, à un mauvais moment, où l'hôpital souffre d'une insuffisance globale de financement, que le monde hospitalier, public et privé, gestionnaires et médecins confondus, met sur le compte de la T2A, alors que celle-ci est neutre quant au montant global des ressources. Il y a une enveloppe nationale, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) hospitalier, votée par le Parlement ; elle est, depuis deux ou trois ans, nettement insuffisante, du moins en début d'exercice, mais des rallonges permettent de tenir bon. Je précise au passage que nos prévisions budgétaires n'ont jamais été démenties par la réalité. Ainsi, l'an dernier, nous avions estimé que les dépenses hospitalières, à moyens constants, c'est-à-dire sans création d'emplois, progresseraient de 5 %, et c'est bien ce qui s'est passé, quoi qu'on nous en ait dit - et qui va sans doute se reproduire cette année. La raison en est que les mesures qui auraient permis de tenir l'objectif de progression de 3,44 % fixé par les pouvoirs publics, n'ont pas été prises. Par « mesures », j'entends évidemment les compressions d'effectifs : le ministre a beau dire qu'on ne touchera pas à l'emploi et qu'on fera des économies sur les achats, il sait bien que cela ne suffit pas.

La T2A risque également d'être mise à mal parce qu'elle est potentiellement très inflationniste, toujours faute de prendre les mesures qui permettraient de rester dans l'enveloppe. Les établissements qui gagnent au nouveau système dépenseront l'argent qu'ils auront en plus, et ceux qui doivent rendre de l'argent ne le pourront pas, si bien que cela se traduira par des dépenses supplémentaires pour l'assurance maladie.

Nous avons essayé d'évaluer l'impact budgétaire des baisses de tarifs de 1 % décidées uniformément pour le public et le privé par le Gouvernement pour tenir compte du dépassement observé en 2005 - ce qui, au demeurant, est bien dans la logique de la T2A. Sur la base de l'activité 2004 et des tarifs 2006, le chiffre d'affaires des hôpitaux publics baissera de 1,9 % pour la partie tarifée - et de 1,6 % seulement si l'on prend pour référence l'activité 2005. C'est plus difficile à calculer pour les cliniques commerciales, car il faut réintégrer les honoraires, qui viennent en sus des tarifs ; nous sommes en train de nous y efforcer, et avons d'ailleurs des relations franches et loyales avec la Fédération de l'hospitalisation privée, qui sait très bien que nous n'avons pas un couteau entre les dents et que nous sommes respectueux de l'attachement des Français à un système hospitalier pluraliste.

L'hypothèse du Gouvernement est que l'activité progressera de 2,6 % en 2006, et que cela permettra aux hôpitaux de s'y retrouver. Mais cela n'a rien de certain : nous avons bien enregistré une hausse de 3 % de l'activité en 2005, mais elle est surtout due à un effet codage, qu'on ne retrouvera sans doute pas cette année. Si toutefois l'activité progressait effectivement de 2,6 %, cela atténuerait beaucoup l'impasse budgétaire. Pour autant, on resterait très loin de l'augmentation des ressources qui serait nécessaire pour simplement maintenir l'existant.

Je souligne que, depuis plusieurs années, la FHF ne demande pas de moyens supplémentaires, y compris en personnel, car elle est consciente de la situation de l'assurance maladie et de ses effets sur les grands équilibres, notamment dans le contexte européen. Nous prenons le soin de vérifier nos prévisions budgétaires avec la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) et avec les services du ministère des finances : jamais elles n'ont été démenties, ni par ceux-ci ni par celle-là, et les chiffres que nous annonçons ne comportent jamais d'augmentation des effectifs, ce que certains nous reprochent d'ailleurs, les hôpitaux étant, selon les sondages, le seul secteur où les gens veulent qu'il y ait plus de fonctionnaires et non pas moins.

On a dit que la partie « gestion » de la T2A manquait de lisibilité. La régulation prix-volume est appliquée uniformément et aveuglément à tous les groupes homogènes de séjours, ce qui est regrettable. Quand l'activité chirurgie progresse, il est normal de baisser les tarifs de chirurgie, publique et privée, mais pas ceux de médecine ni de gynécologie-obstétrique.

Tout cela, plus les modifications sensibles, d'une année sur l'autre, des tarifs et des montants supplémentaires qui s'y ajoutent, et la modification des règles de facturation, interdit toute gestion prévisionnelle. Les gestionnaires hospitaliers, et j'entends par là aussi le corps médical, à travers la commission médicale d'établissement (CME), gèrent pendant toute une partie de l'année avec des ressources incertaines. Imaginons un hôpital insuffisamment productif, qui devrait prendre des mesures dès le début de l'exercice pour « réduire la voilure » : ses gestionnaires, qui ne connaissent pas le montant de leurs recettes et espèrent toujours obtenir une rallonge, auront tendance à attendre, car s'ils compriment les effectifs en début d'année et reçoivent en cours d'année des enveloppes qui leur auraient permis de l'éviter, de quoi auront-ils l'air ? Même aujourd'hui, à la mi-mai, un hôpital ne sait pas de combien il aura finalement disposé en fin d'exercice.

M. Pierre Morange, coprésident : Pour les uns, la montée en puissance de la T2A est trop rapide, mais pour d'autres, et non des moindres, comme le président de la Conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires (CHRU) ou comme certains responsables d'agence régionale de l'hospitalisation (ARH), il faudrait justement accélérer pour sortir de cette situation d'incertitude.

M. Gérard Vincent : C'est un débat que nous avons tous les jours au sein de la FHF. Ceux qui savent que la T2A va leur rapporter de l'argent parce que, soit du fait de leur bonne gestion, soit pour des raisons historiques, ils ont des coûts inférieurs aux tarifs - ce qui est le cas, grosso modo, de la moitié des établissements - ont intérêt à une montée en charge très rapide, et ils dépenseront cet argent supplémentaire. Inversement, ceux dont les coûts sont supérieurs aux tarifs, et qui constituent l'autre moitié des établissements, devront alors rendre des moyens beaucoup plus vite, et supprimer des emplois, non pas en licenciant, bien sûr, mais en profitant du turnover, très élevé, des personnels pour ne pas remplacer tous les départs. Or, ils ne le pourront pas, notamment pour des raisons politiques : les maires de grandes villes, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition, le leur interdisent, ce que l'on peut comprendre, étant donné la situation de l'emploi. Faute, donc, de pouvoir faire les économies nécessaires pour tenir dans l'enveloppe globale, le système sera inflationniste. Je comprends ceux qui veulent aller vite, mais il faut aussi comprendre les autres. Si l'on demande un effort trop brutal à certains établissements, on court à la catastrophe. Nous sommes donc plutôt pour une montée en charge progressive que pour une accélération que personne ne serait capable de gérer.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel serait donc, selon vous, le calendrier le plus approprié ?

Par ailleurs, vos propos recoupent notre réflexion sur la globalisation de l'offre sanitaire. Nous préconisons en effet, dans notre rapport sur le financement des établissements d'hébergement des personnes âgées, de décloisonner l'offre sanitaire et médico-sociale dans le cadre des schémas régionaux de l'organisation sanitaire de troisième génération (SROS 3), et de mener une politique de reconversion permettant à la fois de répondre aux besoins de la population et de sortir du débat social sur les compressions de personnel.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : J'ai une question complémentaire : dispose-t-on d'une carte géographique des établissements hospitaliers dont les coûts sont au-dessus et au-dessous des tarifs ?

M. Pierre Morange, coprésident : C'est une question importante, en effet, du point de vue de l'aménagement du territoire. Je voudrais également savoir le degré de précision de votre estimation lorsque vous dites que la moitié des établissements ont des coûts au-dessous et l'autre moitié au-dessus des tarifs.

M. Gérard Vincent : Contrairement à ce que l'on pense, les petits établissements ne sont pas les plus coûteux, et ce n'est pas là que l'on fera d'importantes économies. On les réalisera dans les gros établissements, par des efforts de réorganisation, et non pas en fermant la maternité ou le service de chirurgie de telle ou telle petite ville. Certes, il faut continuer à se battre pour améliorer la qualité des petits établissements, mais si on le fait dans le seul but de trouver de l'argent, on fait fausse route.

Peut-on dire quels hôpitaux seront « gagnants » et quels hôpitaux seront « perdants » ? Nous, oui, mais le ministère, peut-être pas...

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Pourrez-vous nous communiquer la carte des établissements ?

M. Gérard Vincent : Le Parlement a tous les droits - si mon président en est d'accord, naturellement... Nous avons fait des simulations qui nous ont permis de donner à la directrice de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) une évaluation, pour chacun de ses établissements. Pour prendre des décisions de gestion, il faut en effet disposer de ce type d'informations, qui seules permettent de faire du benchmarking. Nous avions autrefois un indicateur synthétique assez commode, le point ISA (indice synthétique d'activité), qui pondérait les différentes pathologies les unes par rapport aux autres. Quand on comparait les établissements entre eux, on voyait ainsi lesquels étaient à la moyenne, lesquels étaient au-dessus et lesquels étaient au-dessous. C'est la même chose aujourd'hui. Les choses ont un peu bougé, mais pas tellement. Comme les tarifs ont été recalculés à partir de la moyenne, nous avons dit à l'époque de la mise en place de la T2A qu'il y avait à peu près une moitié d'établissements « gagnants » et une moitié d'établissements « perdants ».

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Mais ce prix moyen, qui est la moyenne des tarifs appliqués, n'est-il pas, finalement, le meilleur prix du meilleur soin ?

Nous sommes passés un peu trop rapidement sur la mise en place de la T2A, et nous aimerions avoir des éléments sur la part que vous y avez prise, sur les difficultés techniques, de recueil notamment, liées à l'informatique, dont la mission conjointe IGF-IGAS (inspection générale des finances-inspection générale des affaires sociales) a parlé, et qui expliquent peut-être les divergences d'opinion entre l'AP-HP, les CHU, les hôpitaux généraux, etc.

M. Gérard Vincent : Les tarifs fixés par arrêté ne sont pas des moyennes. Ils sont construits à partir d'une étude de coûts sur un échantillon d'établissements, supposé assez représentatif de l'ensemble. Pour dire aujourd'hui, objectivement, si tel établissement a des coûts supérieurs aux tarifs encaissés, il faudrait disposer d'une comptabilité analytique. Or, une des grandes faiblesses de l'hôpital est justement l'absence de comptabilité analytique, due au fait que, pendant longtemps, aucun établissement n'a  trouvé intérêt  à  en  développer une - hormis certaines exceptions, comme l'hôpital de l'Hôtel Dieu, à l'époque où j'y étais. Mais maintenant, cet intérêt existe, car pour piloter un établissement, il faut pouvoir comparer ses propres coûts aux tarifs.

Quant aux difficultés techniques rencontrées, la question est délicate, et je laisserai la parole à mes collaborateurs, qui ont suivi le dossier de façon plus précise et concrète.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Y a-t-il des progrès dans la mise en place d'une comptabilité analytique ? Quand sera-t-elle opérationnelle ?

M. Pierre Morange, coprésident : Et quel serait, selon vous, le calendrier idéal de montée en puissance, par rapport à celui que la représentation nationale avait prévu, soit un taux de 50 % en 2008 ?

M. Gérard Vincent : Cela dépendra de notre capacité collective à gérer les redéploiements. Les « perdants » vont devoir - et il n'est pas sérieux de prétendre le contraire - rendre des effectifs, ce qui n'est d'ailleurs pas choquant en soi, car il n'y a pas de raison pour que certains établissements aient beaucoup plus de moyens en personnel que d'autres. Nous nous battons pour que l'hôpital public garde ses moyens parce qu'il n'est pas globalement surdoté : quand on interroge les gens, qu'il s'agisse des patients, de leurs familles, des médecins, des syndicats, des personnels, ils disent tous que l'on manque d'effectifs. Mais pour en ajouter ici, il faudra en retirer là, sans quoi le système sera éminemment inflationniste. C'est donc de notre capacité à gérer l'évolution des effectifs dans les établissements qui devront rendre des moyens que dépend la réponse à votre question. Mais sans doute souhaitiez-vous une réponse plus précise...

M. Pierre Morange, coprésident : En effet ! Plutôt que de parler de « gagnants » et de « perdants », je trouve plus approprié de raisonner en termes de redéploiements et de reconversions, ce qui permettrait en outre d'apporter une réponse concrète à des souffrances et à des besoins qui, compte tenu de la démographie, sont réels. Il faut savoir que le coût journalier d'un lit hospitalier est huit fois celui d'un lit en unité de soins de longue durée. Nous avons enfin lu avec une grande attention l'article de notre collègue Claude Évin, président de la FHF, qui souligne le caractère hautement positif du plan Hôpital 2007, lequel a permis de corriger l'insuffisance historique de l'investissement hospitalier.

M. Gérard Vincent : C'est vrai, mais s'il y a eu un plan de relance de l'investissement, c'est parce que les hôpitaux, soumis à des tensions budgétaires, avaient dû puiser dans leurs réserves d'autofinancement. Or, le phénomène risque de se reproduire. Peut-être l'exercice en cours se terminera-t-il sans trop d'encombre, car si l'impasse budgétaire a été estimée à un milliard d'euros, certains établissements ont des réserves. Ils pourront y puiser pour financer d'éventuels déficits, ainsi que la réglementation l'autorise, mais les réserves, c'est aussi ce qui permet d'investir. Le risque existe donc d'assécher l'autofinancement, et donc l'investissement hospitalier.

Nous nous sommes demandé si le ministre, conscient de ce risque, n'était pas en train d'anticiper cette baisse de l'autofinancement en préparant d'ores et déjà un nouveau plan « Hôpital 2012 ». Il nous a répondu que non, qu'il avait d'autres priorités, notamment les systèmes d'information, pour lesquels il y a un retard à combler. Le risque est donc que, cette année, l'impasse se trouve réduite par rapport à ce qu'elle aurait été sans ponction sur les réserves d'autofinancement, mais que la capacité d'investissement soit mise à mal. Ce n'est pas un problème lié directement à la T2A, mais à l'insuffisance de financement.

Pour en revenir à la question du calendrier, l'objectif d'atteindre 50 % en 2008 nous paraît raisonnable. Nous avions applaudi lorsque le ministre avait fixé le taux à 35 % pour 2006 ; nous avions même envisagé 40 %, mais le ministre a décidé de s'en tenir à 35 %. Nous souhaiterions que la montée en puissance soit aussi rapide que possible, mais cela pourrait compromettre l'équilibre budgétaire des hôpitaux. Si l'on était certain que les établissements qui doivent rendre de l'argent pourront le faire, il faudrait évidemment aller plus vite, car la lenteur de la montée en puissance handicape l'hôpital public. Mais faute d'en avoir la certitude, il ne serait pas responsable d'accélérer.

M. Jean-Luc Préel : À quel pourcentage êtes-vous d'avis de fixer l'objectif final ? Êtes-vous prêts à aller jusqu'à 100 % ? Combien réservez-vous pour les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) ?

M. Gérard Vincent : Quand on dit 50 %, cela veut dire 50 % de ce qui est tarifable.

Pour en revenir à la montée en charge, nous avons une position responsable, mais nous avons accueilli assez favorablement la décision du ministre de porter la T2A à 100 % pour l'hospitalisation à domicile, ainsi que son annonce, faite à Hôpital Expo, qu'il en sera de même l'an prochain pour la chirurgie ambulatoire. La tarification est un moyen puissant pour faire évoluer un système, et la chirurgie publique - mais aussi privée - a tout à y gagner.

M. Yves Gaubert : Si l'on a pu évaluer, la première année, qui seraient les « gagnants » et les « perdants », c'est par comparaison des budgets globaux avec des recettes théoriques sur la base d'une une T2A à 100 %. On peut en principe refaire les calculs à partir du résidu du budget global, c'est-à-dire de la dotation annuelle complémentaire, mais il risque d'y avoir un différentiel par rapport à la situation initiale, dans la mesure où les évolutions attendues ont pu être corrigées par des mesures ministérielles. C'est important, car cela joue aussi sur le rôle d'amortisseur que devait jouer la montée en charge progressive. Théoriquement, en 2005, la T2A représentait 25 % et la dotation globale résiduelle 75 %. En 2006, elles représentent respectivement 35 % et 65 %. Il était initialement prévu que le taux de la dotation annuelle complémentaire soit égal au taux initial, multiplié par 65 %, et revalorisé dans les mêmes proportions que l'ONDAM, c'est-à-dire de 3,44 %. Mais en réalité, la dotation globale complémentaire diminue, de l'ordre de 0,7 %, à cause de l'effet amplificateur de certaines mesures techniques sur la partie activité, ainsi que de charges croisées qui ne sont pas réparties au prorata comme elles le devraient. Ainsi, les mesures nouvelles en matière de personnel pèsent, selon les informations officieuses que nous avons, à 65 % sur la partie tarifaire et à 35 % sur la dotation complémentaire, ce qui explique la baisse de cette dotation et fait apparaître un tarif plus élevé, dans les faits, que ce qu'il devrait être, favorisant les établissements qui développent de nouvelles activités. Mais ces effets ne sont pas tout à fait neutres non plus sur ces nouvelles activités, qui seront payées à 35 % cette année pour les établissements publics, rendant quasiment impossibles certains développements nécessaires, faute de financement complémentaire et de marge sur le reste des dotations. L'hôpital se trouve donc figé dans sa situation antérieure.

Un dernier point sur l'aspect tarifaire : certains éléments non spécifiques à l'activité sont intégrés dans les tarifs applicables. Il y a, dans l'échelle des coûts, la répartition de certaines charges d'ordre général, comme les gardes ou la permanence des soins, qui ne sont pas comprises dans les MIGAC, mais intégrées dans les tarifs et réparties au prorata de ceux-ci. Il en est de même des capacités que l'hôpital doit maintenir ouvertes, par exemple pour le cas où il y aurait une canicule ou une épidémie pendant l'été, et qui pèsent sur toute l'activité d'un établissement - et, partant, sur les tarifs.

Le docteur Garrigues va maintenant vous parler des systèmes d'information.

M. Bernard Garrigues : La mise en place de la T2A a constitué un vrai bouleversement. N'oublions pas que tous les établissements, publics et privés à but non lucratif, étaient financés par une dotation globale depuis vingt ans, ce qui n'incitait guère à mesurer l'activité ni à élaborer des indicateurs de suivi. Au total, la montée en charge s'accompagne d'un raccourcissement important des délais de production, s'accompagnant nécessairement d'une évolution qualitative du codage, vers une plus grande exhaustivité. Autrement dit, le recueil de tous ces éléments est une charge importante, à laquelle les établissements font face, mais avec un certain délai, car il est difficile de rompre avec vingt ans d'une organisation différente.

Les systèmes d'information ne se sont pas adaptés, au fil des ans, à cette évolution, et ce pour diverses raisons. La première est que l'intérêt pour agir n'existait pas. La seconde est sans doute la faiblesse du marché de l'édition de logiciels informatiques répondant aux exigences particulières des établissements. La T2A constituera une incitation à créer un tel marché.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Dans quel délai pourra-t-on mettre en place une comptabilité analytique ? Et avoir un recueil satisfaisant des données ?

M. Bernard Garrigues : Sur le premier point, ce n'est pas à moi de répondre. Sur le second, beaucoup de choses ont été faites, même si des problèmes subsistent. Donner un délai serait hasardeux, mais il faut sans doute compter deux ou trois ans encore pour que les adaptations se fassent. Quant à changer complètement le système d'information d'un très gros établissement, c'est très lourd et très compliqué.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Comment évaluer les MIGAC sans comptabilité analytique ?

M. Yves Gaubert : L'outil existe : c'est le retraitement comptable, qui est en usage depuis de nombreuses années, et qui a servi de base à l'élaboration des enveloppes initiales. Ce n'est pas une comptabilité extrêmement détaillée, mais elle suffit à identifier les missions d'intérêt général.

M. Gérard Vincent : C'est une comptabilité analytique partielle, portant sur certains éléments de coûts, mais sans aller jusqu'au bout de la logique de la comptabilité analytique.

M. Pierre-Louis Fagniez : J'ai bien compris que la FHF dénonce aujourd'hui les effets inflationnistes de la T2A, mais j'ai trouvé un peu paradoxal que vous disiez que le problème ne vient pas des petits hôpitaux, mais des gros, car la tendance générale est en effet à fermer les petits hôpitaux, et j'y vois quelque contradiction. Je connais de l'intérieur les problèmes des grands établissements, où l'arrivée de la T2A a provoqué, chez les médecins notamment, des mouvements divers. Un de ses grands intérêts est cependant l'organisation en pôles, dont on attend beaucoup pour faire les économies que seuls les grands hôpitaux, selon vous, peuvent faire. Quelle est votre position à ce sujet ?

Vous nous dites par ailleurs que la T2A ne permet plus de savoir combien on aura dans l'année, faute de savoir quel sera le volume de l'activité. Je n'ai pas bien compris ce que vous entendiez par « réduire la voilure », ni comment on peut, selon vous, résoudre le problème - à moins qu'il ne s'agisse d'une simple constatation du fait qu'il n'y a pas de solution ?

M. Jean-Luc Préel : Mon interprétation de la différence entre les 3,44 % et les 1,5 ou 2 % délégués aujourd'hui est qu'une partie a été mise en réserve pour fin 2006, et qu'une autre a servi à financer les reports de charge 2005. Dois-je comprendre que vous demandez que l'on délègue les 3,44 % aux hôpitaux ?

M. Gérard Vincent : Vous avez quasiment répondu à M. Pierre-Louis Fagniez... Dans la mesure où le ministre décide de ne répartir en début d'année qu'une partie de l'enveloppe, comment voulez-vous que le gestionnaire sache à quoi s'en tenir ? Il attend donc pour prendre une décision, y compris de compression d'effectifs, le cas échéant. Mais s'il attend octobre pour supprimer un poste, c'est trop tard, car cela ne fait économiser que trois mois de salaire.

M. Pierre-Louis Fagniez : Quel est votre souhait ?

M. Gérard Vincent : Que les établissements aient, le plus tôt possible, une bonne visibilité de leur enveloppe. Les choses se sont améliorées, et je ne jette pas la pierre à la DHOS, qui n'a pas la tâche facile, mais nous sommes dans notre rôle en disant que, pour gérer, il nous faut de la visibilité, et le plus tôt possible dans l'année. C'est élémentaire.

Le problème des petits établissements est que l'activité y est souvent faible, tandis que les gros compensent leurs moyens supplémentaires par une production - et donc une productivité - plus élevée. On ne réglera pas le problème en fermant les petits hôpitaux. Il ne s'agit d'ailleurs pas de les fermer, mais de les reconvertir, et nous y incitons nos adhérents. Pour vaincre les réticences culturelles, nous faisons actuellement, avec M. Claude Évin, président de la FHF, et les équipes responsables des finances et de l'offre de soins, un tour de France, afin de rencontrer les présidents de conseil d'administration, les présidents de commissions médicales d'établissement et les directeurs, pour les inciter à avoir une stratégie de groupe, pour leur dire que tout n'est pas perdu, qu'il y a des perspectives de développement, des parts de marché à conquérir dans le domaine du handicap, dans celui des personnes âgées. Nous leur montrons, cartes à l'appui, que les activités de médecine, de chirurgie et d'obstétrique (MCO) représentent, en pourcentage du nombre de lits de leur région, environ 15 %. Cela signifie qu'il y a une vie à côté de la médecine, de la chirurgie et de l'obstétrique, qui va dans le sens de l'intérêt général.

Je voudrais enfin dire quelque chose qui n'est pas facile, car j'ai connu de l'intérieur le fonctionnement du ministère, et je connais la difficulté de l'exercice. Je voudrais dire que nous avons assez mal vécu l'opacité dans laquelle nous avons été maintenus lors de la mise en place de la T2A. Il nous était très difficile d'obtenir des éléments, notamment sur les méthodes de travail, de calcul des tarifs. Le dossier est accaparé par deux ou trois personnes, on a l'impression que les autres hauts fonctionnaires ne le maîtrisent pas, et le manque de transparence fait planer un doute sur l'objectivité et l'impartialité de l'administration. Nous avons eu l'impression, par exemple, que certains changements brutaux de tarifs par rapport à ce qui avait été annoncé ont été décidés à la suite de tractations secrètes qui ne sont pas de bon aloi dans un dossier de cette nature. Les choses s'améliorent, mais il faut encore se battre pour obtenir des informations, ce qui n'est pas normal. La FHF n'est pas là pour embêter le ministère : elle veut, comme lui, que la T2A fonctionne.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : J'aurais voulu avoir votre sentiment sur la question des achats, et aussi sur celle des médicaments génériques, dont le ministre a dit, je crois, qu'ils représentaient 3,6 % des dépenses de médicaments dans les hôpitaux. Avez-vous des remarques à faire à ce sujet ?

Je voudrais également revenir sur la convergence public-privé, à laquelle votre dernière remarque semblait liée. Et sans doute pourrez-vous, sur tous les points que nous n'avons pas eu le temps de traiter, nous faire parvenir des notes complémentaires ?

M. Gérard Vincent : Le médicament constitue une part croissante des dépenses hospitalières. J'ai connu une époque où il en était un élément modérateur, mais il est passé, depuis quelques années, de 3 ou 3,5 % à 6,5 % de l'enveloppe budgétaire totale, du fait notamment des nouvelles molécules, qui sont testées en priorité à l'hôpital. Les prix, vous le savez, y sont libres, sauf ceux des médicaments rétrocédés. Les hôpitaux se sont donc organisés pour acheter aux meilleures conditions possibles : l'AP-HP, par exemple, obtient des prix très intéressants, les CHU ont fait de même, et les autres établissements s'organisent, avec notre encouragement. Or, alertés par des gens plus ou moins bien intentionnés, nous avons appris la semaine dernière - je n'ai malheureusement pas eu le temps d'en parler à M. Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé (CEPS), que j'ai croisé à Hôpital Expo le jour de la venue du ministre -, que l'on s'apprêterait à administrer totalement les prix des médicaments à l'hôpital. Ce serait très dangereux, car il n'y aurait alors plus aucune marge de négociation, les prix s'imposeraient à l'hôpital comme en ville. Il faudrait alors que les pouvoirs publics assument leur responsabilité. J'en parle sous toutes réserves, naturellement, mais le bruit est assez insistant pour que je me permette de le faire. Certes, cela nous ôterait un fardeau, mais cela ne nous satisferait guère, car nous ne sommes pas des gens qui fuient leurs responsabilités. On nous dit qu'il faut maîtriser les dépenses, mais 68 % de ces dépenses sont constitués par la masse salariale, et le coût croissant des molécules nouvelles, qui augmentent de 12 à 20 % par an, balaie toutes les économies que nous pouvons faire par ailleurs sur les achats et la logistique.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Et les génériques ? En outre, le prix du médicament à l'hôpital doit être moins élevé que dans les pharmacies d'officine, puisque vous l'achetez au prix que vous avez négocié.

M. Gérard Vincent : Certains laboratoires nous disent qu'ils ne peuvent plus faire de ristournes parce que le Comité économique des produits de santé leur a annoncé son intention de baisser au même niveau, dans ce cas, le prix pour la médecine de ville. Au total, l'hôpital sera perdant, puisqu'il peut actuellement obtenir des prix inférieurs en achetant des grandes masses.

M. Bernard Garrigues : Depuis longtemps, les hôpitaux et les pharmacies hospitalières, grâce à la liberté des prix, achètent les médicaments moins chers à molécule identique. De fait, l'augmentation du coût des médicaments à l'hôpital résulte de la hausse du prix des médicaments innovants issus des progrès du génie génétique.

Mme Jacqueline Fraysse : Pouvez-vous en dire plus sur la convergence ?

M. Pierre Morange, coprésident : Ce sera la dernière question.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Mais vous pourrez compléter votre réponse par une note supplémentaire...

M. Pierre Morange, coprésident : Nous serons, en outre, très attentifs à toute recommandation pragmatique que vous pourriez nous faire par écrit, et que nous aurons à cœur de défendre.

M. Gérard Vincent : La convergence, je l'ai dit dans mon propos liminaire, porte un mauvais coup à la T2A, car les personnels travaillant dans les hôpitaux publics ont l'impression qu'on sacrifie le service public. Je ne fais pas de procès au privé. Nous avons un système dualiste que les Français apprécient, et dont la diversité fait la force. La T2A ne doit pas avoir pour effet d'affaiblir le service public. Nous sommes le seul pays d'Europe où existe un secteur hospitalier commercial si développé : même dans des pays bien plus libéraux, comme les Pays-Bas, il n'y a que des établissements privés non lucratifs. Si la convergence consiste à spolier un système hospitalier qui, contrairement à ce que l'on dit, n'est pas en crise, dont l'activité ne baisse pas, qui évolue et dont les Français sont contents, s'il s'agit de donner plus d'argent à un secteur commercial qui en gagne déjà beaucoup, le système s'en trouvera affaibli dans son ensemble. Si, en revanche, la convergence veut dire que l'hôpital public doit être plus performant, plus efficient, et alignera progressivement ses prix sur le moins cher s'il est le plus efficient, vive la convergence. Mais si cela signifie prendre, par principe, de l'argent au public pour le donner au privé, accroître ses bénéfices et la rémunération du capital, je ne crois pas que ce soit conforme à l'intérêt de la santé publique. Je ne tiens pas là un discours politique : ce n'est pas une question de droite et de gauche. Notre pays a besoin d'un service public fort, qui reconquière, par exemple, des parts de marché en chirurgie, non pas pour embêter le privé, mais parce que si la chirurgie publique disparaît, c'est toute la chirurgie française qui périclitera. Il n'y a pas d'idée de vengeance, de rancœur ou d'agressivité de notre part. Nous voulons simplement qu'on ne fasse pas l'erreur de dire que le public est trop doté - car ce n'est pas globalement vrai - ou qu'il faut donner de l'argent au privé pour qu'il se développe au détriment du secteur public, car c'est notre système de santé tout entier qui serait affaibli.

M. Gérard Bapt : Avec l'autorisation de la présidence, car je ne suis pas membre de la MECSS, je voudrais poser une question : s'il y a convergence sans fongibilité, le Parlement décidant en fonction de données objectives l'évolution des enveloppes du privé et du public, cela serait-il plus acceptable par ce dernier ? Il n'est pas normal qu'il y ait de telles disparités entre établissements pour un même acte.

M. Gérard Vincent : Je partage ce point de vue. Le service public n'a pas vocation à être plus cher que le privé, mais à être meilleur et moins cher. Il a des valeurs et des missions que n'a pas le secteur commercial. Malheureusement, la notion d'enveloppe unique a beaucoup perturbé. Comme le dit souvent le président Claude Évin : quand il y a un pépin, l'hôpital est présent, et cela a un coût. Un service de pédiatrie est vide toute une partie de l'année, mais il faut bien que le personnel soit là le jour où survient une crise de bronchiolite. Il n'y a pas de service de pédiatrie dans les cliniques privées, et c'est normal, car ce n'est pas leur rôle. Sachons raison garder, n'attaquons pas les uns ou les autres, mais n'affaiblissons pas le service public, car tout le monde y perdrait, y compris les cliniques privées. Les présidents successifs de la FHP me l'ont toujours dit : ils n'ont pas intérêt à voir le service public s'affaiblir.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie de vos réponses, dont je retiens notamment que le secteur public a pour objectif d'être le meilleur et le moins cher.

*

* *

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu M. Roger Ken Danis, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

M. Pierre Morange, coprésident : Je souhaite la bienvenue à M. Roger Ken Danis, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP).

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Après que vous nous aurez présenté la Fédération de l'hospitalisation privée, nous souhaitons vous entendre exposer comment les établissements que vous représentez ont appliqué la tarification à l'activité (T2A), quels avantages vous en attendez et quelle appréciation vous portez sur la collecte des informations.

M. Roger Ken Danis : La Fédération de l'hospitalisation privée représente les 1 250 établissements privés français, dont 750 établissements de court séjour. Ils assurent ensemble un peu moins de la moitié des soins hospitaliers, mais 60 % des interventions chirurgicales. La tarification à l'activité s'est appliquée d'un seul coup à tous les établissements, pour l'ensemble de leurs activités, en mars 2005. Fut-ce une révolution ? Non, car de tout temps l'hospitalisation privée a facturé en fonction de son activité ; mais, avant mars 2005, cette facturation, opaque, ne permettait pas de distinguer précisément ce qui relevait du soin. Avons-nous éprouvé des difficultés ? Oui, car les articulations nécessaires n'ont pas toujours été parfaites et parce que les prestataires informatiques ont été prévenus au dernier moment. Ces difficultés sont maintenant derrière nous, et je persiste à dire que c'était une bonne réforme. Mais elle demeure inachevée.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Que pensez-vous du pilotage régional de la réforme ? Comment vos relations avec les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) s'établissent-elles ?

M. Roger Ken Danis : Les relations entre les établissements du secteur privé et les ARH sont globalement bonnes. L'installation des agences a constitué un progrès car leur directeurs d'ARH connaissent bien les établissements, et ce qui est au plus près du terrain est mieux à même de prendre des décisions éclairées. Mais depuis l'entrée en vigueur de la réforme, la tarification est pour l'essentiel fixée par le ministère de la santé et le pouvoir laissé aux directeurs d'adapter les tarifs selon les établissements est relativement faible. Leur intervention est bien plus forte pour ce qui est de la convergence entre établissements privés car la grille tarifaire nationale établie pour chaque groupe homogène de séjours (GHS) est assortie de coefficients de transition conçus pour éviter que la réforme ne se traduise par une catastrophe économique pour certains établissements. La loi prévoit que tous devront être parvenus au coefficient 1 en 2012. En mars 2005, nos établissements avaient donc sept ans pour réaliser l'effort de convergence nécessaire, effort qui a été engagé sans aucun retard. On ne peut en dire autant pour ce qui a trait à « l'autre » convergence.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quelle est votre opinion sur les différences tarifaires entre le secteur public et le secteur privé ? Que pensez-vous de l'évaluation des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) ?

M. Roger Ken Danis : C'est une grande victoire d'être parvenu à instituer la tarification à l'activité et d'aller de l'avant. Mais si les cliniques privées l'appliquent à 100 %, ce n'est pas le cas, loin s'en faut, pour les hôpitaux publics. Surtout, le secteur public ne s'est pas encore lancé dans la facturation par patient, prévue pour 2007 mais dont il semble, si l'on en croit les gazettes, qu'elle sera retardée, les systèmes informatiques n'étant pas prêts. Il faudra pourtant bien y venir.

On a présenté la tarification à l'activité comme un outil de gestion, ce qu'il est et n'est pas. On l'a aussi présenté comme un outil de mesure de la qualité, ce qu'il n'est sûrement pas. C'est avant tout un instrument qui permet une facturation transparente, selon un principe simple : un GHS est défini, et il a un tarif. Mais l'objectif, qui était de distinguer clairement les missions de soins des autres missions, n'est pas atteint à ce jour et, alors que la dépense hospitalière représente près de la moitié de la dépense globale d'assurance maladie, il est dommage que l'opacité dénoncée par la Cour des comptes persiste.

Le Parlement a voté un objectif de convergence qui n'est pas atteint, mais l'on abonde le Fonds MIGAC à hauteur d'un milliard. Sans doute est-ce justifié, mais l'on aimerait connaître l'affectation des ressources et en mesurer l'efficacité. L'obligation légale est qu'en 2012 le même soin soit facturé au même tarif où qu'il soit prodigué. Je sais que la chose est difficile et que cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais on pourrait imaginer d'appliquer des coefficients de transition aux hôpitaux publics comme on l'a fait pour les cliniques privées. Bien que la tarification à l'activité soit entrée en vigueur, l'opacité demeure pour l'affectation de 50 milliards d'euros. Sans esprit polémique, je considère que la démarche de clarification doit progresser, et il ne me semblerait pas anormal que le législateur ait son mot à dire. Le Parlement vote l'ONDAM et l'ONDAM hospitalier, mais ce sont les services du ministère de la santé et des solidarités qui décident l'enveloppe des MIGAC. Pourquoi ?

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la convergence tarifaire suggère la création d'un « sur-tarif » appliqué au secteur public pour compenser l'écart de coût du travail entre le public et le privé. Quel est votre avis à ce sujet ?

M. Roger Ken Danis : Il ne peut être très favorable ! Selon la DREES - direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de la santé et des solidarités -, les soins coûtent 80 % plus cher dans le secteur public que dans le secteur privé et la masse salariale représente 70 % des coûts à l'hôpital public et entre 51 et 55 % dans les cliniques privées. Certes, les salaires des médecins sont intégrés dans le premier cas et pas dans le second mais, même si l'on tient compte de cette donnée, une différence persiste.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous aimerions connaître la ventilation de la masse salariale dans vos établissements.

M. Roger Ken Danis : Quelle qu'elle soit, lorsque l'on compare la dotation faite au public et la dotation faite au privé, c'est après avoir réintégré les honoraires des médecins.

Dans un contexte de relative pénurie de personnel soignant, la différence des niveaux de salaire entre le secteur privé - qui emploie 120 000 personnes - et le secteur public crée un problème grave, les salariés du secteur hospitalier privé étant payés 15 % de moins que ceux du secteur hospitalier public. "Augmentez les salaires !", me direz-vous sans doute. Certes. Mais la rentabilité globale du secteur privé de la santé étant de 0,7 %, si l'on augmentait les salaires de 15 %, il n'y aurait plus de cliniques. Nous demandons donc la correction des distorsions qui pénalisent l'hôpital privé, alors même qu'il remplit sa mission en étant économe des deniers publics. Comment y parvient-il ? Grâce à un effort massif de restructuration, qui a porté, en sept ans, sur le quart de son parc et qui le rend beaucoup plus performant. L'hôpital public souffre de n'avoir pas accompli un effort semblable.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Comment accompagnez-vous la convergence entre les établissements privés ? Suggérez-vous des restructurations ? Avez-vous un rôle de conseil ?

M. Roger Ken Danis : Oui. Nous avons accompagné la réforme en favorisant les restructurations par des discussions avec les directeurs des ARH.

M. Pierre Morange, coprésident : L'application de la T2A dans les cliniques privées a-t-elle induit une sélection du risque par des redéploiements d'activités favorisant certains secteurs de soins au détriment d'autres ? Nul procès d'intention dans ma question, mais le sujet a été abordé très souvent devant nous. Par ailleurs, est-ce que, par méconnaissance ou volontairement, des anomalies se sont produites dans la codification des actes ? A-t-on constaté des surcotations, voire des multiplications d'actes ?

M. Roger Ken Danis : On parle beaucoup de surcotations, et l'assurance maladie a diligenté des contrôles qui me paraissent parfaitement normaux, puisqu'il s'agit de facturation déclarative. Indiscutablement, parce qu'un certain vide juridique subsistait, des établissements, publics et privés, ont pu facturer dans des GHS des actes de petite chirurgie qui, autrefois, étaient pratiqués gratuitement ou assumés par d'autres. Cet effet d'aubaine va prendre fin, puisque des négociations sont en cours avec le ministère, qui tendent à ce que ces actes soient faits et honorés par un tarif correct.

M. Pierre Morange, coprésident : Le phénomène était donc conjoncturel, et va se résorber. Mais quelle a été son ampleur ?

M. Roger Ken Danis : Les pourcentages cités devant moi - 1, 2, voire 3 % - n'ont aucune valeur scientifique, et cet épiphénomène ne doit pas entacher la tarification à l'activité qui, dans son principe, améliore la transparence. Quant aux très rares cas de surcotations frauduleuses, ils doivent être sanctionnés.

Je sais la grande crainte qui s'exprime : que les établissements choisissent de n'exercer que les activités rentables. Encore faudrait-il, pour commencer, qu'ils disposent d'une comptabilité analytique leur permettant de définir quelles sont les activités rentables. Or, ils ne s'en sont pas dotés, parce qu'ils n'ont pas cette idée-là, qui est irréaliste. La réputation d'un établissement de santé se fait sur un territoire, et si vous dites à vos médecins correspondants que vous ne prenez plus en charge une certaine pathologie, c'est toute leur clientèle qu'ils vous retireront. Les domaines dans lesquels, aujourd'hui comme hier, il peut y avoir une réflexion stratégique sont la médecine et la maternité, autrement dit un pan entier d'activité et non un GHS particulier, et si l'on veut favoriser la médecine interne dans le secteur privé, la tarification par GHS permet de le faire. Je ne pense donc pas qu'il faille garder en tête cet inconvénient supposé et à ce jour, je n'ai eu aucun écho que la stratégie redoutée par certains se soit traduite dans les faits.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Le rapport IGF-IGAS sur le pilotage des dépenses hospitalières parle du « sur-raffinement » de la tarification. Avez-vous des propositions de simplification à formuler ?

M. Roger Ken Danis : Par « GHS » on entend bien groupements « homogènes », et ils ne le sont pas parfaitement. Si l'on en vient à des groupements hétérogènes, tout le système s'écroule. Je ne sais que penser de la simplification dans ce domaine, mais je sais qu'il ne peut y avoir de tarification forfaitaire s'il n'y pas homogénéité.

Mme Jacqueline Fraysse : Dans le cadre de la nécessaire transparence que vous préconisez, pouvez-vous nous dire quelle est la part du secteur hospitalier privé détenue par les grands groupes tels que la Générale de santé ou Capio, qui dégagent une très forte rentabilité ?

M. Roger Ken Danis : La Générale de santé représente 13 % du système hospitalier privé, et la totalité des groupes représentent un peu moins de 20 % de l'ensemble des capacités privées de court séjour, pour l'ensemble du territoire. On assiste à l'émergence de petits groupes régionaux, le plus souvent propriétaires de trois à six établissements de taille humaine qui, selon moi, sont promis à un bel avenir.

Pour ce qui est de la rentabilité, il ne faut pas fantasmer. Le président de la FHP que je suis, qui représente l'ensemble des établissements, comprend que le directeur général de la Générale de santé puisse avoir tendance à enjoliver le trait, mais il ne faut pas s'en tenir à cela. Si des investisseurs s'intéressent au secteur de la santé, c'est bien davantage pour son avenir que pour sa rentabilité actuelle : ils savent que la population va augmenter et vieillir, que la technologie va progresser et que le marché ne se délocalisera, ni ne disparaîtra. Mais la rentabilité totale actuelle du secteur est de 0,7 %, et de 2,2 % pour la Générale de santé, contre 3,7 % pour l'ensemble des entreprises de prestation de services.

M. Jean-Luc Préel : Nous souhaitons que les recettes financent les soins de manière équilibrée, et c'est pourquoi nous sommes attachés à la convergence public-privé. Les cliniques privées sont passées à la tarification à l'activité à 100 % et s'en portent plutôt bien. Vous nous avez expliqué que la différence de coûts observée dans les deux secteurs tient à ce que les honoraires des médecins ne sont pas intégrés dans le coût du secteur privé, et aux différences de rémunération - et, à mon avis, de ratio - des personnels. Faut-il alors revenir sur la convention collective du secteur hospitalier privé ? Comment rémunérer les infirmières pour éviter les fuites du secteur privé ? Comment mieux séparer soins et MIGAC ? À quelles MIGAC souhaitez-vous participer davantage, qu'il s'agisse de la permanence des soins ou de la formation des chirurgiens, qui exercent en majorité dans le privé après avoir été formés par le public ? S'agissant de la sélection des patients par vos établissements, vous avez habilement répondu à la question de notre président mais, dans la pratique, on constate que les cliniques privées ont tendance à se spécialiser et, ce faisant, à abandonner la gynécologie et l'obstétrique au bénéfice de la chirurgie. On déduit de votre réponse que les GHS, en médecine, sont mal rémunérés, ce qui expliquerait de façon inhabituelle la différence de tarification entre secteur public et secteur privé.

M. Roger Ken Danis : Les tarifs de maternité sont tels que seuls les établissements qui ont une très grosse activité chirurgicale par ailleurs peuvent tenir, et c'est en conséquence de décisions prises par les tribunaux de commerce que les cliniques privées ont perdu entre 5 et 6 points de distribution dans la maternité. Nous le regrettons profondément et nous voulons regagner des points dans ce secteur - d'ailleurs, les ARH nous le demandent. La situation actuelle ne résulte pas d'un choix assumé, mais d'une aberration de la tarification. Il en va de même pour la médecine car les tarifs des GHS ne sont pas fondés sur le coût économique, mais sur les tarifs qui étaient en vigueur précédemment, si bien que ce n'est pas parce qu'un GHS est tarifé 100 qu'il a coûté 100 à l'établissement. Certains groupes de GHS, telle la réanimation médicale, sont très nettement sous-tarifés, si bien que les établissements qui auraient vocation à ouvrir de tels services ne peuvent pas le faire, car cela entraînerait des pertes considérables. De même, les honoraires, en médecine, sont inadaptés : comment attirer des internistes, si tout ce que l'on peut leur proposer est un C08 ? Ces anomalies ponctuelles de tarification doivent être corrigées.

S'agissant des rémunérations, nous avons proposé l'année dernière au ministre de la santé de reprendre ce que nous avions engagé avec Mme Elisabeth Guigou, avec qui nous avions signé un accord pluriannuel de comblement du différentiel salarial, qui n'a malheureusement été appliqué que pendant un an. Nous souhaitons le réactiver, la Fédération s'engageant à revaloriser la convention collective à concurrence de l'effort de l'État. Notre demande n'a pas été suivie d'effet pour l'instant, mais nous la réitérerons. Nous vous ferons parvenir notre plan d'évolution salariale dans ce cadre.

M. Gérard Bapt : Très bien.

M. Roger Ken Danis : L'hospitalisation privée souhaite participer à de plus nombreuses MIGAC, et la Fédération pousse les établissements à en assumer le plus possible. Lorsqu'on pratique 60 % des actes chirurgicaux dans un pays, on ne peut se limiter à fermer la caisse le vendredi soir en considérant que l'on en a assez fait. Je rappelle à cet égard que les établissements hospitaliers privés ont créé 120 centres d'urgences en moins de cinq ans. Par ailleurs, j'ai proposé au bureau des doyens que, par conventionnement avec les universités, certains services du secteur privé puissent recevoir des stagiaires d'internat en chirurgie, cardiologie et anesthésie. Ce serait une reconnaissance de la qualité des soins que nous prodiguons. Mais nous ne revendiquons nullement des fonctions d'enseignement théorique, qui ne sont pas de notre ressort.

La tarification à l'activité a été créée pour rendre transparente l'allocation des ressources, car on ne peut gérer ni, donc, améliorer, ce qui est opaque. La transparence est une obligation. Le Fonds MIGAC est justifié, puisque toutes les missions qui ne sont pas des GHS doivent être financées. Mais avant d'honorer ces missions il faut les décrire et non se contenter d'accroître leur financement d'une année à l'autre sans savoir pourquoi.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie. Nous vous invitons, comme tous ceux que nous recevons, à nous transmettre les propositions qui viendraient à compléter nos échanges.

*

* *

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu M. Yves-Jean Dupuis, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif (FEHAP), accompagné de M. Jérôme Antonini, directeur du secteur sanitaire de la FEHAP.

M. Pierre Morange, coprésident : M. Emmanuel Duret, président de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif, étant retenu à Bruxelles, je souhaite la bienvenue à M. Yves-Jean Dupuis, directeur général, et à M. Jérôme Antonini, directeur du secteur sanitaire de la FEHAP.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quel est le poids de votre Fédération dans le domaine de la santé en France ?

M. Yves-Jean Dupuis : La Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif regroupe environ 850 établissements dans le champ médecine, chirurgie, obstétrique (MCO), soit 14,5 % de l'ensemble des lits. La FEHAP constitue la principale composante des établissements privés à but non lucratif, secteur beaucoup moins représenté en France que dans les autres pays occidentaux. Notre présence diffère selon les activités : nos établissements représentent 10 % du court séjour mais 30 % en psychiatrie, quelque 40 % en soins de suite ou de réadaptation, plus de 40 % pour la dialyse et plus de 50 % pour l'hospitalisation à domicile. La Fédération rassemble des établissements de toutes tailles - le groupe hospitalier de Lille, l'Hôpital Foch de Suresnes, l'Hôpital Saint-Joseph ou l'Institut mutualiste Montsouris à Paris, et tant d'autres à Lyon, Marseille... La FEHAP regroupe en tout 2 900 établissements œuvrant dans le champ médico-social et social.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous été associés à la définition de la tarification à l'activité ? Un système de collecte des données satisfaisant a-t-il été créé dans vos établissements ?

M. Yves-Jean Dupuis : La FEHAP, qui souhaitait une tarification à l'activité, a été l'un des moteurs de la réforme, dont elle souhaite l'application rapide. Nous avons participé à la réflexion engagée au sein de l'Agence technique de l'information hospitalière (ATIH) et de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) sur la création de ce nouvel outil et nous étions favorables à ce qu'il soit expérimenté dans nos établissements. Mais la manière dont la réforme est entrée en vigueur nous a, sinon mécontentés, du moins surpris, qu'il s'agisse du manque de concertation et du retard pris ou de l'opacité de la construction des tarifs, qui a perturbé le fonctionnement de nos établissements et qui continue de le perturber. Nous aurions souhaité qu'une fois l'outil défini, on procède à des expérimentations donnant lieu à une analyse critique et aux corrections éventuellement nécessaires avant que le dispositif soit généralisé. Nous aurions aussi souhaité que, dans le même temps, un dispositif de contrôle soit créé. Ç'eût été d'autant plus nécessaire que nos systèmes d'information sont imparfaits, ce qui rend difficiles la mise en œuvre et le suivi de la réforme. D'ailleurs, lorsque le ministre nous a interrogés sur ce que devrait apporter le plan Hôpital 2007, nous avons insisté sur les investissements nécessaires en systèmes d'information.

Au sein de la FEHAP, certains établissements sont dans la phase de tarification à l'activité à 35 %, et soixante ont basculé en totalité vers la T2A en mars 2005, avec des coefficients de transition. Nous souhaitons que la réforme soit appliquée intégralement, le plus vite possible, dans tous les établissements, mais avec des réserves, en raison de problèmes spécifiques liés à notre statut, qui nous distingue aussi bien de l'hôpital public que du secteur privé à but lucratif. Ainsi, pour une même rémunération versée aux infirmières, nos charges salariales sont de 10 % supérieures à celles qui pèsent sur l'hôpital public ; par ailleurs, à la différence de ce qui se passe dans le secteur marchand, certains de nos médecins sont salariés. La convergence doit avoir lieu dans ces domaines aussi. Il faut donc commencer par estimer les coûts propres à notre secteur et, pour éviter que la convergence ne pénalise nos établissements, effacer les différences par l'application de coefficients de transition lors du passage à la T2A intégrale.

M. Pierre Morange, coprésident : Qu'entendez-vous par « le plus vite possible » ?

M. Yves-Jean Dupuis : Le ministre vient de donner mission à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de calculer le différentiel de charges entre les secteurs d'hospitalisation. Nous sommes favorables au basculement à 100 % avec l'application de coefficients de transition aussitôt ce calcul achevé, car le fonctionnement des établissements est beaucoup plus satisfaisant avec la tarification à l'activité qu'avec la dotation globale.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous êtes donc favorables à un basculement intégral d'ici deux ou trois ans ?

M. Yves-Jean Dupuis : Oui, si les réserves dites ont été levées.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quelle appréciation portez-vous sur le pilotage régional de la réforme ? Constatez-vous des différences de traitement régionales ? Quelles sont vos relations avec les directeurs des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) ? Considérez-vous, comme l'IGAS, que la tarification est « sur-raffinée » ?

M. Yves-Jean Dupuis : Les relations avec les directeurs des ARH sont globalement bonnes mais d'une part, l'égalité de traitement n'est pas toujours la règle, les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) n'étant pas toujours équitablement réparties entre les établissements publics et les nôtres. Ce problème doit donc être résolu. D'autre part, les relations diffèrent selon les régions, comme on l'a vu lors de la définition des schémas régionaux de l'organisation sanitaire de troisième génération (SROS 3) : nous avons parfois été consultés, mais en certains cas nous avons été, sinon écartés, du moins peu associés à la réflexion. Les relations sont donc satisfaisantes dans l'ensemble, mais il y a parfois des tensions régionales.

Quant à la tarification, je considère qu'elle devrait être affinée.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Pourriez-vous nous donner des exemples de groupes homogènes de séjours (GHS) qui seraient particulièrement sous-évalués ?

M. Yves-Jean Dupuis : Tout ce qui concerne la cardiologie interventionnelle et la chirurgie cardiaque. Certains établissements qui s'étaient engagés dans ces activités à la demande des pouvoirs publics, recrutant pour cela des médecins et installant des plateaux techniques, éprouvent avec la cotation actuelle des difficultés financières telles, qu'elles peuvent entraîner des licenciements, voire la fermeture des structures considérées.

M. Jérôme Antonini : Les actes techniques sont mieux cernés que les prestations intellectuelles, si bien que les GHS de médecine sont moins bien mesurés et valorisés que la chirurgie. Les mouvements parfois erratiques de la tarification, comme il s'en est produit pour la chirurgie cardiaque, créent des difficultés supplémentaires. Un service qui voit ses ressources brusquement diminuées de 9 % ne peut adapter ses dépenses aux recettes qui lui sont allouées. Les biais de la construction tarifaire conjugués au manque de lisibilité de la classification, qui empêche d'anticiper, ont des effets contraires à l'un des objectifs visés, puisque ces incertitudes conduisent les établissements à diversifier les risques, alors que, par la tarification à l'activité, on souhaite les inciter à développer les activités dans lesquelles ils excellent.

M. Pierre Morange, coprésident : La tarification à l'activité peut-elle conduire des établissements qui perdent à la réforme, à favoriser des reconversions de personnel qui permettraient de développer la prise en charge de la dépendance et les traitements en ambulatoire ?

M. Yves-Jean Dupuis : La tarification à l'activité aura bien sûr des conséquences financières pour nos établissements selon qu'ils sont actuellement sous-dotés ou surdotés, l'objectif étant dans tous les cas qu'en fin d'exercice les comptes soient équilibrés. Une série de restructurations est en cours. À Paris, par exemple, trois établissements se regroupent pour faire des économies d'échelle.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Ce mouvement n'aurait pas eu lieu sans la T2A ?

M. Yves-Jean Dupuis : Si, mais elle l'accélère.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle est l'ampleur des économies d'échelle attendues ?

M. Yves-Jean Dupuis : Il s'agit pour commencer de résorber des déficits qui sont de l'ordre de 5 % du budget, et pour cela de mettre les activités en commun en recherchant la complémentarité plutôt que la concurrence. Le même mouvement se dessine à Metz, où trois cliniques prévoient de mettre leurs moyens en commun - plateaux techniques ou gestion de la restauration et du linge -, mais aussi à Marseille, au nord de Paris et ailleurs. Par ailleurs, nos établissements souhaitent effectivement passer du court séjour à l'hospitalisation à domicile, offrir des structures alternatives à l'hospitalisation et privilégier le maintien à domicile.

M. Pierre Morange, coprésident : Selon vous, quelle marge de manœuvre raisonnable les établissements peuvent-ils escompter en matière de ressources humaines pour procéder à ces redéploiements ?

M. Yves-Jean Dupuis : Je suis incapable de l'estimer. Les moyens dont nous disposons doivent servir à mieux répondre, à coûts constants, aux besoins de la population. Or, dans les établissements de court séjour, on trouve aujourd'hui des personnes qui relèvent de structures de gériatrie et nous n'avons pas toujours de moyens à redéployer pour couvrir ces besoins. Aussi, plutôt que de parler d'économies potentielles sur le système de soins, voyons comment, par redéploiements, nous pourrons répondre aux besoins auxquels nous sommes actuellement incapables de faire face.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel pourcentage de reconversions possibles, même s'il n'est qu'approximatif, vous semble le plus plausible ? 5 %, 10 %, 15 % ? Selon nos interlocuteurs, les proportions citées varient de 5 à 18 %.

M. Yves-Jean Dupuis : Disons de 5 à 18 %, mais je n'en suis pas sûr. D'ailleurs, aucun économiste de la santé ne peut déterminer précisément les économies potentielles ou les moyens que l'on peut redéployer, d'une part parce que les systèmes d'information ne permettent pas de mesurer exactement le coût des dysfonctionnements, d'autre part parce qu'on n'a pas défini jusqu'à quel degré d'utilité on est capable de dépenser les moyens.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce qui nous ramène effectivement à des questions d'ordre déontologique et aux valeurs que se donne une société.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous modifié votre politique d'achats en général, et celle des médicaments et des dispositifs médicaux implantables (DMI) en particulier ?

M. Yves-Jean Dupuis : Nous avions de longue date incité les établissements à se rapprocher des hôpitaux publics ou d'autres établissements de la FEHAP pour optimiser les achats, mais ils n'y ont jamais été contraints. S'agissant particulièrement des médicaments, les relations avec les fournisseurs varient selon la taille des établissements et les types d'activité et, en fonction des prix qui leur sont faits, il n'est pas certain que tous les établissements, même si nous les y incitons, aient intérêt à se regrouper. Nous sommes favorables à l'intégration des médicaments onéreux et des dispositifs médicaux implantables dans les tarifs, à condition qu'il s'agisse d'une intégration raisonnée et que l'on ait eu le temps de procéder à des expérimentations permettant d'en mesurer l'impact.

M. Jérôme Antonini : Nous sommes favorables au principe de la convergence, mais la mesure d'impact de l'intégration des DMI dans les tarifs n'a pas été faite, et l'on n'a pas tenu compte de ce que les techniques chirurgicales sont très diverses. Ces loupés méthodologiques risquent de désenchanter ceux des professionnels qui étaient les plus chauds partisans de la réforme, laquelle leur paraissait plus équitable dans l'allocation des ressources et facteur d'une plus grande efficience du système de santé.

M. Yves-Jean Dupuis : Ainsi, en 2005, le ministre a demandé à l'ensemble des établissements d'économiser 10 % sur les achats. Cette demande a eu un impact catastrophique. Elle a été très mal ressentie dans nos établissements, qui avaient déjà réalisé les économies nécessaires et qui se sont trouvés devoir rogner sur l'essentiel. Dans ce domaine comme dans les autres, il faut tenir compte de ce qui avait déjà été fait.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La FEHAP est très présente dans les soins de suite ou de réadaptation (SSR) et en psychiatrie. Comment faire pour que l'extension de la tarification à l'activité à ces secteurs se passe bien ?

M. Yves-Jean Dupuis : En premier lieu, que les propositions transmises à la DHOS par nos commissions spécialisées soient prises en considération ! Nous souhaitons que l'application de la tarification à l'activité à ces secteurs soit plus réfléchie, que la réforme ne soit pas enclenchée sans que sa validité ait été testée dans les établissements. Nous demandons une année d'évaluation à blanc, qui permettra une analyse critique et les correctifs nécessaires avant la généralisation du dispositif.

M. Jérôme Antonini : Si l'on étend la tarification à l'activité à la psychiatrie et aux SSR, il faudra éviter de reproduire ce qui a été fait jusqu'à présent. En particulier, on ne peut construire un modèle tarifaire uniquement sur les actes techniques. Les soins de suite comprennent notamment des missions de réinsertion qui conduisent par exemple les professionnels à se rendre au domicile du patient pour voir comment le logement est adapté à son handicap. Toutes les missions de ce type doivent être reconnues et intégrées dans la tarification. Il faut d'autre part créer des référentiels solides permettant d'évaluer la qualité de la prise en charge professionnelle. Enfin, le financement devra sûrement être mixte, une part étant liée à l'activité, l'autre rémunérant les responsabilités liées à la sectorisation, puisqu'il faut assurer la continuité de la prise en charge psychiatrique.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous des suggestions particulières à formuler pour la rémunération des MIGAC et des missions d'enseignement, de recherche, de recours et d'innovation (MERRI) ?

M. Yves-Jean Dupuis : En psychiatrie, nous n'en sommes pas encore aux MERRI, car il faut trouver un outil de mesure, et toutes sortes de questions se posent qui n'ont pas trouvé de réponses à ce jour, si bien qu'il n'y a pas de points de vues réellement convergents. Nous sommes donc moins pressés pour la psychiatrie que pour les SSR.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Que retenez-vous de l'impact qu'a eu la tarification à l'activité dans les pays voisins ?

M. Yves-Jean Dupuis : Nous avons constaté que plusieurs phases se succèdent : la période de mise en place est suivie d'une dérive des coûts, puis un tassement se produit. Ce qui est préoccupant en France est l'absence d'instrument de mesure. Les dérives qui nous sont reprochées sont bien davantage dues au manque de contrôle dans l'organisation de la tarification qu'à nos établissements qui, globalement, ont créé les meilleurs instruments possibles pour répondre le mieux possible aux attentes des usagers et à celles du tarificateur. Il faut tenir compte des dérives constatées à l'étranger, mais aussi du fait qu'ensuite l'augmentation des coûts s'est stabilisée. Aussi faut-il éviter de procéder, pour prévenir la répétition potentielle d'une dérive des coûts, à des réductions budgétaires importantes. C'est ce qui s'est passé cette année, après que l'on eut mis en avant l'évolution en volume des activités, par prélèvement d'une partie de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) hospitalier. Si, de ce fait, certains de nos établissements ne reçoivent leurs crédits qu'en fin d'exercice, ils auront déjà dû licencier.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie. Nous vous invitons à nous transmettre toutes propositions d'améliorations qui compléteraient nos échanges.

--____--


© Assemblée nationale