COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 21

Jeudi 15 juin 2006
(Séance de 9 heures)

12/03/95

Présidence de Mme Paulette Guinchard, coprésidente

SOMMAIRE

 

pages

Auditions sur la tarification à l'activité dans les établissements de santé :

 

- M. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAM) et M. Pierre-Jean Lancry, secrétaire général du HCAAM

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- Mme Élisabeth Beau, directrice de la Mission nationale d'expertise et d'audit hospitaliers (MEAH)

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- Mme Odile Corbin, directeur général du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM)

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La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu M. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) et M. Pierre-Jean Lancry, secrétaire général du HCAAM.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous accueillons ce matin M. Bertrand Fragonard et M. Pierre-Jean Lancry, respectivement président et secrétaire général du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue à cette audition consacrée à la tarification à l'activité (T2A) dans les établissements de santé.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Je vous remercie d'être venus faire part de votre expérience et de vos remarques. Vous avez rappelé, dans l'avis du 23 mars 2006, que, si le Haut Conseil considère le nouveau système de tarification comme positif, encore faut-il que deux conditions soient réunies : que les outils d'évaluation, notamment ceux de la qualité du service rendu, soient améliorés, et que les gestionnaires disposent d'instruments de gouvernance renforcée et d'une souplesse de gestion accrue sur l'ensemble des chapitres budgétaires. Je voudrais que nous commencions cette réunion en évoquant ce point.

M. Bertrand Fragonard : Je rappelle tout d'abord que cet avis n'exprime pas mon point de vue personnel, mais celui du Haut Conseil, lequel, fait assez inhabituel, n'a pas été unanime - et j'essaierai d'expliquer au passage pourquoi ni les représentants de la CGT, ni M. Jean-Marie Le Guen ne se sont pas associés à l'avis majoritaire.

Le Haut Conseil considère en effet que la mise en œuvre de la T2A pour les activités de médecine, de chirurgie et d'obstétrique (MCO) est un élément positif. Étant donné qu'il faut bien qu'il y ait un processus d'allocation budgétaire, les différents pays ont adopté, soit un système de dotation globale, soit un instrument du type T2A. Ce dernier a pour premier mérite de donner de la lisibilité aux gestionnaires, qui savent à peu près à quoi s'attendre : même s'ils ignorent comment évoluera, dans le détail, l'indicateur principal, c'est-à-dire l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), ils connaissent en gros la trajectoire. Il introduit, en second lieu, une certaine rationalité dans l'affectation des moyens, pour autant, bien entendu, que les instruments de calcul soient pertinents. C'est donc un progrès. La CGT est le seul syndicat à marquer son opposition ; non qu'elle soit indifférente à ce qu'il y a de positif dans la nouvelle tarification, mais parce qu'elle en redoute les effets pervers, comme la sélection des clientèles ou des spécialités, et c'est pourquoi elle a annoncé, dès le début des travaux, qu'elle ne s'associerait pas à l'avis du Haut Conseil. Les autres membres, en revanche, ont considéré que la T2A était un progrès.

Un progrès, donc, mais à quelles conditions ? La première est que la construction intellectuelle soit pertinente, sans pousser toutefois le raffinement jusqu'à multiplier les unités de compte. Or, nous avons constaté avec une grande perplexité la persistance d'une sorte de gêne autour du mode de calcul de ces unités : doit-il rendre compte de toute la subtilité des prises en charge thérapeutiques, ou conserver une certaine rusticité ? Ce à quoi il faut veiller, c'est à ne pas induire de comportements ou de pratiques discutables. Sous ces réserves, toutefois, nous avons estimé que la T2A était une bonne chose.

La T2A est naturellement plus facile à mettre en œuvre quand on est dans l'aisance, quand chacun a un peu de marge pour s'ajuster, pour améliorer sa gestion. Mais il se trouve que, depuis un certain nombre d'années, les arbitrages globaux reposent sur la nécessité de contenir les dépenses d'assurance maladie, et que la progression de l'ONDAM hospitalier est à peine supérieure à celle de l'indice des prix. Le fait de devoir gérer la montée en charge de la T2A dans un cadre aussi contraint crée donc une certaine émotion, notamment pour les établissements qui constatent qu'ils sont considérés comme sur-dotés et devront revenir, lentement mais sûrement, vers le point de convergence.

Peut-on, dès lors, parier sur la capacité de la plupart des établissements à se couler dans ce cadre conceptuel et opératoire et à rejoindre ce point de convergence à l'horizon 2012, sans créer trop de tensions et sans multiplier les effets pervers, tels que la surfacturation ou la sélection des niches les plus profitables ? En d'autres termes : la T2A est certes un système intelligent, conceptuellement astucieux, mais est-il crédible ? Est-on capable, notamment dans le public, d'assumer l'idée que des établissements verront leurs moyens au titre du MCO n'évoluer que lentement ?

Nous avons considéré qu'il y avait sans doute assez de marge de productivité dans les hôpitaux publics pour répondre par l'affirmative, et nous avons donc écrit que la démarche était non seulement intellectuellement pertinente, mais soutenable. À condition, cependant, que les gestionnaires sur lesquels pèse la responsabilité de gérer ce processus budgétaire compliqué et austère aient davantage de liberté d'action - aspiration qui revient de façon lancinante dans leur discours, sans que personne, toutefois, n'explicite de façon trop précise en quoi consiste cette liberté d'action. Vous connaissez le débat sur l'affectation des praticiens : que signifie la « fongibilité des moyens », qui décide du tableau des emplois à l'intérieur de l'hôpital, etc. ? Nous n'avons pas encore approfondi cet aspect, mais je suis frappé de voir que tout le monde, y compris les gens favorables au principe de la T2A, disent que celle-ci fonctionnera mieux s'il y a une meilleure maîtrise de la gestion.

Nous avons ajouté que, les contraintes étant fortes, il faudra éviter qu'on les contourne. Or, c'est ce qui se produira si l'on veut forcer l'allure. Il y aura des contournements internes, que l'on peut observer dans les pays étrangers qui ont mis en place des systèmes analogues, mais aussi des négociations avec l'administration, le ministère, le cabinet, en vue d'obtenir une petite dotation d'accompagnement, une petite enveloppe autonome, ou de jouer sur tel coefficient géographique, de façon à desserrer la contrainte... C'est une tentation très forte dans un pays régalien et centralisé comme le nôtre.

Ce qu'il faut, c'est rester réaliste, tenir le cap, et surtout éviter de feindre la vertu tout en pratiquant des ajustements grâce à la partie non couverte par la T2A, et en particulier aux MIGAC. Or, s'il y a eu de grands progrès dans l'explicitation des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC), on est encore loin du compte, et elles sont encore, à bien des égards, une boîte noire, ainsi que vos interlocuteurs vous l'ont probablement dit. La Fédération de l'hospitalisation privée, pour sa part, nous a dit redouter que l'on précompte sur l'enveloppe de l'ONDAM hospitalier une enveloppe excessive au titre des MIGAC, enveloppe qui ne bénéficierait qu'aux seuls établissements publics, réduisant d'autant la partie affectée aux tarifs, et partagée, elle, entre tous les établissements. Il ne faut donc pas forcer l'allure, car ce serait inéluctablement créer des tensions qu'on ne saurait pas gérer.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas, objectivement, une forte marge de productivité, mais il faut être réaliste dans l'application. C'est une préoccupation exprimée notamment par la CGT, qui n'est pas hostile au principe même de la T2A, mais qui ne veut pas que la T2A soit mise en œuvre à un rythme tel que la vie concrète des hôpitaux et des personnels soit chahutée, ni que soit menacée la qualité de l'outil hospitalier, ni que soient remis en cause des principes comme la non-sélection des patients, etc.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Une des grandes priorités devrait être l'évaluation des coûts réels, notamment en vue de la convergence entre public et privé. Quel est votre sentiment sur sa faisabilité, sur les délais, sur la précision qu'il est possible d'atteindre ?

M. Bertrand Fragonard : Hormis les représentants de la CGT, seul M. Jean-Marie Le Guen a refusé, en termes d'ailleurs mesurés, l'objectif de convergence public-privé, qu'il juge trop hasardeuse. A priori, il n'y a pas de raison, et le directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) l'a d'ailleurs dit très clairement, de refuser ce principe de convergence - indépendamment du fait qu'il a été voté et confirmé par le Parlement. Il n'est pas choquant qu'un assureur veuille que toutes les prestations soient réalisées au meilleur prix, sur des bases tarifaires unifiées. Le principe est donc généralement accepté - après, il est vrai, un débat un peu vif cet automne lorsque le Gouvernement a présenté un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) visant à distendre l'horizon temporel de la convergence, amenant la majorité à se raidir et à confirmer la date de 2012.

Le Parlement a, cela dit, très sagement précisé que cette convergence devait s'entendre « pour des prestations comparables ». Or, chacun des secteurs concernés - le public, le privé, les établissements participant au service public hospitalier - fait de lui-même une description très différente, chacun affirmant qu'il est pour la convergence, mais invoquant des chiffres qui rendent celle-ci problématique. C'est ainsi que la Fédération hospitalière de France explique que l'écart est très loin d'atteindre 40 % comme on le prétend, et refuse de s'engager dans un processus sur cette base qu'elle conteste, tandis que la Fédération de l'hospitalisation privée affirme qu'il y a un écart objectif important, notamment du fait des coûts salariaux horaires, et que les spécificités de l'hôpital public ne sont pas telles qu'elles justifient cet écart. Il y a donc un désaccord sur la réalité et l'ampleur de l'écart. Si celui-ci est excessif, il faut naturellement le réduire, mais si l'on constate, toutes choses égales par ailleurs, en éliminant les éléments qui ont trait à une autre manière de servir, qu'il n'est pas si important qu'il y paraît, la convergence en sera facilitée. Or, nous manquons d'évaluations : il existe bien des études sur le facteur précarité, sur la justesse des groupes homogènes de séjour (GHS), sur le caractère programmable des activités, mais elles n'ont pas été exploitées dans des conditions qui permettent de disposer de certitudes.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La question des outils d'évaluation est centrale, en effet, car elle conditionne notre vision même de l'organisation hospitalière en France. La question des MIGAC, dont vous avez dit qu'elles ne devaient pas être utilisées pour contourner la T2A, l'est tout autant. Où en sont les travaux menés actuellement sur les outils d'évaluation ?

M. Bertrand Fragonard : Nous ne sommes pas aux manettes. Nous cherchons à interpréter les travaux conduits par les administrations avec les organisations professionnelles. On ne peut qu'être dépité de constater, depuis le temps que l'on travaille avec le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), que subsistent des inconnues en si grand nombre. Il existe d'excellentes études de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) sur les écarts de coûts horaires du personnel, mais lorsque l'on recherche des éléments plus subtils sur le profil de la clientèle, le facteur âge, la précarité, ou sur la programmation des interventions, on s'aperçoit qu'on manque de matériaux statistiques et économétriques précis. La majorité du Haut Conseil a néanmoins considéré qu'il y avait suffisamment d'éléments fiables pour dire qu'il existe un écart de coûts entre le public et le privé et qu'il faut engager le processus de convergence.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous calculé une fourchette pour cet écart ?

M. Bertrand Fragonard : Très franchement, je n'ai pas de certitude. J'ai une intuition, confirmée par diverses analyses qui nous amènent à dire qu'il y a un écart. Mais de combien est-il et, surtout, à quoi est-il dû ? C'est difficile à mesurer, notamment pour le facteur qui est probablement le plus central, c'est-à-dire le pourcentage plus ou moins élevé d'interventions programmables.

Les écarts bruts sont certes importants, de l'ordre de 60 %. Quand nous aurons estimé les facteurs de distorsion, ce sera évidemment moins, mais actuellement, les gens se disent que l'objectif 2012 n'est pas tenable si l'écart est trop important - à moins d'ouvrir plus largement l'ONDAM, ce qui n'est pas envisageable, car il faut inciter les gestionnaires à trouver des marges de productivité. Nous avons eu une discussion sémantique très longue, à laquelle M. Claude Évin a participé en personne. Ma position était qu'il fallait commencer le processus de convergence, en fixant des étapes, car nous disposons des éléments pour dire qu'il y a bien un écart. M. Claude Évin était un peu réticent, mais le consensus s'est fait sur cette formulation, que l'on retrouve page 6 de l'avis du Haut Conseil :

« La priorité dans ce chantier consiste à déterminer l'ampleur et la nature des écarts.

« La Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins a entrepris un important travail d'harmonisation avec les fédérations hospitalières. (...). Les résultats sont attendus au cours du second semestre 2007. Cela signifie clairement qu'on ne disposera pas d'analyse précise sur les écarts de coûts avant cette date.

« Nous serons, au terme de ce programme d'études, proches de l'échéance intercalaire de 2008. Être en mesure, à cette date, de mesurer objectivement les écarts non fondés sur des différences dans la nature des charges, permettra de vérifier si l'on est loin ou proche de l'objectif de 50 % de résorption des écarts. »

La majorité du Haut Conseil a donc estimé que l'on pouvait commencer la convergence en 2007, et que l'on verrait en 2007-2008, compte tenu des études qui arriveront à maturité d'ici là, si le pari fait par le Parlement est réaliste ou non. La plupart des gens que nous avons entendus sont tout de même dubitatifs quant à l'échéance, mais, faute de connaître l'ampleur de l'écart à prestations identiques, peut-être s'en font-ils une montagne. Si les écarts se révèlent moins importants que le chiffre brut, il est clair que la convergence est réalisable en quatre ou cinq ans.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe, directrice de l'Assistance-publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) nous a dit clairement que ce n'était pas son problème, mais celui des pouvoirs publics et des fédérations professionnelles. Et de fait, le travail d'un gestionnaire d'hôpital public est de suivre sa trajectoire au titre de la T2A : c'est à la superstructure - Parlement, Gouvernement, fédérations professionnelles - chargée de piloter la convergence intersectorielle de voir si elle est réaliste.

L'hôpital public est tout de même un trésor formidable, notamment grâce à la réforme Debré : il n'est pas du tout dans la misère que l'on décrit ici ou là. Nous n'allons tout de même pas mettre en péril la qualité de l'hôpital pour un demi-point de PIB, même si, bien sûr, un demi-point de PIB, c'est beaucoup, notamment au regard des autres besoins à satisfaire. Nous n'aurons jamais d'instruments de mesure incontestables, il nous faut donc avancer avec des idées claires, dans un esprit de grand réalisme.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Certains pays qui ont mis en œuvre un système comparable à la T2A ont finalement décidé d'avoir des tarifications différenciées selon les établissements. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

M. Bertrand Fragonard : Je n'en ai pas. Le Haut Conseil a un champ d'études immense, mais certains sujets dépassent nos capacités, et nous laissons d'autres institutions, plus compétentes, y travailler. Je dirai cependant qu'avant de songer à différencier davantage, il faut vérifier que l'on tient le cap, gérer correctement les MIGAC, mieux les expliciter.

Ce qui me frappe, c'est qu'à l'hôpital, contrairement à d'autres domaines de la vie sociale, il n'y a pas de vulgarisation des problématiques, de réflexion commune à tout le monde, encore moins de consensus. C'est ainsi qu'on voit les uns affirmer, en toute bonne foi, que l'hôpital public est en voie de paupérisation avancée, montrer à la télévision des couloirs encombrés de brancards, et les autres dire, avec la même bonne foi, que le public reçoit trop d'argent et coûte beaucoup plus cher que le privé. Contrairement à ce qui se passe pour le médicament, sujet hautement complexe, il n'y a pas de lieu où ces questions sont discutées démocratiquement, hormis le Conseil de l'hospitalisation, instance purement technocratique qui réunit des représentants des administrations et les fédérations. Il s'agit pourtant d'un enjeu considérable, aussi bien pour les finances publiques que pour le million de personnes qui travaillent dans les hôpitaux et pour la santé des malades. Nous payons très cher le fait qu'il n'y ait pas d'instance de dialogue, car cela prête à tous les procès d'intention. Le privé dit : « le public nous ruine », et le public dit : « Nous n'avons pas à sacrifier les vertus de l'hôpital public pour le profit capitaliste »...

Il y a, sur tous ces sujets, des études très subtiles, mais très technocratiques, d'une lecture aussi ardue que celle des circulaires budgétaires. Nous avons cependant deux ans pour accumuler de la connaissance et la livrer au débat public, afin qu'elle ne soit pas réservée aux seuls spécialistes, lesquels font leur miel des détails et peuvent mettre à profit l'opacité du système pour tordre un peu la T2A dans tel ou tel sens. S'il n'y a pas plus de transparence et de débat, nous ne pourrons pas réduire la fourchette d'incertitude. Or, c'est cette incertitude qui alimente les réticences, celles de la Fédération hospitalière de France en particulier.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : En d'autres termes, si la différence de coût était relativement faible, de l'ordre de 15 % par exemple, on pourrait atteindre l'objectif plus rapidement ?

M. Bertrand Fragonard : Il est très difficile de répondre, car tout dépend de l'ONDAM. Nous avons fait, sans les rendre publiques, des simulations selon que l'écart était de 10, de 15, de 20 ou de 30 %. Il en ressort que l'objectif n'est pas tenable si l'écart était fort et l'évolution de l'ONDAM faible, car cela nous expose à coup sûr soit à un blocage, qui nous ferait reculer de quelques années, soit à un contournement des disciplines. Il y a un optimum à trouver, mais avancer l'échéance à 2010 est irréaliste, à moins d'être convaincu à la fois que l'écart réel est très modeste et qu'il existe une forte productivité latente dans le secteur public.

Nous ne devons pas surestimer nos moyens d'agir. Le service public, dont je suis un fervent défenseur depuis toujours, a d'immenses vertus, mais aussi des défauts, comme le manque d'audace, ou la lenteur des processus. L'action publique consiste à savoir jusqu'où on peut aller et à quel rythme. Il n'y aurait pas de sens à mettre en péril les valeurs du secteur public pour gagner une année sur la convergence. Mais si celle-ci est réalisable, il faut la faire.

Le problème est que le débat n'est pas assez clarifié pour prendre des options fermes. Nous avons eu des discussions informelles avec un certain nombre de parlementaires pour leur demander pourquoi ils avaient non seulement repoussé l'amendement du Gouvernement retardant la convergence, mais encore ajouté une étape intermédiaire. Ils nous ont expliqué que, si l'on ne fixait pas un cap et une échéance, tout le monde allait mollir. Il faut tirer parti des deux ans qui restent, et qui sont un peu atypiques sur le plan politique, pour acquérir les outils qui permettront le moment venu de valider ou de corriger la trajectoire fixée.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Derrière la convergence, il y a aussi l'idée de restructurer le système autour des parcours de soins. Disposons-nous pour cela des indicateurs suffisants ?

M. Bertrand Fragonard : Ce que nous sentons mal, c'est l'articulation entre la T2A des établissements et les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS). Mais c'est une problématique sur laquelle nous n'avons guère travaillé, et que nous ne dominons pas.

Nous avons le sentiment qu'il y a des problèmes généraux d'organisation au sein de l'hôpital. Nous allons travailler, l'année prochaine sur les marges de productivité, et trouvons très positifs les travaux qui ont été faits et qui montrent qu'à égalité de contraintes, la dispersion des performances à l'intérieur du service public est élevée. Reste que l'investissement intellectuel consacré à ces questions, et c'est là un problème très général, est dérisoire si on le rapporte aux volumes financiers en cause. Il n'est pas normal que nous ayons aussi peu d'analyses fouillées sur les écarts de coûts, leur explication, leur éventuelle relation avec l'organisation de l'hôpital. Il existe des études sur la gestion des blocs opératoires, sur celle des urgences, sur les politiques d'achat, mais il nous faut continuer à accumuler de la connaissance. Mme la directrice de l'AP-HP nous l'a dit avec beaucoup de sagesse : même si les technocrates ont raison, ce qui est souvent le cas, ils n'arriveront pas à convaincre les personnels, y compris médicaux, en se contentant d'affirmations péremptoires. Convaincre qu'on peut faire des économies sans affecter la qualité, cela passe par l'accumulation de la connaissance collective. On a progressé sur ce plan, j'en témoigne, depuis le lancement du PMSI, mais pas assez.

Il y a aussi le problème de la répartition du pouvoir au sein de l'hôpital, qui n'est pas optimale. Nous n'avons pas travaillé là-dessus, mais nous avons la conviction que l'on irait plus facilement vers la convergence si l'on progressait sur ce point. Cela dit, une fois posée cette affirmation consensuelle, tout le monde n'est pas d'accord sur ce que doit être, concrètement, la répartition du pouvoir entre les personnels médicaux et les administratifs, sur la conception des pôles, etc.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Certains membres du Haut Conseil ont souligné le danger de sélection des risques. Avez-vous le sentiment que la T2A risque de créer des trous dans le maillage du territoire ? Avez-vous connaissance de cas où l'on aurait modifié des SROS à partir d'éléments de tarification ?

M. Bertrand Fragonard : Le Haut Conseil, à l'exception de la CGT, a considéré que les risques d'effets pervers, tels qu'inflation, sélection des risques ou déséquilibre géographique, n'étaient pas majeurs. Qu'il puisse y avoir un problème de cohérence entre la trajectoire qu'un gestionnaire d'hôpital s'assignera en fonction de la T2A et le schéma régional, c'est possible, mais on ne peut pas considérer a priori que ce soit un problème tel qu'il ne faille pas s'engager dans la T2A. Dès lors que nous ne sommes pas dans un système de concurrence libre et débridée, que nous n'appelons évidemment pas de nos vœux, il faut bien qu'il y ait une régulation publique. Il peut certes y avoir, pour telle ou telle activité, un déséquilibre géographique, mais qui peut se corriger, et je ne vois pas que la T2A fasse peser une menace sur l'équilibre global de l'armature.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : S'agissant des tarifications différenciées par établissement, sur quelles bases pourrait-on procéder, au cas où l'on retiendrait cette piste ?

M. Bertrand Fragonard : Il ne faut pas commencer par dire qu'on va différencier, mais essayer de se tenir à l'échelle de tarification, car à force de sophistication, le risque de manipulation sera trop fort. Personne, d'ailleurs, ne propose ces tarifications différenciées, pas plus la DHOS que les fédérations d'établissements. Il faut sans doute mieux appréhender les coûts dans l'échelle des GHS, mais le principe de base est qu'il y a une grille tarifaire, avec des valeurs unitaires de référence et une hiérarchie des coûts. Il faut s'y tenir, quitte à faire des ajustements à la marge, et faire aussi en sorte que les MIGAC soient justifiées. Si on commence à faiblir sur ces deux principes, c'est reparti pour un tour.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La mission conjointe de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF) a parlé de « sur-raffinement de la tarification ». Et il semble que, dans la onzième version des GHS, en préparation, on pourrait compter plus de 1 000 GHS...

M. Bertrand Fragonard : Puisque les GHS deviennent un instrument aux conséquences objectives majeures pour les hôpitaux, je comprends qu'on veuille qu'ils soient précis, mais il doit y avoir des limites au raffinement.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Y a-t-il aussi des risques de contournement ?

M. Bertrand Fragonard : Ce n'est pas exclu. Le raffinement peut être lié au fait qu'on a voulu réintégrer des prestations à l'intérieur des GHS, ce qui est sans doute normal. Mais si l'on attend, pour démarrer, de tout savoir sur les coûts et d'avoir 2 000 GHS, on ne démarrera jamais... Je crois qu'il vaut mieux commencer sans attendre, et améliorer peu à peu, plutôt que de vouloir trop raffiner dès le départ. Je me souviens que, lorsque nous avions lancé le PMSI, nous avions accumulé, grâce à l'expérimentation en Languedoc-Roussillon, un matériau considérable, qui est resté inutilisé. Le consensus auquel nous étions parvenus sur la T2A reposait sur l'idée, plutôt optimiste, qu'il faut « y aller » sans attendre, afin de conserver un bon hôpital public, et même de l'améliorer par endroits.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Que pensez-vous du financement des médicaments onéreux et des dispositifs médicaux implantables (DMI) ?

M. Bertrand Fragonard : Nous n'avons pas pris position nettement. Quand on rembourse à l'euro près, c'est toujours dangereux, car il peut y avoir une poussée inflationniste. Dès lors, on se dit qu'il faut internaliser, mais il y a la crainte que cela ne marche pas parce que les GHS sont trop « rustiques » et les thérapeutiques de plus en plus sophistiquées et coûteuses, c'est ce qui explique qu'on veuille raffiner davantage. C'est un exercice difficile. On essaie, si j'ai bien compris, d'internaliser un peu plus de choses, mais je ne suis pas sûr d'être complètement au courant des termes du débat.

M. Pierre-Jean Lancry : Le problème des molécules onéreuses est devant nous, notamment pour les traitements anti-cancéreux. Il faudrait, dès lors qu'il y ait un protocole pour un traitement, intégrer la molécule au GHS, mais toute la difficulté est de négocier les prix de cette molécule. C'est un mode de gestion des tarifs différent de la T2A.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : S'agissant des DMI, le Haut Conseil s'est-il penché sur la diversité des prothèses, les accords de bonnes pratiques ?

M. Bertrand Fragonard : Vous surestimez grandement nos possibilités...

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Comptez-vous le faire ?

M. Bertrand Fragonard : Nous avons prévu, dans les mois à venir, de travailler sur les conditions d'exercice et les revenus des grandes catégories de professions libérales, sur l'aspiration à une plus grande liberté de gestion et à une autre répartition du pouvoir dans l'hôpital sur les DMI au sens large, sur les transports... Je ne sais pas dans quel ordre nous allons traiter ces sujets, ni si nous allons tous les traiter, car certains sont trop pointus, eu égard à la composition du Haut Conseil. La question du périmètre des molécules onéreuses était un peu confuse, mais la vocation du Haut Conseil est plutôt de dégager des références pour structurer la réflexion des autres. De même que nous nous interdisons de commenter l'actualité, ou de dire aux uns et aux autres ce qu'ils devraient faire, nous ne voulons pas nous emparer de sujets trop techniques, car notre capacité n'est pas suffisante, et nous ne nous réunissons qu'une fois par mois.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Comment équilibrer le nouveau système de financement entre la partie tarifée à l'activité, les MIGAC, les dispositifs dont nous venons de parler, les suppléments, les mesures d'accompagnement ou de régulation prises par les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) ?

M. Bertrand Fragonard : La partie financée par les tarifs constitue déjà un bloc important, et en progression. Les MIGAC sont un énorme « paquet », qui a encore augmenté de 12,6 % cette année. Les réinternaliser n'est pas si facile, et peut être un moyen pervers de contourner la difficulté. Beaucoup de gens disent d'ailleurs que l'AP-HP ne s'en sort que comme cela ; je ne le crois pas, mais le fait qu'on le dise est un problème en soi. Le taux initial de 13 % n'est peut-être pas sorti du chapeau, mais il n'était pas non plus étayé par des éléments incontestables. Il y a eu certes un effort d'explicitation, mais qui reste à poursuivre, afin que l'on comprenne mieux le pourquoi de ces 12,6 % d'augmentation. M. Jean Castex a dit qu'il pouvait tout expliquer ligne par ligne ; je n'en doute pas, car il connaît son métier.

Il faut, donc, mieux expliciter les MIGAC, en réinternaliser certaines sans trop chahuter la gestion budgétaire des hôpitaux, mais il n'est pas anormal qu'une partie soit gérée selon une autre logique que la T2A, ne serait-ce que parce que les hôpitaux sont tributaires d'une histoire. Tout le problème est de mieux expliquer à quoi correspondent les MIGAC, car rien n'est pire que l'opacité.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quel est votre sentiment sur le rôle des ARH ?

M. Bertrand Fragonard : Nous n'avons pas travaillé là-dessus.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous eu des remontées d'informations sur des mouvements d'activité entre la ville et l'hôpital ?

M. Bertrand Fragonard : Non.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Est-il nécessaire de mettre en place une comptabilité analytique par séjour ? Quelles seraient les difficultés de l'exercice ?

M. Bertrand Fragonard : Étant issu de la Cour des comptes, je peux difficilement vous répondre non... M. Bruno Durieux, qui est membre du Haut Conseil, nous a expliqué la difficulté qu'il y avait à mettre en place une telle comptabilité. Nous avons de très nombreuses données, toute la difficulté est de les exploiter. Mais tout ce qu'on pourra faire en vue de la mise en place d'une comptabilité analytique sera un progrès, car c'est à cela que sert la T2A : que les gens comprennent mieux où sont les facteurs de coûts, les gisements de productivité. La T2A ne peut pas vivre sans que les gestionnaires aient des instruments de mesure.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Que pensez-vous de la facturation directe aux caisses ? Des erreurs de codage importantes vous ont-elles été signalées ? Que pensez-vous du contrôle de la mise en place de la T2A ?

M. Bertrand Fragonard : Nous n'avons pas du tout travaillé là-dessus. Nous avons constaté que les choses s'étaient un peu échauffées, mais cela tend à prouver que c'est un vrai sujet...

M. Pierre-Louis Fagniez : J'ai été très intéressé par ce que vous avez dit des MIGAC. Vous avez bien montré qu'elles sont entourées d'un grand flou, aussi bien en ce qui concerne leur volume que l'interprétation qu'on en fait, dans le public comme dans le privé. Dans l'esprit de la profession médicale, elles étaient surtout faites, au départ, pour les hôpitaux publics, notamment universitaires, mais elles sont progressivement devenues une sorte de gâteau, justifié par l'histoire, et qui devrait se partager de la même façon entre le public et le privé. Nous voyons émerger un discours qui vise à étendre aux cliniques ce qui a été prévu pour les CHU, en faisant fi de ce qu'il y a de radicalement différent dans l'organisation des deux systèmes. Je veux bien qu'on nous dise qu'on fera de l'enseignement et de la recherche dans les cliniques, mais ce qui plombe les budgets des hôpitaux, ce sont toutes ces missions qui les rendent incomparables. Je ne dis pas qu'il n'y ait pas de MIGAC dans le privé, mais ne risque-t-on pas, à vouloir les étendre, de leur faire perdre leur vocation initiale ?

M. Bertrand Fragonard : Les MIGAC, quoi qu'on en dise, c'est le public. Il y en a un peu dans le privé, c'est vrai, mais c'est marginal. Elles sont surtout liées, comme vous l'avez dit, aux fonctions assumées par les CHU, qui représentent le poste le plus important. C'est ce poste qui a pris la suite du coefficient initial de 13 %, après quoi on a vu se développer d'autres techniques, comme les « crédits fléchés » à l'époque de la dotation globale, et il est vrai qu'aujourd'hui, l'enveloppe totale pèse très lourd : 4,3 milliards d'euros. Je ne crois pas qu'on puisse prétendre qu'elle soit répartie de façon très différente demain.

Nous ne contestons pas l'armature globale des MIGAC : nous disons simplement qu'il ne faut pas réaliser la convergence en disant que l'on respecte la discipline budgétaire tout en la contournant à l'aide des MIGAC. C'est pour cela qu'il est indispensable de mieux les expliciter. M. Jean Castex vous aura dit que l'effort de reclassement a été fait de façon honnête, à partir des retraitements comptables, mais la question est si complexe et si peu documentée que les gens - dans le privé, mais aussi dans le secteur public non universitaire -se disent forcément qu'il s'agit d'une manière oblique de revenir sur la T2A.

Je ne crois pas qu'il faille à tout prix réintégrer les MIGAC, sauf à faire exploser la machine, mais il n'est pas mauvais qu'on surveille tout cela d'un peu près, car après tout, il s'agit de redistribuer de l'argent public. Cela passe, une fois de plus, par davantage d'explication. Si le ministre se contente de dire : « Ça fait tant, circulez, il n'y a rien à voir », cela renforce la suspicion. C'est pour cela que nous jugeons très positif l'effort accompli depuis deux ans par la DHOS pour introduire plus de rationalité.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Nous vous remercions de toutes les précisions que vous nous avez apportées. Si vous avez des propositions précises ou des informations complémentaires, n'hésitez pas à nous les faire parvenir.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu Mme Elisabeth Beau, directrice de la Mission d'expertise et d'audit hospitaliers (MEAH).

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Elisabeth Beau, directrice de la Mission d'expertise et d'audit hospitaliers, à qui je souhaite la bienvenue. La MEAH est chargée de « changer les habitudes » - vaste programme ! Pourriez-vous préciser vos missions, vos moyens et vos méthodes de travail ?

Mme Elisabeth Beau : La MEAH, que je dirige depuis mai 2003, a été créée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003. Elle compte 14 personnes. Elle vise à accroître à la fois la qualité du service rendu aux personnes, l'efficience des établissements et les relations sociales car si l'on recherche une amélioration durable, ces trois facteurs ne peuvent être dissociés. Nous partons des réalisations des établissements, qu'elles soient pré-existantes à la création de la MEAH ou qu'il s'agisse de méthodes de travail que nous les avons aidées à acquérir. Ce sont les chantiers qui nous intéressent, aussi petites soient les actions entreprises, et non les études, car nous cherchons à faire bouger les choses.

Nos moyens sont importants, puisque notre budget d'audit est de 10 millions d'euros. Il nous permet de faire intervenir dans les hôpitaux publics et privés qui le souhaitent des cabinets de conseil que nous sélectionnons par appels d'offres. Ces consultants vont observer le fonctionnement des services volontaires et les aident à mettre en œuvre de nouveaux modes d'organisation. Nous n'intervenons qu'à la demande, car on ne peut imposer une réorganisation.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Les demandes d'intervention qui vous sont faites sont-elles en relation avec les procédures d'accréditation ?

Mme Elisabeth Beau : Oui, dans certains cas, soit qu'une visite d'accréditation ait suscité des réserves, soit que, conscients de certaines faiblesses, les établissements cherchent à y remédier avant de demander l'accréditation. La Haute Autorité de santé (HAS), et l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) avant elle, ont beaucoup facilité notre tâche en créant une culture de l'évaluation qui a rendu les professionnels beaucoup moins réticents qu'ils ne l'étaient à des comparaisons évaluatives.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Le nombre des cabinets conseil est-il suffisant ?

Mme Elisabeth Beau : Ni les hôpitaux ni les cliniques n'ont beaucoup fait appel à eux au cours des dix à quinze dernières années, et nous contribuons de fait à la constitution d'un marché. En faisant appel à une cinquantaine de cabinets, du très grand au très petit, nous contribuons à renforcer leurs compétences en matière d'organisation hospitalière, pour qu'ils rendent service aux hôpitaux.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quels sont les thèmes le plus fréquemment abordés ?

Mme Elisabeth Beau : Sur proposition du comité de pilotage, qui en a sélectionné une quinzaine, le ministre arrête chaque année cinq ou six thèmes. Je citerai, de manière non exhaustive, les urgences, le bloc opératoire, la chirurgie ambulatoire, la comptabilité analytique, la gestion des lits, l'optimisation des achats, la radiothérapie, le temps de travail des médecins et celui des soignants, la restauration... Vous le constatez, tout a trait à l'organisation logistique. Pour chaque thème retenu, des appels à candidatures sont lancés, auxquels répondent les établissements volontaires. Nous essayons de réunir des hôpitaux très divers et fortement désireux de modifier leur fonctionnement de manière tangible : il ne s'agit pas d'agiter des idées abstraites, puisque notre objectif général est de diffuser les meilleures pratiques à l'ensemble des établissements. La comparaison des modes d'organisation et de leurs performances en termes de qualité de prise en charge des patients, d'efficience et d'emploi des personnels médicaux et infirmiers permet de mettre les différences en lumière. Il s'ensuit la prise de conscience que l'on peut procéder autrement en employant mieux les ressources existantes. Un plan d'action est alors défini pour corriger les dysfonctionnements, et il est mis en œuvre avec l'aide des consultants. Ensuite a lieu une évaluation qui met à jour les bonnes pratiques. Elles sont alors diffusées sur notre site mais aussi dans un recueil mis gratuitement à la disposition des établissements, et encore lors de l'organisation de colloques, tel celui que nous venons de consacrer à la restauration hospitalière.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Qui définit les paramètres de qualité ?

Mme Elisabeth Beau : Nous les définissons collégialement, avec les cabinets de conseil et les professionnels.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quelle est la nature de vos relations avec les ARH ?

Mme Elisabeth Beau : Nous essayons de leur fournir les indicateurs leur permettant de s'orienter vers l'introduction de nouveaux modes de gestion - des gardes et des astreintes au niveau régional, par exemple - plutôt que vers l'accroissement systématique des moyens en locaux, matériels ou personnel.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : En quoi vos missions se différencient-elles de celles de la Haute autorité de la santé (HAS) ?

Mme Elisabeth Beau : La HAS émet des recommandations en vue de l'accréditation. La MEAH aide, par des actions concrètes - comment mieux répartir les vacations, par exemple -, les hôpitaux à remplir les objectifs sur lesquels ils buttent parfois depuis des années, ce qui pose problème lors de l'accréditation. La HAS et la MEAH sont donc complémentaires.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Combien d'établissements ont été audités ?

Mme Elisabeth Beau : Nos interventions ne portent pas sur l'ensemble d'un établissement, elles sont toujours partielles. Depuis sa création, la MEAH a ouvert 238 chantiers, et nous lançons un programme de déploiement des bonnes pratiques, non seulement par les canaux précédemment décrits mais par une action massive de conseil et de formation pour 230 établissements volontaires. Fin 2006, nous aurons travaillé avec 500 établissements environ.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : L'efficacité de vos actions est-elle évaluée ?

Mme Elisabeth Beau : Oui. Nous sommes en train de mettre en place un système d'évaluation plus global de l'utilisation de nos ressources, mais nous avons déjà atteint des résultats tangibles. Ainsi, dans les services d'urgence, on observe une réduction  significative - de quelque 25 % - du délai de prise en charge des patients de plus de 75 ans et des patients qui vont être hospitalisés, ceux sur lesquels nous nous sommes focalisés. De même, s'agissant de la radiothérapie, les femmes atteintes d'un cancer du sein subissaient une attente excessive au regard des pratiques internationales ; nous sommes parvenus à la réduire de 20 % à 40 % selon les sites. Dans les blocs opératoires, le nombre des interventions non programmées, qui témoignent d'une mauvaise organisation plus que d'une situation d'urgence, a diminué, et en corollaire les temps de débordement. Tout cela a des conséquences positives pour les patients mais aussi pour les personnels car, en évitant des heures supplémentaires, on peut leur restituer des congés non pris ; de plus, les professionnels peuvent mieux se concentrer sur leurs tâches premières au lieu qu'elles soient parasitées par d'autres. L'efficience générale des établissements en est renforcée, et ils récupèrent une marge de manoeuvre qu'ils peuvent redéployer.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Avez-vous constaté des différences entre le secteur public et le secteur privé ?

Mme Elisabeth Beau : Oui. Les établissements privés utilisent leurs ressources de manière nettement plus efficiente, sans que cela induise de problèmes de qualité graves - ce qui confirme qu'efficience et qualité vont de pair. Cela étant, on note de considérables différences de qualité et d'efficience selon les établissements publics, dans tous les domaines. Ces différences, tangibles, constituent un très bon moteur car elles aident les intéressés à prendre conscience que l'organisation peut être pensée autrement.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Doit-on considérer que lorsqu'un service connaît des difficultés, il en va de même pour les autres services de l'établissement ?

Mme Elisabeth Beau : Il m'est difficile de me prononcer, puisque chacune de nos interventions concerne un chantier donné et que nous n'avons pas de renseignements sur les autres services.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Quels sont, à votre avis, les principaux gisements d'amélioration de l'efficience ?

Mme Elisabeth Beau : La gestion des lits et la durée des séjours offrent les marges de manœuvre les plus importantes. Il existe des goulots d'étranglement, qui obligent à veiller à la durée optimale des séjours. Il faut aussi lisser la présence des patients tout au long de la semaine pour éviter des à-coups préjudiciables à une bonne gestion. L'organisation du temps de travail des médecins et des personnels de soin est un autre très gros chantier. De grands progrès doivent être réalisés pour que la présence des médecins soit programmée en fonction de la saisonnalité. On peut y gagner beaucoup sur le plan économique mais aussi pour ce qui est des relations de travail, du confort des praticiens et de la gestion de la pénurie.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Pouvez-vous nous donner un exemple significatif d'amélioration des pratiques à la suite d'un audit ?

Mme Elisabeth Beau : Dans un certain service d'anesthésie-réanimation, la réorganisation du temps de travail médical a permis de réduire considérablement le recours au personnel intérimaire - recours très coûteux, puisque ces prestations sont facturées 1 000 euros par jour -, ce qui a permis une économie de 350 000 euros par an. De surcroît, le service, redevenu attractif, a pu recruter.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La MEAH a-t-elle été associée à la définition de la tarification à l'activité ? L'est-elle à son évolution ?

Mme Elisabeth Beau : Pas directement, mais nous en percevons tous les jours les effets positifs. C'est, très nettement, un aiguillon qui pousse les directeurs d'établissement, les médecins et les cadres soignants à mieux gérer. Ils nous approchent avec l'idée qu'il faut améliorer l'organisation, et nous les aidons à faire face à cette nouvelle contrainte de façon intelligente. La tarification à l'activité a donc un rôle très utile.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quelles sont, selon vous, ses difficultés d'application ?

Mme Elisabeth Beau : Les établissements les plus dynamiques attendent beaucoup de la montée en charge de la tarification à l'activité (T2A) pour développer leur activité ou pour renforcer un service, mais d'autres la redoutent. Par ailleurs, on constate, en aidant les établissements à mettre au point une comptabilité analytique, à quel point le dispositif est complexe ; il faut veiller à sa lisibilité.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous travaillé aux politiques d'achat de médicaments et de dispositifs médicaux implantables (DMI) ?

Mme Elisabeth Beau : En 2004, nous avons ouvert avec une quinzaine d'établissements volontaires un chantier pilote, qui concernait en particulier les achats de certains médicaments anticancéreux. Nous avions obtenu de bons résultats, mais le fait que ces médicaments aient ensuite été inclus dans le champ de la tarification à l'activité change la donne, puisqu'ils ont désormais un tarif de remboursement. En 2005, nous avons travaillé sur certains dispositifs médicaux implantables (DMI) utilisés en cardiologie, tels les stents et les ballonnets, et constaté que l'on peut agir sur les prix, les coûts d'achat variant considérablement. Les cardiologues étaient tout à fait favorables à une politique d'achat.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Que pensez-vous de l'objectif de convergence tarifaire entre secteur public et secteur privé ?

Mme Elisabeth Beau : Je n'ai pas d'idée à ce sujet, sinon que les modalités de fonctionnement des établissements des deux secteurs sont encore très différentes. Peut-être conviendrait-il de préparer la convergence public-privé par une bonne convergence intrasectorielle, et il y a encore beaucoup à faire à ce sujet.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Les modes d'organisation sont-il très différents à l'intérieur de chaque secteur, ou tend-on à l'homogénéisation ?

Mme Elisabeth Beau : Le secteur des cliniques est plus homogène que les autres.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous observé des transferts d'activités liés à la T2A, tels que certains établissements ne pratiquent plus certains soins ou qu'ils ont au contraire développé certaines activités ?

Mme Elisabeth Beau : De par notre mode d'intervention, je ne suis pas bien placée pour apprécier de manière pertinente l'évolution de l'activité globale des établissements.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous relevé des facteurs de surcoût dans le secteur public par rapport au secteur privé ?

Mme Elisabeth Beau : Ils résultent de la mauvaise adéquation de la ressource au travail réalisé, et très souvent du mauvais positionnement horaire des équipes, qui peuvent être inutilement pléthoriques à certaines heures et squelettiques tard le soir.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Se produit-il que les qualifications ne soient pas les qualifications ad hoc ?

Mme Elisabeth Beau : Non. On a facilité la réorganisation en dispensant des formations qui donnent de nouvelles compétences. En revanche, on constate parfois une surreprésentation de personnel qualifié due à la mauvaise articulation des plannings ; ainsi de ces équipes présentes au complet au bloc opératoire, alors que les chirurgiens participent à un congrès...

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : A-t-on une idée des gains de productivité obtenus ?

Mme Elisabeth Beau : Ils varient en fonction de la situation de départ et peuvent être très importants.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Qu'en est-il des services de psychiatrie ?

Mme Elisabeth Beau : Nous venons d'ouvrir un chantier relatif aux centres médico-psychiatriques.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Travaillez-vous sur les centres de long séjour ?

Mme Elisabeth Beau : Non, sinon à l'hôpital Bretonneau sous l'angle plus général de la gestion des effectifs et de l'organisation des plannings.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Selon vous, la tarification à l'activité peut-elle avoir un impact sur la relation entre médecine de ville et médecine hospitalière ?

Mme Elisabeth Beau : Je ne suis pas en mesure de l'apprécier, mais on voit bien, au cours des chantiers, qu'une meilleure articulation permettrait de raccourcir le délai de prise en charge des patients ou d'orienter plus vite les personnes âgées vers des structures adaptées à leur état, au lieu qu'elles soient contraintes de rester dans des services d'urgence où elles n'ont pas leur place et qu'elles encombrent. Cela faciliterait le travail des établissements.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous participé au codage ?

Mme Elisabeth Beau : Non, mais à la demande de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS), nous avons ouvert un chantier consacré au recouvrement des produits hospitaliers et, dans le cadre de nos chantiers « comptabilité analytique », nous aidons les établissements à mettre au point des outils de gestion de la tarification à l'activité permettant de rapprocher recettes et dépenses par pôles d'activité.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Selon vous, y a-t-il articulation entre tarification à l'activité et parcours de soin ?

Mme Elisabeth Beau : La tarification à l'activité peut inciter les établissements à revoir certaines situations insuffisamment maîtrisées, les séjours excessivement longs sans raison médicale évidente par exemple. Dans ce cas, une articulation avec la médecine de ville pour les soins de suite contribuerait à la qualité de la prise en charge globale, puisque l'important pour un patient est d'être hospitalisé au bon endroit.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quelles remarques pouvez-vous faire sur l'organisation des services d'urgence ?

Mme Elisabeth Beau : Globalement, le délai moyen de prise en charge, qui va de 2 heures à 5 heures, n'est pas excessif ni, donc, scandaleux. En revanche, le temps de passage, pour les gens âgés, est en moyenne de 10 heures ; il est aussi très long pour les personnes qui doivent être hospitalisées. Tous ceux qui se présentent sont vus par l'infirmière d'accueil en quelques minutes et par le médecin urgentiste moins d'une heure plus tard, ce qui montre que les services sont très réactifs. C'est ensuite que les choses se gâtent, les délais s'allongeant de plusieurs heures. Nous avons donc aidé les établissements à desserrer les goulots d'étranglement en prenant les mesures les plus simples possible.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Pensez-vous être bien connus pour ce que vous êtes, une mission d'appui ?

Mme Elisabeth Beau : Nous déployons de grands efforts pour être connus mais il m'est arrivé de constater avec désolation que nous ne l'étions pas toujours. Je pense que nous sommes effectivement perçus comme une force d'appui, comme en témoigne le nombre de candidatures que nous recevons lorsque nous ouvrons de nouveaux chantiers. Nous voulons en rester à ce positionnement, très bien compris, qui consiste à régler les problèmes des établissements sans leur faire la leçon.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Travaillez-vous à la question de la prise en charge des personnes âgées à l'hôpital ? Pensez-vous que l'on peut par ce biais renforcer l'efficacité des établissements ?

Mme Elisabeth Beau : Ce thème a été proposé à notre comité de pilotage il y a deux ans. Le chantier n'a pas encore été ouvert mais je pense que le sujet figurera un jour à notre programme de travail. La question est d'une très grande importance ; certains hôpitaux, tel le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges, ne s'y sont pas trompés et ont engagé des travaux spécifiques. Je ne doute pas que les hôpitaux se porteraient candidats en masse si le thème leur était proposé.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Existe-t-il des organismes similaires à la MEAH dans les pays qui ont mis en place des dispositifs équivalents à la T2A ?

Mme Elisabeth Beau : Nous nous attachons à développer les liens avec les services étrangers. Nous sommes ainsi en relation avec le National Health service (NHS), avec lequel nous avons ainsi organisé une Journée franco-britannique d'organisation en radiothérapie.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : De qui votre équipe est-elle constituée ?

Mme Elisabeth Beau : Elle se compose de deux directeurs d'hôpital, deux médecins spécialisés en santé publique et en économie de la santé, un pharmacien, plusieurs ingénieurs, un juriste, une secrétaire et un comptable. L'approche des ingénieurs est très éclairante, car elle renouvelle les observations sur les organisations, par comparaison avec les modes de fonctionnement dans l'industrie.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous signé une convention d'objectifs et de gestion (COG) ? Quels ont vos objectifs ?

Mme Elisabeth Beau : Notre objectif est de parvenir à plus de mille opérations de déploiement en trois ans. Comme je vous l'ai dit, 230 auront eu lieu en 2006, il y en aura 370 en 2007 et un peu plus l'année suivante, si bien que nous devrions avoir atteint l'objectif à l'horizon 2008.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Êtes-vous rattachés à la DHOS ?

Mme Elisabeth Beau : Oui.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quel est votre plus beau succès ?

Mme Elisabeth Beau : Le CHU du Mans avait de grosses difficultés à gérer son bloc opératoire. Une profonde réorganisation a été conduite en deux ans. Elle a permis d'augmenter de 10 % l'activité opératoire tout en divisant par quatre les temps de débordement, si bien que l'on a pu restituer au personnel les journées de récupération et de vacances qui s'étaient accumulées, à hauteur de 2,6 équivalents temps plein. Désormais, les interventions chirurgicales commencent à l'heure et le nombre des opérations non programmées a été divisé par quatre. C'est un beau résultat.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Avez-vous des remarques ou des suggestions à formuler ?

Mme Elisabeth Beau : La principale attente des établissements, c'est la lisibilité et la prévisibilité de la réforme, nécessaires à une anticipation correcte. Il faudrait en particulier clarifier la tarification des Missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) et expliquer la construction et l'évolution des tarifs. Les établissements en ont besoin pour pouvoir appliquer la tarification à l'activité de manière intelligente.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Une audition de qualité s'achève. Madame, je vous remercie.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu Mme Odile Corbin, directeur général du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM).

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Madame Odile Corbin, je vous souhaite la bienvenue, et je vous prie de bien vouloir nous présenter le SNITEM.

Mme Odile Corbin : Le SNITEM regroupe 215 entreprises de l'industrie des technologies et dispositifs médicaux. Elles emploient 23 000 salariés et sont à l'origine de quelque 5 000 emplois induits. Leurs fabrications vont de la seringue aux matériels d'imagerie par résonance magnétique (IRM), aux dispositifs implantables et aux produits pour les soins à domicile. Le chiffre d'affaires cumulé des membres du SNITEM est de quelque 6 milliards d'euros et, toutes technologies médicales confondues, le marché s'élève à 13 milliards environ.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Le SNITEM a-t-il été associé à la définition de la tarification à l'activité ? Participe-t-il aux instances de concertation ?

Mme Odile Corbin : Nous n'avons pas été associés à la définition de la tarification à l'activité (T2A), nous nous y sommes associés... Quatre-vingt-dix pour cent des produits mis sur le marché par nos adhérents sont utilisés dans les établissements hospitaliers, et beaucoup sont attachés à des actes. Aussi, lorsque nous avons entendu parler d'une réforme du mode d'allocation des ressources aux établissements, nous avons créé un groupe de travail ad hoc, mais nous n'avons pas été associés à la définition de la réforme dans sa partie structurelle. Toutefois, Mme Martine Aoustin, directeur opérationnel de la Mission T2A (MT2A), et M. Roland Cash, responsable scientifique, ont été d'un abord aisé. Ils nous ont écoutés, et parfois entendus. C'est aussi que, pour dépasser le stade de l'incantation, nous avions fait réaliser des études qui nous ont permis de défendre nos positions par des arguments étayés.

Le SNITEM est favorable au principe de la tarification à l'activité, réforme du reste annoncée de longue date par la création du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et l'établissement de la première version des groupes homogènes des malades (GHM), mais il émet des réserves sur sa mise en œuvre. Le diable est dans les détails et ici, il y a en beaucoup. La structure de la réforme paraissait plutôt réaliste, et les mesures d'accompagnement prévues à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale intéressantes. Toutefois, nous aurions souhaité, et je réitère cette demande, qu'une procédure précise de concertation soit décidée pour assurer la transparence. Nous avons certes pu présenter nos études, très en amont, à la MT2A mais malgré cela, la version 9 de la classification a laissé subsister une très forte hétérogénéité économique pour certains GHM. Nous avons fini par être entendus, et c'est en se fondant sur les études que nous avions fait réaliser que la segmentation du GHM 295 - « intervention majeure sur les articulations et greffes de membres : hanche, genou, épaule » - a finalement été acquise.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Participez-vous au groupe opérationnel constitué en avril dernier ?

Mme Odile Corbin : Non. Nous avons constaté, en commençant d'étudier dans le détail la constitution des GHM, que l'algorithme de groupage contenu dans le PMSI est très largement responsable de l'hétérogénéité structurelle d'une classification qui, en réunissant au sein d'un même groupe des actes simples et des actes complexes, associés ou non à la pose de dispositifs, conduit à les rémunérer tous de manière identique. C'est que le travail de définition fait par l'agence technique de l'information hospitalière (ATIH) dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) est un travail technique, fondé sur une approche statistique sans rapport avec l'activité réelle. On ne peut dire que ce qui est « perdu » sur une épaule sera « gagné » sur une hanche. Les choses ne se passent pas ainsi, car les établissements sont spécialisés et, selon le case mix, l'impact de la tarification sera radicalement différent. Certains y gagneront, mais d'autres seront largement perdants. Nous nous en sommes ouverts à l'ATIH, à la MT2A et au cabinet du ministre, qui nous a reçus plusieurs fois. Nous leur avons fait part des conclusions de nos études, réalisées en mars, au moment où les nouveaux tarifs des GHM ont été publiés, provoquant un tollé général au sein des fédérations hospitalières, chez les professionnels de santé et, par notre intermédiaire, chez les fabricants. À la suite de cette bronca, un protocole a été signé entre le ministre et la Fédération de l'hospitalisation privée, et un groupe opérationnel a été constitué, chargé d'analyser l'impact de la tarification et de proposer d'ici juillet 2006 des mesures correctrices, pour application en septembre.

Je déplore que le groupe opérationnel ne comprenne aucun représentant des sociétés savantes. Il est dommage de ne pas médicaliser un peu une nomenclature qui aurait besoin de l'être, car l'approche technique est à l'origine de quelques aberrations. De plus, derrière les choix techniques, il y a très souvent des choix politiques. Veut-on, par exemple, que les cœlioscopies chirurgicales sous arthroscopie continuent d'être pratiquées en France ? Selon la tarification se poseront la question de la compétence des équipes et celle du positionnement de notre pays. La T2A, mode d'organisation et de régulation, est en réalité porteuse de beaucoup d'autres choses, et le fait d'en avoir confié la définition à des techniciens, qui ont d'ailleurs très bien travaillé, a créé un syndrome d'appropriation, les empêchant de voir que l'on aurait pu envisager la question différemment.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quels sont vos souhaits en matière de tarification ?

Mme Odile Corbin : Je tiens à la disposition de votre mission l'ensemble des études que nous avons fait réaliser. Les tarifs ont été décomposés et la comparaison faite entre ce qu'ils étaient en 2005, année où les dispositifs médicaux implantables (DMI) n'étaient pas inclus dans les GHS, et 2006, année où ils le sont, montre l'extrême difficulté de financer les dispositifs utilisés. Ce n'est pas avoir une attitude purement corporatiste de dire cela, car le déficit de financement qui ressort de nos tableaux indique qu'il y aura probablement aussi difficulté à financer les actes eux-mêmes. Ainsi du GHM 19z : le coût moyen, pour l'ensemble des séjours, est de 37 euros, mais si l'on se concentre sur les séjours au cours desquels une prothèse a été posée, on se rend compte que le montant moyen réel est de 230 euros ; or, le tarif est de 50 euros... Pourquoi de tels écarts ? Parce que la tarification ne distingue pas des autres les séjours au cours desquels des dispositifs médicaux sont utilisés ; c'est un autre exemple du fait que l'approche statistique ne correspond pas à la pratique réelle.

Nous serons reçus le 23 juin par le cabinet du ministre. Nous dirons que nous souhaitons l'instauration d'une procédure de consultation organisée et transparente de toutes les parties concernées, concertation qui ne limiterait en rien la liberté de décision de l'administration. Nous dirons que nous voulons avoir une vision précise de la manière dont les tarifs ont été définis, et que celle-ci soit rendue public. Nous demanderons à être consultés sur la liste des dispositifs médicaux voués à être remboursés en sus des forfaits hospitaliers, et nous demanderons que les critères d'évolution de cette liste soient précis et transparents. Nous soulignerons que le déficit de financement des dispositifs médicaux est porteur d'effets plus larges, en ce qu'il peut empêcher le développement de techniques chirurgicales non invasives. Nous demanderons que les GHM soient segmentés de manière pertinente, en tenant compte des actes réalisés, de leur simplicité ou de leur complexité, et de ce que l'utilisation de dispositifs médicaux y est ou non associée. Nous demanderons aussi que l'on tienne compte, dans la définition des GHM, de la technique chirurgicale utilisée, parce que les dispositifs médicaux ne sont pas tout à fait les mêmes selon les pratiques et parce que certaines augmentent la durée moyenne de séjour.

La segmentation est indispensable, mais nous craignons que le groupe opérationnel ne soit pas en mesure de mener en trois mois le travail considérable qui aurait dû être fait très amont sur 103 GHM. Si les mesures correctrices nécessaires ne sont pas rapidement mises en œuvre, et pour ne nuire ni aux industriels ni aux patients - les grands absents de cette réforme -, il faudra maintenir la facturation des dispositifs médicaux en sus des forfaits.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le pilotage des dépenses hospitalières parle de « sur-raffinement » de la tarification. Vos propositions ne vont pas dans le sens de la simplification...

Mme Odile Corbin : Il n'y a pas « sur-raffinement » ! Pourquoi rémunérer au même tarif un acte qui ne demande pas l'utilisation d'un dispositif médical et un autre qui l'exige, un séjour simple et une hospitalisation coûteuse ? La segmentation permettrait une allocation de ressources qui correspondrait bien mieux à la réalité de l'activité, et l'allégement de certains tarifs permettrait de financer des activités onéreuses réalisées par des établissements d'excellence qui risquent, sinon, d'être pénalisés.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous remarqué des modifications dans la politique d'achats des établissements ?

Mme Odile Corbin : La publication des tarifs datant de mars, je ne puis vous répondre précisément. Ce que nous savons, c'est qu'en dépit des assurances données par le ministre, les établissements sont dubitatifs. De plus, des problèmes techniques se posent aux fabricants, auxquels on a demandé de faire figurer un ancien code sur leurs produits pour la période de trois mois pendant laquelle le groupe opérationnel surveille le marché, alors que les logiciels avaient déjà été modifiés pour tenir compte de la réforme... Tout le monde s'interroge. En ophtalmologie, par exemple, la tendance est à ne pas utiliser les implants de dernière génération. Les conséquences de ce choix ne sont pas immédiatement perceptibles, mais le fait est que les implants d'anciennes générations peuvent, après quelques mois, induire des cataractes secondaires, qu'il faudra ensuite traiter par laser, ce qui n'est pas sans présenter d'inconvénients pour les patients.

D'une manière générale, l'introduction des produits d'innovation est beaucoup plus lente qu'auparavant lorsque ces produits sont inclus dans un GHS, car si le prix des nouvelles productions est supérieur au tarif, il ne peut être financé. La question se pose donc de l'accès du patient à l'innovation. Nous avons appelé l'attention du cabinet du ministre et de Mme Martine Aoustin sur ce point, la seule solution étant que les dispositifs innovants soient facturés en sus des forfaits, mais nous n'avons pas de réponse à ce jour. Comme on s'en rend compte en ophtalmologie, c'est un peu préoccupant.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : S'agissant des prothèses, on a observé une grande diversité et de grandes différences de prix. Progresse-t-on vers le consensus et l'établissement de guides de bonnes pratiques ?

Mme Odile Corbin : C'est le cas dans certains secteurs. Mais je rappelle que nous sommes sous un régime de prix de vente administrés. Conformément aux dispositions du décret du 23 décembre 2004, la nomenclature va être revue et de plus en plus médicalisée. Nous sommes extrêmement favorables à l'établissement d'un référentiel de bonnes pratiques, et nous y travaillons avec les sociétés savantes.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Vous avez évoqué la qualité des soins et le confort du malade. Avez-vous le sentiment de grands risques dans certains domaines ?

Mme Odile Corbin : Oui, et nous avons abordé le sujet très souvent avec la Mission T2A sans obtenir de réponses très précises. Dans un système très contraint, avec un tarif très juste, la tentation est grande de ne pas acheter le produit du dernier état de l'art. En tant que citoyenne et en tant que patiente potentielle, je m'interroge : hormis la confiance que j'ai en mon médecin, quelle certitude ai-je qu'on me posera bien l'implant dont j'ai besoin ? Je ne pense pas que le système permette de répondre à cette question.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous des remarques ou des propositions à formuler ?

Mme Odile Corbin : Nous ne sommes en rien consultés sur les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC), mais j'observe que la définition en est si floue que bien des activités pourraient y être intégrées. Par ailleurs, dialogue et transparence manquent parfois quand les dossiers sont très techniques et traités par des techniciens qui se sentent experts et ne pensent pas que d'autres puissent l'être. Enfin, l'un de mes regrets, je l'ai dit, est l'absence de concertation organisée.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quelle est votre opinion sur l'objectif de convergence tarifaire public-privé ?

Mme Odile Corbin : Si nous étions relativement favorables au principe de la tarification à l'activité, c'est que nous pensions que le mode de fonctionnement des établissements publics et celui des établissements privés en serait rapproché, ce qui simplifierait les choses pour l'industrie.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quel est le nombre des centrales d'achat, et avec combien d'entre elles vos membres négocient-elles ?

Mme Odile Corbin : Tout ce qui a trait aux relations commerciales entre les fabricants et les clients est hors du champ de compétence du SNITEM. Pour l'hôpital public, les achats se font après appels d'offres. Un système d'achats groupés est en cours de création, auquel nous sommes très défavorables car il porte en germe de grands inconvénients pour la sécurité et la continuité des approvisionnements, et une grande insécurité pour les petites et moyennes entreprises françaises qui constituent la moitié de nos membres. Quel sera l'avenir d'une société qui aura recruté après avoir remporté un marché une année, et qui n'aura plus ce marché l'année suivante ? Il ne s'agit pas de produits de grande consommation, et ce qui peut se concevoir pour les fournitures administratives ne vaut pas pour les DMI, qui doivent répondre à toutes sortes de considérations de modèles et de tailles. Je vois mal comment on peut procéder par achats groupés pour le matériel médical ; c'est une très mauvaise approche, et je ne suis pas sûre que l'intérêt des patients soit au cœur de la réflexion.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Comment peut-on, dans ce domaine, apprécier la qualité du service rendu ?

Mme Odile Corbin : La qualité des matériels médicaux est évaluée. La Haute autorité de santé (HAS) publie des avis sur son site, la Fédération hospitalière de France (FHF) a créé un recueil, et il existe un système d'homologation européenne. On ne peut donc dire que les établissements hospitaliers manquent d'informations. Pour l'évaluation des pratiques, des travaux sont en cours à la HAS.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : S'agissant de l'innovation, dans quels domaines l'industrie française est-elle en pointe ? Quelles craintes la réforme peut-elle inspirer à ce sujet ?

Mme Odile Corbin : En ophtalmologie, les innovations sont fréquentes ; le problème est celui de leur intégration à notre marché. Les grandes innovations portent sur l'imagerie, de plus en plus employée, et sur les matériaux utilisés dans la fabrication des prothèses. Elles concernent aussi l'électronique et l'informatique « embarquées » dans les stimulateurs cardiaques et les défibrillateurs. L'apparition de la télémétrie permettra des consultations « délocalisées ». La spécificité du secteur, c'est le compagnonnage entre l'industrie et les professionnels de santé, source de créativité constante qui en fait l'un des plus innovants.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Madame, je vous remercie.


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