COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 5

Jeudi 7 décembre 2006
(Séance de 9 h 30)

12/03/95

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

SOMMAIRE

 

pages

- Auditions sur l'action sociale du régime général de sécurité sociale
et l'action sociale des collectivités territoriales

 

- M.  François Scellier, secrétaire général adjoint de l'Association des départements de France (ADF), président du conseil général du Val-d'Oise

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- Mme Françoise Descamps-Crosnier, membre du bureau de l'Association des maires de France (AMF), maire de Rosny-sur-Seine, et Mme Marie-Claude Serres-Combourieu, responsable du département action sociale, éducative, sportive et culturelle de l'AMF

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- M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère de la santé et des solidarités

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La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu M. François Scellier, secrétaire général adjoint de l'Association des départements de France (ADF), président du conseil général du Val-d'Oise, accompagné de Mme Marylène Jouvien, chargée des relations avec le Parlement de l'ADF.

M. Pierre Morange, coprésident : Madame, monsieur, nous sommes heureux de vous accueillir et vous prions d'adresser à M. Michel Berson, secrétaire général de l'ADF, qui n'a pu venir, nos vœux de prompt rétablissement.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous demanderai, tout d'abord, quel bilan vous êtes en mesure de dresser, au sein de l'ADF, de l'action sociale des départements, ainsi que de la décentralisation qui a eu lieu dans ce domaine. Le département est-il, pour vous, le bon niveau de coordination et de pilotage de l'action sociale ? Et comment voyez-vous le développement de la coopération intercommunale en matière d'action sociale ?

M. François Scellier : Je vais m'efforcer de vous apporter un point de vue général, dans lequel la situation de mon département - dont je dirai néanmoins quelques mots tout à l'heure - n'interfère pas trop.

Les départements, en général, considèrent l'action sociale comme étant leur compétence principale. Nous l'avons collectivement revendiquée, et nous en supportons largement les charges, ce qui nous entraîne parfois, d'ailleurs, à regretter de nous être montrés si généreux. Nous ressentons toutefois une difficulté croissante à distinguer ce qui relève de l'action sociale proprement dite et ce qui relève du secteur de la santé, notamment pour ce qui concerne les personnes âgées, compte tenu de l'émergence des maladies du type Alzheimer. Il s'ensuit que la frontière n'est pas simple à tracer entre les différentes structures d'accueil.

Nos charges liées à l'action sociale sont en forte progression. Globalement, et sans compter le département de Paris, elles se sont élevées à 24,8 milliards d'euros en 2005, soit 5,8 % de plus que l'année précédente, la progression étant de 6,4 % pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), de 6,3 % pour la prestation de compensation du handicap (PCH), de 5,4 % pour le revenu minimum d'insertion (RMI) et de 5,7 % pour les prestations dans le domaine de la famille et de l'enfance.

Cette évolution pose à certains départements une question fondamentale quant à leur action. Je suis de ceux qui considèrent que l'action sociale est certes notre compétence numéro un, mais que nous avons aussi un rôle très important à jouer en matière d'aménagement du territoire, y compris à la limite ou en dehors de nos compétences proprement dites, et que si la totalité de nos moyens financiers devait être absorbée par nos politiques d'action sociale, la justification du département en tant qu'institution serait inévitablement remise en cause.

M. Pierre Morange, coprésident : Les 24,8 milliards d'euros dont vous parlez correspondent-ils à la totalité des dépenses d'action sociale des départements, ou à la seule part de ces dépenses couverte par leurs ressources propres, c'est-à-dire sans compter ce qu'ils reçoivent de l'État ou d'autres instances ?

M. François Scellier : Il s'agit de l'ensemble des dépenses d'action sociale, indépendamment des ressources par lesquelles elles sont couvertes.

M. Pierre Morange, coprésident : Savez-vous quelle est la part respective, au sein de ces 24,8 milliards, des ressources propres et des autres ressources venues d'ailleurs ?

M. François Scellier : Il faudrait surtout distinguer, et je réponds par là à la question de Mme la Rapporteure sur le bilan de la décentralisation, ce qui relève de la décentralisation proprement dite et ce qui relève plutôt d'une sorte de déconcentration de l'action sociale.

L'État nous a transféré de vraies compétences, comme celle des collèges, qui nous coûte davantage qu'elle ne coûtait à l'État auparavant, mais avec de bien meilleurs résultats. Mes collègues vous diront que les dotations transférées ne couvrent pas ces nouvelles charges à l'euro près, et c'est vrai : j'ai ainsi ouvert trois collèges cette année dans mon département, et créé trente postes de techniciens et ouvriers de service (TOS), dont l'État ne couvre pas le coût, mais c'est un choix que j'ai fait, alors que j'aurais pu tasser tous les collégiens dans un plus petit nombre de collèges.

Mais, autant je trouve légitime que le département, s'il décide de donner plus d'ampleur à telle ou telle compétence qui lui est transférée, le fasse sur son argent propre, autant je considère que, si l'État fixe lui-même les conditions d'attribution de telle ou telle prestation, comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) par exemple, il devrait faire évoluer les transferts financiers en conséquence. C'est en effet un point qui entraîne un certain nombre de conflits, car même ceux qui, comme moi, considèrent que l'État joue honnêtement le jeu, pensent aussi qu'il devrait faire évoluer les transferts différemment lorsqu'ils sont liés à des décisions qui relèvent de lui.

M. Pierre Morange, coprésident : Je voudrais avoir votre sentiment sur la multiplicité des acteurs impliqués dans le sanitaire et le médico-social, problème que nous n'avons cessé de rencontrer depuis les tout débuts de la MECSS. Considérez-vous que vous avez une bonne connaissance de l'ensemble des actions menées par tous vos partenaires - branches du régime général, services de l'État, acteurs de proximité ?

M. François Scellier : Il y aurait beaucoup de travail à faire pour avoir une parfaite connaissance des interactions entre tous ces intervenants. Je vous remettrai le dossier en deux parties que j'avais préparé : la première résulte d'un travail conduit par l'ADF, la seconde de celui effectué par le département du Val-d'Oise.

Pour ce qui est de la coordination, nous conventionnons certaines actions avec des centres communaux d'action sociale (CCAS) ou des intercommunalités, par exemple dans le domaine du RMI.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel est le pourcentage de ces conventions par rapport à l'ensemble de la masse financière ? Et par rapport au nombre de CCAS ?

M. François Scellier : Je ne peux pas vous répondre avec précision sur le moment, mais l'attitude de la plupart des communes est très positive, et nous signons de nouvelles conventions tous les jours. Dans le Val-d'Oise, la coopération progresse dans tous les secteurs - petite enfance, personnes âgées, insertion, à l'exception peut-être du handicap - et c'est une bonne chose. Les difficultés sont surtout le fait des zones rurales, où les communes, sont trop petites et ont des ressources insuffisantes, même en se regroupant. On dit que le département est le bon niveau dans le champ du social ; c'est vrai, mais à condition qu'il y ait une bonne coopération avec les communes et les intercommunalités.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous trouvez donc que la coordination est globalement satisfaisante ?

M. François Scellier : Tout à fait.

M. Pierre Morange, coprésident : Et avec les branches du régime général ?

M. François Scellier : C'est autre chose... Dans le Val-d'Oise, notre problème principal à cet égard a trait aux personnes âgées dépendantes. Nous avons un schéma départemental d'accueil, très fouillé, qui est le résultat d'une réflexion engagée il y a plusieurs années. Nous en sommes au troisième schéma, et nous avons maintenant une bonne perception des besoins pour les dix ans à venir. Nous examinons ensuite les demandes de création d'établissement, mais il y a un retard considérable dans le conventionnement avec la sécurité sociale, dont les financements n'arrivent donc pas, malgré les avis favorables du comité régional d'organisation sanitaire et social (CROSS). C'est ainsi que nous nous retrouvons coincés, car certains opérateurs nous forcent presque la main, en nous disant qu'ils sont prêts à ouvrir à telle date, et nous sommes obligés d'ouvrir dans des conditions qui ne sont pas conformes à la réglementation. C'est un problème dont je me suis entretenu avec le ministre en charge des personnes âgées, M. Philippe Bas.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous avons déjà entendu les mêmes observations émanant d'autres départements. Votre situation reflète-t-elle, à votre connaissance, la situation générale ? Peut-on envisager, dans ce cas, de confier à terme le pilotage de l'ensemble de la politique gériatrique aux départements ? Et si oui, selon quelles modalités ? L'ADF a-t-elle discuté de cette question ?

M. François Scellier : Mme Jouvien pourrait sans doute vous répondre mieux que moi, car je n'appartiens pas à la commission compétente de l'ADF. Mais la difficulté que j'évoquais est très généralement ressentie par mes collègues.

M. Pierre Morange, coprésident : Le constat semble assez unanime, en effet, quant à la mauvaise articulation avec les branches du régime général.

À la demande de la MECSS, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) réalise actuellement une mission sur l'action sociale des collectivités locales, afin de voir qui fait quoi. L'ADF a-t-elle procédé à un recensement exhaustif de ce que font les départements ? Avez-vous fait une ventilation, à la fois géographique et par secteurs d'activité ?

Mme Marylène Jouvien : Cette étude est tout à fait opportune, car le contexte socio-économique est très variable d'un département à l'autre. Face à des besoins sociaux de plus en plus urgents, les départements doivent définir une nouvelle gouvernance de l'action sociale, et un état des lieux approfondi leur sera nécessaire pour cela.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans le Val-d'Oise, par exemple, avez-vous une cartographie de l'action sociale sur l'ensemble du département ?

M. François Scellier : Nous avons également besoin d'une cartographie de la demande. Si, au niveau national, il est prévu de créer 5 000 places par an en maisons médicalisées sur l'ensemble du territoire, les départements seront plus ou moins revendicatifs selon qu'ils pensent que leurs besoins sont ou non pris en compte dans ce total. Je ne suis pas sûr que ce travail de recensement des besoins ait été fait, mais il faudrait le faire.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Avez-vous fait un plan pluriannuel de création de places ? Et avez-vous des réponses au niveau de l'État sur le financement ?

M. François Scellier : Les 5 000 places, c'est ce que prévoit l'État. Je crains que l'on n'ait pas remonté les besoins à partir des schémas départementaux, mais il faut le faire, sans quoi on ne pourra pas rapprocher le national du local.

M. Pierre Morange, coprésident : On manque en effet des informations qui seraient nécessaires pour faire correspondre l'offre à la demande. Il serait donc bon que l'ADF fasse remonter les besoins qui s'expriment, sachant qu'il s'agit d'un domaine où ils sont malaisés à mesurer, notamment compte tenu de la prévalence croissante des maladies neurodégénératives.

M. François Scellier : Quand on cerne chaque sujet, on s'aperçoit combien on manque d'éléments statistiques.

S'agissant de la compétence générale des départements, j'ai tendance à considérer que tout ce qui concerne les habitants du Val-d'Oise intéresse la collectivité départementale. Mais attendons d'avoir digéré ce qui nous a déjà été transféré avant de prendre d'autres compétences ! Je suis déjà mal à l'aise lorsque j'annonce un certain nombre de places pour les personnes âgées dépendantes et que je dois surseoir, en tant qu'autorité administrative, à l'agrément de tel ou tel établissement qui veut ouvrir. Il faut que nous arrivions à faire le lien entre la demande et ceux qui sont susceptibles d'y répondre, mais ce n'est pas encore tout à fait le cas pour la sécurité sociale.

M. Pierre Morange, coprésident : La frontière entre le sanitaire et le médico-social est rendue encore plus malaisée à tracer par la difficulté, pour ne pas dire plus, qu'ont ces deux secteurs à communiquer entre eux. L'assuré a quelque difficulté à se retrouver dans ce maquis administratif, où les différents acteurs se renvoient la balle. Il est évident qu'il faut une autorité au niveau départemental, une planification dans le cadre du schéma national, car le système est illisible pour nos concitoyens. N'aurait-on pas intérêt à créer au moins des espaces communs, où les différents acteurs se retrouveraient tout en conservant leurs compétences ?

M. François Scellier : Lorsque nous avons constaté la difficulté d'appliquer le schéma départemental, non de notre fait, mais à cause du retard pris par les conventionnements avec la sécurité sociale, nous avons décidé de lancer des appels à projets. Jusqu'à présent, il n'y avait pas d'urgence véritable à normaliser tout cela, car les besoins étaient supérieurs à l'offre. Mais aujourd'hui, il est clair que, sans coordination avec les organismes de sécurité sociale, aucune programmation n'est possible.

Mme Marylène Jouvien : Les départements ont notamment proposé un pilotage des contrats d'avenir, ainsi que la tenue de conférences départementales sur la protection de l'enfance et la prévention de la délinquance, associant tous les acteurs concernés.

M. Pierre Morange, coprésident : Sans doute est-ce nécessaire à l'échelon départemental, mais il faut aussi qu'il y ait une coordination sur le terrain, et pas seulement entre spécialistes.

Par ailleurs, un amendement que j'ai présenté dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a été voté, qui vise à créer un numéro identifiant commun, permettant aux structures d'action sociale des collectivités locales - départements, CCAS - d'accéder aux fichiers de la sécurité sociale et du fisc dans des conditions de sécurisation totale - ce qui ne serait pas le cas avec les nombreux fichiers actuels, relativement faciles à pirater. Que pensent les départements de cette disposition, très attendue par bon nombre des partenaires concernés ? Avez-vous des recommandations particulières à faire ?

M. François Scellier : Il faudra prendre l'avis de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL).

M. Pierre Morange, coprésident : Le décret en Conseil d'État lui sera naturellement soumis, mais elle a validé le principe dès 1989.

M. François Scellier : Plus nous avons d'informations, mieux cela vaut. Nous avons ainsi découvert que, dans le Val-d'Oise, faute d'une coordination suffisante entre les ASSEDIC et les caisses de retraite, un certain nombre de personnes touchaient de l'argent des deux côtés. Nous nous sommes également aperçus qu'une proportion relativement élevée d'allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI) continuaient de percevoir celui-ci après l'âge de la retraite - dont un quasi-centenaire, il est vrai à titre d'ayant droit. Il semble même que certaines caisses conseillent aux gens de rester au RMI plutôt que de faire liquider la pension à laquelle ils ont droit ! Un croisement des fichiers permettrait de ne verser à chacun que ce à quoi il a vraiment droit.

M. Pierre Morange, coprésident : Il ne s'agit pas de traquer les individus, mais simplement de rationaliser le système afin que les deniers publics soient utilisés au mieux. Avez-vous pu calculer le pourcentage d'attributions non pertinentes ?

M. François Scellier : Notre découverte est relativement récente, mais en creusant un peu, nous avons vu que cela représentait entre 5 et 10 % des bénéficiaires, ce qui n'est pas négligeable. Il faut mesurer, cela dit, la difficulté qu'il y a à recouvrer les versements indus. Certains départements - ceux-là justement qui ont fait preuve de rigueur - se sont d'ailleurs trouvés pénalisés, les mises en recouvrement ayant été considérées comme des recettes à venir par le Trésor public pour le calcul des dotations et compensations de l'État, alors que l'on sait que le taux effectif de recouvrement n'est, dans le meilleur des cas, que de 5 ou 10 %. Plus on pourra interconnecter les systèmes d'information et croiser les données - à condition, bien sûr, de ne pas empiéter sur les libertés individuelles -, mieux ce sera.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Considérez-vous que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) devrait être supprimée, et qu'il faudrait créer une cinquième branche ?

M. François Scellier : C'est une vaste question, sur laquelle les différents conseils généraux ont des points de vue très contrastés. Certains, après avoir considéré qu'il était hors de question de créer un cinquième risque, ont évolué, notamment pour des raisons de coût. Mais on en revient au problème de départ : il est extrêmement difficile de distinguer ce qui relève du vieillissement et ce qui relève de la maladie. Je ne suis pas médecin, mais voyez la maladie d'Alzheimer : à quel moment passe-t-on du vieillissement ordinaire à la pathologie ? Le même problème de frontière se pose pour les handicapés qui dépassent l'âge de 60 ans.

Je crois que l'on ne pourra pas unifier la compétence, mais qu'il faudra renforcer la coordination afin de définir ce qui relève de l'un ou de l'autre, et ce au niveau local plutôt qu'étatique. Les choses sont tout à fait différentes, en effet, d'un point du territoire à l'autre : le coût de l'APA est très variable, celui du RMI aussi. Dans le Val-d'Oise, par exemple, le nombre des emplois augmente, mais celui des chômeurs aussi, car beaucoup d'emplois sont occupés par des personnes qui habitent en dehors du département. Ailleurs, ce sera l'inverse. Il est donc très difficile de dire que tel département est en meilleure santé économique que tel autre.

Pour rapprocher le sanitaire et le médico-social, il faut commencer par se mettre autour d'une table. Ce qui se fait autour de la maison du handicap est très important à cet égard, car cela suscite des échanges et des discussions qui n'avaient pas lieu avant et qui peuvent déboucher sur de meilleures solutions.

M. Pierre Morange, coprésident : Avant que nous nous séparions, je vous rappelle que la MECSS est preneuse de toutes informations et propositions précises que l'ADF pourrait nous communiquer, dans une logique de rationalisation et d'optimisation de l'emploi des deniers publics.

M. François Scellier : Je vous ferai parvenir des éléments complémentaires par écrit, et demanderai aux services de l'ADF de répondre de façon chiffrée aux questions plus précises que vous avez posées. L'un des problèmes les plus importants est celui des relations entre les départements et la sécurité sociale. Cela se manifeste, par exemple, en matière de prévention, domaine où il est difficile de bien coordonner les responsabilités, les financements, la communication, et où l'action  du département n'est donc pas toujours bien perçue sur le terrain. C'est ainsi que mon épouse a reçu un document l'incitant à subir un dépistage du cancer du sein, document qui donnait l'impression, à qui le lisait, d'émaner de la seule assurance maladie, bien que le département ait également financé l'opération. C'est une question d'image, c'est vrai, mais il est également important que chacun sache qui fait quoi et à qui il doit s'adresser.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu Mme Françoise Descamps-Crosnier, membre du bureau de l'Association des maires de France (AMF), maire de Rosny-sur-Seine, et Mme Marie-Claude Serres-Combourieu, responsable du département action sociale, éducative, sportive et culturelle de l'AMF.

M. Pierre Morange, coprésident : Mesdames, je vous souhaite la bienvenue et je laisse sans plus tarder la parole à notre rapporteure.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous nous indiquez quelle est le constat que dresse aujourd'hui l'AMF en ce qui concerne l'action sociale ? Quel bilan faites-vous, en particulier, de sa décentralisation ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Je souhaite tout d'abord rappeler que le maire constitue l'échelon de proximité de l'action sociale : il est le premier interlocuteur de la population, c'est lui que l'on vient voir pour exposer ses difficultés et sa détresse sociale. À ce titre, il est un acteur éminent de la cohésion sociale. Il joue un rôle essentiel non seulement dans le traitement des situations d'urgence mais aussi dans la prévention de l'exclusion dont nous constatons qu'elle touche chaque jour davantage de personnes, y compris ceux que l'on appelle désormais les travailleurs pauvres. Sa tâche est également très importante pour le maintien de la mixité sociale et la préservation de l'égalité des chances : même si ce n'est pas lui qui apporte l'ensemble des réponses, c'est toujours vers lui que l'on se tourne d'abord.

Nous observons également que l'action sociale des collectivités locales ne cesse de croître et que les communes ont de plus en plus souvent à relayer les dispositifs de la solidarité nationale. En outre, si les départements ont en la matière de grandes compétences, les communes conservent à l'évidence un champ d'action important à travers l'assistance qu'elles apportent à la population.

Certes, il y a eu ces dernières années une clarification du rôle de chacun, mais elle ne paraît pas encore suffisante pour que chacun puisse s'y retrouver. Si le maire est le fédérateur de l'action sociale au niveau local, il n'a pas pour autant toujours la possibilité de mobiliser l'ensemble des acteurs et des partenaires, y compris parfois le conseil général. Les membres de l'AMF expriment donc le souhait de pouvoir mobiliser beaucoup plus facilement l'ensemble des partenaires.

La position de l'AMF vis-à-vis de la décentralisation est claire : nous souhaitons aujourd'hui que l'on marque une pause car nous sommes arrivés à un moment où il convient d'affiner ce qui existe, de prendre le temps d'organiser la complémentarité entre les différents acteurs et de mettre en cohérence leurs interventions. Surtout, il nous paraît nécessaire de stabiliser les financements. C'est ainsi que l'on fera en sorte que les choses se passent au mieux mais aussi que l'on parviendra à remédier aux disparités territoriales qui perdurent. Car ce qui importe, c'est que chacun puisse assurer un service aux populations les plus fragiles et, au-delà, agir en faveur du bien vivre, en particulier par l'accompagnement des familles. Cela passe notamment par l'élargissement de l'offre d'accueil de la petite enfance qui fait partie, aux côtés du logement et de l'emploi, des premières demandes de nos concitoyens.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous faites donc le constat que le maire est celui qui accuse le premier le choc social de la détresse, qu'il est un acteur de proximité, mais aussi que les demandes sont multiples et diverses et qu'il est difficile d'établir le contact avec les autres intervenants de l'action sociale. Dans ces conditions, l'AMF a-t-elle des solutions à préconiser pour que l'offre d'action sociale réponde mieux à la demande ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : La montée en charge du traitement de l'insertion et de l'égalité des chances modifie les pratiques des collectivités territoriales et rend nécessaire le développement de nouveaux services et de nouveaux outils. On assiste en effet à une véritable escalade des demandes en raison de l'accroissement du nombre des pauvres, mais aussi de celui des familles monoparentales, qui exigent un accompagnement supplémentaire, par exemple au titre du logement en raison du développement des gardes alternées. Les maires sont également confrontés davantage aux difficultés des jeunes en matière de logement, d'emploi, de santé. Tout ceci conduit les communes à intervenir de plus en plus en complément de l'action des départements.

Face à ce phénomène, il n'y a pas de solution miracle mais peut-être des pistes de réflexion. Il nous semble en premier lieu qu'il faudrait clarifier le rôle de chacun afin qu'on ne soit pas amené à se demander sans cesse qui doit intervenir et comment.

Les difficultés rencontrées sont fréquemment d'ordre financier. Les communes ont véritablement besoin d'un financement pérenne pour accomplir au mieux leurs missions. Une fois que l'on a créé un dispositif, par exemple en ouvrant une structure d'accueil, il n'est pas possible de la fermer si le financement s'interrompt, et la commune n'a alors pas d'autre choix que d'augmenter les impôts locaux. C'est pour ces raisons que les désengagements de la sécurité sociale en matière d'accueil de la petite enfance placent les communes dans de graves difficultés.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Certaines expériences apportent-elles des réponses adaptées aux difficultés que vous venez de décrire ? Vous paraît-il souhaitable de développer l'action sociale d'intérêt communautaire, en généralisant les centres intercommunaux d'action sociale (CIAS), qui sont des acteurs de plus en plus importants sur le terrain ?

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : On nous rapporte en effet des exemples de relations entre les communes et des associations locales qui prennent en charge des problèmes spécifiques. Certaines communes s'efforcent aussi de coordonner l'ensemble du secteur associatif. Par ailleurs, un certain nombre de conseils généraux informent les communes de ce qu'ils font, ce qui leur permet d'assurer un suivi. Il est également possible de passer des conventions avec les conseils généraux, mais elles sont à ce jour peu nombreuses.

M. Pierre Morange, coprésident : On nous fait souvent observer qu'il est nécessaire, pour faire face à la diversité des situations, de coordonner les moyens et de remédier à la complexité du système. C'est pourquoi nous souhaitons savoir où en est cette coordination sur le terrain.

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Nous ne disposons d'aucun état des lieux et les données ne sont pas centralisées.

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : Nous sommes une petite structure, avec 35 000 adhérents auxquels s'ajoutent 1 400 communautés de communes. Nous n'avons pas les moyens de faire remonter l'ensemble des informations.

M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous néanmoins préciser l'enveloppe financière que les communes consacrent à l'action sociale et sa ventilation selon les différents types d'actions ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Il est très difficile d'estimer les sommes consacrées à l'action sociale car il s'agit d'un domaine extrêmement vaste et qui est financé dans des cadres divers : centres communaux d'action sociale (CCAS), intercommunalités, communes, associations financées par les communes.

M. Pierre Morange, coprésident : On pourrait au moins partir des lignes budgétaires votées par les conseils municipaux. L'AMF a-t-elle tenté de rassembler l'ensemble des données ?

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : Une tâche d'une telle ampleur excède nos possibilités. Nous-mêmes utilisons les chiffres établis par d'autres, en particulier par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé et des solidarités.

Même si la réforme de la comptabilité communale permet de disposer d'une comptabilité fonctionnelle, celle-ci demeure très modeste dans les communes de moins de 10 000 habitants et il est extrêmement difficile de collecter les informations.

Il est en outre parfois délicat de savoir de quel chapitre relève telle ou telle action : quand on fait de la veille éducative, s'agit-il d'action sociale ou d'éducation ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : En effet, s'il est sans doute possible de quantifier l'action sociale pure, cela paraît bien plus difficile pour tout le reste, c'est-à-dire pour ce que les collectivités font en matière d'accompagnement, de prévention, d'égalité des chances et qui, aux yeux de nombreux élus, relève également de l'action sociale.

La collecte de l'information est difficile dans la majorité des communes, dont je rappelle que 32 000 d'entre elles ont moins de 2 000 habitants. En fait, elles nous rapportent surtout leurs problèmes, que nous essayons de traiter au sein de nos groupes de travail.

M. Pierre Morange, coprésident : Avec les moyens humains dont elles disposent, les communes ont souvent du mal à faire face aux problèmes auxquels elles sont confrontées. Ne vous paraîtrait-il pas utile, dans une logique d'aménagement du territoire, d'essayer de regrouper au sein d'espaces communs les compétences dans les domaines sanitaire, social et médico-social, afin de faciliter les démarches de nos concitoyens ? Vous l'aurez compris, il s'agit moins dans mon esprit de guichets uniques que de plates-formes multiservices.

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : Il existe des exemples de telles plates-formes, notamment à Rennes.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est précisément parce que les expériences sont concluantes dans une grande ville comme Rennes comme dans des territoires ruraux que nous souhaitons savoir si l'AMF a réfléchi à une généralisation de ce dispositif.

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : L'AMF adhère totalement à cette démarche, qui s'inscrit d'ailleurs dans sa volonté de conforter les services publics en milieu rural.

Mais nous ne disposons pas d'une liste des maisons de services publics ou des plates-formes multiservices, pour la bonne raison que notre association n'a pas vocation à collecter des informations en vue de la création d'une sorte de banque de données. Notre mission est davantage de réflexion et de représentation, c'est-à-dire de discussion avec les différents partenaires et avec les pouvoirs publics, afin d'informer et de conseiller les élus.

S'agissant de ces espaces communs que vous appelez de vos vœux, l'AMF répond dans un certain nombre de domaines à la sollicitation des pouvoirs publics, même si ces derniers ont une vision assez thématique de ces lieux, vision que traduit le fonctionnement des Points infos famille ou des maisons du handicap. L'idée est toutefois bien de mettre ensemble un certain nombre de partenaires, et les communes répondent de façon favorable. Mais il est parfois difficile de fédérer les différents partenaires, non seulement parce que la volonté politique fait défaut, mais aussi que tous ne sont pas prêts à s'engager dans une telle démarche, on l'a bien vu avec les maisons de l'emploi.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Les élus manifestent aujourd'hui leur volonté de favoriser les regroupements et le partage des informations afin d'apporter la meilleure réponse possible à l'usager. Comment vous-même pensez-vous qu'il est possible d'organiser le rassemblement de toutes les données utiles à celui qui en a besoin ? Cela ne ramène-il pas à ma question sur les CIAS ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : L'AMF défend une intercommunalité fondée sur la volonté des élus et des communes. Elle considère que l'action sociale relève à l'évidence de la proximité, donc des maires qui sont déjà très impliqués dans le développement des politiques sociales. Mais à partir du moment où la volonté des élus est de se regrouper pour améliorer leur action sociale sur le terrain, notre association y est tout à fait favorable. Dans ces conditions, c'est à eux qu'il appartient de choisir de créer un CIAS ou de coordonner l'intervention des différents CCAS. S'ils décident de passer par un CIAS, il faut absolument que celui-ci dispose de relais sur le terrain car la proximité est la meilleure garantie d'un traitement efficace des dossiers, notamment dans le domaine social, dans la mesure où les personnes en difficulté ont du mal à se déplacer vers les structures qui leur sont dédiées. C'est d'ailleurs aussi pour aller à la rencontre des plus fragiles que les différents partenaires tiennent souvent des permanences dans les communes.

M. Pierre Morange, coprésident : En fonction des difficultés qu'elle constate, l'AMF préconise-t-elle des simplifications de l'action sociale et médico-sociale afin de rationaliser le traitement des dossiers et d'optimiser l'utilisation des moyens publics ?

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : Il nous semblerait utile de mettre en cohérence les différents intervenants dans le secteur de la petite enfance car les maires ont souvent du mal à appliquer les procédures différentes et parfois contradictoires, en particulier entre les caisses d'allocations familiales (CAF) et les services de protection maternelle et infantile (PMI) des conseils généraux.

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Nous souhaiterions également que les dispositifs soient moins fragmentés, que les actions soient mieux coordonnées et que l'on arrête de nous imposer sans cesse de nouvelles normes.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous nous donner des exemples de cette fragmentation des dispositifs ?

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : L'intervention d'un grand nombre de structures, chacune spécialisée dans un domaine bien particulier, peut nuire à la qualité de la prise en charge des personnes en difficulté.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : On nous dit en effet fréquemment qu'il serait plus efficace et plus rapide que chacun ait un interlocuteur unique ou du moins un référent qui l'accompagnerait dans ses démarches.

Mme Françoise Descamps-Crosnier : On peut comprendre que les intervenants soient nombreux car les problèmes sont différents, mais il faut absolument parvenir à une coordination, ainsi d'ailleurs qu'à un retour d'informations afin de savoir qui fait quoi et où en est exactement la personne concernée.

M. Pierre Morange, coprésident : À ce propos, quelle est la position de l'AMF concernant la centralisation et le partage des données en matière sociale prévue par l'amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 que le Parlement vient d'adopter et qui donnera aux CCAS comme aux communes un accès à un certain nombre de données ? Cette disposition vous paraît-elle de nature à répondre à quelques unes des difficultés que vous venez de mentionner en matière de transmission de l'information ? Des mesures complémentaires vous paraissent-elles nécessaires ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Les maires n'ont pas toujours connaissance de l'ensemble des prestations dont bénéficient les personnes en difficulté. Cela étant, ils ne souhaitent pas disposer de toutes les informations relatives à ces personnes mais de celles dont ils ont effectivement besoin.

M. Pierre Morange, coprésident : L'amendement ne vise que les données relatives à l'action sociale et les critères financiers, sur lesquels tout maire doit fonder sa décision.

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Un recoupement des informations paraît indispensable pour un meilleur suivi des personnes qui demandent une aide. Mais, je le répète, les maires ne souhaitent pas avoir accès à toutes les informations.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez évoqué la branche famille, quelle est votre analyse de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion (COG) et de la modification de la stratégie de cette branche ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Cela pose surtout la question de l'accompagnement des communes dans le financement des structures d'accueil de la petite enfance. Même s'il faut offrir des solutions de garde diversifiées en fonction des territoires et des demandes des familles, celles-ci portent essentiellement sur l'ouverture d'un plus grand nombre de places en garde collective, car ce système leur paraît offrir davantage de sécurité et favoriser l'épanouissement de l'enfant. La crainte qui s'exprime vis-à-vis des mini-crèches expérimentales tient d'ailleurs surtout au risque d'une insuffisante formation des personnels. De même, dans les propositions qui sont faites en matière d'activités périscolaires, c'est l'éventualité d'une réduction de l'encadrement qui provoque notre inquiétude. Vous l'aurez compris, la politique proposée par le ministre pour la petite enfance suscite un certain nombre d'interrogations au sein de notre association.

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : Nous recevons actuellement de nombreux courriers de maires à propos de la renégociation des contrats enfance-jeunesse. Dans le cadre de sa nouvelle COG, la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) entend inciter à créer de nouvelles places d'accueil. Mais, dans les faits, cela se traduit par une diminution - dont nous aimerions croire qu'elle n'ira pas au-delà des 3 % par an annoncés - de ses aides aux structures qui fonctionnent déjà, ce qui provoque de vives protestations des élus, qui n'avaient pas compris que les financements qu'ils avaient reçus antérieurement n'était pas pérennes mais uniquement destinés à amorcer un dispositif. Dans la mesure où l'on a réduit précédemment la participation des familles, les maires n'ont parfois pas d'autre solution que de réduire l'amplitude horaire d'ouverture des établissements, ce qui est contraire aux objectifs poursuivis antérieurement par la CNAF dans le cadre de la prestation de service unique (PSU).

Mme Françoise Descamps-Crosnier : C'est en ce sens que j'évoquais la nécessité de stabiliser les financements. Nous nous apercevons aujourd'hui que certains, que nous pensions pérennes, ne le sont en fait pas. Or, c'est sur cette base que nous avons ouvert des structures et procédé à des recrutements, afin d'offrir un service public supplémentaire répondant à de véritables besoins. Les collectivités locales avaient été incitées par les pouvoirs publics à s'engager dans cette voie, mais aujourd'hui, en raison des désengagements de la CNAF, elles se retrouvent seules à assumer le financement de ces équipements, qui doivent en outre répondre à des normes sévères, fixées par la CNAF elle-même. C'est pourquoi les communes sont contraintes de réduire les horaires d'ouverture, ce qui va à l'encontre de leur volonté d'accompagner la population.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions et nous vous invitons à nous faire parvenir toutes les informations complémentaires dont vous estimeriez qu'elles pourraient nourrir la préparation de notre rapport.

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère de la santé et des solidarités.

M. Pierre Morange, coprésident : Je suis heureux de vous accueillir une nouvelle fois à l'Assemblée nationale, et je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure, qui a un certain nombre de questions à vous poser.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Les récents rapports de la Cour des Comptes et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) montrent des insuffisances dans la maîtrise par les branches de leur politique d'action sociale. Comment avez-vous tenu compte de ces observations ? Quelles conséquences en avez-vous tiré dans les conventions d'objectifs et de gestion (COG) ?

M. Dominique Libault : Je me réjouis de l'occasion qui m'est donnée de participer à nouveau aux travaux de la MECSS. Ces échanges nous sont fort utiles, en particulier pour comprendre les attentes des parlementaires et nous avons essayé d'en tenir compte lors de l'élaboration du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

S'agissant plus précisément du sujet de cette audition, je serai assez modeste car je suis directeur de la sécurité sociale et non de l'action sociale. Si j'ai une certaine visibilité de l'action sociale des caisses, je n'en suis pas un grand spécialiste.

Cela étant, vos auditions antérieures comme le travail de cartographie de l'action sociale que mène l'IGAS montrent bien l'importance de la coordination et de la synergie entre les différentes formes d'action sociale et entre tous les intervenants.

Mais il me paraît aussi très utile de réfléchir à la complémentarité entre les prestations légales et l'action sociale. Un point commun entre les très nombreuses caisses nationales et locales des différentes branches de la sécurité sociale, c'est que chacune a son fonds d'action sociale. Même si la France s'honore de son système de prestations légales qui sont des droits objectifs reconnus à la personne, ce qui lui évite d'avoir à quémander des prestations, on n'en a pas moins besoin de l'action sociale des caisses.

En premier lieu, parce qu'elle permet d'apporter des réponses à des situations qui ne peuvent pas être prises en charge par les prestations légales, par exemple à des insuffisances de remboursement de l'assurance maladie en matière d'optique ou de soins dentaires.

En second lieu, parce qu'il paraît impossible de prévoir tous les cas de figure par la voie légale, en particulier en raison de la complexité des cas sociaux et des situations familiales.

Enfin, parce que l'action sociale joue un rôle très important en matière d'innovation et d'anticipation. Dans la mesure où les besoins sociaux évoluent, il faut laisser la place à l'expérimentation, quitte à la reprendre ensuite dans des prestations légales. Ainsi, c'est par le biais d'une expérimentation dans le cadre de l'action sociale que l'on a commencé à subventionner les assistantes maternelles, la prestation sociale d'assistance maternelle (PSAM) étant devenue ensuite l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée (AFEAMA), puis la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE). On s'est aussi rendu compte, au moment de la création de la prestation de compensation pour les handicapés, que c'était auparavant l'action sociale des caisses qui répondait à la nécessité de prise en charge à domicile des handicaps très lourds. On le voit, l'action sociale permet d'apporter sur le terrain des réponses à un certain nombre de besoins sociaux.

Les administrateurs des caisses attachent beaucoup d'importance à l'action sociale. Dans la mesure où ils n'ont qu'un rôle assez réduit en matière de prestations légales, puisqu'ils interviennent surtout dans le cadre des commissions de recours amiable, ils se consacrent avant tout à la gestion de l'action sociale. D'ailleurs, au sein des caisses, les commissions d'action sociale sont celles qui fonctionnent mieux et celles dans lesquelles les gens s'investissent le plus. Les directeurs des caisses sont eux aussi très attachés à l'action sociale, car c'est là qu'ils peuvent conduire des expérimentations.

Pour toutes ces raisons, il paraît très important de veiller à la complémentarité entre les prestations légales, l'action sociale, mais aussi le versement des minima sociaux pour le compte de tiers, qui est le troisième rôle des caisses. C'est ainsi que les caisses, en particulier celles d'allocations familiales, sont des sortes de maisons vers lesquelles se tournent les personnes en précarité qui ont besoin de secours, auxquelles elles répondent en mobilisant l'ensemble des outils : prestations légales, action sociale et minima sociaux.

Pour en venir à votre question, il est vrai que des rapports récents ont pointé des insuffisances et des problèmes au sein de la branche famille, qui portaient principalement sur le pilotage et sur les dérives financières de l'action sociale par rapport à la COG. On voit là les effets de la difficulté que nous avons déjà observée à disposer d'indicateurs, tant financiers que de l'efficacité sociale. Nous ne négligeons nullement ces questions, mais il est vrai qu'il s'agit d'un terrain plus compliqué que d'autres, comme la gestion administrative ou même les prestations légales ; que ces actions sont souvent menées en partenariat avec les collectivités locales ; que les caisses dépendent elles-mêmes des informations qui remontent de ces collectivités. En outre, l'action sociale est par essence proche du terrain et des personnes et on a du mal à la segmenter en différentes catégories.

La branche famille tente toutefois de remédier à cela et, depuis 2006, chaque caisse d'allocations familiales (CAF) fait remonter un état et des prévisions budgétaires ainsi que des informations sur les contrats conclus avec les collectivités locales. Nous allons ainsi pouvoir beaucoup mieux suivre l'action sociale et ses éléments financiers, mais il nous reste encore à progresser sur l'utilité sociale des actions menées et la qualité des relations avec les collectivités locales.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous faire un point sur la diffusion des contrats enfance et temps libre dans les communes ?

Par ailleurs, compte tenu de la décentralisation de l'action sociale, quelle organisation pensez-vous qu'il faudrait privilégier : la spécialisation par blocs de compétences, la segmentation, la mise en réseau, le partenariat, la coopération, l'unification du pilotage, la proximité ?

M. Dominique Libault : L'action sociale est extrêmement diverse, et la réponse à votre question varie selon le type d'actions que l'on envisage.

Ainsi, dans la branche famille, on peut distinguer deux mode d'intervention différents : d'une part les prestations de services, qui recouvrent l'ensemble des contrats passés avec les collectivités locales autour de la petite enfance et du temps libre et visent au financement pérenne d'équipements collectifs, d'autre part les prestations sociales individuelles. On s'est demandé, au début de ce quinquennat, s'il fallait conserver le système des contrats ou aller vers une allocation de libre choix versée aux parents. Pour ma part, j'ai toujours été très réservé vis-à-vis de cette dernière solution car, à laisser les collectivités locales financer seules les équipements collectifs, on prendrait le risque de ne pas développer ceux dont le pays a besoin. J'ai donc milité, même s'il convient de revoir ce système - ce que nous sommes en train de faire - pour un partenariat qui assure aux collectivités locales un cofinancement pérenne.

En revanche, pour ce qui concerne l'action sociale en faveur des personnes âgées, on peut se demander s'il ne conviendrait pas d'aller vers un système par blocs de compétences. Faut-il, par exemple, maintenir la séparation entre d'un côté les groupes iso-ressources (GIR) 1, 2, 3, 4 et de l'autre les GIR 5 et 6 ? Mais je répète que pour les caisses vieillesse comme pour les autres, l'action sociale est considérée comme un élément très important. Les en priver serait donc vécu comme une amputation.

M. Pierre Morange, coprésident : Beaucoup des personnes que nous avons auditionnées ont insisté sur la nécessité de mieux coordonner les moyens, chacun ignorant très largement ce que fait son voisin. Vous plaidez pour un maintien de l'action sociale dans les caisses, mais vous-même avez-vous connaissance de façon précise de ce que font tous les partenaires dans ce cadre ? Autrement dit, y a-t-il quelqu'un qui maîtrise complètement l'information ?

M. Dominique Libault : Au niveau national, cela paraît assez difficile à appréhender, même si l'IGAS s'y est essayée avec sa cartographie.

Au plan local, cela dépend des départements : dans certains cas, cela fonctionne très bien et chaque partenaire a une bonne visibilité de ce que font les autres. Mais ce n'est pas le cas partout.

Il me semble que l'action sociale des caisses devrait aujourd'hui se tourner davantage vers l'insertion : si l'action d'urgence est indispensable, il faut aussi s'efforcer d'aider les personnes concernées à reconstruire quelque chose. Il faut véritablement s'efforcer de mieux articuler les deux démarches.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pour cela, il faut être attentif à ce qui existe déjà car la multiplicité des acteurs n'est pas vraiment un gage d'efficacité.

Je reviens sur les trois domaines de l'action sociale que vous avez distingués au début de cette audition : sont-ils d'importance égale ou les caisses établissent-elles des priorités ?

M. Dominique Libault : Les trois sont importants, mais les modes d'intervention peuvent varier. Ainsi, le gouvernement préconise, au-delà de la couverture maladie universelle (CMU), le versement par les caisses d'une aide à la complémentaire santé plutôt que la prise en charge des dépenses non couvertes par l'assurance maladie, au coup par coup. C'est pour cela que le plafond d'éligibilité à cette aide a été encore relevé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.

M. Pierre Morange, coprésident : Comment expliquez-vous le peu de succès de cette mesure puisqu'on est à 200 000 bénéficiaires sur une population cible de 2 millions de personnes ?

M. Dominique Libault : Je pense que l'on va rapidement aller vers les 300 000 bénéficiaires. Le problème tient essentiellement à la diffusion de l'information auprès du public concerné. À l'évidence, les branches n'avaient pas fait l'effort nécessaire alors que ce sont elles qui ont accès à ces publics, qu'il s'agisse des bénéficiaires du minimum vieillesse ou de l'allocation adulte handicapé. Depuis la fin du premier semestre 2006, ce travail est en cours de façon très active et se renforcera encore au début de l'an prochain, lorsque les nouveaux textes entreront en vigueur.

Je me suis en outre rendu compte qu'il n'existait pas de formulaire spécifique de demande de la complémentaire santé et que seuls les déboutés de la CMU étaient orientés vers ce dispositif. Nous avons désormais remédié à ce défaut.

M. Pierre Morange, coprésident : Pourriez-vous nous donner quelques exemples de collaborations réussies et nous expliquer les raisons de ces succès ? Il serait sans doute utile à l'IGAS d'en avoir connaissance.

M. Dominique Libault : Je crains de vous décevoir quelque peu, mais je m'efforcerai de vous fournir les éléments nécessaires.

J'observe toutefois que les réussites ne sont jamais globales et qu'elles interviennent sur des terrains particuliers comme la dépendance, entre les conseils généraux et les caisses ; la politique de la ville, entre les collectivités locales, les caisses et les acteurs de cette politique ; le handicap, domaine dans lequel les acteurs qui se connaissaient déjà bien se sont retrouvés au sein des maisons du handicap. Malheureusement, il n'est pas possible de généraliser, et l'on peut dire que c'est en fait là où les acteurs de terrain se connaissent et s'apprécient qu'ils trouvent ensemble les bonnes méthodes. Dans le Nord-Pas-de-Calais par exemple, les très bonnes collaborations entre collectivités locales et caisses sont une tradition.

M. Pierre Morange, coprésident : En effet, pour les plates-formes multiservices le Nord, mais aussi la ville de Rennes et certains territoires ruraux, en particulier en Lozère, sont pilotes. Nous aimerions que vous nous communiquiez des précisions à ce propos.

M. Dominique Libault : À l'opposé, même entre les caisses, les collaborations ne sont pas toujours parfaites.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Compte tenu des importants transferts de charges en direction de départements dans le secteur des personnes âgées, pensez-vous qu'il conviendrait de redéfinir l'action sociale de la branche vieillesse ?

M. Dominique Libault : C'est un sujet auquel nous avons réfléchi, avec la direction de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), dans le cadre de la préparation des COG. Les caisses sont des points de contact privilégiés puisque 19 millions de personnes passent chaque année dans les CAF. Nous nous sommes donc demandé s'il n'était pas possible d'aller au-delà des prestations légales et d'accompagner les personnes le plus longtemps possible dans l'autonomie. Car telle est bien l'idée de la refonte de l'action sociale de la branche vieillesse, en passant de la prestation d'aide ménagère vers une aide plus globale répondant à l'ensemble des besoins de la personne, bien évidemment sans déstabiliser les services traditionnels, qui sont efficaces et utiles. Qu'un acteur social comme les caisses d'assurance vieillesse se situe sur ce terrain de la prévention de la perte d'autonomie me paraît plutôt légitime. En revanche, lorsqu'une autre forme de prise en charge devient nécessaire, qui mélange sanitaire et social, que ce soit en établissement ou à domicile, c'est de coordination entre les différents acteurs que l'on a surtout besoin. Même si la frontière entre les GIR 4 et 5 peut sembler un peu conventionnelle, on peut considérer qu'il ne s'agit pas en fait exactement du même métier.

Par ailleurs, beaucoup de réflexions menées actuellement sur le social vont vers l'idée d'assurer un service public effectif, ce que certains appellent le système des « droits opposables ». Et l'on peut donc se demander en quoi l'action sociale peut y contribuer. Si les caisses servent les prestations monétaires, on voit bien qu'on va leur demander demain d'assurer l'accès effectif aux soins dans le cadre du service public de l'assurance maladie. L'ensemble des composantes de l'assurance maladie devront y travailler ensemble. De même, pour le service public de la petite enfance, il faudra, au-delà des prestations légales, assurer l'accès effectif aux modes de garde. Et l'on revient ainsi à l'idée de complémentarité de tous les modes d'action des caisses, en étroit partenariat avec l'ensemble des acteurs sociaux.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie et je vous invite à nous faire parvenir toutes les précisions, commentaires et propositions dont vous pensez qu'ils pourraient nourrir notre rapport.


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