COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 6

Jeudi 14 décembre 2006
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de Mme Paulette Guinchard et M. Pierre Morange, coprésidents

SOMMAIRE

 

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Auditions sur l'action sociale du régime général de sécurité sociale et l'action sociale des collectivités territoriales

 

- M. Bernard Derosier, député, président du conseil général du Nord, M. Michel Diefenbacher, député, président du conseil général du Lot-et-Garonne, et M. Philippe Jamet, directeur général adjoint des services du conseil général du Lot-et-Garonne, M. Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône, et M. Yves Talhouarn, directeur général adjoint des services du conseil général du Val-de-Marne, en charge du pôle prévention et action sociale

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- M. Jean-François Benevise, directeur général adjoint des services de la ville de Lyon, et Mme Véronique Fages, directrice de l'action sociale, M. Jean-Michel Marige, directeur général de l'action sociale de la ville de Créteil, et Mme Isabelle Blondin, responsable du service des prestations sociales, M. Jean-Michel Moynié, directeur du centre communal d'action sociale de la ville d'Agen, Mme Marielle Boyer-Schaeffer, directrice générale adjointe du centre communal d'action sociale de la ville de Lille, et M. Rodolphe Dumoulin, directeur de l'action sociale et de l'insertion

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu M. Bernard Derosier, député, président du conseil général du Nord, M. Michel Diefenbacher, député, président du conseil général du Lot-et-Garonne, accompagné de M. Philippe Jamet, directeur général adjoint des services du conseil général du Lot-et-Garonne, en charge de la vie sociale, M. Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône, et M. Yves Talhouarn, directeur général adjoint des services du conseil général du Val-de-Marne, en charge du pôle prévention et action sociale.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous auditionnons maintenant les principaux acteurs locaux de quatre départements sélectionnés par la MECSS, dont l'action sociale est plus précisément étudiée en collaboration avec l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS. Cette méthode doit permettre de croiser les approches et d'approfondir certains sujets concernant l'action sociale en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Mesdames et Messieurs, quelles sont les principales orientations de votre politique d'action sociale ? Comment l'action sociale est-elle structurée dans vos départements ? Avez-vous réfléchi à une organisation par pays ou bassin de vie ? Pouvez-vous dresser un bilan de la décentralisation de l'action sociale ? Le département constitue-t-il un bon niveau de coordination, voire de pilotage de l'action sociale ? Quelle est votre appréciation sur la coordination entre collectivités territoriales en matière d'action sociale et comment estimez-vous que nous pourrions l'améliorer ?

M. Michel Diefenbacher : En Lot-et-Garonne, département rural, les dépenses d'action sociale, depuis cinq ans, ont explosé : depuis 2001, elles sont passées de 64 à 145 millions d'euros. Dans le même temps, la structure du budget social a considérablement changé. En 2001, l'enfance et la famille arrivaient en premier, les personnes handicapées en deuxième, les personnes âgées en troisième et l'insertion en quatrième. En 2006, les personnes âgées sont passées en premier, les personnes handicapées en deuxième, l'insertion en troisième et l'enfance et la famille en quatrième.

Dans un département vieillissant, l'action en faveur des personnes âgées est évidemment de plus en plus forte. Il y a cinq ans, dans ce domaine, 71 % de notre effort était orienté vers l'aide à l'hébergement contre 29 % pour la prévention et les aides à domicile. Aujourd'hui, la part de l'aide à l'hébergement est tombée à 51 % tandis que les actions de prévention et d'aide à domicile se sont considérablement développées : leur montant est passé de 20 à 70 millions. Ce phénomène s'explique très largement par l'apparition de nouvelles prestations : l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) représente 30 millions d'euros, le revenu minimum d'insertion (RMI) 27,5 millions, la prestation de compensation du handicap (PCH) 6 millions, soit au total près de la moitié du budget d'action sociale.

Le département a organisé, entre mars et octobre 2006, une opération de concertation publique avec la population. Il en est ressorti que les citoyens éprouvent un grand intérêt pour les questions d'ordre social et sont préoccupés par six sujets principaux.

Premièrement, la mobilité géographique des personnes âgées. Leur maintien à domicile risque de devenir, à terme, une sorte d'emprisonnement. Ce problème aigu, dans un département rural, ne sera pas réglé par les transports en commun. Nous avons donc imaginé un système de transport à la demande dont une part non négligeable est prise en charge par la collectivité publique.

Deuxièmement, le logement des jeunes en formation et de ceux qui accèdent à leur premier emploi. Les conditions d'accueil sont souvent insatisfaisantes.

Troisièmement, le logement des seniors. La prise en charge des seniors désireux de quitter leur domicile pour s'installer dans un logement mieux adapté à leur situation nécessitera également une intervention financière de la collectivité.

Quatrièmement, la présence médicale en milieu rural. De moins en moins de généralistes s'installent à la campagne et de moins en moins de spécialistes s'installent dans les villes moyennes. Les cinq pays de Lot-et-Garonne ont conduit une analyse à ce sujet mais ses conclusions ne sont pas encore disponibles.

Cinquièmement, la formation des bénévoles. On ne peut pas parler de crise du bénévolat mais les militants associatifs doivent bénéficier d'une meilleure formation, sur le plan technique comme en matière de gestion.

Sixièmement, l'accompagnement des aidants familiaux. Ce problème se pose en particulier dans les cas de démence sénile ou de maladie d'Alzheimer.

J'ai le sentiment que le département est le bon niveau d'intervention car il est suffisamment proche des gens, tout en disposant d'une assise géographique qui lui permet de conduire une politique globale. Il ne jouera toutefois pleinement son rôle que si le système de péréquation des charges entre départements est rendu plus juste.

M. Pierre Morange, coprésident : Que pensez-vous de la coordination entre les acteurs - les départements, les centres communaux d'action sociale (CCAS), les branches du régime général, la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et l'État - dans la mise en œuvre de l'action sociale ? Sur le terrain, comment cela se passe-t-il ? Quels sont les délais de mise en œuvre des initiatives communes ?

M. Philippe Jamet : J'observe tout d'abord que dans un département rural comme le Lot-et-Garonne qui dispose de ressources limitées, il y a une nécessité à agir de façon synergique. La question de la coordination m'amène à évoquer la mise en place de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). La MDPH offre des motifs de très grande satisfaction. Des conventions ont été très facilement passées avec des opérateurs des secteurs associatif et public, ce qui a permis d'organiser l'ensemble des ressources de l'équipe pluridisciplinaire et de créer des transversalités intéressantes, sauf en ce qui concerne la psychiatrie. Il a toutefois été précisé, dans un avenant à la convention constitutive du GIP - groupement d'intérêt public -, qu'un organisme de sécurité sociale ne participerait pas au fonctionnement de la MDPH. Un autre organisme a cessé de financer un poste d'ergothérapeute. Nous sommes heureux de retrouver ces structures dans le fonds de compensation mais elles doivent s'engager davantage.

Le problème de coordination avec les services de l'État s'accentue d'année en année. Ayant vécu la prise en main par les conseils généraux et la création des GIP comme une dépossession, une ultime frustration, ils se sont montrés passifs. Il faudrait que l'État parvienne à choisir une administration coordonnatrice ou à regrouper ses services locaux afin que nous ayons un véritable interlocuteur.

Le conseil général du Lot-et-Garonne a adopté, a adopté au mois de juin dernier, le schéma gérontologique et le schéma du handicap pour la période 2006-2010. Reste à coordonner les orientations de ces schémas avec les programmations financières de l'État prévues dans le programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC) et les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS).

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous le sentiment de connaître l'intégralité des prestations servies dans le domaine social par les différents acteurs, tant en matière de fonctionnement que d'investissement ?

M. Philippe Jamet : Nous arrivons à construire un partenariat fort avec le secteur associatif. En revanche, les organismes de sécurité sociale et l'État restent un peu l'arme au pied.

M. Bernard Derosier : Le département du Nord compte 2,5 millions d'habitants, soit 4 % de la population française pour 1 % du territoire ; 28 % de ses habitants ont moins de vingt ans et 90 % de ses habitants vivent en zone urbaine. Il compte 350 kilomètres de frontière avec la Belgique et 653 communes. Son budget s'élève à 2,6 milliards, dont environ 1,8 milliard consacré au fonctionnement, 70 % de ce budget de fonctionnement étant affecté à l'action sociale - personnes âgées et handicapées, aide sociale à l'enfance (ASE) et RMI. S'agissant du RMI, la compensation n'est pas encore assurée : l'État doit à ce jour 200 millions d'euros au département du Nord, qui assume cette charge au détriment d'autres politiques, notamment sociales.

Par rapport aux communes et aux communautés de communes, le département est le niveau pertinent car il n'est ni trop grand ni trop petit. L'assiette des charges peut être répartie convenablement et la dimension du département permet de gérer les problèmes. Cette responsabilité n'est toutefois pas toujours facile à tenir quand les lois ne prennent pas en considération les différences de taille entre départements : il y a une MDPH et une commission d'accès au droit dans le Nord, de même qu'en Lot-et-Garonne, qui ne compte que 300 000 habitants. Compte tenu de la population du département du Nord, le conseil général est contraint à trouver des subterfuges et de créer des structures à plusieurs têtes. Quoi qu'il en soit, le département est la collectivité optimale, même si les maires aimeraient être en prise plus directe avec les bénéficiaires du RMI, les personnes âgées et les personnes handicapées, malgré le manque de moyens réglementaires et financiers. Cela amène les départements à aménager sur leur territoire divers services à la population. J'ai ainsi organisé le département du Nord autour de huit directions territoriales de l'action sociale, ce qui permet de déconcentrer les services au plus des habitants dans les six arrondissements.

Nous n'avons rien inventé : nous travaillons sur la base d'un schéma social et médico-social concernant l'enfance, les personnes handicapées et les personnes âgées. Nous n'avons pas pu remplir les objectifs chiffrés du schéma actuel car l'un des partenaires, l'État, n'a pas été au rendez-vous pour la création de places dans les établissements d'hébergement de personnes âgées et de personnes handicapées. Dans le cadre du nouveau schéma 2007-2012, le nombre de créations de places sera fixé chaque année en fonction des capacités budgétaires de l'État.

Le bilan de l'action sociale est marqué par l'évolution législative. En 1982, les praticiens de terrain, en particulier les responsables politiques, ont pu manifester une insatisfaction face à la complexité des systèmes, d'autant que l'État, tout en ayant délégué une partie importante du secteur, continuait à y prendre part. Près de vingt-cinq ans plus tard, l'on a avancé à petits pas mais le ministère continue de s'immiscer dans des affaires relevant des collectivités territoriales, en particulier des départements. C'est irritant et, surtout, cela ne fait pas avancer les choses ; il serait plus utile que l'État joue son rôle de péréquation, de répartition de la solidarité nationale.

Nous entretenons de bonnes relations avec les autres niveaux de collectivités. Avec la région, nous avons élaboré des objectifs partagés dans le cadre du contrat de plan qui s'achève. Avec les communes et surtout les CCAS, nous établissons des conventions dans beaucoup de champs d'intervention sociale.

Pour ce qui concerne la CNSA, la coordination se passe relativement bien, hormis pour l'APA, volet sur lequel l'État n'est pas au rendez-vous - dans mon département, la solidarité nationale ne contribue à son financement que pour 30 %. Nonobstant les problèmes de fonctionnement, les MDPH, pour 2006 en tout cas, bénéficient des moyens financiers attendus. En l'absence de conventions pluriannuelles de fonctionnement, la question se pose néanmoins pour les années à venir, ce qui complique le recrutement de personnes compétentes.

M. Pierre Morange, coprésident : Et l'articulation avec les branches du régime général ?

M. Bernard Derosier : Elle est bonne mais financièrement nulle ! Nous nous coordonnons mais nos centres sociaux sont amenés à supprimer des postes à cause du désengagement d'un de ses partenaires, la CAF, caisse d'allocations familiales. Le préfet a mis en place le PRIAC sans consulter le conseil général. Force est de constater que, parfois, la perception que l'État a des collectivités territoriales ressemble à celle du régime antérieur à la décentralisation.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Y a-t-il dans votre département des centres locaux d'information et de coordination (CLIC) ? Si oui, comment travaillent-ils avec le département ?

M. Bernard Derosier : Dans le Nord, j'avais déjà créé la concertation gérontologique et la coordination gérontologique ; les CLIC se sont inscrits dans cette démarche. Au départ, le préfet s'en est mêlé - comme il était intéressé, nous avons pu travailler ensemble. Depuis la loi de 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, les départements en ont récupéré l'entière responsabilité. L'ensemble du territoire du Nord est découpé en vingt-neuf zones : onze CLIC existaient sous l'ancien système, quatorze ont été agréés par mes soins et quatre zones en sont encore dépourvues. Chacune des zones a son conseiller général référent qui a pour mission d'être l'interlocuteur du CLIC, au nom du conseil général, ou de susciter sa création quand il n'existe pas encore.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Étant à l'origine de la CNSA, que pouvez-vous nous en dire, monsieur Pierre Jamet ?

M. Pierre Jamet : Tout le monde s'accorde sur la pertinence de l'échelon départemental pour s'occuper du domaine social. S'agissant des relations avec les communes, il convient de se montrer extrêmement prudent car les CCAS sont très hétérogènes : ils fonctionnent plus ou moins bien, voire sont inexistants, malgré l'obligation légale. Les prestations de proximité locale, qui relèvent des communes, comme le portage des repas à domicile, sont très variables d'une commune à l'autre, et ce n'est pas une question de taille ou d'orientation politique mais d'histoire, de culture et d'organisation des services.

Le département du Rhône est légèrement plus petit que celui du Nord : 1,6 million d'habitants, 1,7 milliard d'euros de budget, dont 50 % consacrés aux crédits d'intervention sociale. Nous avons misé sur une déconcentration absolue de l'ensemble de nos services en constituant une unité territoriale par canton. Chacune d'entre elle est placée sous l'autorité d'un directeur et dispose d'un responsable médecine, d'un responsable enfance, d'un responsable personnes âgées et personnes handicapées, d'un responsable administratif, d'un responsable intégration sociale, d'un responsable voirie et d'un responsable bâtiments. Nous avons également organisé une coopération complète avec le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) pour la gestion des bâtiments. À Vaulx-en-Velin, par exemple, où il n'y a pas de voirie départementale, notre dispositif comprend 110 agents, sans compter les techniciens, ouvriers, personnels de santé et de service (TOSS). Cette proximité a pour objectif de permettre un égal accès à leurs droits de tous les habitants, qu'ils vivent en zone urbaine ou rurale.

M. Pierre Morange, coprésident : Cette organisation territoriale a-t-elle eu une incidence sur votre masse salariale ?

M. Pierre Jamet : Non.

Les plateformes multiservices sont parfaitement identifiées, ce qui nous a permis de sortir du débat sur la visibilité du département en milieu urbain. Lorsque cette politique a été initiée, en 1994, nous avions un peu aménagé le système dans trois villes, en prévoyant une unité par arrondissement à Lyon et une unité par canton à Villeurbanne et Vénissieux, mais nous avons réintégré ces villes dans le droit commun car les unités devenaient beaucoup trop grosses.

M. Pierre Morange, coprésident : Compte tenu de cette spécificité, comment le conseil général du Rhône se coordonne-t-il avec les autres acteurs, notamment les branches du régime général ?

M. Pierre Jamet : Nos relations avec les branches du régime général sont excellentes mais, sur le terrain, ces organismes sont absents. La différence d'échelle est considérable : le service social de la CAF du Rhône emploie en tout et pour tout vingt-huit assistantes sociales ; nous en avons environ 500. La Mutualité sociale agricole (MSA) tient des permanences dans nos unités territoriales, comme tout acteur qui le demande. Dans le précédent contrat d'agglomération, nous nous étions mis d'accord avec le directeur d'un établissement psychiatrique pour que le premier contact avec les personnes en situation de détresse psychique se fasse dans une de nos unités territoriales, mais nous n'avons jamais pu mettre en œuvre la mesure parce que les psychologues s'y sont refusés.

Qu'une grande réforme d'intérêt national comme celle qui a donné naissance aux CLIC ait été définie par une circulaire est révélateur du fonctionnement des services centraux de l'État.

Nous avons fait labelliser toutes nos unités territoriales en CLIC de niveau 1 qui ont une mission d'information et d'orientation. Le seul intérêt du dispositif est cependant la labellisation de niveau 3 qui permet d'articuler médico-social et social. Nous essayons de monter des CLIC 3 sur trois territoires mais, compte tenu de l'organisation de l'État sur le territoire et de l'isolement du directeur départemental de l'action sanitaire et sociale (DDASS), c'est très compliqué. La décentralisation ne peut fonctionner que si les services de l'État, autour du préfet, sont bien structurés ; or, aujourd'hui, les services déconcentrés de l'État sont totalement absents.

L'exemple du PRIAC est assez extraordinaire : la CNSA ayant posé le principe que le travail avec les départements passerait par les DDASS, le programme n'a fonctionné que dans une région, le Centre, où les DDASS avaient l'habitude de travailler avec la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS). C'est depuis cet épisode que la CNSA a établi des contacts directs avec les conseils généraux et que les relations se sont normalisées.

Dans le Rhône, l'enfance reste le secteur prioritaire, devant ceux des personnes âgées, du handicap puis de l'insertion et de la prévention. Dans notre budget 2007, les sommes affectées aux secteurs de l'enfance et des personnes âgées seront équivalentes, celles affectées au handicap augmentant de manière plus modérée. Le nombre d'habitants du Rhône âgés de plus de 85 ans passera de 27 000 à 40 000 en 2020 et à 47 000 en 2026. À terme, le plus gros problème sera donc celui de la dépendance au sens large, avec quatre questions.

La première a trait à l'articulation entre le médico-social et le social. L'encombrement des hôpitaux est essentiellement localisé sur les urgences. Il faudrait créer des « institutions sas » dispensant des soins un peu plus lourds que dans les établissements d'hébergement de personnes âgées dépendantes, sans que cela soit pour autant des soins hospitaliers. Ces équipements permettraient aux personnes âgées d'aller se reposer pour soulager la famille, d'éviter l'hospitalisation ou de respirer après une hospitalisation. Nous menons un projet en ce sens mais nous sommes contraints de le financer sur les crédits expérimentaux de la CNSA.

Deuxièmement, en matière de logement des personnes dépendantes, âgées ou handicapées, des jeunes en situation difficile et des personnes en déshérence, nombre d'expériences sont intéressantes mais en restent au niveau expérimental. Aucune disposition n'impose de traiter ce point dans les documents d'urbanisme comme les programmes locaux de l'habitat (PLH). Nous nous efforçons de dresser un fichier des logements adaptés pour qu'ils soient systématiquement réaffectés à des personnes dépendantes.

Le troisième problème est lié : c'est celui des services à domicile, sans lesquels le maintien à domicile ne se justifie pas. Dans les zones agglomérées, arrivent sur le marché des sociétés privées à but lucratif qui effectuent souvent du travail de qualité et facturent paradoxalement leurs prestations beaucoup moins cher que certaines associations historiques et politiquement influentes - l'écart correspond à des différences dans les coûts de gestion... Le versement de subventions publiques, notamment de la part des communes, à des associations qui pratiquent des tarifs excessifs risque de susciter, dans l'avenir, des contentieux sur la liberté de la concurrence. L'acte II de la décentralisation a conféré aux départements la possibilité de coordonner ce volet mais un travail énorme reste à accomplir pour que nous devenions performants.

Quatrièmement, il existe un besoin de formation dans le domaine social, pour les services à domicile ou encore au profit des personnes handicapées elles-mêmes. Une place a été faite aux régions mais elles ne l'occupent pas, hormis la région Aquitaine, qui propose des formations un peu plus individualisées.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : À quels types de formation pensez-vous ?

M. Pierre Jamet : J'en vois trois : pour les allocataires du RMI, c'est au cœur de l'objectif de réinsertion ; pour les personnes handicapées dont nombre d'entre elles recouvrent la possibilité de travailler grâce aux nouvelles technologies ; pour exploiter le gisement d'emploi des services à domicile.

M. Yves Talhouarn : Le Val-de-Marne est le deuxième plus petit département de France en superficie et l'un des trois départements où le nombre de maires est inférieur à celui de conseillers généraux. Ses dépenses d'action sociale sont très élevées puisqu'elles atteignent 800 millions d'euros sur un budget d'1,5 milliard. La moitié des crèches départementales de France, par exemple, sont implantées dans le Val-de-Marne. Au total, nous employons 4 500 à 5 000 agents dans ce domaine.

Nous faisons la même analyse des problématiques que les autres départements. La loi du 13 août 2004 précitée conforte notre rôle de chef de file dans l'action sociale mais cela n'empêche que ces politiques peuvent s'intégrer dans une plus démarche plus large : une politique gérontologique peut ainsi parfaitement s'articuler avec des mesures en faveur du logement, et la logique est identique en matière de transport des personnes handicapées, d'emploi ou de formation - surtout dans le Val-de-Marne, deuxième département hospitalier de France. L'échelon départemental est donc pertinent, eu égard au savoir-faire accumulé mais aussi à notre capacité d'articulation avec les politiques nationales.

Nous avons deux préoccupations : corréler plus fortement nos politiques d'action sociale et d'emploi, et le président du conseil général nous a demandé de réorienter toutes nos politiques dans ce sens, y compris l'action sociale de terrain ; territorialiser notre dispositif, seul moyen de renforcer les interrelations entre les services départementaux et communaux, qui doivent former un binôme.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Quelle place prennent vos unités territoriales sur le terrain, notamment vis-à-vis des CCAS ?

Et je repose ma question sur la CNSA.

M. Pierre Jamet : Le conseiller général n'est pas autorisé à tenir des permanences au siège des unités territoriales. Si nous avons choisi le périmètre cantonal, c'est simplement parce que notre territoire est urbain à 74 %, que le plus petit canton compte 4 500 habitants et que la plus petite unité territoriale regroupe quatorze agents correspondant à onze équivalents temps plein, sans les TOSS. Ces unités sont les interlocuteurs des maires, des CCAS et de l'ensemble des services présents sur le territoire ; tout le monde s'adresse d'ailleurs à elles. Depuis l'an dernier, afin de faciliter leur immersion, les unités n'ont plus à leur tête le responsable de l'un des sept secteurs qui les composent mais un directeur à part entière.

Le transport des enfants handicapés constitue pour les départements une charge exponentielle. Nous avons décidé, en application de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, que tous les enfants qui le peuvent doivent avoir accès aux transports en commun. Pour les accompagner, nous avons sélectionné des bénéficiaires du RMI dont nous gérions le dossier, en en prévoyant deux par enfant afin qu'il y en ait toujours un de disponible. Nous avons aujourd'hui 118 accompagnateurs et pour objectif d'en sélectionner 500. Ce dispositif nous a permis de découvrir des familles d'enfants handicapés que nous ne connaissions pas, appartenant au quart-monde, et pour lesquelles nous réglions les notes de taxi. Il s'agit donc bien d'intégration, d'insertion et de bonne gestion financière, et cela n'a été possible que dans le cadre d'une politique de proximité.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Lors du débat sur le projet de loi sur le handicap, nous n'avions rien prévu de particulier au sujet du transport des enfants handicapés ; il avait uniquement été question d'examiner les initiatives existantes. Votre exemple illustre la complexité de ces sujets - nous pourrions aussi parler du logement - et nous conforte dans notre volonté d'identifier les bonnes pratiques et de formuler des propositions pour améliorer et simplifier les dispositifs existants, en fonction des moyens dont nous disposons.

M. Pierre Morange, coprésident : L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a été mandatée par la MECSS pour étudier l'action sociale en faveur des personnes handicapées et des personnes âgées dans les quatre départements que vous représentez. Seriez-vous déjà en mesure de fournir à l'IGAS des informations « clés en main » ou avez-vous au contraire besoin du document qu'elle va produire pour connaître précisément la situation ?

M. Pierre Jamet : Nous en sommes à la troisième édition du schéma départemental et nous avons maintenant une connaissance assez fine de ce qui se passe sur le territoire. La mise sur pied des MDPH a effectivement entraîné certaines découvertes concernant les enfants handicapés. La territorialisation avait précisément pour objet d'assurer une présence concrète du département sur le terrain.

M. Bernard Derosier : Je suis manifestement beaucoup moins malin que mes homologues du Rhône car je n'ai pas l'exacte connaissance du nombre de personnes concernées. La MDPH, qui existe depuis un an, a permis de coordonner les services. Le nombre de personnes qui s'adressent à elle est en augmentation, c'est aussi le cas du nombre de personnes qui ne percevaient pas l'allocation compensatrice pour tierce personne, l'ACTP, et qui demandent la PCH. Nous en avons déjà recensé 3 000 mais je suis incapable de dire si elles seront au final 6 000, 18 000 ou seulement 3 000.

Par ailleurs, les départements sont soumis à l'obligation d'emploi de personnes handicapées prévue dans la loi du 11 février 2005. Or nous employons des personnes handicapées sans le savoir et nous n'avons pas la possibilité de faire remplir un questionnaire à tous nos agents. Cette disposition est donc difficile à mettre en œuvre et nous devrons peut-être payer l'amende prévue alors que nous employons en réalité un taux de personnes handicapées conforme à la loi.

Je veux dire aussi que je me méfie de l'uniformisation. Le cadre législatif actuel fixe les règles minima auxquelles doivent se conformer les collectivités territoriales, en particulier en matière de transport des enfants handicapés. Faut-il pour autant que tous les départements adoptent le même système, qu'il s'agisse d'employer des personnes en insertion ou de passer des conventions avec des transporteurs ? Je considère que le choix doit être laissé à l'appréciation des collectivités territoriales ; c'est précisément l'avantage de la décentralisation.

Dans le Nord, les huit directions territoriales sont déclinées en quarante-deux unités territoriales. Nous n'avons pas collé aux cantons car ceux-ci n'ont pas la même population - le rapport entre le moins peuplé et le plus peuplé va de un à huit. À la tête de ces unités territoriales se trouvent des fonctionnaires qui sont les interlocuteurs des élus locaux et des structures locales, notamment les CAF et les caisses primaires d'assurance maladie.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je ne prône pas l'uniformisation - chaque département conduit évidemment son action comme il l'entend, en fonction de son histoire et de son cheminement - mais les expériences que vous menez sur les territoires que vous représentez peuvent nous inspirer pour émettre des propositions.

M. Pierre Jamet : La CNSA a au moins un avantage : elle est le réceptacle qui permet de connaître l'ensemble des crédits affectés à ce secteur et elle constitue un bon interlocuteur pour les départements.

Sur la durée, elle devrait en outre permettre de diffuser les bonnes pratiques dans le domaine de la dépendance. En matière sociale, la définition au niveau national d'une politique globale de solidarité est trop souvent confondue avec les moyens de la mettre en œuvre, qui doivent être laissés à l'initiative des collectivités décentralisées compétentes.

La CNSA donnera aussi aux départements accès à un pouvoir d'expertise, notamment dans le domaine de l'appareillage, soumis à un mercantilisme absolument éhonté. Nous arriverons sans doute progressivement à imposer un peu d'ordre et à faire beaucoup mieux avec le même volume de crédits, les moyens étant de toute façon limités.

La CNSA fera ressortir, grâce à son dialogue permanent avec les départements, une bien meilleure connaissance de la réalité de terrain. Aujourd'hui, le déséquilibre entre les territoires est immense alors que le système est parfaitement unitaire.

Enfin, avec la programmation, nous arriverons vraisemblablement à mieux articuler les actions de l'échelon départemental avec celles qui doivent relever d'un échelon géographique plus vaste, notamment celles concernant des handicaps rares, des cas particuliers. Cela empêchera les groupes de pression de jouer les uns contre les autres pour faire aboutir leurs dossiers.

Je crois par conséquent que l'existence d'un interlocuteur autonome, compétent et spécialisé sur le dossier de la dépendance est plutôt positive.

M. Pierre Morange, coprésident : À l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, j'ai déposé un amendement tendant à créer un numéro identifiant commun à l'ensemble des branches du régime général, relié à un fichier informatique commun croisé avec ceux du fisc. Cette banque de données serait notamment accessible aux départements et aux CCAS. Qu'en pensez-vous ? Je précise que l'amendement avait été adopté à l'unanimité par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Le décret sera pris après avis conforme de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Cette mesure vous semble-t-elle suffisante ou estimez-vous qu'elle devrait être complétée pour améliorer la coordination et la transmission des informations ?

M. Bernard Derosier : Sous réserve de l'avis de la CNIL, cette source d'informations pourrait être intéressante pour les collectivités. Quand à adjoindre d'autres éléments, je ne sais pas.

M. Pierre Morange, coprésident : Il ne s'agit pas de jouer à Big Brother - nous travaillons au demeurant sous le contrôle de la CNIL. Cela permettrait de faire le lien avec d'autres informations, sans attenter à la vie privée, afin de rationaliser les dispositifs existants.

M. Bernard Derosier : Je ne suis pas hostile à ce que nous y réfléchissions. J'en parlerai avec mon directeur général des services.

M. Michel Diefenbacher : Il m'est difficile de répondre ainsi à brûle-pourpoint.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous invite, si vous le voulez bien, à nous adresser une réponse écrite, messieurs les présidents de conseil général.

M. Pierre Jamet : Quand les départements ont hérité du RMI, ils se sont retrouvés dans une situation extrêmement difficile puisqu'ils devenaient les décideurs alors que la gestion était toujours assurée par les CAF. La Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, a réuni tous les directeurs généraux des services des départements de la région Rhône-Alpes pour examiner comment mettre les fichiers en cohérence. Sur le principe, vous avez raison, mais la chose n'est pas facile. Les départements étant autonomes, ils ne sont pas tous équipés du même système informatique - les deux principaux systèmes ne doivent même pas couvrir la moitié des départements. Au final, les départements n'ont pas forcément accès au fichier de la CNAF.

Dans le monde du handicap, le système informatique des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) n'est pas compatible avec celui des commissions départementales de l'éducation spécialisée (CDES), lui-même différent de celui utilisé par la CNAF. L'une des difficultés de l'application des lois sociales, c'est que personne ne tient compte des délais nécessaires pour rendre les systèmes informatiques compatibles. Les systèmes nationaux des organismes de sécurité sociale sont centralisés tandis que ceux des collectivités territoriales sont complètement éclatés. La mise en réseau coûte de l'argent, prend un temps fou et ne donne pas toujours des résultats performants.

Le numéro unique simplifierait la situation mais j'ai du mal à imaginer qu'il obtienne l'aval de la CNIL.

M. Pierre Morange, coprésident : Il faudra reprendre les schémas déjà validés par la CNIL, avec un cahier des clauses techniques opposable au titre de la branche vieillesse, dans la mesure où c'est elle qui gère le dossier le plus volumineux.

En plus de la circulation des informations, la mesure que je propose raccourcirait largement le temps de traitement de dossiers. Dans les situations sociales les plus dramatiques, chaque mois qui s'écoule est un pas supplémentaire dans la descente aux enfers.

Enfin, au-delà de la logique de la lutte contre la fraude, elle permettrait peut-être de revoir la ventilation des ressources humaines administratives.

M. Bernard Derosier : C'est un travail intéressant pour le ministère des affaires sociales.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans cet exercice, chacun peut battre sa coulpe : des collaborateurs qui étaient absorbés sur des tâches laborieuses et ingrates de traitement de données papiers pourraient être remis à la disposition des assurés.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous remercie de nous avoir apporté votre regard très concret. Je vous demande de nous faire parvenir les réponses écrites et les documents complémentaires qui pourraient nous aider dans notre réflexion.

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu M. Jean-François Benevise, directeur général adjoint des services de la ville de Lyon, et Mme Véronique Fages, directrice de l'action sociale, M. Jean-Michel Marige, directeur général de l'action sociale de la ville de Créteil, et Mme Isabelle Blondin, responsable du service des prestations sociales, M. Jean-Michel Moynié, directeur du centre communal d'action sociale de la ville d'Agen, Mme Marielle Boyer-Schaeffer, directrice générale adjointe du centre communal d'action sociale de la ville de Lille, et M. Rodolphe Dumoulin, directeur de l'action sociale et de l'insertion.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous sommes heureux de vous accueillir à l'Assemblée nationale d'autant que tout ce qui a trait à l'organisation territoriale de l'action sociale nous paraît particulièrement important. M. Jean-François Benevise et Mme Véronique Fages, représentants la ville de Lyon, sont retardés par un problème de transport et nous rejoindront dans quelques minutes. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous remercie d'être venus nous présenter ce matin l'orientation de la politique d'action sociale menée dans vos villes respectives. Je souhaite que vous en dressiez un constat et que vous nous disiez quel bilan vous tirez de la décentralisation de l'action sociale. Sans doute serait-il pertinent que vous distinguiez aide sociale et action sociale, aspects légaux et extra légaux, action sociale obligatoire et facultative. Quelles sont selon vous les grandes tendances de l'évolution de l'action sociale ? Enfin, souhaitez-vous, au sein de vos compétences, développer la prévention de la précarité ?

M. Jean-Michel Moynié : Nous faisons face actuellement à la montée de la précarité et de la pauvreté, avec des personnes confrontées à de plus en plus de difficultés, en particulier dans l'accès au logement. Nous sommes donc en train de redéfinir les missions des travailleurs sociaux qui, jusqu'ici, se consacraient surtout à l'accompagnement social et à l'accueil personnalisé.

J'observe à ce propos que la répartition des tâches n'est pas très claire entre les travailleurs sociaux des départements et ceux des centres communaux d'action sociale (CCAS), les premiers se consacrant surtout à la prise en charge des familles et les seconds à celle des personnes isolées. Mais, avec la montée de la précarité, les personnes isolées sont de plus en plus nombreuses et la charge de nos travailleurs sociaux est donc de plus en plus lourde, ce qui fait que nous en arrivons à une logique de guichet. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle parvient le rapport annuel 2005 de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui parle de « guichétisation » et de solitude croissante des personnes en difficulté.

Compte tenu de la nécessité de plus en plus fréquente de faire face à l'urgence, il devient difficile d'accomplir le travail en profondeur pourtant indispensable et nous nous rendons également compte que ce traitement sous la forme d'un guichet ne favorise guère la socialisation de ces personnes isolées, qui sont à l'extrême limite de la marginalisation, mais aussi en souffrance psychique, ce qui pose problème aux travailleurs sociaux.

Dans ces conditions, les élus agenais ont cherché à redéfinir la mission des travailleurs sociaux de la ville en l'orientant vers l'accueil collectif ainsi que vers des ateliers consacrés en particulier au problème du logement.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Vous avez donc le sentiment de vous orienter vers le traitement des questions de précarité, d'isolement et d'exclusion. Que pensez-vous par ailleurs des réponses que les CCAS peuvent apporter aux personnes âgées et aux personnes handicapées, qui relèvent de plus en plus de la responsabilité des départements mais qui sont aussi de plus en plus en situation de précarité ?

M. Jean-Michel Moynié : La répartition des missions n'est pas claire et les CCAS ont du mal à trouver leur place. Bien sûr, la décentralisation a donné un rôle de chef de file au département mais quelle est la position des CCAS dans ce dispositif ? Il faudrait vraiment aller vers plus de coordination et de concertation entre les communes, en particulier les villes les plus importantes, et les départements.

S'agissant des caisses de sécurité sociale, nous avons l'impression d'un désengagement et cela contribue aussi à accroître considérablement la charge de travail de nos travailleurs sociaux. Au total, on a d'ailleurs un peu l'impression que chacun a tendance à renvoyer la charge vers l'autre.

M. Jean-Michel Marige : À Créteil, ville de 87 000 habitants, l'action sociale a été largement déléguée au CCAS, qui couvre les champs de la petite enfance, du troisième âge, du handicap et de l'aide aux plus démunis.

Nous constatons également une aggravation de la précarité due au chômage de longue durée mais aussi au nombre croissant de travailleurs pauvres, qui s'en sortent au quotidien mais qui, au moindre accident de la vie, n'ont pas d'autre solution que de nous appeler à l'aide.

Nous ressentons également le besoin de coordination avec les services départementaux de l'action sociale et avec l'administration départementale en général.

En ce qui concerne l'articulation entre l'action sociale légale et facultative, on peut prendre l'exemple des impayés d'énergie : dans le Val-de-Marne, les CCAS traitent par délégation le fonds départemental pour les impayés, ce qui permet que les interventions se fassent en fonction de barèmes et soient prises en charge par les crédits de l'aide sociale facultative.

En ce qui concerne le troisième âge et la petite enfance, la ville a fait le choix de gérer directement un certain nombre d'équipements. Les évolutions dans ces domaines sont un peu plus lentes car elles sont liées à la démographie. Nous ressentons surtout le besoin d'une stabilité des règles et du financement. Nous avons nous aussi le sentiment d'un certain désengagement des caisses d'allocations familiales (CAF).

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : Je suis directrice générale adjointe pour la ville de Lille et je suis chargée d'un pôle qui couvre l'ensemble des politiques sociales au sens large. À ce titre, je suis également directrice du CCAS. Cette organisation montre la volonté extrêmement forte de la ville d'englober la politique sociale dans la politique au sens large.

Le constat que l'on peut faire pour Lille, ville de 208 000 habitants, est très proche de celui qu'ont dressé mes prédécesseurs avec, déjà depuis un certain temps, une forte réorientation vers la lutte contre l'exclusion et la précarité. Nous observons également une évolution de la population que nous devons prendre en charge, avec de plus en plus de travailleurs pauvres, mais aussi de personnes sans domicile fixe (SDF) vieillissantes, ce qui pose des difficultés d'hébergement. Les politiques sociales sont donc en train d'être réorientées vers ces problématiques.

Lille bénéficie d'un partenariat extrêmement étroit avec le département du Nord, notamment en ce qui concerne la lutte contre les exclusions et l'accompagnement des bénéficiaires du RMI, que le département délègue à la ville, mais aussi un grand nombre d'autres sujets comme les contrats enfance et tout le travail autour des fonds sociaux. Cette coopération repose sur une contractualisation qui associe également d'autres partenaires comme la CAF.

M. Rodolphe Dumoulin : Il me semble que nous sommes encore au milieu du gué de la décentralisation. Si les textes ont fait émerger un chef de file, cela ne suffit pas forcément à imposer un leadership : il va falloir pour cela un peu de temps, mais aussi des outils et des moyens. Nous devons également sortir du partage des publics, entre personnes isolées d'un côté et familles de l'autre, qui ne repose en rien sur la loi. Rien ne nous dit non plus que nous devons nous centrer sur les problèmes de précarité et d'insertion et laisser la petite enfance, le handicap et la gérontologie aux départements. La loi préconise plutôt une répartition des rôles et la subsidiarité, afin que l'intervention se fasse au plus près de ceux qui en ont besoin.

A Lille, nous appliquons avec détermination ce principe, tout simplement parce que le premier réflexe d'une personne en difficulté est de se tourner vers son maire. Pour sa part, le département a plutôt vocation à être le pilote et à mettre l'ensemble en cohérence. Mais nous cherchons encore très largement la bonne articulation.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je vous rappelle que nous sommes la mission d'évaluation et de contrôle des comptes de la sécurité sociale et que notre travail actuel porte aussi sur l'action sociale des caisses de sécurité sociale. Au-delà du désengagement financier des caisses qui a été évoqué, nous souhaiterions donc que vous nous disiez quel est l'état des relations que vous entretenez avec les caisses. Nous aimerions savoir si vous passez des conventions avec elles et comment vos travailleurs sociaux travaillent avec ceux des caisses.

M. Jean-Michel Moynié : Alors que, dans les anciens contrats temps libre et contrats enfance, nos actions étaient prises en charge à 65 %, avec la création du contrat « enfance et jeunesse », qui couvre la tranche d'âges qui va de 3 à 16 ans, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a donné aux CAF l'instruction de ramener en quatre ans ce taux à 55 %. En outre, la prestation de service « «enfance et jeunesse » est calculée à partir du prix de revient mais dans la limite des prix plafonds fixés par la CNAF et la prestation peut être réduite si le taux d'occupation de la crèche est inférieur à un minimum. Ce dispositif ne tient absolument pas compte de la variation du taux d'occupation des berceaux selon les heures en fonction de la demande de prise en charge des familles. Cela ne nous empêche pas d'entretenir de bonnes relations humaines avec les agents locaux de la CAF, mais ce désengagement est vraiment préoccupant et le dernier congrès de l'Association des maires de France l'a d'ailleurs souligné.

M. Jean-Michel Marige : Je souscris à tout ce que vient de dire M. Moynié. Nous avons reçu la prestation de service unique comme une sorte d'injonction à exécuter des contrats horaires sans aucune analyse locale de la situation.

Mme Isabelle Blondin : En tant que cadre de terrain, j'entretiens quotidiennement des relations de partenariat avec les travailleurs sociaux des différentes caisses, avec lesquels nous partageons les informations. Nous nous réunissons pour traiter les problèmes de certaines familles.

Par ailleurs, le CCAS de Créteil gère d'autres dispositifs qui permettent d'organiser des montages financiers associant nos aides à celles de l'action sociale de la CAF et à celles qu'attribuent les bailleurs, notamment pour des impayés de loyers des personnes qui ne bénéficient pas du fonds de solidarité pour le logement (FSL). Il y a quelques années, nous avions décidé de promouvoir une organisation similaire pour les familles qui rencontrent des problèmes financiers récurrents et pour lesquelles l'action isolée d'un organisme paraît inefficace. Mais ce dispositif s'est arrêté, alors qu'il était perçu de façon très positive par les travailleurs sociaux de terrain parce qu'il permettait à la fois des aides mutualisées et des interventions conjointes. Le conseil général n'avait toutefois pas souhaité y participer, estimant que l'aide sociale à l'enfance ne pouvait pas entrer dans ce dispositif partenarial.

Nous avons aussi des contacts réguliers avec la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF) et avec le service social de la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM), notamment pour répondre aux problèmes de certaines familles.

Enfin, le CCAS fait partie des financeurs qui peuvent apporter un complément, par l'intermédiaire du fonds de compensation, quand certains besoins ne sont pas totalement couverts par la prestation de compensation. Dans ce cas, c'est le département qui a pris l'initiative de constituer un réseau de partenaires. C'est en revanche le CCAS qui est à l'origine de la démarche pour les impayés de loyers. Ce dernier dispositif fonctionne depuis de nombreuses années.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : Je veux insister sur le travail contractuel avec la CAF sur la petite enfance car, au-delà du désengagement financier qui vient d'être souligné, nous observons aussi un désengagement qualitatif. En effet, si les créations de places sont couvertes par les contrats « enfance et jeunesse », tel n'est pas le cas d'autres actions, en particulier d'accompagnement, que nous avons fait figurer dans le nouveau contrat.

Nous entretenons avec la CAF un partenariat assez important autour des centres sociaux qui sont nos bras armés pour lutter contre l'exclusion dans les quartiers et qui bénéficient d'un cofinancement du département, de la caisse et du CCAS.

Je qualifierai d'assez distantes nos relations avec la CRAM : nous nous rencontrons au sein du centre local d'information et de coordination (CLIC) pour les personnes âgées, nous avons également travaillé ensemble pour la prestation de retour à domicile après une hospitalisation, dans la mesure où le CCAS est gestionnaire d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous nous donner des précisisons sur la prestation de retour à domicile ?

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : C'est un choix de la CRAM.

M. Pierre Sardou, inspecteur général des affaires sociales : Je confirme qu'il s'agit d'une orientation nationale de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), qui figure dans la convention d'objectifs et de gestion (COG).

M. Rodolphe Dumoulin : Je suis à l'origine agent de direction des caisses, en détachement à la ville de Lille et je connais donc assez bien le sujet des rapports entre les caisses et les CCAS.

Il est vrai que l'action sociale des caisses est essentiellement identifiée sur le financement des équipements, la question de l'implication des départements dans les contrats « enfance et jeunesse » devant évidemment être posée. Dans le Nord, nous avons pris l'initiative d'une contractualisation entre les communes, la CAF et le conseil général. De même, pour tout ce qui a trait à l'accès aux droits, les services sociaux des caisses sont de bons relais. Mais les choses s'arrêtent là et il reste à trouver une articulation pour les aides financières individuelles, les travailleurs sociaux étant encore très souvent obligés de faire le tour des différents intervenants pour trouver les quelques euros nécessaires pour débloquer une situation urgente.

Peut-être pourrait-on s'inspirer de ce qui se fait en matière de logement, domaine où nous travaillons étroitement avec la CAF autour des objectifs de prévention des expulsions en cas d'impayés de loyers - sujet particulièrement sensible dans les grandes villes en raison de l'explosion des loyers et des charges -, et de lutte contre l'habitat indécent. La CAF de Lille mène une action particulièrement déterminée sur ce dernier sujet, allant jusqu'à prendre des risques juridiques assumés en misant sur l'attitude des tribunaux appelés à mettre en balance le droit au loyer du propriétaire et le droit des occupants à un logement décent. Nous l'accompagnons dans cette démarche et nous nous apprêtons à signer une convention avec elle.

Mais nous sommes tout à fait conscients que c'est la bonne volonté des acteurs locaux qui compense le fait que l'on n'y voit pas très clair entre l'action sociale des caisses et celle des collectivités locales. Les caisses brûlent d'envie d'être autre chose que des payeurs, mais elles n'en ont pas vraiment les moyens financiers et humains et c'est pourquoi elles préfèrent se recentrer sur ce qu'elles savent et ce qu'elles peuvent faire. L'ambiguïté tient aussi à ce que l'on pense qu'il appartient au chef de file désigné de s'occuper de tout cela.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous n'avions pas encore eu l'occasion d'entendre ce que vous venez de nous dire sur l'action de la CAF de Lille par rapport à l'habitat indécent. Avez-vous connaissance d'exemples similaires ?

M. Rodolphe Dumoulin : C'est une tendance qui se développe à partir de la loi SRU - loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain - et deux ou trois caisses du Nord s'y essaient. Mais le risque lié au vide juridique explique les réticences des villes, qui craignent de mettre leurs locataires en difficulté. Il faut donc compléter la loi.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous avons été frappés par ce qui nous a été dit lors d'une précédente audition par le président de l'union nationale des CCAS (UNCCAS), sur l'analyse des besoins sociaux. Les caisses, les départements sont-ils, à côté de vous, acteurs de cette analyse ? Pensez-vous que ces bilans peuvent devenir des outils pour un travail en commun ?

M. Jean-Michel Moynié : En 2003, à l'initiative du CCAS, nous avons fait réaliser par un cabinet de consultants une analyse des besoins sociaux. Elle a été actualisée en 2005 et nous en tirons des conclusions sur l'évolution des actions à conduire dans la ville d'Agen. Mais il n'y a pas eu de concertation avec les caisses et le département auxquels nous avons simplement transmis ce document.

M. Jean-Michel Marige : C'est un sujet qui est toujours à l'étude chez nous. Nous disposons de documents sectoriels, de rapports d'activité, mais pas d'une vision panoramique globale soumise au conseil d'administration.

Nous avons des relations avec la CAF et avec la CPAM, mais les échanges de données sont encore embryonnaires et nous n'avons pas encore construit un observatoire qui nous permettrait de disposer de données fiables. Certes, nous recevons des données de la CAF, mais avec un tel décalage dans le temps qu'elles ne sont pas pertinentes pour une analyse des besoins.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : Nous ne sommes pas non plus très avancés dans ce domaine, mais nous espérons obtenir, lors de la prochaine réunion du conseil municipal, une subvention pour mener une analyse des besoins en 2007. C'est un des grands objectifs de notre CCAS.

La direction de l'action sociale et de l'insertion de Lille a toutefois une approche par quartier des besoins sociaux, qui sert à sa propre analyse. Dans une approche commune avec nos partenaires, en particulier le département, l'agglomération et la CAF, il serait intéressant de mieux appréhender les flux, chacun pouvant accéder aux informations. Mais sans doute risquons-nous de nous heurter à l'incompatibilité des systèmes informatiques.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : En tant que présidente de l'Agence d'urbanisme de Besançon, je ne puis que vous inciter à utiliser cet outil formidable que sont les agences d'urbanisme pour rapprocher les différents interlocuteurs dans le cadre de l'analyse des besoins.

Pouvez-vous par ailleurs nous indiquer si la problématique sanitaire est vraiment prise en compte dans l'action sociale et si vous disposez d'ateliers santé ?

M. Jean-Michel Moynié : Nous souhaitons lancer de tels ateliers. Mais cela se fera inévitablement dans le cadre des contrats de réussite éducative et seuls les enfants de ZEP -zone d'éducation prioritaire - seront concernés, ce que l'on peut regretter car il y a aussi des besoins en centre-ville. La ville a fait le choix, qui nous réjouit, non pas d'une organisation en groupement d'intérêt public, mais que notre CCAS soit porteur de ce dispositif, avec les services municipaux concernés. Ainsi, nos travailleurs sociaux seront appelés à créer des ateliers d'accès aux soins, centrés sur la prévention et la sensibilisation à la santé, ainsi que des ateliers d'éducation nutritionnelle.

Dans le domaine de la gérontologie, nous travaillons avec le centre hospitalier d'Agen et le CLIC sur des ateliers de prévention des chutes.

Nous menons aussi depuis trois ans, dans le cadre du contrat éducatif local, une action très efficace d'éducation nutritionnelle dans une école de ZEP, où l'équipe pédagogique s'était rendu compte que les enfants se bourraient de friandises à la récréation et ne mangeaient rien au déjeuner.

M. Jean-Michel Marige : Dans le cadre du label Arcade, nous menons, en partenariat financier et humain avec la CPAM et avec le département, des actions de prévention de l'obésité, ainsi, avec la faculté de chirurgie dentaire, que de prévention bucco-dentaire.

En ce qui concerne l'accès aux soins, nous travaillons essentiellement avec une association, Créteil solidarité, qui a été créé par des médecins généralistes et qui vise à regrouper les professionnels du secteur sanitaire et du secteur social, du secteur libéral et du secteur hospitalier, ainsi que des travailleurs sociaux. Cette association a créé un atelier santé-citoyenneté qui fonctionne depuis plusieurs années dans deux quartiers de la ville. Ses objectifs essentiels sont de faciliter l'accès aux droits, de faire prendre conscience de la complexité du système de santé et d'aider les personnes à s'y repérer. Cela se fait sans intervention particulière des caisses, si ce n'est que l'association est subventionnée au titre du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville et qu'une équipe d'animateurs de la CPAM intervient à nos côtés.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : En raison du public dont nous avons la charge, la ville de Lille à la volonté très forte de s'inscrire dans la dynamique d'un réseau de santé. Nous avons ainsi cosigné avec le département et avec l'État un contrat territorial de santé, que je vous ferai parvenir, qui épouse les grands objectifs définis au niveau régional et qui s'adresse plus particulièrement aux personnes en précarité, mais aussi aux adolescents et aux enfants. Nous voulons continuer à faire vivre ce contrat dans le cadre du groupement régional de santé publique.

Nous avons également, pour un certain nombre d'actions de santé, des partenaires associatifs assez forts. Notre partenariat avec la caisse primaire d'assurance maladie porte sur des actions plus ponctuelles, à destination surtout des enfants d'âge scolaire. À partir du mois de février, une grande exposition intitulée Faites de la santé sera destinée à les sensibiliser.

Nos autres actions concernent en particulier le public des allocataires du RMI, dans le cadre du bilan de santé organisé en coopération avec la CPAM.

Enfin, comme à Agen, le thème de la santé est très présent dans tout le travail autour des équipes de réussite éducative.

M. Rodolphe Dumoulin : Nous travaillons bien avec la CPAM sur l'accès aux droits et sur la prévention, mais les choses sont beaucoup plus difficiles pour l'accès aux soins, en particulier dans la création d'un réseau en faveur de ceux qui, comme les SDF, sont le plus éloigné du système de santé. Cela vaut pour tout particulièrement pour la psychiatrie et nous sommes obligés de travailler directement avec les structures de soins ou de mobiliser les médecins libéraux les plus réceptifs. Même si l'union régionale des caisses d'assurance maladie (URCAM) sera sollicitée pour financer une partie du réseau, tout ceci me semble révélateur des difficultés que rencontrent les caisses avec ce type d'actions.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je suis surprise, Monsieur Moynié, que vous soyez parvenu à inscrire une action d'éducation nutritionnelle dans le cadre du contrat éducatif local. Mais cet exemple ne concerne qu'une seule école. Avez-vous, les uns et les autres, connaissance d'expériences plus larges au sein d'une ville ou d'une communauté de communes ?

M. Jean-Michel Moynié : Ce sera une action forte de notre prochain dispositif de réussite éducative, qui visera toutes les écoles en ZEP, mais toujours pas les autres.

M. Jean-Michel Marige : Nos actions en matière d'éducation nutritionnelle et de prévention de l'obésité sont menées en partenariat avec la CPAM et avec son soutien financier. Considérant que le département intervient pour les collégiens et pour les enfants qui sont déjà en surcharge pondérale, la ville de Créteil a fait le choix de s'adresser à l'ensemble des enfants.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Existe-t-il dans vos villes des bureaux d'hygiène ? Interviennent-ils à vos côtés ou obéissent-ils à une logique à part ?

M. Jean-Michel Moynié : Le bureau d'hygiène municipal d'Agen intervient surtout pour l'habitat insalubre, avec des interventions auprès de personnes âgées dans le cadre de signalements.

M. Jean-Michel Marige : Pour nous, cela ne dépend pas de la ville mais de la communauté d'agglomération et nous n'entretenons que des relations épisodiques sur des problématiques d'habitat.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : Je ferai la même réponse, en mentionnant simplement une plus grande sensibilisation à l'occasion du plan de lutte contre la grippe aviaire.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : J'ai l'impression que vos relations avec les caisses tournent surtout autour de la gestion des dispositifs sur des actions de prévention. Or, ce qui nous intéresse, ce sont les réponses apportées par les communes, les départements et les caisses à des situations individuelles. Et je pense qu'il y a un lien entre le défaut d'organisation de la réponse individuelle et la souffrance psychique. Quelle importance attachez-vous à cette dernière ?

M. Jean-Michel Moynié : À Agen, les travailleurs sociaux reçoivent des personnes isolées, qui sont parfois à la limite de l'exclusion de tout environnement social, qui sont en véritable souffrance psychique, qui présentent des problèmes relationnels et qui se replient sur elles-mêmes. Dans ces conditions, il est très difficile au travailleur social de les inciter à un minimum d'autonomie et de prise en charge. Qui plus est, ces personnes deviennent rapidement agressives. Elles ne relèvent pas vraiment de la psychiatrie, mais elles sont, comme on dit, border line. Tout ce que peut faire le travailleur social, c'est essayer de recréer une relation, mais qui demeure éphémère, ce qui pose problème pour la réinsertion.

Au-delà, il faut souligner les graves carences de la psychiatrie en France, qui font qu'après avoir séjourné en milieu fermé, certains sont tout simplement renvoyés chez eux, avec un suivi très réduit. Cela conduit rapidement à des dérapages et le voisinage se tourne vers les élus et ces derniers vers les travailleurs sociaux qui sont totalement démunis pour faire face à une telle situation.

Mme Isabelle Blondin : L'association Créteil solidarité, qui anime l'atelier santé citoyenneté, a aussi créé un atelier santé mentale et exclusion qui réunit des professionnels du secteur sanitaire et social et auquel participe le médecin responsable du centre médico-psychologique (CMP), ainsi que différents travailleurs sociaux. L'idée est de constituer un réseau afin que les professionnels puissent discuter de situations dans lesquelles l'assistant social est en difficulté et où l'impossibilité de mobiliser la famille a des effets dans le domaine social. Je regrette toutefois que l'on reste dans l'évaluation et le diagnostic, sans prise en charge concrète.

M. Rodolphe Dumoulin : Je rejoins tout à fait ce qui vient d'être dit : nous avons les mêmes tentatives de réponse à des problématiques identiques. Face à ces situations, on a tendance à se dire qu'il ne s'agit plus vraiment d'action sociale bien que ces personnes ne relèvent pas de la psychiatrie. Mais qu'en fait-on ? Et comment faire en sorte qu'aller au devant de ces publics devienne un réflexe des acteurs du monde psychiatrique ? Je peux comprendre ceux qui disent qu'il est vain de forcer une personne à se faire soigner, mais l'on peut au moins essayer de susciter un déclic. Or, certains professionnels ne l'entendent pas.

Dans la mesure où les difficultés de ces personnes ont des effets sur le voisinage, il faudrait en fait impliquer ce dernier. On rejoint là une des fortes préoccupations de madame Martine Aubry, maire de Lille, qui est, sans donner le sentiment d'un désengagement des pouvoirs publics, d'articuler les solidarités institutionnelles et une solidarité de proximité, qui soit le fait des habitants, en utilisant des outils inédits comme ce « contrat entourage » que nous a proposé une association.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Sur ces questions de lien social et d'isolement, je vous invite à aller voir la pièce Le Jardin, au théâtre des Mathurins.

Pour revenir aux questions qui nous préoccupent, il me semble que vous êtes des acteurs de mobilisation sociale et de lien entre les prestations sociales et l'action sociale.

Je salue l'arrivée de M. Jean-François Bénévise et de Mme Véronique Fages, auxquels je propose de donner leur sentiment sur les questions qu'a posées tout à l'heure notre rapporteure sur la décentralisation de l'action sociale et sur l'évolution récente de cette dernière, ainsi que sur la distinction entre aide sociale et action sociale, légal et extra légal, obligatoire et facultatif.

M. Jean-François Bénévise : Je vous prie d'excuser notre retard.

L'action sociale de la ville de Lyon passe à la fois par le CCAS et par toutes nos interventions en matière de logement, d'éducation, d'aide à l'emploi. Dans l'action sociale proprement dite, nous intervenons sur le terrain de la solidarité, avec les maisons de l'urgence sociale et de l'entraide qui jouent le rôle de guichet unique pour traiter les difficultés et pour orienter les personnes. Nous disposons dans ce cadre de deux restaurants sociaux et de bains-douches. La ville intervient aussi dans le cadre du plan grand froid, qui est en fait de la responsabilité de l'État, dans les dispositifs de veille sociale et d'hébergement d'urgence. Elle assure l'aide aux sinistrés en cas de catastrophe. Elle accueille les publics fragiles dans les antennes présentes dans chaque arrondissement. Elle intervient dans l'aide aux formalités, dans l'accès aux droits, dans l'aide facultative à environ 10 000 familles. Elle assure des visites à domicile.

En matière de gérontologie, nos interventions sont classiques : soutien aux associations pour le maintien à domicile et offre d'hébergement dans nos 23 résidences pour personnes âgées et dans nos quatre EHPAD.

Comme les autres communes, en particulier les villes centres y compris les plus aisées, nous sommes de plus en plus exposés à la montée de la pauvreté et à l'isolement.

S'agissant des relations entre collectivités, nous assistons à des transferts de charges, qu'ils soient explicites ou implicites. Ainsi, nous recevons une subvention de 53 000 euros pour un service de santé scolaire qui nous coûte 3,5 millions... Même si nous allons au-delà de nos obligations, j'observe que l'engagement relatif au montant de la subvention qui avait été négociée avec l'éducation nationale dans le cadre d'un contrat d'objectifs n'a pas été respecté.

On peut aussi parler, dans le domaine de la petite enfance, de la réduction des financements pour les places de crèche alors que l'on nous incite à en créer et que nous sommes confrontés à des normes de plus en plus contraignantes et onéreuses.

Mais il y a aussi les transferts plus insidieux, dans la mesure où la commune se retrouve en première ligne pour l'aide facultative, tout simplement parce que c'est vers son maire que l'on se tourne en premier. Un autre problème tient au fait qu'une collectivité de deuxième niveau peut poser des limites à son intervention. C'est ce qu'a fait le conseil général du Rhône, par exemple en fixant des critères d'âge pour la prévention spécialisée et cela a des conséquences sur la ville, qui est bien obligée de faire quelque chose même si cela ne relève pas de ses compétences directes. En cas de désengagement, c'est toujours celui qui est en première ligne qui supporte la charge, c'est aussi ce que disent les grandes associations caritatives, qui dénoncent la tendance de l'action sociale publique à se décharger sur elles.

À l'inverse, une collectivité peut décider de faire plus que ce qu'elle est tenue de faire. Ainsi, la ville participe à hauteur de 420 000 euros par an, soit 10 % de la somme engagée par l'État, au plan « Grand Froid » à Lyon.

Dans nos relations avec le conseil général, la grande question est celle du partage des responsabilités. Si l'on veut éviter les conflits de compétences, faut-il un partage par territoire, le conseil général intervenant plutôt dans le monde rural et la ville, par délégation, dans le monde urbain, ou bien un partage par publics, qui pose le problème de la distinction entre individus et familles ? La question se pose moins du côté des travailleurs sociaux, qui doivent avant tout assurer la prise en charge, que du côté des institutions. Le conseil général se demande aussi comment concilier la vocation universelle du service social départemental et les limites que la décentralisation ou que les moyens dont il dispose posent à ses compétences.

Après la suppression du rôle de coordination de l'État qui était prévu dans la loi de lutte contre les exclusions, on a dévolu la fonction de chef de file au conseil général. Or, le chef de file c'est celui qui prend l'initiative, il n'est donc pas possible d'assurer en même temps la coordination et on peut donc se demander qui en a aujourd'hui la charge.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : En effet, la loi donne au conseil général la fonction de chef de file, mais à vous entendre on a l'impression que les conseils généraux exercent aussi une gestion directe, y compris des aides individuelles. Les choses paraissent toutefois appelées à évoluer.

Il apparaît nécessaire par ailleurs de clarifier un certain nombre de missions. Faut-il pour cela aller plus loin dans la notion de chef de file, passer à des compétences clairement identifiées, y compris en matière de financement, ou rester dans le flou actuel ? Faut-il imaginer de nouveaux dispositifs associant sanitaire, social et médico-social ? Quelle place devrait être la vôtre dans tout cela ?

M. Jean-Michel Moynié : Je ressens le besoin de clarifier la répartition entre les caisses, les départements et les collectivités. Pour le moins, il faudrait qu'il soit impératif de travailler ensemble et d'organiser la coopération entre les services sociaux des départements et des villes, les caisses étant pour l'instant particulièrement absentes.

M. Jean-Michel Marige : Il existe sur le terrain des accords locaux, formels ou informels, et cela fonctionne. Je ne sais pas s'il faudrait les formaliser davantage mais il conviendrait sans doute d'aller vers une politique d'incitation. Les départements ont le souci légitime d'assurer l'égalité de traitement sur l'ensemble de leur territoire, tandis que les CCAS fonctionnent selon le principe de la libre administration des collectivités locales.

Je crois aussi que les départements n'ont pas assez l'habitude de traiter avec l'Union nationale des CCAS.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Les relations avec l'UNCCAS nous paraissent en effet essentielles.

Vous avez dressé le constat de la grande hétérogénéité de l'action sociale des CCAS, une harmonisation vous paraît-elle nécessaire ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Je suis simplement passé saluer les participants à cette réunion, en particulier les représentants de la ville de Lyon. Je suis désolé de ne pouvoir participer à vos travaux, mais l'agenda des fins de législatures est traditionnellement chargé et notre commission est ce matin impliquée dans cinq réunions simultanées, y compris le débat en séance publique.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : Les mairies sont en première ligne pour toutes les questions de précarité et de solidarité alors qu'il ne s'agit pas véritablement d'une compétence municipale. Il est vrai que l'on constate des difficultés dues à l'empilement des compétences et je suis donc favorable à l'idée d'un chef de file, qui serait le garant de l'équité territoriale mais qui saurait aussi déléguer par le biais de contrats avec les CCAS sur des champs précisément déterminés.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Quel lien faites-vous avec les questions sanitaires.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : C'est la question éternelle du croisement entre le champ social et le champ sanitaire. Je ne vois pas pourquoi les agences régionales d'hospitalisation (ARH) ne pourraient pas prendre l'intervention de communes en compte dans les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS).

M. Jean-François Bénévise : Ayant pris en charge des blocs de compétence importants, le conseil général sera enclin à leur donner davantage de poids qu'à l'aide sociale facultative, d'autant qu'il reçoit pour cela des financements et qu'il intervient un peu en substitut de la sécurité sociale. Il est d'ailleurs surtout sollicité en tant qu'organisme délivrant des prestations et les communes n'ont pas vocation à lui contester ce rôle.

Le problème se pose donc pour les aides facultatives, avec le risque de conflit négatif, si tout le monde se renvoie la balle, et de conflit positif, si l'on verse deux fois la même allocation. Compte tenu des traditions, il ne paraîtrait pas illogique que l'action sociale facultative soit intégralement déléguée aux communes. Encore faudrait-il que le conseil général l'accepte, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il me semble qu'on peut distinguer la compétence d'accueil et d'écoute de tous les publics et la distribution d'allocations et d'aides.

Mais la véritable question est celle du financement : alors que l'attribution de nouvelles compétences aux conseils généraux s'est faite sur la base de transferts clairement identifiés, pour les communes on considère que c'est une évidence. Or, les maires ont le sentiment d'une injustice : ils comprennent qu'on leur demande de prendre en charge les besoins de proximité mais ils ne jugent pas équitable qu'on ne leur en donne pas les moyens et qu'on considère que cela s'inscrit en fait dans une logique caritative.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Cela ne tient-il pas au fait que les transferts et les créations concernent les prestations et non l'action sociale ? Du coup, la question de l'animation de l'action sociale, que portent en grande partie les CCAS, n'est jamais posée en termes de financement : qui paie les travailleurs sociaux et qui accueille ? Dans le champ de la petite enfance, c'est le département, pour les personnes âgées, les choses ne sont pas très claires et, évidemment, elles le sont encore moins pour le public border line.

M. Jean-François Bénévise : On peut aussi considérer qu'il faudrait que la loi soit plus claire. Pour assurer l'égalité de traitement et pour rassurer les élus en leur permettant de faire les bons arbitrages dans leur collectivité, il faudrait qu'ils sachent ce qui dépend exactement d'eux. Les choses sont très différentes pour l'éducation : on ne se pose pas la question de la prise en charge de la compétence éducative. En revanche, pour l'action sociale on se demande sans cesse jusqu'où on doit aller et comment on peut y aller. Or, en particulier en raison de l'existence des CCAS, qui sont une structure distincte de la commune, l'action sociale n'est pas toujours perçue comme une mission essentielle de la ville.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je suis désolée que nous n'ayons pas le temps de vous entendre davantage. Je vous remercie tous pour la qualité de vos interventions, nourries de vos expériences de terrain, et je vous invite à nous faire parvenir toutes les propositions précises dont vous pensez qu'elles pourraient nourrir notre réflexion.


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