Table ronde n° 5 :
« A quelles conditions la réforme peut-elle réussir ? :
quelles mesures d'accompagnement ? »

M. Vassilis Vovos, président de Japan Tobacco International (JTI) ;

M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) ;

M. René Le Pape, président de la Confédération nationale des débitants de tabac ;

M. André Daguin, président
de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) ;

Professeur Gérard Dubois, président de l'Alliance contre le tabac ;

Professeur Albert Hirsch, vice-président de la Ligue nationale contre le cancer ;

M. Gérard Audureau, président de l'association Droits des non-fumeurs ;

Professeur Yves Martinet, Président du Comité national contre le tabagisme (CNCT) ;

Mme Bernadette Roussille, membre
de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ;

Mme Chantal Fontaine, chargée de mission justice de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ;

Docteur Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer ;

M. Pascal Melihan-Cheinin, chef du bureau des pratiques addictives
à la Direction générale de la santé (DGS) du ministère de la santé et des solidarités ;

M. Philippe Lamoureux, directeur général de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES),
accompagné de M. Antoine Lhuiller, chargé de communication ;

M. Jean-Pierre Mazé, sous-directeur des droits indirects à la direction générale des douanes et M. Régis Cornu, inspecteur principal, responsable « tabacs »
à la direction générale des douanes ;

M. Lidsky, de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), accompagné de M. Stéphane Penet, directeur, de Mlle Latifa Lam, responsable juridique et de M. Jean-Paul Laborde, conseiller parlementaire

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 juillet 2006)

M. le Président : Je vous souhaite à tous la bienvenue à cette cinquième table ronde organisée dans le cadre des travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics. La dernière de ces réunions se tiendra le mercredi 12 juillet, mais nous complèterons ces tables rondes par des auditions simples complémentaires. Nous verrons comment il sera possible de rencontrer à nouveau les participants à ces tables rondes, afin de les associer à l'élaboration de notre rapport.

Les deux dernières tables rondes portent sur les mesures d'accompagnement. En effet, dès lors que l'objectif est de renforcer les dispositions actuelles de lutte contre le tabagisme, un accompagnement paraît indispensable. Il doit concerner en premier lieu l'information et l'éducation sanitaire car, comme l'a observé justement Mme Roussille, il ne suffit pas de voter une loi ou de prendre un décret pour que les textes entrent en application. Les administrations réagissent parfois avec beaucoup de retard, et il leur arrive même de se tromper dans l'interprétation des textes.

En outre, l'accompagnement doit aussi viser les secteurs économiques qui vivent de la production et de la distribution du tabac. Si l'objectif est de réduire la consommation de ces produits, cela aura bien évidemment des conséquences pour ces entreprises et pour ceux qui vivent, en partie ou en totalité, de cette activité. Des mesures ont déjà été prises et il y a désormais un parlementaire en mission sur le contrat d'avenir, mais il faut bien évidemment que nous réfléchissions à cet aspect. On sait aussi qu'en fonction des décisions que nous serons amenés à prendre, certains, comme les bars-tabac et les restaurants, où il est actuellement permis de fumer, pourront avoir besoin d'un temps d'adaptation.

Cet après-midi, nous souhaitons donc aborder tout d'abord la préparation de l'opinion publique, en particulier sous l'angle des campagnes de sensibilisation du public, de leur adaptation aux publics visés, et des enseignements qui peuvent être tirés des expériences étrangères. Nous en viendrons ensuite aux mesures d'accompagnement envisagées pour les professionnels qui estiment qu'ils pourraient pâtir d'un durcissement de la réglementation. Dans ce cadre, nous aborderons aussi la question de l'assurabilité. Enfin, nous nous intéresserons à l'aide au sevrage tabagique.

Je vous propose donc de commencer par la préparation de l'opinion publique et je donne sans plus tarder la parole à M.Philippe Lamoureux.

M. Philippe LAMOUREUX : La communication est un des facteurs de réussite du changement de législation, les exemples irlandais et italien le montrent.

En Irlande, une campagne d'information spécifique sur la nouvelle loi est apparue comme une nécessité pour appliquer la mesure. Toute une série de supports a été produite par les autorités à destination des employeurs, des entreprises et du grand public. Un temps d'adaptation de douze à quinze mois s'est écoulé entre l'annonce et l'application du texte.

En Italie, le changement de législation s'est aussi accompagné d'une campagne de communication massive - spots télé, radio, cinéma, affichage, annonces presse - répartie sur une période de six mois. Dès la parution du texte, le 10 janvier 2005, le gouvernement a fait le choix de renvoyer vers une ligne téléphonique dédiée.

En France, nous avons déjà abordé le problème de la fumée des autres sous l'angle du tabagisme passif, afin de faire évoluer les représentations sociales sur ce thème. Nous avons ainsi réalisé, en octobre 2004, la première campagne médiatique nationale sur le tabagisme passif. Il s'agissait de faire passer un message très simple : lorsqu'on fume à côté d'un non-fumeur, il fume aussi. L'objectif était avant tout d'inciter les fumeurs à respecter les non-fumeurs, mais aussi de faire prendre conscience aux non-fumeurs de la réalité du tabagisme passif sans pour autant opposer deux clans. La campagne permettait également de toucher directement les fumeurs en leur montrant ce que représente concrètement leur consommation de cigarettes sur plusieurs années. Elle comportait deux spots, l'un concernant le domicile, l'autre le lieu de travail, illustrant la quantité de cigarettes qu'un non-fumeur inhale lorsqu'il vit en présence d'un fumeur. Ces spots ont été diffusés en octobre 2004, puis en juin 2005 et en juin 2006. Ils ont donc une puissance médiatique assez importante.

Les post-tests ont été excellents : c'est, parmi les campagnes grand public que nous avons menées puis 2000, celle qui obtient le meilleur taux de reconnaissance, de mémorisation et d'implication. On nous demande d'ailleurs de l'exporter, et nous avons eu des demandes des autorités suisses, espagnoles et luxembourgeoises.

Lors de la diffusion de juin 2005, nous avons souhaité décliner cette campagne dans les bars et dans les restaurants, lieux emblématiques des difficultés du tabagisme passif. Nous avons travaillé sur un certain nombre de visuels qui montraient des lieux de restauration et des bars, avec la même idée d'accumulation de cigarettes. Nous avons bien entendu discuté de cette campagne avec les fédérations professionnelles. Contrairement à ce que nous craignions, cette concertation a été très constructive. Les professionnels demandaient surtout que l'on ne voie pas de cigarettes sur les étagères et sur les comptoirs parce que cela faisait « maison mal tenue », le principe de l'accumulation de cigarettes étant en revanche accepté.

Ces visuels ont été diffusés auprès de plusieurs réseaux d'affichage pour un total de 41 000 panneaux, ainsi que dans les principaux titres de la presse quotidienne nationale et régionale.

Cette campagne a en quelque sorte préparé le terrain pour une éventuelle interdiction de fumer dans les lieux publics.

En ce qui concerne la façon de communiquer dès lors que la législation serait modifiée, nous tablons - à partir de l'idée d'une interdiction absolue de fumer, sauf dans les substituts du domicile, et faute d'information définitive - sur deux hypothèses : d'une part l'obligation de fumer à l'extérieur, d'autre part la possibilité de fumer dans des espaces fermés.

Il apparaîtrait utile en premier lieu de mener une campagne préalable à la mise en œuvre de l'interdiction, afin de continuer à préparer l'opinion en dénonçant les risques du tabagisme passif pour les enfants et pour les salariés exposés durablement. Il s'agirait de donner des chiffres précis et de permettre à chacun de s'approprier l'information et de se sentir concerné en fonction de sa situation.

Il conviendrait ensuite de mener une campagne d'accompagnement de la loi, en la positionnant comme un progrès pour la société. Une campagne leaders d'opinion serait menée sur le thème « la loi change pour le bien de tous », une campagne grand public montrerait le progrès que cette évolution représente en termes de santé publique, par exemple en faisant le parallèle avec la vaccination obligatoire des nouveau-nés ou avec le port de la ceinture de sécurité. Une autre campagne valoriserait l'interdiction, afin de passer de la stratégie que nous développons depuis plusieurs années de « dénormalisation » du tabagisme passif et du comportement tabagique à une stratégie de normalisation du statut de non-fumeur.

Une campagne dans le hors média accompagnerait sur le terrain l'évolution de la législation. Il existe déjà un certain nombre de supports, par exemple un guide « Entreprise sans tabac », mais il conviendrait sans doute de diffuser une information spécifique en direction des entreprises, mais aussi des hôpitaux et des établissements scolaires. Nous utiliserions probablement l'Internet, à partir du site existant Tabac Info-service, qui pourrait être étoffé.

L'accompagnement relations presse serait également très important, afin de sensibiliser les journalistes - qui le sont déjà très largement - au sujet. Cette stratégie permettrait, en amont de la date d'application prévue, d'expliquer la loi et les risques du tabagisme passif en préparant l'opinion au basculement législatif, afin qu'elle se montre plus compréhensive au moment où il interviendrait.

M. Yves BUR : Pouvez-vous nous dire un mot de votre dernière campagne, qui utilise uniquement l'Internet ?

M. Philippe LAMOUREUX : Nous allons même vous la diffuser... Je précise simplement qu'il ne s'agit pas d'une campagne sur le tabagisme passif : nous avons délibérément choisi, par le support et par le ton, de nous adresser aux jeunes. Pour cela nous avons créé sur Internet, avec nos partenaires d'Alliance contre le tabac, une société virtuelle, Toxicorp, et nous avons lancé pour son compte une campagne de recrutement de jeunes fumeurs par marketing viral.

M. Antoine LHUILLIER présente le spot et le site, en donnant les explications suivantes : La voix off dit « vous êtes jeune, motivé, prêt à devenir dépendant de la nicotine : rejoignez Toxic Corp et remplacez un de nos fidèles fumeurs décédés ». Au cours de sa visite de l'usine, le jeune croise sans cesse d'anciens fumeurs, qui circulent sous la forme de cadavres dans des linceuls. On évoque toutes les substances cancérigènes. La signature est : « le tabac tue un fumeur sur deux, l'industrie du tabac compte sur vous pour les remplacer », avec l'adresse du site Internet -www.toxic-corp.fr -, la technique consistant à renvoyer le plus possible de personnes vers ce site.

Avant même la campagne de bannières destinée à faire connaître Toxic Corp, nous avons déjà eu 1 500 connexions en 24 heures. Grâce au ton et au support, les jeunes font eux-mêmes la promotion du site et deviennent ainsi vecteurs de diffusion de la campagne, puisqu'ils téléchargent le film et se l'envoient entre eux. Nous avons enregistré 6 000 inscriptions avant même toute promotion sur le Web et le site est pratiquement saturé.

L'inscription obligatoire sur le site sert à constituer un fichier d'e-mails pour évaluer les dispositifs, mais elle permet aussi aux visiteurs de voir quel est l'émetteur qui donne la légitimité au contenu - en l'occurrence, l'INPES et l'Alliance. Une fois inscrit, on se promène sous la forme d'un avatar dans l'univers de Toxic Corp, on accède par exemple au bureau du PDG où l'on trouve les propres documents de l'industrie du tabac - les vrais -, mais aussi des extraits de documentaires sur les manipulations des industriels. Le but étant que l'internaute découvre par lui-même ces manipulations. Nous avons développé l'interactivité pour attirer le maximum de 15-25 ans, avec, en particulier, un petit outil qui permet de savoir combien l'on rapporte au PDG de Toxic Corp selon son âge et sa consommation quotidienne de cigarettes.

Pour comprendre cette stratégie, il faut savoir que les études sur les comportements des jeunes par rapport au tabac montrent que la menace du cancer à soixante ans est inefficace car à quinze ans on se sent immortel. En revanche, cette population est beaucoup plus sensible aux arguments sur la manipulation et la perte du libre arbitre. La campagne est donc bâtie sur l'idée que les jeunes sont manipulés par l'industrie du tabac. Elle fonctionne assez bien, mais jamais jusqu'ici on n'avait mené une campagne aussi frontale et brutale contre l'industrie du tabac. Nous nous sommes rapprochés des associations car la crédibilité du ministère de la santé auprès d'une telle cible n'allait pas de soi.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : Vous avez indiqué, Monsieur Lamoureux, que, selon les pays, la durée de communication sur la nouvelle réglementation variait de six à dix-huit mois. Avez-vous pu évaluer dans quel cas le message passait le mieux ?

Pensez-vous par ailleurs que le contenu de la campagne de communication sera différent selon que l'on empruntera la voie législative ou réglementaire ?

M. Philippe LAMOUREUX : Nous sommes très attentifs à ce qui se passe à l'étranger. Il y a quelques années, nous nous sommes inspirés de ce qui se faisait en Californie et en Floride sur le thème : « un produit de consommation courante contient du plomb, de mercure, etc. Pour en savoir plus, appelez tel numéro ». Mais il est souvent difficile de transposer une campagne d'un pays à l'autre. Ainsi, alors que des études hollandaises montraient qu'avec un marquage des paquets de cigarettes comportant un renvoi à une ligne téléphonique, le trafic d'une ligne de type « tabac info-service » était multiplié par quatre, en France il a seulement doublé.

La forme ne sera pas très différente selon que l'on aura recours au décret ou à la loi, mais elle variera en fonction du contenu : le pari de la communication est de ramener un texte plus ou moins long à 30 secondes sur un écran de télévision, donc plus le texte est simple, plus on peut le réduire à un message linéaire, mieux c'est.

M. René LE PAPE : Je m'étonne que l'État finance de telles campagnes tout en continuant à accepter les royalties que rapportent les fabricants de tabac et à percevoir les taxes sur le tabac ! Pour mettre fin à cette incohérence, il faut tout simplement arrêter la vente du tabac et prohiber totalement ce produit sur le territoire national !

M. le Président : Le problème, c'est qu'il y a des débitants de tabac...

M. René LE PAPE : Les débitants de tabac sont des investisseurs, qui à un moment donné ont pris des risques, et qui ont signé avec l'État un contrat de gérance. Si l'on allait jusqu'au bout en supprimant le produit, il faudrait que l'État rembourse les buralistes qui ont investi lourdement.

M. le Président : Je plaisantais, mais nous allons revenir sur les compensations lors de la deuxième partie de cette table ronde.

Si l'on connaît la dangerosité du produit, à laquelle nous avons déjà consacré plusieurs séances, personne ne préconise une prohibition totale, y compris par pragmatisme : on sait très bien que la prohibition n'a jamais résolu un problème. Qu'il soit en revanche nécessaire d'aller vers une réduction de la consommation paraît évident, tout comme le fait que cela aura des conséquences sur ceux dont l'activité économique y est liée.

Sans aller jusqu'à la prohibition, je considère qu'il appartient aux pouvoirs publics d'utiliser tous les moyens de communication pour informer et même, pour être plus clair, pour contrebalancer la désinformation.

M. Albert HIRSCH : Il n'est pas possible d'envisager la prohibition d'un produit consommé régulièrement par 30 % des Français.

Ce qui est important dans cette campagne, c'est qu'il s'agit d'une communication sur un produit et non sur l'addiction ou sur l'appétence. Elle est ainsi tout à fait lisible pour l'opinion, le trafic sur le site Internet en témoigne. Il est souhaitable que ce spot soit diffusé aussi à la télévision.

M. Yves BUR : Je rappelle à M. Le Pape que les taxes vont à la sécurité sociale. Cet outil a par ailleurs changé de nature : auparavant on créait des taxes pour alimenter le budget de l'État, désormais on les augmente pour diminuer le nombre des consommateurs. D'ailleurs, l'augmentation de 40 % n'a produit que 500 millions d'euros, sur une recette globale de 10 milliards.

Je l'ai dit ce matin, nous sommes engagés dans un processus qui entraînera des changements d'habitudes. Et les plus concernés seront logiquement ceux qui vendent ces produits pour le compte de l'État, qui devront s'adapter progressivement. Mais ne sommes-nous pas dans un monde qui s'adapte en permanence ? Les changements technologiques dans de nombreux domaines n'amènent-ils pas les salariés à se recycler ? C'est de cela qu'il faut que nous débattions dans le cadre des mesures d'accompagnement.

M. le Président : Je rappelle que la loi de 1991 mentionnait déjà le prix comme un facteur de réduction de la consommation. Et pour augmenter les prix, il faut bien jouer sur les taxes.

M. Yves BUR : L'objectif des fabricants est de conquérir des parts de marché. C'est ce qu'ils ont tenté de faire en Espagne en début d'année, à coups de baisses de prix. Et ce n'est pas par hasard que l'Union européenne veut obliger la France à renoncer au prix minimum. Les fabricants n'auront jamais de cesse de nous harceler, pour notre part nous ne devons pas avoir de cesse de les contrer, sans état d'âme.

M. Vassilis VOVOS : Voilà trois fois en quelques instants que les fabricants de tabac sont visés. Je vais néanmoins essayer de garder mon calme et de ne pas céder à la tentation de la polémique.

Je rappelle en premier lieu que ce ne sont pas les fabricants qui cherchent à modifier le système du prix minimum, mais l'Union européenne. C'est donc avec elle que vous devez régler ce problème.

Je trouve par ailleurs que la campagne qui nous a été présentée porte l'exagération à un niveau sans précédent. Pourquoi le spot ne montre-t-il pas que 80 % de l'argent dépensé pour le tabac vont à l'État ? Que plus de 150 dispositions légales et réglementaires régissent la commercialisation du tabac, auxquels nous nous conformons totalement ? Que nous sommes nous-mêmes les promoteurs de l'interdiction de la vente aux mineurs ?

Sans être juriste, je considère que cette campagne est à la limite de la légalité. Comment d'un côté dire que vous n'êtes pas favorables à l'interdiction du tabac et de l'autre financer - à hauteur d'un demi million d'euros - une telle campagne sur l'Internet ? Nous, nous sommes là pour travailler avec vous, nous venons pour discuter. Bien sûr, nous préférerions ne pas être insultés tout le temps, mais même si c'est le cas, nous continuerons à essayer de vous dire ce qui nous paraît correct.

Mais il faudrait quand même que vous compreniez que comme vous êtes décidé à ce que le tabac reste un produit légal, il faut bien que quelqu'un le fabrique. Cette campagne est vraiment hypocrite !

M. le Président : Un produit peut être légal sans que personne ne le fabrique. Si l'industrie le fabrique, c'est qu'elle il y a quand même intérêt...

M. Gérard DUBOIS : Je ne reviens pas sur le comportement des industriels, dont j'ai même contesté la présence en ce lieu. J'ai écrit un livre qui comporte des centaines de citations de documents consternants de l'industrie du tabac, dont certains sont repris sur le site Toxic corp. Il s'agit bien de documents de l'industrie elle-même et non d'inventions.

Quand une nouvelle législation provoque un changement visible - car l'interdiction totale dans les lieux publics vise bien à faire disparaître la vue du tabagisme dans la société - le problème du temps de maturation est réel. Mais quand on parle de durée de campagne, il faut comprendre qu'elle a déjà commencé. Ainsi, le sondage que nous avons réalisé sur la demande des Français a déjà été publié. Il faut distinguer la campagne publicitaire sur des espaces payés et le rédactionnel. Or il y a déjà eu énormément de rédactionnel au cours des dix-huit derniers mois. D'ailleurs, au mois d'avril, les Français se sont étonnés qu'une mesure ne soit pas prise immédiatement, ce qui montre qu'ils y étaient plutôt prêts. L'expérience de la loi Evin nous montre que la chute des ventes de tabac commence au moment de la discussion du texte au Parlement. C'est-à-dire que le débat parlementaire a participé à la maturation de l'opinion. Alors que l'interdiction de la publicité n'a été appliquée qu'en 1992, la diminution des ventes a commencé dès 1991.

M. Yves BUR : Je rappelle que nous traitons cet après-midi de l'accompagnement. On voit bien que s'engager dans la démarche que nous appelons de nos vœux nous conduira d'abord à préparer l'opinion. Il faudra donc souligner clairement dans notre rapport la nécessité de consacrer des moyens à bâtir des outils pédagogiques et à mener de telles campagnes. Celles-ci doivent être faites avec un certain nombre d'acteurs. Il faudra ainsi prendre en compte les difficultés des buralistes, mais aussi distinguer les messages généraux de ceux destinés aux hôteliers et aux restaurateurs, qui auront à appliquer concrètement les nouvelles règles contraignantes. Les organisations professionnelles devront comprendre qu'elles ont intérêt à accompagner un tel dispositif, plutôt que de jouer la montre et d'être constamment sur la défensive.

En Irlande, il y a eu un long débat préalable, mais les professionnels de l'hôtellerie et de la restauration ont fini par prendre acte de la décision et par décider de jouer le jeu de la loi. Les choses se sont passées de la même façon en Italie. À nous de faire en sorte qu'il en aille de même en France, car l'objectif est d'une part, je le rappelle, de protéger les fumeurs et non-fumeurs de la fumée passive - plus dangereuse que l'autre - et d'autre part de faire baisser le nombre de fumeurs. En Italie, le nombre des fumeurs a diminué de 500 000 en un an, tout simplement parce qu'on fume moins souvent quand on est obligé de descendre cinq étages pour allumer une cigarette. C'est ainsi que les nouvelles habitudes s'installent.

M. Philippe LAMOUREUX : Monsieur Vovos, avec une telle campagne, nous recherchons, comme vous, l'efficacité : nous cherchons, comme vous, ce qui marche, et quand, comme vous, nous le trouvons, eh bien, comme vous, nous l'utilisons. Vous, vous associez les cigarettes à l'idée de grands espaces et de nature, je me demande laquelle des deux campagnes est la plus caricaturale...

Cela étant, nous sommes très attentifs à éviter la stigmatisation des fumeurs car il n'y a rien de pire que de montrer les gens du doigt en les accusant d'être responsables des problèmes des autres.

Par ailleurs, toute communication sur ce sujet doit ouvrir des portes et offrir des solutions : il ne faut pas que les gens se sentent enfermés dans leur statut de fumeurs.

Enfin, quand vous parlez de 500 000 euros, vous êtes bien renseigné, si ce n'est que cette somme couvre aussi l'achat d'espaces et qu'elle ne représente donc pas le coût de la campagne mais de l'ensemble du dispositif.

M. le Président : Je souhaite également réagir aux propos de M. Vovos.

Je répète, à la suite de M. Bur, que notre objectif est de protéger les non-fumeurs. Nous sommes attachés à faire diminuer, par des politiques de santé publique, la consommation de tabac dans notre pays, ce qui revient bien à réduire les possibilités qu'ont les industriels du tabac de développer leur activité. Il serait donc absurde de nier que nos intérêts sont contradictoires.

Nous devons pour notre part nous demander non pas comment interdire ce produit, car ce serait inefficace, mais comment faire en sorte que sa consommation diminue considérablement, donc que l'activité des industriels et de ceux qui vivent de la commercialisation du tabac soit également réduite. Ne pas le dire serait leur mentir.

D'autres secteurs économiques ont déjà été confrontés à des problèmes analogues. Quand le Gouvernement a interdit l'amiante, les entreprises ont dû prendre des mesures sociales d'accompagnement. Quand les pouvoirs publics ont décidé de ne plus subventionner certaines activités industrielles, il a fallu aussi assurer des reconversions. Peut-être serez-vous demain confronté à une telle situation, Monsieur Vovos.

S'agissant des buralistes, il est vrai qu'un contrat été passé à un moment où la perception de la dangerosité du tabac n'était pas la même qu'aujourd'hui et où la position des pouvoirs publics était ambiguë dans la mesure où la SEITA était une entreprise d'État. Mais les choses évoluent et, au regard de la situation de santé publique que nous connaissons, l'État ne serait pas cohérent s'il ne prenait pas des dispositions tendant à réduire la consommation de tabac.

Je peux comprendre que les industriels souhaitent continuer à avoir un marché et même à le développer, mais ils se heurteront de plus en plus souvent aux États, car il s'agit d'un mouvement qui se développe dans le monde. Ces industriels ont malheureusement pris pour cible les pays en développement pour compenser leur manque à gagner dans les pays industrialisés, mais cela n'aura aussi qu'un temps, notamment si l'OMS gagne en efficacité. Ne pas dire tout cela aux chefs d'entreprise et aux salariés ne serait pas normal.

M. Vassilis VOVOS : Je suis tout à fait d'accord avec certains points que vous avez évoqués, simplement je trouve qu'il y a parfois des exagérations et que l'on a tendance à caricaturer ce que nous faisons.

Je vous rassure : en tant que chefs d'entreprise, nous ne prévoyons pas que le marché va se développer, mais au contraire qu'il va se réduire. Je ne suis pas venu ici pour chercher les moyens d'un tel développement, mais pour vous dire que la loi, et surtout le décret, sont flous, qu'ils ne sont pas applicables, que la société a évolué, et qu'il va falloir trouver un autre équilibre.

M. le Président : Je vous propose d'en venir au deuxième sujet de cette table ronde, c'est-à-dire aux mesures d'accompagnement.

M. Jean-Pierre MAZÉ : La direction générale des douanes a une véritable compétence en matière de tabac, puisqu'elle porte à la fois sur les prix, en particulier avec le prix plancher, ainsi que sur le contrat d'avenir, c'est-à-dire sur les mesures d'accompagnement prises en faveur des buralistes à la suite des augmentations successives décidées par les pouvoirs publics.

Fin 2002, sur proposition du Gouvernement et dans le cadre du plan cancer annoncé par le Président de la République, le Parlement a décidé une forte augmentation des droits de consommation sur les tabacs, qui sont passés de 59 à 62 %. Une mesure de ce type a un effet de levier très important, puisqu'elle entraîne une augmentation de la TVA et de la rémunération des débitants : une hausse de 2 % des droits provoque ainsi une augmentation de 10 % du prix du tabac. À l'été 2003, le Premier ministre a décidé une nouvelle augmentation de 2 %, portant le taux actuel des droits à 64 %. Très rapidement, on a vu le prix du paquet de cigarettes le plus vendu, celui de Marlboro, passer de 3,20 à 3,60 puis à 5 euros.

Dans le même temps, on a observé une baisse de 40 % des ventes par les buralistes. L'appréciation de ce que cela représente en volume est assez controversée, l'analyse économétrique des fabricants de tabac étant d'ailleurs plus fine que la nôtre. On considère toutefois qu'une partie importante de cette chute correspond à des arrêts et à des diminutions de consommation de tabac. Cela confirme ce qu'a dit M. Évin : le prix à un lien direct avec la consommation. Mais il y a aussi des changements de comportement, en particulier un développement des achats transfrontaliers dans les pays où les prix sont nettement plus bas : l'Espagne et le Luxembourg et, à un degré moindre, l'Allemagne et la Belgique.

Cela a conduit la Confédération nationale des débitants de tabac et son président René Le Pape à demander des mesures d'accompagnement pour compenser une baisse des ventes consécutive à une volonté nette du Gouvernement et du Parlement de réduire la consommation de tabac. C'est ainsi qu'un plan d'aide aux buralistes, le « contrat d'avenir », a été lancé le 1er janvier 2004. Il court jusqu'au 31 décembre 2007.

Il comporte à la fois un soutien financier et une aide à la diversification de l'activité. Les mesures financières sont lourdes, mais plus faciles à mettre en œuvre. La première consiste en une aide additionnelle à tous les buralistes. Ces derniers réclamaient depuis un certain temps une revalorisation de leur rémunération. En effet, ils sont payés à l'achat des cigarettes : Altadis, qui distribue plus de 95 % des tabacs en France, leur facture les cigarettes 6 % en dessous du prix de revente et cette différence constitue donc leur rémunération. Il y a quelques années, on avait déjà institué une remise additionnelle sur le premier million de francs, sur lequel on ne retenait ni la cotisation destinée aux retraites ni la redevance d'exercice versée à l'administration. Cela correspondant à 2 %, la rémunération globale atteignait donc 8 %. Désormais, sur ce premier million - devenu 152 500 euros  -, la rémunération est de 10 % et, jusqu'à 300 000 euros, les buralistes perçoivent une rémunération complémentaire de 0,7 %. Tous ceux qui atteignent ce montant perçoivent de la sorte 4 082 euros de plus, les autres disposant d'un complément proportionnel à leurs ventes.

Dans la mesure où elle concerne tous les buralistes, cette disposition est la plus onéreuse : son coût est d'un peu plus de 100 millions d'euros par an.

Une deuxième mesure concerne uniquement les buralistes ayant souffert d'une baisse du chiffre d'affaires. Il s'agit principalement des frontaliers, mais pas seulement. On s'est aperçu, lors de la première année de mise en œuvre du plan d'accompagnement, que dans des départements où étaient implantées de grandes sociétés de transport, la Mayenne par exemple, la baisse du chiffre d'affaires des buralistes était presque équivalente à celle affectant les frontaliers. La raison en était que les chauffeurs routiers achetaient des quantités importantes de cigarettes au Luxembourg ou en Espagne dans le but de les revendre en France. Nous sommes intervenus auprès des sociétés de transport pour mettre un terme à cette pratique, ou au moins pour que son ampleur diminue. Les choses se sont améliorées.

J'en viens, donc, à cette deuxième mesure d'accompagnement. Aux buralistes qui ont connu une baisse du chiffre d'affaires de plus de 5 % par rapport à l'année 2002 - celle qui a précédé les changements législatifs -, nous versons une remise compensatoire, à hauteur de 50 % de la perte de rémunération liée à la baisse du chiffre d'affaires. Quand cette baisse est comprise entre 10 et 25 %, la compensation s'établit à 70 %. Quand elle est supérieure à 25 %, la compensation est de 80 %. Je précise que cette compensation correspond à la baisse du chiffre d'affaires tiré des ventes de tabac. Nous ne compensons pas les pertes « collatérales » dues à la baisse des ventes d'autres produits.

S'agissant des frontaliers et assimilés - l'Aude, les Landes, le Pas-de-Calais, les Vosges, le Gers, l'Hérault et la Gironde -, nous compensons 90 % de la perte de rémunération liée au chiffre d'affaires tabac.

Au titre de l'année 2004, cette mesure compensatoire a coûté 44,5 millions d'euros, et concerné 11 000 débitants de tabac, soit plus du tiers de la profession. En 2005, cette mesure a coûté 51 millions d'euros, et concerné le même nombre de débitants. Je précise que 5 379 buralistes ont reçu 62 % de cette aide.

La troisième mesure est l'aide au départ, qui a été mise en œuvre à titre expérimental. En 2004, 80 mesures d'aide ont été prises, ce chiffre ayant été ensuite porté à 120. Le coût de ces aides a été de 9 millions d'euros en 2004. Les buralistes frontaliers, qui sont littéralement sinistrés, et qui ne peuvent donc plus vendre leur débit, déposent un dossier. Nous retenons les cas les plus dramatiques, et nous versons à ces débitants trois années de rémunération correspondant à leur chiffre d'affaires de 2002. En échange, ils s'engagent à cesser leur activité, sans présenter de successeur.

En 2005, le plan a été reconduit, et s'est traduit par 140 aides, pour un coût de 10,5 millions d'euros. En 2006, cette mesure concernera 160 débitants. Ce chiffre peut paraître limité, mais il sera suffisant pour aider les buralistes les plus touchés.

La situation est très variable selon les régions. L'Alsace comptait de très gros débits de tabac. Un buraliste dont le chiffre d'affaires tabac n'est plus que de 600 000 euros, alors qu'il était en 2002 de 0,8 ou 1 million d'euros se considère comme totalement sinistré, bien que son chiffre d'affaires reste très important. En dehors de ces cas spécifiques, les aides sont versées à des buralistes moyens dont la situation est particulièrement catastrophique.

Outre ces trois mesures, des mesures d'accompagnement sont destinées à préparer l'avenir des quelque 30 000 buralistes, qui constituent le premier réseau de commerces de proximité en France. Certaines initiatives ont été prises par les buralistes eux-mêmes. Je ne parle ici que des mesures mises en œuvre avec l'aide de l'administration. Il s'agit, d'une part, des points Poste : là où la Poste se désengage, les buralistes prennent le relais, avec une rémunération fixe, à laquelle s'ajoute celle qui dépend des opérations qu'ils font. D'autre part, la dématérialisation du timbre-amende fait l'objet d'une expérimentation en cours de validation auprès d'un peu plus de vingt débits. On peut imaginer, dans l'avenir, d'autres missions de service public, je pense par exemple à la vente des vignettes de machines automatiques. Mais il faut reconnaître que l'essentiel des aides concerne le volet financier, les mesures de diversification restant pour l'instant relativement restreintes.

Je confirme par ailleurs ce que disait tout à l'heure M. Bur. Dans un premier temps, la baisse des ventes a été compensée par l'augmentation des recettes fiscales, lesquelles, après une période de stabilité, ont augmenté de 400 à 500 millions d'euros. Nous observons aujourd'hui une très légère augmentation des ventes de tabac en France, sans doute due au fait que les achats transfrontaliers ont été limités à cinq cartouches.

M. Yves MARTINET : Nous pensons qu'il faut maintenir le monopole de la vente de tabac par les débitants de tabac. C'est un moyen efficace d'instaurer une politique de contrôle de la vente de tabac sur le long terme.

Deuxièmement, nous sommes d'accord pour que soient prises des mesures d'accompagnement et de redéploiement des activités des buralistes. Par contre, elles ne donnent pas de légitimité aux débitants de tabac pour agir en matière de santé publique. Il faut que chacun reste dans son rôle.

Enfin, nous notons que le coût des mesures de soutien aux buralistes est important, puisqu'il s'élève à plus de 100 millions d'euros par an. Quelle somme est consacrée chaque année à la lutte contre le tabagisme ?

M. le Président : Il est difficile de répondre à cette question. La lutte contre le tabagisme prend différentes formes. Certaines actions sont financées par l'assurance maladie, d'autres par l'État.

M. Philippe MOUROUGA : Le chiffre qui circule est de 20 millions d'euros. Mais il est vrai que le calcul précis n'est pas simple.

M. Pascal MÉLIHAN-CHEININ : Le chiffre varie entre 20 et 25 millions d'euros. Cela dit, il n'inclut pas, sauf en cas de mesures nouvelles, le coût des consultations de tabacologie, le coût de fonctionnement des centres de tabacologie hospitaliers, ainsi que des établissements qui étaient, surtout avant la recentralisation de la prévention, pris en charge par les collectivités locales.

M. Gérard DUBOIS : Les associations de lutte contre le tabagisme soutiennent le système français de distribution du tabac. Il est heureux qu'il n'y ait pas en France de machines distributrices, comme c'est le cas dans de nombreux pays.

Nous sommes d'accord avec le principe qui conduit à aider les débitants de tabac quand ils sont confrontés à des difficultés réelles. Par contre, nous ne sommes pas d'accord pour que les buralistes se mêlent de sujets qui ne les concernent pas. Il est légitime qu'une profession défende ses intérêts financiers. Il est illégitime qu'elle prétende intervenir dans le domaine de la santé publique. Le blocage des taxes, par exemple, ne correspond pas à une demande normale des buralistes.

Enfin, si nous soutenons la diversification des buralistes, nous ne la soutenons pas dans n'importe quelles conditions. Imaginons la situation, invraisemblable, où la consommation de tabac serait interdite dans tous les lieux accueillant du public mais où l'on ferait une exception pour les bars-tabac. Dans cette hypothèse, les débits de tabac ne devraient avoir aucun monopole de vente. Je pense au PMU, au Loto, aux timbres-amendes. Il est hors de question qu'une personne qui a une contravention à payer soit obligée de se rendre dans un lieu fumeurs. La logique veut qu'on ne puisse pas imposer au public de se rendre dans des lieux fumeurs, alors que l'interdiction de fumer s'applique dans tout le reste du pays.

M. Jean-Pierre MAZÉ : Je voudrais, monsieur le président, apporter une précision sur le prix seuil qui a été évoqué par M. Bur. On sait que la Commission européenne a adressé à la France un avis motivé au sujet de la fixation de prix minimaux de vente au détail des cigarettes. Que s'est-il passé ? Un fabricant de tabac a tenté de baisser ses prix en réduisant sa marge, en faisant passer le prix du paquet de 4,5 à 4 euros. À l'été 2004, dans l'impossibilité juridique où nous étions de modifier la fiscalité indirecte au travers du minimum de perception, nous avons inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale une disposition instaurant un écart maximum par rapport à la moyenne arithmétique des prix. Cet écart maximum devait être fixé par décret, et il l'a été à 5 %. Nous sommes attaqués par la Commission parce que la Direction générale « Fiscalité et union douanière » considère que cette mesure n'entre pas dans le cadre du mécanisme de régulation des prix auquel nous sommes astreints. Nous considérons pour notre part que la directive européenne en la matière aboutit à un calcul des prix complexe, qui a des effets pervers.

La Commission a également adressé un avis motivé à la Belgique, et l'Autriche va bientôt en recevoir un. Ce qui nous étonne beaucoup, c'est que les Irlandais n'en aient pas reçu un, alors qu'ils ont instauré un prix minimum il y a maintenant de nombreuses années. La Commission explique qu'elle ne peut adresser un avis motivé à l'Irlande parce qu'elle n'a reçu aucune requête contre cet État.

Cela dit, la Commission ne se sent pas très à l'aise, car elle a signé la Convention de l'OMS contre le tabagisme. Elle dit cependant que cette Convention ne lui est pas opposable parce que tous les États membres ne l'ont pas ratifiée.

Quoi qu'il en soit, la mesure instaurant un prix seuil était bien une mesure gouvernementale. Pour l'instant, après l'avis motivé que nous avons reçu, nos ministres n'ont rien décidé. Nous ne désespérons pas. Si le dossier était présenté à la Cour de justice des communautés européennes, il n'est pas sûr que nous perdrions.

M. Yves BUR : Monsieur Mazé, vous m'avez mal compris. Je sais que la mesure est gouvernementale. Il n'en reste pas moins que si la Commission est intervenue, alors qu'elle ne l'avait pas fait, par exemple, sur la taxation des bières fortes, c'est bien parce que quelqu'un l'y a incitée. Et je ne pense pas un instant que les fabricants soient restés l'arme au pied. Ils ont un lobby puissant à Bruxelles.

M. René LE PAPE : Je remercie M. Mazé d'avoir décrit la situation des buralistes de façon précise. Je suis heureux d'apprendre que les associations de non-fumeurs sont conscientes de l'importance du réseau de commerces de proximité qu'ils constituent, contribuant ainsi à l'animation des quartiers et des bourgs. Il n'est pas mauvais de rappeler que les buralistes vendent bien d'autres choses que du tabac.

Je signale à M. Dubois que ce n'est pas moi qui ai demandé le blocage des taxes sur le tabac.

Il a été dit que les buralistes n'avaient pas à s'immiscer dans les problèmes de santé. Je pense cependant que nous sommes tous des citoyens. Et les buralistes souhaitent accompagner, dans la mesure de leurs moyens, la politique de santé publique. Nous sommes quotidiennement au contact des fumeurs. Nous sommes peut-être les mieux placés pour évoquer avec eux les moyens d'arrêter de fumer.

La loi Evin doit évoluer. J'ai évoqué une dérogation pour les bars-tabac. J'ai évolué sur ce point, car la jurisprudence de la Cour de cassation étant ce qu'elle est, les employeurs risquent d'avoir des problèmes avec les salariés. Je demande aujourd'hui une dérogation dans le temps, afin de permettre à notre profession de s'adapter progressivement. Je rappelle en effet que 62 % des débitants de tabac sont des bars. Il nous faut du temps, des moyens, de la lisibilité.

M. le Président : Combien de temps vous faut-il ?

M. René LE PAPE : Un laps de temps de cinq ans nous permettrait de trouver les voies de notre diversification. Les buralistes ont été durement touchés depuis les hausses de 2003. Quand un buraliste, bien qu'ayant touché une compensation pour la baisse de son chiffre d'affaires tabac, a perdu 300 clients/jour, on imagine les dégâts pour son commerce annexe.

Des problèmes réels subsistent dans les zones frontalières. Je pourrais évoquer des cas dramatiques, qui sont allés jusqu'au suicide du buraliste.

L'adaptation passe nécessairement par de nouvelles missions de service public. C'est une promesse du contrat d'avenir qui n'a pas été tenue. Je ne vois rien venir. Nous devions travailler avec tous les ministères pour rechercher ensemble des missions qui pourraient être confiées aux buralistes. Malgré notre insistance, rien ne se passe. M. Mazé a parlé du timbre fiscal électronique. Mais cette expérience est embryonnaire. La Confédération a décidé de supporter les coûts des vingt tests en question.

L'aide à la diversification implique également un système de garantie de rémunération. Car le tabac représente malheureusement encore 50 % de nos revenus actuels. Cette garantie de rémunération suppose le maintien des aides aux buralistes frontaliers, et surtout une révision du contrat d'avenir. Pourquoi ne pas envisager une augmentation sensible de la rémunération tabac, en plus de la remise évoquée tout à l'heure par M. Mazé ? Il convient de conforter les buralistes sur la valeur de leur fonds de commerce. Ce seraient les revenus du tabac qui financeraient la reconversion. Je souhaite également la mise en place d'un mécanisme permettant le réajustement automatique de cette rémunération en fonction d'une baisse officielle du marché. On pourrait, enfin, envisager la vente de produits d'hygiène et de parapharmacie, notamment les substituts nicotiniques.

Il est certain que pour faire accepter à tous les buralistes les dispositions nouvelles qui seront adoptées, il faudra leur proposer en compensation des mesures fortes.

M. Gérard AUDUREAU : En juin 2003, deux fabricants de tabac sont présents à la foire de Grenoble. Ils y font de la publicité, et un débit temporaire s'y tient. Nous demandons, en référé, la fermeture de ce débit ainsi que l'arrêt de la publicité. Nous avons la surprise de constater que ces deux manufacturiers mettent en avant des autorisations accordées par la direction des douanes, qui visent une quinzaine de foires. Nous nous en inquiétons auprès du service des douanes, qui, après quatre lettres recommandées, précise qu'il s'agissait de tolérances administratives. Par la suite, un décret sera promulgué en date du 16 janvier 2004, aux termes duquel seuls peuvent vendre du tabac les débitants de tabac, ainsi que les restaurants, les stations services autoroutières et certains débits de boisson. Quatre mois plus tard, les deux mêmes fabricants ont un stand à cette même foire de Grenoble. De nouveau, ils nous disent qu'une mesure de tolérance les autorise à tenir ce stand. Nous découvrons que cette mesure de tolérance a été prise en application d'un arrêté, lui aussi daté du 16 janvier 2004.

Monsieur Mazé, je vous ai entendu dire tout à l'heure que vous aviez de bonnes relations avec beaucoup de personnes présentes ici. Je regrette que nous n'ayons pas pu, à l'époque, avoir d'aussi bonnes relations avec vous, ce qui nous aurait permis d'obtenir des explications.

Par ailleurs, depuis deux ans, on voit fleurir des cafés/narguilé et salons de thé/narguilé. Ces établissements sont de première ou deuxième catégories. Autrement dit, rien ne les autorise à distribuer du tabac. Seule la direction des douanes peut les autoriser à le faire, ou tolérer qu'ils le fassent. Lorsque nous l'interrogeons, elle nous répond qu'il s'agit d'une tolérance administrative - pratique dont je souligne au passage qu'elle n'est pas légale - et qu'un décret paraîtra prochainement en vue de leur délivrer une autorisation. Pourquoi la direction des douanes laisse-t-elle perdurer une telle anomalie ? Ces établissements enfreignent deux fois la loi, puisque, d'une part, ils vendent du tabac sans en avoir le droit, et que, d'autre part, ils sont entièrement fumeurs, alors qu'ils devraient, parce qu'ils sont clos et couverts, être des lieux non-fumeurs dans lesquels un espace fumeurs peut éventuellement être aménagé.

M. Yves BUR : J'ai été l'un des acteurs du contrat d'avenir, puisque j'ai été chargé d'une mission auprès du Gouvernement sur la situation des débitants de tabac. Le contrat d'aide partait du constat qu'il était nécessaire d'accompagner les buralistes, qui sont détenteurs, en fait, d'une régie d'État. Vous avez parlé, monsieur Mazé, d'une baisse moyenne de 40 % de leur chiffre d'affaires entre 2002 et la fin de 2004. D'après mes chiffres, entre 1999 et 2004, les livraisons de cigarettes ont baissé de 30 %.

Le revenu total des buralistes était en 2002 de 948 millions d'euros. En 2005, il était de 1 123,6 millions d'euros, soit une augmentation de 18 %.

Personne ne nie la baisse du chiffre d'affaires des buralistes. Une enquête approfondie du ministère, portant sur plus de 3 000 personnes, a fait apparaître une baisse de 13 % du nombre de fumeurs. Elle a également montré que, pour les fumeurs, le nombre moyen de cigarettes fumées chaque jour était passé de 14 à 11, soit une baisse de 22 %. Il est clair que l'augmentation des taxes a été la cause d'un changement de comportement.

Le trafic en Alsace a, quant à lui, quasiment cessé après la hausse des prix du tabac en Allemagne. S'agissant du trafic entre la France et la principauté d'Andorre, des mesures coercitives peuvent être efficaces. Il appartient à la direction des douanes de les prendre.

Le trafic transfrontalier, qui est réel, a cependant parfois tendance à s'épuiser. Par ailleurs, il est parfois exagéré, notamment par les fabricants. C'est ainsi que BAT a dénoncé une explosion de la contrebande, en mettant en avant des saisies opérées dans des camions. En réalité, il s'agissait d'une contrebande en direction du Royaume-Uni. Le trafic transfrontalier est en fait difficile à évaluer.

L'effort de l'État en faveur des buralistes a été considérable : 175 millions d'euros pour 31 000 buralistes, soit une moyenne de 5 664 euros supplémentaires par buraliste entre 2002 et 2004. Je ne nie pas la baisse du chiffre d'affaires hors tabac, mais il me semble que si nous devons poursuivre l'effort, il doit être davantage ciblé. Il convient d'aider ceux qui en ont réellement besoin. Loin des frontières, les commerces ont tout de même relativement prospéré.

Aujourd'hui, monsieur Le Pape, votre profession est confrontée à une exigence de réorientation de son commerce, comme beaucoup de professions l'ont été, je pense par exemple aux bouchers, aux épiciers, aux quincailliers. Personne, à l'époque, ne les a aidés. Il est vrai que vous avez un statut spécifique, mais n'attendez pas trop de l'aide que l'État peut vous apporter en vous confiant de nouvelles missions. Il faut que vos adhérents découvrent de nouvelles manières de vendre. Une chose est de vendre du tabac à une clientèle captive, une autre est de s'adresser à une clientèle de non-fumeurs qu'il faut tenter d'attirer. Une véritable révolution est nécessaire. Je conçois aisément que ce n'est pas facile, mais c'est dans cette direction qu'il faut aller.

Vous demandez, monsieur Le Pape, une dérogation pour les bars-tabac pendant cinq ans. Je note qu'en privé, vous évoquez une durée plus brève. Mais quels établissements devraient-ils selon vous être visés par cette dérogation ? Faites-vous la différence entre ceux qui vendent du tabac et ceux qui en revendent, comme certains bars et restaurants qui ne sont pas des débitants de tabac ?

M. le Président : Il conviendrait en effet de distinguer clairement les établissements qui vendent du tabac et les lieux de consommation, de convivialité, de rencontre qui sont autorisés, non pas à en vendre, mais à en revendre.

M. Albert HIRSCH : À ce stade des travaux de la mission d'information, j'enregistre deux motifs de satisfaction.

Le premier est que M. Mazé, qui nous a parlé du trafic transfrontalier, n'a pas employé une seule fois le mot de « contrebande ».

Le second est l'évolution de M. Le Pape, qui semble admettre une modification de la législation, même s'il demande un délai d'adaptation.

La notion d'obligation de sécurité de résultat progresse donc dans les esprits et s'impose progressivement à tous. S'agissant de la possibilité de faire des débitants de tabac des auxiliaires de la santé, il serait intéressant de connaître la position du Conseil de l'ordre des pharmaciens sur la vente de substituts nicotiniques par les débitants.

M. le Rapporteur : M. Le Pape a évoqué un délai de cinq ans, ce qui répond au souci de l'équilibre des établissements. Étant donné la diversité de la situation économique des buralistes, comme la diversité de leurs activités, il serait bon de faire régulièrement, par exemple chaque année, le point des effets des mesures qui ont été prises et de celles qui sont envisagées. Cela permettrait de prendre les mesures les plus adaptées. Un dispositif uniforme et général s'exposerait à des critiques tendant à le présenter comme trop généreux ou trop limité dans son impact.

M. Jean-Pierre MAZÉ : J'ai parlé, non pas de « trafic » transfrontalier, mais d' « achats » transfrontaliers, et je n'ai pas parlé de contrebande parce que celle-ci n'a aucun rapport avec le sujet qui nous occupe. La baisse des ventes par les buralistes est due en partie à la baisse, parfois à l'arrêt, de la consommation de tabac, et en partie à des achats transfrontaliers.

La douane lutte vigoureusement contre la contrebande. Une partie non négligeable des 215 tonnes de cigarettes saisies l'ont été, comme l'a souligné à juste titre M. Bur, à l'entrée du tunnel sous la Manche, et alors qu'elles prenaient la direction du Royaume-Uni.

Notre ministre nous a fixé un objectif de 10 000 constatations positives en 2005, que nous avons atteint et même dépassé.

S'agissant des foires et salons, le décret de 2004 n'a fait que donner une base réglementaire à une pratique qui existait depuis longtemps. Il a tenté de rendre plus strictes les conditions de vente dans les foires et salons. Les fabricants se sont d'ailleurs désengagés et ne font pratiquement plus de vente, parce qu'elle est soumise à des conditions qu'ils jugent trop strictes.

Les cafés/narguilé devraient être dans la même situation que les débits sous licence, notamment les restaurants, qui sont autorisés à revendre du tabac uniquement à leurs clients, dans le cadre d'une tolérance de revente. Le problème est que les cafés/narguilé sont généralement des cafés sans alcool, dans lesquels les consommateurs souhaitent fumer du narguilé. Aujourd'hui, la vente de tabac à narguilé aux salons de thé orientaux par les débitants de tabac est autorisée. Cette réponse n'est pas pleinement satisfaisante, j'en ai tout à fait conscience.

M. René LE PAPE : J'adhère à la proposition de M. le Rapporteur et je confirme, s'agissant d'Andorre, que les douanes sont très présentes.

Par contre, je ne peux pas laisser dire à M. Bur que le réseau des buralistes se porte mieux depuis que des aides leur ont été accordées. Ces aides ont simplement permis d'amortir le choc. Quelle profession pourrait se maintenir en perdant entre 30 et 40 % de son activité ? J'ajoute que si les pertes de chiffre d'affaires tabac ont été compensées, beaucoup de mes collègues ont perdu entre 200 et 300 clients/jour pour d'autres produits.

M. Bur a rappelé que beaucoup de professions ont dû, par le passé, se reconvertir. Mais à la différence d'autres commerçants, le buraliste a signé un traité de gérance avec l'État. Celui-ci, par une décision unilatérale, met en cause son commerce. Dès lors, il est normal que l'État l'aide à se diversifier. C'est pourquoi je demande la mise en œuvre de ces fameuses « missions de service public » qui nous avaient été promises.

J'ajoute que notre confédération n'est pas restée inerte, puisqu'elle a pris la décision de créer une coopérative, la Coopérative des buralistes de France, qui compte déjà 7 000 adhérents. Son but est de développer la diversification commerciale en direction de produits que l'on ne connaît pas encore, qui pourraient être des CD et des DVD, ou des produits de première nécessité. Après les cartes téléphoniques, les débitants de tabac proposeront dans l'avenir de nouvelles lignes de produits, dans le but de devenir le véritable commerce de proximité que nos concitoyens attendent.

En ce qui concerne la revente, monsieur Bur, si l'on n'a plus le droit de fumer dans les restaurants, il faudra se poser la question de savoir s'ils doivent continuer à proposer du tabac. Mais je ne représente ici que les débitants de tabac. Je laisserai à M. Daguin le soin d'exprimer le point de vue de la profession qu'il représente.

M. le Président : Monsieur Daguin, je note que l'UMIH ne s'est pas encore exprimée sur la question des mesures d'accompagnement. Cela signifie-t-il qu'elle les juge inutiles ?

M. André DAGUIN : Monsieur le président, je ne suis pas fumeur. Les fumeurs me gênent. Je ne supporte pas que l'on fume dans mon bureau. Dans mon restaurant, on ne fumait pas. Mais je ne peux pas supporter non plus l'idée d'interdiction. On ne fait pas marcher une société à coups d'interdictions. D'ailleurs, vous êtes sur la bonne voie. De la loi Évin à la jurisprudence récente de la Cour de cassation, il y a eu des progrès : on fume de moins en moins.

Certaines réflexions me laissent songeur. On nous a dit ici, par exemple, qu'il n'était pas tolérable de devoir se rendre dans un lieu fumeur pour payer une amende. Je ne pense pas qu'on ait une amende par jour, ni même par semaine ! Qu'est-ce que cela peut faire qu'on aille payer une amende dans un bureau de tabac une fois tous les six mois ? Et si, pour y aller, il faut traverser le nuage de fumée de gens qui fument devant la porte, c'est pire. Il faut parfois faire preuve d'un peu de bon sens !

L'évolution qui a conduit de la loi Evin à l'arrêt de la Cour de cassation est formidable. Nous ne pouvons pas exposer nos salariés au tabagisme passif. Si un salarié fait un procès, il gagne. Le problème est donc résolu. On ne peut fumer dans aucun lieu où travaillent des salariés.

M. le Président : Je suis très heureux de vous entendre dire cela. C'est la première fois que l'UMIH dit les choses ainsi. Nous n'avons pas réussi à faire s'exprimer votre vice-président, M. Attrazic, sur ce sujet. Quelles conclusions tirez-vous de cet arrêt de la Cour de cassation pour vos salariés ?

M. André DAGUIN : Il faut laisser les propriétaires de lieux où il n'y a pas de salariés se déclarer lieux fumeur ou non-fumeur. C'est la liberté, la prérogative du chef d'entreprise.

M. le Président : On peut donc dire que vous êtes favorable à ce que, dans tous les lieux où il y a des salariés, y compris les bars-tabac, on passe rapidement à l'interdiction totale de fumer.

M. André DAGUIN : Ce n'est pas que j'y sois favorable. Je constate un fait, voilà tout. Je suis très défavorable à cet arrêt, mais je suis légaliste.

Par ailleurs, je suis bien d'accord pour dire que les considérations relatives au chiffre d'affaires ne peuvent pas être mises sur le même plan que la santé publique. Mais il ne faut pas nous dire que l'Irlande n'a pas souffert de l'interdiction. La courbe du chiffre d'affaires des Irlandais a chuté depuis l'interdiction.

M. Yves BUR : C'est faux !

M. André DAGUIN : C'est la vérité. J'ai les chiffres sous les yeux. Mars 2004 : indice 112. Mai 2004 : indice 105. Mars 2005 : indice 101.

En Italie, on va vers la loi Évin, puisqu'il est interdit de fumer dans les restaurants, sauf dans les pièces qu'ils vont aménager pour les fumeurs. En Norvège, il est interdit de fumer dans les restaurants, on va fumer dehors. Or, il n'est pas possible de rester dehors bien longtemps en plein hiver dans ce pays. Que fait-on ? Des terrasses fermées et chauffées. C'est la loi Évin.

M. Yves BUR : Monsieur Daguin, vous nous dites que l'interdiction de fumer devrait s'appliquer dès maintenant là où il y a des salariés.

M. André DAGUIN : Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la Cour de cassation.

M. Yves BUR : Je pense que c'est le message que vous relayez auprès de vos adhérents. Mais je n'ai pas encore lu de message aussi clair dans les publications de votre profession.

Je me suis rendu en Irlande, monsieur Daguin. Vos collègues irlandais nous ont dit qu'ils soutenaient la mesure d'interdiction, et que la baisse du chiffre d'affaires, de l'ordre de 3 %, s'était amorcée avant cette mesure, en raison du coût des consommations au bar.

Nous nous sommes également rendus en Italie, avec M. Bernard Cartier, président de la Fédération nationale des cafés, brasseries et discothèques. Nous avons, là aussi, entendu les professionnels. Environ 1,5 % des professionnels ont aménagé des lieux dédiés aux fumeurs, équipés de systèmes d'aspiration. Pour le reste, il y a eu en Italie une baisse du chiffre d'affaires, suivie d'une stabilisation et d'une remontée.

Aux États-Unis, le chiffre d'affaires n'a pas baissé, bien au contraire.

Monsieur Daguin, dites-nous si, oui ou non, l'UMIH est favorable à une interdiction. Dites-nous quels problèmes une telle interdiction serait susceptible de poser, et quelles mesures d'accompagnement il convient de prendre.

M. le Président : Je m'attendais en effet, monsieur Daguin, puisque vous parlez d'une baisse du chiffre d'affaires, à ce que vous nous proposiez des mesures d'accompagnement. Mais je vous redonnerai la parole tout à l'heure.

M. Franck TROUET : Je comprends tout à fait la remarque de M. Daguin : après l'arrêt de la Cour de cassation de juin 2005, faisons la différence entre les établissements qui occupent des salariés et ceux qui n'en occupent pas. C'est une proposition de bon sens, mais qui peut être lourde de conséquences. Ne revient-elle pas à dire que seule la santé des salariés nous préoccupe, et que celle de nos professionnels ne nous préoccupent pas ? Les patrons sont eux aussi exposés au tabagisme passif, et nombre d'entre eux souhaitent pouvoir travailler dans un environnement sain. On dira que, dans ce cas, il leur appartient de déclarer leur établissement non-fumeur. En réalité, on s'aperçoit que quand ce choix est possible, on ne le fait pas, parce qu'on a peur, comme l'a montré l'expérience « « Ici, c'est 100 % sans tabac » menée par le SYNHORCAT, en collaboration avec la mairie de Paris. Si on laisse le choix aux établissements, on aboutira à une discrimination entre ceux qui ont des salariés et ceux qui n'en ont pas. Il y a même un risque que des entreprises licencient leurs salariés, afin de pouvoir être des établissements fumeurs.

J'en viens à la question des mesures d'accompagnement et des délais. S'agissant des délais, je ferai le parallèle avec deux mesures. Il a été décidé récemment que les établissements équipés de piscines devaient mettre en place des systèmes de sécurité. Des dispositions ont été prises, en laissant à nos professionnels un certain délai pour se mettre aux normes. Je peux vous assurer que tous nos professionnels n'ont pas attendu le terme du délai pour se mettre aux normes. De même, en ce qui concerne l'interdiction de vendre du tabac aux mineurs de moins de seize ans, personne n'a attendu la date d'entrée en vigueur de cette disposition pour l'appliquer. Quand une mesure est bonne, elle doit être mise en œuvre rapidement, et il n'est pas forcément nécessaire de l'assortir de délais. Je rappelle, comme je l'ai dit ce matin, que je parle au nom des bars, brasseries, cafés, restaurants, mais pas des débitants de tabac.

Nous, employeurs, risquons de voir notre responsabilité engagée vis-à-vis de nos salariés. Plus vite une loi sera adoptée, plus vite nous aurons le sentiment d'être en sécurité.

L'information et la sensibilisation à l'égard de nos professionnels et du public me semblent indispensables. Il est nécessaire que l'État prenne en charge cet effort d'information.

Quant aux mesures d'accompagnement, elles pourraient faire l'objet d'une réflexion dans le cadre d'une commission de suivi chargée d'évaluer les résultats de la loi. Cette commission pourrait apprécier l'opportunité d'une intervention, que ce soit en matière d'assurance ou de complément de chiffre d'affaires.

M. Philippe MOUROUGA : Je souhaiterais apporter des précisions sur les chiffres. En Irlande, deux rapports de l'Irish Central Statistical Office, font apparaître que, d'une part, le volume des ventes d'alcool dans les bars, qui avait progressé jusqu'en 2001, a baissé de 2,8 % en 2002, de 4,2 % en 2003 et de 4,4 % en 2004. La baisse est donc antérieure à l'interdiction. Par ailleurs, s'agissant du personnel, le nombre d'employés dans le secteur des cafés, hôtels et restaurants a progressé de 0,6 % entre 2002 et la fin de 2004, et ce malgré l'interdiction de fumer, à partir de mars 2004, dans tous les lieux publics fermés. Les données récentes sur le tourisme montrent que le nombre de visiteurs a augmenté de 3,2 % entre 2003 et 2004.

M. André DAGUIN : Je voudrais que l'on compare ce qui est comparable. Je suis membre du comité directeur des syndicats européens. J'ai tous les chiffres, tous les deux mois, sous les yeux. Je peux vous dire que le chiffre d'affaires global, en Irlande, a baissé. J'ai l'impression qu'on mélange tout, les ventes d'alcool, les ventes de tabac, les ventes globales...

M. Philippe MOUROUGA : Les chiffres que j'ai cités concernent les ventes d'alcool. Je dis simplement que la tendance à la baisse est antérieure à l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics fermés.

M. André DAGUIN : Ce qui est fâcheux, c'est qu'à chaque fois que l'on parle de l'interdiction, on évoque le chiffre d'affaires. J'ai dit qu'on ne pouvait pas mettre sur le même plan le chiffre d'affaires et la santé publique.

M. le Président : Donc, ne parlons plus du chiffre d'affaires ? Ce n'est pas un problème ?

M. André DAGUIN : Voilà, ne parlons plus du chiffre d'affaires. Mais ne disons pas qu'il n'a pas baissé !

Voyez-vous, M. Bur et moi-même, nous formons une espèce de duo. À la manière d'une troupe de théâtre, nous allons de plateaux de télévision en studios de radio.

M. Yves BUR : Je commence à connaître votre texte !

M. André DAGUIN : Et ce qui me gêne, c'est qu'au lieu de dialoguer avec moi, il me fait « comparaître », ce qui m'énerve un peu ! Je n'ai jamais toléré que l'on fume autour de moi, mais je ne peux pas tolérer non plus que l'on conteste au chef d'entreprise la prérogative qui est la sienne de choisir.

L'UMIH a fait connaître la situation à ses adhérents. Nous avons appelé leur attention sur l'arrêt de la Cour de cassation. Mais c'est à eux qu'il appartient de prendre les décisions qu'ils jugent bon de prendre.

M. Yves BUR : J'ai sous les yeux une dépêche de l'AFP datée du 30 juin dernier : le président de la Fédération française des spiritueux, M. Philippe Mouton n'est pas contre une éventuelle interdiction totale de fumer dans les lieux publics. Selon lui, « Les expériences irlandaise, italienne, belge, dit-il, ont montré que cela n'a pas d'effet sur la fréquentation des pubs et des cafés, et donc sur la consommation d'alcool ».

M. le Président : J'entendrais à la limite, monsieur Daguin, votre argument selon lequel il faut interdire de fumer dans les établissements qui ont des salariés, et pas dans les autres. Mais toutes les auditions que nous avons menées jusqu'ici ont montré qu'il était important que la législation fasse passer un message clair et simple. Une législation qui n'est pas simple est d'une application très difficile.

M. André DAGUIN : Je suis en train de rédiger, pour le Conseil économique et social, un rapport sur le tourisme et l'hôtellerie. La France est dotée d'un maillage important de petits hôtels-cafés-restaurants. Dans ces établissements, il y a peu ou pas de salariés. Il faut prendre garde de ne pas les stériliser par une interdiction qui les rendrait totalement inutiles.

M. le Président : La question est de savoir si une mesure simple de santé publique stériliserait ce type d'établissements.

Mme Paulette GUINCHARD : Je reviens à la question de la diversification des activités des buralistes. Je voudrais savoir combien d'entre eux ont signé un contrat avec la Poste.

M. René LE PAPE : Il y a actuellement 900 relais Poste en France, dont 632 sont des buralistes.

M. le Président : Nous allons à présent entendre M. Stéphane Penet, de la Fédération française des sociétés d'assurance. Comment les sociétés d'assurance peuvent-elles apprécier la possibilité d'assurer des établissements qui, par dérogation, seraient autorisés à continuer d'être des lieux fumeur dans le contexte d'une interdiction générale ?

M. le Rapporteur : Le président de la chambre sociale de la Cour de cassation nous rappelait que, dans le cas où un salarié décéderait brutalement d'une affection cardio-vasculaire dont on pourrait rattacher la survenue à une exposition à la fumée de tabac, ses ayants droit pourraient demander le classement en maladie professionnelle, avec les conséquences qui en résultent, et avancer la faute inexcusable, qui serait pratiquement automatique. Notre propos n'est pas de nous focaliser sur le secteur des CHRD, mais sur les lieux de travail en général, et de nous interroger sur les conséquences, du point de vue de l'assurance, de l'arrêt de juin 2005, mais aussi de celui de juin 2006, qui permet la mise en cause de la responsabilité civile des collègues de travail.

M. Stéphane PENET : L'arrêt de juin 2005 a effectivement interpellé les assureurs. Certes, il traite avant tout de la rupture du contrat de travail, et donc, en tant que tel, n'a pas de conséquences pour les assureurs. Mais dans ses attendus, la Cour de cassation évoque « l'obligation de sécurité de résultat » qui pèse sur l'employeur. Cette notion est assez nouvelle en ce qui concerne le tabagisme passif. Elle nous ramène aux arrêts du 28 février 2002, dans lesquelles la Cour de cassation avait mis en avant l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur vis-à-vis de ses salariés, et avait redéfini la faute inexcusable de l'employeur. Il y était dit que le manquement à l'obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles, avait le caractère de faute inexcusable.

Je rappelle que les assureurs, dans la plupart des contrats de responsabilité civile qu'ils proposent aux employeurs, garantissent les conséquences pécuniaires de la faute inexcusable. Les arrêts de février 2002 avaient eu beaucoup de conséquences sur cette garantie. En effet, ils aboutissaient à inverser la charge de la preuve, en instaurant une présomption de responsabilité de l'employeur, dès lors que l'un de ses employés avait contracté une maladie professionnelle après avoir travaillé pendant un certain temps dans l'entreprise. C'était à l'employeur de prouver soit qu'il n'avait pas conscience du danger, soit qu'il avait pris toutes les mesures possibles pour que les conditions de travail empêchent la survenue de la maladie, soit qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre les conditions de travail et cette maladie.

Les choses devenaient donc plus compliquées, et notamment en ce qui concerne les maladies liées à l'amiante. Or, le parallèle entre l'amiante et le tabagisme passif est ce que craignent le plus les assureurs. En ce qui concerne l'amiante, il était très difficile pour un employeur d'affirmer qu'il ignorait le risque. Il lui était très difficile d'affirmer qu'il avait pris toutes les mesures nécessaires pour éviter l'inhalation de fibres d'amiante par ses salariés. Il lui était encore plus difficile de remettre en cause le lien de causalité entre l'exposition à l'amiante et la maladie du salarié. C'est ainsi qu'on en est arrivé à une situation de responsabilité quasi automatique. Quand un salarié était atteint par une affectation liée à l'amiante, l'employeur était systématiquement mis en cause. Dès lors, la plupart des assureurs se sont aperçus que le risque amiante, en ce qui concerne la faute inexcusable de l'employeur, devenait inassurable. Il n'y avait plus d'aléa. La prime qui allait être demandée à l'employeur devenait inabordable. Dans la plupart de leurs contrats, les assureurs ont donc exclu de la garantie « faute inexcusable » les maladies liées à l'amiante.

L'arrêt de juin 2005 nous fait craindre un parallélisme entre le tabagisme passif et l'amiante, ce qui aboutirait à rendre inassurables les conséquences pécuniaires de la mise en cause de la responsabilité d'un employeur vis-à-vis de ses salariés en matière de tabagisme passif.

Mais il y a tout de même quelques différences entre l'amiante et le tabagisme passif. Tout d'abord, le tabagisme passif n'est pas considéré comme une maladie professionnelle. Or, les arrêts de 2002 évoquaient la responsabilité objective notamment pour les maladies professionnelles. Cela étant, on peut considérer que les maladies liées au tabagisme passif vont devenir maladies professionnelles, notamment si elles atteignent un certain degré de gravité.

La deuxième différence est qu'il n'existe pas, à notre connaissance, de jurisprudence qui fasse le lien entre tabagisme passif et faute inexcusable.

Troisièmement, le lien de causalité entre l'exposition d'un salarié à la fumée du tabac et une maladie cardio-vasculaire ou un cancer du poumon est sans doute beaucoup moins évident que dans le cas de l'amiante. Certes, des études montrent clairement que lorsque l'on interdit de fumer dans un établissement, le nombre de maladies diminue. Mais cette corrélation statistique ne suffit pas pour établir, dans un cas individuel donné, un lien de causalité. D'autres facteurs peuvent intervenir. Le salarié peut être exposé au tabagisme passif dans d'autres lieux que son lieu de travail, il peut avoir été fumeur, il peut vivre avec quelqu'un qui fume.

Dernière différence, il est très difficile pour l'employeur, dans le cas de l'amiante, de prouver qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour ne pas exposer ses salariés, parce que la réglementation n'est pas évidente. Dans le cas du tabagisme passif, c'est peut-être un peu plus facile, dans la mesure où des prescriptions très claires existent, notamment celles qui résultent de la loi Evin. L'employeur peut donc apporter la preuve qu'il a fait ce qu'il fallait pour protéger ses salariés. Cela dit, les choses se compliquent quand on considère l'application de ces mesures. Le cas classique est celui où il est interdit de fumer dans un bureau collectif, mais pas dans un bureau individuel. La porte d'un bureau individuel s'ouvre et se ferme, la fumée passe dans les couloirs. Il y a donc des contestations possibles lorsqu'il s'agit de juger de l'efficacité des mesures protectrices pour les non-fumeurs. Il reste cependant que les choses sont plus claires que dans le cas de l'amiante.

Quelles conclusions les assureurs tirent-ils de l'arrêt de juin 2005 ? À court terme, il n'y aura pas de modification, ni dans nos contrats ni dans nos tarifs, en ce qui concerne l'assurance couvrant les conséquences financières consécutives à la faute inexcusable pour les maladies professionnelles liées au tabagisme passif. Néanmoins, nous serons bien sûr très vigilants quant à l'évolution de la jurisprudence, et notamment quant au lien qui pourrait être fait entre tabagisme passif et faute inexcusable. Si la jurisprudence mettait en cause de manière systématique, comme dans le cas de l'amiante, la responsabilité de l'employeur quelles que soient les mesures qu'il ait prises, il est évident qu'il n'y aurait plus d'aléa et que les assureurs seraient amenés à exclure le tabagisme passif de leurs contrats faute inexcusable. En effet, parmi les raisons de l'inassurabilité d'un risque, il y a notamment le fait que la prime devienne inabordable.

Il est évident que nous, assureurs, sommes favorables à l'interdiction de fumer dans les établissements recevant du public et des salariés. Car une telle interdiction supprime une menace et une insécurité juridique. La cohabitation entre fumeurs et non-fumeurs, elle, est une cause d'insécurité juridique, parce que l'efficience des mesures prises est, dans ce cas, toujours difficile à démontrer.

Si l'on commence à rendre les employeurs automatiquement responsables en cas de maladies professionnelles et que les assureurs excluent les uns après les autres chacun de ces risques de leurs garanties en responsabilité civile, on voit bien que le problème de la réparation du dommage va se poser. Les assureurs ne pourront pas le faire du fait que les primes deviendront inabordables pour les employeurs. Ceux-ci seront financièrement très exposés. C'est un vrai problème, sur lequel les assureurs souhaitent attirer l'attention des pouvoirs publics et des acteurs économiques.

M. le Président : Imaginons que l'interdiction de fumer dans les lieux publics soit générale, tout en étant assortie de quelques exceptions très ciblées, telles que les bars-tabac. Qu'en serait-il de l'assurabilité des bars-tabac en question ?

M. Stéphane PENET : L'appréciation de l'assurablité est indépendante du fait que vous accordiez ou non une dérogation aux bars-tabac. Si la jurisprudence va dans le sens d'une mise en cause systématique des employeurs, le risque n'est pas une augmentation de prime mais une absence d'assurabilité. Aujourd'hui, nous continuons à assurer les bars-tabac, tout en étant très attentifs à l'évolution de la jurisprudence.

M. le Rapporteur : Il faut remercier M. Penet de la grande clarté de son exposé. Il est évident qu'à terme, la question de la prise en charge assurantielle est posée, qu'il y ait dérogation ou non. Cela nous renvoie d'ailleurs à la question des substituts de domicile : la logique sera similaire.

M. Gérard DUBOIS : Je voudrais rappeler qu'il y a dix ans, dans une affaire concernant une femme atteinte d'un cancer du poumon, qui n'avait jamais été fumeuse et avait été exposée sur son lieu de travail, en l'occurrence une banque, la Cour avait reconnu que l'entreprise n'avait pas protégé sa salariée, qu'il y avait une relation épidémiologique établie entre l'exposition au tabac et le cancer du poumon en général, mais que par contre on ne pouvait établir une relation de cause à effet entre l'exposition de cette femme et son cancer. On était à deux doigts de la reconnaissance d'un lien de causalité.

Actuellement, des procédures individuelles de reconnaissance de maladie professionnelle sont en cours. L'une d'entre elles, qui n'est pas terminée, a abouti à une reconnaissance de 10 %. Il s'agit d'une pathologie bronchique chronique. Il est clair que nous ne sommes pas très éloignés de la reconnaissance de maladie professionnelle pour certaines maladies dues au tabagisme passif.

M. le Président : Nous pouvons maintenant évoquer le thème des mesures d'aide au sevrage tabagique.

M. Gérard DUBOIS : La question avait été posée par le ministre de la santé lorsque nous l'avons rencontré pour la première fois au mois de février dernier. Mes collègues membres de l'Alliance contre le tabac, Ivan Berlin, Bertrand Dautzenberg, Michel Delcroix, Béatrice Lemaitre et Yves Martinet lui ont remis une note de synthèse.

Le remboursement des traitements pharmacologiques efficaces de la dépendance tabagique fait régulièrement l'objet de propositions parlementaires. Il est en effet difficile de comprendre que des traitements qui accroissent les chances de réussite des tentatives d'arrêt ne soient pas remboursés ou pris en charge, alors que le tabac tue la moitié de ses consommateurs réguliers.

Les efforts ont d'abord plus particulièrement porté sur l'accès direct, sans prescription, aux substituts nicotiniques - obtenu en 1999 - puis sur la suppression des contre-indications et limitations d'utilisation sans fondement. On ne voit pas en effet comment un substitut nicotinique pourrait être plus dangereux que le tabac lui-même.

Par ailleurs, le coût de ce traitement a été considéré comme économiquement supportable, car il se substitue aux dépenses en tabac et cigarettes. Cependant, cet état de fait dévalorise ces traitements aux yeux des fumeurs - l'idée courante étant que « les traitements sérieux sont remboursés » - et nuit parfois à leur disponibilité en milieu hospitalier. Les hôpitaux n'ont pas dans leur pharmacopée des médicaments qui ne sont pas remboursés. C'est ainsi que nous assistons à des sevrages sauvages en milieu hospitalier. C'est exactement comme si les hôpitaux refusaient d'utiliser les morphiniques en cas de douleur.

L'espoir de voir les régimes complémentaires prendre l'initiative a été déçu, car ni les assurances privées ni les mutuelles - à l'exception de quelques mutuelles professionnelles - ne désirent attirer la clientèle des fumeurs, qui sont une population à risque plus élevé d'accident, d'incendie, de maladie et de décès.

Enfin, il est aujourd'hui démontré que le remboursement ou la prise en charge multiplie les tentatives d'arrêt et donc, mécaniquement, les chances de succès.

Aucune raison médicale ne s'oppose à la prise en charge de la dépendance tabagique. Le groupe de travail de l'Alliance fait donc les propositions suivantes.

Tout d'abord, rembourser suivant les règles communes tous les traitements pharmacologiques efficaces, avec fort service médical rendu, ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) et uniquement disponibles sur prescription médicale.

Ensuite, maintenir un accès direct, sans prescription et donc non remboursé, aux substituts nicotiniques. Pour les substituts nicotiniques prescrits, deux solutions semblent possibles, et dans les deux cas la publicité pour ces produits doit être maintenue. La première, qui a notre préférence, est le remboursement sur prescription, même à 35 %, de tous les substituts nicotiniques ; ce remboursement diminuerait le prix des traitements et permettrait l'intervention des régimes complémentaires. La seconde est, comme pour le vaccin grippal, une prise en charge pour des populations aisément repérables administrativement, que ce soit pour des raisons médicales - maladies de longues durées, femmes enceintes, hôpitaux, maternités - ou sociales - RMI, CMU.

Dans tous les cas, la durée du remboursement ou de la prise en charge, pour les traitements pharmacologiques et substitutifs, s'alignerait sur la durée préconisée par l'AMM.

Il s'agit en somme de faire entrer dans le droit commun les traitements de la dépendance tabagique.

Il est important de proposer aux fumeurs une aide au sevrage, car on sait que l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics augmente la propension à l'arrêt du tabac. Il faut répondre à une demande qui va être forte, et qui sera comparable à celle à laquelle nous avons assisté au moment de l'augmentation importante des prix du tabac en 2003 et 2004. Dans certains centres de consultation anti-tabac, la file d'attente dépassait six mois.

Mme Maguy JEANFRANÇOIS : La direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins a mis en place une stratégie d'aide au sevrage, en prévision de l'augmentation de la demande de la part des fumeurs. Comme l'a souligné M. Dubois, les professionnels de santé ont encore présente à l'esprit la très forte augmentation des demandes de consultation qui a résulté de la hausse sensible des prix du tabac en 2003 et 2004. Nous avons créé de nouveaux modèles de prise en charge tabacologique. Nous avons demandé que soit inscrit dans le PLFSS pour 2007 un renforcement notable des consultations hospitalières de tabacologie : création de 200 consultations classiques, pour un coût de 13 millions d'euros ; création de 200 consultations sans rendez-vous de groupe, lesquelles permettent de raccourcir considérablement le délai d'attente, et ce pour un coût de 8 millions d'euros.

Par ailleurs, nous lançons des actions spécifiques d'aide au sevrage en direction des femmes enceintes et des malades hospitalisés fumeurs. Ces actions s'appuieront sur l'aide financière de l'Institut national du cancer. Le financement, 2,5 millions d'euros, deviendra pérenne.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Il me semble qu'il serait nécessaire de disposer d'une évaluation du coût des aides au sevrage pour l'assurance maladie, ainsi que, à plus long terme, d'une évaluation du rapport entre leur coût et leur avantage économique.

M. Pascal MÉLIHAN-CHEININ : Comme l'a dit M. Dubois, les demandes de financement de l'aide au sevrage sont régulièrement formulées. Il serait intéressant de procéder à une analyse complète des différentes expérimentations qui ont été menées en la matière. La littérature consacrée à ce sujet semble avoir progressé par rapport à ce qu'elle était il y a trois ou quatre ans.

Par ailleurs, la question du coût de l'aide au sevrage est particulièrement pertinente pour les bénéficiaires de la CMU. Dans trois régions, l'Alsace, la Basse-Normandie, le Languedoc-Roussillon, une expérimentation a été organisée par l'assurance maladie. Elle a été conduite par les médecins généralistes, et non par les centres d'examen de santé, comme cela avait été le cas auparavant. Les résultats ne sont pas encore définitifs. Il serait intéressant que les représentants de l'assurance maladie puissent venir vous présenter leurs travaux. De même, il serait bon que vous entendiez mes collègues de la direction de la sécurité sociale, qui ont procédé à l'estimation du coût des mesures d'aide au sevrage.

Enfin, l'autorisation de la vente des substituts nicotiniques hors pharmacie suppose une base légale.

M. Gérard DUBOIS : Je voudrais ajouter que le fait même que l'on puisse débattre de la prise en charge de la dépendance tabagique est une anomalie. Si l'on parlait de la prise en charge du traitement de l'hypertension artérielle, on ne s'interrogerait pas un seul instant sur l'opportunité de son remboursement. Il y a un an et demi, on m'a demandé de répondre à la question de savoir s'il était opportun de prendre en charge les traitements efficaces de la dépendance tabagique chez la femme enceinte ! Qui m'aurait posé une telle question s'il s'était agi d'un autre problème de santé que celui du tabac ? Le fait même que l'on pose de telles questions montre que l'on continue à ne voir dans le tabac qu'une mauvaise habitude du fumeur, à qui il appartient de se débrouiller tout seul. On ne l'envisage pas comme une dépendance grave, qui peut être aussi intense que la dépendance à l'héroïne.

M. le Président : Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre contribution aux travaux de la mission d'information.


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