Table ronde n° 6 :

« À quelles conditions la réforme peut-elle réussir (suite) ? :

Quels types de contrôles et de sanctions ? »

M. Eric Marchin, directeur des relations extérieures
de Japan Tobacco International (JTI) ;

M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) ;

M. René Le Pape, président de la Confédération nationale des débitants de tabac ;

Professeur Gérard Dubois, président de l'Alliance contre le tabac ;

Mme Elisabeth Mahé-Tissot, déléguée à la prévention, à l'information et au dépistage de la Ligue nationale contre le cancer ;

M. Gérard Audureau, président de l'association Droits des non-fumeurs ;

Mme Emmanuelle Béguinot, directrice
du Comité national contre le tabagisme (CNCT) ;

Mme Bernadette Roussille, membre
de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ;

Mme Chantal Fontaine, chargée de mission justice de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ;

Docteur Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer ;

M. Pascal Melihan-Cheinin, chef du bureau des pratiques addictives
à la Direction générale de la santé (DGS) du ministère de la santé et des solidarités ;

Mme Anne Denisse, membre du bureau santé publique, droit social et environnement à la direction des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice ;

M. Michel Ricochon, directeur de projet de la mission animation des services déconcentrés à la Direction des relations du travail (DRT) ;

M. Jean Hayet, commissaire principal au bureau de l'ordre public et de la police à la Direction centrale de la sécurité publique du Ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire

(Extrait du procès-verbal de la séance du 12 juillet 2006)

M. le Président : Je vous souhaite à tous la bienvenue à cette sixième et dernière table ronde organisée dans le cadre des travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics.

Pour la suite de nos travaux, je tiens à préciser que nous procéderons à l'audition de différentes organisations, associations et institutions qui ont demandé à être auditionnées et que nous souhaitons avoir à nouveau un échange avec les « permanents » de nos tables rondes afin de les associer à l'élaboration de notre rapport.

Nous allons aborder ce matin le second volet des mesures d'accompagnement, c'est-à-dire la question des contrôles et des sanctions à mettre en place pour qu'un durcissement de la réglementation soit correctement appliqué. Il nous faut déterminer les autorités susceptibles d'exercer un contrôle efficace du respect d'interdiction ainsi que les types de sanctions à prévoir.

Poser la question du contrôle, c'est d'abord poser celle du rôle et du pouvoir de l'employeur chargé de faire appliquer l'interdiction dans ses locaux : quelle est sa marge de manœuvre dans l'application de l'interdiction de fumer ? Par exemple, dans le secteur des cafés, hôtels, restaurants et débits de boisson, comment le patron peut-il faire appliquer l'interdiction à ses salariés, mais aussi à ses clients ?

La question du contrôle, c'est ensuite, bien évidemment, celle du rôle des corps chargés d'exercer le contrôle public, c'est-à-dire la police et la justice, auxquelles la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 a ajouté les inspecteurs du travail, les médecins inspecteurs de la santé publique, les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale et les ingénieurs du génie sanitaire. Sans doute ne disposons-nous pas de beaucoup de recul par rapport à l'application de la loi de 2004, mais peut-être pouvons-nous commencer à en tirer certaines leçons et à nous demander s'il convient d'ajouter d'autres corps de contrôle, dans la mesure où les lieux visés font déjà l'objet d'autres contrôles touchant aux questions de sécurité sanitaire, qui pourraient peut-être être étendus au respect de la réglementation sur le tabac.

S'agissant des contrôles prévus par la loi de 2004, les représentants de la DGS nous ont indiqué, lors d'une précédente table ronde, que la procédure d'habilitation et d'assermentation des agents chargés du contrôle n'a pas encore été mise en place ce qui les empêchent de dresser des procès-verbaux. Ainsi, aucune sanction pénale ne pourrait être prise par ses agents à l'heure actuelle. Qu'en est-il exactement ?

L'effectivité des sanctions est pourtant une condition de la réussite de la réforme, comme l'ont souligné mercredi dernier, MM. Maus et Dandelot. Dès lors, ne doit-on pas accompagner le renforcement de l'interdiction par celui des sanctions ? Il nous faudra donc examiner, dans un deuxième temps, si le dispositif de sanctions actuel est suffisant et, le cas échéant, quelles mesures pénales complémentaires seraient nécessaires pour assurer un meilleur effet dissuasif de l'interdiction.

Je rappelle par ailleurs que la question du contrôle des sanctions n'est pas sans lien avec celle du choix entre le décret et le règlement : les représentants de la DGS nous ont expliqué précédemment qu'une extension éventuelle du pouvoir de recherche des infractions à d'autres corps de contrôle supposait une disposition législative. Il n'en serait bien sûr de même si le dispositif répressif devait être renforcé.

Je vous propose d'organiser le débat de ce matin en deux phases, la première consacrée aux moyens de contrôle du respect de l'interdiction du tabac, la seconde aux outils de sanctions.

Sur le premier point, je donne sans plus tarder la parole à M. Michel Ricochon, directeur de projet à la mission animation des services déconcentrés de la direction des relations du travail, qui va nous parler de la façon dont les contrôles sont exercés par les corps d'inspection actuels.

M. Michel RICOCHON : Je commencerai par rappeler le cadre juridique d'intervention de l'inspection du travail.

Pour l'interdiction de fumer, le code du travail ne comporte que des dispositions très limitées : un article porte sur l'interdiction de fumer pour des raisons de sécurité dans les locaux où sont manipulées des substances et des préparations dangereuses ; un autre article concerne les mesures que doit prendre l'employeur pour les non-fumeurs dans les locaux et les emplacements de repos. En fait, les principales obligations de l'employeur figurent non pas dans le code du travail mais dans le code de la santé publique, plus précisément dans les dispositions qu'y ont introduites la loi du 10 janvier 1991 et son décret d'application de 1992.

Aux termes de l'article R. 3511-4, ne sont concernés que les locaux clos et couverts et, parmi ceux-ci, seuls ceux qui sont affectés à l'ensemble des salariés. Pour les locaux non soumis à l'interdiction générale, il est simplement indiqué qu'une protection des non-fumeurs doit être assurée par l'employeur.

Le Conseil d'État et la Cour de cassation ont été amenés à se prononcer à plusieurs reprises à ce sujet, mais l'arrêt le plus important est celui de la Cour de cassation du 29 juin 2005 sur l'obligation de sécurité de résultat. La Cour y considère que l'interdiction de fumer dans les locaux collectifs s'étend aux bureaux à usage collectif, ce qui étend le champ d'application des textes. Elle précise que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne la protection contre le tabagisme en entreprise. Cet arrêt fait écho à ceux qui ont été précédemment rendus sur l'amiante en 2002, et il y a donc désormais sur ces sujets une continuité jurisprudentielle, même si les arrêts de 2002 se fondaient sur le contrat de travail, tandis que celui de 2005 s'appuie sur des textes relatifs à la santé publique.

Les employeurs nous posent aussi souvent la question de la place de l'interdiction de fumer par rapport aux règlements intérieurs. Pour l'instant, il n'existe aucune obligation pour l'ensemble des entreprises de faire figurer dans leur règlement intérieur une clause prévoyant l'interdiction de fumer. Il s'agit donc simplement d'une faculté. Peut-être cela tient-il au fait qu'une obligation pourrait constituer une rupture d'égalité entre les salariés, le règlement intérieur ne s'appliquant qu'aux entreprises de plus de 20 salariés. Introduire une telle obligation supposerait une modification législative de l'article L. 122-34 du code du travail.

J'en viens aux sanctions. Dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, l'employeur peut user de son pouvoir disciplinaire, même en l'absence de mention de l'interdiction de fumer dans le règlement intérieur. En effet, il est responsable de la sécurité et de la santé des salariés placés sous sa responsabilité : c'est l'obligation générale de sécurité qui figure à l'article L. 230-1 du code du travail, renforcée, depuis l'arrêt du 20 juin 2005, par l'obligation de sécurité de résultat.

L'agissement fautif du salarié peut également jouer, qui trouve son fondement dans l'infraction à une règle établie dans un texte d'origine légale, réglementaire ou conventionnelle. La violation d'une clause éventuelle du règlement intérieur est donc bien visée. De plus, les salariés sont tenus de veiller à leur propre sécurité et à celle des personnes qui dépendent d'eux. En application de l'article L. 230-3 du code du travail, il incombe à chacun, en fonction de sa formation et de ses possibilités, de prendre soin de sa sécurité et de sa santé, ainsi que de celle des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail.

Les sanctions disciplinaires prises à l'encontre du salarié qui viole la réglementation peuvent aller jusqu'au licenciement. La responsabilité pénale de l'employeur relève d'une contravention de cinquième classe. Un décret prévoit aussi une contravention de troisième classe à l'encontre des salariés fumant dans les lieux collectifs.

J'en arrive au contrôle qu'exerce l'inspection du travail. Il porte tout d'abord sur les dispositions du règlement intérieur lorsqu'elles existent. Même si la clause relative à l'interdiction de fumer est facultative, l'inspecteur du travail peut être appelé à vérifier la nature et la portée de cette clause, puisqu'il est compétent pour s'assurer qu'elle ne porte pas une atteinte trop importante à la liberté individuelle des salariés.

L'inspection peut ensuite engager la responsabilité de l'employeur sur la base de la contravention de cinquième classe, si celui-ci ne met pas en œuvre les dispositions qui doivent l'être pour assurer la protection des non-fumeurs.

S'agissant enfin des sanctions à l'égard des salariés, depuis la loi du 9 août 2004, figure dans le code de la santé publique une disposition qui donne la possibilité aux inspecteurs et contrôleurs du travail ainsi qu'aux fonctionnaires assimilés de constater par procès-verbal les infractions aux dispositions relatives à l'interdiction de fumer dans les locaux de travail. Toutefois, même si nous ne disposons pas à ce jour de données statistiques, nous n'avons pas connaissance de procédure engagée en cette matière.

Cela tient d'abord au fait que ce texte nous fait entrer en concurrence avec le pouvoir disciplinaire de l'employeur. Surtout, nous sommes confrontés à une réticence culturelle, ancrée dans les pratiques professionnelles des agents de contrôle : un inspecteur du travail n'est pas là pour sanctionner un salarié, mais un employeur qui ne respecte pas ses obligations. Alors que le code du travail compte de très nombreux articles, les seules sanctions prévues à l'encontre des salariés portent sur le cumul d'emplois, la discrimination et le harcèlement. Si cette réticence est culturelle, elle n'est pas idéologique. Elle relève de la construction et de la finalité mêmes du code du travail, qui établit un droit protecteur de la partie faible au contrat de travail et impute à l'employeur la responsabilité de la prévention des risques pour la sécurité et la santé des salariés.

Le tabagisme fait partie des questions majeures de santé publique, mais il n'est pas aussi évident qu'il s'agisse d'une question de santé au travail ni que ce soit, parmi les questions de santé au travail, une priorité. Bien sûr, on ne saurait distinguer pour le citoyen le droit à la santé en dehors et à l'intérieur de l'entreprise, mais les approches et les objets sont différents : la santé au travail, c'est d'abord l'exposition aux risques professionnels, c'est-à-dire aux risques provoqués par l'activité de travail. C'est donc aussi au rapprochement entre ces différentes thématiques que doivent travailler le ministère du travail et celui de la santé. Tel est en particulier l'objet du plan « Santé au travail » qui a été lancé en 2004.

N'oublions pas par ailleurs que les moyens de l'inspection du travail sont limités : 1 400 agents doivent contrôler 1,5 million d'entreprises employant 15,5 millions de salariés. Nous sommes donc obligés, pour que notre action soit efficace, de fixer des priorités à nos interventions. Il ne faudrait pas croire que nous disposons d'une réserve d'agents nous permettant de réorienter nos priorités en faveur de la lutte contre le tabagisme.

Il faut aussi se demander si le renforcement de la répression est le point d'appui le plus efficace pour une action dans l'entreprise. Notre droit du travail est très volumineux, nous nous efforçons de le rendre plus lisible et ainsi plus facile à mettre en œuvre, mais il faut faire attention : le milieu d'un entreprises est particulier, il a ses règles, il ne saurait être approché uniquement par la répression. L'entreprise est d'abord un lieu privé, bien sûr encadré par une réglementation, mais aussi un lieu de relations sociales entre des partenaires. Depuis plusieurs années, à côté de l'application de la loi et de la répression lorsqu'elle est nécessaire, nous mettons surtout en avant la prévention. Même si le succès de cette méthode n'est pas toujours avéré, il n'est absolument pas certain que l'on gagne en efficacité, simplement en renforçant la répression. Il faut donc également lancer des actions de sensibilisation et d'accompagnement, mais aussi promouvoir la négociation sociale car les partenaires sociaux jouent un rôle important pour la prévention, la santé et la sécurité dans les entreprises.

M. le Président : Nous aurons l'occasion de revenir sur votre intervention dans le cours du débat, mais je donne auparavant la parole à M. Jean Hayet, commissaire principal du bureau de l'ordre public et de la police à la direction centrale de la sécurité publique au ministère de l'intérieur, qui va nous expliquer comment sont organisés concrètement les contrôles de police et nous parler des difficultés rencontrées.

M. Jean HAYET : Je ne vais revenir ni sur la présentation détaillée de la législation qui vient d'être faite, ni sur les contrôles en entreprise. Je traiterai plutôt des contrôles dans les autres lieux publics.

La principale difficulté tient pour nous à l'absence de requérants. C'est-à-dire que les gens viennent se plaindre a posteriori dans les services de police ou de gendarmerie d'une situation qu'ils ont rencontrée dans un lieu public, mais que nous n'avons pas de requête immédiate, au moment où une patrouille passe sur les lieux.

Nous rencontrons aussi des problèmes pour effectuer les contrôles dans les débits de boisson. Il est particulièrement malaisé pour les propriétaires eux-mêmes d'exercer un contrôle sur leur clientèle, puisqu'on n'est plus ici dans la relation employeur-salarié, mais prestataire-client. Ce sujet demeure accessoire, secondaire par rapport aux autres obligations imposées aux débits de boisson, en particulier pour la délivrance d'alcool.

Nous ne disposons pas de statistiques quant au nombre de contraventions relevées pour des infractions commises par les fumeurs.

Vous vous demandiez, Monsieur le Président, si le durcissement des sanctions aurait un effet. Mon sentiment est assez proche de celui qui vient d'être exprimé par l'inspection du travail : aggraver les peines ne résoudrait rien car le problème se situe au moment du contrôle, dans la façon dont est relevée l'infraction, donc en amont du prononcé de la peine.

Nous pensons qu'il faut insister sur la communication et sur la prévention, afin d'exercer un contrôle des fumeurs avant même la verbalisation. La réticence de certains de nos fonctionnaires à contrôler sur la base actuelle tient sans doute à une incompréhension de la population, dont la méconnaissance de la loi entraîne, au moment du contrôle et de la verbalisation sur la base d'une contravention de troisième classe, des réactions de rejet de nature à troubler l'ordre public. C'est ce genre de situations - des situations qui dégénèrent - que nous constatons dans les pratiques quotidiennes de nos fonctionnaires, sur la voie et dans les lieux publics. C'est pour cela qu'il me semble qu'une meilleure communication est un préalable à des contrôles plus poussés.

M. le Président : Je constate que vous n'avez ni l'un ni l'autre traité de l'ensemble des corps de contrôle. Peut-être les représentants de la DGS pourraient-ils nous faire part de leurs difficultés, notamment du fait que les agents chargés du contrôle, faute de pouvoir prêter serment, ne peuvent dresser procès-verbal.

M. Pascal MELIHAN-CHEININ : La loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 a donné à des fonctionnaires du ministère de la santé - médecins inspecteurs de la santé publique, inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, ingénieurs du génie sanitaire - des compétences leur permettant notamment de procéder, dans le cadre d'un programme pluriannuel, à des vérifications dans les établissements de restauration, lieux qui connaissent des difficultés à appliquer la réglementation. Mais ces vérifications n'ont pas pu pour l'instant être transformées en de véritables contrôles, tout simplement parce que ces corps ne sont ni habilités ni assermentés. Ils doivent donc se contenter de faire des signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénale mais n'ont pas la capacité de dresser des procès-verbaux.

Il manque pour cela un décret, qui est en discussion depuis des années entre le ministère de la justice et celui de la santé, et qui concerne des domaines beaucoup plus larges, notamment toutes les questions de sécurité sanitaire. Ces discussions n'ont pas permis jusqu'ici d'aboutir à un projet de rédaction définitive.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : Sans doute serait-il également intéressant que vous nous exposiez les mesures qu'ont prises les pays étrangers pour mettre effectivement en œuvre l'interdiction de fumer.

Par ailleurs, le rapport de Mme Roussille évoque la possibilité que la police municipale relève les infractions. Cela paraît-il de nature à donner plus de crédibilité au nouveau cadre juridique ?

Enfin, quelles sont aujourd'hui les réflexions des représentants du secteur des CHRD quant à la mise en œuvre effective de l'interdiction, vis-à-vis tant de leurs salariés que de leurs clients ? Que pensent-il des pouvoirs dont ils disposent eux-mêmes ? Souhaitent-ils en avoir davantage pour mettre en œuvre la jurisprudence de la Cour de cassation de juin 2005 ?

M. Jean HAYET : On peut en effet envisager une intervention des policiers municipaux, mais ils sont d'ores et déjà en mesure de verbaliser sur la base des textes existants. Si l'on devait leur attribuer une compétence plus spécifique, il me semble toutefois qu'elle devrait se limiter à certains domaines d'application de la loi. Ainsi, je les imagine mal intervenir dans les débits de boissons.

M. Philippe MOUROUGA : Je me suis intéressé à la façon dont la mesure avait été mise en œuvre en Irlande, en Italie et en Norvège, mais je ne dispose pas ici des informations relatives aux sanctions. En Irlande, on a institué un corps spécifique, l'Agence de contrôle du tabac. Ses inspecteurs sont chargés de vérifier l'application de la loi et ils peuvent infliger, tant aux propriétaires qu'aux clients, des amendes dont j'ignore le taux.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous indiquer quels effectifs sont dédiés à ces tâches ? Comment, par ailleurs, les professionnels et les employeurs exercent-ils leurs responsabilités respectives ? Leurs pouvoirs ont-ils été renforcés, dans le cadre du règlement intérieur ou dans d'autres cadres ?

Mme Emmanuelle BÉGUINOT : En Irlande, les inspecteurs qui avaient été désignés pour contrôler l'effectivité de l'interdiction de fumer ont été essentiellement sollicités au cours de la période charnière des six mois qui ont suivi l'entrée en vigueur de la mesure, avec 25 000 contrôles pour une population de 4 millions d'habitants. Ensuite, l'interdiction est devenue effective et les contrôles sont devenus moins nécessaires.

M. Gérard AUDUREAU : J'ajoute que ces contrôles ont été effectués par 40 inspecteurs qui se trouvaient en permanence sur le terrain. Les amendes ont été infligées dès le début et il a suffi de deux ou trois mois pour que la loi entre effectivement dans les faits et qu'il n'y ait pratiquement plus de plaintes.

Vous avez dit, Monsieur Hayet, que le tabagisme était un phénomène secondaire. C'est bien ce que nous constatons sur le terrain. Mais, contrairement à ce que vous avez affirmé, il y a plus de plaintes a priori qu'a posteriori, mais vos agents refusent de les recevoir... Nous avons connaissance de plusieurs milliers de cas dans lesquels les personnes qui ont contacté le commissariat ou la gendarmerie ont entendu leurs interlocuteurs répondre qu'ils avaient bien d'autres choses à faire et refuser le plus souvent de se déplacer. Dans l'un de ces exemples, au bout du troisième appel les policiers ont quand même fini par se déranger, mais une fois sur place ils ont affirmé que le plafond était assez haut, qu'il n'y avait pas beaucoup de fumeurs, et ils ont obligé le plaignant à se rendre au commissariat où on l'a accablé de reproches.

J'ajoute qu'une fois sur deux, quand on se rend dans un commissariat pour se plaindre, l'agent ou le commissaire vous répond cigarette à la main et fumée dans la figure... Commencez donc par balayer devant votre porte et par faire en sorte que la loi soit appliquée correctement dans vos commissariats ! Je puis vous remettre une vingtaine de plaintes d'agents confrontés au tabagisme dans leur propre commissariat ou dans leur gendarmerie et qui ont été mis au placard parce qu'ils avaient osé demander le respect de leur environnement.

Pour sa part, M. Ricochon n'a fait référence ni à l'article R. 230-2 du code du travail, ni à l'article R. 263-2 qui punit l'employeur de 3750 euros d'amende pour chaque infraction. Surtout, je ne l'ai pas entendu parler des articles R. 232-5 à 232-5-9, aux termes desquels, s'il n'est pas explicitement interdit de fumer, il est indiqué que « dans les locaux fermés où le personnel est appelé à séjourner, l'air doit être renouvelé de façon à maintenir un état de pureté de l'atmosphère propre à préserver la santé des travailleurs. » On trouve aussi dans ces articles une définition très claire des locaux à pollution spécifique, comme comportant des poussières et des poussières alvéolaires, ce qui correspond exactement à la fumée de tabac. Les autres articles montrent clairement que l'on ne peut se contenter d'envoyer la fumée de tabac dans une autre pièce ; ils donnent des normes de ventilation très précises qui n'ont jamais été imposées ni respectées. En fait, depuis quinze ans, la direction des relations du travail cherche à faire oublier ces articles.

Vous avez dit par ailleurs que le code du travail interdit le tabac dans certains lieux et que pour les autres lieux de l'entreprise, il faut protéger les non-fumeurs. Puis, vous avez, de fait, exclu de cette protection les bureaux individuels en citant comme exemple les bureaux collectifs, ce qui est une interprétation inexacte. Un arrêt du Conseil d'État du 9 juillet 1993 précise en effet que le bureau, lorsqu'il est utilisé à usage collectif, c'est-à-dire lorsque quelqu'un est susceptible d'y entrer, devient un bureau collectif. Il faut donc, pour déterminer si l'on peut fumer dans un bureau individuel, demander conseil au médecin du travail et solliciter l'avis du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

M. Gérard DUBOIS : Je vous remets, Monsieur le Président, une lettre signée, à l'occasion du Congrès de l'Union internationale contre le cancer, qui s'achève aujourd'hui à Washington, par un certain nombre de collègues étrangers qui insistent sur le fait que la France risque ne pas rester la première destination touristique du monde si l'on continue à y enfumer des touristes dorénavant protégés dans leur pays d'origine. Je crois qu'il faut en effet mesurer l'importance du changement qui se produit dans de nombreux États.

Que la direction des relations du travail ne considère pas l'exposition à la fumée du tabac comme une priorité n'est pas vraiment une surprise pour nous. Voilà quinze ans que les responsables successifs font les mêmes réponses dilatoires, qu'ils font preuve de la même mauvaise volonté, qu'ils tiennent le discours qu'a encore tenu aujourd'hui M. Ricochon. Même quand nous ne demandions pas une intervention, mais que simplement au cours des inspections on note les infractions afin que nous puissions avoir une idée de leur niveau - ne serait-ce que pour adapter la signalétique - nous n'avons rien obtenu !

Il existe quand même un certain nombre de bons exemples dont on pourrait s'inspirer. Même s'il a fallu lui botter les fesses par un certain nombre d'actions judiciaires, la SNCF a fini par bouger et le personnel inflige désormais des amendes. La RATP est un élève meilleur encore, dans l'information mais aussi dans la sanction, avec plusieurs milliers de procès-verbaux dressés. Il n'est pourtant pas particulièrement facile de travailler avec les voyageurs. Cela montre que quand on veut on peut !

De façon plus générale, il apparaît que les sanctions doivent être dissuasives. Or, outre qu'elles ne le sont guère, elles ne sont pas appliquées. Il faut aussi qu'elles soient proportionnelles à la faute, qu'elles soient directement et rapidement applicables, et qu'elles concernent le fumeur et le responsable du lieu.

Par ailleurs, le non-fumeur exposé à la fumée de tabac doit pouvoir recourir au responsable du lieu. En Irlande, son nom est indiqué clairement et l'on met en jeu la responsabilité de la personne morale.

Comme l'a souligné Mme Emmanuelle Béguinot, il faut mobiliser tous les moyens à la date d'application de la mesure. On ne doit pas hésiter à prononcer des condamnations rapides et exemplaires lorsque le délit est volontaire, préparé, annoncé, médiatisé, destiné à ridiculiser la loi. Dans tous les pays où une loi claire a été adoptée, il y a eu de telles tentatives très médiatisées, préparées par qui vous savez. Il faut les étouffer dans l'œuf !

Il est également nécessaire de disposer de statistiques sur les contrôles et les infractions, car elles montrent que là ou il y a préparation, le pourcentage d'infractions est faible d'emblée et ne fait que diminuer ensuite.

M. Francis TROUET : La question des salariés est essentielle. Depuis la jurisprudence de juin 2005, les employeurs doivent veiller à ce que leurs salariés puissent travailler dans un environnement dénué de toute fumée de tabac. Ils peuvent le faire sur la base d'un certain nombre d'obligations : on a parlé du règlement intérieur, mais dans certaines professions le règlement sanitaire interdit aussi de fumer dans les endroits où sont stockées, préparées, manipulées des denrées alimentaires destinées à la consommation. Nous obtenons sur cette base de très bons résultats, puisque nos cuisiniers ne fument pas en cuisine, ce qui est la moindre des choses. On a donc déjà les moyens de faire respecter cette obligation. Une loi de plus s'appliquerait bien évidemment dans nos entreprises et permettrait à nos employeurs de sanctionner, y compris par des licenciements, les salariés qui ne respecteraient pas l'interdiction de fumer.

Le problème n'est donc pas là, mais avec nos clients : comment un restaurateur, un hôtelier, peut-il intervenir à l'égard de clients qui fument là où c'est interdit ? On ne saurait bien sûr mettre en œuvre un quelconque pouvoir disciplinaire, puisqu'il n'y a pas de contrat de travail. Mais on peut faire un parallèle avec ce qui se pratique en matière de répression de l'ivresse publique et de protection des mineurs. Nous avons en la matière des obligations bien précises d'affichage et d'information ; des amendes sont prévues lorsque nous ne respectons pas nos obligations, avec des contraventions de première classe. On pourrait être tenté d'aller plus loin et d'appliquer au tabagisme la même sanction qu'envers celui qui incite un mineur à consommer de l'alcool, infraction lourdement réprimée - jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Il faut toutefois s'en garder, car il y a une grande différence entre faire boire un mineur ou quelqu'un qui est déjà sous l'emprise de l'alcool, et laisser fumer un client : dans le premier cas il y a une intervention positive - au sens du droit - du professionnel qui sert le client ; en matière de tabac les choses sont différentes, car on n'intervient pas, on n'incite pas au geste.

Pour le tabac, on peut demander aux professionnels d'afficher les textes, d'intervenir pour demander leur respect, mais ils ne disposent pas des moyens de réprimer les clients qui fumeraient alors que c'est interdit. Cette tâche doit donc bien incomber à des corps spécifiques. Différentes hypothèses ont été avancées : on a parlé logiquement des officiers de police et de gendarmerie, on pourrait aussi évoquer les agents des services vétérinaires qui viennent régulièrement contrôler nos établissements, ainsi que des policiers municipaux ou des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Quoi qu'il en soit, il faut absolument qu'un corps s'y consacre afin que nous, employeurs, soyons déchargés de cette obligation de répression.

M. le Président : Il faut aussi avoir présente à l'esprit l'obligation de sécurité de résultat qui vous impose de protéger vos propres salariés de la fumée que pourraient provoquer les clients. Le fait que les salariés soient exposés sur leur lieu de travail à un danger lié à leurs conditions de travail est évident quand il s'agit de la fumée émise par les clients. Il est donc bien de la responsabilité de l'inspection du travail de veiller à ce que l'environnement des salariés soit protégé.

M. Francis TROUET : Si l'État ne me permettait pas de remplir cette obligation, je ne manquerais pas dans le cas où je serais condamné, de me retourner contre lui pour ce motif.

M. le Président : Voilà qui confirme la nécessité d'aller vers une interdiction totale...

M. René LE PAPE : Un certain nombre d'interventions montrent qu'il ne sera pas si simple de mettre en application les nouvelles mesures.

M. le Président : Si c'est complètement interdit, ce sera plus simple...

M. René LE PAPE : Comme M. Trouet, je me vois mal être condamné parce qu'un de mes clients, souhaitant narguer la loi, aura fumé dans mon établissement contre ma volonté et sans mon aval.

Je n'étonnerai personne en disant que nous sommes contre le tout répressif. On ne peut à la fois insister - comme le fait à l'envi M. Xavier Bertrand - sur la nécessité de convaincre les acteurs concernés, qu'ils soient fumeurs ou professionnels, et les stigmatiser à outrance en les menaçant de sanctions très lourdes. Nous préférons donc un dispositif progressif dans le temps, d'où notre demande de dérogation pour les bars-tabac et notre souhait d'être associés, en tant qu'organisation professionnelle représentative, à la mise en place d'un système d'information auprès des fumeurs. Car nous sommes les seuls à être quotidiennement en contact avec eux et nous sommes donc bien placés pour les informer et même pour les sensibiliser.

Pour les buralistes, la première sanction prendra la forme de la remise en cause de leur activité de vente du tabac - qui reste un produit légal... - dans le cadre d'un contrat de gérance avec l'État.

M. le Président : Ce n'est pas l'interdiction de fumer dans les lieux publics qui conduit à cela, mais les politiques de santé publique qui tendent à réduire la consommation.

M. René LE PAPE : Mais on sait bien que l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics aura des effets collatéraux difficiles à supporter.

M. le Rapporteur : Nous avons bien entendu, Monsieur Le Pape, votre demande d'une application progressive. Vous avez aussi insisté sur l'information, mais c'est un discours qu'on nous sert depuis des dizaines d'années, et l'un des objectifs de cette mission est précisément d'en vérifier le bien-fondé...

On dispose aujourd'hui à la fois d'un état des lieux sanitaire très clair sur le nombre de décès liés au tabagisme passif ; d'un état des lieux jurisprudentiel qui, depuis l'arrêt de 2005 de la Cour de cassation, vous met dans une insécurité juridique et assurancielle ; d'un état des lieux sociologique, la population admettant maintenant parfaitement la nécessité d'une interdiction du tabagisme dans les lieux accueillant du public, qu'ils soient de travail ou de loisirs. Mais la question n'est pas de savoir ce à quoi vous aspirez, et dont nous prenons bien sûr acte : elle est de savoir quelles conséquences vous, qui y êtes directement confrontés, tirez de cette réalité.

M. René LE PAPE : Je souhaitais simplement insister sur les effets dramatiques qu'aurait l'application de sanctions trop lourdes à une profession déjà largement sinistrée. Je répète que je ne me sens pas responsable du fait qu'une personne fume dans mon établissement contre mon gré. Or, c'est moi que l'on montrera du doigt et que l'on risque de sanctionner.

M. Dubois a parlé de la RATP, mais moi je constate que des gens fument encore dans le métro et je ne pense pas que le président de la Régie risque d'être sanctionné pour cela. C'est donc bien nous, professionnels, que l'on veut stigmatiser.

M. le Président : On fume parfois encore dans le métro, mais beaucoup moins que dans les bars-tabac...

M. René LE PAPE : Jusqu'à présent, dans les bars-tabac c'est encore autorisé...

M. le Président : Pas du tout ! Votre réflexion est très caractéristique de la méconnaissance de la loi ! Il s'agit d'un lieu à usage collectif. Or, il n'est possible de fumer que dans des lieux spécifiquement réservés aux fumeurs, y compris dans un bar-tabac.

Vous dites que vous pouvez être des acteurs de l'application de la loi. Commencez donc par la connaître et mettez-la en œuvre en créant ces espaces réservés !

M. le Rapporteur : Cet échange est éminemment révélateur de la situation. Mais si la loi n'est pas effectivement mise en œuvre sur le terrain, elle le sera désormais. On peut en effet parler, du fait de l'arrêt de la Cour de cassation, d'une accélération du temps juridique qui traduit bien l'évolution culturelle, sociale et sanitaire. On va donc, dans une société qui se judiciarise, vers un durcissement qui doit s'accompagner de mesures vous offrant plus de sécurité. À défaut, comme cela nous a été dit lors de la précédente table ronde, vous évolueriez dans un vide assuranciel qui vous précariserait.

M. Yves BUR : Ne consacrons pas trop de temps à analyser le passé : le constat est accablant, et cela partout. Si le volet alcoolisme de la loi Évin a été appliqué de manière assez rigoureuse, le volet tabagisme a été d'emblée totalement ignoré. Peut-être les acteurs étaient-ils sous informés ou considéraient-ils que les dangers réels n'étaient pas suffisamment avérés. Il n'y a donc pas eu de consensus sur la lutte contre le tabagisme.

Aujourd'hui, on connaît de façon beaucoup plus précise et irréfutable les risques du tabagisme passif et chacun est désormais devant ses responsabilités. Le législateur, face à un danger établi, peut-il faire comme si les 3000 morts n'existaient pas ? Les employeurs, face à une jurisprudence claire, peuvent-ils continuer à ne pas en prendre acte ? Il faut aussi tenir compte de l'évolution de l'opinion publique, qui est davantage consciente des risques et qui souhaite que l'on aille vers une interdiction totale. Appuyons-nous donc sur ce consensus pour faire évoluer la législation et ensuite pour la faire respecter !

En France, nous avons l'habitude de voter des lois et d'oublier de nous doter des moyens nécessaires à leur application. Cela tient d'abord à la complexité des textes qui, en entrant à l'excès dans les détails, multiplient en fait les possibilités de les contourner. Dès lors qu'une loi est claire, elle est respectée. Tel est le cas de l'interdiction des distributeurs de confiseries dans les écoles, que nous avons adoptée, à mon initiative, pour marquer symboliquement notre volonté de lutter contre l'obésité : ce texte a été combattu durement au cours du débat, mais il était simple, il ne nécessitait pas de décret, il fixait un délai précis, et il est appliqué et respecté.

Il faut aussi se doter des outils du contrôle, ce qui suppose une volonté politique.

Globalement, l'application de la loi doit reposer sur un consensus, y compris des professionnels. Allez donc voir en Irlande et en Italie comment les choses se sont passées : à un moment donné les professionnels eux-mêmes, face aux risques encourus par leurs salariés, ont décidé d'adhérer à l'interdiction, et même de la soutenir activement. C'est ce qui explique la réussite de la mesure dans ces pays.

Monsieur Le Pape, quand on prévoit des sanctions lourdes, comme en Italie et en Irlande, il ne s'agit pas de stigmatiser qui que ce soit, mais d'offrir en fait une protection au responsable du lieu, chef d'entreprise ou propriétaire. En effet, si vous dites à un client qui fume en dépit de la loi qu'une amende de 150 euros est prévue, cela ne sera guère dissuasif. En revanche, si vous lui dites qu'au cas où vous et lui seriez dénoncés, ou si un contrôle inopiné survenait, vous risquez 2 000 à 3 000 euros d'amende, c'est un argument de nature à faire comprendre aux récalcitrants la nécessité de respecter la loi.

Souvenez-vous que lorsqu'il s'est agi de vente aux mineurs, j'ai évité que votre profession ne soit stigmatisée à l'excès comme elle l'aurait été si l'amende était passée de 3 750 à 7 000 euros, et avait été assortie de la possibilité d'un an d'emprisonnement et de la suppression de la régie. Mais, alors qu'elle avait été voulue par le Président de la République, cette loi n'est pas appliquée, faute d'une vraie sensibilisation à la question de la responsabilité individuelle, mais aussi faute d'un contrôle effectif. On peut bien sûr critiquer la méthode du testing, mais c'est parce que l'État ne fait pas son travail que les contrôles sont effectués par les associations et par des structures de lutte contre le tabagisme.

En Irlande, sur 25 000 contrôles, il n'y a eu que 37 amendes, dont la moitié dans des taxis. Cela montre bien que, dès lors qu'il y a consensus et que l'État agit, il n'y a aucune raison pour que cela ne fonctionne pas.

En France, on nous explique qu'on ne peut pas mobiliser la police municipale, que les inspecteurs du travail sont débordés, que les inspecteurs de santé publique ne sont pas habilités, qu'il est trop compliqué de faire appel aux inspecteurs de la concurrence, qu'en fin de compte il ne faut surtout rien faire pour changer les habitudes et les corporatismes et pour aller de l'avant. Là aussi, il faut une volonté politique pour dire que les inspecteurs du travail ne suffiront pas à la tâche, qu'il est nécessaire de multiplier les contrôles. Car si les contrôles sont nombreux et déterminés au cours des six premiers mois, le pli sera pris et l'interdiction sera respectée. Ne prenons donc surtout pas la difficulté de mener les contrôles comme prétexte pour ne pas aller plus loin dans la protection des non fumeurs.

Mme Emmanuelle BÉGUINOT : Les contrôles seront en effet d'autant plus efficaces que la loi sera claire. Il faut en particulier qu'elle ne prévoie pas de fumoirs car cela complique singulièrement les contrôles.

Par ailleurs, le nombre des corps de contrôle importe sans doute moins que le fait qu'ils soient bien structurés et opérationnels à différents moments de la journée.

On l'a dit, l'essentiel du travail sera effectué au cours des six mois qui suivront l'entrée en vigueur effective de la mesure.

Enfin, il sera nécessaire, pendant toute la phase de préparation, de sensibiliser et de former les corps de contrôle - dont on a entendu tout à l'heure qu'ils n'en faisaient pas vraiment une priorité - aux enjeux associés à l'interdiction totale de fumer et à la protection à l'exposition au tabagisme passif. Il faut en particulier, comme le fait la Prévention routière, rendre compte des victimes épargnées grâce aux sanctions. Là aussi, policiers et gendarmes vont sauver des vies humaines, il faut qu'ils se sentent investis de cette tâche et qu'ils soient reconnus pour cela.

Mme Bernadette ROUSSILLE : La sécurité routière l'a bien prouvé, la répression est indispensable : à quoi bon faire une loi si l'on ne travaille pas en amont sur le contrôle ?

Mais il faut organiser sérieusement les contrôles : l'action dont a parlé M. Hayet à propos du public doit en fait porter sur les corps de contrôle, en développant la sensibilisation et la formation, comme vient de le dire Mme Béguinot. Il n'est en effet pas facile de verbaliser en la matière, il n'y faut pas que du savoir mais aussi du savoir faire. Il est donc très important de prévoir des programmes de formation au cours de la phase de préparation.

Il convient aussi de prévoir, comme en Irlande, des programmes de contrôles dirigés par le préfet ou par le correspondant de la MILDT. Peut-être ne seront-ils là aussi utiles que quelques mois.

Même s'il me semble que multiplier les corps de contrôle ferait courir le risque qu'ils ne se renvoient les responsabilités, il convient sans doute de faire appel à la police municipale, pour des raisons de proximité. Instituer, même de façon temporaire, un corps spécialisé paraît en revanche un peu lourd.

Enfin, je constate qu'il y a un vrai problème d'autorité dans la fonction publique. J'en veux pour preuve - M. Audureau l'a souligné - que l'on continue à fumer dans les commissariats de police. Au nom de quoi les fonctionnaires seraient-ils favorisés par rapport à ceux qui travaillent dans le privé, qui sont soumis effectivement au code du travail, aux inspecteurs du travail, voire aux juges. Il faut donc réfléchir à des sanctions disciplinaires véritablement appliquées.

M. Pierre BOURGUIGNON : Il faut que la loi soit parfaitement respectée et, pour cela, qu'elle soit considérée comme respectable. Cela suppose aussi que, dans l'organisation générale de la République et de ses pouvoirs, elle soit considérée comme un élément normal de la vie. De ce point de vue, il est totalement insupportable de voir ce que l'on voit dans de trop nombreux lieux de la fonction publique - pas seulement dans les commissariats. Notre réflexion doit donc aussi porter sur l'exemplarité des conduites. En particulier au sein des corps de contrôle, chacun doit ainsi s'inscrire dans le respect de la règle du jeu.

Par ailleurs, tous ceux qui sont amenés à travailler dans le contrôle, le constat, voire la répression immédiate, doivent être culturellement, intellectuellement et techniquement armés. Cela suppose que l'encadrement accorde à cette tâche l'importance qu'elle mérite. Nous avons donc encore à travailler pour faire changer les états d'esprit.

S'agissant des tribunaux de l'ordre judiciaire, appelé à prononcer les sanctions, nous devons faire en sorte que les règles soient suffisamment simples pour ne pas ouvrir la porte à ceux qui cherchent à exploiter la moindre possibilité de contentieux.

Si nous avons commencé à gagner la bataille de l'opinion, il faut encore continuer à avancer. Il est vrai que pendant longtemps nombre de salariés se disaient que le tabac n'était qu'une des pollutions dont ils étaient victimes dans leurs conditions de travail et de loisirs. Maintenant, il faut progresser dans l'organisation des lieux de travail, dans le public comme dans le privé.

Il faut aussi miser sur les associations, afin que le tabagisme soit pris en compte dans le cadre des lieux de loisirs, comme l'alcoolisme l'a été. En tant que président du groupe d'études de l'Assemblée sur les arts de la rue, j'ai attendu que l'interdiction du tabac soit effective pour goûter aux joies d'une Saint-Patrick à Dublin : aujourd'hui, dès que l'on n'est pas dans la rue, il n'y a plus de tabac dans les pubs et dans les espaces publics, et c'est un vrai bonheur pour toutes les générations.

Certes, les professionnels ont l'impression d'être stigmatisés. Mais souvenons-nous que l'on parlait aussi de stigmatisation quand on a commencé à moraliser la vie politique... Aujourd'hui, on voit quelles ont été les améliorations en termes de pratiques, mais aussi d'image. C'est aussi à ce niveau qu'il faut se situer.

Pour gagner la bataille de l'opinion publique, il faut continuer à se battre : les conclusions de notre mission et la nouvelle règle du jeu législative doivent y contribuer.

Mme Chantal FONTAINE : Il y a effectivement un vrai travail de sensibilisation à mener dans la fonction publique, afin que les choses se passent bien dans les lieux où l'on devrait donner l'exemple. Il est en outre particulièrement énervant, étant donné tout ce que l'on sait désormais de la nocivité du tabagisme, que la lutte contre le tabagisme ne soit la priorité d'aucun corps de contrôle. L'inspection du travail et la police ont beaucoup à faire ? Mais tout le monde est débordé, ce n'est pas un argument ! En outre, considérer qu'il s'agit d'une infraction mineure, c'est oublier qu'à partir du moment où il a été prouvé que le tabagisme passif peut avoir des effets sur le système cardio-vasculaire, il faut bien le considérer comme une violence.

Je suis surprise, irritée, d'entendre des fonctionnaires se refuser, au nom d'une idéologie, à faire usage des pouvoirs dont ils sont investis. Un fonctionnaire a un devoir d'obéissance et de service, ses idées personnelles doivent passer après ! Je ne puis donc accepter d'entendre des agents du ministère de la santé se refuser à faire du répressif. À partir du moment où il y aura une habilitation, et j'espère qu'elle viendra, il y aura un devoir de répression de ce type d'infractions, d'autant qu'en matière de santé publique, comme en matière de circulation routière, la répression, c'est de la prévention. Il n'est pas recevable que l'inspection du travail considère qu'elle est là pour réprimer les employeurs mais pas les salariés : vous êtes fonctionnaires, on vous donne les moyens d'instrumenter pour défendre les salariés contre un problème de santé publique, vous devez agir en conséquence.

S'agissant des restaurateurs et des cafetiers, bien sûr il leur est plus difficile d'agir vis-à-vis de leurs clients que de leurs employés, mais ils savent agir en matière de répression de l'ivresse publique et ceux qui sont sérieux le font. Sans même aller jusque là, il faut raisonner simplement en termes d'infraction pénale, de violence et de nuisances. Si un consommateur un peu ivre chatouille le menton d'une cliente, le responsable du lieu ne va pas s'en désintéresser : il va le prier de se calmer et, si cela ne suffit pas, il l'expulsera ou il appellera les forces de l'ordre. C'est ainsi que les choses se passent dans tout établissement bien tenu. Quand un mendiant vient importuner la clientèle, on ne le laisse pas faire au prétexte qu'on n'est pas fonctionnaire de police ni gendarme et qu'on n'a pas les moyens d'agir : on tient sa maison correctement. Il suffit de faire de même avec les fumeurs qui ne respectent pas la loi, d'autant que les exemples étrangers montrent qu'après une vague de contrôles intensifs, les choses se calment d'elles-mêmes. Contrairement à ce qui a été dit, il n'y a vraiment plus, dans les trains et les métros, que les abrutis de service qui se permettent de fumer de temps à autre. Le citoyen normal, lui, a compris et intégré la loi !

Mme Muguette JACQUAINT : Nous sommes tous convaincus de la nocivité du tabac, et les tables rondes précédentes ont bien montré la nécessité d'une loi claire sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Mais il faut aussi prévoir les moyens de son application pour qu'elle ne reste pas lettre morte. Bien sûr, chacun des corps de contrôle doit prendre en compte cette question, mais il faut être conscient qu'on leur demande de plus en plus sans leur donner les moyens matériels et humains d'assurer l'ensemble de ces tâches. On manque aujourd'hui d'inspecteurs du travail, mais aussi de personnel dans les hôpitaux pour y faire respecter les impératifs de santé publique, ce qui est quand même un comble !

De ce point de vue, je souscris pleinement à l'idée qu'il faut développer la formation. On a bien vu à quel point cela était nécessaire pour assurer dans les commissariats l'accueil des femmes victimes de violences. Pour parvenir à un vrai changement culturel, certes il faut prévoir des sanctions mais n'oublions pas l'importance de la sensibilisation et de la prévention !

M. Pascal MELIHAN-CHEININ : J'estime qu'il n'est pas forcément nécessaire d'aggraver encore les sanctions à l'encontre des professionnels, car l'arrêt de juin 2005 représente à lui seul une telle sanction qu'en rajouter ne ferait que stigmatiser les professionnels, sans aboutir à un consensus. Nous devons, au contraire, aider les professionnels à prendre conscience de la gravité des sanctions qu'ils encourent.

M. André SANTINI : Je voudrais intervenir en tant qu'homme politique, car trop de mes collègues se prennent pour les assesseurs des juges, et parlent de sanction. Ce n'est pas la peine d'être élu si c'est pour se substituer aux juges. Le rôle d'un homme politique est au contraire de rappeler les principes de tolérance et de respect de l'autre, et je ne peux que m'inquiéter d'entendre quelqu'un ici parler des « abrutis de service » qui fument dans les moyens de transport.

Toutes les associations de lutte contre le tabac, que je trouve sympathiques et énergiques, ont raison de mener ce combat, car personne ici ne peut nier que le tabagisme nuit à la santé, mais personne n'a le droit d'insulter quiconque. Lorsque je rencontre une personne qui s'adonne à la cocaïne ou à l'héroïne, je ne l'insulte pas, mais je la considère comme un malade. En revanche, je punirais plutôt ceux qui fournissent les instruments - n'est-ce pas, Monsieur Le Pape ? Mais M. Le Pape n'est qu'un auxiliaire de l'État, c'est lui qui finance une partie de nos dépenses, comme les 35 heures...

Je mets par ailleurs en garde M. Bur qui croit gagnée la bataille de l'opinion. Au contraire ! Lundi dernier, invité sur France Inter en compagnie d'un remarquable professeur dont j'apprécie la compétence, la modestie et la sagesse, j'ai pu constater que de nombreux auditeurs souhaitaient qu'on laisse un peu tranquilles les fumeurs.

Nous avons une tâche pédagogique : convaincre plutôt que contraindre. Or, tout le monde ce matin aurait presque envie de créer des corps de fonctionnaires pour chasser les fumeurs.

Permettez-moi de citer quelques études. Le tabagisme passif, tel qu'il a été exposé par certains faux prophètes, est une gigantesque plaisanterie. Aujourd'hui, même des professeurs de l'Académie de médecine reconnaissent que le nombre de décès est, non pas de 5 000 ou de 6 000, mais de 1 000. Ces chiffres sont officiels.

Par ailleurs, comment pouvez-vous dire que 80 % de la population est favorable à ces mesures alors que le dernier sondage IFOP fait état de 56 % ?

Les adversaires des fumeurs sont en train de perdre, par leurs excès, la bataille de l'opinion.

Par ailleurs, je rappelle que les débitants de tabac sont des fonctionnaires par procuration - vente de timbres fiscaux, postaux, de bulletins de la Française des Jeux, etc. Vous prétendez avoir réduit le nombre de fumeurs en augmentant le prix des cigarettes, mais vous n'en avez aucune preuve. Certes, les buralistes vendent moins de cigarettes, mais la fraude s'est développée. De nombreux bureaux de tabac ont déjà fermé !

Hommes politiques, nous devons écouter tous ceux qui nous ont fait l'honneur de leur présence, mais nous devons aussi trier, et faire œuvre exemplaire par notre tolérance.

M. le Président : Je vous remercie, Monsieur Santini. Vous venez d'évoquer l'ensemble des sujets que nous avons abordés autour des précédentes tables rondes, et il n'est pas utile de reprendre le débat sur chacun de ces points.

La quasi-totalité de la mission est bien au-delà de la position que vous avez adoptée, et je regrette vivement que vous n'ayez pu assister à l'ensemble des tables rondes.

M. le Rapporteur : « La liberté de chacun s'arrête là où commence celle de l'autre. »

M. Yves BUR : C'est d'ailleurs écrit dans cette salle, sur la tapisserie !

M. le Rapporteur : Je rappelle par ailleurs qu'un certain nombre de partenaires économiques seront invités dans la deuxième quinzaine de juillet.

M. Jean HAYET : Je précise que le terme « secondaire » s'appliquait aux charges et non aux priorités.

Par ailleurs, nous travaillons régulièrement avec nos personnels sur le problème du tabagisme dans nos locaux, et nous serions favorables à la mise en place de formations pour améliorer la qualité de l'accueil dans les commissariats.

M. Michel RICOCHON : Un des premiers intervenants a estimé que j'avais passé sous silence certaines dispositions juridiques. Sans entrer dans le débat, je réaffirme que je ne suis pas d'accord avec son analyse juridique. Par ailleurs, je rappelle que l'obligation de sécurité de résultat pèse bien sur l'employeur.

Quant à la mobilisation de l'inspection du travail, il faut savoir ce que l'on veut. Depuis de nombreuses années, nous sommes de plus en plus sollicités pour des missions toutes plus prioritaires les unes que les autres ! Oui à une mobilisation contre le tabagisme, mais à l'échelle nationale, et non pas au seul niveau de l'inspection du travail.

Nous devons arrêter de nous jeter les morts à la figure : le mort du tabac contre celui du cancer professionnel. Là est bien notre problème : devons-nous nous occuper des cancers professionnels, ou de ceux liés au tabac ? Les deux sont liés, mais nous devons travailler sur la différence de nos cultures professionnelles.

Ce n'est pas en stigmatisant un corps de contrôle ou un autre que nous progresserons.

M. le Président : Quel est, suite aux récentes annonces du Gouvernement, le nombre d'inspecteurs du travail supplémentaires ?

M. Michel RICOCHON : M. Larcher a annoncé la création de 700 postes supplémentaires d'inspecteurs du travail d'ici 2010.

Mme Anne DENISSE : Je ne reviendrai pas sur certains points déjà abordés, notamment sur le fait que les lois doivent être claires et précises pour être respectées, sans parler de l'existence de corps de contrôle formés et motivés. C'est vrai, les agents du ministère de la santé peuvent exercer ce type de contrôle, comme le pourraient également la DGCCRF ou les polices municipales.

Selon les statistiques, 9 millions de personnes, dont la moitié a moins de 25 ans, fument aujourd'hui plus de dix cigarettes par jour. Les sanctions encourues pourraient bien sûr être aggravées, mais je ne pense pas que ce soit la solution la plus efficace. Il me semble que nous devrions plutôt préférer un système de sanction simple et rapide, comme le code de procédure pénale en prévoit. L'amende forfaitaire pourrait ainsi sanctionner le fait de fumer dans un lieu interdit, ou de vendre du tabac à des mineurs de moins de 16 ans.

Par ailleurs, la procédure de l'ordonnance pénale pourrait être davantage utilisée pour sanctionner les contraventions de cinquième classe, de même que la procédure de composition pénale.

Des circulaires pourraient être prises en direction des parquets pour leur rappeler l'importance de ces mesures.

M. Gérard DUBOIS : Je tiens à dire que l'Alliance contre le tabac est favorable au dispositif de l'amende forfaitaire qui permet de sanctionner rapidement.

Mme Emmanuelle BÉGUINOT : Le système de l'amende forfaitaire est en effet très efficace en ce qu'il permet une sanction immédiate. C'est en cas de récidive que nous souhaitions aggraver les sanctions et prévoir une amende délictuelle de 3 000 euros, notamment dans l'hypothèse d'exposition réitérée de salariés au tabagisme passif.

M. le Président : Je précise qu'est puni d'une amende de 450 euros le fumeur qui ne respecte pas les interdictions de fumer.

Quant à l'organisateur d'un lieu - employeur, responsable d'un établissement de restauration etc. -, il n'est puni que s'il n'a pas prévu des espaces non-fumeurs, s'il n'a pas respecté les normes de ventilation, et s'il n'a pas mis en place une signalisation. En revanche, il n'est pas puni s'il ne fait pas respecter l'interdiction de fumer dans les espaces non-fumeurs. Peut-être devrons-nous aller jusqu'à le sanctionner dans cette hypothèse, surtout si des fumoirs existent demain.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Je suis d'accord avec le fait de sanctionner le responsable d'un lieu qui ne ferait pas respecter les interdictions de fumer, mais je tiens à souligner que le décret ne sanctionne pas des « personnes », il sanctionne simplement « le fait de », ce qui est un peu ridicule. Il est au contraire important de désigner les auteurs de l'infraction.

Par ailleurs, comment qualifier le responsable du lieu ? Je propose de le désigner comme le « chef d'établissement », et que son nom figure sur les panneaux d'interdiction de fumer.

M. Gérard DUBOIS : Nous devons pouvoir nous adresser aux fumeurs et, de manière graduée, au responsable du lieu, voire à la personne morale, car il existe de plus en plus de chaînes qui imposent leurs règles à ceux qui travaillent pour eux.

M. Gérard AUDUREAU : Chaque fois qu'une entreprise, un café, un restaurant, a décidé de faire respecter la loi, de former son personnel à cet effet, et d'afficher correctement qu'il est interdit de fumer, il n'y a jamais de problème.

Par ailleurs, la RATP et la SNCF appliquent des amendes forfaitaires, ce qui facilite le travail.

Quant au policier, qui doit se déplacer pour constater les faits, convoquer la personne au commissariat, rédiger un procès-verbal qu'il envoie ensuite au procureur de la République, lequel classera sans suite, je comprends qu'il soit découragé.

Pour ces raisons, l'amende forfaitaire pour les contraventions de troisième classe serait une bonne solution, et pourquoi ne pas diminuer l'amende à destination du responsable des lieux, afin de classer l'infraction dans la catégorie des contraventions de quatrième classe, et rendre l'amende, elle aussi, forfaitaire ?

Enfin, si la voie législative était préférée à la voie règlementaire, serait-il possible de prévoir une sanction délictuelle à l'encontre des employeurs qui ne protègent pas leurs salariés ou de toute personne qui expose délibérément à la fumée du tabac un enfant ?

Quel que soit le type de sanction retenu, pour que la sanction soit efficace, il faudra faciliter la recherche nominative du responsable du lieu. La mission des agents chargés de constater et sanctionner les infractions devra, dans les textes, revêtir un caractère impératif.

Mme Chantal FONTAINE : La MILDT n'a pas pour objectif d'augmenter le montant des amendes, car il est plus important de sanctionner rapidement et efficacement.

En revanche, nous suggérons d'aggraver les sanctions à l'encontre du responsable d'établissement qui ne ferait pas respecter la loi en sa maison. Outre une amende de cinquième classe, nous proposons une peine complémentaire de fermeture judiciaire de l'établissement, et des fermetures administratives, bien sûr dans des cas extrêmes.

M. Franck TROUET : La fermeture administrative peut aussi être une très mauvaise solution, dans les cas où des professionnels seraient « pris en otages » par des clients. Imaginez un professionnel qui respecterait l'interdiction, mais serait régulièrement confronté à des clients qui refuseraient de se conformer à la loi. Notre profession a déjà connu des précédents, du fait de clients qui s'étaient rendu coupables de nuisances sonores.

M. Yves BUR : La fermeture administrative est un acte lourd, qui ne sera pas décidé simplement parce que quelqu'un a été pris en train de fumer deux ou trois fois. Mieux vaut presque ne pas l'évoquer. Je pense que la répétition d'amendes, quasi-automatique en cas d'infraction, serait tout aussi efficace. Si un responsable d'établissement est amené à payer une amende importante chaque fois qu'une infraction est constatée, il ne tiendra pas longtemps, et il fera sans doute très vite preuve de meilleure volonté.

Le montant de l'amende doit être significatif, sans pour autant être exorbitant, mais surtout, il doit être un argument pour convaincre le consommateur de ne pas fumer. Les consommateurs, en général, respectent le lieu et le responsable de l'établissement, et peuvent comprendre que le chef d'établissement n'ait pas envie de payer. Il est clair, en revanche, que personne ne se souciera de cette interdiction si le montant de l'amende est dérisoire.

La question essentielle est de rendre le dispositif lisible. En Irlande comme en Italie, les affichettes sont visibles et les responsables clairement identifiés.

Du consensus populaire, autour d'une loi acceptée, découlera son respect. Les professionnels doivent prendre conscience que la donne a changée, comme en Italie ou en Irlande. À cet égard, je m'étonne que peu de professionnels soient représentés à cette table ronde.

M. le Rapporteur : Ils seront invités dans la deuxième quinzaine de juillet.

M. Jean HAYET : S'agissant des fermetures administratives, je précise que le fait de ne pas être capable de faire respecter l'interdiction de fumer peut être un élément caractéristique de la non-maîtrise de la clientèle.

Quant aux polices municipales, je confirme qu'elles peuvent d'ores et déjà contrôler le respect des interdictions de fumer.

M. Gérard DUBOIS : Il faut que la signalétique soit précise. Lors de l'entrée en vigueur de la loi Evin, nous avons vu apparaître des éléphants bleus et des éléphants verts, et personne ne savait à quoi ils correspondaient, ni ce que souhaitaient ceux qui les avaient inventés. Il existe déjà une signalétique règlementaire, et il faudra veiller à son application. Outre qu'elle sert à informer, la signalétique permet également de dégager le conflit. Lorsqu'une personne souhaite informer une autre que la zone est non-fumeur, plutôt que d'affronter un face-à-face, il suffit de désigner le panneau.

J'aurais voulu répondre à une interrogation de M. Santini, mais il est malheureusement déjà parti...

Je reviens quand même sur l'évaluation des victimes du tabagisme passif qu'il a évoquée. Celle de l'Académie de médecine - qui les a estimées à 3 000 - portait sur les non-fumeurs et prenait en compte l'ensemble des pathologies. Un rapport européen évalue au contraire le nombre de victimes à 1 000 pour les non-fumeurs en France, mais en ne tenant compte que de deux pathologies, et à 5 800, fumeurs et non-fumeurs confondus.

M. Michel RICOCHON : Concernant l'identification du responsable, prenons garde au fait que sur les lieux de travail, la personne qui apparaît physiquement comme la responsable du lieu où l'on travaille n'est pas forcément la personne pénalement responsable.

M. le Président : Certains d'entre vous souhaitent-ils exprimer un message conclusif aujourd'hui ? Le rapporteur va procéder à un certain nombre d'auditions dans les prochains jours...

M. le Rapporteur : Je précise que nous recevrons les représentants des employeurs comme des salariés.

M. le Président : Début septembre, nous organiserons une réunion avec les parlementaires sur les orientations que nous souhaitons donner au rapport, lequel sera ensuite rédigé par le rapporteur. Nous nous réunirons ensuite mi-septembre avec vous pour poursuivre le débat, et fin septembre, les parlementaires se prononceront sur l'ensemble.

Nous avons beaucoup avancé sur divers points, beaucoup d'entre nous ont évolué, et aujourd'hui, tout le monde s'accorde sur la nécessité de revoir notre réglementation, et surtout de poser des règles claires.

M. Gérard DUBOIS : L'Alliance contre le tabac est clairement favorable à une interdiction totale de fumer dans les lieux publics, et préfèrerait la voie législative. Elle est prête à aider à la rédaction de ces textes, et à répondre à toute sollicitation.

M. Bertrand Dautzenberg disait que les demandes d'exemption sont des lieux à exposition particulièrement élevée. Comme je l'ai déjà dit, accepter des exemptions de ce type reviendrait à lever les limites de vitesse dans les virages les plus dangereux afin que les jeunes puissent « s'éclater » tranquillement.

Nous sommes opposés à toutes les exceptions en ce domaine, parce qu'elles ne sont pas justifiables et ne répondent pas aux impératifs de santé publique. Elles sont par ailleurs d'autant moins compréhensibles que l'argument des conséquences économiques et de la baisse du chiffre d'affaires a été abandonné par ceux-là mêmes qui demandaient des exceptions.

L'argument de convivialité pour « s'éclater » dans la fumée de tabac est tout de même une curiosité qui sera difficile à défendre.

Enfin, nous célébrons en 2006 le trentième anniversaire de la loi Veil et le quinzième anniversaire de la loi Evin. Légiférer en la matière tous les quinze ans ne reflète pas un acharnement excessif des parlementaires, mais répond à l'évolution des connaissances et de la société.

Mme Emmanuelle BÉGUINOT : Pour répondre aux inquiétudes de M. Le Pape quant au devenir des bars-tabacs, je propose que l'industrie du tabac reverse les produits d'une taxe additionnelle à ce secteur, en cas de baisse du chiffre d'affaires.

M. Gérard AUDUREAU : Permettez-moi tout d'abord de saluer la qualité des échanges que nous avons eus depuis un mois, notamment grâce à votre management.

Oui à une loi simple, mais pas simpliste, et qui prévoie des sanctions susceptibles d'être appliquées. Et surtout, nous aurons besoin d'une bonne communication, très rapidement, pour faire passer le message.

M. Franck TROUET : C'est vrai, le dispositif actuel est mal appliqué et inadapté. Il n'est pas à même de protéger les individus du tabagisme passif ni les employeurs des actions judiciaires. Il ne répond pas au problème de la discrimination entre les petites et les grandes entreprises.

Pour ces raisons le SYNHORCAT, est favorable à l'interdiction totale de fumer dans les cafés, hôtels et restaurants, grâce à une nouvelle loi, claire et facilement lisible et applicable. Nous souhaitons qu'elle entre rapidement en vigueur, et qu'elle s'accompagne d'une vaste campagne de sensibilisation. Je souhaite par ailleurs qu'une commission soit chargée de veiller à son respect et à son effectivité, et que l'on prévoie de verser une indemnité aux professionnels qui pourraient souffrir de l'application de cette loi.

M. le Rapporteur : Je vais y travailler pendant ces vacances, et je serai attentif à toute proposition écrite que vous pourriez me faire parvenir.

M. le Président : Merci à tous pour votre assiduité, et bonnes vacances.


© Assemblée nationale