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N° 138
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 juillet 2002.
PROPOSITION DE LOI
relative à l'interdiction faite aux services de télévision de diffuser des programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE

par Mme Christine BOUTIN, MM. Pierre ALBERTINI, Alfred ALMONT, Mmes Brigitte BARÈGES, Sylvia BASSOT, MM. Jacques-Alain BENISTI, Jean-Louis BERNARD, Marc BERNIER, Jean-Michel BERTRAND, Gabriel BIANCHERI, Roland BLUM, Mme Chantal BOURRAGUE, M. Michel BOUVARD, Mme Maryvonne BRIOT, MM. Dominique CAILLAUD, Pierre CARDO, Antoine CARRÉ, Richard CAZENAVE, Roland CHASSAIN, Dino CINIERI, Philippe COCHET, Charles de COURSON, Jean-François CHOSSY, Marc-Philippe DAUBRESSE, Christian DECOQ, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Patrick DELNATTE, Léonce DEPREZ, Jean-Pierre DOOR, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Yannick FAVENNEC, André FLAJOLET, Jean-Claude FLORY, Mme Arlette FRANCO, MM. Gilbert GANTIER, Jacques GODFRAIN, François-Michel GONNOT, Louis GUÉDON, Jean-Jacques GUILLET, François GUILLAUME, Gérard HAMEL, Perre HÉRIAUD, JoËl HART, Jean-Yves HUGON, Denis JACQUAT, Christian JEANJEAN, Maryse JOISSAINS-MUSINI, Didier JULIA, Mansour KAMARDINE, Patrick LABAUNE, Édouard LANDRAIN, Marc LAFFINEUR, Pierre LASBORDES, Marc LE FUR, Jean-Marc LEFRANC, Pierre LELLOUCHE, Jean-Claude LEMOINE, Jean-Pierre LE RIDANT, Mme GeneviÈvè LEVY, MM. Gérard LORGEOUX, Lionnel LUCA, Daniel MACH, Richard MALLIE, Mme Muriel MARLAND-MILITELLO, MM. Patrice MARTIN-LALANDE, Christian MENARD, Gilbert MEYER, Pierre MICAUX, Jean-Marie MORISSET, Georges MOTHRON, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Jean-Marc NESME, Patrick OLLIER, Mmes Françoise de PANAFIEU, Béatrice PAVY, MM. Bernard PERRUT, Christian PHILIP, Mme Josette PONS, MM. Jean-Luc PRÉEL, Jean PRORIOL, Jacques REMILLER, Dominique RICHARD, Serge ROQUES, Bernard SCHREINER, Jean-Marie SERMIER, Mme HélÈne TANGUY, MM. Michel TERROT, Jean-Claude THOMAS, Mme Béatrice VERNAUDON, MM. Jean-Sébastien VIALLATTE, Philippe VITEL, Michel VOISIN et Michel ZUMKELLER,

Additions de signatures :
M. Gilles Artigues

MM. Victor Brial, Michel Diefenbacher, Jean-Pierre Grand, Aimé Kergueris et Philippe de Villiers.

Députés.

Audiovisuel et communication.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Est-il besoin de le répéter ? Toutes les images ne se valent pas. Les programmes contenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite, notamment, ne sont pas sans conséquences sur le psychisme de celui ou celle qui les regarde.
Les scènes de pornographie, premièrement.
Assistantes sociales, psychiatres, éducateurs, tous affirment que le visionnage de ce genre de programmes par le plus jeune public peut être apparenté à une véritable violence et induire de nombreux dégâts, perturbations psychiques et autres dérèglements, analogues à ceux d'un abus sexuel. De fait, la présentation négative et violente des échanges sexuels, l'image dégradée et soumise de la femme, la répartition faussée des rôles sexuels, la déconsidération des risques de transmission des MST et la surenchère aux pratiques extrêmes ont des effets pervers sur la socialisation des enfants et des adolescents. Car dire des films pornographiques qu'ils relèvent de la fiction cinématographique est erroné. Ils sont, au contraire, le lieu d'une réalité, au mieux, scénarisée. Une réalité hors norme qui, pour des enfants ou des adolescents en plein apprentissage sexuel, devient normative et donc susceptible des pires dérives.
Or, le Collectif interassociatif enfance médias (CIEM), regroupant toutes les sensibilités, dresse, en la matière, un bilan alarmant dans un rapport que lui avait commandé le précédent Gouvernement. Il y est notamment fait référence à une étude Médiamétrie, révélant que 11 % des enfants de moins de douze ans des foyers abonnés à la chaîne Canal + ont été mis en contact avec un film pornographique pendant au moins une minute, alors même que celui-ci était diffusé entre minuit et 6 heures, conformément à la réglementation en vigueur. On n'ose imaginer le pourcentage d'audience chez les adolescents de douze à seize ans...
Les rediffusions de programmes sur les déclinaisons de Canal + et sur les chaînes cinéma aboutissent à 103 diffusions mensuelles de films pornographiques, auxquelles s'ajoutent 840 diffusions mensuelles sur les services de paiement à la séance. Comment, dès lors, s'étonner que ces programmes contaminent un jeune public?
Fort d'un tel constat, il n'est plus temps de s'alarmer des conséquences désastreuses de ce genre de programmes sur les enfants ou les adolescents. Le temps est à l'action, quand bien même celle-ci doit passer par une interdiction simple de ces programmes. Cette interdiction ne serait d'ailleurs que la traduction cohérente, si ce n'est de notre droit pénal qui proscrit la diffusion de programmes portant atteinte à l'épanouissement des mineurs, de l'article 22 de la directive européenne « Télévisions sans frontières ». Cette dernière impose aux Etats membres de prendre « les mesures appropriées pour que les émissions de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence ne comportent aucun programme susceptible de nuire gravement aux mineurs, notamment des programmes comportant des scènes de pornographie ou de violence gratuite ».
Au regard de la nécessaire protection des mineurs, les arguments des défenseurs de la pornographie télévisuelle ne pèsent guère. Dire, comme certains, que la pornographie n'est qu'une émanation de la « sexualisation » croissante de notre société ne vaut pas. Si, effectivement, le sexe est de plus en plus présent dans les médias, cautionner l'état de fait n'est jamais entré dans les attributions du politique. Tout au contraire. Et vouloir le bien des enfants n'a jamais relevé de la pudibonderie. Dire encore qu'interdire les programmes pornographiques, c'est vouloir couper l'arbre qui cache la forêt, ne tient pas plus. Il ne demeure pas moins que cet arbre-là sera coupé, avant que de s'attaquer à la forêt elle-même. En dernier lieu, l'on peut comprendre l'inquiétude de certaines chaînes de télévision qu'une interdiction de tels programmes priverait de profits essentiels à leur survie. La protection des personnes et en particulier des mineurs doit cependant toujours passer avant les considérations d'ordre économique quelles qu'elles soient. Dans le même esprit, la liberté d'expression derrière laquelle se retranchent les producteurs du film X doit trouver ses limites dans l'exigence du sain épanouissement de nos enfants : la liberté des producteurs du film X s'arrête là où commence celle de nos enfants.

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Les scènes de violence gratuite, deuxièmement.
Leur suppression du paysage audiovisuel est moins sujette à polémique, sans doute parce que les enjeux sont sans commune mesure avec les intérêts financiers générés par l'industrie du film X. Il n'en demeure pas moins qu'elle se justifie tout autant.
Les pédopsychiatres et les sociologues s'accordent à dire que certains programmes violents peuvent susciter des troubles psychologiques importants : angoisse, honte, agressivité collective, difficulté à différencier la réalité de la fiction, perte des repères socio-politiques et culturels.
Là encore, le rapport du CIEM est inquiétant. Selon lui, l'évolution des contenus des programmes télévisuels français se caractérise par une homogénéité dans la banalisation d'une violence croissante. On constate un appauvrissement des scénarios, une montée du manichéisme, l'absence de résolution des conflits en dehors de la suppression brutale de l'autre, une déréalisation du fait des effets spéciaux, l'absence du point de vue de la victime...
Les effets sur les enfants sont de nature diverse : désensibilisation, représentation du monde comme essentiellement violent, anxiété, désinhibition, agressivité... Les conséquences sont encore plus dramatiques sur les sujets fragiles (perte de l'estime de soi, isolement social, passage à l'acte par mimétisme...), comme l'actualité récente a malheureusement pu le démontrer.
Comme pour les programmes contenant des scènes de pornographie, des mesures urgentes s'imposent donc. La mise en conformité de notre droit avec la directive européenne « Télévisions sans frontières » apparaît, ici aussi, comme la meilleure réponse au problème.
Le CSA, en se fondant notamment sur le rapport du CIEM, a recommandé récemment aux éditeurs concernés de cesser de diffuser des programmes de la catégorie V ainsi définie : «les _uvres cinématographiques interdites aux mineurs de dix-huit-ans ainsi que les programmes réservés à un public adulte averti et qui, en particulier par leur caractère obscène, sont susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs de dix-huit ans». Cette simple recommandation, le CSA en est conscient, risque fort de ne pas être suivie par les chaînes de télévision. Aussi plaide-t-il en faveur d'une modification de la loi - la loi du 30 septembre 1986, en l'occurrence -, seule capable de rendre cette suppression effective. Lors de l'adoption de la loi du 1er août 2000, l'article 15 de la loi de 1986 précitée a été complété de l'article 22 de la directive « Télévisions sans frontières ». Mais non dans son entièreté. Ainsi, les chaînes de télévision ne peuvent-elles diffuser «aucun programme susceptible de nuire gravement aux mineurs», mais le législateur n'a pas voulu reprendre la précision selon laquelle, parmi lesdits programmes, étaient expressément visés par la directive les « programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite ». Le but étant de permettre à certaines chaînes cryptées de continuer de diffuser des programmes pornographiques, au nom d'une tolérance acquise depuis le précédent créé par l'entrée de Canal + dans le régime de droit commun des chaînes privées. Or, nous l'avons vu, les vieux privilèges ne sont aujourd'hui plus de mise.
Le CSA a pris ses responsabilités. Le législateur doit prendre les siennes, au nom de la préservation essentielle de l'équilibre physique, mental et moral de nos enfants.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

L'avant-dernier alinéa de l'article 15 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par les mots :
« , notamment des programmes contenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite. »

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N° 0138 - Proposition de loi de  sur l'interdiction faite aux services de télévision de diffuser des programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence (Mme Christine Boutin)


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