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N° 358
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 novembre 2002.
PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer les garanties juridiques des exploitants d'établissements classés dans la catégorie des « débits de boissons et restaurants » face aux sanctions administratives prévues aux articles L. 3332-15 et L. 3332-16 du code de la santé publique.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par MM. Thierry MARIANI et Éric DIARD,
Députés.

Boissons et alcools.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Conformément aux articles L. 3332-15 et L. 3332-16 du code de la santé publique (anciennement art. L. 62 et L. 63 du code des débits de boissons), l'autorité administrative, par la voix du préfet, peut ordonner une fermeture temporaire (jusqu'à six mois) des débits de boissons et des restaurants pour les motifs suivants : infraction aux lois et règlements relatifs à ces établissements, préservation de l'ordre, de la santé ou de la moralité publics. Par décision du ministère de l'intérieur, la durée de la fermeture peut aller jusqu'à un an.
Ces articles du code de la santé publique visent, en premier lieu, les bars et les restaurants mais aussi les discothèques qui sont assimilées aux débits de boissons.
Ces établissements, présents sur l'ensemble du territoire national, représentent un poids économique très important. Ils emploient des milliers de personnes et participent activement à la vie sociale. C'est, notamment, le cas des bars qui constituent, en outre, un vecteur indispensable de la revitalisation des centres urbains et font partie, surtout en zone rurale, des principaux lieux de convivialité.
Les décisions de fermeture étant imposées de manière discrétionnaire par les détenteurs de l'autorité administrative, de nombreux abus sont souvent constatés. C'est ainsi que, par exemple, il arrive que des bars soient contraints de baisser leur rideau, simplement parce que l'un de leurs clients a commis une infraction au code de la route. Même si le responsable de l'établissement a refusé de servir une boisson alcoolisée à ce client, il ne dispose d'aucune garantie juridique pour faire valoir sa bonne foi et se prémunir contre une fermeture injustifiée.
Une telle situation est particulièrement dramatique. En effet, il faut bien être conscient que lorsqu'un bar fait l'objet d'une fermeture pendant plusieurs mois, l'établissement est souvent condamné à la faillite, le propriétaire devant continuer, pendant cette période, à faire face à ses charges (notamment fiscales et salariales). On assiste ainsi régulièrement à des drames humains, les employés se retrouvant au chômage.
Il est regrettable qu'une décision de fermeture, aux conséquences parfois irrémédiables puisse être ainsi prise de manière unilatérale par le représentant de l'Etat, au mépris de toute garantie procédurale et des droits de la défense, pourtant affirmés dans de nombreux textes de loi et conventions internationales.
Il suffit, pas exemple, de se référer aux décisions de la Cour européenne des Droits de l'homme ou encore du Conseil constitutionnel qui intègrent le principe de la liberté du commerce et de l'industrie parmi nos libertés fondamentales. D'autres textes soulignent également le caractère inapproprié de ces articles du code de la santé publique. C'est notamment le cas de la loi n° 79-567 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des décisions administratives.
L'objet de cette proposition de loi est donc de proposer une procédure spécifique permettant d'assurer le respect de la loi et de l'ordre public tout en offrant à la défense les garanties nécessaires aux propriétaires et gérants des établissements classés dans la catégorie des «débits de boissons et restaurant».
Pour cela, il est nécessaire de modifier en profondeur les dispositions prévues par les articles L. 3332-15 et L. 3332-16 du code de la santé publique.
Trois axes sous-tendent la réforme qui est ici proposée :
1° Bien séparer les infractions aux lois et règlements de la préservation de l'ordre, de la santé et de la moralité publics et adapter la procédure applicable.
2° Distinguer, en matière d'ordre, de santé et de moralité publics ce qui relève de l'urgence absolue de ce qui n'en relève pas et prévoir des procédures différentes pour ces deux cas de figure.
3° Spécifier le rôle joué par les débits de boissons quant à l'établissement des faits ayant motivé la fermeture temporaire.
Concernant le premier point, le Conseil d'Etat, lui-même, a distingué les infractions aux lois et règlements qui appellent des «sanctions administratives» du maintien de l'ordre public qui nécessite des «mesures de police». Il apparaît donc opportun de mettre en place une procédure d'avertissement pour les infractions aux lois et règlements, le responsable de l'établissement incriminé étant alors tenu de se mettre en conformité.
Le second point concerne spécifiquement le maintien de l'ordre, de la santé et de la moralité publics. Il est ici indispensable de créer des procédures différentes selon la nature des crimes et délits commis en distinguant ceux où le rôle de l'exploitant peut être présumé en raison de la gravité de l'atteinte à l'ordre public de ceux où l'exploitant ne peut pas être présumé responsable. Si dans le premier cas, une fermeture temporaire par décision administrative est justifiée, il convient, dans le second cas, d'offrir plus de garanties à l'exploitant. Il serait, par exemple, souhaitable que le législateur rende possible, dans cette deuxième catégorie, l'introduction d'un référé (dès lors que la fermeture de l'établissement porte atteinte à une liberté fondamentale).
Le troisième axe de la proposition de loi vise à permettre l'identification précise d'un lien de causalité entre, d'une part, les désordres constatés et, d'autre part, les conditions d'exploitations de l'établissement concerné.
L'adoption de ces nouvelles procédures permettrait de mettre fin à une situation juridique d'exception qui soumet, sans aucune garantie de recours, les responsables des établissements relevant de la catégorie des «débits de boissons et restaurants» à des décisions temporaires de fermeture décrétées unilatéralement par l'autorité administrative en dehors de tout contrôle judiciaire.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

L'article L. 3332-15 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 3332-15. - 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. L'arrêté devra être motivé.
« Cette fermeture sera précédée d'un avertissement qui pourra, le cas échéant, s'y substituer, lorsque les faits susceptibles de la justifier résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant ou à laquelle il lui est aisé d'y remédier.
«2. En cas d'urgence absolue, motivée par des actes criminels ou délictueux prévus par le code pénal, la fermeture pourra être ordonnée pour une durée n'excédant pas six mois. L'intéressé, s'il en fait la demande, pourra se faire communiquer, dans un délai d'un mois, les motifs de la décision.
«3. Dans tous les autres cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé ou à la moralité publics, la décision de fermeture temporaire ne pourra excéder deux mois.
Elle sera prononcée après que l'intéressé - ou son représentant - ait présenté des observations écrites. Le juge des référés pourra être saisi dans les conditions prévues à l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
«4. Les décisions de fermeture prévues aux alinéas 2 et 3 de cet article ne pourront être prononcées qu'à la condition que les actes criminels ou délictueux ou les atteintes à l'ordre public soient en relation directe avec la fréquentation de l'établissement et ses conditions d'exploitation, de sorte qu'ils seraient favorisés ou facilités.»

Article 2

L'article L. 3332-16 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 3332-16. - Le ministre de l'Intérieur peut, dans les cas prévus aux deux premiers alinéas de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, prononcer la fermeture de ces établissements pour une durée allant de trois mois à un an.
« Le cas échéant, la durée de la fermeture prononcée par le représentant de l'Etat dans le département s'impute sur celle de la fermeture prononcée par le ministre. »
N° 0358 - Proposition de loi  sur les garanties juridiques des exploitants de débits de boissons et restaurants (M. Thierry Mariani)


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