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N° 449
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 décembre 2002.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'augmentation du nombre de suicides dans les prisons françaises.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par MM. Jean-Marc AYRAULT, André VALLINI, Jacques FLOCH
et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2),

(1) Ce groupe est composé de : Mme Patricia Adam, M. Damien Alary, Mme Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Éric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Marcel Cabiddu, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, MM. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Élisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin, Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Christophe Payet, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM. Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.
(2) MM. Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, Guy Lengagne, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Christiane Taubira.


Députés.

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Le 28 octobre dernier, l'Observatoire international des prisons (OIP) nous a rappelé solennellement que, dans les prisons françaises, «en vingt ans, le taux de suicide a doublé. Il est sept fois plus élevé en milieu carcéral qu'à l'extérieur»; d'ores et déjà, le nombre de suicides effectifs survenus depuis le premier janvier 2002 est supérieur à celui atteint durant toute l'année 2001.
Ce problème ne saurait laisser indifférent quel que soit l'aspect sous lequel il est examiné.
D'un point de vue humain, le suicide révèle toujours un drame personnel effroyable aboutissant à une violence extrême faite à soi-même, parfois pour fuir une réalité plus violente encore.
Du point de vue des principes, le condamné doit payer, en prison, une dette à la société et rien de plus. Laisser se développer le suicide en prison serait en quelque sorte admettre le retour insidieux d'une peine de mort indirecte frappant les plus vulnérables. Lorsque la personne qui se supprime est en détention provisoire, le scandale est ailleurs; c'est celui de l'efficacité de la procédure pénale au bénéfice des personnes présumées innocentes. L'affaire récente de la prison de Tarbes où le 31 octobre dernier, une personne placée en détention provisoire a mis fin à ses jours dans un quartier de haute sécurité, avant même son passage devant la commission disciplinaire illustre l'ensemble du problème des suicides en prison et confirme en outre l'incapacité de notre système à conserver au détenu même s'il n'a pas encore été jugé, l'espoir de retrouver sa place dans la société ou même au sein de sa famille.
Le fort taux de suicides en prison illustre enfin l'échec pour notre société de la politique pénitentiaire menée depuis plusieurs décennies.
Certaines de ses causes sont connues.
Les conditions d'incarcération qui tiennent à l'état de nos prisons en font un lieu de violence qui s'exerce à tous les niveaux, entre détenus, entre détenus et surveillants et jusqu'au suicide du détenu. Par ailleurs, l'absence de réflexion de la société sur le sens de la peine comme la difficulté du corps social à intégrer dans ses réactions le principe de la présomption d'innocence brouillent les repères et favorisent l'indifférence.
Nous ne pouvons plus ignorer en tout cas combien les conditions de détention dans nos prisons sont terribles : deux rapports parlementaires du 28 juin 2000, adoptés à l'unanimité de ses membres, nous ont totalement éclairés.
Le rapport de l'Assemblée nationale «la France face à ses prisons» insiste sur l'horrible réalité carcérale et une surpopulation mal maîtrisée qui aboutit inexorablement à l'inapplication des règles et à la détérioration des conditions de vie des détenus qu'ils soient ou non condamnés.
Quant aux personnels, ils assurent une triple mission, pratiquement impossible, puisqu'il leur revient de maintenir, dans un tel contexte, la sûreté de la société en luttant contre les évasions, l'ordre dans l'établissement et la sécurité de chaque détenu. Ce même rapport appelle à repenser la place et la mission de la prison et à améliorer une prise en charge déficiente des détenus dont la réinsertion doit commencer en prison.
Concernant le problème qualifié déjà de «très préoccupant» des suicides en prison, le rapport trace des pistes de réflexion tout en soulignant la difficulté de leur concrétisation. Il affirme notamment qu'une «attention particulière doit être portée à l'accueil dans les établissements» comme cela se pratique à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et signale les difficultés de mise en _uvre dans les onze sites pilotes des mesures immédiates préconisées, dans le cadre d'un plan d'action d'urgence de 1998.
Il propose de prendre rapidement des mesures visant «l'humanisation des quartiers disciplinaires, le maintien des parloirs et l'accès à la radio comme le préconisait le rapport du comité d'évaluation».
Dans le même sens le rapport du Sénat considère clairement les prisons de notre pays comme «une humiliation pour la République» et démontre à quel point l'indifférence de la société pour les lieux de détention est d'une extrême gravité.
Outre les problèmes de surpopulation carcérale, d'inadaptation des bâtiments aux besoins des nouvelles populations prises en charge et les conditions indignes de détention dans les maisons d'arrêt, il aborde lui aussi le problème des suicides en prison qu'il considère, non sans raison, comme l'une des formes que peut prendre la désespérance des détenus au même titre que l'automutilation ou la grève de la faim. Il observe que deux moments apparaissent comme «particulièrement propices au suicide» : les premières semaines de détention et le placement en quartier disciplinaire. Lui aussi estime utiles les préconisations du plan d'action d'urgence de 1998 qui visaient entre autre à identifier les sujets «à risques» lors de la visite d'entrée et grâce à l'observation attentive des détenus les plus fragiles. Il affirme que «bon nombre de suicides pourraient être évités si le personnel pénitentiaire pouvait consacrer plus de temps à l'écoute des détenus» et note que les maisons d'arrêt «à taille humaine» présentent des taux de suicide quasiment nuls».
Si ces deux rapports consacrés à l'institution pénitentiaire dans son ensemble restent à l'évidence une référence incontournable tant le travail accompli est complet. Il faut regretter que rien ne soit fait aujourd'hui pour modifier la situation de nos prisons et que le projet de loi pénitentiaire inspiré directement du travail des deux assemblées et élaboré sous le précédent gouvernement semble avoir été abandonné par l'actuel alors même que l'incarcération des délinquants, y compris des plus jeunes, est érigée en principe de sécurité publique.
Quant au problème spécifique des suicides ou des tentatives de suicide en prison, il doit amener chaque responsable politique et chaque citoyen à remettre en cause une situation carcérale mortifère. La France, pays des droits de l'homme, ne peut accepter d'entendre et de savoir que ceux qui sont placés sous la responsabilité de l'Etat pour un temps parfois court préfèrent, dans une proportion anormale, mettre fin à leurs jours.
Des solutions immédiates doivent donc être apportées en urgence et des solutions de fond doivent être envisagées.
Pour toutes ces raisons, il apparaît opportun et légitime que l'Assemblée nationale se saisisse de cette question et crée une commission d'enquête sur les suicides dans les prisons de la République. Cette commission s'attachera, en complément des précédents rapports parlementaires, à étudier la raison de la suppression du réflexe vital chez de trop nombreux détenus, à comprendre son développement, à mesurer l'incapacité de l'institution à y faire face et à proposer enfin des solutions destinées à y remédier à court et à moyen terme.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

Il est créé, en application de l'article 140 et suivants du Règlement, une commission d'enquête parlementaire de trente membres sur l'augmentation du nombre de suicides dans les prisons françaises.

 n° 0449 - Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'augmentation du nombre de suicides dans les prisons françaises (M. Jean-Marc Ayrault)


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