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No 628

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 février 2003

PROPOSITION DE LOI

tendant à compléter les dispositions du code électoral en vue de garantir la validité et l'authenticité de l'engagement individuel de candidature aux élections des conseillers municipaux dans les communes de plus de 3 500 habitants.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Jacques MASDEU-ARUS,

Député.

Elections et référendums.

EXPOSE DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de loi a pour objet de compléter les dispositions législatives en vigueur du code électoral concernant les formalités de déclaration individuelle de candidature aux élections des conseillers municipaux dans les communes de plus de 3 500 habitants.

Elle tend à rendre obligatoire, pour chaque candidat, l'apposition de mentions manuscrites sur le mandat prévu à l'article L. 265 du code électoral, valant acte de candidature individuel, pour garantir le caractère éclairé et non équivoque de l'engagement de son auteur à participer volontairement aux élections et, ainsi, éviter qu'une personne soit candidate à son insu.

Si l'action de se présenter aux élections est un droit pour tout citoyen éligible, encore faut-il qu'elle soit exercée librement, volontairement, et en conscience.

Cet impératif est d'autant plus essentiel que la portée de l'engagement induit par la signature du mandat a des effets considérables tant à l'égard du fonctionnement régulier de la démocratie et de la sincérité du scrutin, qu'à l'égard de la vie privée de son auteur.

Cependant, en l'état des dispositions législatives en vigueur, force est pourtant de constater que la loi n'apporte aucune garantie permettant de protéger la tenue loyale et régulière des élections municipales ou de défendre efficacement les droits et libertés individuelles des personnes candidates.

Si l'article L. 264 du code électoral dispose qu'une déclaration de candidature est obligatoire pour chaque tour de scrutin, le consentement du candidat se déduit actuellement de la seule signature d'un mandat, prévue aux dispositions de l'article L. 265 du code électoral.

Or, loin de matérialiser la volonté explicite de son signataire de participer aux élections des conseils municipaux, le mandat a simplement pour objet de déléguer au responsable de la liste candidate, à laquelle il est présumé adhérer, le soin d'effectuer collectivement les démarches nécessaires auprès de la préfecture en vue de l'enregistrement de ladite liste pour la participation de celle-ci au premier et au second tours du scrutin.

Ainsi, la loi ne fixant aucune condition de fond ou de forme pour l'établissement du mandat, qui peut être préétabli ou dactylographié, la volonté de participer aux élections résulte d'une simple présomption concrétisée par la seule présence d'un paraphe ne présentant, au surplus, aucune garantie d'authenticité ni de fiabilité à l'égard de l'engagement de candidature.

En l'absence de formalités précises, un usage abusif ou un détournement du mandat, par le mandataire ou son délégué, est possible.

La signature du prétendu candidat peut être falsifiée.

De même peut-elle être obtenue à la suite de manœuvres frauduleuses, notamment sous couvert du recueil de signatures pour document d'une toute autre nature, présenté comme une pétition par exemple.

Plus grave encore, au-delà du risque indéniable de fraude inhérent au silence de la loi, la tentation de commettre de telles impostures est grandement facilitée par l'articulation des autres dispositions du code électoral ainsi que par la limitation des possibilités de recours du candidat qui aurait été abusé ou trompé.

En premier lieu, un candidat inscrit à son insu n'a aucune faculté de contestation individuelle ou de retrait.

L'article L. 267 du code électoral dispose en effet que le retrait d'une liste complète doit comporter la signature de la majorité des autres candidats.

Ainsi, pour être enregistré et opposable à l'administration, le désistement exige une démarche conjointe de plusieurs personnes, avant la date limite de dépôt des listes en préfecture, c'est-à-dire au plus tard le deuxième vendredi qui précède le premier tour de scrutin.

Si la logique de cette procédure permet d'éviter qu'une liste soit trop facilement mise en péril du fait de la versatilité d'un individu, en revanche il n'en demeure pas moins qu'au regard des libertés individuelles la mise en œuvre de cette faculté de retrait est impossible pour un candidat qui aurait été abusé isolément.

Par ailleurs, en pratique, l'exercice de la procédure de retrait est quasiment impossible, quand bien même une majorité de citoyens éligibles aurait également été abusée.

Tout d'abord, si la personne a été abusée à la suite de manœuvres, elle n'est pas censée connaître a priori les autres membres de la liste sur laquelle elle a été inscrite en fraude.

Ensuite, les électeurs apprenant, au plus tôt, le nom des candidats figurant sur les listes en compétition lors de l'expédition, par la commission de propagande, des circulaires et des bulletins de vote, l'exercice du retrait est devenu forclos.

En effet, l'expédition intervenant au plus tard le mercredi précédant le premier tour du scrutin et, en cas de ballottage, le jeudi précédant le second tour conformément aux dispositions de l'article R. 34 du code électoral, tout enregistrement des demandes de retrait en préfecture est impossible.

Il ressort donc, à l'évidence de cette démonstration, qu'aucune disposition du code électoral ne permet, en l'état, d'empêcher une liste, déposée en dernier jour et dont manifestement la constitution frauduleuse serait avérée, de prendre part au premier tour du scrutin, ce qui est particulièrement dangereux pour la démocratie.

Pire encore, quand bien même une contestation serait élevée publiquement et légitimement par un ou plusieurs candidats abusés à l'issue du premier tour, l'engrenage des dispositions légales en vigueur, conduirait automatiquement ces derniers à être contraints malgré eux à devoir participer au second tour, pour le cas où la liste se maintiendrait en compétition sans apporter aucun changement dans sa composition.

En effet, l'article L. 265 alinéa 5 du code électoral dispose que les signatures des candidats ne sont pas exigées pour la déclaration de participation au second tour, si la liste a réuni un nombre de suffrages suffisants au premier tour.

En second lieu, il suffit que la liste soit apparemment complète pour que le préfet ou le sous-préfet soit légalement tenu de l'enregistrer et de délivrer à son responsable, tête de liste, ou à son délégué, un récépissé permettant de participer au scrutin.

Est ainsi en droit de constituer officiellement une liste qui sera considérée régulière toute personne, désireuse de participer au scrutin municipal, qui réunit un nombre suffisant de concitoyens, qui indique expressément l'intitulé de sa liste ainsi que les noms, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, domicile et profession de chacun des candidats, et qui remet enfin en préfecture l'ensemble des mandats signés et les attestations municipales justifiant de leurs conditions d'éligibilité.

Sachant que l'état civil du postulant candidat ressort de l'attestation d'inscription sur les listes électorales délivrées par la mairie, éventuellement à la demande de la personne en tête de liste, il n'existe donc aucune autre manifestation personnelle d'engagement de candidature que la signature du mandat.

Cependant, le préfet ne dispose d'aucun pouvoir pour apprécier l'authenticité de la signature ou la sincérité de l'engagement de chacun des candidats, qu'en l'absence de formalités substantielles de rédaction du mandat.

En définitive, le seul recours du candidat abusé serait a posteriori de saisir soit le juge administratif en sa qualité de juge de la régularité des élections pour demander la nullité des opérations électorales, soit de solliciter réparation auprès du juge civil.

Dans l'esprit, s'il est essentiel d'empêcher un candidat isolé, sous un prétexte quelconque, d'être en mesure de perturber la tenue normale des élections et de fausser le libre fonctionnement de la démocratie, cette noble intention ne saurait, en revanche, justifier la poursuite en toute impunité d'intérêts étrangers aux objectifs électoraux.

Cette singularité pernicieuse n'est pourtant pas interdite.

En premier lieu, elle semble facilitée par l'absence de procédure administrative contentieuse adaptée préalablement à la tenue des élections.

La jurisprudence récente en est une illustration explicite.

Lors des élections municipales des 11 et 18 mars 2001, quatre électeurs avaient eu la surprise d'apprendre qu'ils figuraient sur une liste en compétition, dans une commune de plus de 3500 habitants, et ils considéraient que leurs signatures, portées sur les mandats prévus à l'article L. 265 du code électoral, avaient été recueillies à la suite de manœuvres frauduleuses, ce dont ils justifiaient par neuf attestations.

Arguant de l'atteinte grave et manifestement illégale à leurs libertés fondamentales, résultant de la délivrance par la préfecture du récépissé de déclaration de candidature, ces personnes inscrites à leur insu avaient obtenu, par ordonnance de référé du tribunal administratif , rendue le 6 mars 2001 sur le fondement des nouvelles dispositions de l'article 521-2 du code de justice administrative, le retrait de leur nom sur la liste frauduleusement constituée.

Cependant, par ordonnance du 8 mars 2001 le Conseil d'Etat a décidé d'annuler cette décision au motif que seul le juge de l'élection, qui ne peut être saisi qu'à l'issue des opérations électorales, a compétence pour rechercher si la présentation d'une liste est entachée de manœuvres et si elle a une influence sur la sincérité du scrutin.

Ainsi, le Conseil d'Etat a fermé tout recours à ces candidats contestataires avant l'issue du scrutin, sachant que cette solution serait en tout état de cause insuffisante au regard de la violation des droits et libertés individuelles de la personne abusée.

En effet, quand bien même un recours contentieux devant le juge de l'élection permettrait a posteriori de restaurer éventuellement la sincérité du scrutin et le fonctionnement normal des règles démocratiques, la décision du juge de l'élection demeurerait une réparation dérisoire pour les personnes inscrites à leur insu ayant participé malgré elles aux élections annulées.

Dès la réception des bulletins de vote précédant la tenue du premier tour, chacun des habitants de la commune est en mesure de découvrir les noms des candidats inscrits sur les listes et d'être ainsi informé de leurs opinions ou de leurs engagements politiques.

En principe, la divulgation inévitable du nom des candidats inscrits sur une liste ne peut pas être préjudiciable dès lors que ces personnes sont volontaires pour se présenter aux élections.

Il en est tout autrement du candidat abusé ou trompé, qui voit ainsi irrémédiablement divulgué des opinions politiques auxquelles il est présumé adhérer, alors même qu'il ne les partagerait pas ou qu'elles seraient éventuellement contraires à sa philosophie.

Ainsi, en l'état des dispositions législatives, le code électoral n'apportant aucune solution juridique garantissant la sincérité de l'engagement de candidature, tout citoyen éligible peut être potentiellement victime d'un préjudice d'autant plus considérable que celui-ci est très difficilement réparable, dans la mesure où un dédommagement matériel supposerait une information équivalente à la publicité des élections.

En cas d'annulation de la première élection par le juge administratif, la seule compensation administrative du candidat abusé serait de ne pas participer aux nouvelles élections, ce qui n'est, bien entendu, pas une réparation suffisante.

En second lieu, les recours devant les juridictions civiles du citoyen inscrit à son insu sur une liste en compétition aux élections électorales permettent uniquement des mesures réparatrices mais elles ne peuvent pas être préventives.

Tout d'abord, il n'existe a priori aucune infraction pénale adaptée visant à réprimer l'inscription de candidats réfractaires.

Ensuite, même s'il est saisi en urgence par voie de référé ou par requête aux fins d'assigner à jour fixe, le juge civil ne peut pas en principe s'immiscer, compte tenu des circonstances liées à la période électorale, dans la sphère de compétence du juge administratif.

Pourtant, quelle que soit l'opinion politique défendue par la liste litigieuse, toute personne, a droit, quelle que soit sa notoriété, au respect de sa vie privée et nul n'a le droit de publier en principe des faits se rapportant à elle, sans son autorisation expresse et non équivoque, conformément à l'application des dispositions de l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et celles de l'article 9 du code civil.

Entrant dans la sphère intime de la vie privée du citoyen, les opinions politiques ne devraient ainsi être divulguées qu'avec l'accord express de l'intéressé.

C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'est protégé le secret du vote, qui revêt un caractère constitutionnel conformément aux dispositions de l'article 3 alinéa 3 de la Constitution de la Ve République.

En conclusion, quand bien même il y aurait une atteinte grave à l'honneur du candidat inscrit à son insu ou à sa réputation par l'association de son nom à une liste dont il réfute les opinions, les recours judiciaires susceptibles d'être engagés permettent uniquement à ces candidats abusés d'obtenir une mesure réparatrice, sous la forme d'une indemnisation, sans pour autant empêcher la survenance de la violation grave de leurs libertés individuelles, ce qui est totalement insatisfaisant.

L'expérience ayant malheureusement démontré que l'existence de candidatures fictives ou de listes sérieusement contestées ne sont pas virtuelles, il est du devoir souverain du législateur de réformer et d'améliorer les dispositions légales en vigueur.

De nombreux concitoyens, souvent âgés, impotents ou faibles, ont participé aux élections municipales des 11 et 18 mars 2001 à leur insu et en dépit de leur volonté.

Parmi eux, certains ont obtenu judiciairement la constatation du fait qu'ils n'auraient jamais accepté de se porter candidat ou d'adhérer aux idées de la liste sur laquelle ils étaient inscrits s'ils n'avaient été surpris par des manœuvres trompeuses ayant perturbé la sincérité et la réalité de leur consentement lors de la signature d'un document qui se serait ensuite avéré être en réalité le mandat, tel que défini par l'article L. 265 du code électoral.

Aucun n'a été en mesure d'obtenir le retrait de son nom avant la tenue des élections.

Il est essentiel d'éviter à l'avenir que d'autres citoyens participent, dans des conditions fictives ou simplement douteuses, aux élections des conseils municipaux.

Le socle de la démocratie locale s'en trouverait irrémédiablement ébranlé.

Sachant que les investigations opérées dans les opinions politiques d'une personne, de même que les divulgations qui en sont faites, ne peuvent résulter que d'un consentement explicite, exprimé sans équivoque, il convient de compléter les dispositions en vigueur par l'adjonction de mentions manuscrites dans le dessein de formaliser, à l'appui du mandat, l'engagement volontaire et éclairé des actes individuels de candidature.

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Loin de restreindre la liberté d'exercice du droit de candidature par de nouvelles conditions d'éligibilité, la présente proposition de loi tend à l'inverse à garantir la validité du consentement de chaque citoyen candidat, et à compléter les dispositions législatives en vigueur par l'adjonction d'une formalité substantielle supplémentaire visant à confirmer individuellement l'authenticité des engagements individuels de candidature par la rédaction de mentions manuscrites insérées au mandat prévu par l'article L. 265 du code électoral.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

La dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 265 du code électoral est remplacée par une phrase et trois alinéas ainsi rédigés :

« A peine de nullité de son engagement, chaque candidat doit faire précéder la date et la signature du mandat de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci :

« Je déclare officiellement, librement, volontairement me porter candidat aux élections des conseillers municipaux sur la liste X ... au premier tour ainsi qu'au second tour du scrutin, j'autorise en conséquence la divulgation de mon nom sur tous les documents de propagande ainsi que sur les bulletins de vote et j'atteste expressément sur l'honneur ne pas être inéligible aux termes des dispositions des articles L. 203 et L. 66 du code électoral, ni figurer sur aucune autre liste ».

« A peine d'irrecevabilité du mandat, le candidat doit annexer au mandat une photocopie de sa pièce d'identité certifiée conforme à l'original sur l'honneur.

« La liste déposée indique : »

N° 0628 - Proposition de loi  tendant à compléter les dispositions du code électoral en vue de garantir la validité et l'authenticité de l'engagement individuel de candidature aux élections des conseillers municipaux dans les communes de plus de 3 500 habitants (M. Jacques Masdeu-Arus)


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