Version PDF
Retour vers le dossier législatif

No 1060

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 septembre 2003.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête sur le rôle de la France dans le soutien aux régimes militaires d'Amérique latine entre 1973 et 1984.

(Renvoyée à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. NoËl MAMÈRE, Mme Martine BILLARD
et M. Yves COCHET

Députés.

Relations internationales.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 11 septembre 1973, le général Pinochet prenait le pouvoir à l'issue d'un coup d'État qui allait faire des milliers de victimes. En 1976, une dictature s'installait en Argentine. Des régimes militaires coordonnaient leur action en Uruguay, au Brésil, au Paraguay...

Trente ans après, un film, réalisé par Mme Marie Monique Robin, intitulé « Escadrons de la mort : l'école française », a été diffusé lundi 1er septembre à 23 h par Canal+.

Depuis des années, ici ou là, ont circulé des informations relatives à la coopération apportée par certains militaires français au régime dictatorial qui a sévi en Argentine de 1976 à 1982, sinon dans d'autres pays, notamment le Chili et le Brésil.

Pour la première fois, le film de Mme Marie Monique Robin apporte une démonstration éclatante des conditions dans lesquelles les militaires français ont livré à leurs homologues argentins le savoir-faire qu'ils avaient acquis pendant la bataille d'Alger. Il résulte des interviews d'anciens dignitaires de la dictature argentine et, notamment, MM. Albano Harguindeguy, ministre de l'Intérieur de la Junte militaire, Ramon Diaz Bessone, ministre de l'Équipement, Reynaldo Bignone, successeur du général Videla à la tête de la Junte, que cette opération a été active et que, notamment, ont été enseignées aux militaires argentins les techniques de quadrillage d'une ville, les techniques d'interrogatoire des suspects ainsi que la mise en place d'escadrons de la mort visant à faire disparaître lesdits suspects après qu'ils ont été torturés.

Tout aussi troublantes, les déclarations de deux anciens officiers américains, qui confirment avoir reçu à Fort Bragg aux États-Unis, les enseignements du général Aussaresses, enseignements identiques à ceux apportés par différents militaires français à leurs homologues argentins. De son propre aveu, le général Aussaresses reconnaît avoir enseigné « la torture et les techniques de la bataille d'Alger » aux militaires brésiliens, lorsqu'il était attaché militaire auprès de l'ambassade de France au Brésil, de 1973 à 1975.

M. Pierre Messmer, qui exerçait alors les fonctions de ministre des Armées, confirme l'envoi de certains militaires français notamment aux États-Unis et en Argentine, dans le cadre d'accords de coopération militaire axés sur l'enseignement de la guerre contre la révolution et confirme qu'il s'agissait d'anciens d'Algérie.

De l'aveu de M. Manuel Contreras, ancien chef de la Dina (la police secrète chilienne), le film nous apprend que les services secrets français ont informé leurs homologues chiliens, à la fin des années 1970, du retour au Chili des personnes qui l'avaient fui en raison du coup d'État du 11 septembre 1973 : « La DST nous prévenait dès qu'un chilien montait dans l'avion », affirme le général Contreras. De même, M. Harguindeguy, ancien ministre de l'Intérieur, affirme que M. Michel Poniatowski, son homologue français, lui a proposé que les polices argentine et française collaborent « pour échanger des informations sur les subversifs ».

Il est évidemment extrêmement grave qu'on ait pu accepter de permettre à des militaires français, dont les exactions en Algérie ont été condamnées de façon quasi unanime, de mettre leur savoir-faire à disposition de leurs homologues argentins, américains ou brésiliens, en pleine connaissance de cause : ce savoir-faire, faciliterait la commission des pires exactions. Aujourd'hui plus encore qu'hier, les crimes commis en Argentine et au Chili sont réprouvés par l'opinion publique et la justice internationale. Différents juges nationaux français, argentins ou espagnols s'attellent à stigmatiser les responsabilités essentiellement militaires.

L'honneur de la France est de faire toute la lumière sur cette funeste période tant restent opaques et inconnus bien des aspects de cette étrange « coopération ».

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Conformément aux articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, il est créé une commission d'enquête chargée :

- d'évaluer la réalité des allégations sur le rôle de militaires français en Amérique latine de 1973 à 1984 ;

- de faire la lumière sur la responsabilité des autorités françaises dans cette affaire qui nuit gravement à l'image de la France ;

- d'étudier en particulier le rôle du ministère des Armées et en particulier l'application des accords de coopération militaire entre la France, le Chili, le Brésil et l'Argentine entre 1973 et 1984.

N° 1060 - Proposition de résolution de M.. Noël Mamère sur le rôle de la France dans le soutien aux régimes militaires d'Amérique entre 1973 et 1984


© Assemblée nationale