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N° 1643

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juin 2004.

PROPOSITION DE LOI

sanctionnant la négation du génocide arménien,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Didier MIGAUD, Mme Martine DAVID, MM. René ROUQUET, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Jacques BASCOU, Christophe MASSE, Jean-Paul BACQUET, Jean-Marc AYRAULT, Mmes Patricia ADAM, Sylvie ANDRIEUX, MM. Jean-Marie AUBRON, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Christian BATAILLE, Jean-Claude BEAUCHAUD, Jean-Louis BIANCO, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Jean-Claude BOIS, Daniel BOISSERIE, Pierre BOURGUIGNON, François BROTTES, Laurent CATHALA, Thierry CARCENAC, Jean-Paul CHANTEGUET, Michel CHARZAT, Alain CLAEYS, Gilles COCQUEMPOT, Mme Claude DARCIAUX, MM. Michel DASSEUX, Bernard DEROSIER, Marc DOLEZ, François DOSÉ, Julien DRAY, Tony DREYFUS, Pierre DUCOUT, Jean-Pierre DUFAU, Jean-Louis DUMONT, Jean-Paul DUPRÉ, Mme Odette DURIEZ, MM. Henri EMMANUELLI, Albert FACON, Pierre FORGUES, Michel FRANCAIX, Jean GAUBERT, Mmes Nathalie GAUTIER, Catherine GÉNISSON, MM. Joël GIRAUD, Jean GLAVANY, Alain GOURIOU, David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, M. François HOLLANDE, Mme Françoise IMBERT, MM. Serge JANQUIN, François LAMY, Jack LANG, Jean LAUNAY, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Jean-Yves LE DRIAN, Jean LE GARREC, Bruno LE ROUX, Patrick LEMASLE, Mme Annick LEPETIT, MM. Jean-Claude LEROY, Michel LIEBGOTT, Bernard MADRELLE, Philippe MARTIN, Christophe MASSE, Kléber MESQUIDA, Alain NÉRI, Mme Marie-Renée OGET, M. Jean-Claude PEREZ, Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD, MM. Jean-Jack QUEYRANNE, Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Dominique STRAUSS-KAHN, Pascal TERRASSE, Daniel VAILLANT, Manuel VALLS, Michel VERGNIER, Jean-Claude VIOLLET

et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2)

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 29 mai 1998, l'Assemblée nationale adoptait à l'unanimité une proposition de loi, déposée par le groupe socialiste, ne comprenant qu'un seul article, qu'une seule phrase. Une phrase dont la simplicité témoignait mal de l'horreur du drame qu'elle évoquait et des difficultés qu'il avait fallu surmonter pour arriver à ce stade de la reconnaissance, mais dont la signification était grande.

Ainsi, ce jour de mai 1998, « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915. ». L'émotion est palpable dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Les parlementaires ont ce jour-là l'impression de s'affranchir de ce que l'on pourrait appeler la raison d'Etat, tout en rendant enfin sa dignité au peuple arménien. Car nier le génocide dont a été victime le peuple arménien revient à nier l'existence même de ce peuple, qui a pourtant été exterminé pour ce qu'il était.

Depuis, après quelques péripéties, cette phrase est devenue une loi de la République, la loi no 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

En reconnaissant l'existence de ce génocide, le premier du XXe siècle, la République française a donc symboliquement rendu au peuple arménien la part de lui-même qu'il a perdue il y a plus de 80 ans.

Pour beaucoup, cette reconnaissance a pu être considérée comme un accomplissement, tant il est vrai que les obstacles posés à cette reconnaissance par la loi avaient été nombreux.

Les élus de la Nation pourraient donc être tentés de céder à la tentation du sentiment du devoir accompli. Il n'y aurait rien de pire !

En effet, un important travail législatif reste à accomplir pour tirer toutes les conséquences de la loi portant reconnaissance du génocide arménien. Il convient notamment d'intégrer la négation de ce crime contre l'humanité que constitue le génocide arménien de 1915 dans notre droit pénal.

C'est ce qu'avait fait la loi Gayssot de 1992 à propos de la contestation des crimes contre l'humanité définis en annexe à l'accord de Londres du 8 août 1945.

Cette contestation est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, conformément aux dispositions de la loi de 1881 relative à la liberté de la presse, dans son chapitre IV portant sur les crimes et délits commis par la voie de la presse ou de tout autre moyen de publication.

Par définition, la loi de 1992 ne pouvait pas intégrer le génocide arménien, qui n'avait pas, à l'époque, fait l'objet d'une reconnaissance officielle.

Dès lors que ce génocide a été officiellement reconnu par une loi de la République, il est nécessaire de compléter les dispositions de la loi de 1881 afin que la négation du génocide arménien soit punie comme il se doit.

Tel était l'objet d'un amendement déposé, le 26 novembre dernier, par les membres du groupe socialiste de l'Assemblée nationale.

Il s'agissait, ni plus ni moins, de tirer au plan pénal les conséquences de l'entrée en vigueur de la loi reconnaissant le génocide arménien.

Dès lors, l'examen du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et réformant le code pénal était l'occasion inespérée pour procéder sans délai à la nécessaire adaptation de la loi de 1881.

Pourtant, il n'en n'a pas été ainsi, et la majorité parlementaire, avec l'accord du gouvernement, a refusé de donner une suite positive à cette initiative.

Passons sur la révoltante argumentation du président de la commission des lois, selon lequel l'adoption de cet amendement aurait eu pour conséquence de banaliser la Shoah, pour nous attarder sur la réponse du Garde des Sceaux.

Selon le ministre, la législation existante permet de poursuivre les personnes qui se rendent coupables d'apologie de crimes contre l'humanité. Le droit actuel permettrait ainsi, selon le ministre, de poursuivre toute personne faisant l'apologie du génocide arménien.

La réponse du ministre est certes intéressante, mais elle paraît, à la réflexion, insuffisante et en décalage avec le problème posé.

En effet, la problématique du génocide arménien est singulière. La réalité de la Shoah, par exemple, a non seulement été niée par ceux que l'on appelle les révisionnistes, mais elle a également fait l'objet d'apologie. Il est donc souhaitable de condamner les deux facettes d'une même attitude insupportable : l'apologie et la négation. Le génocide arménien, jusqu'à présent du moins, n'a à notre connaissance jamais fait l'objet d'une quelconque apologie. Au contraire, c'est son existance même qui est niée. Or comment faire l'apologie d'un fait dont on nie l'existence ?

La nécessité de sanctionner pénalement non seulement l'apologie, ce qui selon le ministre est possible avec le droit existant, mais aussi et surtout la négation du génocide arménien, ce qui n'est pas possible en l'état, est donc évidente.

Le travail des parlementaires n'est donc pas achevé, et il convient donc d'étendre les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse relatives à la négation des crimes contre l'humanité au génocide arménien reconnu par la loi no 2001-70 du 29 juillet 2001.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après le premier alinéa de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Seront également punis des mêmes peines ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité commis à l'occasion du génocide arménien de 1915 reconnu par la loi 2001-70 du 29 janvier 2001. »

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118382-2
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 1643 - Proposition de loi sanctionnant la négation du génocide arménien (M. Didier Migaud)

1 () Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin (Gers), Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Christophe Payet, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM.  Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.

2 () MM. Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, François Huwart, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Christiane Taubira.


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