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N° 2239

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 avril 2005.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d'enquête
relative à
l'application de la réglementation
sur le désamiantage en France,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Yves COCHET, Mme Martine BILLARD,
MM. Noël MAMÈRE, Patrick BRAOUEZEC
et Christophe PRIOU

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'amiante, produit classé cancérigène depuis 1977, est interdite en France depuis le décret n° 96-1133 du 2 décembre 1996.

Ce minéral, aux propriétés isolantes et ignifuges, a été utilisé massivement avant son interdiction, et notamment dans le bâtiment pour le flocage, le calorifugeage ou encore dans les faux plafonds.

Il est reconnu maintenant que la respiration de fibres d'amiante entraîne des risques d'asbestose (fibrose pulmonaire), de plaques pleurales bénignes, de mésothéliomes (cancers de la plèvre) ou encore de cancers broncho-pulmonaires.

En 1997, une étude de l'Inserm a révélé que l'amiante devrait être à l'origine de 50 000 à 60 000 décès dans les vingt prochaines années, ainsi que d'un nombre important de pathologies lourdes, créant d'importants préjudices aux victimes. Plus récemment, le chiffre de 100 000 morts d'ici 2025 a été avancé. Ces statistiques concernent pour la plupart des personnes qui ont été au contact de l'amiante du fait de leur activité professionnelle et qui n'ont pas été suffisamment protégées.

L'amiante interdite, le problème n'était pas réglé. Il était important de protéger les populations qui pouvaient entrer en contact avec ce minéral, en le manipulant ou simplement en fréquentant des locaux en renfermant.

Une réglementation existe aujourd'hui pour protéger les personnes susceptibles d'entrer en contact avec des fibres d'amiante dans le cadre de leur activité professionnelle (Décret n° 96-98 du 7 février 1996 modifié relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante). Cette réglementation arrive néanmoins bien tard, alors que les risques de l'amiante étaient connus depuis longtemps.

En ce qui concerne la protection des populations, selon Marcel Goldberg, chercheur à l'Inserm et à l'Institut de veille sanitaire, se trouver à proximité d'amiante n'est pas une menace directe en soi. C'est l'inhalation de sa poussière qui déclenche ces affections.

C'est pourquoi il est fondamental d'identifier partout et en tous lieux la présence de l'amiante, sous quelque forme qu'elle soit, et d'évaluer son état de conservation ; éliminer l'amiante lorsqu'elle est une source de contamination ou renforcer la qualité de la cohésion du matériau lorsqu'elle ne présente pas de risque ; sensibiliser, informer et protéger les différents publics concernés.

Ce recensement est d'autant plus important que l'amiante a été utilisée massivement dans les années 60-70 dans l'industrie du bâtiment. Marcel Goldberg affirme même que l'équivalent de 80 kg d'amiante par habitant auraient été importés avant l'interdiction en 1997 (Entretien dans l'Express du 21 mars 2005) !

Ce principe de l'inventaire a été posé par le décret n° 96-97 du 7 février 1996 modifié, relatif à la protection des populations contre les risques sanitaires liés à une exposition à l'amiante dans les immeubles bâtis.

Il répond au principe affirmé dans la loi n° 96-1236 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie du 30 décembre 1996, selon lequel chacun a droit « à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé ». Il pose également pour chacun le principe du « droit à l'information sur la qualité de l'air et ses effets sur la santé et l'environnement », et fait de l'Etat le garant de l'exercice de ce droit, de la fiabilité de l'information et de sa diffusion.

Le décret n° 96-97 du 7 février 1996 modifié est actuellement codifié aux articles R. 1334-14 à R. 1334-29 et R. 1336-2 à R. 1336-5 du code de la santé publique. Il fait obligation à tous les propriétaires d'immeubles de rechercher la présence d'amiante dans les flocages, calorifugeages et faux plafonds, selon une démarche bien précise. Le propriétaire doit faire appel à un contrôleur technique agréé (ou un technicien de la construction ayant contracté une assurance spéciale pour ce type d'activité), pour faire évaluer la présence d'amiante dans le bâtiment.

Le contrôleur recherche dans un premier temps la présence :

- de flocage antérieur à 1980 ;

- de calorifugeage antérieur à juillet 1996 ;

- de faux plafonds antérieurs à janvier 1997.

En cas de repérage positif, il procède à des prélèvements de matériaux pour la recherche d'amiante en microscopie optique à lumière polarisée. La présence d'amiante ne se repère pas à la vue mais à l'examen microscopique du matériau.

Si les résultats sont négatifs, l'absence d'amiante est confirmée.

Dans le cas contraire, le contrôleur procède, dans un deuxième temps, à une évaluation de l'état des matériaux selon une grille annexée à l'arrêté du 7 février 1996 modifié par l'arrêté du 15 janvier 1998 qui donne un score d'évaluation de 1 à 3 :

· si le score est égal à 1 : le matériau est considéré en bon état, une réévaluation devant intervenir dans un délai de trois ans.

· si le score est égal à 2 : l'analyse doit être complétée par un prélèvement atmosphérique et un examen par microscopie électronique par un organisme agréé :

Si le niveau d'empoussièrement est inférieur ou égal à la valeur de 5 fibres/litre, les propriétaires procèdent à un contrôle périodique de l'état de conservation des matériaux et produits, dans un délai maximal de trois ans à compter de la date à laquelle leur sont remis les résultats du contrôle ou à l'occasion de toute modification substantielle de l'ouvrage ou de son usage.

Si le niveau d'empoussièrement est supérieur à 5 fibres/litre, les propriétaires procèdent à des travaux de confinement ou de retrait de l'amiante, qui doivent être achevés dans un délai de trente-six mois à compter de la date à laquelle leur sont remis les résultats du contrôle (des dérogations peuvent être accordées dans certains cas). Pendant la période précédant les travaux, des mesures conservatoires appropriées doivent être mises en œuvre afin de réduire l'exposition des occupants et de la maintenir au niveau le plus bas possible, et dans tous les cas à un niveau d'empoussièrement inférieur à 5 fibres/litre. Les mesures conservatoires ne doivent conduire à aucune sollicitation des matériaux et produits concernés par les travaux.

· si le score est égal à 3 : des travaux doivent être réalisés dans les 12 mois. Après travaux et pour que les locaux traités puissent être restitués, le niveau d'empoussièrement devra être inférieur à 5 fibres / litre.

En outre, tous les propriétaires (personnes privées ou publiques) d'immeubles bâtis dont le permis de construire a été délivré avant le 1er juillet 1997, sont tenus de produire au plus tard à la date de toute promesse de vente ou d'achat, un constat précisant la présence ou, le cas échéant, l'absence de matériaux et produits contenant de l'amiante. Ce constat indique la localisation et l'état de conservation de ces matériaux et produits.

Enfin, certains propriétaires doivent produire un dossier technique « Amiante » (DTA) comportant :

1° La localisation précise des matériaux et produits contenant de l'amiante ainsi que, le cas échéant, leur signalisation ;

2° L'enregistrement de l'état de conservation de ces matériaux et produits ;

3° L'enregistrement des travaux de retrait ou de confinement de ces matériaux et produits et des mesures conservatoires mises en œuvre ;

4° Les consignes générales de sécurité à l'égard de ces matériaux et produits, notamment les procédures d'intervention, y compris les procédures de gestion et d'élimination des déchets ;

5° Une fiche récapitulative.

Ce DTA doit être produit au plus tard :

- le 31 décembre 2003 pour les immeubles de grande hauteur mentionnés à l'article R. 122-2 du code de la construction et de l'habitation et les établissements recevant du public définis à l'article R. 123-2 de ce même code, classés de la première à la quatrième catégorie au sens de l'article R. 123-19 du même code à l'exception des parties privatives des immeubles collectifs d'habitation ;

- le 31 décembre 2005 pour les immeubles de bureaux, les établissements recevant du public et classés dans la cinquième catégorie, les immeubles destinés à l'exercice d'une activité industrielle ou agricole, les locaux de travail et les parties à usage commun des immeubles collectifs d'habitation.

Cette réglementation doit permettre de limiter les risques d'exposition des populations aux émanations de poussières d'amiante.

Or des faits récents nous portent à croire que cette réglementation est loin d'être respectée, et que de nombreuses personnes continuent, sans le savoir à être exposés aux dangers de l'amiante.

L'exemple emblématique est l'affaire récente de la Tour Montparnasse. Alors que des diagnostics amiante réalisés en 1996-1997 montrent que certains étages de la tour sont classés niveau 3 (qui nécessitent donc des travaux dans les 12 mois), seules des mesures d'interdiction au public ont été prises. Les travaux n'ont pas été entrepris, malgré les mises en garde écrites de l'entreprise ayant réalisé les diagnostics. Dans d'autres étages, quelques propriétaires ont précédé au désamiantage de faux-plafonds. Mais tout cela reste extrêmement parcellaire, et laissé au bon vouloir de certains propriétaires. Le DTA global de la tour n'a pas été réalisé dans les délais et il est encore aujourd'hui impossible d'en avoir connaissance.

Les coûts économiques et financiers d'un désamiantage de la tour pèsent certainement lourd dans l'inertie des gestionnaires de cet ensemble immobilier, qui comporte au total quatre bâtiments. Selon un expert, le coût du désamiantage de l'ensemble devrait s'établir à plusieurs dizaines de millions d'euros.

Si l'on peut comprendre les contraintes auxquelles doivent faire face les propriétaires de ces ensembles immobiliers, il n'en reste pas moins inacceptable que ces retards entraînent une mise en danger des populations. L'absence de DTA dans la tour a probablement entraîné l'exposition à leur insu de professionnels venus par exemple tirer des câbles électriques ou installer de nouveaux plafonniers ou assurer la maintenance des ascenseurs, et qui n'auraient pas exigé de DTA pour ne pas perdre un client.

Le cas de la Tour Montparnasse n'est certainement pas unique, et déjà nous avons connaissance de retards dans l'application de la réglementation amiante.

Dans le secteur public d'abord, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a annoncé le 25 mars 2005 un « plan amiante », après avoir reconnu que 19 agents techniques de l'hôpital Saint-Louis (sur 65 agents contrôlés) présentaient des plaques pleurales, signes d'exposition à l'amiante. L'AP-HP (39 hôpitaux ou groupes hospitaliers dont 17 à Paris intra-muros, 90 658 personnes employées) a promis l'élaboration d'un DTA dans chaque site « dans un délai de trois mois maximum », alors que ceux-ci devraient être disponibles depuis près d'un an et demi ! Pourtant, les Hôpitaux de Paris sont considérés comme des « bons élèves » de la réglementation amiante : ils ont déjà diagnostiqué 30 établissements sur 39. Mais il est impossible de connaître les résultats hôpital par hôpital, ce qui inquiète fortement les personnels.

Du côté des écoles, collèges et lycées, le flou est total. L'Observatoire de la sécurité des établissements scolaires reconnaît que 20 % seulement des établissements lui ont répondu. Les informations sur les piscines manquent également.

On peut poursuivre encore longtemps l'inventaire pour les organismes publics et surtout pour tous les biens privés. Outre les bâtiments n'ayant pas encore de DTA, nombreux sont ceux dont les diagnostics ont été réalisés mais dont les travaux n'ont toujours pas été mis en œuvre.

Ces faisceaux de présomption nous incitent à penser que la sécurité sanitaire n'est toujours pas garantie pour les personnes qui fréquentent des immeubles susceptibles de renfermer de l'amiante.

La mise en place d'une commission d'enquête nous apparaît donc nécessaire pour faire la lumière sur le respect de cette réglementation et les risques encourus par les populations.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d'enquête de trente membres relative au respect de la réglementation sur le désamiantage en France.

Elle devra notamment :

- examiner le respect de la réglementation concernant la constitution de diagnostics techniques amiante pour les immeubles de grande hauteur et les immeubles recevant du public ;

- faire l'inventaire des bâtiments dont le désamiantage programmé n'a pas encore été réalisé et recenser, dans ces bâtiments, les mesures de protection des populations effectivement mises en place ;

- vérifier si les travaux de désamiantage en cours respectent les normes en vigueur de protection des travailleurs.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119116-7
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2239 - Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête relative à l'application de la réglementation sur le désamiantage en France (M. Yves Cochet)


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