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N° 2345

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 mai 2005.

PROPOSITION DE LOI

abrogeant l'article 434-7-2 du code pénal
pour préserver les droits de la défense
et le libre exercice de la profession d'avocat,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Lors de l'examen du texte qui allait devenir la loi du 9 mars 2004, dite « loi Perben 2 », de nombreux parlementaires avaient appelé l'attention du garde des sceaux sur le risque de voir certaines dispositions de cette loi porter atteinte aux droits de la défense et au libre exercice de la profession d'avocat.

Parmi ces dispositions, figure en particulier l'article 434-7-2, introduit dans le nouveau code pénal par cette loi Perben 2 et ainsi rédigé :

« Sans préjudice des droits de la défense, le fait, pour toute personne qui, du fait de ses fonctions, a connaissance, en application des dispositions du code de procédure pénale, d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours concernant un crime ou un délit, de révéler, directement ou indirectement, ces informations à des personnes susceptibles d'être impliquées, comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs, dans la commission de ces infractions, lorsque cette révélation est de nature à entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. »

Tel qu'il est rédigé et tel qu'il est interprété par certains magistrats instructeurs, cet article peut limiter gravement les droits de la défense.

En effet, son application stricte peut empêcher l'avocat d'une personne poursuivie - pourtant présumée innocente - de rencontrer un tiers pour préparer la défense de son client - souvent incarcéré -, s'il n'a pas la certitude que ce tiers n'est pas « susceptible » d'être, éventuellement et ultérieurement, mis en cause lui aussi par le juge d'instruction.

Comment l'avocat pourrait-il préparer efficacement la défense de son client s'il ne peut pas rencontrer librement les proches de celui-ci et les membres de sa famille, qui sont les mieux à même de lui apporter des éléments de défense ? Comment pourrait-il agir efficacement s'il ne peut pas leur expliquer les raisons et le contenu de la poursuite sans risquer d'être lui-même poursuivi pour « révélation d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours », alors qu'agissant de bonne foi, il a des contacts avec des personnes dont il ne peut alors savoir qu'elles seront mises en cause ultérieurement par le magistrat instructeur ? Obliger l'avocat à ne rien révéler à ces tiers, sous peine de poursuites à son encontre, peut l'empêcher d'organiser librement la défense de son client.

Si, de surcroît, ce risque de poursuite du défenseur s'accompagne d'un risque de placement en garde à vue et de mise en détention provisoire - utilisée parfois abusivement par certains juge d'instruction -, l'avocat peut être dissuadé de préparer efficacement la défense de son client. Or, celui-ci a le droit d'être assisté par un professionnel libre, non entravé par la menace de se retrouver lui aussi poursuivi et détenu.

Certes, il importe de pouvoir sanctionner les avocats qui s'affranchiraient délibérément des obligations de la loi et des règles de la profession. Bien sûr, il n'est pas question de justifier ces cas, qui sont très exceptionnels. Mais il n'est pas besoin pour cela de cette incrimination nouvelle, introduite dans le code pénal par la loi Perben 2.

Non seulement cet article 434-7-2 est dangereux, mais encore il est superfétatoire. Car la jurisprudence et les textes existants permettaient déjà de sanctionner les avocats qui ne respectent pas leurs obligations.

Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation (18 septembre 2001, Bull. crim., n° 179 ; 27 octobre 2004, ibid, n° 259) juge que l'avocat est tenu de respecter le secret professionnel, ainsi que le secret des enquêtes et de l'instruction. En particulier, conformément à l'article 160 du décret du 27 novembre 1991, l'avocat doit respecter le secret de l'instruction en s'abstenant de communiquer, sauf à son client pour les besoins de la défense, des renseignements extraits du dossier ou de publier des documents, pièces ou lettres concernant une information en cours.

Il n'était donc pas nécessaire d'introduire dans le code pénal, comme l'a fait la loi Perben 2, une incrimination nouvelle réprimant l'entrave à l'exercice de la justice par une information donnée à des personnes susceptibles d'être impliquées dans la procédure, incrimination dont l'interprétation et l'application peuvent conduire à des excès.

Faire peser la menace de poursuites et de mises en détention provisoire sur des avocats qui agissent de bonne foi pour préparer la défense de leur client, c'est, en réalité, porter atteinte au libre exercice de leur profession.

On peut comprendre que la législation pénale ait été renforcée pour mieux pouvoir poursuivre la criminalité organisée. Mais on ne peut admettre que ce renforcement se fasse au détriment des droits de la défense. Au lieu d'être limités, ceux-ci devraient être préservés, voire renforcés, pour assurer un équilibre entre les prérogatives désormais accrues de la police et de la justice et la liberté pour l'avocat de pouvoir défendre efficacement son client mis en examen.

Les droits de la défense constituent depuis toujours un des fondements essentiels des libertés publiques et de la tradition républicaine. Il existe, en effet, une union intime entre la République et les droits de la défense, qui sont indissociables des droits des personnes prévenues ou accusées, droits garantis par les articles VII et IX de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, à laquelle la Constitution de 1958 se réfère expressément dans son préambule.

C'est pourquoi il est nécessaire d'abroger l'article 434-7-2 du nouveau code pénal pour préserver les droits de la défense et le libre exercice de la profession d'avocat.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L'article 434-7-2 du code pénal est abrogé.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119219-8
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2345 - Proposition de loi abrogeant l'article 434-7-2 du code pénal pour préserver les droits de la défense et le libre exercice de la profession d'avocat (Roger-Gérard SCHWARTZENBERG)


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